Une femme ordinaire...
Par Maria Schalckens
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À propos de ce livre électronique
C'est un film qui se déroule sous nos yeux, un film tendre et pudique, vu avec ses yeux d'enfant et de merveilleux souvenirs à jamais gravés dans sa mémoire...
Maria Schalckens
Maria Schalckens est née en Espagne. Elle arrivera en France à l'âge de quatre ans et se découvrira très tôt un goût pour la lecture et l'écriture en particulier. La vie a fait qu'il lui faudra attendre bien longtemps pour enfin atteindre son but : la passion d'écrire.
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Avis sur Une femme ordinaire...
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Aperçu du livre
Une femme ordinaire... - Maria Schalckens
«Il n’est point de bonheur sans liberté,
ni de liberté sans courage»
Pericles
A mes parents…
Sommaire
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
MANISES
LES FABRIQUES
LE LAVOIR
EL PASEO
DON PABLO
LA SEMAINE SAINTE
CARLA
LOS FILTROS
BERNARD
LA RUPTURE
FREDERIC
LE DIVORCE
BENJAMIN
SOUVENIRS
LE RETOUR
1
Je ne sais plus qui a dit un jour :
« Lorsque l’on décide d’écrire sa vie c’est qu’on a passé la soixantaine… »
C’est une lapalissade ; de toute évidence une personne de vingt ans aurait sans doute beaucoup moins de choses à raconter.
Depuis le salon je regarde mon jardin en ce début d’après-midi printanier au temps si capricieux. Les oiseaux sont de retour, les vrilles enroulées de la glycine continuent leur lente et perpétuelle progression, les boutons des pivoines pointent leur nez et le cerisier commence à perdre sa jolie floraison blanche. Un coup de vent dans ce ciel si tourmenté et tout s’envole, comme des dizaines de papillons virevoltant dans les airs. Peut-être ces fleurs de cerisier me font-elles penser à ma vie et aux années qui s’égrènent inexorablement au fil du temps qui passe.
Je ne saurais dire pourquoi mais il fallait, à cet instant précis, que je raconte cette histoire, mon histoire, un peu comme si le temps m’était compté ou que j’appréhendais de ne pouvoir en arriver à sa fin. Pourquoi ce besoin impérieux et narcissique ? Sans doute pour que quelqu’un, quelque part, ne m’oublie jamais ou bien laisser ainsi une trace sur cette terre, où nous ne sommes finalement que de passage.
On dit souvent que toute vie est un roman, alors laissez-moi vous raconter la mienne.
Confortablement assise dans mon fauteuil, je ferme les yeux et je revois, comme si c’était hier, mon arrivée dans ce pays. Je me souviens surtout de la précipitation avec laquelle nous étions parties de chez nous, maman et moi. Je me souviens de nos adieux déchirants à la famille, aux amis, aux voisins. Je me souviens de nos larmes sur ce quai de gare de Valencia et de tous ces visages si inquiets en nous regardant nous éloigner vers l’inconnu.
Quelle angoisse et quelle tristesse de devoir quitter l’Espagne, la famille, les gens que nous aimions et avec qui nous nous sentions, jusqu’à aujourd’hui, en sécurité.
Je me souviens de cette question que je posais sans cesse à ma mère :
– Pourquoi partir maman, pourquoi ?
Et elle de me répondre que nous y étions obligées, de sa voix qui se voulait rassurante mais étranglée par l’émotion. Je ne comprenais pas les raisons de cette subite précipitation et maman me semblait si inquiète, dans sa jolie robe à pois qu’elle s’était confectionnée pour l’occasion. Malgré les années, je n’ai rien oublié ; il y avait dans ce départ, trop de tristesse et de peur, trop d’inquiétude et de questions sans réponses, trop de silence.
Oui, c’était hier et j’avais quatre ans…
***
2
Mon prénom est Maria Del Carmen mais en France tout le monde m’appelle Maria.
D’aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais sentie chez moi ni dans mon pays d’origine, ni dans mon pays d’adoption, mais je suppose que c’est le lot de toute personne expatriée.
Nous arrivâmes ma mère et moi, un matin de juillet 1951 en gare d’Austerlitz à Paris, avec pour tout bagage une valise et un sac de voyage. Nous venions de quitter l’Espagne où nous avions tout abandonné derrière nous : la famille, les amis, notre appartement, nos objets familiers et tous nos souvenirs.
Sur les conseils de ma mère, j’avais dû me séparer de mes jouets au profit de mes petites cousines et n’en garder qu’un seul car il nous était impossible de tout emporter. Après de nombreuses hésitations mon choix s’était porté sur un poupon dodu, un petit « baigneur » qui fermait ses jolis yeux bleus lorsqu’on le couchait. Pourquoi avoir choisi ce jouet et pas un autre ? Aujourd’hui encore je ne saurais le dire. Une fois en France, je n’ai plus jamais voulu jouer avec ce poupon et je l’ai précieusement gardé, caché au fond d’une valise, certainement pour ne rien oublier.
Nous étions fatiguées, désorientées sur ce quai de gare avec nos maigres bagages, pourtant bien trop lourds pour nous. Un jeune homme, nous voyant en difficulté, se précipita pour nous venir en aide. Il était sympathique, souriant ; je regardais ses yeux clairs, ses cheveux bouclés et si blonds, je le trouvais beau. Il nous parlait mais nous ne comprenions pas un seul mot, alors maman se contentait de lui sourire. Au bout du quai elle lui fit signe de déposer notre valise au sol et le remercia comme elle put. Le jeune homme s’éloigna d’un pas léger, sourire aux lèvres, en nous faisant un signe amical de la main.
Malgré mon jeune âge et les propos si confiants de ma mère, je me souviens avoir éprouvé ce jour-là une profonde tristesse. Une page de ma jeune vie venait de se tourner, une page de mon histoire, inachevée…
***
3
Il faisait beau à Paris ce jour de juillet 1951.
Nous venions à Paris rejoindre Benjamin, mon père, avec qui nous n’avions eu pratiquement aucun contact depuis son asile politique en France deux ans auparavant. Autant dire une éternité pour l’enfant que j’étais.
Carmen, ma mère, cherchait désespérément des yeux son mari parmi la foule de voyageurs de la gare d’Austerlitz, mais ce fut lui qui nous aperçut le premier. Il se dirigea vers nous, fébrile et certainement heureux de nous revoir enfin.
– Marie-Carmen, tu ne viens pas m’embrasser ?
Je reculai, intimidée, en me cachant aussitôt derrière maman. Je ne reconnaissais plus mon père et refusai son baiser et puis personne ne m’appelait « Marie-Carmen » !
Il n’insista pas et passa son bras autour des épaules de ma mère en prenant notre valise. Tous les deux avaient l’air heureux de se revoir, même si, sur ce quai de gare parisien, il leur était difficile d’extérioriser l’immense joie que chacun devait éprouver à cet instant précis.
Nous montâmes dans un taxi qui nous conduisit dans un petit hôtel du boulevard Voltaire où mon père logeait depuis son arrivée à Paris. Nous y resterons un certain temps avant de trouver quelque chose de plus « approprié » pour notre famille reconstruite.
La chambre de l’hôtel n’était pas bien grande mais, heureusement, dotée d’un beau balcon où je passais le plus clair de mon temps. Ma mère et moi, ne comprenant pas un mot de français, restions cloîtrées toute la journée dans cette pièce exiguë à regarder les passants s’activer sur le boulevard. Maman faisait les repas, la lessive, la couture et les journées nous semblaient interminables. Moi je n’avais personne avec qui m’amuser, je m’ennuyais beaucoup et ne faisais que des bêtises.
Un après-midi, alors que maman repassait, je ne trouvais pas meilleure idée que de cracher sur la tête des passants depuis le balcon.
Soudain, une femme se mit à hurler très fort sur le trottoir et comme je ne comprenais rien à ce qu’elle disait, toute cette agitation m’amusa beaucoup. Elle gesticulait, telle une marionnette et je me mis à l’imiter ce qui l’énerva encore plus. Maman me fit signe de rentrer ne sachant pas ce qui se passait exactement.
Mais en entendant les cris, elle me rejoignit sur le balcon et regarda par-dessus la rambarde. Elle vit une femme écarlate, telle une furie, regardant vers nous en me pointant du doigt. Ma mère comprit aussitôt que j’avais fait quelque chose de grave et me demanda des explications. Je lui avouai immédiatement avoir craché sur la tête de cette pauvre femme et c’est une anecdote que je n’étais pas près d’oublier car ce fut ma première fessée sur le sol français par une Carmen très vexée.
Une autre fois, je voulais absolument manger une glace, mais maman me dit que c’était impossible car elle serait incapable de la demander. En colère d’avoir essuyé un refus, je pris les ciseaux et coupai maladroitement mes longs cheveux d’un seul côté. Je revois encore la tête de maman en apercevant mes cheveux sur le sol. Elle tenta, tant bien que mal, d’égaliser ma coupe tout en me sermonnant et, lorsque mon père rentra le soir, il m’emmena aussitôt chez son coiffeur. Je n’avais jamais eu les cheveux aussi courts, j’étais coiffée à la garçonne !
J’ai longtemps regretté