Du côté des Laurentides, tome 2: L'école du village
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À propos de ce livre électronique
Ces bouleversements forceront également Agnès à retarder son mariage avec Fulbert qui, lui aussi d’ailleurs, aura une année d’études bien chargée. Mais ils ne sont pas les seuls à devoir mettre leurs amours en jachère. Marion, au manoir, en plus d’avoir de plus en plus de mal à saisir sa patronne, se demande bien si elle devra s’exiler afin de vivre son amour avec James au grand jour…
Lorsque le drame s’abat sur ce qui représente tout un pan de vie pour Agnès et la famille Théberge, la jeune femme fera face à un tout nouveau défi. Au cœur du pittoresque village des Laurentides, sa famille et ses amis tenteront de lui insuffler le courage nécessaire pour l’aider à le relever. C’est dans la solidarité, la tendresse, les épreuves mais surtout dans l’émotion brute que se déploie ce deuxième tome d’une autre série inoubliable de la reine de la saga québécoise!
Louise Tremblay d'Essiambre
La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.
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Avis sur Du côté des Laurentides, tome 2
1 notation1 avis
- Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5موقع رائع جدا جدا جدا شكرا لكم بارك الله فيكم على هذا العمل القيم
Aperçu du livre
Du côté des Laurentides, tome 2 - Louise Tremblay d'Essiambre
Prologue
Lettre de Marion à Agnès
« Chère Agnès,
Ici, c’est la course au quotidien depuis que madame Éléonore a donné naissance à deux bébés ! Te rends-tu compte ? Deux gros bébés de huit livres…
Jamais je n’aurais cru cela possible de sa part, mais c’est bien spontanément que madame O’Gallagher a offert ses services pour aider madame Éléonore qui en a plein les bras, c’est le moins qu’on puisse dire. Après tout, comme l’a dit notre patronne, il n’y avait qu’elle dans la maison qui avait un peu d’expérience avec les bébés, sauf peut-être moi, mais comme je dois rester à la cuisine la plupart du temps… Petit à petit, je découvre une facette de madame O’Gallagher qui m’avait échappé jusqu’à maintenant.
C’est ainsi qu’on a maintenant un petit Martin et une petite Martine au manoir. C’est monsieur Tremblay qui tenait à ce que ses jumeaux portent le même nom ou presque, et il a avoué qu’il avait une préférence marquée pour des prénoms plus modernes. Fatiguée comme elle l’était, madame Éléonore n’a émis aucune objection. Moi, je trouve cela plutôt joli.
Dans un autre registre, je tenais à te dire que j’ai senti beaucoup d’hésitation dans ta dernière lettre. As-tu finalement pris une décision ? Vas-tu rester à Saint-Clément-des-Laurentides pour une autre année ? En as-tu parlé avec Fulbert ?
C’est une rafale de questions, je le sais, mais j’aimerais vraiment savoir ce qui se passe dans ta vie. Ne tarde pas à me répondre, car j’avoue que je suis un peu inquiète pour toi. Ce n’est jamais facile quand on a des décisions aussi importantes à prendre.
Mais peut-être aurons-nous l’occasion d’en parler ensemble, car je sais que tu as été invitée pour le baptême, qui doit avoir lieu dans deux semaines…
Voilà l’essentiel de ce que je voulais t’écrire.
Ma vie est un perpétuel mouvement. Avec deux bébés à nourrir, madame Éléonore fait souvent appel à moi pour l’aider, surtout quand madame O’Gallagher doit s’absenter. C’est curieux d’avouer ça, mais je ne me souvenais plus que c’était aussi exigeant, s’occuper d’un nouveau-né. Que dire de deux en même temps ! Je peux d’ores et déjà t’annoncer que je n’aurai pas une grosse famille comme celle de mes parents. J’espère que James va être d’accord avec moi…
Je t’embrasse et je te dis à bientôt.
Marion »
Première partie
Printemps – Été 1932
Chapitre 1
Lettre d’Agnès à Marion
« Chère amie,
J’ai peut-être mis un peu de temps à t’écrire, je m’en excuse, mais la fin de l’année scolaire occupe toutes les heures de mes journées. Pourtant, il y en a des choses à raconter depuis que nous nous sommes vues pour le baptême des jumeaux de madame Légaré, au début de mai… Tu vois, moi aussi, j’ai de la difficulté à me faire à l’idée de l’appeler madame Tremblay, même si ça fait plus d’un an qu’elle est mariée avec votre majordome et qu’elle vient de donner naissance à ses deux enfants. Bref, j’étais vraiment contente de te voir lors du baptême, même si on n’a pas eu l’occasion de s’isoler pour placoter ensemble. On ne rit plus ! À titre de marraine du petit Martin, tu faisais partie des honneurs, comme on dit. Alors, je n’ai pas eu l’occasion de t’avouer que bébé Martine me fait beaucoup penser à Albertine, ma petite sœur décédée. J’étais toute émue quand je l’ai tenue dans mes bras. Maman m’a écrit, la semaine dernière, qu’elle a profité de la naissance des jumeaux de votre cuisinière pour parler longuement avec mon frère Albert qui, malheureusement, ne garde aucun souvenir de sa petite jumelle. Ma tante Lauréanne m’a même précisé au téléphone que mes parents doivent se rendre au manoir avec Albert pour qu’il puisse voir les bébés. Paraîtrait-il que c’est mon petit frère lui-même qui l’a demandé. Je t’en donnerai des nouvelles, ou alors c’est toi qui m’en donneras, car tu vas être aux premières loges pour voir sa réaction… Je veux aussi que tu saches que James et toi, vous formiez un très beau couple, lors de la cérémonie. Malgré la retenue qui vous habitait, le regard que James a posé sur toi au moment où vous aviez les deux mains réunies au-dessus du petit garçon ne pouvait mentir : il est vraiment amoureux de toi et personne ne pourra défaire ce lien. Alors, tout ce que je peux te dire, c’est de garder confiance en l’avenir. Je suis persuadée que tout va finir par s’arranger du côté des parents de James. Ils ne pourront pas résister indéfiniment aux sentiments que vous éprouvez l’un pour l’autre… Pour en terminer avec le sujet du baptême, j’avoue que tu m’as impressionnée, avec toutes tes petites bouchées de fantaisie et le magnifique gâteau à trois étages. De toute évidence, chère Marion, tu es une cuisinière hors pair ! Pas que j’en doutais avant, mais bon… Tu comprends ce que je veux dire, n’est-ce pas ? Tu nous en as mis plein la vue !
Ici, comme je l’ai écrit un peu plus haut, c’est une véritable course contre la montre. J’ai toutes sortes d’examens à préparer, des tonnes de copies à corriger, les bulletins de fin d’année à rédiger, le ménage à faire avant de quitter pour l’été… D’autant plus que maintenant, c’est officiel : je vais habiter au village pour la prochaine année scolaire. La petite école rouge se doit donc d’être impeccable pour celle qui me remplacera.
Mais voilà que j’écris ces mots et je me sens toute triste.
Bien sûr, je suis très contente d’avoir répondu aux attentes qu’on avait placées en moi et surtout très fière de cette promotion, c’est bien certain. Tout comme je suis aussi profondément reconnaissante à Fulbert d’avoir compris à quel point c’était important pour moi de poursuivre mon engagement pendant encore un an. Mais en même temps, je suis déçue de ne pas me marier cette année, et je sais à l’avance que je vais beaucoup m’ennuyer de mes élèves de l’école du rang 3. Comme quoi il n’y a rien de parfait en ce bas monde, comme le dirait ma tante Lauréanne. Le seul de mes élèves que je vois partir avec un grand sourire, c’est Achille, parce que je sais qu’il va poursuivre ses études au collège André-Grasset de Montréal. En fin de compte, le conseil de la fabrique de Saint-Clément-des-Laurentides a accepté d’aider le jeune Achille, jugeant qu’un élève aussi brillant ne pouvait que donner du panache à notre paroisse. Panache… Ça m’a un peu surprise d’entendre monsieur Théberge prononcer un tel mot, mais c’est exactement celui qu’il a employé quand il est revenu de leur réunion des marguillers, l’autre soir, alors que j’étais chez lui. Si tu savais à quel point je suis fière de mon élève !
Par contre, c’est avec une grande inquiétude que je vais laisser derrière moi la jeune Juliana. Je suis de plus en plus convaincue qu’elle cache une grande tristesse, ou une sorte de peur, je ne sais pas trop. Chose certaine, je la vois de plus en plus mélancolique et cette espèce de vague à l’âme prend beaucoup de place dans sa vie, au point où ses notes sont présentement en chute libre. Comme si elle voulait absolument doubler son année et c’est ce qui va arriver, si ça continue comme ça. Je n’y comprends rien ! Elle avait pourtant d’excellents résultats jusqu’au mois dernier ! Sa nouvelle attitude m’afflige beaucoup, d’autant plus que ce ne sera pas moi qui vais pouvoir m’occuper d’elle en septembre prochain… Crois-tu que je devrais parler de Juliana à la nouvelle institutrice quand je vais la rencontrer à la fin de l’été ? J’aimerais bien avoir ton opinion à ce sujet. J’ai tellement peur de me tromper et d’aggraver la situation. Quant à parler avec Juliana elle-même, c’est peine perdue. Elle se trouve toujours une obligation de dernière minute dès que je tente de l’aborder. Pourtant, je suis persuadée qu’elle veut me dire quelque chose, mais qu’elle ne trouve pas le courage de le faire. Ça se voit et ça se sent, ces choses-là, n’est-ce pas ? Je vais donc en discuter avec Honorine avant de quitter l’école à la fin du mois, puisqu’elle-même m’avait demandé d’essayer de faire parler Juliana. Quoi qu’il puisse arriver dans ce dossier-là, j’ai bien hâte de voir quelle sera la réaction de Juliana quand je vais annoncer à tous les élèves que je ne serai pas dans leur école à la rentrée.
Pour ce qui est de Jean-Baptiste, je suis certaine qu’il sera heureux de savoir que je vais rester dans la région. Si jamais il était un peu déçu que je m’installe au village, loin de sa maison, je lui ferai valoir qu’ainsi, je pourrai aller le voir descendre les pentes de ski quand il s’y rendra avec son père ou son frère Fernand. Peut-être même que je pourrais m’y essayer moi aussi ? Ça devrait suffire pour lui redonner son sourire. Et ça ne sera pas une promesse en l’air. Le centre de ski vient de se doter d’une remontée mécanique et ça me tente beaucoup d’essayer ce sport-là. Comme le disait Omer Dompierre, le boulanger, l’autre jour, cette nouvelle installation va nous amener beaucoup de touristes l’hiver prochain, permettant ainsi au village de prendre de l’expansion. Et crois-le ou non, ça me tient à cœur de savoir que Saint-Clément-des-Laurentides va devenir un village d’importance.
Chez les Théberge, pour ce qui est des enfants, il ne reste donc plus que Jérémie, que je vais laisser derrière moi, parce que le plus vieux, Fernand, je ne le connais pour ainsi dire pas du tout… Finalement, j’ai parlé de lecture avec Jérémie. Il a beaucoup hésité quand il a entendu le mot « lecture », mais il n’a pas dit non. Il va y penser, qu’il m’a répondu de sa grosse voix. Un autre dossier à suivre en septembre prochain. Comme il se rend souvent au village, Jérémie pourrait facilement suivre des cours chez moi.
Quant à mes vacances, pas besoin de te dire que tout le monde en ville voudrait que je débarque chez lui ! Mes parents, ma tante Lauréanne et mon oncle Émile, notre chère Félicité à son chalet… Même Fulbert a laissé entendre que je pourrais m’installer chez lui, si jamais je ne savais pas où aller. Quelle drôle d’idée, tu ne trouves pas ? Inutile d’ajouter qu’il n’en est pas question. Le cher homme va devoir attendre le mariage avant de me voir en jaquette ! Je crois que finalement, je vais me promener de l’épicerie de mes parents à l’appartement de mon oncle Émile, en passant par le chalet de la tante Félicité, qui n’est plus très jeune. Je pourrais l’aider à mille et une choses, et ensemble, on en profitera pour se rappeler les bons moments du temps où mon grand-père Lafrance vivait avec elle. Si jamais ton patron décidait de louer la maison au bord du fleuve, fais-le-moi savoir. Je pourrais m’arranger pour qu’on soit voisines durant quelques semaines. Ça serait agréable, non ?
Bon ! Je crois que c’est tout. Dépêche-toi de me répondre, car sinon, ta lettre risque de s’empoussiérer dans un casier du bureau de poste au village, puisque je serai déjà rendue en ville. J’avoue que j’ai hâte de me retrouver à Montréal pour pouvoir me reposer.
Et une chose est sûre, c’est que je vais aller manger des frites et un sundae au casse-croûte de la rue Ontario avec Marie-Paul et Louisa, dès mon arrivée. J’en ai rêvé durant tout l’hiver.
À bientôt.
Je t’embrasse.
Ton amie, Agnès »
Le vendredi 17 juin 1932, dans la maison des Théberge, en compagnie du jeune Jean-Baptiste et de sa mère, la gentille Honorine
— Maman !
Tout juste arrivé de l’école et essoufflé d’avoir couru à toute allure, le jeune Jean-Baptiste était entré dans la cuisine comme un courant d’air. Déçu de ne pas y trouver sa mère, il soupira bruyamment avant de recommencer à l’appeler à pleins poumons.
— Maman, où c’est que t’es rendue, coudon ? Tu passes ton temps à te cacher ! J’ai quelque chose de TRÈS important à t’annoncer !
— J’arrive, mon garçon, j’arrive ! répondit une voix venant de l’étage. Je viens de défaire le lit de ton frère Jérémie. Il a eu tellement chaud la nuit dernière que ses draps étaient tout détrempés. Je vais les laver et les faire sécher avant de refaire son lit.
Tout en parlant, Honorine descendait l’escalier d’un pas lourd. Elle tenait devant elle le ballot des draps de Jérémie et jetait en oblique un regard sur les marches pour ne pas trébucher. La pauvre femme avait l’air totalement épuisée. Il faut avouer, cependant, qu’il faisait une chaleur de canicule depuis quelques jours, avec une humidité ambiante dense à couper au couteau. Tout le monde s’en ressentait, sauf peutêtre Jean-Baptiste, qui ne s’attardait jamais à de tels détails. Pour lui, beau temps mauvais temps, les gens étaient toujours trop lents à réagir ou à répondre, et les événements ne passaient jamais assez vite à son goût. Le gamin de sept ans vivait chacune des journées de sa courte existence lancé à fond de train, comme si sa survie dépendait de la vitesse en tout. Présentement, il attendait donc sa mère en sautillant sur place. Honorine entra dans la cuisine en s’essuyant le front avec un coin de son tablier et elle laissa tomber le tas de draps humides sur le bord de la porte. Elle y reviendrait plus tard en après-midi.
— Me voilà, jeune homme, lança-t-elle en soupirant. Alors ? Qu’est-ce que tu as de si important à me dire ? demanda-t-elle en scrutant le visage anguleux de son fils.
Puis, avant qu’il n’ait le temps de répondre, elle s’exclama :
— Ma parole, tu as l’air tout énervé !
— Il y a de quoi… Savais-tu ça, toi, que mademoiselle Lafrance sera pas là au mois de septembre prochain ?
— Eh oui ! Imagine-toi donc, mon beau garçon, que j’ai appris, il y a deux semaines bien exactement, que ton institutrice ne revenait pas l’an prochain.
— Ben là… Moi qui pensais te faire une grosse surprise, même si c’est pas une bonne nouvelle… Pis comment ça se fait que tu m’en avais pas parlé ?
— Parce que j’avais promis de me taire. Tant que mademoiselle Lafrance n’avait pas averti tous ses élèves en même temps, pour ne pas faire de jaloux, je n’avais pas le droit d’en parler à qui que ce soit.
— Ouais…
Jean-Baptiste semblait songeur. Mais ça ne dura que le temps d’un petit soupir. Il se gratta vigoureusement le crâne, puis il leva aussitôt son regard d’azur vers sa mère.
— C’est correct d’abord, fit-il, sérieux comme un pape. Une promesse, c’est une promesse, comme tu dis tout le temps…
— Heureuse de voir que tu as compris ce que je voulais t’expliquer, mon Jean-Baptiste. Mais toi, comment tu prends ça, une nouvelle comme celle-là ?
— Ben… Je suis un peu déçu que mademoiselle Lafrance soye pus mon institutrice, ça c’est certain. Je l’aime beaucoup, pis tu le sais. Mais en même temps, c’est pas vraiment trop grave, parce que j’vas quand même la voir de temps en temps.
— Ah oui ?
— Ben oui ! T’es pas au courant ?
Cette fois-ci, Honorine entra dans le jeu, et elle fit mine d’être grandement surprise et surtout très curieuse, même si elle savait pertinemment qu’Agnès allait se retrouver à l’école du village à la prochaine rentrée.
— Au courant de quoi, Jean-Baptiste ? demanda-t-elle néanmoins avec un sérieux qu’elle avait de la difficulté à tenir.
À ces mots, le petit garçon, lui, étira un large sourire qui laissait voir qu’il avait commencé à perdre ses dents de lait.
— Ah ben là, j’suis vraiment TRÈS content, parce que pour une fois, j’vas t’apprendre quelque chose…
Jean-Baptiste avait son attitude des moments d’importance : les épaules droites et son regard clair planté dans celui de sa mère, il avait cessé de bouger.
— Imagine-toi donc, maman, commença-t-il avec solennité, ce qui amena un léger sourire sur les lèvres d’Honorine, que l’année prochaine, mademoiselle Lafrance va aller s’installer à l’école du village.
— Tu m’en diras tant !
— Oui, oui, c’est comme je te dis, tu peux me croire. De toute façon, j’ai pas l’habitude de raconter des menteries.
— Ça, je le sais. Tu grouilles sans bon sens et tu parles sans arrêt comme une pie, mais tu n’es pas menteur.
— Me semblait aussi… Ça fait que mademoiselle Lafrance nous a expliqué que pour elle, c’est comme si elle avait eu un beau bulletin de fin d’année, pis qu’elle pouvait passer à une autre étape dans sa carrière… Ouais, c’est de même qu’elle nous a annoncé ça. C’est comme pour moi ! L’an prochain, j’vas être en deuxième année parce que j’ai bien travaillé pis que j’ai des bonnes notes.
— Donc, si j’ai bien compris, c’est une bonne chose pour ton institutrice de se retrouver au village ?
— En plein ça ! Ça fait que même si j’suis un petit peu déçu, parce que je la verrai pus tous les jours, il faut pas que je le montre trop trop.
— C’est très bien, ce que tu dis là, mon garçon. Dans la vie, il faut savoir se réjouir de la bonne fortune des gens, même si pour nous, c’est peutêtre un peu décevant.
— En plein ce que je me suis dit ! Sauf que…
— Sauf que quoi, Jean-Baptiste ?
— Il y a quelque chose que je comprends pas… Si tu dis que c’est comme ça qu’il faut agir, pis qu’il faut être content pour les autres, pourquoi Juliana, elle, était pas contente du tout pis qu’elle l’a laissé voir ?
— Ben voyons donc, toi ! Veux-tu bien me dire ce qu’elle a fait, Juliana, pour que tu parles comme ça ?
Sur ce, Honorine regarda autour d’elle avant de poursuivre.
— Au fait, où est-ce qu’elle est, ta sœur ? Je ne l’ai pas entendue entrer et d’habitude, elle arrive toujours avant toi.
— Il est là, le problème, maman. Juliana s’est sauvée de l’école dès que mademoiselle Lafrance a annoncé qu’elle serait pus notre institutrice, l’année prochaine… Juliana est partie vite comme ça ! Pffitt !
Tout en parlant, Jean-Baptiste donna un vigoureux coup de poing dans le vide pour soutenir son propos.
— Le temps de repousser sa chaise, pis Juliana se sauvait en courant, précisa-t-il. Laisse-moi te dire que tout le monde était BEAUCOUP surpris dans la classe.
— C’est un peu normal d’être surpris quand les gens font des choses inattendues.
— Ouais… Surtout que Juliana d’habitude, elle fait jamais de bruit… Elle est sage comme une image, comme tu me demandes de faire tout le temps… Même que souvent, on dirait que Juliana est pas là, tellement elle parle pas.
— À ce point-là ?
— Oh oui ! Tu peux me croire.
— D’accord… Et alors ?
Heureux d’avoir toute l’attention de sa mère, surtout à l’heure du repas où, habituellement, Honorine le chassait de sa cuisine en riant, Jean-Baptiste continua sur sa lancée.
— Alors, c’est pas normal que Juliana se sauve comme ça, poursuivit-il toujours aussi grave. Elle parle peut-être pas beaucoup, ma sœur, mais elle est toujours gentille. Comme l’autre soir, quand elle m’a demandé d’épeler mes mots pour que je soye ben prêt pour mon examen de vocabulaire… Mais tantôt, on aurait dit que c’était pas la même Juliana… Non, pas pantoute ! Elle a même claqué la porte, quand elle est partie. Elle avait l’air de quelqu’un de fâché…
— Juliana fâchée ? Vraiment ?
— Euh… Non, c’est pas tout à fait ça.
Jean-Baptiste avait les sourcils froncés, cherchant visiblement dans sa mémoire pour bien relater l’événement. Puis, il leva un regard perplexe vers sa mère.
— En fait, Juliana avait l’air de quelqu’un qui se sauve parce qu’il a peur de quelque chose. Est-ce que ça se peut, ça ? Comme moi, l’autre jour, quand la grosse marmotte a fait un bruit effrayant avec sa bouche. J’ai eu tellement peur que j’suis parti en courant, sans cueillir les petites fèves que tu voulais pour le souper. Tu t’en rappelles, hein, parce que je t’en avais parlé ?
Honorine sentit alors son cœur se serrer. De toute évidence, ça continuait ! Juliana, qui l’intriguait depuis quelques mois par son attitude résignée, semblait toujours aussi perturbée. Du moins, selon les dires de son fils.
— Oui, mon bonhomme, je me souviens très bien de ton histoire de la marmotte, déclara-t-elle, sans rien laisser voir toutefois de son inquiétude présente. Tu étais tellement rouge en revenant du potager, ce jour-là, que ça m’avait bouleversée.
— Ben Juliana était un peu comme ça, elle aussi… Toute rouge comme une tomate… Est-ce que ça t’inquiète pour elle aussi ?
— Un peu oui…
Il y avait tellement de crainte dans le regard de son fils qu’Honorine décida d’y aller de prudence et elle minimisa sa propre appréhension.
— Mais il ne faut pas trop s’en faire, fit-elle sur un ton rassurant. Quand elle va nous revenir, tout à l’heure, je vais en parler avec elle.
— Tout de suite, hein, maman ? Parce que moi aussi, ça me fatigue ben gros tout ça, pis j’suis VRAIMENT pas capable d’attendre trop longtemps quand je me pose des questions comme maintenant.
Honorine avait rarement vu son fils aussi préoccupé. S’approchant de lui, elle posa une main réconfortante sur ses boucles blondes et elle les ébouriffa.
— Tout de suite, je ne sais pas, modula-t-elle cependant… Si jamais ton père et les garçons étaient déjà là pour le dîner, quand Juliana va revenir, je ne crois pas que ça serait une bonne idée de discuter devant eux d’une chose qui semble aussi importante que celle-là. Mais je vais m’en occuper, c’est certain, et je vais le faire dès que je serai seule avec Juliana. Je te demanderais simplement de ne pas en parler à personne.
— Personne, personne ?
— Personne, personne…
— Ouais… C’est dur ce que tu demandes là, maman. Pourquoi faut pas parler de Juliana qui s’est sauvée ? C’est un secret ?
— Un secret, pas vraiment, puisque toute la classe le sait.
— Pourquoi, d’abord, je peux pas en parler à pâpâ ? Je te l’ai bien dit à toi pis ça t’a pas dérangée !
Incapable de trouver une réponse susceptible de satisfaire la curiosité insatiable de son garçon sans ajouter à son tracas, Honorine leva les yeux au ciel avant de s’exclamer, en exagérant sa réaction :
— Barreau de chaise, Jean-Baptiste ! Est-ce que c’est une obligation de toujours te donner des raisons pour tout ce qui se passe dans notre vie ?
— Peut-être pas, admit Jean-Baptiste en faisant une drôle de petite face toute plissée. Mais en même temps, c’est pas de ma faute si je suis curieux, pis que ça me fait tout drôle juste là, ajouta-t-il en se touchant la poitrine avec l’index. Je sais pas pourquoi, mais c’est un peu comme si j’avais de la peine. J’ai pas aimé ça quand j’ai vu Juliana se sauver pis je veux savoir pourquoi elle a fait ça. C’est un défaut d’être curieux ?
— Ça dépend. Il y a toutes sortes de curiosités et…
— Ben là, tu m’en apprends, des choses ! interrompit vivement le petit garçon, sautant comme de coutume d’un sujet à un autre avec une facilité déconcertante. Je savais pas ça, moi, qu’il y a plusieurs curiosités… Qu’est-ce que tu veux dire par là, maman ?
— Bonté divine, mon garçon, t’es vraiment épuisant par bouttes avec tes questions ! Disons, pour faire court, que c’est une bonne affaire de vouloir apprendre toutes sortes de choses nouvelles, comme à l’école. Ça, c’est la bonne curiosité. Par contre, quand on se mêle des affaires des autres, de celles qui ne nous regardent pas, c’est de la mauvaise curiosité.
— Ah bon…
Jean-Baptiste resta un moment silencieux.
— Là, c’est un petit peu plus clair, même si ça me dit pas pourquoi Juliana s’est sauvée, décréta-t-il, quelques instants plus tard. Mais qu’est-ce que je peux faire pour me calmer l’inquiétude, si je peux pas être curieux parce que c’est pas bien ?
Honorine prit une longue inspiration avant de répondre, le temps de puiser dans sa réserve de patience qui était en train de diminuer comme une peau de chagrin.
— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire en parlant de la curiosité… Ce n’est pas mêlant, Jean-Baptiste, tu me fais gagner mon Ciel à chaque jour qui passe… Pour couper court à tes questions, mettons que tu pourrais apprendre à faire confiance aux autres autour de toi, même s’il t’arrive de ne pas comprendre… Alors, fie-toi sur moi, pour une fois, et cesse de me questionner. L’important, c’est de ramener le sourire de Juliana, non ?
— C’est sûr, ça !
— Me semblait aussi… Alors, tu vas faire ce que je te dis, sans chercher à comprendre… Et maintenant, si tu m’aidais à préparer le repas ? À moins que tu préfères aller courir dehors en attendant que tout soit prêt ?
— Oh non ! Il fait trop chaud pour courir autour de la maison.
— Et c’est toi qui dis ça ? souligna Honorine, avec une interrogation moqueuse dans la voix. Ça montre à quel point on crève de chaleur depuis ces derniers jours ! C’est quand même curieux pour la saison. Comme si l’été était en avance cette