Qu’est-ce qu’un mythe égyptien ? Journée d’études de l’Association Aigyptos, 26 novembre 2016 Salle Gaston Paris, Université de la Sorbonne-EPHE Organisateurs : Lorenzo Medini (U. Paris IV) et Gaëlle Tallet (U. de Limoges) Les...
moreQu’est-ce qu’un mythe égyptien ?
Journée d’études de l’Association Aigyptos, 26 novembre 2016
Salle Gaston Paris, Université de la Sorbonne-EPHE
Organisateurs : Lorenzo Medini (U. Paris IV) et Gaëlle Tallet (U. de Limoges)
Les nombreuses réflexions menées sur la nature du/des mythes, portées par des analystes littéraires, des historiens des religions ou des anthropologues, ont le plus souvent conduit à un aveu d’impuissance face à ce que certains ont pu qualifier de « fourre-tout » (Jean-Pierre Vernant) ou de « catégorie poubelle » (Suzanne Saïd). Traditionnellement, on a tenté d’appréhender le mythe par le biais d’un binôme vérité/fable, qui a pu amener à la mise en place de distinctions entre le récit historique (historia) et le récit de type mythique (muthos). Il est vite apparu toutefois que bien plus qu’un simple « récit relatant des faits imaginaires non consignés par l’histoire » [Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales], le mythe pouvait se définir d’une façon plus générale comme une forme de savoir sur le monde, « une grille qui confère un sens » pour reprendre la formule de Claude Lévi-Strauss.
La question de la forme que peut prendre cette « grille » a longtemps été marquée par une distinction entre ce qui serait un fonds mythique porté par une tradition orale (Mythe), et sa mise en forme, qui peut revêtir celle de la narration (mythe). Ainsi, on trouve chez certains égyptologues (Alan Gardiner, Jan Assmann) un questionnement central sur la date et les modalités d’une telle mise en forme, et des discussions sur la part de tradition « populaire » que comporte le mythe et sur son éventuelle élaboration comme œuvre littéraire. Ces réflexions ont été reprises et discutées par Dimitri Meeks et John Baines. Si l’actualisation du mythe dans une forme peut s’inscrire dans des supports et des formes variées, la tradition classique, et en particulier les hellénistes, ont eu tendance à privilégier la forme narrative, sans doute par rapprochement avec les réflexions d’Aristote sur le muthos à l’œuvre dans la tragédie. Au nom de cette forme narrative considérée comme canonique, d’autres traditions mythologiques, comme celles de Rome par exemple, ont longtemps été considérée comme inexistantes : en son temps déjà, Mary Beard avait démontré comment la perplexité des classiques face à une soi-disant absence de « mythes » dans la tradition romaine reflétait surtout la déception de certains hellénistes ne pas trouver de « mythes grecs » à Rome. On pourrait faire la même remarque pour les mythes égyptiens, et paradoxalement, le plus grand mythologue « égyptien » au sens classique est sans doute Plutarque … Depuis, des auteurs comme John Scheid et Jesper Svenbro ont mis en évidence la nature mythopoiétique de certains rituels à Rome, et les hellénistes ont enrichi leur approche du mythe d’autres dimensions, iconographique en particulier (François Lissarague par exemple). Autrement dit, on ne s’en étonnera pas, il y a d’autres manières de faire du mythe que la manière grecque (et cette manière grecque ne se limite d’ailleurs pas à une narration).
Nous proposons de structurer nos échanges sur le mythe égyptien autour de trois axes :
1) Qu’en est-il de la manière proprement égyptienne de faire du mythe ? La nature fragmentaire et non narrative du mythe égyptien est une de ses caractéristiques le plus souvent observée par les auteurs, et pour obtenir une mise en forme narrative des principaux mythes égyptiens connus, il est nécessaire de rassembler, à partir de sources de nature différente, des éléments d’origine et de datation très disparates. Du point de vue de la fonction qu’il occupe, le mythe égyptien ne déroge pas à la définition proposée par Lévi-Strauss, tout en lui conférant une couleur propre : ainsi, dans les traités de science religieuse, un des principaux buts du mythe est celui d’expliquer la réalité. Le Mythe se définit donc comme connaissance explicative, en assumant un rôle principalement étiologique, qui se cristallise dans les écrits sacrés par le recours à la paronomase. L’interprétation des noms à travers les calembours témoigne de l’importance de l’activité interprétative dans la pensée égyptienne et du pouvoir du mot qui influence ce à quoi il est lié. Une autre caractéristique du mythe égyptien semble être sa capacité à s’incarner dans des images, ce qui a sans doute fortement contribué à leur diffusion et leur réappropriation dans le monde gréco-romain. Enfin l’absence de narrativité du mythe lui confère une plasticité particulièrement adaptée au cadre du rituel : le mythe guide alors le rituel et contribue à son efficacité.
2) En assumant de nous limiter au domaine égyptien, nous souhaitons ancrer la réflexion dans des exemples concrets pour amorcer une réflexion plus générale et comparatiste sur ce qu’est un mythe et sur le rôle qu’il joue au sein d’une société. De ce fait, nous nous placerons dans la continuité d’interrogations qui étaient déjà celles de Jean-Pierre Vernant quand il interrogeait le mythe dans la société, la religion et la tragédie grecques : Comment lire le mythe, quelle portée intellectuelle lui reconnaître, quel statut assume-t-il dans la vie religieuse ? Quelles sont les contraintes collectives auxquelles il obéit ? Nous nous interrogerons en particulier sur le rôle joué par les élites sacerdotales dans la mise en place d’un discours mythologique et sur les conséquences sociétales d’une telle prégnance des traditions sacerdotales, à l’échelle locale, régionale et nationale. En effet, en Égypte, on constate une interdépendance entre une mythologie locale et des traditions nationales, qui s’influencent les unes les autres et façonnent in fine ce qui apparaît aux extérieurs comme une mythologie égyptienne.
3) Enfin, en abordant la question dans la longue durée, nous soumettrons la question du mythe égyptien à celle des autres manières de faire du mythe. Tout d’abord, en étudiant le filtre de la culture grecque, qui nous a souvent transmis les mythes égyptiens, et la réappropriation qu’a permis ce medium très plastique qu’est l’hellénisme pour des élites égyptiennes parfaitement à l’aise dans les deux cultures ; ensuite, en nous interrogeant sur le devenir des mythes égyptiens dans l’avènement d’une culture chrétienne d’Égypte, dans le contexte de porosité des milieux et chrétiens et païens de l’Antiquité tardive.