Amis Bibliophiles bonsoir,
La SVV Lafon-Castandet va organiser une très belle vente au début du mois de juin, je relaie ici la description fort complète proposée sur le site de la SVV:
Le Mercredi 2 juin 2010 à Drouot Montaigne, la maison de ventes LAFON CASTANDET organisera une vente aux enchères exceptionnelle consacrée aux relieurs des rois de France. Le moment fort de cette vacation sera la dispersion de l’atelier de René Simier (1772-1843), relieur de Napoléon 1er et des derniers Bourbons.
L’intérêt de cette vente est de retracer l’histoire des relieurs des rois de France depuis la fin du XVIIème siècle jusqu’au début du XIXème siècle. Nous découvrirons ainsi l’évolution technique et artistique de la reliure à travers trois siècles d’histoire. Une presse du XVIIème siècle, la plus ancienne conservée en France, un imposant balancier offert par Charles X en 1828, plus de 300 plaques à dorer, dont certaines remontent au règne de Louis XV, de très nombreux fers et roulettes, des reliures aux armes de la noblesse et des cours d’Europe, seront ainsi proposés aux enchères.
L’un des aspects les plus intéressants de cette vacation sera de présenter chaque plaque à dorer avec sa reliure correspondante. Parmi les plus beaux ensembles, on remarquera tout particulièrement le livre et le fer aux grandes armes de Louis XV relatant son sacre, la plaque commandée à Simier pour le sacre de Napoléon 1er avec un très bel exemplaire du Code Civil aux grandes armes de l’Empereur, la plaque de la Constitution américaine avec les dix-huit étoiles représentant les dix-huit Etats américains (1818).
D’autres trésors seront également présentés comme cette grande plaque à dorer qui servit à l’édition des fameuses Roses de Redouté ou bien encore la plaque originale de Notre Dame de Paris qui aurait été dessinée par Victor Hugo en personne…
Pour comprendre comment un tel patrimoine a pu être transmis, il faut partir de la fin du XVIIIème siècle quand René Simier (1772-1843) arrive à Paris.
HISTORIQUE DE L’ATELIER RENE SIMIER
I.René Simier, le relieur des derniers rois de France
Originaire de Téloché, dans la Sarthe, René Simier arrive à Paris à la fin des années 1790. Si les conditions de son installation restent encore mal connues, et notamment celles de son apprentissage chez Jean-Claude Bozerian, il se fait rapidement connaître comme un relieur de talent. Après un rapide passage rue Neuve des Bons-Enfants, derrière le Palais-Royal, il installe son atelier rue Saint-Honoré, au numéro 152. Le tout-Paris des collectionneurs se presse alors chez lui. C’est si vrai qu’en 1804 Bonaparte, qui n’est pas encore couronné, mais qui pense déjà à son avenir, lui confie la mission de graver les armes officielles de l’Empire. La carrière de Simier est lancée.
La chute de l’Empire n’altère en rien son crédit. Le retour des Bourbons va même accélérer sa carrière. En effet, Louis XVIII lui accorde le titre officiel de « relieur du roi » en 1818 et il reçoit, honneur insigne, la protection personnelle de la duchesse de Berry dont il relie les livres de son château de Rosny.
Sous la Restauration, il fait figure de référence dans le petit monde des bibliophiles, au même titre que d’autres relieurs célèbres comme Joseph Thouvenin ou Jean-Georges Purgold. Souvent récompensé aux Expositions des Produits de l’Industrie, il n’en oublie pas pour autant la clientèle de province. L’exemple de Louis Médard (1768-1841) est là pour l’attester. Négociant montpelliérain, ce dernier se constitue une bibliothèque de littérature et d’histoire riche de près de 5000 titres. Faisant appel de préférence aux relieurs locaux comme Gustave Durville, Gout fils et Noël Jaujon, il entretient, cependant, avec Simier une correspondance nourrie. A cet égard, le catalogue de sa bibliothèque est particulièrement édifiant. On y apprend que Louis Médard s’intéressait de près à ses ornements dits « à la cathédrale » dont le relieur parisien s’était fait une spécialité. Léguée à la ville de Lunel, dont elle constitue le fonds le plus important, sa bibliothèque ne compte pas moins de 287 reliures de Simier. S’y retrouvent aussi bien des reliures pastiches, dans le goût de Grolier, que des reliures ornées de lambrequins dorés qui rappellent l’époque où l’atelier Le Gascon fournissait la Cour de Louis XIV. Plus rares sont les décors romantiques ; certainement parce que Médard affectionnait davange les reliures historiques.
Dans ces années 1820-1840, le petit atelier de la rue Saint-Honoré n’est plus qu’un lointain souvenir. En effet, la Maison Simier s’est agrandie, a traversé la Seine pour s’installer en face du Pont-Neuf, Quai Conti, non loin de la Monnaie et des Grands-Augustins.
II. L’atelier Simier : une histoire unique
Pourquoi l’atelier Simier concerne-t-il les rois de France ? Tout simplement, parce qu’il s’agit du dernier grand atelier d’art de l’Ancien Régime encore en mains privées. En effet, quand il ouvre les portes de sa boutique, au début du Consulat, René Simier ne part pas de rien. Une partie de son matériel lui vient de Michel-Antoine Padeloup (1685-1758), relieur de Louis XV, héritier d’une longue dynastie de maîtres doreurs dont l’histoire remonte au début du règne de Louis XIV. Si les circonstances d’une telle transmission demeurent à élucider, il n’en reste pas moins qu’en rachetant aux héritiers de Padeloup une grande partie de ses fers, Simier s’inscrit dans la continuité. Et cette continuité renvoie tout autant à l’histoire des métiers du livre qu’à celle des collections de la Bibliothèque du roi. L’histoire mérite d’être racontée.
A la mort de Simier, en 1843, son atelier emploie plusieurs dizaines d’ouvriers. C’est alors l’un des plus florissants du temps. Tout naturellement, son fils Alphonse prend la relève. Après la disparition de ce dernier en 1859, l’ensemble du matériel revient à l’un de ses ouvriers, Jean-Baptiste Petit. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la Maison Petit s’honore d’être l’une des institutions de la rive gauche, fréquentée par les écrivains et ces messieurs de l’Académie qui y viennent en voisins. Lorsqu’elle ferme ses portes, à la fin des années 1890, c’est un certain Thierry qui reçoit la lourde charge de faire vivre ce patrimoine. Son meilleur ouvrier, Iseux, fera de même en 1908 avant que Jean-François Barbance n’en hérite en 1955 et ne le réinstalle chez lui, en Bourgogne. Relieur de la reine Elisabeth II d’Angleterre, du président François Mitterrand et du poète Louis Aragon, Jean-François Barbance, dans la grande tradition des relieurs d’autrefois, ne faisait rien d’autre que de perpétuer cet artisanat d’art jalousement protégé par les Bourbons et Napoléon.
Depuis près de deux siècles, l’atelier Simier est donc toujours resté à peu près le même. Les outils n’ont guère changé de place. Les râteliers conservent sur leurs rangées, impeccablement alignés, tous ces fers emmanchés qui racontent l’histoire d’un métier vieux de plusieurs siècles mais qui n’a pas changé fondamentalement depuis le XVIIème siècle.
Cependant, cet ensemble a su évoluer et intégrer à lui les nécessaires innovations techniques. La preuve en est cet imposant balancier offert par Charles X à Simier en 1828. Dessiné par Simier lui-même et réalisé par la Maison Gaveaux, il constitue une véritable prouesse technique. Conçu selon le modèle des presses à frapper la monnaie, avec une roue horizontale, ce balancier marque une étape importante dans l’histoire de la reliure car il devient possible de tirer des plaques de plus en plus grandes. Les décors peuvent ainsi s’étaler sur l’ensemble des plats ; offrant aux maîtres doreurs de nouvelles solutions pour embellir les reliures. Prototype du genre, ce balancier servira de modèle pour le perfectionnement d’autres presses encore plus puissantes.
III. Un aspect méconnu du mécénat royal
A – Les relieurs parisiens et le roi
Depuis la Renaissance, le centre de reliure parisien est l’un des plus réputés d’Occident. Les métiers du livre y sont très anciens en raison de la longue tradition universitaire qui remonte au règne de Saint Louis. On pense à tous ces imprimeurs et marchands-libraires qui tiennent boutique le long de la rue Saint-Jacques, dans ce quartier Latin, entre la Sorbonne et le Collège de Clermont. Les premiers ateliers de reliure datent de la fin du XVe siècle même si les renseignements les concernant sont très fragmentaires. Organisés en corporation comme les autres métiers d’art sous l’Ancien Régime, les doreurs relieurs bénéficient d’un statut relativement souple. Propriétaires de leur outil de travail, ils travaillent pour la bibliothèque du roi mais aussi pour une clientèle de particuliers aisés, avocats, membres du clergé et parlementaires, qui se constituent de belles bibliothèques comme le Président Jacques-Auguste de Thou (1508-1582) ou le cardinal Mazarin (1602-1661).
A l’image des peintres et des graveurs, les doreurs relieurs sont souvent issus d’une famille qui, elle-même, exerce ce métier depuis plusieurs générations. C’est le cas de Michel-Antoine Padeloup (1685-1758) dont l’histoire familiale remonte au moins à la Fronde (1648-1652) quand vivait, dans la paroisse de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, un certain Antoine Padeloup, libraire de son état. D’ailleurs, une de ses filles n’épousa-t-elle pas un autre libraire, Antoine Warrin. Entre 1680 et 1730, on ne compte pas moins de trois imprimeurs et deux maîtres relieurs chez les Padeloup. Quand Michel-Antoine obtient son brevet de « relieur du Roi » en 1733, il n’est donc pas le premier venu. Il a déjà derrière lui une solide réputation qu’il s’est forgée dans l’entourage du Régent, Philippe d’Orléans, dont il est le relieur attitré. Si la reliure est une affaire de famille au XVIIIème siècle, elle l’est aussi un siècle plus tard.
Pour les Simier, les choses ne sont guère différentes. En effet, dans les années 1820, René Simier forme son fils Alphonse aux leçons que lui-même avait apprises du grand Bozerian. Son neveu Jean lui emboîte le pas en venant travailler dans son atelier. Marié à l’une de ses parentes, Louis Germain va encore plus loin en signant « Germain-Simier » au bas de ses reliures. D’ailleurs, sur un dessin de 1866, qui représente la boutique familiale, son nom apparaît en toutes lettres sur la devanture. La Maison Simier est donc devenue une véritable entreprise qui a su perdurer en recrutant, au-delà même de la sphère familiale, de jeunes talents qu’elle a formés et qui ont œuvré à sa perennité.
B – Une contribution à l’histoire de la reliure
a) Padeloup et le sacre de Louis XV (1723)
L’atelier Simier est un musée de la reliure à lui tout seul. Les fers les plus anciens, que l’on peut dater des premières décennies du XVIIIème siècle, témoignent d’un temps où la reliure était encore relativement modeste. Si les armes se retrouvent au centre, selon l’habitude héritée du XVIIème siècle, l’ornementation, quant à elle, se limite à de simples filets dorés repoussés en bordure des plats. A cette époque, le décor le plus répandu est celui exécuté aux petits fers posés en écoinçons.
La reliure du Sacre de Louis XV montre combien Michel-Antoine Padeloup a su intégrer les leçons de ses prédécesseurs tout en faisant œuvre d’originalité. Si le cartouche central rappelle encore le siècle de Louis XIV, les larges cadres de volutes au feuillage stylisé reflètent un changement certain. Ce décor dit « à la dentelle » devait faire la fortune de notre relieur, notamment pour les nombreux livres de fêtes de la famille royale où l’on retrouve ce même modèle d’armoiries entourées de motifs fleuronnés et champêtres. Très certainement inspirées par la ferronnerie d’art de la Régence, ces formes enroulées, parfois alambiquées, décrivent un registre ornemental qui n’est pourtant pas étranger aux autres relieurs du temps, Pierre-Paul Dubuisson (1707-1762) et Augustin Du Seuil (1673-1746).
Dès avant la fin du règne de Louis XV, on assiste au retour en force du répertoire néoclassique avec des formes symétriques inspirées de l’Antiquité qui font bientôt le renom de la famille de Derome.
b) René Simier et l’album de dessins de la duchesse de Berry
Provenant de la bibliothèque du château de Rosny, cet album de dessins relié aux armes de la duchesse de Berry par Simier sera l’un des événements de cette vacation. En effet, cette reliure constitue un tour de force en soi. Le décor a été appliqué sur ce maroquin citron comme une véritable mosaïque. Cornes d’abondance, rosaces et éventails multicolores, bouquets fleuris et filets dorés rythment cette exceptionnelle livrée. Sur cette couverture si originale, le répertoire néogothique dit « à la cathédrale » exulte : par un savant jeu combinant petits fers à dorer et roulettes, Simier a créé un décor unique au chiffre couronné de Marie-Caroline, duchesse de Berry. Par l’utilisation des roulettes en creux, appliqués selon le principe de la gravure, la reliure prend une tout autre ampleur et apparaît comme une véritable architecture. Conservée dans son écrin d’origine en maroquin rouge doublé de soie moirée, elle constitue un chef-d’œuvre de la reliure romantique.
Pour en savoir plus :
- Didier Travier « Les Simier, relieurs du roi et propriétaires sarthois », Revue historique et archéologique du Maine, 2003, p. 121-163.
- Paul Culot et Denise Rouger, Louis Médard et les relieurs de son temps. Gustave Durville, Gout fils et François-Noël Jaujon de Montpellier et leurs confrères de Paris, Lunel, Bibliothèque municipale de Lunel, 2003.
- Elizabeth Mismes « L’atelier Simier : un patrimoine unique », Arts & Métiers du Livre, 2007, n° 260, p. 48-55.
- Jean-Bertold Orsini, « Louis Médard. Une vie au travers d’une collection », Arts & Métiers du Livre, 2010, n° 277, p. 60-73.
Si chaque SVV proposait une telle introduction....
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