► Au XVIIIe siècle, on plongeait de l’île de la Cité

Isabelle Backouche, historienne, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Au XVIIIe siècle, la Seine était un haut lieu de la vie parisienne et on s’y baignait, même si la baignade sauvage était interdite. Les Parisiens affectionnaient particulièrement la pointe de l’île de la Cité qui regarde l’île Saint-Louis, un lieu qu’on appelait « le terrain » à l’époque. On se baignait pour se rafraîchir, pour s’amuser, pour se laver aussi. Il n’y avait pas d’eau dans les logements. Si la baignade sauvage était interdite, c’était d’abord parce que c’était dangereux. Il y avait beaucoup de bateaux qui circulaient. C’était aussi parce que cela choquait. On se baignait nu. Ce n’était pas dit comme cela, mais c’était perçu comme une atteinte aux mœurs.

Si on se faisait attraper en train de se baigner de manière sauvage, on était soumis à l’amende, voire conduit au Châtelet en cas de récidive. Il y avait quand même une exception à l’interdiction : on pouvait se baigner pour raison médicale et la nuit. La ville a tout fait pour restreindre la baignade sauvage en mettant en place des bateaux de bains, des bassins flottants avec des palissades et des bains séparés pour les hommes et les femmes. L’accès était payant et les tenanciers versaient un loyer à la ville. Il existait également des bains plus luxueux, avec des cabines individuelles et de l’eau chaude. Cela ressemblait un peu à ce qu’on appellerait aujourd’hui un spa.

Mais la baignade sauvage est restée une pratique permanente au XVIIIe siècle à Paris. Il faut aussi imaginer un contact entre la Seine et Paris qui ne ressemblait pas du tout à ce que l’on connaît aujourd’hui. Il y avait des grèves, des plages, avec un accès facile au fleuve. Par exemple, la place de Grève, devant l’hôtel de ville, était une plage. On ne prenait pas sa serviette et son maillot en se disant « je vais me baigner ». On était tout le temps au bord de la Seine et, à un moment donné, on allait y faire un petit plongeon.

L’eau du XVIIIe siècle était polluée. On déversait à peu près tout dans la Seine, mais ce n’était pas le même type de pollution qu’aujourd’hui, et on buvait l’eau du fleuve. Des pompes avaient été installées sur les ponts. On allait aussi s’y promener, parce que c’était un endroit plus frais que la ville. II y avait des joutes sur l’eau, des feux d’artifice, mais ce n’était pas seulement un lieu de réjouissances et d’agrément. On allait aussi y acheter des produits vendus sur les bateaux et laver son linge.

Mais, dès le XVIIIe, on a aussi donné la priorité à la navigation. Toutes les pratiques sédentaires, comme la baignade, la vente sur les bateaux ou les blanchisseuses, ont par la suite été éliminées. Bien avant l’aménagement des voies sur berges pour les voitures, la Seine est ainsi devenue un espace étranger à la vie urbaine. On a expulsé des pratiques qui faisaient le lien très fort entre les Parisiens et le fleuve.

► « La Seine et la Marne propres à la baignade, ce n’est plus un vœu pieux »

Pierre Rabadan, adjoint de la maire de Paris chargé du sport, des Jeux olympiques et paralympiques et de la Seine.

On le voit avec le succès du bassin de la Villette et ses 110 000 baigneurs en moyenne l’été : les habitants de l’Île-de-France ont envie de se réapproprier ce autour de quoi ils ont construit leurs villes. Par ailleurs, les adeptes de la baignade sont très nombreux dans la région, notamment durant les épisodes de canicule toujours plus nombreux. Aujourd’hui, rendre la Seine et la Marne propres à la baignade n’est plus un vœu pieux parce qu’on s’en est donné les moyens : 23 sites de baignade seront progressivement créés dans toute la métropole, d’ici à 2025, dont cinq à Paris. À terme, on sera sans doute au-dessus de ces chiffres. Il est clair que les Jeux olympiques ont été un accélérateur, et tant mieux.

Pour convaincre les sceptiques, il faut rappeler que la qualité bactériologique évolue très favorablement depuis plusieurs années. Les mesures quotidiennes de pollution sur la zone de compétition dédiée aux prochains Jeux olympiques ont démontré que la qualité de l’eau était satisfaisante ou excellente 70 % du temps, dans la période de juin à septembre 2022. Si on avait dû ouvrir la baignade dès l’été 2022, alors même que nous n’avions pas réalisé tous les travaux prévus d’ici à 2024, nous aurions déjà eu 7 jours sur 10 de conditions idéales. Autre indicateur intéressant : là où il y avait une dizaine d’espèces de poissons différentes il y a quelques années, nous en dénombrons désormais 32.

D’ici aux Jeux et surtout à l’après-Jeux olympiques, il reste néanmoins du travail et plusieurs actions sont engagées pour dépolluer la Seine et la Marne. Un traitement supplémentaire des rejets des stations d’épuration en amont de Paris (Noisy-le-Grand et Valenton) sera réalisé.

Il faut aussi éviter que l’eau de pluie, lors de grands épisodes de précipitations, ne vienne finir sa course dans les réseaux d’assainissement, ce qui entraîne une saturation et déverse des surplus d’eaux usées dans la Seine. Nous avons créé un bassin de stockage pour retenir temporairement les eaux excédentaires et éviter des rejets polluants. Actuellement en construction dans le quartier de la gare d’Austerlitz (13e), ce bassin pourra retenir l’équivalent de 20 piscines olympiques d’eaux pluviales avant de les restituer progressivement au réseau d’égouts.

À côté, les collectivités compétentes en assainissement et l’agence de l’eau s’emploient à éradiquer les 23 000 mauvais branchements chez les particuliers dont les eaux usées finissent dans le fleuve. Enfin, il faut équiper les ports en installations de raccordement au réseau et interdire le rejet des eaux usées des bateaux qui servent de logement. La loi relative à l’organisation des Jeux de 2024, entrée en vigueur il y a cinq ans, les oblige à se raccorder au réseau d’assainissement du quai dans un délai de deux ans maximum à compter de sa mise en place. Aujourd’hui, on a fait une centaine de contrôles et il reste une trentaine de bateaux qui devaient être raccordés. Ça avance !