Pour ces fêtes, nous avons voulu nous réchauffer un peu. En attisant cinq voix qui incarnent à nos yeux le « courage de dire », d’enquêter, de rire ou de dessiner : Kamel Daoud, Sophia Aram, Patrice Franceschi, Laure Daussy et Coco.

Le courage, selon Camus, c’est aussi celui de la nuance. Il ne faudrait jamais le confondre avec le fait de s’emporter ou de crier avec la meute. ­Certains le croient. C’est un piège, pour l’ego et la vérité, tendu par le monde des « pouces en bas » et des « pouces en haut ». Des pouces à l’ego, et parfois à l’égout. Heureusement, il reste de vrais courageux, qui ne parlent pas pour exister, mais pour ne pas taire l’odieux. Le courage de dire, de nos jours, comme souvent, exige de regarder en face les périls, de nommer, d’endurer la meute des autruches, sans s’allier à la meute des hyènes. Cela demande du caractère, un sens du devoir, une forme de droiture, et de ne jamais avoir peur d’être seul, ni contre tous ni avec soi. Kamel Daoud est de ceux-là. Pour sa plume et son cran. Il est sans doute le plus camusien des écrivains franco-algériens. Le seul de sa famille oranaise à avoir fait des études supérieures, l’une de ces lanternes que rien n’éteint, ni les fatwas, ni les séjours en prison, ni le déracinement auquel il vient juste de se résigner, contraint de penser un peu à sa sécurité. Lui qui a osé dire à ses lecteurs d’Orient qu’il ne suffirait pas de se plaindre pour guérir, que le remède passerait par l’examen ­clinique de son « rapport malade à la femme, au corps et au désir ». Il l’a écrit depuis Alger.

Sophia Aram, elle, monte sur scène malgré les menaces. Elle y montait avant les attentats pour moquer les religions, et elle y monte toujours. Même si elle doit endurer pour ça les ­crachats et les procès d’intention. Pour les intégristes, c’est une traîtresse. Pour les racistes, une fille d’immigrés. Qu’elle se moque des wokes, et la voilà « humoriste de droite ». Qu’elle dise leurs quatre vérités aux Gilets jaunes et aux antivax, et on lui reprochera son « mépris de classe ». Rire des meutes et des bas du front, de tous les bas du front, ça en fait du monde à ses basques, mais quel bien elle nous fait !

Illustration : Kak Et quand on ne rit plus, il faut lire… l’enquête de Laure Daussy sur La Réputation. Si la première des libertés passe par le corps, cette liberté n’en finit plus de régresser dans certains de nos quartiers. De Sohane, brûlée vive en 2002, à Shaïna, rien n’a changé ou presque en vingt ans. Les autruches ne veulent pas en entendre parler, et les hyènes nationalistes se servent de ce déni pour fourguer à la place leur machisme.

Heureusement, il existe des guerrières, des vraies. Patrice Franceschi les connaît. Il a même combattu à leurs côtés à Raqqa contre Daech. Héros comme on n’en fait plus, il sait le prix du sang et celui des renoncements, et pleure l’abandon des Kurdes. Il sait aussi que « rien de grand n’a jamais été accompli sans risque », et maudit, comme nous, l’époque où le principe de précaution, le « pas de vagues » ou le « pas se mouiller » l’emportent sur le courage. La dessinatrice Coco le sait mieux que quiconque. Elle qui fait face à la vague en portant sur ses épaules ceux qui sont tombés le 7 janvier 2015, sans trembler ni renoncer, pour eux et pour nous. Notre « Portrait qui fâche » pour une fois est un « Portrait qui inspire », et il lui est consacré. Bonne lecture et bonnes fêtes à tous.