Fort du succès critique et commercial de Drugstore Cowboy (1989) et My Own Private Idaho (1991), Gus Van Sant s'attelle à l'adaptation de Even Cowgirls Get The Blues (1993), roman tardif de la beat Generation, mouvement littéraire et...
moreFort du succès critique et commercial de Drugstore Cowboy (1989) et My Own Private Idaho (1991), Gus Van Sant s'attelle à l'adaptation de Even Cowgirls Get The Blues (1993), roman tardif de la beat Generation, mouvement littéraire et artistique dans lequel il puise nombre de ses sources d'inspiration. Cette oeuvre semble s'inscrire dans la continuité formelle et thématique de ses deux opus précédents, flirtant avec les ailleurs de la route et de la drogue, les figures de la jeunesse marginale, l'homosexualité et les questions de genre, la culture underground et le communautarisme, sur toile de fond de paysage naturel américain. Le roman éponyme de Tom Robbins 1 (1976), raconte l'histoire de Sissy Hankshaw, née avec des pouces hypertrophiés d'une trentaine de centimètres qui feront d'elle la meilleure auto-stoppeuse au monde. Son destin extraordinaire la confrontera à des personnages singuliers, Indiens natifs, transsexuels, cowgirls lesbiennes et féministes ou encore vieux sage asiatique aux origines incertaines. Bref, tout un microcosme psychédélique, fidèle aux topoï du roman beat. À la lumière de certains de ces motifs, il apparaît que l'adaptation filmique du roman ne se limite pas à une reprise en règle de tous les lieux communs du genre, mais qu'une hypothèse de lecture plus ambiguë, plus nuancée, se dessine. En actualisant dans son film les stéréotypes de la culture beat, Gus Van Sant cherche à les déplacer, à les ébranler, pour en révéler les failles et les limites. Une démarche qui dévoile le jeu conscient et sophistiqué du réalisateur avec les modalités du road-movie mais aussi du western, et se propose de mettre au jour la prise de distance de Gus Van Sant avec la notion de genre. Modèles de l'emprunt Le personnage de Sissy, emblématique figure du stopper, s'inscrit dans la droite lignée des personnages nomades de la beat, épopée libertaire qui célèbre « non plus le voyage lettré vers une destination guidée par l'idéologie du XIX ème siècle, mais le voyage pour lui-même, tel qu'en lui-même, n'ayant d'autre finalité que l'avancée vers des terres toujours plus lointaines » 2. Après un prologue centré sur l'enfance de l'héroïne, le récit élude paradoxalement le voyage de cette dernière à travers les États-Unis et s'ouvre sur son arrivée à New York au terme de onze années d'errance. Le style de Tom Robbins épouse la liberté de ton emblématique des écrivains beat, qui s'affranchissent des conventions linéaires du