Revue de géographie historique
21-22 | 2022
Arbres, parcs et jardins : géohistoire de la ville verte
Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ?
Xavier Rochel
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/geohist/6205
DOI : 10.4000/geohist.6205
ISSN : 2264-2617
Éditeur
Association française de la Revue de géographie historique
Référence électronique
Xavier Rochel, « Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? », Revue de géographie historique
[En ligne], 21-22 | 2022, mis en ligne le 19 octobre 2022, consulté le 22 novembre 2022. URL : http://
journals.openedition.org/geohist/6205 ; DOI : https://doi.org/10.4000/geohist.6205
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Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ?
Que reste-t-il de la ceinture
maraîchère de Nancy ?
Xavier Rochel
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Une ceinture verte est une continuité marquée par la végétation, la nature, et les
surfaces agricoles, formant un anneau autour d’une ville qui y trouve ainsi des
aménités, une réserve de biodiversité, un refuge pour le sauvage, mais aussi des
productions alimentaires susceptibles de participer à l’essor espéré des circuits courts
(Flégeau, 2018 ; Alexandre et Génin, 2013). La notion de ceinture maraîchère est plus
étroite que celle de ceinture verte : elle évoque l’existence, passée ou peut-être actuelle,
d’exploitations agricoles très proches de la ville, implantées et organisées de façon à
répondre à la demande du marché urbain. Le modèle dit de Von Thünen, bien connu
des géographes, est une référence incontournable pour comprendre l’intérêt d’une telle
organisation. Si les surfaces exploitées forment un ensemble spatial identifiable et
cohérent autour d’un centre urbain, le terme « ceinture » est bien justifié. Appliqué à
nos villes actuelles, il peut sembler usurpé ; mais autour des villes d’autrefois, c’est bien
une véritable ceinture qui a pu fournir, pendant des siècles, une partie de
l’alimentation urbaine, en particulier en fruits et légumes frais, avant de régresser très
rapidement dans le cadre des Trente Glorieuses et des décennies postérieures (APUR,
2018 ; Phliponneau, 1956 ; Poulot et Rouyres, 2000).
2
Le maintien de ce qu’il reste de ces anciennes ceintures maraîchères, et si possible leur
reconstitution, forment un objectif bien identifié des acteurs territoriaux soucieux
d’animer une « ville verte » ou une transition territoriale dans le domaine alimentaire.
De multiples initiatives dans ce sens, peuvent être évoquées. Elles ne pourront que se
multiplier sous l’effet de la loi Egalim qui encourage la relocalisation alimentaire et les
circuits courts. A Limoges par exemple, existe un projet bien engagé, lancé en 2017, de
« ceinture maraîchère » (Djailani, 2021). Le mot « ceinture » exprime ici une
organisation théorique, centripète, du système alimentaire plutôt qu’un véritable trait
observable du territoire : il cache une emprise spatiale très modeste, ponctuelle et non
continue, limitée à quelques exploitations maraîchères dont l’effectif devrait
augmenter grâce à la mise en place d’une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif).
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Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ?
Les initiatives sont coordonnées dans le cadre d’un PAT (Projet Alimentaire Territorial).
De tels projets existent dans bon nombre de territoires urbains petits ou grands,
utilisant souvent la notion de ceinture maraîchère de façon explicite : Beaumont,
Quimper, Rodez, Pau, Paris… Il existe une association développée à l’échelle nationale,
« la Ceinture Verte », qui apporte une aide technique à des maraîchers de diverses
régions et aux territoires soucieux de s’attaquer à ces problématiques.
3
Nous avons souhaité ici développer dans une optique géohistorique le cas de Nancy, où
s’observait autrefois une ceinture de jardins très marquée, et où subsiste encore
l’opportunité de recréer une ceinture verte à peu près continue, et une ceinture
maraîchère répondant bien aux aspirations actuelles en termes d’alimentation. C’est à
partir de la digitalisation du cadastre napoléonien des communes du Grand Nancy que
l’ampleur de l’ancienne ceinture maraîchère peut être connue. Quelles sont les surfaces
concernées ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La ceinture de jardins existe-t-elle encore,
sous forme de jardins dont l’usage aurait été ininterrompu, et dont le caractère
patrimonial serait ainsi particulièrement fort ? Au contraire, la localisation des jardins
a-t-elle changé ? On présentera ici le contexte, les sources et la méthodologie du travail
engagé, avant d’en présenter les principaux résultats.
I. Exposé du contexte, objectifs et méthodologie
4
La ville d’autrefois nécessitait de grandes quantités de produits frais ou périssables
qu’elle ne pouvait obtenir que dans son pourtour immédiat, ou en son sein-même, en
raison de l’impossibilité de faire appel à un long transport. Aujourd’hui encore, la
production alimentaire n’est pas nulle en ville, ou dans le pourtour immédiat des
agglomérations ; il peut donc y avoir une « ville vivrière » (Darrot, 2014) cachée
derrière le règne apparent de la minéralité. L’existence de surfaces agricoles et de
potagers permet un approvisionnement pour partie en « circuit court », avec tous les
avantages que cela peut comporter, par exemple en termes d’impact carbone, ou de
résilience (Chiffoleau, Brit, Monnier, 2020). Un territoire urbain soucieux de soigner
son système d’approvisionnement, son image, son fonctionnement dans un cadre
respectueux des équilibres locaux et planétaires, doit donc prêter attention aux
dynamiques qui affectent les surfaces agricoles en son sein, ou à proximité immédiate.
La ressource en sols non artificialisés, et en surfaces exploitées pour l’alimentation, ne
devrait pas diminuer. Tant cette attention portée aux dynamiques dans le temps, que la
question patrimoniale, justifient une approche géohistorique, qui déploie dans les
décennies et les siècles passés les observations contemporaines plus classiquement
faites par les sciences sociales, géographie, sociologie et économie par exemple.
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Le travail ici exposé porte sur la Métropole de Nancy, forte de plus de 250 000 habitants.
La ville forme un ensemble aux contours complexes niché dans une cuvette, au pied de
la Côte de Moselle, et au long des vallées alentours. Autour de la ville proprement dite
s’étendent des surfaces agricoles et forestières, parfois très proches du centre-ville.
Mais il n’y a pas, aujourd’hui, de ceinture maraîchère à Nancy. Bien entendu, il existe
des surfaces exploitées en maraîchage, des jardins potagers, ainsi que des systèmes
d’AMAP ou de distributions en circuit court du type « la Ruche qui dit Oui », qui
peuvent être interprétés comme une réinvention de la ceinture maraîchère (Guiraud,
2019). Toutefois, en aucun cas cette « ceinture » ne saurait être visuellement
identifiable et continue, comme un anneau périurbain qui justifierait totalement la
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métaphore classique. S’il existe une vraie ceinture maraîchère sur ce territoire, elle doit
être trouvée dans le passé, à travers une étude géohistorique.
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La recherche de données spatialisées concernant l’ancienne ceinture maraîchère passe
par l’exploitation de cartes et plans anciens. Dans un premier temps, un premier travail
de récolement a permis d’identifier un grand nombre de plans suffisamment précis et
informatifs pour confirmer l’existence, autour de Nancy, d’une ancienne ceinture
maraîchère digne de ce nom. Pour l’Ancien Régime, existent plusieurs plans dont
l’échelle et la nature permettent bien d’observer une couronne presque continue de
jardins potagers, mêlée de quelques vergers et vignes et parfois parsemée de bâtiments
dispersés, qui entoure les deux villes de Nancy, la « Ville Vieille » et la « Ville Neuve »
(document 1).
Document 1 : Les jardins périurbains de deux faubourgs de Nancy d’après les plans d’Ancien
Régime
(A : plan des Villes, Citadelle, Faubourgs et environs de Nancy, Claude Mique, 1770, Bibliothèque
Nationale, GE D-14971. B : Plan général des deux villes de Nancy, Nicolas Belprey, 1754, Bibliothèque
Nationale, GE D 1548). La ville proprement dite (repère 1) est ici et là encore entourée de son corset de
fortifications bastionnées (repère 2). Au-delà, se sont étendus les faubourgs (repères 3) ainsi que
d’importantes étendues de jardins au plus près des portes de la ville (repères 4) ; les parcelles sont
parfois closes de murs ou de haies, et on y observe un grand nombre de bâtiments, parfois
dénommés « loges » de jardiniers. Plus loin, la plaine alluviale est principalement occupée par des prés
(repères 5).
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Les plans datant du XIXe siècle sont plus nombreux encore. Mais pour cette période,
existe un document incontournable, qui permet de connaître avec une plus grande
précision les usages du sol : il s’agit du cadastre dit napoléonien (document 2),
disponible pour la plupart des communes métropolitaines françaises et classiquement
utilisé pour cartographier l’état des territoires dans la première moitié du XIX e siècle
(Rochel et al., 2017a). La démarche consiste à géoréférencer les plans, à les digitaliser, et
à attribuer à chaque parcelles les informations fournies par le registre des états de
sections. Pour ce faire, compte tenu du caractère très chronophage du travail envisagé,
il était exclu de prendre en compte les 30 communes de l’actuelle métropole du Grand
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Nancy, ou un territoire du même ordre de grandeur. Ce sont quatre communes qui ont
été retenues : Nancy, ville centre, et par conséquent incontournable pour notre étude ;
et trois communes de la banlieue Nord, Maxéville, Malzéville, et Saint-Max, sur
lesquelles les observations préliminaires ont confirmé l’existence de la ceinture
maraichère, et pour lesquelles on disposait déjà des plans napoléoniens digitalisés à
l’occasion d’une recherche sur le réseau de sentiers dans les vignes (Rochel at al.,
2017b).
Document 2 : Deux modèles de jardins périurbains d’après le cadastre napoléonien de Nancy, 1830
Source : Archives Municipales de Nancy. Presque toutes les parcelles non bâties sont ici des jardins.
Les murs et murets, représentés en rouge sur les plans du cadastre, ont été surlignés pour plus de
lisibilité. A : faubourg Saint Jean. Domination de grandes parcelles closes de murs, avec bâtiments et
ruelles (SA, ruelle Saint Antoine ; LR, ruelle de la Rame) : le paysage du maraîchage professionnel. B :
faubourg des Trois Maisons. Domination de très petites parcelles, non closes, sans bâtiments ni
ruelles : le paysage des potagers vivriers ou « meix ».
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Les données historiques ainsi obtenues pour une date proche de 1830 1 ont été
comparées aux données actuelles qui ont été jugées pertinentes. Il s’agit en particulier
des données d’occupation du sol les plus fines sur le territoire considéré : la base OCS
GE2, fournie par DataGrandEst. Cette base classe les surfaces selon une nomenclature à
quatre niveaux, voire cinq pour certains cas en milieu urbain. Achevée en 2021, elle
présente le meilleur portrait possible de l’occupation du sol dans la région, mais elle
présente certains écueils, en particulier celui de ne pas prendre en compte les jardins
potagers, qui sont en quelque sorte noyés au sein de classes très diverses.
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C’est pourquoi l’identification des surfaces actuellement cultivées en potagers a dû être
faite par une digitalisation ad hoc. Celle-ci a été faite à partir de l’ortho-imagerie, à peu
près de la même façon que ce qui a déjà été fait dans d’autres villes de France (Marie,
2019). Ce travail se heurte évidemment à certaines difficultés. En effet, les potagers
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occupent souvent des surfaces modestes (de l’ordre de 50 mètres carrés par exemple),
et ils sont parfois masqués par l’ombre portée des bâtiments environnants, ou par les
houppiers des arbres. L’utilisation conjointe de plusieurs couches d’imagerie est
nécessaire pour limiter les incertitudes quant à l’identification des potagers, et de leurs
limites. C’est pourquoi nous avons jugé souhaitable d’utiliser conjointement les images
Google, la BD-Ortho de l’IGN, ainsi que l’imagerie 2014-2016 fournie par DataGrandEst 2.
Le gain dans la qualité du travail d’identification compense largement la perte de
résolution temporelle3 induite par l’utilisation d’images datant de 2014 à 2020. Il reste
que malgré cette précaution, il est probable que les plus petits potagers échappent à
nos identifications. Il en est de même, probablement, pour quelques surfaces en
permaculture ou en jardins-forêts, dont l’allure pseudo-naturelle ne permet pas une
identification facile à partir de l’imagerie verticale.
II. Résultats : une ceinture verte disparue ?
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Le document 3 montre l’étendue de la ceinture maraîchère identifiée à partir du
cadastre napoléonien. Les surfaces en question sont identifiées dans les états de
sections, sous le nom de « jardins », mais elles sont sans ambiguïté quant à leur
destination alimentaire, car ce qu’on pourrait considérer comme des jardins
d’agrément, privilège de catégories sociales privilégiées, est nommé « parc » (et non
représenté ici). Le parallèle avec d’autres documents confirme que les parcelles en
« jardins » sont bien des surfaces cultivées. Les vergers et vignes n’y sont pas inclus, car
enregistrés dans des catégories à part par les états de sections. La seule incertitude
concerne la part effectivement cultivée sur chacune des parcelles en question. En effet,
le cadastre ne retient pour chaque parcelle que sa destination principale, laissant
éventuellement de côté les destinations secondaires : allées, dépôts divers, marges
enfrichées s’il en existe...
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Sur les quatre communes étudiées, la surface totale des jardins ainsi digitalisés s’élève à
3 236 523 m2 ou à peu près 324 ha. La surface médiane de ces jardins est de 356 m 2.
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Document 3 : Surfaces bâties et jardins potagers à Nancy dans le premier tiers du XIX e siècle,
d’après le cadastre napoléonien des quatre communes étudiées
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Aujourd’hui, d’après notre travail de digitalisation, la surface apparente en jardins
s’étend au total sur un peu plus de 17 ha seulement, soit à peine plus de 5% de la valeur
de 1830. Encore une fois, cette comparaison doit être considérée avec beaucoup de
prudence, car il n’est pas certain que les parcelles classées en « jardins » en 1830 aient
été entièrement cultivées, même si la « faim de terres » qui régnait alors laisse
imaginer que peu de surfaces pouvaient être laissées improductives (Rochel, 2018).
Ajoutons pour relativiser encore l’intérêt de cette comparaison, que les jardins actuels
ont assez rarement une vocation commerciale, puisqu’il ne reste plus que deux
producteurs maraîchers, dont un avec un statut associatif, sur les quatre communes
étudiées. Ces surfaces concernées aujourd’hui par une activité professionnelle
totalisent 4 ha seulement. Inversement, en 1830, les jardins potagers avaient
probablement une vocation productive plus vitale et plus souvent professionnelle, bien
que rien ne permette de distinguer avec certitude, dans les matrices cadastrales, les
parcelles cultivées par des maraîchers à temps plein ou doubles actifs 4. Comparer les
surfaces en jardins en 1830 et en 2022, c’est donc prendre le risque de mettre sur le
même plan des objets assez différents.
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Outre des différences de surfaces, la digitalisation des jardins potagers actuels fait
également apparaître une organisation spatiale très clairement différente de celle du
XIXe siècle, même si quelques permanences peuvent être signalées. Il n’existe plus, au
XXIe siècle, de forte concentration de jardins, de sorte qu’il n’a pas été jugé utile de
proposer ici une cartographie générale, car les jardins n’y seraient apparus que sous la
forme de points dispersés et très peu visibles.
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La première observation à faire est donc un éclatement en de multiples petites
parcelles, bien plus dispersées que sur les plans de 1830. Ce sont au total 803 entités qui
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sont identifiées, la plus petite mesurant 8 m2. Les deux plus grandes entités s’étendent
sur 12 000 et 28 000 m2 ; il s’agit respectivement, d’un ensemble de jardins familiaux, et
d’une grande parcelle maraîchère détenue par une structure associative. Dans la
plupart des cas, chacun des jardins potagers identifiés ne couvre qu’une petite surface :
la moyenne est à 217 m2, la médiane à 79 (contre 356 en 1830).
15
La seconde observation évidente porte sur la localisation des surfaces en question.
Alors que les plans du XIXe siècle faisaient apparaître une véritable ceinture continue et
implantée, de façon très logique, dans les surfaces planes au plus proche de la ville, les
potagers actuels se sont écartés des concentrations urbaines les plus denses,
démontrant que les impératifs de proximité ne sont plus aussi importants. Alors que le
maraîcher de 1830 doit quotidiennement se rendre sur ses parcelles, récolter, amener
ses produits sur les marchés, les citoyens nancéiens de 2022 peuvent se permettre
d’avoir un jardin un peu plus éloigné de leur domicile.
Document 4 : Malzéville et le lieu-dit les Sablons, 1830-2022 (communes de Malzéville et
Maxéville)
En 1830, les jardins identifiés en rouge sont concentrés dans deux lieux de prédilection : la plaine
alluviale à proximité immédiate de Nancy, formant la ceinture maraîchère urbaine (repère 1) ; et à
l’arrière des maisons du village, formant comme une petite ceinture maraîchère villageoise (repère 3).
En 2022, les jardins sont dispersés ; il ne reste que quelques vestiges de la ceinture maraîchère
urbaine, et les jardins du village sont en général convertis en lieux d’agrément sans fonction
productive. Les terres fertiles du fond de vallée (repère 2) ont été largement accaparées par une zone
d’activités, tandis que des jardins potagers se sont dispersés dans le coteau, parmi les anciennes
vignes (en violet pâle, repère 4).
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Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ?
Document 5 : Le bord de la Ville Neuve, 1830-2022
La Ville Neuve construite à partir du XVIe siècle présente très peu de jardins potagers, que ce soit en
1830 ou aujourd’hui. Mais sur sa bordure, les anciennes fortifications bastionnées ont été laissées aux
« jardiniers » (maraîchers) dès le XVIIIe siècle (repère 2). Les prairies inondables du côté de la Meurthe
(repère 3) n’étaient pas cultivées. Aujourd’hui, ce secteur urbain présente un visage très artificialisé et
minéral, si ce n’est qu’y subsistent quelques jardins d’agrément et un petit parc municipal. La Rue des
Jardiniers porte par son tracé la mémoire des anciens bastions, et par son nom le souvenir du
maraîchage disparu.
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Les surfaces en jardins en 1830 et qui sont aujourd’hui encore cultivées en potagers ou
équivalents, ne s’élèvent qu’à un peu moins de 30 000 m2. Cette situation ne concerne
donc qu’à peu près un centième des parcelles jardinées de 1830, et moins d’un
cinquième des jardins actuels. Il y a donc eu une très large substitution et on ne peut
absolument pas dire que les jardins d’aujourd’hui seraient un vestige de l’ancienne
ceinture maraîchère, sauf sur certains sites de surface réduite, en particulier dans le
secteur de la Ruelle des Sablons (document 6), au lieu-dit Grand Meix 5.
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Finalement, que sont devenues ces surfaces autrefois cultivées, qui constituaient la
ceinture maraîchère de Nancy ? Le croisement des données de 1830 et des données
actuelles est particulièrement instructif sur certains points (tableau 1). C’est bien
l’urbanisation, sous toutes ses formes (habitat, route, équipements ferroviaires, zones
d’activités de toutes sortes) qui a englouti cette couronne de jardins : le changement est
donc probablement irréversible. Ce sont 62% des anciens jardins qui sont aujourd’hui
classés comme « imperméables » dans le niveau 5 de la nomenclature OCSGE2 : les sols
des anciens jardins sont aujourd’hui largement enfouis sous les constructions et les
voies de transport.
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Tableau 1 : le devenir des anciens jardins d’après la base OCS GE2, 2021
Classe OCSGE2 niveau 2
Surface (ha) Part (%)
11 habitat
189,3
58,5
12 équipements et infrastructures collectives 55,2
17,1
13 activités économiques
15,7
4,9
14 réseaux de transports
41,4
12,8
15 espaces verts urbains
12,2
3,8
Autres
9,9
3,1
Total
323,7
100
Document 6 : Parcelles closes et bric-à-brac improbable : à la limite des communes de Nancy et
Maxéville (repère 1 sur le document 2), les potagers du secteur des Sablons constituent le dernier
ensemble notable et cohérent de jardins survivants de l’ancienne ceinture maraîchère de Nancy
18
Photos de l’auteur, 2021.
Conclusion
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Les documents exploités montrent bien qu’il existait à Nancy, vers 1830, une véritable
ceinture maraîchère, à peu près continue, et assez étroitement localisée au plus près de
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la ville. Bien que cette observation demande à être approfondie et mieux démontrée, il
semble qu’il soit possible d’identifier deux modèles paysagers, l’un dominé par les
activités de maraîchage proprement dit, l’autre par les petites parcelles vivrières. De
cette ceinture maraîchère à deux visages, il reste bien peu de choses en 2022. Si jamais
Nancy, voulait, à l’instar d’autres villes françaises, reconstituer en partie une « ceinture
maraîchère », celle-ci serait plus éloignée du centre, repoussée dans les coteaux moins
fertiles, car la plus grande partie de l’ancienne ceinture de jardins est désormais noyée
sous le béton et l’asphalte. Néanmoins, quelques modestes concentrations de jardins
existent toujours dans la continuité de ce qu’il existait en 1830, aux limites des
communes de Maxéville et Nancy. Il y a là un véritable patrimoine qui n’a jusqu’ici
jamais été identifié comme tel, et qui est susceptible de mériter à ce titre une
protection spéciale, ou au moins une certaine attention. En effet, les jardins périurbains
ne sont pas intéressants que pour leur fonction nourricière. Ils constituent
potentiellement un patrimoine en soi, comme dans le cas des hortillonnages d’Amiens
(Cloquier, 2002), des murs à pêches de Montreuil ou des jardins à vignes de Thomery.
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nov. 2015, publié dans : Jalabert L., Muller V., (dir.) Boire et manger en Lorraine, Antiquité – XXIe
siècle. Moyenmoutier : Edhisto, p. 35-47.
NOTES
1. Cette date est une approximation donnée par souci de simplicité. Les cadastres utilisés, dont
l’élaboration s’est étalée sur plusieurs années, sont achevés officiellement en 1811 (pour
Maxéville) et 1833-1834 (pour les autres communes).
2. La résolution de l’imagerie étudiée est donc de 20 cm en général, permettant de travailler à
une échelle du 1/400 au 1/800 environ. Les images utilisées proviennent de saisons différentes, ce
qui facilite le travail, mais aussi d’années différentes, ce qui brouille quelque peu l’information
(par exemple, identification comme potagers de surfaces cultivées en 2014 mais abandonnées et
donc invisibles en 2021, ou inversement).
3. L’utilisation de plusieurs images sur une période longue tend probablement à surestimer les
surfaces, puisqu’on prendra en compte les jardins présents pendant toute la période, mais aussi
les jardins apparus et ceux disparus entre les dates extrêmes.
4. Un travail fin, excessivement chronophage, de comparaison des matrices avec les registres de
population qui existent à Nancy dès 1795, permettrait d’éclairer la question, sans rien régler
toutefois de façon certaine, car le propriétaire d’une parcelle n’est pas forcément celui qui
l’exploite.
5. Relèvent aussi de cette continuité entre 1830 et aujourd’hui, les surfaces exploitées par un
maraîcher rue Vayringe à Nancy ; mais ces surfaces sont principalement occupées par des serres.
RÉSUMÉS
Des ceintures maraîchères cernaient autrefois de nombreuses villes, permettant leur
alimentation en différents produits frais. Nous avons cherché à localiser et caractériser
l’ancienne ceinture maraîchère de Nancy, en utilisant principalement le cadastre napoléonien.
Ces jardins ont disparu pour la plus grande part, et les dernières concentrations existantes de
jardins en continuité avec l’ancienne ceinture maraîchère constituent un patrimoine qui mérite
une attention particulière.
Ceinture maraîchère, ceinture verte, alimentation, Nancy
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Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ?
Market gardening belts once surrounded many cities, allowing them to be supplied with various
fresh products. We sought to locate and characterize the former food belt of Nancy, using the
Napoleonic cadastre. These gardens have for the most part disappeared, and the last existing
concentrations of gardens in continuity with the former market garden belt constitute a heritage
that deserves special attention.
INDEX
Keywords : Green belt, food belt, foodscape, Nancy
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