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Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ?

Revue de géographie historique

Une ceinture verte est une continuité marquée par la végétation, la nature, et les surfaces agricoles, formant un anneau autour d'une ville qui y trouve ainsi des aménités, une réserve de biodiversité, un refuge pour le sauvage, mais aussi des productions alimentaires susceptibles de participer à l'essor espéré des circuits courts (Flégeau, 2018 ; Alexandre et Génin, 2013). La notion de ceinture maraîchère est plus étroite que celle de ceinture verte : elle évoque l'existence, passée ou peut-être actuelle, d'exploitations agricoles très proches de la ville, implantées et organisées de façon à répondre à la demande du marché urbain. Le modèle dit de Von Thünen, bien connu des géographes, est une référence incontournable pour comprendre l'intérêt d'une telle organisation. Si les surfaces exploitées forment un ensemble spatial identifiable et cohérent autour d'un centre urbain, le terme « ceinture » est bien justifié. Appliqué à nos villes actuelles, il peut sembler usurpé ; mais autour des villes d'autrefois, c'est bien une véritable ceinture qui a pu fournir, pendant des siècles, une partie de l'alimentation urbaine, en particulier en fruits et légumes frais, avant de régresser très rapidement dans le cadre des Trente Glorieuses et des décennies postérieures (APUR,

Revue de géographie historique 21-22 | 2022 Arbres, parcs et jardins : géohistoire de la ville verte Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Xavier Rochel Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/geohist/6205 DOI : 10.4000/geohist.6205 ISSN : 2264-2617 Éditeur Association française de la Revue de géographie historique Référence électronique Xavier Rochel, « Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? », Revue de géographie historique [En ligne], 21-22 | 2022, mis en ligne le 19 octobre 2022, consulté le 22 novembre 2022. URL : http:// journals.openedition.org/geohist/6205 ; DOI : https://doi.org/10.4000/geohist.6205 Ce document a été généré automatiquement le 22 novembre 2022. Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Xavier Rochel 1 Une ceinture verte est une continuité marquée par la végétation, la nature, et les surfaces agricoles, formant un anneau autour d’une ville qui y trouve ainsi des aménités, une réserve de biodiversité, un refuge pour le sauvage, mais aussi des productions alimentaires susceptibles de participer à l’essor espéré des circuits courts (Flégeau, 2018 ; Alexandre et Génin, 2013). La notion de ceinture maraîchère est plus étroite que celle de ceinture verte : elle évoque l’existence, passée ou peut-être actuelle, d’exploitations agricoles très proches de la ville, implantées et organisées de façon à répondre à la demande du marché urbain. Le modèle dit de Von Thünen, bien connu des géographes, est une référence incontournable pour comprendre l’intérêt d’une telle organisation. Si les surfaces exploitées forment un ensemble spatial identifiable et cohérent autour d’un centre urbain, le terme « ceinture » est bien justifié. Appliqué à nos villes actuelles, il peut sembler usurpé ; mais autour des villes d’autrefois, c’est bien une véritable ceinture qui a pu fournir, pendant des siècles, une partie de l’alimentation urbaine, en particulier en fruits et légumes frais, avant de régresser très rapidement dans le cadre des Trente Glorieuses et des décennies postérieures (APUR, 2018 ; Phliponneau, 1956 ; Poulot et Rouyres, 2000). 2 Le maintien de ce qu’il reste de ces anciennes ceintures maraîchères, et si possible leur reconstitution, forment un objectif bien identifié des acteurs territoriaux soucieux d’animer une « ville verte » ou une transition territoriale dans le domaine alimentaire. De multiples initiatives dans ce sens, peuvent être évoquées. Elles ne pourront que se multiplier sous l’effet de la loi Egalim qui encourage la relocalisation alimentaire et les circuits courts. A Limoges par exemple, existe un projet bien engagé, lancé en 2017, de « ceinture maraîchère » (Djailani, 2021). Le mot « ceinture » exprime ici une organisation théorique, centripète, du système alimentaire plutôt qu’un véritable trait observable du territoire : il cache une emprise spatiale très modeste, ponctuelle et non continue, limitée à quelques exploitations maraîchères dont l’effectif devrait augmenter grâce à la mise en place d’une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif). Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 1 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Les initiatives sont coordonnées dans le cadre d’un PAT (Projet Alimentaire Territorial). De tels projets existent dans bon nombre de territoires urbains petits ou grands, utilisant souvent la notion de ceinture maraîchère de façon explicite : Beaumont, Quimper, Rodez, Pau, Paris… Il existe une association développée à l’échelle nationale, « la Ceinture Verte », qui apporte une aide technique à des maraîchers de diverses régions et aux territoires soucieux de s’attaquer à ces problématiques. 3 Nous avons souhaité ici développer dans une optique géohistorique le cas de Nancy, où s’observait autrefois une ceinture de jardins très marquée, et où subsiste encore l’opportunité de recréer une ceinture verte à peu près continue, et une ceinture maraîchère répondant bien aux aspirations actuelles en termes d’alimentation. C’est à partir de la digitalisation du cadastre napoléonien des communes du Grand Nancy que l’ampleur de l’ancienne ceinture maraîchère peut être connue. Quelles sont les surfaces concernées ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La ceinture de jardins existe-t-elle encore, sous forme de jardins dont l’usage aurait été ininterrompu, et dont le caractère patrimonial serait ainsi particulièrement fort ? Au contraire, la localisation des jardins a-t-elle changé ? On présentera ici le contexte, les sources et la méthodologie du travail engagé, avant d’en présenter les principaux résultats. I. Exposé du contexte, objectifs et méthodologie 4 La ville d’autrefois nécessitait de grandes quantités de produits frais ou périssables qu’elle ne pouvait obtenir que dans son pourtour immédiat, ou en son sein-même, en raison de l’impossibilité de faire appel à un long transport. Aujourd’hui encore, la production alimentaire n’est pas nulle en ville, ou dans le pourtour immédiat des agglomérations ; il peut donc y avoir une « ville vivrière » (Darrot, 2014) cachée derrière le règne apparent de la minéralité. L’existence de surfaces agricoles et de potagers permet un approvisionnement pour partie en « circuit court », avec tous les avantages que cela peut comporter, par exemple en termes d’impact carbone, ou de résilience (Chiffoleau, Brit, Monnier, 2020). Un territoire urbain soucieux de soigner son système d’approvisionnement, son image, son fonctionnement dans un cadre respectueux des équilibres locaux et planétaires, doit donc prêter attention aux dynamiques qui affectent les surfaces agricoles en son sein, ou à proximité immédiate. La ressource en sols non artificialisés, et en surfaces exploitées pour l’alimentation, ne devrait pas diminuer. Tant cette attention portée aux dynamiques dans le temps, que la question patrimoniale, justifient une approche géohistorique, qui déploie dans les décennies et les siècles passés les observations contemporaines plus classiquement faites par les sciences sociales, géographie, sociologie et économie par exemple. 5 Le travail ici exposé porte sur la Métropole de Nancy, forte de plus de 250 000 habitants. La ville forme un ensemble aux contours complexes niché dans une cuvette, au pied de la Côte de Moselle, et au long des vallées alentours. Autour de la ville proprement dite s’étendent des surfaces agricoles et forestières, parfois très proches du centre-ville. Mais il n’y a pas, aujourd’hui, de ceinture maraîchère à Nancy. Bien entendu, il existe des surfaces exploitées en maraîchage, des jardins potagers, ainsi que des systèmes d’AMAP ou de distributions en circuit court du type « la Ruche qui dit Oui », qui peuvent être interprétés comme une réinvention de la ceinture maraîchère (Guiraud, 2019). Toutefois, en aucun cas cette « ceinture » ne saurait être visuellement identifiable et continue, comme un anneau périurbain qui justifierait totalement la Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 2 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? métaphore classique. S’il existe une vraie ceinture maraîchère sur ce territoire, elle doit être trouvée dans le passé, à travers une étude géohistorique. 6 La recherche de données spatialisées concernant l’ancienne ceinture maraîchère passe par l’exploitation de cartes et plans anciens. Dans un premier temps, un premier travail de récolement a permis d’identifier un grand nombre de plans suffisamment précis et informatifs pour confirmer l’existence, autour de Nancy, d’une ancienne ceinture maraîchère digne de ce nom. Pour l’Ancien Régime, existent plusieurs plans dont l’échelle et la nature permettent bien d’observer une couronne presque continue de jardins potagers, mêlée de quelques vergers et vignes et parfois parsemée de bâtiments dispersés, qui entoure les deux villes de Nancy, la « Ville Vieille » et la « Ville Neuve » (document 1). Document 1 : Les jardins périurbains de deux faubourgs de Nancy d’après les plans d’Ancien Régime (A : plan des Villes, Citadelle, Faubourgs et environs de Nancy, Claude Mique, 1770, Bibliothèque Nationale, GE D-14971. B : Plan général des deux villes de Nancy, Nicolas Belprey, 1754, Bibliothèque Nationale, GE D 1548). La ville proprement dite (repère 1) est ici et là encore entourée de son corset de fortifications bastionnées (repère 2). Au-delà, se sont étendus les faubourgs (repères 3) ainsi que d’importantes étendues de jardins au plus près des portes de la ville (repères 4) ; les parcelles sont parfois closes de murs ou de haies, et on y observe un grand nombre de bâtiments, parfois dénommés « loges » de jardiniers. Plus loin, la plaine alluviale est principalement occupée par des prés (repères 5). 7 Les plans datant du XIXe siècle sont plus nombreux encore. Mais pour cette période, existe un document incontournable, qui permet de connaître avec une plus grande précision les usages du sol : il s’agit du cadastre dit napoléonien (document 2), disponible pour la plupart des communes métropolitaines françaises et classiquement utilisé pour cartographier l’état des territoires dans la première moitié du XIX e siècle (Rochel et al., 2017a). La démarche consiste à géoréférencer les plans, à les digitaliser, et à attribuer à chaque parcelles les informations fournies par le registre des états de sections. Pour ce faire, compte tenu du caractère très chronophage du travail envisagé, il était exclu de prendre en compte les 30 communes de l’actuelle métropole du Grand Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 3 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Nancy, ou un territoire du même ordre de grandeur. Ce sont quatre communes qui ont été retenues : Nancy, ville centre, et par conséquent incontournable pour notre étude ; et trois communes de la banlieue Nord, Maxéville, Malzéville, et Saint-Max, sur lesquelles les observations préliminaires ont confirmé l’existence de la ceinture maraichère, et pour lesquelles on disposait déjà des plans napoléoniens digitalisés à l’occasion d’une recherche sur le réseau de sentiers dans les vignes (Rochel at al., 2017b). Document 2 : Deux modèles de jardins périurbains d’après le cadastre napoléonien de Nancy, 1830 Source : Archives Municipales de Nancy. Presque toutes les parcelles non bâties sont ici des jardins. Les murs et murets, représentés en rouge sur les plans du cadastre, ont été surlignés pour plus de lisibilité. A : faubourg Saint Jean. Domination de grandes parcelles closes de murs, avec bâtiments et ruelles (SA, ruelle Saint Antoine ; LR, ruelle de la Rame) : le paysage du maraîchage professionnel. B : faubourg des Trois Maisons. Domination de très petites parcelles, non closes, sans bâtiments ni ruelles : le paysage des potagers vivriers ou « meix ». 8 Les données historiques ainsi obtenues pour une date proche de 1830 1 ont été comparées aux données actuelles qui ont été jugées pertinentes. Il s’agit en particulier des données d’occupation du sol les plus fines sur le territoire considéré : la base OCS GE2, fournie par DataGrandEst. Cette base classe les surfaces selon une nomenclature à quatre niveaux, voire cinq pour certains cas en milieu urbain. Achevée en 2021, elle présente le meilleur portrait possible de l’occupation du sol dans la région, mais elle présente certains écueils, en particulier celui de ne pas prendre en compte les jardins potagers, qui sont en quelque sorte noyés au sein de classes très diverses. 9 C’est pourquoi l’identification des surfaces actuellement cultivées en potagers a dû être faite par une digitalisation ad hoc. Celle-ci a été faite à partir de l’ortho-imagerie, à peu près de la même façon que ce qui a déjà été fait dans d’autres villes de France (Marie, 2019). Ce travail se heurte évidemment à certaines difficultés. En effet, les potagers Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 4 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? occupent souvent des surfaces modestes (de l’ordre de 50 mètres carrés par exemple), et ils sont parfois masqués par l’ombre portée des bâtiments environnants, ou par les houppiers des arbres. L’utilisation conjointe de plusieurs couches d’imagerie est nécessaire pour limiter les incertitudes quant à l’identification des potagers, et de leurs limites. C’est pourquoi nous avons jugé souhaitable d’utiliser conjointement les images Google, la BD-Ortho de l’IGN, ainsi que l’imagerie 2014-2016 fournie par DataGrandEst 2. Le gain dans la qualité du travail d’identification compense largement la perte de résolution temporelle3 induite par l’utilisation d’images datant de 2014 à 2020. Il reste que malgré cette précaution, il est probable que les plus petits potagers échappent à nos identifications. Il en est de même, probablement, pour quelques surfaces en permaculture ou en jardins-forêts, dont l’allure pseudo-naturelle ne permet pas une identification facile à partir de l’imagerie verticale. II. Résultats : une ceinture verte disparue ? 10 Le document 3 montre l’étendue de la ceinture maraîchère identifiée à partir du cadastre napoléonien. Les surfaces en question sont identifiées dans les états de sections, sous le nom de « jardins », mais elles sont sans ambiguïté quant à leur destination alimentaire, car ce qu’on pourrait considérer comme des jardins d’agrément, privilège de catégories sociales privilégiées, est nommé « parc » (et non représenté ici). Le parallèle avec d’autres documents confirme que les parcelles en « jardins » sont bien des surfaces cultivées. Les vergers et vignes n’y sont pas inclus, car enregistrés dans des catégories à part par les états de sections. La seule incertitude concerne la part effectivement cultivée sur chacune des parcelles en question. En effet, le cadastre ne retient pour chaque parcelle que sa destination principale, laissant éventuellement de côté les destinations secondaires : allées, dépôts divers, marges enfrichées s’il en existe... 11 Sur les quatre communes étudiées, la surface totale des jardins ainsi digitalisés s’élève à 3 236 523 m2 ou à peu près 324 ha. La surface médiane de ces jardins est de 356 m 2. Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 5 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Document 3 : Surfaces bâties et jardins potagers à Nancy dans le premier tiers du XIX e siècle, d’après le cadastre napoléonien des quatre communes étudiées 12 Aujourd’hui, d’après notre travail de digitalisation, la surface apparente en jardins s’étend au total sur un peu plus de 17 ha seulement, soit à peine plus de 5% de la valeur de 1830. Encore une fois, cette comparaison doit être considérée avec beaucoup de prudence, car il n’est pas certain que les parcelles classées en « jardins » en 1830 aient été entièrement cultivées, même si la « faim de terres » qui régnait alors laisse imaginer que peu de surfaces pouvaient être laissées improductives (Rochel, 2018). Ajoutons pour relativiser encore l’intérêt de cette comparaison, que les jardins actuels ont assez rarement une vocation commerciale, puisqu’il ne reste plus que deux producteurs maraîchers, dont un avec un statut associatif, sur les quatre communes étudiées. Ces surfaces concernées aujourd’hui par une activité professionnelle totalisent 4 ha seulement. Inversement, en 1830, les jardins potagers avaient probablement une vocation productive plus vitale et plus souvent professionnelle, bien que rien ne permette de distinguer avec certitude, dans les matrices cadastrales, les parcelles cultivées par des maraîchers à temps plein ou doubles actifs 4. Comparer les surfaces en jardins en 1830 et en 2022, c’est donc prendre le risque de mettre sur le même plan des objets assez différents. 13 Outre des différences de surfaces, la digitalisation des jardins potagers actuels fait également apparaître une organisation spatiale très clairement différente de celle du XIXe siècle, même si quelques permanences peuvent être signalées. Il n’existe plus, au XXIe siècle, de forte concentration de jardins, de sorte qu’il n’a pas été jugé utile de proposer ici une cartographie générale, car les jardins n’y seraient apparus que sous la forme de points dispersés et très peu visibles. 14 La première observation à faire est donc un éclatement en de multiples petites parcelles, bien plus dispersées que sur les plans de 1830. Ce sont au total 803 entités qui Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 6 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? sont identifiées, la plus petite mesurant 8 m2. Les deux plus grandes entités s’étendent sur 12 000 et 28 000 m2 ; il s’agit respectivement, d’un ensemble de jardins familiaux, et d’une grande parcelle maraîchère détenue par une structure associative. Dans la plupart des cas, chacun des jardins potagers identifiés ne couvre qu’une petite surface : la moyenne est à 217 m2, la médiane à 79 (contre 356 en 1830). 15 La seconde observation évidente porte sur la localisation des surfaces en question. Alors que les plans du XIXe siècle faisaient apparaître une véritable ceinture continue et implantée, de façon très logique, dans les surfaces planes au plus proche de la ville, les potagers actuels se sont écartés des concentrations urbaines les plus denses, démontrant que les impératifs de proximité ne sont plus aussi importants. Alors que le maraîcher de 1830 doit quotidiennement se rendre sur ses parcelles, récolter, amener ses produits sur les marchés, les citoyens nancéiens de 2022 peuvent se permettre d’avoir un jardin un peu plus éloigné de leur domicile. Document 4 : Malzéville et le lieu-dit les Sablons, 1830-2022 (communes de Malzéville et Maxéville) En 1830, les jardins identifiés en rouge sont concentrés dans deux lieux de prédilection : la plaine alluviale à proximité immédiate de Nancy, formant la ceinture maraîchère urbaine (repère 1) ; et à l’arrière des maisons du village, formant comme une petite ceinture maraîchère villageoise (repère 3). En 2022, les jardins sont dispersés ; il ne reste que quelques vestiges de la ceinture maraîchère urbaine, et les jardins du village sont en général convertis en lieux d’agrément sans fonction productive. Les terres fertiles du fond de vallée (repère 2) ont été largement accaparées par une zone d’activités, tandis que des jardins potagers se sont dispersés dans le coteau, parmi les anciennes vignes (en violet pâle, repère 4). Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 7 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Document 5 : Le bord de la Ville Neuve, 1830-2022 La Ville Neuve construite à partir du XVIe siècle présente très peu de jardins potagers, que ce soit en 1830 ou aujourd’hui. Mais sur sa bordure, les anciennes fortifications bastionnées ont été laissées aux « jardiniers » (maraîchers) dès le XVIIIe siècle (repère 2). Les prairies inondables du côté de la Meurthe (repère 3) n’étaient pas cultivées. Aujourd’hui, ce secteur urbain présente un visage très artificialisé et minéral, si ce n’est qu’y subsistent quelques jardins d’agrément et un petit parc municipal. La Rue des Jardiniers porte par son tracé la mémoire des anciens bastions, et par son nom le souvenir du maraîchage disparu. 16 Les surfaces en jardins en 1830 et qui sont aujourd’hui encore cultivées en potagers ou équivalents, ne s’élèvent qu’à un peu moins de 30 000 m2. Cette situation ne concerne donc qu’à peu près un centième des parcelles jardinées de 1830, et moins d’un cinquième des jardins actuels. Il y a donc eu une très large substitution et on ne peut absolument pas dire que les jardins d’aujourd’hui seraient un vestige de l’ancienne ceinture maraîchère, sauf sur certains sites de surface réduite, en particulier dans le secteur de la Ruelle des Sablons (document 6), au lieu-dit Grand Meix 5. 17 Finalement, que sont devenues ces surfaces autrefois cultivées, qui constituaient la ceinture maraîchère de Nancy ? Le croisement des données de 1830 et des données actuelles est particulièrement instructif sur certains points (tableau 1). C’est bien l’urbanisation, sous toutes ses formes (habitat, route, équipements ferroviaires, zones d’activités de toutes sortes) qui a englouti cette couronne de jardins : le changement est donc probablement irréversible. Ce sont 62% des anciens jardins qui sont aujourd’hui classés comme « imperméables » dans le niveau 5 de la nomenclature OCSGE2 : les sols des anciens jardins sont aujourd’hui largement enfouis sous les constructions et les voies de transport. Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 8 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Tableau 1 : le devenir des anciens jardins d’après la base OCS GE2, 2021 Classe OCSGE2 niveau 2 Surface (ha) Part (%) 11 habitat 189,3 58,5 12 équipements et infrastructures collectives 55,2 17,1 13 activités économiques 15,7 4,9 14 réseaux de transports 41,4 12,8 15 espaces verts urbains 12,2 3,8 Autres 9,9 3,1 Total 323,7 100 Document 6 : Parcelles closes et bric-à-brac improbable : à la limite des communes de Nancy et Maxéville (repère 1 sur le document 2), les potagers du secteur des Sablons constituent le dernier ensemble notable et cohérent de jardins survivants de l’ancienne ceinture maraîchère de Nancy 18 Photos de l’auteur, 2021. Conclusion 19 Les documents exploités montrent bien qu’il existait à Nancy, vers 1830, une véritable ceinture maraîchère, à peu près continue, et assez étroitement localisée au plus près de Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 9 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? la ville. Bien que cette observation demande à être approfondie et mieux démontrée, il semble qu’il soit possible d’identifier deux modèles paysagers, l’un dominé par les activités de maraîchage proprement dit, l’autre par les petites parcelles vivrières. De cette ceinture maraîchère à deux visages, il reste bien peu de choses en 2022. Si jamais Nancy, voulait, à l’instar d’autres villes françaises, reconstituer en partie une « ceinture maraîchère », celle-ci serait plus éloignée du centre, repoussée dans les coteaux moins fertiles, car la plus grande partie de l’ancienne ceinture de jardins est désormais noyée sous le béton et l’asphalte. Néanmoins, quelques modestes concentrations de jardins existent toujours dans la continuité de ce qu’il existait en 1830, aux limites des communes de Maxéville et Nancy. Il y a là un véritable patrimoine qui n’a jusqu’ici jamais été identifié comme tel, et qui est susceptible de mériter à ce titre une protection spéciale, ou au moins une certaine attention. En effet, les jardins périurbains ne sont pas intéressants que pour leur fonction nourricière. Ils constituent potentiellement un patrimoine en soi, comme dans le cas des hortillonnages d’Amiens (Cloquier, 2002), des murs à pêches de Montreuil ou des jardins à vignes de Thomery. BIBLIOGRAPHIE Alexandre F., Génin A., 2014, Ceintures vertes autour des grandes métropoles européennes, dans Formes et Échelles des compositions urbaines, Tours, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, p. 75-87. APUR, 2018, Evolution de la nature à Paris de 1730 à nos jours, rapport, 32 p. Chiffoleau Y., Brit AC., Monnier M. et al. 2020, Coexistence of supply chains in a city’s food supply: a factor for resilience? Review of Agricultural, Food and Environmental Studies, 101, p. 391–414. Darrot C., 2014, Rennes, ville vivrière ? une prospective proposée par les étudiants de l’option « agriculture durable et développement territorial » d’Agrocampus-Ouest. Pour, n°4, 405-414. 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Les images utilisées proviennent de saisons différentes, ce qui facilite le travail, mais aussi d’années différentes, ce qui brouille quelque peu l’information (par exemple, identification comme potagers de surfaces cultivées en 2014 mais abandonnées et donc invisibles en 2021, ou inversement). 3. L’utilisation de plusieurs images sur une période longue tend probablement à surestimer les surfaces, puisqu’on prendra en compte les jardins présents pendant toute la période, mais aussi les jardins apparus et ceux disparus entre les dates extrêmes. 4. Un travail fin, excessivement chronophage, de comparaison des matrices avec les registres de population qui existent à Nancy dès 1795, permettrait d’éclairer la question, sans rien régler toutefois de façon certaine, car le propriétaire d’une parcelle n’est pas forcément celui qui l’exploite. 5. Relèvent aussi de cette continuité entre 1830 et aujourd’hui, les surfaces exploitées par un maraîcher rue Vayringe à Nancy ; mais ces surfaces sont principalement occupées par des serres. RÉSUMÉS Des ceintures maraîchères cernaient autrefois de nombreuses villes, permettant leur alimentation en différents produits frais. Nous avons cherché à localiser et caractériser l’ancienne ceinture maraîchère de Nancy, en utilisant principalement le cadastre napoléonien. Ces jardins ont disparu pour la plus grande part, et les dernières concentrations existantes de jardins en continuité avec l’ancienne ceinture maraîchère constituent un patrimoine qui mérite une attention particulière. Ceinture maraîchère, ceinture verte, alimentation, Nancy Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 11 Que reste-t-il de la ceinture maraîchère de Nancy ? Market gardening belts once surrounded many cities, allowing them to be supplied with various fresh products. We sought to locate and characterize the former food belt of Nancy, using the Napoleonic cadastre. These gardens have for the most part disappeared, and the last existing concentrations of gardens in continuity with the former market garden belt constitute a heritage that deserves special attention. INDEX Keywords : Green belt, food belt, foodscape, Nancy Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 12