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Arbres, parcs et jardins

Revue de géographie historique

Revue de géographie historique 21-22 | 2022 Arbres, parcs et jardins : géohistoire de la ville verte Arbres, parcs et jardins Géohistoires de la ville verte Xavier Rochel Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/geohist/6382 DOI : 10.4000/geohist.6382 ISSN : 2264-2617 Éditeur Association française de la Revue de géographie historique Référence électronique Xavier Rochel, « Arbres, parcs et jardins », Revue de géographie historique [En ligne], 21-22 | 2022, mis en ligne le 15 novembre 2022, consulté le 22 novembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/ geohist/6382 ; DOI : https://doi.org/10.4000/geohist.6382 Ce document a été généré automatiquement le 22 novembre 2022. Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ Arbres, parcs et jardins Arbres, parcs et jardins Géohistoires de la ville verte Xavier Rochel 1 Si la ville se caractérise habituellement par une forte concentration humaine, elle n’exclut absolument pas le végétal, présent sous forme ponctuelle (des arbres), surfacique (des parcs, des jardins, des bois, des pelouses ou des prairies), linéaire (des coulées vertes, des allées d’arbres). Dans les interstices qui subsistent au sein d’un paysage très minéral, la végétation est bienvenue et constitue en quelque sorte une ville verte plus ou moins présente, visible ou cachée, publique ou privée, entre pavés et façades. Elle forme un réseau ou une « trame verte » où évolue une certaine biodiversité. Autour des villes ou au bord des villes, de grands espaces récréatifs végétalisés sont appréciés des urbains, de Hampstead Heath au Wiener Wald en passant par les bois de Boulogne ou Vincennes. Ce numéro de la Revue de Géographie Historique a pour ambition d’explorer cette thématique en prenant en compte les larges temporalités qui intéressent son lectorat : quelques décennies ou même plusieurs siècles. Un triple patrimoine 2 A travers cette idée de ville verte, qui s’oppose à la ville minérale, on peut considérer au moins trois enjeux, ou trois patrimoines à défendre et à gérer : naturel, culturel ou bioculturel, productif. 3 Aider la nature en ville, c’est permettre l’apparition, le maintien et le développement d’organismes vivants et de sols, constitués en écosystèmes fonctionnant de façon spontanée. Peu importe que les sociétés humaines y trouvent leur compte ou non : on peut considérer qu’un territoire, même urbain, doit préserver une certaine dose de nature, de spontanéité an-anthropique. Il n’est pas anodin que la vieille appellation « espaces verts » soit très souvent supplantée par celle plus récente d’« espaces de nature ». Ce changement terminologique répond à un changement de paradigme : l’horticole n’est plus à la mode comme au temps d’Adolphe Alphand. Créer des abrisbus à toiture végétalisée et mellifère, créer des « forêts urbaines » qui prétendent être Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 1 Arbres, parcs et jardins de véritables écosystèmes diversifiés et autonomes au sein des villes, organiser des promenades collectives destinées à sensibiliser les urbains à la diversité des plantes adventices de la rue, autant d’initiatives qui montrent un intérêt pour le non-humain dans ces espaces qu’on aurait pu penser exclusivement anthropiques. 4 Néanmoins, les plantes, les arbres, les parcs, les jardins en ville constituent souvent une création humaine voulue et assumée. Ils ont été semés ou plantés, entretenus, taillés ; on a voulu tel ou tel paysage végétalisé, arboré, pour l’ornement de la ville, le plaisir du propriétaire ou du promeneur. Un écosystème est constitué (même s’il est souvent très simple), mais il est dirigé au service d’un certain idéal esthétique, ou d’autres objectifs anthropo-centrés qui peuvent avoir trait à l’hygiène de vie, à la santé, par exemple. Ce qui est préservé de ces aménagements parfois très anciens constitue un patrimoine culturel ou bioculturel à préserver, indépendamment de toute idée de naturalité. 5 Enfin, les interstices dans le minéral urbain sont aussi, ou peuvent être des espaces productifs. Il y a en ville, ou immédiatement autour de la ville, des jardins maraîchers, des vergers, une micro-agriculture dont l’apport est aujourd’hui anecdotique ou symbolique mais était autrefois essentiel pour l’alimentation de la population urbaine. Il y a loin, bien sûr, des anciennes et si efficaces ceintures maraîchères aux pieds d’arbres plantés de quelques légumes symboliques dans les boulevards sous le régime du « permis de végétaliser », mais la continuité historique est incontestable. 6 Les projets d’aménagement les plus actuels sont ceux qui concilient ces trois visions de la ville verte. On pourrait par exemple citer, parmi bien d’autres, le réaménagement en parc du site militaire de Blandan à Lyon. Une « forêt » de 10 000 m2 y est ménagée : l’écosystème doit y évoluer aussi librement que possible. Mais dans le même espace cohabitent aires de jeux, pelouses et espaces plus ou moins horticoles, parmi lesquels le patrimoine local n’est pas évacué : même les matériaux issus de la démolition de bâtiments militaires sont recyclés sur place, pierres de taille devenues bancs ou tables, tuiles pilées pour les allées. Enfin, troisième effort louable : le site est (modestement) productif par la présence de bacs potagers. De l’actualité au patrimoine, et du patrimoine à la géohistoire 7 Patrimoines naturels, culturels ou bioculturels, productifs : ces trois patrimoines importants à préserver pour une urbanité vivable justifient pleinement que la géohistoire, ou la géographie historique se penchent sur leur genèse et leurs dynamiques historiques, avec la certitude de trouver là de véritables enjeux, porteurs de résonance pour une spécialité en quête d’une plus grande reconnaissance. 8 La ville verte est aujourd’hui une thématique en vogue, universellement citée parmi les impératifs de la ville « durable » : une synthèse récente a par exemple été publiée très récemment par l’ADEME à destination des acteurs concernés. Les territoires urbains se battent à coups d’indicateurs et de labels pour donner la meilleure image d’eux-mêmes, et le vert est l’un des indicateurs les plus prisés. La question du confort thermique relatif apporté par la végétation, longtemps occultée, a été mise en avant par les canicules successives : il y a là une actualité brûlante. Les connexités écologiques doivent être pris en compte dans les SCOT et les documents d’urbanisme. Plus personne n’imagine un territoire urbain sans une politique de verdissement clairement affichée, Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 2 Arbres, parcs et jardins avec ses mots-clés incontournables : forêt urbaine, permaculture, gestion différenciée, demain peut-être jardin-forêt... 9 Mais la ville verte n’est pas une nouveauté ; elle est, pour une part, l’héritage de longues évolutions. Elle s’étudie à différents pas de temps, notamment à partir d’archives. Dans ce numéro, Jean-Noël Consalès et Brice Dacheux-Auzières explorent sur un pas de temps similaire (principalement à partir du point de départ documentaire constitué par le cadastre de 1819), deux espaces de nature restreints de Marseille. JeanPierre Husson évoque les châteaux et maisons de campagne urbaines ou périurbaines, avec l’exemple de Nancy. Xavier Rochel évoque les jardins potagers urbains, autrefois organisés en ceinture maraîchère, également à Nancy. Marc Tomas étudie plus spécifiquement le XVIIIe siècle : il ne s’agit plus de géohistoire, mais d’une géographie historique au sens strict. 10 De ces pérégrinations géohistoriques à travers diverses latitudes, on pourra revenir aisément à l’actualité et aux questions patrimoniales. Dans bien des cas, en France, la place de la nature en ville est reconnue et préservée. Des sites bien connus et fréquentés ne craignent plus guère le bulldozer et la conversion au béton : les outil réglementaires tels que les PLU(i), des acteurs vigilants et un intérêt collectif bien compris les défendent aujourd’hui efficacement. Mais cette protection n’est jamais infaillible, comme en témoigne la menace de disparition d’une partie des jardins ouvriers d’Aubervilliers sous les coups de pioche des travaux liés à Paris 2024, même si les travaux en question ont été partiellement bloqués sur décisions de justice en février puis juillet 2022. En effet, la ville verte peut être vue comme une réserve de foncier, en négatif de ce qui est déjà construit : une opportunité pour des aménagements de toutes sortes. Ici émergent les contradictions entre le souci de réserver une nature urbaine, part essentielle d’une ville vivable, et l’injonction de densification. Si les sites les plus remarquables sont probablement correctement protégés, il n’en est peut-être pas de même des cœurs d’îlots et autres parcs et jardins privés... Revue de géographie historique, 21-22 | 2022 3