BOOKS by Fabienne Jourdan
Penser permet d’atteindre le Bien. Fort de cette conviction, Numénius tente d’y conduire son lect... more Penser permet d’atteindre le Bien. Fort de cette conviction, Numénius tente d’y conduire son lecteur. À cette fin, il l’invite à réaliser une série de découvertes : le Bien est le penser ; il est l’Être, le Vivant, l’Intellect et la Forme ; il est le dieu. Pour le rencontrer, il est nécessaire de participer à son penser, un penser pur de tout objet, de tout sujet, identique à l’être et dispensant l’être. Ainsi est-on dans le Bien, peut-être même est-on le Bien, à son niveau. Le livre explicite le cheminement proposé en vue d’y parvenir. Philosophe né à Apamée au IIe siècle de notre ère, Numénius le développe en reprenant et transformant la voie ouverte par Platon. Il unit ce dernier à ce qu’il estime être son pythagorisme originel, recourt aux religions dites « orientales » pour étayer sa propre interprétation des dialogues ou leçons et tente de dépasser les conflits internes au platonisme, préparant la voie à ses successeurs néoplatoniciens. Pour parfaire l’exploration de son propos, l’ouvrage établit une comparaison avec l’enseignement contemporain des Oracles chaldaïques et analyse deux témoignages de Proclus.
Voir l'introduction au volume jointe
Ouvrage co-édité avec Anca Vasiliu
Co-édité avec Rainer Hirsch-Luipold
Séries d'articles sur les représentations du mal dans la phi... more Co-édité avec Rainer Hirsch-Luipold
Séries d'articles sur les représentations du mal dans la philosophie et la religion jusqu'au Veme siècle après J.-C. avec ouverture sur le Coran. Voir l'introduction au volume jointe
Orphée, prophète païen de la révélation biblique. Tel est le portrait que les Juifs d’Alexandrie,... more Orphée, prophète païen de la révélation biblique. Tel est le portrait que les Juifs d’Alexandrie, à partir du IIIe ou du IIe siècle avant J.-C., dressent du citharède que la tradition célèbre pour son chant miraculeux et son rôle dans l’introduction des mystères. Leur objectif est double : idéalement, convaincre les Grecs de renoncer au polythéisme pour embrasser le monothéisme qu’au- rait prôné leur tout premier théologien ; plus concrètement, raffermir leurs propres coreligionnaires dans leur foi, en leur montrant qu’elle remonte à l’origine de cette culture grecque qu’ils admirent tant. Il leur suffit pour cela de fabriquer, à partir d’anciens vers mis sous le nom d’Orphée par les païens, un poème dans lequel celui-ci, finalement converti, chante le Dieu unique et le révèle à son disciple Musée — poème parfois alors intitulé Testament d’Orphée. Ce nouveau « discours sacré » (hiéros logos) nous est parvenu, après de multiples remaniements au gré de ses citations, sous la forme de fragments de longueur inégale, par l’in- termédiaire des auteurs chrétiens des six premiers siècles.
Après une étude de la littérature et de la pseudépigraphie judéo-hellénistique dans laquelle s’inscrit le poème, Fabienne Jourdan analyse sa réception chrétienne et tente de reconstruire les différentes étapes de sa composition et transmission. Elle propose ensuite une traduction et un commentaire détaillé de chacune de ses rédactions successives.
Dans Orphée et les Chrétiens, l'auteur entreprend une gigantesque synthèse de la réception de la ... more Dans Orphée et les Chrétiens, l'auteur entreprend une gigantesque synthèse de la réception de la figure d'Orphée dans la littérature chrétienne, essentiellement d'expression grecque, des cinq premiers siècles, tout en mettant en perspective l'apport des sources juives et païennes dans cette réception.
Le premier volume est consacré à la manière dont Clément d'Alexandrie, dans le Protreptique, fait advenir en Orphée un préfigurateur du Christ. Le second analyse plus généralement le traitement du personnage chez tous les auteurs chrétiens de la période considérée en vue d'offrir d'une part un tableau synthétique des usages polémiques d'Orphée et d'évaluer d'autre part les enjeux du recours à cette figure mythologique, tant chez les païens que chez les Chrétiens. L'analyse de la réception d'Orphée dans la tradition juive a quant à elle déjà fait l'objet d'un examen spécifique dans Le poème judéo-hellénistique attribué à Orphée, publié par le même auteur aux Belles Lettres en 2010. Le livre comporte enfin une série d'annexes (réparties dans les deux volumes), une riche bibliographie et des index scripturaire, textuels et thématiques. La table des matière, par sa minutie, permet de se répérer aisément dans ce vaste ouvrage et les résumés qui figurent en fin de chaque section et chapitre permettent au lecteur pressé d'en connaître immédiatement le contenu.
Résumé anglais
Orpheus and the Christians, I : Orpheus, from foil to prefiguration of Christ
Ever since the 6th century B.C., legend describes Orpheus, the cither-player who seduces wild beasts, trees, and even stones; the desperate lover who descends in the underworld to bring back Eurydice; the poet of pagan gods and initiator of their mysteries. At the end of the 2nd century A.D. this hero of metamorphosis undergoes a most surprising one himself: he becomes a prefiguration of Christ. The Protrepticus of Clement of Alexandria (c.150 - c.215) is the unique work where this mutation fully comes to life. It represents the ideal place to study the renewal of a mythical figure in the midst of a religious polemic. The first volume of Orpheus and the Christians, begins with a description of the historical, cultural and spiritual contexts to which the Protrepticus belongs, and with a definition of the “protreptical” (exhortation) genre that establish the framework of Orpheus’s transformation. In the heart of the controversy between Christians and pagans, Clement of Alexandria exhorts the Greeks to embrace the new religion presented as the only road recommended by and leading to the Logos. To achieve this, he adopts a well-defined method, which consists of using familiar images and vocabulary taken from pagan traditions. After a thorough critique, in which he goes through them with a fine toothed comb, he Christianises them little by little in order to convey the principles of his religion and exalt its major figures. Notions of song, Word and mystery thus enable him to bring Orpheus and Christ side by side. The first volume of Orpheus and the Christians [Orpheus, from foil to prefiguration of Christ] shows how, basing himself on these notions, Clement of Alexandria elaborates a portrait of Orpheus as the exact foil of Christ, before representing the latter under sublimed orphic traits and “converting” Orpheus himself: the poet of the gods lifts his song to the only God. Through a thorough examination of the polemical stakes at work in this Christian appropriation of the pagan cantor, this book belongs not only to the Literary Criticism of myths, their genesis and interpretation, but also to the History of Religions and Philosophy.
Dans le Protreptique, Clément d'Alexandrie dépeint le Christ comme un nouvel Orphée et transforme... more Dans le Protreptique, Clément d'Alexandrie dépeint le Christ comme un nouvel Orphée et transforme par là le chantre thrace en préfiguration de son Seigneur. Sa démarche est unique : de tous les auteurs chrétiens du début de notre ère, il est le seul à proposer un tel rapprochement, et ce afin d'inviter les païens à embrasser la religion nouvelle. Ses pairs ne manquent pourtant pas de citer Orphée et les poèmes qui lui sont attribués. Quels buts poursuivent-ils ? C'est à cette question que le deuxième tome d'Orphée et les Chrétiens tente de répondre. Il examine pour cela systématiquement comment les auteurs chrétiens des cinq premiers siècles traitent du personnage et de son œuvre. Se dégagent ainsi trois attitudes polémiques non exclusives : pour les uns, il s'agit de s'attaquer directement au poète et à ses vers en vue de dénoncer le paganisme et ses émules hétérodoxes ; pour d'autres, au contraire, de les mettre en valeur, mais toujours afin de discréditer les traditions grecques ; pour un dernier groupe, enfin, de les présenter comme de véritables modèles qui chantent en accord avec le message biblique autant qu'avec la pensée « droite ». L'ouvrage montre la manière dont les textes chrétiens associent ces trois attitudes et interroge les raisons du choix d'Orphée, plutôt que d'un autre poète théologien, à la fois comme cible privilégiée des invectives contre le paganisme et comme modèle idéal de conversion.
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Résumé anglais
Summary. Orpheus and the Christians, Volume II. Why Orpheus? The reception of the myth of Orpheus in Greek Christian literature of the first five centuries
In his Protrepticus, Clement of Alexandria depicts Christ as a new Orpheus. In doing so, he transforms the Thracian singer into a prefiguration of his Lord. His approach is unique: among all Christian authors of the first centuries, he is the only one to suggest such an association, his aim being to invite the pagans to embrace the new religion. His fellow Christians, however, do also mention Orpheus and the poems ascribed to him. What are their objectives? The second volume of Orpheus and the Christians seeks to answer this question. The book offers a systematic examination of the ways in which Christian authors of the first five centuries deal with Orpheus, his writings and religious foundations. Three polemical attitudes, which are not mutually exclusive, emerge: for some, the goal is to attack the poet and his verses directly in order to denounce paganism and its followers, the heterodoxes; others, on the contrary, point out certain of their merits, but also with a view to discrediting Greek traditions; finally, the last group presents them as real models which “sing” in agreement with the biblical message and with the “right” (i. e. orthodox) thought. The book shows how the Christian texts associate these three attitudes and explores the reasons why Orpheus, rather than another theologian poet, is chosen to represent, on the one hand, the perfect target for the attacks against paganism, and, on the other hand, the best model of conversion.
Papers by Fabienne Jourdan
JOURDAN
The theological use of Numenius by Eusebius of Caesarea: a way of getting a better knowledge of N... more The theological use of Numenius by Eusebius of Caesarea: a way of getting a better knowledge of Numenius, even when Eusebius remains silent
Eusebius of Caesarea is an excellent source about many Ancient Greek philosophers: often, he is the only one who passes on some fragments of their writings. Less obvious: his silences themselves convey some pieces of information or support some intuitions on their teaching. The way he uses Numenius is quite convincing in that respect. Eusebius develops his theology about two aspects of the Logos by borrowing from Numenius the two aspects the latter attributes to the second God of his own theology (19 F = fr. 11 dP). However, when he goes through the Platonic writings in search of a third God he could identify with the Holy Spirit, he makes a synthesis based on Plotin’s interpretation of the (Pseudo-Platonic) Letter II. He does not name Numenius. If this Pythagoreanising Platonist had himself identified the third God of his theology with the World Soul, the Christian would certainly have quoted him: on the one hand, he views the World Soul as a Platonic equivalent to the Holy Spirit; on the other hand, he is used to quoting Numenius as one of the best exegetes of Plato due to his alleged affinities with Moses. The fact that he does not turn to him to support his Trinitarian theology suggests that actually Numenius did not identify the third God of his doctrine with the World Soul. This observation is not modified whether this third God is viewed as the second aspect of the second God (19 F = fr. 11 dP) or as the World itself (30 T = fr. 21 dP, from Proclus). Eusebius being silent on the latter identification could even suggest that Numenius introduced it in a certain context. Eusebius could only have disapproved of it and preferred to ignore it. His rejection of a similar identification by Porphyry (Eus. PE VII 10, 3-4) suggests this possibility. It leads one to envisage a disapproving silence on Numenius’ view. Therefore, it would e silentio and a contrario confirm the validity of Proclus’ testimony (30 T = fr. 21 dP).
Numénius se voit souvent attribuer une théologie triadique. Cette présentation de sa pensée doit ... more Numénius se voit souvent attribuer une théologie triadique. Cette présentation de sa pensée doit être précisée. Dans le fragment 19 F, il nomme trois dieux, mais le troisième s’avère être le second aspect du deuxième. Dans les témoignages, il évoque un troisième intellect (30 T = Proclus, In Tim. III 103, 28-32 D.) et un troisième dieu identifié au monde (29 T = Proclus, In Tim. I 303, 27-304, 5 D.). Le troisième intellect de 30 T semble devoir être identifié au troisième dieu en tant que second aspect du deuxième nommé en 19 F. En revanche, le troisième dieu de 29 T ne leur est pas réductible. Il correspond selon nous réellement au monde engendré et divin au sens où, comme dans le Timée, il est pourvu d’une âme rationnelle en laquelle loge un intellect, source de toute divinité. Tel serait le troisième dieu de Numénius, ontologiquement distinct du deuxième. Cette définition empêche d’en faire un troisième principe à l’origine du monde. Une preuve paradoxale de cette interprétation est donnée par les chrétiens : lorsqu’ils cherchent à montrer l’existence, dans le platonisme, d’une triade divine comparable à la Trinité, ils ne citent pas Numénius. Cyrille l’utilise pour expliciter la relation entre le Père et le Fils (CJ III 35 / 23 F). Mais lorsqu’il veut trouver chez lui des affirmations trinitaires, il réécrit son texte (CJ VIII 29 / 19 F). Il n’est pas étonnant qu’Eusèbe ait préféré Plotin, relu par Porphyre, pour trouver un équivalent de la Trinité dans une triade platonicienne. Ainsi, Numénius nomme effectivement trois dieux. Mais l’identité du troisième doit être précisée selon le contexte de son discours et il ne peut être considéré comme troisième principe. Numénius maintient une place pour un troisième dieu par fidélité au pythagorisme qu’il prête à Socrate, qu’il lit dans le Timée et retrouve dans la Théogonie d’Hésiode interprétée à la lumière du Cratyle. Il tient en revanche à une dualité de principes divins, peut-être par attachement à un pythagorisme plus ancien qu’il estime plus authentique que celui de ses prédécesseurs et contemporains.
Jourdan
Introduction : Aborder la question des migrations discursives à l’aune des œuvres de l’Antiquité ... more Introduction : Aborder la question des migrations discursives à l’aune des œuvres de l’Antiquité est un exercice qui permet non seulement de montrer le dialogue entre des sources que l’on croit parfois refermées sur leurs propres traditions, mais aussi d’interroger plus avant les modalités de ce dialogue. Dans cette perspective, le philosophe du IIe siècle après J.-C. Numénius d’Apamée offre un terrain d’observation privilégié. Platonicien pythagorisant d’origine syrienne, il est entre autres connu pour avoir dit que Platon n’était autre que Moïse parlant l’attique . Le fragment dans lequel il suggère une comparaison entre son interprétation de Platon, uni à Pythagore, et les traditions religieuses que nous qualifions couramment d’orientales est placé en tête de l’édition actuelle de ses fragments (fr. 1 dP = 10 F) . À eux seuls , ces deux éléments suffisent à faire de son œuvre le lieu idéal pour aborder la question à l’étude que nous pourrions alors préciser en parlant plus précisément d’interactions, d’influences et de transferts culturels. A cette fin, l’analyse commencera par le fragment évoqué où Numénius expose son projet d’illustrer sa lecture de Platon par les traditions religieuses des peuples non grecs qu’il estime en accord avec elle. Il sera ensuite possible de dégager comment il réalise concrètement cette illustration. A partir de là pourra être engagée une réflexion plus théorique sur les notions en jeu, de façon à découvrir si une démarche caractéristique de la pensée grecque ancienne ne pourrait pas mieux décrire le processus à l’œuvre.
Summary
The adjective ὁμοούσιος and a new elaboration of the notion it conveys thanks to Numenius... more Summary
The adjective ὁμοούσιος and a new elaboration of the notion it conveys thanks to Numenius — Eusebius of Caesarea, PE XI 22
In his assertion of the agreement between Plato and Moses on Monotheism, in PE XI 21, 6-7, Eusebius eventually condemns philosophical Polytheism by using the adjective ὁμοούσιος in a very problematical way (PE XI 21, 6). The rejection of the notion it conveys about the Good (identified to God) and what comes from it produces a double difficulty: the understanding of this rejection itself, although Eusebius will accept the word ὁμοούσιος after the Council of Nicaea to refer to the relation between the Father and the Son ; and the apparent calling into question of the divinity of the Son produced notably by this rejection, when Eusebius’ discourse is considered from a theological point of view. A first paper showed how this theological double difficulty finds a first and partial solution by recalling the meaning of the adjective ὁμοούσιος at the time of Eusebius and how he used it in his writings. However, the condemnation of philosophical Polytheism apparently remains applicable to the Son. This second paper reveals how the aporia is solved thanks to the quotation of four extracts from Numenius in the following chapter (PE XI 22): not only fragment 16 (24 F) is used to justify the attribution of a different οὐσία to the Good (God) and to what comes from it (notably the Son); but by quoting fragments 2 (11 F), 19 (27 F) and 20 (28 F) and thanks to the discourse on the participation of the Good one (the demiurge) to the Good itself, Eusebius in PE XI 21, 7, can make his speech clearer and consequently eliminate the theological contradictions. Thus, he can also implicitly define the relation between the Father and the Son in terms that will lead to the meaning of ὁμοούσιος he will find acceptable. So, far from being used only to illustrate an interpretation given from the start, the quotation from Numénius enables Eusebius to amend a discourse whose theological consequences could be suspicious and, even better, to implicitly elaborate what to him is a truly Christian theology.
Résumé
L’adjectif ὁμοούσιος et la réélaboration de la notion qu’il contient grâce à Numénius —
Eusèbe de Césarée, PE XI 22
Dans son affirmation de l’accord entre Platon et Moïse sur le monothéisme, en PE XI 21, 6-7, Eusèbe en vient à dénoncer le polythéisme philosophique en faisant un emploi fort problématique de l’adjectif ὁμοούσιος. Le rejet de la notion qu’il véhicule à propos du Bien (identifié à Dieu) et de ce qui provient de lui crée une double difficulté : la compréhension de ce refus lui-même, alors qu’Eusèbe acceptera le terme ὁμοούσιος après Nicée pour évoquer la relation entre le Père et le Fils ; la remise en cause apparente de la divinité du Fils provoquée notamment par ce rejet, lorsque le discours d’Eusèbe est envisagé d’un point de vue théologique. Un premier article a montré comment cette double difficulté se résout en partie grâce à la précision du sens pris par l’adjectif ὁμοούσιος à l’époque d’Eusèbe et chez Eusèbe. Mais la dénonciation du polythéisme philosophique n’en demeure apparemment pas moins applicable au Fils. Ce second article découvre comment l’aporie est résolue grâce à la citation de quatre extraits de Numénius dans le chapitre suivant (PE XI 22) : non seulement le fragment 16 (24 F) sert à justifier l’attribution d’une οὐσία distincte au Bien (Dieu) et à ce qui provient de lui (notamment son Fils) ; mais la citation des fragment 2 (11 F), 19 (27 F) et 20 (28 F), grâce au propos tenu sur la participation au Bien de celui qu’il est possible de considérer comme le « Bon » (le démiurge), permet à Eusèbe de préciser son discours et par suite d’en éliminer les contradictions théologiques en PE XI 21, 7. Elle contribue alors à définir implicitement la relation qui unit le Père et le Fils en des termes qui conduiront au sens de l’adjectif ὁμοούσιος qu’il estimera licite. Loin de servir uniquement à illustrer un propos d’emblée déterminé, la citation de Numénius permet ainsi à Eusèbe de corriger un discours aux conséquences théologiques suspectes ; mieux : d’élaborer de manière sous-jacente une théologie selon lui réellement chrétienne.
Summary
A skillful appropriation of Numenius: Eusebius of Caesarea and his critical use of the ... more Summary
A skillful appropriation of Numenius: Eusebius of Caesarea and his critical use of the adjective ὁμοούσιος in the Preparation for the Gospel (PE), XI 21-22
First paper
Monotheism and the critical use of the adjective ὁμοούσιος: Eusebius, reader of Plato through Numenius (PE XI 21)
In PE XI 21, Eusebius quotes a series of Plato’s texts in order to prove the agreement between the philosopher and Moses about the definition of the Good identified to God. These quotations are paraphrased to assert the agreement between Plato and the Hebrews about Monotheism, while condemning philosophical Polytheism. Now, in this criticism, Eusebius uses the word ὁμοούσιος in a very problematical way (PE XI 21, 6). The rejection of the notion it conveys about the Good (identified to God) and what comes from it produces a double difficulty: the understanding of this rejection itself, although Eusebius will accept the word ὁμοούσιος after the Council of Nicaea to refer to the relation between the Father and the Son ; and the apparent calling into question of the divinity of the Son produced notably by this rejection, when Eusebius’ discourse is considered from a theological point of view. In his paraphrase of Plato, Eusebius appropriates in advance the contents of Numenius’ four fragments he quotes in the following chapter (PE XI 22). This first paper shows what his paraphrase owes to these fragments and how the theological double difficulty finds a first solution by recalling the meaning of the adjective ὁμοούσιος at the time of Eusebius and how he used it in his writings.
Résumé
Une appropriation habile de Numénius : Eusèbe de Césarée et son emploi critique de l’adjectif ὁμοούσιος en PE XI 21-22
Premier article
Monothéisme et emploi critique de l’adjectif ὁμοούσιος : Eusèbe, lecteur de Platon via Numénius (PE XI 21)
En PE XI 21, Eusèbe produit une série de citations de Platon visant à convaincre de l’accord du philosophe avec Moïse sur la définition du Bien identifié à Dieu. Ces citations donnent lieu à une paraphrase affirmant l’accord de Platon et des Hébreux sur le monothéisme, tout en dénonçant le polythéisme philosophique. Or, dans cette critique, Eusèbe a un emploi fort problématique du terme ὁμοούσιος (PE XI 21 6). Le rejet de la notion qu’il véhicule à propos du Bien (identifié à Dieu) et de ce qui provient de lui crée une double difficulté : la compréhension de ce refus lui-même, alors qu’Eusèbe acceptera le terme ὁμοούσιος après Nicée pour évoquer la relation entre le Père et le Fils ; la remise en cause apparente de la divinité du Fils provoquée notamment par ce rejet lorsque le discours d’Eusèbe est envisagé d’un point de vue théologique. Dans sa paraphrase de Platon, Eusèbe s’approprie par avance le propos des quatre fragments de Numénius qu’il cite au chapitre suivant (PE XI 22). Ce premier article montre ce que sa paraphrase doit à ces fragments et comment la double difficulté théologique trouve une première solution grâce à un rappel du sens pris par l’adjectif ὁμοούσιος à l’époque d’Eusèbe et chez Eusèbe lui-même.
Summary: Numenius and the Jewish traditions: the confrontation between Moses, Jannes and Jambre... more Summary: Numenius and the Jewish traditions: the confrontation between Moses, Jannes and Jambres (Num. 18 F = fr. 9 dP)
In the only surviving fragment from the third Book of the Περὶ τἀγαθοῦ, Numenius reports an unknown version of the confrontation between Moses and the magicians of Pharao: He names them Jannes and Jambres and describes them as two scribes and magicians elected by the Egyptian crowd as only ones to be able to suppress the scourges introduced by the priest of the Jews in Egypt. The story is surprising because of its differences when compared with the Old Testament: in The Book of Exodus, neither of the magicians is named; they are not elected by the crowd and the plagues sent by God through Moses eventually win over Pharao. Furthermore, in the Bible, Moses is no more named Musaeus than Exodus itself is seen as the expulsion of the Jews from Egypt. This paper aims at explaining these differences by tracing the Jewish, Greek and Egyptian sources from which Numenius’ story could come. To this effect, it also deals with Numenius’ goal. The first transmitted fragment from the Περὶ τἀγαθοῦ (10 F = fr. 1 dP) announces the project of illustrating Numenius’ interpretation of Plato associated with Pythagoras through the traditions of the people who have venerable religions. The fragment from the third book obviously implements this program. To this end, Numenius probably borrows the story from Chaeremon and uses the notion of Magic as the sensible manifestation of a Theology which can be compared to Plato’s one as Numenius interprets it. Eusebius ignores Numenius' interpretation of the story. He exalts the mention of Moses’ piety he perceives in the text. The paper aims to explore this Christian reception of the text by Origen and Eusebius.
Résumé
Dans l’unique fragment parvenu du Livre III du Περὶ τἀγαθοῦ, Numénius rapporte une version inédite de la confrontation entre Moïse et les magiciens du Pharaon : il y nomme ces derniers Jannès et Jambrès et les présente comme deux scribes et magiciens élus par la foule comme les seuls à pouvoir désamorcer les fléaux introduits en Égypte par le prêtre des Juifs. Le récit étonne par sa disparité eu égard à celui de l’Ancien Testament : les deux magiciens ne sont pas nommés dans l’Exode, ils n’y sont pas choisis par la foule et les plaies envoyées par Dieu par l’intermédiaire de Moïse finissent par y emporter la conviction du Pharaon ; Moïse n’y est en outre pas davantage nommé Musée que l’Exode lui-même n’est décrit comme une expulsion des Juifs. L’article tend à expliciter ces écarts, en recherchant les sources, juives, grecques et égyptiennes, d’où peut provenir le récit de Numénius. À cette fin, il interroge aussi le but visé par Numénius. Le premier fragment parvenu du Περὶ τἀγαθοῦ 10 F (fr. 1 dP) annonce le projet d’une illustration, par les traditions des peuples aux religions vénérables, de l’interprétation que Numénius donne de Platon uni à Pythagore. Le fragment met ce programme en œuvre. A cette fin, il emprunte sans doute à Chaerémon et utilise la notion de magie comme manifestation sensible d’une théologie pouvant être mise en parallèle avec celle que Numénius prête à Platon. Eusèbe occulte la lecture que Numénius veut faire du récit. Il exalte la mention de la piété de Moïse qu’il y perçoit. L’article explore cette réception chrétienne du récit chez Origène et chez Eusèbe.
Résumé
Eusèbe de Césarée représente une source excellente concernant nombre de philosophes grecs ... more Résumé
Eusèbe de Césarée représente une source excellente concernant nombre de philosophes grecs dont il est le seul à transmettre des fragments. Moins apparent, sans doute, est le fait que ses silences eux-mêmes, lorsqu’il utilise ces auteurs, véhiculent parfois des informations ou étayent certaines intuitions sur leur enseignement. La manière dont il recourt à Numénius en convainc. Eusèbe élabore sa propre théologie d’un Logos aux deux aspects en empruntant aux deux aspects que Numénius attribue lui-même à son deuxième dieu (19 F = fr. 11 dP). Lorsqu’en revanche, il cherche chez les platoniciens un troisième dieu à identifier au Saint Esprit, il opère une synthèse à partir de l’interprétation plotinienne de la Lettre II, Numénius servant peut-être simplement d’appoint non nommé à son discours. Si ce platonicien pythagorisant avait lui-même identifié son troisième dieu à l’âme du monde, qu’Eusèbe considère comme un équivalent platonicien de l’Esprit, le chrétien aurait sans doute recouru à lui, étant donné qu’il a coutume de le citer comme l’un des meilleurs interprètes de Platon étant donné ses affinités prétendues avec Moïse. Le fait qu’il ne recourt pas à Numénius qui lui aurait été si utile pour étayer sa doctrine trinitaire suggère que celui-ci n’a réellement pas identifié son troisième dieu à l’âme du monde, que ce troisième dieu soit envisagé par lui comme le second aspect du deuxième, ainsi que le décrit le fragment 19 F (fr. 11 dP), ou comme le monde lui-même, d’après ce que rapporte Proclus (30 T = fr. 21 dP). Le silence d’Eusèbe sur ce dernier point — silence cette fois peut-être moins déçu que désapprobateur — donnerait même à penser que Numénius a effectivement identifié son troisième dieu au monde, identification qu’Eusèbe ne pouvait que réprouver et donc préférer occulter, comme le suggère son rejet de pareille interprétation chez Porphyre en PE VII 10, 3-4.
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BOOKS by Fabienne Jourdan
Séries d'articles sur les représentations du mal dans la philosophie et la religion jusqu'au Veme siècle après J.-C. avec ouverture sur le Coran. Voir l'introduction au volume jointe
Après une étude de la littérature et de la pseudépigraphie judéo-hellénistique dans laquelle s’inscrit le poème, Fabienne Jourdan analyse sa réception chrétienne et tente de reconstruire les différentes étapes de sa composition et transmission. Elle propose ensuite une traduction et un commentaire détaillé de chacune de ses rédactions successives.
Le premier volume est consacré à la manière dont Clément d'Alexandrie, dans le Protreptique, fait advenir en Orphée un préfigurateur du Christ. Le second analyse plus généralement le traitement du personnage chez tous les auteurs chrétiens de la période considérée en vue d'offrir d'une part un tableau synthétique des usages polémiques d'Orphée et d'évaluer d'autre part les enjeux du recours à cette figure mythologique, tant chez les païens que chez les Chrétiens. L'analyse de la réception d'Orphée dans la tradition juive a quant à elle déjà fait l'objet d'un examen spécifique dans Le poème judéo-hellénistique attribué à Orphée, publié par le même auteur aux Belles Lettres en 2010. Le livre comporte enfin une série d'annexes (réparties dans les deux volumes), une riche bibliographie et des index scripturaire, textuels et thématiques. La table des matière, par sa minutie, permet de se répérer aisément dans ce vaste ouvrage et les résumés qui figurent en fin de chaque section et chapitre permettent au lecteur pressé d'en connaître immédiatement le contenu.
Résumé anglais
Orpheus and the Christians, I : Orpheus, from foil to prefiguration of Christ
Ever since the 6th century B.C., legend describes Orpheus, the cither-player who seduces wild beasts, trees, and even stones; the desperate lover who descends in the underworld to bring back Eurydice; the poet of pagan gods and initiator of their mysteries. At the end of the 2nd century A.D. this hero of metamorphosis undergoes a most surprising one himself: he becomes a prefiguration of Christ. The Protrepticus of Clement of Alexandria (c.150 - c.215) is the unique work where this mutation fully comes to life. It represents the ideal place to study the renewal of a mythical figure in the midst of a religious polemic. The first volume of Orpheus and the Christians, begins with a description of the historical, cultural and spiritual contexts to which the Protrepticus belongs, and with a definition of the “protreptical” (exhortation) genre that establish the framework of Orpheus’s transformation. In the heart of the controversy between Christians and pagans, Clement of Alexandria exhorts the Greeks to embrace the new religion presented as the only road recommended by and leading to the Logos. To achieve this, he adopts a well-defined method, which consists of using familiar images and vocabulary taken from pagan traditions. After a thorough critique, in which he goes through them with a fine toothed comb, he Christianises them little by little in order to convey the principles of his religion and exalt its major figures. Notions of song, Word and mystery thus enable him to bring Orpheus and Christ side by side. The first volume of Orpheus and the Christians [Orpheus, from foil to prefiguration of Christ] shows how, basing himself on these notions, Clement of Alexandria elaborates a portrait of Orpheus as the exact foil of Christ, before representing the latter under sublimed orphic traits and “converting” Orpheus himself: the poet of the gods lifts his song to the only God. Through a thorough examination of the polemical stakes at work in this Christian appropriation of the pagan cantor, this book belongs not only to the Literary Criticism of myths, their genesis and interpretation, but also to the History of Religions and Philosophy.
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Résumé anglais
Summary. Orpheus and the Christians, Volume II. Why Orpheus? The reception of the myth of Orpheus in Greek Christian literature of the first five centuries
In his Protrepticus, Clement of Alexandria depicts Christ as a new Orpheus. In doing so, he transforms the Thracian singer into a prefiguration of his Lord. His approach is unique: among all Christian authors of the first centuries, he is the only one to suggest such an association, his aim being to invite the pagans to embrace the new religion. His fellow Christians, however, do also mention Orpheus and the poems ascribed to him. What are their objectives? The second volume of Orpheus and the Christians seeks to answer this question. The book offers a systematic examination of the ways in which Christian authors of the first five centuries deal with Orpheus, his writings and religious foundations. Three polemical attitudes, which are not mutually exclusive, emerge: for some, the goal is to attack the poet and his verses directly in order to denounce paganism and its followers, the heterodoxes; others, on the contrary, point out certain of their merits, but also with a view to discrediting Greek traditions; finally, the last group presents them as real models which “sing” in agreement with the biblical message and with the “right” (i. e. orthodox) thought. The book shows how the Christian texts associate these three attitudes and explores the reasons why Orpheus, rather than another theologian poet, is chosen to represent, on the one hand, the perfect target for the attacks against paganism, and, on the other hand, the best model of conversion.
Papers by Fabienne Jourdan
Eusebius of Caesarea is an excellent source about many Ancient Greek philosophers: often, he is the only one who passes on some fragments of their writings. Less obvious: his silences themselves convey some pieces of information or support some intuitions on their teaching. The way he uses Numenius is quite convincing in that respect. Eusebius develops his theology about two aspects of the Logos by borrowing from Numenius the two aspects the latter attributes to the second God of his own theology (19 F = fr. 11 dP). However, when he goes through the Platonic writings in search of a third God he could identify with the Holy Spirit, he makes a synthesis based on Plotin’s interpretation of the (Pseudo-Platonic) Letter II. He does not name Numenius. If this Pythagoreanising Platonist had himself identified the third God of his theology with the World Soul, the Christian would certainly have quoted him: on the one hand, he views the World Soul as a Platonic equivalent to the Holy Spirit; on the other hand, he is used to quoting Numenius as one of the best exegetes of Plato due to his alleged affinities with Moses. The fact that he does not turn to him to support his Trinitarian theology suggests that actually Numenius did not identify the third God of his doctrine with the World Soul. This observation is not modified whether this third God is viewed as the second aspect of the second God (19 F = fr. 11 dP) or as the World itself (30 T = fr. 21 dP, from Proclus). Eusebius being silent on the latter identification could even suggest that Numenius introduced it in a certain context. Eusebius could only have disapproved of it and preferred to ignore it. His rejection of a similar identification by Porphyry (Eus. PE VII 10, 3-4) suggests this possibility. It leads one to envisage a disapproving silence on Numenius’ view. Therefore, it would e silentio and a contrario confirm the validity of Proclus’ testimony (30 T = fr. 21 dP).
The adjective ὁμοούσιος and a new elaboration of the notion it conveys thanks to Numenius — Eusebius of Caesarea, PE XI 22
In his assertion of the agreement between Plato and Moses on Monotheism, in PE XI 21, 6-7, Eusebius eventually condemns philosophical Polytheism by using the adjective ὁμοούσιος in a very problematical way (PE XI 21, 6). The rejection of the notion it conveys about the Good (identified to God) and what comes from it produces a double difficulty: the understanding of this rejection itself, although Eusebius will accept the word ὁμοούσιος after the Council of Nicaea to refer to the relation between the Father and the Son ; and the apparent calling into question of the divinity of the Son produced notably by this rejection, when Eusebius’ discourse is considered from a theological point of view. A first paper showed how this theological double difficulty finds a first and partial solution by recalling the meaning of the adjective ὁμοούσιος at the time of Eusebius and how he used it in his writings. However, the condemnation of philosophical Polytheism apparently remains applicable to the Son. This second paper reveals how the aporia is solved thanks to the quotation of four extracts from Numenius in the following chapter (PE XI 22): not only fragment 16 (24 F) is used to justify the attribution of a different οὐσία to the Good (God) and to what comes from it (notably the Son); but by quoting fragments 2 (11 F), 19 (27 F) and 20 (28 F) and thanks to the discourse on the participation of the Good one (the demiurge) to the Good itself, Eusebius in PE XI 21, 7, can make his speech clearer and consequently eliminate the theological contradictions. Thus, he can also implicitly define the relation between the Father and the Son in terms that will lead to the meaning of ὁμοούσιος he will find acceptable. So, far from being used only to illustrate an interpretation given from the start, the quotation from Numénius enables Eusebius to amend a discourse whose theological consequences could be suspicious and, even better, to implicitly elaborate what to him is a truly Christian theology.
Résumé
L’adjectif ὁμοούσιος et la réélaboration de la notion qu’il contient grâce à Numénius —
Eusèbe de Césarée, PE XI 22
Dans son affirmation de l’accord entre Platon et Moïse sur le monothéisme, en PE XI 21, 6-7, Eusèbe en vient à dénoncer le polythéisme philosophique en faisant un emploi fort problématique de l’adjectif ὁμοούσιος. Le rejet de la notion qu’il véhicule à propos du Bien (identifié à Dieu) et de ce qui provient de lui crée une double difficulté : la compréhension de ce refus lui-même, alors qu’Eusèbe acceptera le terme ὁμοούσιος après Nicée pour évoquer la relation entre le Père et le Fils ; la remise en cause apparente de la divinité du Fils provoquée notamment par ce rejet, lorsque le discours d’Eusèbe est envisagé d’un point de vue théologique. Un premier article a montré comment cette double difficulté se résout en partie grâce à la précision du sens pris par l’adjectif ὁμοούσιος à l’époque d’Eusèbe et chez Eusèbe. Mais la dénonciation du polythéisme philosophique n’en demeure apparemment pas moins applicable au Fils. Ce second article découvre comment l’aporie est résolue grâce à la citation de quatre extraits de Numénius dans le chapitre suivant (PE XI 22) : non seulement le fragment 16 (24 F) sert à justifier l’attribution d’une οὐσία distincte au Bien (Dieu) et à ce qui provient de lui (notamment son Fils) ; mais la citation des fragment 2 (11 F), 19 (27 F) et 20 (28 F), grâce au propos tenu sur la participation au Bien de celui qu’il est possible de considérer comme le « Bon » (le démiurge), permet à Eusèbe de préciser son discours et par suite d’en éliminer les contradictions théologiques en PE XI 21, 7. Elle contribue alors à définir implicitement la relation qui unit le Père et le Fils en des termes qui conduiront au sens de l’adjectif ὁμοούσιος qu’il estimera licite. Loin de servir uniquement à illustrer un propos d’emblée déterminé, la citation de Numénius permet ainsi à Eusèbe de corriger un discours aux conséquences théologiques suspectes ; mieux : d’élaborer de manière sous-jacente une théologie selon lui réellement chrétienne.
A skillful appropriation of Numenius: Eusebius of Caesarea and his critical use of the adjective ὁμοούσιος in the Preparation for the Gospel (PE), XI 21-22
First paper
Monotheism and the critical use of the adjective ὁμοούσιος: Eusebius, reader of Plato through Numenius (PE XI 21)
In PE XI 21, Eusebius quotes a series of Plato’s texts in order to prove the agreement between the philosopher and Moses about the definition of the Good identified to God. These quotations are paraphrased to assert the agreement between Plato and the Hebrews about Monotheism, while condemning philosophical Polytheism. Now, in this criticism, Eusebius uses the word ὁμοούσιος in a very problematical way (PE XI 21, 6). The rejection of the notion it conveys about the Good (identified to God) and what comes from it produces a double difficulty: the understanding of this rejection itself, although Eusebius will accept the word ὁμοούσιος after the Council of Nicaea to refer to the relation between the Father and the Son ; and the apparent calling into question of the divinity of the Son produced notably by this rejection, when Eusebius’ discourse is considered from a theological point of view. In his paraphrase of Plato, Eusebius appropriates in advance the contents of Numenius’ four fragments he quotes in the following chapter (PE XI 22). This first paper shows what his paraphrase owes to these fragments and how the theological double difficulty finds a first solution by recalling the meaning of the adjective ὁμοούσιος at the time of Eusebius and how he used it in his writings.
Résumé
Une appropriation habile de Numénius : Eusèbe de Césarée et son emploi critique de l’adjectif ὁμοούσιος en PE XI 21-22
Premier article
Monothéisme et emploi critique de l’adjectif ὁμοούσιος : Eusèbe, lecteur de Platon via Numénius (PE XI 21)
En PE XI 21, Eusèbe produit une série de citations de Platon visant à convaincre de l’accord du philosophe avec Moïse sur la définition du Bien identifié à Dieu. Ces citations donnent lieu à une paraphrase affirmant l’accord de Platon et des Hébreux sur le monothéisme, tout en dénonçant le polythéisme philosophique. Or, dans cette critique, Eusèbe a un emploi fort problématique du terme ὁμοούσιος (PE XI 21 6). Le rejet de la notion qu’il véhicule à propos du Bien (identifié à Dieu) et de ce qui provient de lui crée une double difficulté : la compréhension de ce refus lui-même, alors qu’Eusèbe acceptera le terme ὁμοούσιος après Nicée pour évoquer la relation entre le Père et le Fils ; la remise en cause apparente de la divinité du Fils provoquée notamment par ce rejet lorsque le discours d’Eusèbe est envisagé d’un point de vue théologique. Dans sa paraphrase de Platon, Eusèbe s’approprie par avance le propos des quatre fragments de Numénius qu’il cite au chapitre suivant (PE XI 22). Ce premier article montre ce que sa paraphrase doit à ces fragments et comment la double difficulté théologique trouve une première solution grâce à un rappel du sens pris par l’adjectif ὁμοούσιος à l’époque d’Eusèbe et chez Eusèbe lui-même.
In the only surviving fragment from the third Book of the Περὶ τἀγαθοῦ, Numenius reports an unknown version of the confrontation between Moses and the magicians of Pharao: He names them Jannes and Jambres and describes them as two scribes and magicians elected by the Egyptian crowd as only ones to be able to suppress the scourges introduced by the priest of the Jews in Egypt. The story is surprising because of its differences when compared with the Old Testament: in The Book of Exodus, neither of the magicians is named; they are not elected by the crowd and the plagues sent by God through Moses eventually win over Pharao. Furthermore, in the Bible, Moses is no more named Musaeus than Exodus itself is seen as the expulsion of the Jews from Egypt. This paper aims at explaining these differences by tracing the Jewish, Greek and Egyptian sources from which Numenius’ story could come. To this effect, it also deals with Numenius’ goal. The first transmitted fragment from the Περὶ τἀγαθοῦ (10 F = fr. 1 dP) announces the project of illustrating Numenius’ interpretation of Plato associated with Pythagoras through the traditions of the people who have venerable religions. The fragment from the third book obviously implements this program. To this end, Numenius probably borrows the story from Chaeremon and uses the notion of Magic as the sensible manifestation of a Theology which can be compared to Plato’s one as Numenius interprets it. Eusebius ignores Numenius' interpretation of the story. He exalts the mention of Moses’ piety he perceives in the text. The paper aims to explore this Christian reception of the text by Origen and Eusebius.
Résumé
Dans l’unique fragment parvenu du Livre III du Περὶ τἀγαθοῦ, Numénius rapporte une version inédite de la confrontation entre Moïse et les magiciens du Pharaon : il y nomme ces derniers Jannès et Jambrès et les présente comme deux scribes et magiciens élus par la foule comme les seuls à pouvoir désamorcer les fléaux introduits en Égypte par le prêtre des Juifs. Le récit étonne par sa disparité eu égard à celui de l’Ancien Testament : les deux magiciens ne sont pas nommés dans l’Exode, ils n’y sont pas choisis par la foule et les plaies envoyées par Dieu par l’intermédiaire de Moïse finissent par y emporter la conviction du Pharaon ; Moïse n’y est en outre pas davantage nommé Musée que l’Exode lui-même n’est décrit comme une expulsion des Juifs. L’article tend à expliciter ces écarts, en recherchant les sources, juives, grecques et égyptiennes, d’où peut provenir le récit de Numénius. À cette fin, il interroge aussi le but visé par Numénius. Le premier fragment parvenu du Περὶ τἀγαθοῦ 10 F (fr. 1 dP) annonce le projet d’une illustration, par les traditions des peuples aux religions vénérables, de l’interprétation que Numénius donne de Platon uni à Pythagore. Le fragment met ce programme en œuvre. A cette fin, il emprunte sans doute à Chaerémon et utilise la notion de magie comme manifestation sensible d’une théologie pouvant être mise en parallèle avec celle que Numénius prête à Platon. Eusèbe occulte la lecture que Numénius veut faire du récit. Il exalte la mention de la piété de Moïse qu’il y perçoit. L’article explore cette réception chrétienne du récit chez Origène et chez Eusèbe.
Eusèbe de Césarée représente une source excellente concernant nombre de philosophes grecs dont il est le seul à transmettre des fragments. Moins apparent, sans doute, est le fait que ses silences eux-mêmes, lorsqu’il utilise ces auteurs, véhiculent parfois des informations ou étayent certaines intuitions sur leur enseignement. La manière dont il recourt à Numénius en convainc. Eusèbe élabore sa propre théologie d’un Logos aux deux aspects en empruntant aux deux aspects que Numénius attribue lui-même à son deuxième dieu (19 F = fr. 11 dP). Lorsqu’en revanche, il cherche chez les platoniciens un troisième dieu à identifier au Saint Esprit, il opère une synthèse à partir de l’interprétation plotinienne de la Lettre II, Numénius servant peut-être simplement d’appoint non nommé à son discours. Si ce platonicien pythagorisant avait lui-même identifié son troisième dieu à l’âme du monde, qu’Eusèbe considère comme un équivalent platonicien de l’Esprit, le chrétien aurait sans doute recouru à lui, étant donné qu’il a coutume de le citer comme l’un des meilleurs interprètes de Platon étant donné ses affinités prétendues avec Moïse. Le fait qu’il ne recourt pas à Numénius qui lui aurait été si utile pour étayer sa doctrine trinitaire suggère que celui-ci n’a réellement pas identifié son troisième dieu à l’âme du monde, que ce troisième dieu soit envisagé par lui comme le second aspect du deuxième, ainsi que le décrit le fragment 19 F (fr. 11 dP), ou comme le monde lui-même, d’après ce que rapporte Proclus (30 T = fr. 21 dP). Le silence d’Eusèbe sur ce dernier point — silence cette fois peut-être moins déçu que désapprobateur — donnerait même à penser que Numénius a effectivement identifié son troisième dieu au monde, identification qu’Eusèbe ne pouvait que réprouver et donc préférer occulter, comme le suggère son rejet de pareille interprétation chez Porphyre en PE VII 10, 3-4.
Séries d'articles sur les représentations du mal dans la philosophie et la religion jusqu'au Veme siècle après J.-C. avec ouverture sur le Coran. Voir l'introduction au volume jointe
Après une étude de la littérature et de la pseudépigraphie judéo-hellénistique dans laquelle s’inscrit le poème, Fabienne Jourdan analyse sa réception chrétienne et tente de reconstruire les différentes étapes de sa composition et transmission. Elle propose ensuite une traduction et un commentaire détaillé de chacune de ses rédactions successives.
Le premier volume est consacré à la manière dont Clément d'Alexandrie, dans le Protreptique, fait advenir en Orphée un préfigurateur du Christ. Le second analyse plus généralement le traitement du personnage chez tous les auteurs chrétiens de la période considérée en vue d'offrir d'une part un tableau synthétique des usages polémiques d'Orphée et d'évaluer d'autre part les enjeux du recours à cette figure mythologique, tant chez les païens que chez les Chrétiens. L'analyse de la réception d'Orphée dans la tradition juive a quant à elle déjà fait l'objet d'un examen spécifique dans Le poème judéo-hellénistique attribué à Orphée, publié par le même auteur aux Belles Lettres en 2010. Le livre comporte enfin une série d'annexes (réparties dans les deux volumes), une riche bibliographie et des index scripturaire, textuels et thématiques. La table des matière, par sa minutie, permet de se répérer aisément dans ce vaste ouvrage et les résumés qui figurent en fin de chaque section et chapitre permettent au lecteur pressé d'en connaître immédiatement le contenu.
Résumé anglais
Orpheus and the Christians, I : Orpheus, from foil to prefiguration of Christ
Ever since the 6th century B.C., legend describes Orpheus, the cither-player who seduces wild beasts, trees, and even stones; the desperate lover who descends in the underworld to bring back Eurydice; the poet of pagan gods and initiator of their mysteries. At the end of the 2nd century A.D. this hero of metamorphosis undergoes a most surprising one himself: he becomes a prefiguration of Christ. The Protrepticus of Clement of Alexandria (c.150 - c.215) is the unique work where this mutation fully comes to life. It represents the ideal place to study the renewal of a mythical figure in the midst of a religious polemic. The first volume of Orpheus and the Christians, begins with a description of the historical, cultural and spiritual contexts to which the Protrepticus belongs, and with a definition of the “protreptical” (exhortation) genre that establish the framework of Orpheus’s transformation. In the heart of the controversy between Christians and pagans, Clement of Alexandria exhorts the Greeks to embrace the new religion presented as the only road recommended by and leading to the Logos. To achieve this, he adopts a well-defined method, which consists of using familiar images and vocabulary taken from pagan traditions. After a thorough critique, in which he goes through them with a fine toothed comb, he Christianises them little by little in order to convey the principles of his religion and exalt its major figures. Notions of song, Word and mystery thus enable him to bring Orpheus and Christ side by side. The first volume of Orpheus and the Christians [Orpheus, from foil to prefiguration of Christ] shows how, basing himself on these notions, Clement of Alexandria elaborates a portrait of Orpheus as the exact foil of Christ, before representing the latter under sublimed orphic traits and “converting” Orpheus himself: the poet of the gods lifts his song to the only God. Through a thorough examination of the polemical stakes at work in this Christian appropriation of the pagan cantor, this book belongs not only to the Literary Criticism of myths, their genesis and interpretation, but also to the History of Religions and Philosophy.
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Résumé anglais
Summary. Orpheus and the Christians, Volume II. Why Orpheus? The reception of the myth of Orpheus in Greek Christian literature of the first five centuries
In his Protrepticus, Clement of Alexandria depicts Christ as a new Orpheus. In doing so, he transforms the Thracian singer into a prefiguration of his Lord. His approach is unique: among all Christian authors of the first centuries, he is the only one to suggest such an association, his aim being to invite the pagans to embrace the new religion. His fellow Christians, however, do also mention Orpheus and the poems ascribed to him. What are their objectives? The second volume of Orpheus and the Christians seeks to answer this question. The book offers a systematic examination of the ways in which Christian authors of the first five centuries deal with Orpheus, his writings and religious foundations. Three polemical attitudes, which are not mutually exclusive, emerge: for some, the goal is to attack the poet and his verses directly in order to denounce paganism and its followers, the heterodoxes; others, on the contrary, point out certain of their merits, but also with a view to discrediting Greek traditions; finally, the last group presents them as real models which “sing” in agreement with the biblical message and with the “right” (i. e. orthodox) thought. The book shows how the Christian texts associate these three attitudes and explores the reasons why Orpheus, rather than another theologian poet, is chosen to represent, on the one hand, the perfect target for the attacks against paganism, and, on the other hand, the best model of conversion.
Eusebius of Caesarea is an excellent source about many Ancient Greek philosophers: often, he is the only one who passes on some fragments of their writings. Less obvious: his silences themselves convey some pieces of information or support some intuitions on their teaching. The way he uses Numenius is quite convincing in that respect. Eusebius develops his theology about two aspects of the Logos by borrowing from Numenius the two aspects the latter attributes to the second God of his own theology (19 F = fr. 11 dP). However, when he goes through the Platonic writings in search of a third God he could identify with the Holy Spirit, he makes a synthesis based on Plotin’s interpretation of the (Pseudo-Platonic) Letter II. He does not name Numenius. If this Pythagoreanising Platonist had himself identified the third God of his theology with the World Soul, the Christian would certainly have quoted him: on the one hand, he views the World Soul as a Platonic equivalent to the Holy Spirit; on the other hand, he is used to quoting Numenius as one of the best exegetes of Plato due to his alleged affinities with Moses. The fact that he does not turn to him to support his Trinitarian theology suggests that actually Numenius did not identify the third God of his doctrine with the World Soul. This observation is not modified whether this third God is viewed as the second aspect of the second God (19 F = fr. 11 dP) or as the World itself (30 T = fr. 21 dP, from Proclus). Eusebius being silent on the latter identification could even suggest that Numenius introduced it in a certain context. Eusebius could only have disapproved of it and preferred to ignore it. His rejection of a similar identification by Porphyry (Eus. PE VII 10, 3-4) suggests this possibility. It leads one to envisage a disapproving silence on Numenius’ view. Therefore, it would e silentio and a contrario confirm the validity of Proclus’ testimony (30 T = fr. 21 dP).
The adjective ὁμοούσιος and a new elaboration of the notion it conveys thanks to Numenius — Eusebius of Caesarea, PE XI 22
In his assertion of the agreement between Plato and Moses on Monotheism, in PE XI 21, 6-7, Eusebius eventually condemns philosophical Polytheism by using the adjective ὁμοούσιος in a very problematical way (PE XI 21, 6). The rejection of the notion it conveys about the Good (identified to God) and what comes from it produces a double difficulty: the understanding of this rejection itself, although Eusebius will accept the word ὁμοούσιος after the Council of Nicaea to refer to the relation between the Father and the Son ; and the apparent calling into question of the divinity of the Son produced notably by this rejection, when Eusebius’ discourse is considered from a theological point of view. A first paper showed how this theological double difficulty finds a first and partial solution by recalling the meaning of the adjective ὁμοούσιος at the time of Eusebius and how he used it in his writings. However, the condemnation of philosophical Polytheism apparently remains applicable to the Son. This second paper reveals how the aporia is solved thanks to the quotation of four extracts from Numenius in the following chapter (PE XI 22): not only fragment 16 (24 F) is used to justify the attribution of a different οὐσία to the Good (God) and to what comes from it (notably the Son); but by quoting fragments 2 (11 F), 19 (27 F) and 20 (28 F) and thanks to the discourse on the participation of the Good one (the demiurge) to the Good itself, Eusebius in PE XI 21, 7, can make his speech clearer and consequently eliminate the theological contradictions. Thus, he can also implicitly define the relation between the Father and the Son in terms that will lead to the meaning of ὁμοούσιος he will find acceptable. So, far from being used only to illustrate an interpretation given from the start, the quotation from Numénius enables Eusebius to amend a discourse whose theological consequences could be suspicious and, even better, to implicitly elaborate what to him is a truly Christian theology.
Résumé
L’adjectif ὁμοούσιος et la réélaboration de la notion qu’il contient grâce à Numénius —
Eusèbe de Césarée, PE XI 22
Dans son affirmation de l’accord entre Platon et Moïse sur le monothéisme, en PE XI 21, 6-7, Eusèbe en vient à dénoncer le polythéisme philosophique en faisant un emploi fort problématique de l’adjectif ὁμοούσιος. Le rejet de la notion qu’il véhicule à propos du Bien (identifié à Dieu) et de ce qui provient de lui crée une double difficulté : la compréhension de ce refus lui-même, alors qu’Eusèbe acceptera le terme ὁμοούσιος après Nicée pour évoquer la relation entre le Père et le Fils ; la remise en cause apparente de la divinité du Fils provoquée notamment par ce rejet, lorsque le discours d’Eusèbe est envisagé d’un point de vue théologique. Un premier article a montré comment cette double difficulté se résout en partie grâce à la précision du sens pris par l’adjectif ὁμοούσιος à l’époque d’Eusèbe et chez Eusèbe. Mais la dénonciation du polythéisme philosophique n’en demeure apparemment pas moins applicable au Fils. Ce second article découvre comment l’aporie est résolue grâce à la citation de quatre extraits de Numénius dans le chapitre suivant (PE XI 22) : non seulement le fragment 16 (24 F) sert à justifier l’attribution d’une οὐσία distincte au Bien (Dieu) et à ce qui provient de lui (notamment son Fils) ; mais la citation des fragment 2 (11 F), 19 (27 F) et 20 (28 F), grâce au propos tenu sur la participation au Bien de celui qu’il est possible de considérer comme le « Bon » (le démiurge), permet à Eusèbe de préciser son discours et par suite d’en éliminer les contradictions théologiques en PE XI 21, 7. Elle contribue alors à définir implicitement la relation qui unit le Père et le Fils en des termes qui conduiront au sens de l’adjectif ὁμοούσιος qu’il estimera licite. Loin de servir uniquement à illustrer un propos d’emblée déterminé, la citation de Numénius permet ainsi à Eusèbe de corriger un discours aux conséquences théologiques suspectes ; mieux : d’élaborer de manière sous-jacente une théologie selon lui réellement chrétienne.
A skillful appropriation of Numenius: Eusebius of Caesarea and his critical use of the adjective ὁμοούσιος in the Preparation for the Gospel (PE), XI 21-22
First paper
Monotheism and the critical use of the adjective ὁμοούσιος: Eusebius, reader of Plato through Numenius (PE XI 21)
In PE XI 21, Eusebius quotes a series of Plato’s texts in order to prove the agreement between the philosopher and Moses about the definition of the Good identified to God. These quotations are paraphrased to assert the agreement between Plato and the Hebrews about Monotheism, while condemning philosophical Polytheism. Now, in this criticism, Eusebius uses the word ὁμοούσιος in a very problematical way (PE XI 21, 6). The rejection of the notion it conveys about the Good (identified to God) and what comes from it produces a double difficulty: the understanding of this rejection itself, although Eusebius will accept the word ὁμοούσιος after the Council of Nicaea to refer to the relation between the Father and the Son ; and the apparent calling into question of the divinity of the Son produced notably by this rejection, when Eusebius’ discourse is considered from a theological point of view. In his paraphrase of Plato, Eusebius appropriates in advance the contents of Numenius’ four fragments he quotes in the following chapter (PE XI 22). This first paper shows what his paraphrase owes to these fragments and how the theological double difficulty finds a first solution by recalling the meaning of the adjective ὁμοούσιος at the time of Eusebius and how he used it in his writings.
Résumé
Une appropriation habile de Numénius : Eusèbe de Césarée et son emploi critique de l’adjectif ὁμοούσιος en PE XI 21-22
Premier article
Monothéisme et emploi critique de l’adjectif ὁμοούσιος : Eusèbe, lecteur de Platon via Numénius (PE XI 21)
En PE XI 21, Eusèbe produit une série de citations de Platon visant à convaincre de l’accord du philosophe avec Moïse sur la définition du Bien identifié à Dieu. Ces citations donnent lieu à une paraphrase affirmant l’accord de Platon et des Hébreux sur le monothéisme, tout en dénonçant le polythéisme philosophique. Or, dans cette critique, Eusèbe a un emploi fort problématique du terme ὁμοούσιος (PE XI 21 6). Le rejet de la notion qu’il véhicule à propos du Bien (identifié à Dieu) et de ce qui provient de lui crée une double difficulté : la compréhension de ce refus lui-même, alors qu’Eusèbe acceptera le terme ὁμοούσιος après Nicée pour évoquer la relation entre le Père et le Fils ; la remise en cause apparente de la divinité du Fils provoquée notamment par ce rejet lorsque le discours d’Eusèbe est envisagé d’un point de vue théologique. Dans sa paraphrase de Platon, Eusèbe s’approprie par avance le propos des quatre fragments de Numénius qu’il cite au chapitre suivant (PE XI 22). Ce premier article montre ce que sa paraphrase doit à ces fragments et comment la double difficulté théologique trouve une première solution grâce à un rappel du sens pris par l’adjectif ὁμοούσιος à l’époque d’Eusèbe et chez Eusèbe lui-même.
In the only surviving fragment from the third Book of the Περὶ τἀγαθοῦ, Numenius reports an unknown version of the confrontation between Moses and the magicians of Pharao: He names them Jannes and Jambres and describes them as two scribes and magicians elected by the Egyptian crowd as only ones to be able to suppress the scourges introduced by the priest of the Jews in Egypt. The story is surprising because of its differences when compared with the Old Testament: in The Book of Exodus, neither of the magicians is named; they are not elected by the crowd and the plagues sent by God through Moses eventually win over Pharao. Furthermore, in the Bible, Moses is no more named Musaeus than Exodus itself is seen as the expulsion of the Jews from Egypt. This paper aims at explaining these differences by tracing the Jewish, Greek and Egyptian sources from which Numenius’ story could come. To this effect, it also deals with Numenius’ goal. The first transmitted fragment from the Περὶ τἀγαθοῦ (10 F = fr. 1 dP) announces the project of illustrating Numenius’ interpretation of Plato associated with Pythagoras through the traditions of the people who have venerable religions. The fragment from the third book obviously implements this program. To this end, Numenius probably borrows the story from Chaeremon and uses the notion of Magic as the sensible manifestation of a Theology which can be compared to Plato’s one as Numenius interprets it. Eusebius ignores Numenius' interpretation of the story. He exalts the mention of Moses’ piety he perceives in the text. The paper aims to explore this Christian reception of the text by Origen and Eusebius.
Résumé
Dans l’unique fragment parvenu du Livre III du Περὶ τἀγαθοῦ, Numénius rapporte une version inédite de la confrontation entre Moïse et les magiciens du Pharaon : il y nomme ces derniers Jannès et Jambrès et les présente comme deux scribes et magiciens élus par la foule comme les seuls à pouvoir désamorcer les fléaux introduits en Égypte par le prêtre des Juifs. Le récit étonne par sa disparité eu égard à celui de l’Ancien Testament : les deux magiciens ne sont pas nommés dans l’Exode, ils n’y sont pas choisis par la foule et les plaies envoyées par Dieu par l’intermédiaire de Moïse finissent par y emporter la conviction du Pharaon ; Moïse n’y est en outre pas davantage nommé Musée que l’Exode lui-même n’est décrit comme une expulsion des Juifs. L’article tend à expliciter ces écarts, en recherchant les sources, juives, grecques et égyptiennes, d’où peut provenir le récit de Numénius. À cette fin, il interroge aussi le but visé par Numénius. Le premier fragment parvenu du Περὶ τἀγαθοῦ 10 F (fr. 1 dP) annonce le projet d’une illustration, par les traditions des peuples aux religions vénérables, de l’interprétation que Numénius donne de Platon uni à Pythagore. Le fragment met ce programme en œuvre. A cette fin, il emprunte sans doute à Chaerémon et utilise la notion de magie comme manifestation sensible d’une théologie pouvant être mise en parallèle avec celle que Numénius prête à Platon. Eusèbe occulte la lecture que Numénius veut faire du récit. Il exalte la mention de la piété de Moïse qu’il y perçoit. L’article explore cette réception chrétienne du récit chez Origène et chez Eusèbe.
Eusèbe de Césarée représente une source excellente concernant nombre de philosophes grecs dont il est le seul à transmettre des fragments. Moins apparent, sans doute, est le fait que ses silences eux-mêmes, lorsqu’il utilise ces auteurs, véhiculent parfois des informations ou étayent certaines intuitions sur leur enseignement. La manière dont il recourt à Numénius en convainc. Eusèbe élabore sa propre théologie d’un Logos aux deux aspects en empruntant aux deux aspects que Numénius attribue lui-même à son deuxième dieu (19 F = fr. 11 dP). Lorsqu’en revanche, il cherche chez les platoniciens un troisième dieu à identifier au Saint Esprit, il opère une synthèse à partir de l’interprétation plotinienne de la Lettre II, Numénius servant peut-être simplement d’appoint non nommé à son discours. Si ce platonicien pythagorisant avait lui-même identifié son troisième dieu à l’âme du monde, qu’Eusèbe considère comme un équivalent platonicien de l’Esprit, le chrétien aurait sans doute recouru à lui, étant donné qu’il a coutume de le citer comme l’un des meilleurs interprètes de Platon étant donné ses affinités prétendues avec Moïse. Le fait qu’il ne recourt pas à Numénius qui lui aurait été si utile pour étayer sa doctrine trinitaire suggère que celui-ci n’a réellement pas identifié son troisième dieu à l’âme du monde, que ce troisième dieu soit envisagé par lui comme le second aspect du deuxième, ainsi que le décrit le fragment 19 F (fr. 11 dP), ou comme le monde lui-même, d’après ce que rapporte Proclus (30 T = fr. 21 dP). Le silence d’Eusèbe sur ce dernier point — silence cette fois peut-être moins déçu que désapprobateur — donnerait même à penser que Numénius a effectivement identifié son troisième dieu au monde, identification qu’Eusèbe ne pouvait que réprouver et donc préférer occulter, comme le suggère son rejet de pareille interprétation chez Porphyre en PE VII 10, 3-4.
In only one context does Numenius tackle the return of soul to its divine origin: the description of the migration of souls after death. His thought is transmitted to us through Porphyry’s and Proclus’(s) testimonies (De antro nympharum, §10, §§ 21-23 and In Remp. II p. 129. 4-130. 2 Kroll). The analysis of these texts shows that even though Numenius seems to conceive incarnation as bad for Soul, he also views its descent here below as the effect of an attraction for the intellect that governs the world and penetrates it. In this case, the soul concerned is not irrational soul or the irrational part of soul. It is the intellect that comes into this world to fill it up in its turn with its rational and divine presence. Soul then would not find again its spiritual source and its fellow from a superior order (?) only when it leaves this world; Soul would find it again also when it descends into it. Hence its pleasure to become incarnate, a rational pleasure this time. In this specific context, such a view may have led Numenius to read both passages from Heraclites (22 B 77a et b DK = 102 Pradeau) that oppose the life of soul and our own in a different manner from what we usually do.
Résumé
Le retour de l’âme à son lieu d’origine après la mort et sa descente ici-bas selon Numénius
Numénius aborde le thème du retour de l’âme à son origine divine dans un seul contexte : la description du voyage des âmes après la mort. Son propos est transmis par des témoignages de Porphyre (De antro nympharum, §10 et §§ 21-23) et de Proclus (In Remp. II p. 129. 4-130. 2 Kroll). Leur examen montre que même si Numénius semble généralement concevoir l’incarnation comme un mal pour l’âme, il envisage aussi sa descente ici-bas comme l’effet d’une attirance pour l’intellect qui dirige le monde et le pénètre. Dans ce cas, l’âme concernée n’est pas l’âme irrationnelle ou la partie irrationnelle de l’âme. Il s’agit de l’intellect qui pénètre ce monde pour l’emplir à son tour de sa présence rationnelle et divine. L’âme ne retrouverait donc pas sa source spirituelle et son semblable d’un ordre supérieur uniquement lorsqu’elle quitte ce monde ; elle le retrouverait aussi lorsqu’elle y descend. De là viendrait le plaisir, cette fois rationnel, qu’elle aurait à s’incarner. Une telle conception aura peut-être conduit Numénius, dans ce cadre précis, à lire les deux passages d’Héraclite (22 B 77a et b DK = 102 Pradeau) opposant la vie de l’âme et la nôtre d’une manière différente de celle que nous faisons habituellement.
Why is there no World Soul in Numenius’ dialogue On the Good ? The absence of identification of the “third” God to the World Soul in the Περὶ τἀγαθοῦ
In his dialogue On the Good (19 F = fr. 11 dP), Numenius writes that the God who is “second and third is one”. Through this phrase, he designates a God with two aspects that correspond to the double direction of his attention. In the second one, he is turned towards the world and plays the role of a demiurge. According to most scholars, this demiurge could be identified with the World Soul, that the fragments we have of the dialogue do not mention. The paper shows that this interpretation may not take into account what Numenius actually says and highlights the theoretical and polemical reasons why, in fact, even if the demiurge acts as the World Soul, Numenius does not identify him with it. He wants to define the principles that he identifies with Being, conceived of as incorporeal. The innate movement of Soul and the immanence that characterizes it according to the Platonic tradition which he follows and according to the Stoic tradition he stands against, prevent the Soul from getting this status of pure intelligible. If Numénius granted it, he would yield to Stoic immanentism and corporealism. Finally, it appears that it is not useful either to identify the second aspect of the second God, designated as “third God” at one moment in the dialogue, with the third God Numenius reportedly identified with the world according to the testimony of Proclos (29 T = fr. 21 dP). This third God could really correspond to the world that Plato turns into a god, provided that this world is considered as the product of the intellect only, as the order (κόσμος) that certainly contains a soul, even its own intellect, but is reduced neither to the one nor to the other.
Résumé
Dans son dialogue Sur le Bien (19 F = fr. 11 dP), Numénius écrit que le dieu qui est « deuxième et troisième est un ». Par là, il désigne un dieu considéré selon deux aspects qui correspondent à la double orientation de son attention. Dans le second, il est tourné vers le monde et joue le rôle de démiurge. Selon la plupart des chercheurs, ce démiurge serait à identifier à l’âme du monde que les fragments parvenus du dialogue ne mentionnent pas. L’article montre que cette interprétation ne rend peut-être pas compte du propos de Numénius. Il découvre les raisons théoriques et polémiques expliquant qu’en réalité, même si le démiurge a la fonction de l’âme du monde, Numénius ne l’identifie pas à celle-ci. Il veut définir les principes qu’il identifie à l’être, conçu comme incorporel. Le mouvement intrinsèque à l’âme et l’immanence qui la caractérise, d’après la tradition platonicienne que suit Numénius et la tradition stoïcienne à laquelle il s’oppose, lui interdisent d’atteindre ce statut de pur intelligible — le lui accorder serait précisément céder à l’immanentisme et au corporalisme stoïcien. Il s’avère enfin qu’il n’est pas davantage utile d’identifier le second aspect du deuxième dieu, un moment nommé « troisième dieu » dans le dialogue, avec le troisième dieu que Numénius aurait identifié au monde d’après le témoignage de Proclus (29 T = fr. 21 dP). Ce troisième dieu-là peut réellement correspondre au monde dont Platon fait un dieu, à condition de considérer ce monde comme le produit du seul intellect, ordre (κόσμος) qui comporte certes une âme, et même un intellect en elle, mais qui n’est réduit ni à l’une ni à l’autre.
Numenius and Pythagoras. Numenius : a Pythagoreanising Platonist or a Platonizing Pythagorist ?
Scholars always hesitate about the school Numenius belonged to: is this philosopher of the 2nd century A. D. who places Pythagoras at the origin of Plato’s thought and is eager to bring him back to his true Pythagoreanism, not himself a Pythagorist? He, however, who always returns to Plato and who refers only to his writings , even when he wants to explain the Pythagoreanism of Plato’oral teaching, is he not rather a (medio-)Platonist ? The paper deals with this question differently: the detailed examination of Pythagoras’ sacralisation in Numenius’ fragments reveals its polemical aspect. To reach a Platonism that is really one and authentic, Numenius places Pythagoras at its origin, portrays Plato and Socrates before Plato as his pupils, and excludes from this line of thought all that is foreign to his own interpretation of Plato. In this way, he is in conflict with those who on the contrary have recourse to inclusion to reconstruct the unity of the Academy and thus accept other trends in it: Antiochus, Plutarch and every other mind similar to the one of the author of the Anonymous Commentary of the Theaetetus. If, from the point of view of the history of philosophy, Numenius is indisputably a Platonist, in his own point of view, his Christian readers, who called him without hesitating “a Pythagorist”, would probably have been right. They would at least have understood and recognized him as he wished to be.
Résumé
Numénius : platonicien pythagorisant ou pythagoricien platonisant ?
L’appartenance scolaire de Numénius laisse une hésitation aux historiens de la philosophie : ce philosophe du IIe siècle qui situe Pythagore à l’origine de la pensée de Platon et ne songe qu’à ramener Platon à son véritable pythagorisme, n’est-il pas pythagoricien ? Lui qui retourne toutefois sans cesse à Platon et recourt uniquement à ses écrits, même lorsqu’il s’agit d’expliquer le pythagorisme de son enseignement oral, n’est-il pas plutôt (médio-) platonicien ? Michael Frede (1987) semble avoir tranché le débat en le qualifiant de « platonicien pythagorisant ». L’article aborde différemment la question : l’examen détaillé de la sacralisation de Pythagore dans les fragments de Numénius parvenus découvre que celle-ci a entre autres une dimension polémique. Pour parvenir à un platonisme un et authentique, Numénius situe Pythagore à son origine, fait de Socrate et Platon ses disciples avant lui, et exclut de cette lignée tout ce qui est étranger à sa propre lecture de Platon. Ainsi s’oppose-t-il à ceux qui procèdent par inclusion pour reconstruire l’unité de l’Académie : Antiochus, Plutarque et tout esprit semblable à celui de l’auteur du Commentaire anonyme au Théétète. Si, du point de vue de l’histoire de la philosophie, Numénius est sans conteste platonicien, à ses propres yeux, ses récepteurs chrétiens qui l’ont sans hésiter nommé « pythagoricien » auraient sans doute eu raison. Du moins l’auraient-ils compris et reconnu comme il souhaitait l’être.
An exegesis of the Cave of the Nymphs used to interpret the Myth of Er — Homer in Numenius according to Porphyry and Proclus (fr. 30, 31, 35 des Places)
Porphyry quotes Numenius as one of his sources in his commentary on the passage of the Odyssey (ΧΙΙΙ 102-112) which describes the Cave of the Nymphs. He takes from him the association of the Naïads to souls descending into generation and of the two entrances of the Cave to the heaven tropics, Cancer and Capricorn, through which souls are supposed to respectively descend from the gods to earth and ascend back. However, two indications lead to think that Numenius did not interpret Homer’s lines for themselves: Porphyry quotes Cronius as the author of such an exegesis; he associates the two tropics to the two chasms from which, in the Myth of Er, souls respectively descend from heaven and ascend back. Yet Proclus attributes to Numenius only a similar commentary on this Myth. The paper shows that, faithful to the program he gives himself in the first fragment of the Περὶ τἀγαθοῦ, Numenius has very likely used Homer to support his interpretation of Plato — the latter himself was used to confirm Numenius’ own doctrine of the fate of soul. These considerations may have been present in the treatise On the immortality of Soul Origen attributes to him. However, Numenius does not stop there. Following the hermeneutic circle typical of this method, he invites two other religious traditions, Jewish and Egyptian, to confirm his reading of Homer before he recalls the latter to guarantee the soundness of their interpretation. Thus Homer set his seal on the whole exegesis put forward, as guarantor of Truth, provided he is read (and sometimes rewritten) to corroborate Plato. Nevertheless, Numenius does not absolutely wish to reach symphonia: his aim is to illustrate his views, not to absolutely prove the existence of an agreement. However, in the end, symphonia is the outcome of his whole effort.
Résumé : Une exégèse de l'antre des nymphes au service d'une interprétation du mythe d’Er — Homère chez Numénius d’après Porphyre et Proclus (fr. 30, 31, 35 des Places)
Porphyre cite Numénius comme l’une de ses sources dans son commentaire au passage de l’Odyssée (XIII 102-112) qui décrit l’antre des nymphes. Il lui devrait l’association des Naïades aux âmes qui descendent dans la génération et des portes de l’antre aux deux tropiques célestes, Cancer et Capricorne, par où ces âmes respectivement descendraient du domaine des dieux sur terre et y remonteraient. Deux indices laissent néanmoins penser que Numénius n’a pas interprété les vers d’Homère pour eux-mêmes : Porphyre cite Cronius comme l’auteur d’une telle exégèse ; il associe les deux tropiques aux deux gouffres d’où, dans le mythe d’Er, les âmes respectivement descendent du ciel et y remontent. Or Proclus ne prête qu’à Numénius un commentaire semblable de ce mythe. L’article montre que, fidèle au programme qu’il se donne au premier fragment du Περὶ τἀγαθοῦ, Numénius a vraisemblablement utilisé Homère pour étayer son interprétation de Platon, lui-même utilisé en vue de confirmer la doctrine numénienne sur le sort de l’âme. Ces considérations ont pu figurer dans le traité Sur l’immortalité de l’âme qu’Origène lui prête. Numénius n’en reste cependant pas là. En vertu d’un cercle herméneutique caractéristique de sa méthode, il convie deux autres traditions religieuses, juive et égyptienne, pour confirmer sa lecture d’Homère avant de le rappeler pour qu’il garantisse lui-même la justesse de leur interprétation. Ainsi Homère scelle-t-il la validité de l’ensemble de l’exégèse proposée, garant par excellence de la vérité, à condition d’être lu (et parfois réécrit) comme témoin de Platon. La démarche de Numénius ne relève toutefois pas d’un désir absolu de symphonia : son but est d’illustrer son discours, non de prouver absolument l’accord. Il n’en demeure pas moins qu’il la produit et y conduit.
Οὐσία in Numenius: a notion which is progressively elaborated. Analysis of the difficulties linked to οὐσία and ἰδέα in fragments 22 F, 24 F and 28 F (fr. 14, 16 et 20 dP)
In the Περὶ τἀγαθοῦ, Numenius refines his definition of οὐσία step by step. He uses the word at first as a synonym of τὸ ὄν (15 F) and as another designation of being. Then, he associates it to the ἕξις when he refers to the specific οὐσία which possesses science (22 F): in all likelihood, this οὐσία is the intellect as the essence common to God and Man in the possession of science. Finally, Numenius gives οὐσία two aspects or sides which, in our opinion, represent two manners of conceiving the intelligible it constitutes: on the one hand, οὐσία comes from Being itself (the Good) and seems to represent the eidetic predicates or what we could name the “fundamental intelligibility”, a state in which the form is not determined yet, but which gives it the status of a real being ; on the other hand, οὐσία is the product of the second god and intellect and the determined aspect of the previous one, which makes it possible to distinguish the forms one from the other. In this last case, Numenius seems to name οὐσία more specifically ἰδέα, even if both words are elsewhere synonymous and used to refer to the two aspects previously mentioned according to the context in which they are employed. The paper presents the analysis of fragments 22 F, 24 F and 28 F from which we arrive at this interpretation. The distinction between two manners of conceiving οὐσία makes it possible then to discover two levels in the Being at the origin of each of them: Being itself (αὐτοόν which is the Good itself, αὐτοάγαθον) and the « second » or « just » Being, constituted by the good demiurge which is probably the “One who is good par excellence”. From there two ways of conceiving ἰδέα also appear: on the one hand, ἰδέα is synonymous with οὐσία, then refers to the second aspect of οὐσία, the determined one; on the other hand, it can also refer itself to the level of Being which is the Good when, in fragment 28 F, it is conceived as a form and probably as the Form par excellence identified with the intellect this Good is.
Résumé
Dans le Περὶ τἀγαθοῦ, Numénius affine progressivement sa définition de l’οὐσία. Il utilise d’abord le terme comme synonyme de τὸ ὄν (15 F) en tant qu’autre nom l’être. Il l’associe ensuite à la ἕξις lorqu’il désigne l’οὐσία précise qui est en possession de la science (22 F) : cette οὐσία renvoie vraisemblablement à l’intellect, en tant qu’essence commune au dieu et à l’homme dans la possession de la connaissance. Il lui attribue enfin deux aspects qui correspondent selon nous à deux manières d’envisager l’intelligible qu’elle représente : d’un côté, elle est ce qui provient de l’Être lui-même (le Bien) et correspond selon nous aux prédicats idéaux ou à ce que l’on pourrait appeler l’intelligibilité foncière, état encore indéterminé de la forme mais qui lui donne le statut d’être réel ; de l’autre, elle est ce qui est produit par le deuxième dieu et intellect en tant cette fois que l’aspect déterminé du précédent et qui permet la distinction des formes entre elles. Dans ce dernier cas, Numénius semble un moment la désigner plus spécifiquement par le terme ἰδέα, même si les deux termes sont par ailleurs synonymes et semblent pouvoir chacun désigner les deux aspects évoqués en fonction du contexte où ils apparaissent. L’article expose l’analyse des fragments 22 F, 24 F et 28 F qui permet de parvenir à une telle interprétation. Cette distinction de deux manières de considérer l’οὐσία permet de découvrir deux niveaux de l’être à l’origine de chacun d’eux : l’Être lui-même (l’αὐτοόν qu’est le Bien lui-même, l’αὐτοάγαθον) et l’Être second ou « tout court » représenté par le démiurge qui est bon et qiu est sans doute celui qui est Bon par excellence (ὁ ἀγαθός, d’où notre proposition de le nommer « le Bon »). De là ressort également deux manières d’envisager l’ἰδέα : d’un côté elle est synonyme d’οὐσία puis désigne plus spécifiquement le deuxième aspect de l’οὐσία, celui qui est déterminé ; de l’autre, elle est susceptible de désigner elle aussi le niveau de l’être qu’est le Bien lorsque celui-ci est conçu comme forme et vraisemblablement comme la Forme par excellence identifiée à l’intellect qu’il est en 28 F.