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Entretien entre Colombe Schneck et Serge Guérin

2007, Mediamorphoses

Serge Guérin : Question simple pour commencer : pourquoi êtes-vous devenue une spécialiste des médias ? Le hasard ou l'opportunité ? Colombe Schneck : J'ai commencé à travailler après mes études, à New York, dans les années 1992. C'était alors une période marquée par les débuts du Net et l'explosion du câble et du satellite. En plus, il y avait les meilleurs jour

médiamorphoses dossier 63 Colombe Schneck et Serge Guérin View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk Entretien entre Colombe Schneck et Serge Guérin Entretien entre Colombe Schneck et Serge Guérin « Je fais du journalisme sur les médias comme d’autres en font sur la politique ou l’économie. » Colombe Schneck assume aujourd’hui l’animation de deux émissions phares traitant des médias : i-médias sur i-télé et J’ai mes Sources à France Inter. Sur ce créneau, elle a su devenir incontournable et inventer son propre style de prise de parole en évitant les discours trop convenus. Ses émissions ne sont ni une copie du travail de Daniel Schneidermann, ni un lieu seulement dédié à la promotion d’un petit monde autocentré sur son actualité. Il est intéressant que cette journaliste spécialisée sur les médias puisse développer une vision « enchantée » des médias. Serge Guérin : Question simple pour commencer : pourquoi êtes-vous devenue une spécialiste des médias ? Le hasard ou l’opportunité ? Colombe Schneck : J’ai commencé à travailler après mes études, à New York, dans les années 1992. C’était alors une période marquée par les débuts du Net et l’explosion du câble et du satellite. En plus, il y avait les meilleurs journaux du monde : le New York Times et le New Yorker. J’avais toujours été intéressée par les médias, mais là j’avais le sentiment d’assister à leur prise de pouvoir, à des changements économiques incroyables. Je vivais dans LA ville des médias. Aussi j’ai réalisé beaucoup de papiers, comme correspondante pigiste pour des titres français, sur l’angle des médias, sur les nouveaux acteurs et les changements de stratégies des groupes. À mon retour à Paris fin 1994, j’ai cherché du travail. Alain Rémond, alors à Télérama, m’a conseillé d’aller voir Daniel Schneidermann qui avait lancé Arrêt sur Images. Ce dernier était intéressé par mon profil. Durant quatre ans et demi, j’ai participé à l’émission en multipliant les reportages sur le fonctionnement des médias. C’était une époque passionnante et où l’on pouvait montrer beaucoup de choses et développer des angles originaux pour faire percevoir les modes de fonctionnement de la télévision. Par exemple, j’ai suivi le travail des journalistes poli- tiques qui se laissaient alors filmer sans problème, y compris dans leurs rapports avec les hommes politiques. Serge Guérin : Vous n’avez pas eu parfois la tentation de suivre d’autres domaines que les médias ? Colombe Schneck : Si. À un moment, j’ai eu l’envie de m’arrêter, mais il y a eu le tournant du numérique et j’avais le sentiment que les cartes allaient être redistribuées. La période est absolument passionnante, la France change et c’est passionnant de travailler sur ces sujets. Par ailleurs, j’ai une vie en dehors des médias ! Par exemple, en écrivant des romans. Serge Guérin : En termes journalistiques, quels sont vos objectifs ? Colombe Schneck : Je fais du journalisme sur les médias comme d’autres en font sur la politique ou l’économie. Pour moi, il s’agit de montrer comment fonctionne l’information, de comprendre les raisons d’un choix de Une, d’expliquer les réseaux qui permettent de produire de l’information… Mon deuxième objectif, c’est de décrire et de faire comprendre la révolution qui se déroule sous nos yeux avec l’apparition du Web, des forums, des blogs, etc. Cela brought to you by provided by médiamorphoses 64 Entretien entre Colombe Schneck et Serge Guérin me passionne car c’est une véritable remise en cause du fonctionnement des médias et des journalistes qui se déroule sous nos yeux. C’est une chance pour cette profession de pouvoir trouver d’autres supports et d’avoir l’occasion de se remettre en cause. En fait, je suis très égoïste : j’ai envie de montrer et de parler de ce qui me passionne, de ce qui excite ma curiosité. Je pense qu’il y a beaucoup plus de choses intéressantes qu’on ne veut le dire. Et cela sur toutes les chaînes de TV, sur l’Internet, dans la presse… Ce qui est intéressant aussi c’est de faire intervenir des gens passionnés, des personnes aux parcours décalés. Serge Guérin : Les journalistes et les médias s’inscrivent aussi dans des relations de pouvoir, comment traitez-vous cela ? Colombe Schneck : Les mécanismes sont plus complexes que l’on ne le pense. Plus je connais le domaine et plus je le trouve compliqué ! J’essaie donc de faire passer cette complexité, de décrypter les mécanismes économiques et autres. Il faut trouver une écriture pour cela, faire intervenir des gens capables d’expliciter leurs choix, de montrer la difficulté des décisions, l’imbrication des enjeux… C’est aussi pour cela que je tiens à avoir de nombreux chroniqueurs avec moi. Par exemple, dans J’ai mes sources, sur France Inter, plus d’une dizaine de spécialistes viennent régulièrement donner leur point de vue et montrer un aspect des choses. Ils ont chacun un regard spécifique qui apporte beaucoup au décryptage de l’ensemble. Plus j’avance, plus je me rends compte aussi que l’indépendance des journalistes dépend d’abord de chacun. Il y a bien plus d’autonomie que de contrôle. Il me semble que le circuit de l’information fonctionne plutôt bien. Lorsque l’on veut sortir un scandale, ou simplement une information, on peut le faire. La théorie du complot ne tient pas. Regardez, même Dassault n’a pas pu transformer Le Figaro en journal à sa solde. Mais, en revanche, il y a des journalistes qui ont tendance à s’autocensurer. Cela dit, si certains s’autocensurent, cela permet à d’autres de sortir les infos ! Dès que plus de deux personnes sont au courant d’un fait, immanquablement, il sera connu de tous. C’est une victoire du journalisme. dossier Colombe Schneck et Serge Guérin Serge Guérin : Mais pour autant, peut-on faire du journalisme sur les médias ? Autrement dit, comment parler des confrères, comment s’exprimer dans un média en traitant des médias ? N’y a-t-il pas risque de conflits d’intérêt ? Colombe Schneck : Ni sur France Inter, ni sur i-télé, on ne m’a demandé une seule fois de privilégier tel ou tel. Jamais je n’ai eu de remarques pour avoir parlé en bien d’une émission diffusée sur une chaîne même directement concurrente. J’ai une liberté totale et j’ai invité des responsables en concurrence directe avec i-télé ou avec France Inter. De toute façon, si je faisais autrement, ma crédibilité serait en jeu, mes émissions n’auraient pas de succès et je disparaîtrais de la circulation assez vite ! Le meilleur antidote à la censure ou à la connivence, c’est la crédibilité personnelle : si vous la perdez, vous savez que vous allez disparaître de la profession car c’est un monde tout petit où les réputations se font et se défont très vite. En ce qui concerne les relations avec les confrères ou avec les gens du métier, j’applique la même approche que JeanMichel Apathie, ce formidable journaliste politique : pas d’amis dans le secteur, pas de dîner en ville, pas d’acceptation à déjeuner… On peut très bien faire ce métier en gardant une distance : le téléphone et les e-mails permettent beaucoup de choses ! Il peut évidemment m’arriver de rencontrer telle ou telle personne, mais c’est dans le cadre professionnel. En revanche, je déjeune souvent avec des attachés de presse pour préparer mes dossiers. Je crois qu’il est important d’éviter une trop grande proximité pour conserver son indépendance d’approche, c’est pourquoi j’ai très peu d’amis parmi les journalistes. Serge Guérin : N’y a-t-il pas cependant toujours un risque de pratiquer l’autocélébration ? Colombe Schneck : Le journaliste pratique l’enquête, pas la promotion. Il est là pour aller chercher et trouver l’info que l’on voudrait cacher et la délivrer au plus grand nombre possible. En ce sens, le journalisme sur les médias ne se distingue en rien du journalisme politique, économique ou autre. C’est sa fonction essentielle quel que soit le domaine. Le journaliste a un pouvoir qu’il doit assumer dossier Colombe Schneck et Serge Guérin et assurer. Et cela se pratique beaucoup plus que certains ne veulent bien le dire. Serge Guérin : Donc, pour vous, la liberté de la presse est bien une réalité ? Colombe Schneck : Oui, dès lors que l’on prend le temps de tout lire. Il faut lire largement. Elle, c’est un magazine génial dans lequel on peut trouver des infos passionnantes et des articles très sympas, mais ce n’est pas là que je trouverais un article critique sur Dior. C’est normal. Cet article, je l’aurais dans un quotidien économique, dans un news, dans le Herald Tribune. Nous avons un luxe incroyable de moyens en ayant accès à l’ensemble des médias. Il faut en médiamorphoses 65 Entretien entre Colombe Schneck et Serge Guérin profiter au lieu de se plaindre tout le temps. Même en télévision, l’augmentation du nombre de chaînes a favorisé l’amplitude du choix et poussé les chaînes traditionnelles à s’ouvrir à la diversité. Serge Guérin : Dans ce paysage qui semble vous convenir, manque-t-il selon vous un média idéal ? Colombe Schneck : Je rêverais d’un New Yorker français. Un magazine qui laisse les journalistes préparer leurs articles pendant des mois, un titre qui aborde des sujets importants traitant aussi bien de géopolitique que de culture, et d’autres plus légers mais toujours dans un style extrêmement travaillé et élégant.