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Nasalisation et effacement du R en créole haïtien

2016, Colloque du Réseau Français de Phonologie

RFP 2016, Nice Nasalisation et effacement du R en créole haïtien1 Mohamed Lahrouchi CNRS & Université Paris 8 0. Introduction 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.5 Le créole haïtien (CH), a base lexicale française, contraste les voyelles orales et nasales (ex. [bɑ̃k] ‘banque’ / [bak] ‘bac’) CH a par ailleurs développé un processus d’harmonie nasale (HN) régressive optionnelle selon lequel une voyelle orale is nasalisée lorsque suivie d’une consonne nasale (ex. [fɑ̃mi] ‘famille’) Une localité stricte est requise pour cette harmonie. Tout segment intervenant entre V et N bloque la nasalisation (ex. *[kɑ̃lm] ‘calme’) R s’efface en position coda : ex. /tεr/ > [tε] ‘terre’ Pas d’allongement vocalique Les voyelles moyennes restent ouvertes malgré un contexte de syllabe ouverte. L’effacement du R est systématique tandis que HN est sujette à variation. Les deux processus interagissent : l’éffacement du R contre-nourrit ‘counterfeeds’ HN (HN est bloquée) ex. chambre est réalisé [ʃɑ̃m] alors que charme est réalisé [ʃam] sans R ni HN *[ʃɑ̃m]. Comment est-ce qu’une même séquence VN donne ṼN dans ʃɑ̃m mais pas dans ʃam ? Pourquoi V dans ʃam résiste à HN malgré qu’elle soit suivie par une consonne nasale ? Proposition : la condition de localité n’est pas remplie. Un CV vide résultant de la non-réalisation de R intervient entre V et N = [VcvN] 1. Données, analyses antérieures 1.1. Oral: /i, e, ɛ, a, ɔ, o, u/ Nasal: /ɛ,̃ ɑ̃, ɔ̃/ (ĩ and ũ dans les mots vaudou) cf. Johnson & Alphonse-Férère 1972, Cadely 1988, Tinelli 1981. 1.2 CH contraste /e, ε, o, ɔ/ en syllabe ouverte seules /ε, ɔ/ apparaissent en syllable fermée. 1.3 CH n’a pas de coda complexe. Tout CC post-vocalique est soit hétérosyllabique, soit attaque complexe (excepté en position finale où *CC, cf. Bhatt & Nikiema 2006). Cette communication reprend une partie d’un travail en collaboration avec Shanti Ulfsbjorninn (UCL & Univ. Lyon 2). 1 1 RFP 2016, Nice 1.4 Harmonie nasale lɑ̃m pɑ̃n ‘lame’ grɛn ̃ ‘grain’ fɑ̃mi marɛn ̃ ‘famille’ fɑ̃m zɑ̃mɛ ‘femme’ bɑ̃nɑ̃n fɛn ̃ ɛ̃ ‘bananne’ ‘panne’ ‘maraine’ ‘jamais’ ‘faner’ 1.5 Distribution du R ___v ʁ > w /___V +round ‘rang’ ‘contrôle’ ʁɑ̃ kõtwɔl ‘raquette’ ‘rond’ ʁakεt wɔ̃ ‘réforme’ ‘rouleau’ ʁefɔm wulo ‘vérité’ ‘rute’ veʁite wut ‘rigolade’ ‘rose’ ʁigolad wɔz ‘déchifrer’ ‘propre’ deʃiʁe pwɔp ‘crasse’ kχas makawoni ‘macaroni’ ‘crédit’ ‘numéro’ kχedi nimewo ʁ > ø / ___# ʁejini ʁejalize ʁejaʒi pwɔp efɔ ʃãm kowodonatε ‘réunir’ ‘réaliser’ ‘réagir’ ‘propre’ ‘effort’ ‘chambre’ ‘coordonateur’ ʁ > ø / ___C ‘acharner’ aʃane ‘larme’ lam ‘terme’ tεm ‘alarme’ alam anɔmal ‘anormal’ ‘armée’ lame ‘borne’ bɔn kɔ̃fɔme ‘conforme’ 1.6 • Kwarandzyey – Tabelbala, sud-ouest Algérie (Tilmatine 1996, Souag 2010) r > ø, a > ɑ Kw ɑfɑ ikɑzi tsɑjgən ɑdrɑ ɑgɑdɑ l>r amrər agerzəm isri Tachelhit afar ikərzi tirgin adrar agadir ‘herbe’ ‘turban’ ‘braises’ ‘montagne’ ‘citadelle’ amlal aglzzim isli ‘sable’ ‘hache’ ‘marié’ • Tarifit, nord du Maroc (Lafkioui 2011) r > ø, v > v: Tar. Tach. æ:jæz argaz ‘homme’ æða: adˤar ‘jambe’ 2 (/t/ > [ts] in Kw) RFP 2016, Nice nnæðu: æθβεæ: nnadˤor atbir ‘Nador’ ‘pigeon’ ur xrəf irs ʕri ul xlf ils ʕli ‘coeur’ ‘rempplacer’ ‘langue’ ‘Ali’ l>r 1.7 Counterfeeding CH L’effacement du R bloque HN ʁ > ø / ___C FR CH aʃaʁne aʃane *aʃɑ̃ne laʁm lam *lɑ̃m tεʁm tεm *tɛm ̃ alaʁm alam *alɑ̃m anɔʁmal anɔmal *anɔ̃mal arme lame *lɑ̃me bɔʁn bɔn *bɔ̃n kɔ̃fɔʁme kɔ̃fɔme *kɔ ʀ ̃fɔ̃me 1.8 ‘acharner’ ‘larme’ ‘terme’ ‘alarme’ ‘anormal’ ‘armée’ ‘limite’ ‘conforme’ Pourquoi le même contexte donne des formes différentes ? ɛ ‘ ’ R sous-jacent (cf. Ans 1968, Tinelli 1981, Cadely 1984, Nikiema & Bhatt 2005; ʀ ɔ ‘ ’ contra Valdman 1978) ɔ surface : ‘ ’ R refait mɛg mɛgri ‘ ’ tɛ ɑ t ere ̃ ‘ ɛ ’ masak masakre kɔf kofre Ces alternances morphologiques suggèrent que R sous-jacent bloque HN comme ʀ n’importe quel autre segment (ex. /l/ dans kalm ‘calm’). 1.9 1.10 VR sous-jacent = diphtongue (Nikiema & Bhatt 2005: 53) /tɛr/ ‘terre’ O R | N | x x | | t ɛ R 3 ʀ ‘ ’ RFP 2016, Nice 1.11 Si R en coda, alors sélection de la variante pleine [la] du déterminant - Allomorphe [la] après consonne nap-la ‘la nape’ ʃat-la ‘le chat’ dɑ̃tis-la ‘le dentiste’ liv-la ‘le livre’ - Allomorphe [a] après voyelle ne-a ‘le nez’ ʒunu-a ‘le genou’ tɛ-a ‘la terre’ kɛ-a ‘le coeur’ - Allomorph [ɑ̃] après voyelle nasale gasɔ̃-ɑ̃ ‘le garçon’ ʒadɛ-̃ ɑ̃ ‘le jardin’ kuzɛ-̃ ɑ̃ ‘le cousin’ - Allomorphes [lɑ̃] et [nɑ̃] bɑ̃k-lɑ̃ ‘la banque’ dɑ̃s-lɑ̃ ‘la danse’ maʃin-nɑ̃ ‘la machine’ ʃɑ̃m-nɑ̃ ‘la chambre’ 1.12 Comment rendre compte de l’absence de HN sans poser un R sous-jacent dans des formes où il n’est jamais observé ? aʃane lam tεm alam anɔmal lame bɔn kɔ̃fɔme ‘acharner’ ‘larme’ ‘terme’ ‘alarme’ ‘anormal’ ‘armée’ ‘limite’ ‘conforme’ 2. V[cv]N 2.1 R sous-jacent est justifé seulement dans des formes de type : [tε] / [ɑ̃tere], [libεte] / [libere]. Ces formes incluent un R flotant 4 RFP 2016, Nice 2.2 a. R doit être licencié = position pré-vocalique En position pré-consonantique, R non-licencié s’efface, mais sa position (CV) reste : VRN = V[cv]N. Ce CV perturbe la localité entre V et N (comme le fait /l/ dans kalm). Par conséquent, pas d’harmonie nasale. b. C V C V C V C V C V | | | | | | ʃ a m > [ʃam] ‘charme’ ʃ a m > [ʃɑ̃m] ‘chambre’ k a l m 3. Sélection des allomorphes du déterminant 3.1 En CH, l’article défini post-posé au nom peut coexister avec le déterminant du français (ex. fr. l’armée > CH lame-a, fr. la pluie > CH lapli-a). Il est long ([la], [lɑ̃], [nɑ̃]) ou court ([a], [ɑ̃]). Voir exemples en (1.10). Plusieurs études ont porté sur cette variation (cf. Cadely 1994, Grant 1995, Nikiema 1999, Nikiema & Bhatt 2005). 3.2 Les noms finissant par R se comportent comme des noms à finale vocalique. Ils sélectionnent la variante courte : FR CH FR CH la plɥi lapli-a la tɛʁ tɛ-a ləʒunu ʒunu-a lə kœʁ kɛ-a lə ne ne-a la flœʁ flɛ-a la fij tifi-a la mɛʁ mɛ-a 3.3 Selon Nikiema & Bhatt (2005), les noms de type [tɛ] sélectionnent la variante courte parce que leur R final appraît en position de noyau avec la voyelle qui le précède. Il n’est pas clair quel type de diphthongue est VR : elle se comporte comme une voyelle, sélectionnant la variante [a] du déterminant, mais aussi comme une suite noyau + coda, bloquant l’harmonie nasale. 5 RFP 2016, Nice 3.4 Une alternative : dérivation par phase - La frontière qui sépare le nom de son enclitique délimite une phase, nP, sujette aux principes habituels de la théorie, au premier rang desquelles le principe l'impénétrabilité "Phase Impenetrability Condition" (voir Chomsky 2001, voir aussi Marantz 2001, 2007, Marvin 2002 et Samuels 2010 à propos des phases vP, nP et aP). Au terme de cette phase, les noms de type terre sont épelés sans le R final (non-licencié). - La variante vocalique du déterminant est ensuite ajoutée. Réferences Anestin, A. 1987. Structure syllabique de l’haïtien et nasalisation. M.A. Thesis, Université du Québec à Montréal. Bhatt, P. & E. Nikiema. 2006. Empty positions in Haitian Creole syllable structure. In The Structure of Creole Words, P. Bhatt et al. (ed.), 85-106. De Gruyter. Cadely, J.-R. 1988. Représentations syllabiques et distribution des diphtongues en créole haïtien. Études créoles, Vol. XI (1):9-40. Cadely, J.-R. 1994. Aspects de la phonologie du créole haïtien. Unpublished Ph.D. Dissertation, Université du Québec à Montréal. Chomsky, N. 2001. Derivation by phase. In Ken Hale: A Life in Language, edited by M. Kenstowicz, 1-52. Cambridge, Mass.: MIT Press. Grant, A. 1995. Article agglutination in Creole French: A wider perspective. In From Contact to Creole and Beyond, edited by Ph. Baker, 149-176. 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