Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826
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Onzièmes Journées nationales de la FFER (Paris, 11–13 octobre 2006)
Histoire du spermatozoïde et mobilité des idées
History of spermatozoon and changing views
J. Gonzalès
Inserm U 782 Endocrinologie et génétique de la reproduction et du développement du Directeur-J.-Y.-Picard), 32, rue des Carnets, 92140 Clamart, France
Reçu le 10 juillet 2006 ; accepté le 15 juillet 2006
Disponible sur internet le 07 septembre 2006
Résumé
En 1677, Leeuwenhoek a découvert, avec Ham, des animalcules dans le sperme humain, sans ajouter d’interprétations théoriques à cette
découverte. Les discussions se sont alors focalisées sur le rôle respectif de l’œuf et des animalcules pendant deux siècles avec des positions
inexactes. Les idées modernes sur le statut et l’origine des animalcules sont liées au développement de la théorie cellulaire. Les animalcules
sont devenus des spermatozoïdes. En 1875, Hertwig a observé la transformation de la tête d’un spermatozoïde en pronucleus et son association
au pronucleus femelle, établissant ainsi le concept de la fécondation, la conjugaison de deux cellules. Au cours de la première moitié du
XXe siècle, l’endocrinologie et la génétique ont influencé la prise en charge des couples infertiles. La cryopréservation, les analyses ultrastructurales ont développé les connaissances sur le gamète mâle normal et anormal. La fécondation in vitro et plus encore l’ICSI ont ouvert de nouvelles
perspectives sur la place du spermatozoïde dans la génération humaine. La génétique et la procréation ont eu des connexions de plus en plus
étroites au point que tout projet d’avancée nouvelle déclenchait des débats éthiques, étant perçu comme une transgression de l’ordre biologique
naturel. L’avenir du spermatozoïde dans les projets de reproduction humaine demeure un mystère avec, par exemple, les développements expérimentaux à partir de cultures de cellules souches.
© 2006 Publié par Elsevier SAS.
Abstract
With Ham, Leeuwenhoek discovered animalcules in human semen in 1677, without theoretical interpretations. Discussions focused on the
respective role of ovum and animalcules during two centuries with erroneous doctrines. Modern ideas on status and origin of animalcules are
associated with the development of the cell theory. Animalcules became spermatozoa. In 1875, Hertwig observed that the head of spermatozoon
becomes a pronucleus and combines with the female pronucleus, thus establishing the concept that fertilization is the conjugation of two cells.
During the first half of 20th century, endocrinology and genetics influenced management of infertile couples. Cryopreservation, analyses of
ultrastructural morphology improved knowledges of normal and abnormal male gametes. In Vitro Fertilization and more IntraCytoplasmic
Sperm Injection opened new views on the role of spermatozoa in human generation. Genetics and procreation were more and more so linked
that each perspective of further advances shocked ethical considerations as transgression of natural biology. The future of spermatozoon in
human reproductive programs remains a mystery according to, for example, experimental development using stem cell cultures.
© 2006 Publié par Elsevier SAS.
Mots clés : Histoire du spermatozoïde ; Reproduction ; Stérilité masculine
Keywords: History of spermatozoa; Reproduction; Male sterility
Adresse e-mail :
[email protected] (J. Gonzalès).
1297-9589/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier SAS.
doi:10.1016/j.gyobfe.2006.07.025
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1. Leeuwenhoek et les animalcules
La véritable histoire du spermatozoïde débute avec les premières observations d’animalcules dans la semence humaine.
En 1677, une lettre envoyée par Leeuwenhoek à la Société
Royale de Londres fait date pour cet événement scientifique.
Leeuwenhoek vivait à Delft, dans la ville même où de Graaf
exerçait la médecine. Au début de l’année 1673, il avait été
recommandé par ce dernier à la Royal Society pour la qualité
de ses lentilles et de ses descriptions microscopiques. Leeuwenhoek adressait sa première lettre à la société savante dès
le 28 avril (il en enverra 249 autres) ; de Graaf, lui,
s’éteignait quelques mois plus tard, le 16 août 1973 [1].
Revenons à la lettre envoyée en novembre 1977 à Lord
Brouncker, le président de la Société Royale, dans laquelle
Leeuwenhoek rapporte les observations qu’il a faites avec
Johan Ham, un jeune étudiant en médecine de Leyde recommandé par Cranen. Dès sa deuxième visite, le jeune homme à
qui Leeuwenhoek avait confié une lentille de sa fabrication lui
avait signalé la présence d’« animalcules vivants qui possèdent
une queue » dans l’épanchement séminal d’un homme atteint
de blennorragie. Leeuwenhoek avait confirmé cette observation
dans la semence d’un homme cette fois sain.
En réponse à cette lettre, le secrétaire de la Société Royale
demande à Leeuwenhoek d’étudier les semences d’animaux
pour étayer sa découverte et pour mettre en évidence
d’éventuelles différences avec l’Homme. Leeuwenhoek y
répond le 18 mars 1678 par une lettre en latin qu’il
accompagne de dessins montrant des animalcules humains et
canins, des « créatures qui naissent et meurent ». Huygens
fait connaître cette nouvelle scientifique dans le Journal des
Savants, daté du 15 août, sans en préciser le ou les auteurs,
en signalant simplement « On a observé en Hollande… » [2].
Leeuwenhoek, un calviniste convaincu, ne croit pas à la
génération spontanée : « C’est pure imagination ». Il prétend
que les animalcules, en nombre impressionnant, proviennent
des testicules. Dans sa lettre du 12 octobre 1685, il ajoute :
« Je suis convaincu que les animalcules sont de deux types
(…) mâles et femelles et qu’en conséquence si l’un (ou plus)
des animalcules de la première catégorie s’installe dans
l’utérus, c’est un descendant mâle qui sera produit. »
Leeuwenhoek influencé peut-être par les idées de Swammerdam, un universitaire de Leyde, imagine que les animalcules peuvent se transformer en hommes ou en animaux, les uns
mâles, les autres femelles, par une sorte de métamorphose
comme la chenille en papillon. « J’ai imaginé, alors que
j’observais ces animaux, qu’il y avait ici une tête aussi bien
que des épaules ou des hanches, mais je n’ai pu par la suite,
confirmer avec le moindre degré de certitude, cette intuition. Je
n’affirme donc rien… » (Lettre 13 juillet 1685).
Leeuwenhoek est hostile à la théorie de l’ovisme, une thèse
en vogue qui soutient que l’animal est préformé dans l’œuf. Il
est convaincu du rôle des animalcules qui, eux, sont vivants à
l’inverse de l’œuf toujours inerte et il se demande comment les
animalcules se multiplient. Hartsoeker publie, en 1694, un dessin montrant un homonculus, un petit homme en position
fœtale situé dans la tête de l’animalcule. Cela sous-tend l’idée
de préformation, une thèse, l’animalculisme, véritable contretype de l’ovisme. Leeuwenhoek n’est jamais allé si loin dans
cette idée. Mais, le 16 juin 1699, il envoie une lettre qui lui
prêtera cette opinion. Il y fait état d’un document, un texte
accompagné de quatre dessins, que lui a adressé un certain
Dalenpatius, en réalité M. de la Plantade, un scientifique de
Montpellier. Leeuwenhoek a le tort de reproduire des images
qui vont lui être attribuées comme auteur : on y voit un individu en miniature occupant la tête d’un animalcule.
En cette fin du XVIIe siècle, la génération humaine fait
l’objet d’un double débat pour les savants : faut-il le concours
des deux sexes pour faire un enfant ? Quelle est la part de l’un
ou l’autre sexe puisque l’embryon semble préexister soit dans
l’œuf, soit dans l’animalcule ? Pour les partisans de l’ovisme,
la femme n’a pas besoin d’homme tandis que pour certains
savants défenseurs de l’animalculisme, l’embryon préexistant
dans la tête des animalcules, l’utérus ne sert qu’à la poursuite
de son développement jusqu’à terme.
Malgré la confusion de débats souvent passionnés,
qu’évitent les médecins et les sages-femmes, un tournant
majeur s’est produit dans l’histoire des idées sur la procréation
humaine. La génération semblait être sous la dépendance d’une
semence, c’est-à-dire d’un liquide. Désormais, la discussion
pointe sur les vermicules qui y sont observés. Ont-ils un
rôle ? Cette interrogation est renforcée par les découvertes faites autour, de 1670, sur les « testicules féminins », appelés
désormais ovaires car ils contiennent des oeufs. Puisque les
femmes conçoivent à partir d’œufs pondus par les ovaires,
l’idée qu’elles possèdent une semence est également à mettre
au rebut. La génération humaine se fait non pas à partir de
liquides, mais d’éléments figurés [3].
Au XVIIIe siècle, ces interrogations scientifiques se poursuivent. Les animalcules dont la mobilité et la forme ont fasciné tout nouvel observateur deviennent en quelques décennies
de simples êtres vivants, voués à mourir. Ces animalcules ne
sont-ils pas des parasites trouvés dans le sperme d’hommes en
réalité malades ? Leur mobilité ne serait-elle pas la source du
plaisir sexuel des femmes lors des rapports physiques, leur rôle
dans la procréation étant nul ? Leur action mécanique directe
sur l’ovaire ne serait-elle pas responsable de l’ovulation ?
Le siècle des Lumières est encore imprégné de préjugés religieux qui privilégient l’ovisme. Les animalcules perdent de
leur importance, mais les essais de classification des êtres
vivants exigent de déterminer leur place.
Buffon qui prend en compte tous les écrits scientifiques
connus jusqu’à son époque pour rédiger son Encyclopédie,
affirme l’existence de « globules » animés dans les semences
des hommes et des animaux mâles. Il prétend avoir vu, en
1748, à l’aide d’un puissant microscope apporté par Needham,
les mêmes « molécules organiques » dans le liquide qu’on
appellerait aujourd’hui folliculaire, prélevé sur des ovaires de
chiennes. Il n’est donc pas étonnant de lire, en 1749, dans une
lettre adressée à la Société Royale de Londres qu’une femme a
conçu un enfant sans le concours d’un homme. La mise en
évidence de la régénération comme, par exemple, la repousse
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de la queue des lézards, et l’observation de la parthénogenèse
chez le puceron contribuent à privilégier les thèses sur l’ovisme
et la préformation. Buffon ne partage pas ces thèses, mais ses
observations et ses réflexions rendent encore plus confuses les
discussions sur la nature des animalcules. Pour lui, ce ne sont
pas des animaux ; ils ne sont donc pas susceptibles de se
« métamorphoser » en êtres humains. Sa réflexion s’oriente
sur la nature des globules qu’il a vus, présents dans les deux
sexes, sans nier pour autant les observations de Leeuwenhoek,
mais influencé sans doute par Maupertuis. Pour Buffon, leurs
queues ne sont que des corps étrangers, et les globules des
« parties organiques mouvantes », des espèces de machines.
Selon lui, les deux liqueurs séminales mâles et femelles sont
nécessaires « à l’œuvre de la génération » et l’œuf sert à nourrir
le fœtus né de ce mélange des liqueurs [4]. Nous sommes en
1750.
Vers 1760, plusieurs savants annoncent avoir fécondé des
œufs de poissons artificiellement, mais, le 16 mars 1777, Spallanzani réalise une véritable expérience de fécondation in vitro
sur des batraciens, en baignant des œufs de femelles dans la
« liqueur » provenant des vésicules séminales d’un mâle fraîchement sacrifié. Encouragé par ce succès, il prolonge son
expérimentation en affublant des crapauds mâles de caleçons
en taffetas et constate alors que les femelles sont ainsi rendues
stériles. Il montre qu’une goutte de « liqueur séminale » trouvée dans un des caleçons et déposée sur les œufs suffit à donner naissance à des têtards. Quatre ans plus tard, en 1781, Spallanzani poursuit ses expériences et réussit la première
insémination, sur un mammifère, sa petite chienne qu’il avait
enfermée pour être certain de son abstinence. Sachant le rôle de
la température sur la vitalité des animalcules, il avait réchauffé
au préalable la seringue inséminatrice. L’annonce de la naissance de trois chiots enthousiasme quelques savants et, parmi
eux, Bonnet qui, dans une lettre adressée à Spallanzani, presse
l’avenir de cette méthode : « Je ne sais même pas si ce que
vous venez de découvrir n’aura pas quelque jour dans
l’espèce humaine des applications auxquelles nous ne songeons pas et dont les suites ne seront pas légères… ». Spallanzani se met à diluer les semences dans de l’eau et comme il
continue à obtenir des fécondations, il finit par mettre en doute
le rôle des animalcules, car il n’en observe plus dans les
semences qu’il utilise dans ses expériences. De plus, cet abbé
vieillissant préfère croire en l’ovisme pour sa tranquillité
d’esprit et se met à nier le rôle des mâles dans la génération.
Quant à la prémonition de Bonnet, elle devient réalité, en 1791,
dans un coin de l’Angleterre, mais la nouvelle n’est pas diffusée. Aucun savant n’est au courant, Hunter, un médecin anglais
célèbre, s’étant limité à donner des conseils à un mari porteur
d’un hypospadias pour qu’il réalise lui-même l’insémination de
sa femme.
La réussite de cette première insémination avec sperme de
conjoint (IAC) ne sera divulguée que quelques années plus
tard, par Home, après la mort de Hunter, son propre beaufrère, dans une publication sur les anomalies génitales de certains animaux, l’hermaphrodisme chez le chien [5].
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2. XIXe siècle : le spermatozoïde, une cellule qui intervient
dans la fécondation
En 1824, Prévost et Dumas découvrent chez des lapines et
des chiennes en chaleur la présence d’animalcules dans les cornes utérines : ils démontrent expérimentalement que la génération nécessite la rencontre des gamètes mâles et femelles. Le
rôle des mâles n’est plus contesté dans la procréation.
Von Baer distingue pour la première fois l’ovule dans l’œuf,
en observant avec minutie et un peu de chance le contenu d’un
follicule ovarien de chienne, en 1827.
En 1838, Schwann et Schleiden créent la théorie cellulaire,
un concept vraiment nouveau. L’ovule est une cellule typique,
avec son noyau et son protoplasme, mais la nature cellulaire
des animalcules reste discutée. Leur nom change dans les
années 1830, spermatozoen, zoospermes, et finalement Duvernoy, un collaborateur de Cuvier les appelle spermatozoïdes
dans un cours donné au Collège de France en 1841.
L’idée qu’on se fait alors du spermatozoïde reste encore très
éloignée de ce qu’on sait aujourd’hui car, pour résumer,
l’avancée des connaissances sur le spermatozoïde, autour de
1850, a résisté aux grandes découvertes que ce soit les observations de Leeuwenhoek, les expériences de Spallanzani ou la
découverte de la cellule.
Les animalcules dépourvus de protoplasme et mobiles ne
sont-ils pas des parasites, des vers, des êtres unicellulaires ?
Quels rapports ont-ils avec le sperme ?
Leur statut change lorsque Kölliker démontre leur origine
cellulaire testiculaire : « Les cellules séminales, comme je les
appelle, ont avec les spermatozoïdes des connexions intimes
(…) chaque noyau de cellule donne naissance à un
spermatozoïde. » Le froid comme le chaud, la fièvre, suspend
leurs mouvements. « Le sperme se compose uniquement d’une
très petite quantité de liquide visqueux et d’une infinité de corpuscules linéaires… ». « Sa composition n’a pas encore été
déterminée chez l’homme » [6]. Ce même savant décrit plus
tard, en 1868, la spermatogenèse.
S’il est alors bien admis qu’une cellule se forme à partir
d’une autre cellule et que le développement embryonnaire provient d’une multiplication de cellules, reste à savoir comment
s’est formée la première.
De nombreux spécialistes de cette époque ne peuvent penser
qu’un seul spermatozoïde suffit pour transformer un ovule en
embryon étant donné leur différence de taille. Pourtant Barry
l’a suggéré dès 1840, et Newport a observé la pénétration d’un
spermatozoïde dans l’ovule en 1854… mais chez la grenouille.
En 1869, Légeois écrit que « la substance des spermatozoaires
s’étant combinée molécule à molécule avec le liquide de
l’ovule, c’est-à-dire le vitellus, on voit bientôt le contenu granuleux de ce liquide se partager en deux, puis en quatre, puis
en huit, etc., masses arrondies, d’abord sans paroi et présentant
un noyau central » [7].
En 1875, Hertwig, un élève de Haeckel, réalise la découverte scientifique fondamentale, celle de la fécondation de
l’oursin dans les eaux pures de la baie d’Ajaccio. « Un des
noyaux appartient à l’œuf alors que l’autre dérive du sperma-
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tozoïde » [8]. Le spermatozoïde forme un pronoyau après avoir
pénétré dans l’ovule et un seul spermatozoïde suffit. D’autres
savants vont confirmer ce mécanisme comme Fol, puis van
Beneden pour les mammifères.
Entre 1880 et 1886 sont décrits les chromosomes, la mitose
et le nombre fixe de chromosomes pour chaque cellule somatique. Van Beneden décrit la méiose : les gamètes possèdent la
moitié des chromosomes d’une cellule somatique correspondante ce qui conduit Boveri à conclure que le nombre de chromosomes est propre à chaque espèce, animal ou végétal. Flemming apporte la preuve que la chromatine du noyau de la
spermatide donne la tête du spermatozoïde et La Valette, qui
a décrit ses trois segments, pense que la queue provient du
cytoplasme. À la fin du siècle, la pièce intermédiaire fait
l’objet de nombreuses études car le centrosome semble y
jouer un rôle important dans la fécondation.
Ces découvertes cytologiques ne doivent pas occulter le fait
que la génétique n’existe pas encore, que les lois de Mendel
sont ignorées… mais l’eugénisme connaît un engouement
croissant, l’inné, l’acquis, les théories sur l’évolution et la
morale produisant de curieux mariages, comme le montrent
bien des écrits de l’époque.
Considérant que l’acquis est transmissible, améliorer la race
humaine semble une démarche scientifique louable, comme en
témoignent les textes rédigés par Galton, le cousin de Darwin,
et Gobineau, un diplomate. Dans ce mouvement d’idées, le
« Docteur » Gérard fait beaucoup parler de lui avec ses inséminations artificielles.
Bien avant lui, tout au long du XIXe siècle, des inséminations ont été pratiquées, avec succès parfois, alors que la
période ovulatoire de la femme demeure ignorée. Dès le
début de ce siècle, grâce à Thouret, le doyen de la faculté de
médecine de Paris, la technique des inséminations a été précisée et a été reprise par quelques médecins de Nancy, La
Rochelle et Paris.
Quand, en 1885, Joseph Gérard s’apprête à soutenir sur ce
sujet sa thèse, Pajot, un professeur d’obstétrique, celui-là même
qui en était l’inspirateur, s’oppose avec ses collègues du jury à
lui conférer le titre de Docteur en médecine, au motif qu’il a
fait beaucoup trop de publicité sur sa propre pratique, et sur ses
taux de succès. Par ailleurs, dans une affaire opposant un
médecin inséminateur à un couple stérile, le tribunal de Bordeaux a considéré en 1880, que l’insémination « répugne à la
loi naturelle ; elle peut constituer un véritable danger social et
il importe à la dignité du mariage que de semblables procédés
ne soient pas transportés du domaine de la science dans celui
de la pratique ». Considérant qu’il avait été traité injustement,
Gérard devenu docteur l’année suivante en consacrant sa thèse,
cette fois, à l’ulcère de l’estomac, se défend en publiant un
livre dénonçant la méprise populaire : « Beaucoup de personnes ont cru sincèrement… que nous fabriquions des enfants de
toutes pièces, qu’il suffisait de faire sa commande… qu’on
pouvait demander le sexe et la couleur des yeux, voire les aptitudes physiques et morales des futurs embryons » [9]. Le spermatozoïde devient hors-la-loi moral.
En 1897, le Saint-Office de Rome prononce sa sentence :
est-il permis de féconder artificiellement une femme ? « Ce
n’est pas licite. » Les inséminations intraconjugales ne sont
plus pratiquées en Europe pour plusieurs décennies, du moins
au grand jour. Mais en 1884, la première insémination avec
donneur (IAD) a été pratiquée par Pancoast, professeur à Philadelphie, en utilisant le sperme d’un donneur sélectionné, le
meilleur étudiant de sa promotion… L’épouse inséminée avait
été chloroformée pour la circonstance.
Les débuts du planning familial s’opèrent, dans le même
temps, en Europe, dans la même clandestinité. Sims a signalé,
en 1866, que les spermatozoïdes peuvent rester plusieurs jours
vivants dans l’organisme féminin, dans les sécrétions cervicales (test post-coïtal). Hertwig renchérit : « Il est possible que
les spermatozoïdes de l’homme puissent, dans ces circonstances vivre pendant plusieurs semaines » [10].
Duplay en trouve dans le sperme de 37 vieillards sur 51
étudiés, des hommes âgés de 60 à 80 ans, à la suite de la publication parue, en 1867, du Dr Dieu sur le sperme des hommes
âgés.
Kölliker avait noté que la dilution du sperme dans de l’eau
rendait les spermatozoïdes immobiles en raison de
l’enroulement de leur queue « mais dans cet état les spermatozoïdes ne sont pas morts (…) j’ai constaté, au contraire, que
des solutions concentrées peuvent y faire renaître le mouvement ». La robustesse des spermatozoïdes devient légendaire…
Les premiers préservatifs en latex sont fabriqués par MacIntosh dans les années 1970, mais en 1880, Rendell, un pharmacien de Londres, met au point un pessaire composé de bisulfite
de quinine et de beurre de cacao qui fond, une fois placé dans
le vagin. Cet ovule a des vertus spermicides relatives puisqu’il
immobilise, mais ne semble pas tuer les spermatozoïdes. Gunther, en 1907, réalisera les premiers tests in vitro pour comparer le pouvoir spermicide de neuf produits, le critère retenu
étant limité, cette fois encore, à la perte de mobilité des gamètes mâles [11].
3. Spermatozoïde et génétique au XXe siècle
La génétique moderne naît en 1900, coïncidant avec la redécouverte des analyses de Mendel faites 35 ans plus tôt. Wilson
montre que la femelle des drosophiles possède deux chromosomes X et le mâle un seul. Morgan analyse les mutations
naturelles et Painter localise de très nombreux gènes dans les
chromosomes géants des glandes salivaires de ces mouches.
L’eugénisme, une idéologie plus qu’une science, poursuit
alors son essor avec les dérives épouvantables qu’on connaîtra.
La découverte des hormones coïncide aussi avec la naissance de la génétique, au tout début du siècle. La période fertile
de la femme est enfin scientifiquement reconnue, vers les
années 1920, indépendamment par Ogino et Knaus.
Pendant la première moitié du XXe siècle, l’étude des spermatozoïdes est assez délaissée, même si dès 1895, leur
comptage avec une cellule, un hémocytomètre, a été réalisé
par Alois Lode. Certes des spermogrammes sont parfois réalisés pour définir des normes ; en 1929, Macomby et Saunders
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relient le nombre de spermatozoïdes au diagnostic et au pronostic d’une stérilité conjugale. Mais, l’origine masculine
dans les stérilités reste vague pour la plupart des médecins,
les femmes étant considérées responsables dans la majorité
des cas, que ce soit pour des raisons hormonales, défauts
d’ovulation, absence de perméabilité tubaire, hormis pour
celles dont le mari présente des difficultés sexuelles. Les
recherches sur l’appareil génital de l’homme prennent ainsi
du retard sur celles de la femme.
En 1949, Kitty Ponse, faisant le point sur la différenciation
du sexe, dans son livre, ne peut conclure sur la prééminence
des chromosomes ou des hormones pour le garçon. Le chromosome Y est si petit qu’il pourrait être un artefact. Pour Rostand ce qui compte est le chromosome X : un seul X dans l’œuf
et un garçon est conçu, deux et c’est une fille. Mais les
embryologistes montrent de leur côté, par des expériences utilisant des hormones, leur énorme impact sur la différenciation
des appareils génitaux au point de pouvoir inverser le sexe.
Le 27 mai 1950, paraît dans la revue Nature un article
consacrant une grande première scientifique : on y annonce la
naissance de deux lapins d’une taille très augmentée pour leur
race, après avoir traité le sperme de lapin avec de la colchicine,
ce qui aurait conféré aux gamètes un gain de chromosomes !
Selon les auteurs de cette même publication, la tête de leurs
spermatozoïdes paraît plus grosse.
La vraie découverte notable date de l’année précédente,
1949, et constitue une grande étape dans l’histoire des spermatozoïdes. Polge et al. se sont aperçus accidentellement que des
spermatozoïdes de poulet congelés dans du glycérol gardent
leur potentiel de mobilité si on les décongèle, même trois
jours plus tard. Certes déjà Spallanzani avait remarqué l’effet
du froid, comme on l’a vu. Mais, on en vient ainsi à la mise au
point de procédures de cryopréservation de spermatozoïdes
provenant de plusieurs espèces animales, en particulier de taureaux, une technologie qui va prendre un grand développement
dans les élevages d’animaux domestiques.
Les applications à l’Homme conduisent à la création de banques de sperme humain au Japon et aux États-Unis en 1962 ;
Sherman obtient plusieurs grossesses à partir de 1963. Le premier CECOS voit le jour en France, en 1973, à l’instigation
surtout de David, malgré des condamnations solennelles
d’ordre moral [12]. La qualité des spermatozoïdes est essentiellement liée à leur aptitude à garder leur mobilité après décongélation. Leur anonymat est une règle en France pour le don.
Les études se trouvent puissamment stimulées avec le développement des CECOS. Les connaissances sur la part masculine
dans les stérilités conjugales vont faire de grands progrès.
Le spermatozoïde livre ses secrets aux chercheurs, aux
andrologues, notamment sa complexité morphologique.
L’acrosome avait été identifié par Retzius en 1881 et Benda,
en 1887 en avait reconnu l’origine Golgienne. À partir de
1955, le microscope électronique révèle l’ultrastructure du
gamète mâle normal [13] au terme de la spermiogenèse [14].
De nombreuses équipes décrivent, dans les années suivantes,
des anomalies ultrastructurales et, parmi elles, en France, les
équipes de David et de Dadoune. Le complexe axonémal pré-
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sente une structure ciliaire comparable à ce qui existe dans les
règnes animal et végétal. Le spermocytogramme classique est
confronté aux données du microscope électronique : les résultats normaux passent en quelques années de 90 % de formes
normales à 30 %, voire moins.
La mobilité des spermatozoïdes fait l’objet d’analyses vélocimétriques sophistiquées par microvidéographie assistée par
ordinateur, mais encore faut-il trouver un modèle mathématique satisfaisant pour expliquer comment cette mobilité permet
leur progression linéaire dans le liquide séminal aux particularités rhéologiques encore peu connues. La dynéine isolée, en
1963, par Gibbons et étudiée chez l’oursin constitue une protéine essentielle pour cette fonction. Les microtubules glissent
les uns par rapport aux autres, un modèle comparable à celui
des myocytes. Dans les années 1980, la question de savoir s’il
y avait contraction ou glissement de ces structures faisait
l’objet d’une controverse. Cette problématique rappelle celle
résolue par Sténon pour les fibres musculaires… au temps de
Leeuwenhoek. Le moteur du spermatozoïde est dans le flagelle, dans la pièce intermédiaire : les enzymes mitochondriales
identiques à celles des muscles fournissent l’ATP indispensable à la mobilité. Il avait été proposé d’activer le mouvement
des spermatozoïdes en les faisant migrer sur de la laine de
verre, ou en les plaçant dans des milieux enrichis en inhibiteurs
de la phosphodiestérase, par exemple ; ces procédures sont évidemment inopérantes quand l’appareil axonémal est malformé
ou défaillant. D’autres recherches ont porté sur le canal épididymaire, long de plusieurs mètres, un passage obligé pour que
le spermatozoïde devienne mobile et mature [15]. On a montré
également qu’une élévation de la température scrotale réduit la
qualité et met en péril la vitalité des gamètes. Mais est-ce que
cet ensemble de données constitue un apport, constituant un
apport important, font remarquer ceux pour qui un spermatozoïde dans le liquide séminal survit quelques heures alors qu’il
reste vivant quelques jours s’il séjourne dans les liquides génitaux féminins ? Les plus finalistes lui prêtent ainsi un véritable
instinct de survie lorsqu’il se sauve dans le mucus cervical.
En s’éloignant de ce point de vue anthropocentrique, on
constate que le problème biologique s’est en fait déplacé : le
spermatozoïde doit être apte à migrer dans le mucus cervical et/
ou les milieux de culture pour être capacité et devenir fécondant.
En 1965, Edwards écrit : « La fécondation d’œufs de mammifères in vitro n’est pas facile, bien que de nombreux ovules
de lapins l’aient été en utilisant des spermatozoïdes pris dans
l’appareil génital de la femelle. » Edwards fait ainsi référence
au succès obtenu sur la lapine, en 1959, par Thibault et Dauzier, mais il souligne aussi la nécessité de mettre au point des
techniques de lavages des spermatozoïdes [16]. En 1978, il
réussit avec Steptoe la première FIVETE humaine qui a nécessité une préparation particulière du sperme [17]. Pour la première fois, il est possible techniquement de mettre en évidence
directement la qualité fécondante ou non des spermatozoïdes.
L’attention se porte alors sur le nombre de spermatozoïdes
mobiles pour le corréler au pronostic en Assistance médicale
à la procréation (AMP).
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Ce paramètre devient quantifié avec les tests de migration–
survie marquant au fil des ans sa supériorité pour décider des
indications thérapeutiques. On s’aperçoit ainsi que la FIV ne
résout pas les problèmes de stérilité masculine.
Malgré ses succès croissants, l’AMP butte sur une nouvelle
limite biologique : des spermatozoïdes mis en présence de
complexes cumulo-ovocytaires ne peuvent adhérer à la zone
pellucide dans certains cas. Des tests de fécondance utilisant
des fragments de zone pellucide sont alors mis en œuvre,
mais leurs résultats ne constituent pas une fidèle prédiction de
ce qui se passera en FIV.
Les recherches sur le pouvoir fécondant de tel ou tel éjaculat
mettant en lumière notre ignorance persistante, des équipes
médicales se sont déjà tournées vers le GIFT (Gamete Intra
Fallopian Transfer : Transfert intra-tubaire de gamète), à
l’exemple de Asch, à partir de 1984 : les spermatozoïdes se
débrouillent avec les ovocytes dans les trompes et seul le résultat compte ! Les taux de grossesses paraissent impressionnants,
mais surtout ceux des grossesses multiples, pour les esprits critiques ! Quant à comprendre les échecs du GIFT, il n’en est pas
question puisque la fécondation est redevenue mystérieuse, se
faisant à l’insu des regards au microscope.
La FIV finalement reprend tout son intérêt, dans les années
1990, même si elle ne peut résoudre tous les cas de stérilité
masculine, notamment d’origine immunologique ou dans les
asthénospermies extrêmes. Les spermatozoïdes sont parfois
aussi incapables de franchir la zone pellucide, de réaliser leur
réaction acrosomiale et par là même d’interagir avec l’ovocyte.
En 1986, Talansky, Gordon puis Cohen et Malter cherchent
à faciliter l’accès des spermatozoïdes peu mobiles jusqu’à
l’ovocyte en fendant la zone pellucide (PZD, Partial Zona Drilling). En 1988, une équipe de Singapour avec Bongso, Sathananthan, préfère injecter les spermatozoïdes sous cette zone
(SUZI, SUb Zonal Injection). Finalement en 1992, Palermo
avec l’équipe belge de Van Steirteghem et Devroey obtient
des naissances avec la micro-injection d’un spermatozoïde
dans l’ovocyte, l’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection)
[18]. Cette dernière technique démontrant qu’un seul spermatozoïde suffit pour devenir père soulève dans les imaginaires
du public et de certains couples traités le problème de la sélection du spermatozoïde injecté dans chaque ovocyte. Les spécialistes, quant à eux, découvrent qu’avec l’ICSI ce qui compte
n’est finalement pas le spermatozoïde dans son intégralité,
mais son génome car peu importe la qualité de son flagelle
ou de son acrosome. Autour des années 1970, de nombreuses
équipes avaient analysé la morphologie ultrastructurale des
spermatozoïdes pathologiques, la microscopie à balayage donnant par ailleurs des images particulièrement spectaculaires de
la fécondation. Avec l’ICSI, ces études semblent perdre de leur
importance.
Grâce à la FIV, on croyait connaître les spermatozoïdes et la
limite de leur pouvoir fécondant. Avec l’ICSI, on fait reculer
notre ignorance. Cette cellule qui émerveillait par sa mobilité
s’est trouvée réduite en quelques années à son compartiment
nucléaire génétique. Certes l’audace d’injecter un spermatozoïde dans un ovocyte, un viol pour certains, a abouti à la
naissance d’enfants normaux. Des enfants sont aussi nés de
pères porteurs d’un Klinefelter. La stérilité masculine pourrait
sembler vaincue puisque le spermatozoïde immobile et même
celui qui est immature, arraché à la pulpe testiculaire, est
devenu fécondant. Cette vision réductrice, trop optimiste risque
d’ignorer un certain nombre d’interrogations d’ordre génétique
sur l’avenir des enfants ainsi conçus liées à l’empreinte parentale, par exemple.
La relation intime entre génétique et procréation n’a en effet
cessé de grandir avec l’avancée des techniques d’AMP. On
connaissait, depuis 1942, le syndrome de Klinefelter avec ses
nombreuses variantes chromosomiques publiées à partir de
1975 ; des publications rapportaient aussi des formes familiales
d’anomalies ultrastructurales des spermatozoïdes relevant sans
doute d’anomalies génétiques.
Mais le humster test mis au point par Yanagimachi, en 1976
[19], démontrant qu’il est possible d’obtenir des fécondations
hétérospécifiques, de transgresser la barrière des espèces en
enlevant la zone pellucide ovocytaire, a créé beaucoup plus
d’émoi. Ce test utilisé pour tester la fécondance d’un sperme
n’a pas apporté les résultats escomptés, car le pouvoir fécondant des spermatozoïdes reste individuel. Cette découverte a
ouvert néanmoins des discussions fondamentales importantes,
comme on le verra plus loin.
Déterminer le caryotype des spermatozoïdes a été longtemps impossible. La technique de décondensation obtenue
par des fécondations hétérospécifiques (humster test) a offert
cette possibilité [20] avec évidemment un rendement très
faible, ce travail particulièrement fastidieux ne pouvant porter
que sur quelques dizaines de spermatozoïdes. Les techniques
utilisées aujourd’hui de cytogénétique moléculaire, les sondes
et l’hybridation in situ, permettent théoriquement d’analyser
très aisément les aneuploïdies présentes sur un grand nombre
de gamètes. Les spermatozoïdes porteurs d’aneuploïdies sont
beaucoup plus nombreux que ce qu’on croyait et peuvent
paraître normaux… mais celui qui nous intéresse le plus,
celui qui va être utilisé en ICSI et qui est sélectionné dans
l’esprit des non-spécialistes est précisément un spermatozoïde
au caryotype et au génome inconnus.
Dès lors des questions sont devenues d’actualité : comment
trier les spermatozoïdes ? Peut-on choisir le sexe de l’enfant à
venir ?
Fondamentalement les spermatozoïdes gardent leur mystère
génétique parce qu’ils sont tous différents les uns des autres et
de ce point de vue, nul ne saurait distinguer les bons des mauvais. Peu de gens savent que les spermatozoïdes ne sont soumis
même dans les laboratoires les plus avisés qu’à la vision subjective d’un observateur pourtant compétent. Et que
d’incertitudes ! Elle n’est pas si loin l’époque où l’on pensait
qu’un spermatozoïde porteur d’un double Y pouvait être responsable de faire de l’individu qui le possédait un criminel en
puissance.
Les méthodes avancées pour choisir le sexe de l’enfant ont
évolué avec des succès qui ont stagné… autour de 50 %. Historiquement, elles ont d’abord consisté à jouer sur
l’environnement des gamètes, le pH des sécrétions cervicova-
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ginales, par exemple. Elles se sont orientées ensuite sur la
recherche de caractéristiques différentielles entre les spermatozoïdes X et Y, les Y étant censés courir plus vite que les X,
comme en athlétisme les garçons par rapport aux filles ? La
petitesse du chromosome Y a conduit ensuite à l’idée que les
spermatozoïdes Y étaient plus légers que les X. Des techniques
de centrifugation différentielle sophistiquées se sont multipliées. Mais y a-t-il une relation entre la vélocité des spermatozoïdes et leur génome situé dans leur tête alors que la mobilité est liée aux mitochondries et alors à leur ADN d’origine
fondamentalement maternel ? Plus récemment et de façon
efficiente cette fois, avec le recours d’outils utilisés en
cytogénétique, quelques équipes se sont lancées sur le diagnostic préconceptionnel, en déterminant la nature du chromosome
sexuel de chaque spermatozoïde destiné à être micro-injecté.
Ce choix du sexe est une démarche éthiquement prohibée en
France.
4. XXIe siècle, vers l’inutilité des spermatozoïdes
pour procréer ?
Faudra-t-il encore un spermatozoïde pour concevoir un
enfant dans quelques décennies, est-ce la fin programmée des
spermatozoïdes ?
On peut poser aujourd’hui cette question.
Les analyses de môles hydatiformes ont montré que le patrimoine masculin est important pour le développement du trophoblaste embryonnaire, mais pas pour la masse interne qui
forme l’embryon. Pour autant on ne saurait conclure à
l’inutilité du spermatozoïde comme le démontre cette pathologie du développement.
Ceux qui croient à l’importance du spermatozoïde pour la
fécondation restent, par conséquent, très majoritaires. Ils étudient la fragmentation de l’ADN dans la tête, traitent le stress
oxydatif décrit par Jones et Mann en 1973, en agissant sur la
production des radicaux libres comme l’a montré Aitken. Pour
eux encore, il y a priorité aux recherches sur la cryoconservation des spermatozoïdes, sur la mise au point de greffes de
cellules germinales, pour prévenir ou pallier certaines stérilités
acquises, voire congénitales.
Mais l’évolution de la biologie de la reproduction n’a cessé
de franchir de nouveaux seuils, marquée par une succession de
transgressions [21]. Quelles en seront donc les limites ?
Être stérile de père en fils devient une réalité, grâce à l’ICSI,
en utilisant un spermatozoïde, voire en injectant un spermatide.
Certes, les études sur l’empreinte parentale jettent un doute
sur l’innocuité de ces procédures pour les descendants.
Mais le spermatozoïde est-il encore indispensable pour faire
un enfant ? Certaines publications inciteraient à en douter. Il y
a un consensus pour interdire le clonage reproductif mais cette
discussion n’est pas close pour autant [22]. Des cellules somatiques peuvent être transformées en cellules haploïdes.
L’utilisation de cellules souches ne relève plus de l’utopie…
s’agit-il d’un retour à l’ovisme ?
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De tels programmes de recherche et d’autres travaux en
cours sur les spermatozoïdes font rejaillir périodiquement des
épisodes du passé. Prenons deux exemples.
La vision anthropomorphique du spermatozoïde est certes
lointaine, mais pourtant aujourd’hui beaucoup des gens se
demandent si l’AMP peut changer l’Homme en manipulant
les gamètes. Le spectre des menaces sur l’évolution de notre
espèce rejoint les débats du XIXe siècle suscités par les théories
sur l’évolution. Bedford après avoir montré que des spermatozoïdes humains peuvent pénétrer l’ovocyte d’un gibbon a soulevé la thèse d’une évolution des récepteurs des spermatozoïdes présents sur la zone pellucide pour expliquer la taxonomie
entre les singes et les hominidés, évoquant l’hypothèse de
récepteurs communs qui se seraient différenciés secondairement [23]. Les liens biologiques existant entre être humain et
singe continuent à fournir des interrogations qui remontent
bien avant Darwin, jusqu’à l’Antiquité [24]. Cette hypothèse
sur le passé de l’Homme renvoie à des questions sur son avenir.
Quel homme sera le plus apte à survivre sur cette planète ?
L’homme artificiel, celui qui naîtra d’AMP en ayant vraiment
subi de réelles modifications génétiques ? Va-t-on accentuer
par l’AMP la variabilité de notre espèce jusqu’à une cohabitation d’hommes différents, comme celle bien établie entre
l’homme de Néandertal et l’homo sapiens ? Ces changements
s’ils sont possibles demanderaient plusieurs siècles et pourtant
alimentent fortement les réflexions.
Par ailleurs, une équipe de chercheurs a rapporté que des
hommes stérilisés par des traitements anticancéreux pourraient
récupérer naturellement une spermatogenèse complète et par-là
même des possibilités de procréation ; leurs gonades pourraient
être colonisées à partir de cellules souches contenues dans leur
moelle osseuse. Cette thèse récente étayée par des travaux
encore discutés a fait grand bruit [25]. Elle rendrait floue la
distinction faite depuis plus d’un siècle entre les cellules germinales et les cellules somatiques.
Elle rejoint par ailleurs étonnamment de très vieilles croyances. Hippon, pythagoricien du VIe siècle avant J.-C., contemporain d’Anaxagore, supposait que les os du fœtus « se
concréaient de la semence masculine ». L’avait-il appris des
égyptiens ? Des textes religieux égyptiens datant de 1000 ans
avant notre ère proclamaient que la semence du mâle est créée
ou fixée dans les os [26]. Pour les Égyptiens, les os constituaient le réservoir de la semence, une idée exprimée dans
leur mythologie avec les dieux Khonsou et Khnoum qui créaient les germes masculins de la vie dans les os. Cette croyance
était peut-être plus ancienne encore, puisqu’elle a été rencontrée dans plusieurs ethnies africaines, notamment chez les Vendas pour qui le père donne les os et les organes, tandis que la
mère fournit la chair et le sang à l’enfant [27]. La biparentalité
était sauve en ces temps reculés.
Mais, si l’on reprend l’histoire de la biologie au cours des
trois millénaires qui nous séparent de cette époque, il est stupéfiant de constater le nombre de fois où cette idée de biparentalité nécessaire a été ébranlée. C’est encore le cas de nos jours.
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L’imaginaire et l’amnésie des hommes n’ont pas fini
d’alimenter la saga du spermatozoïde.
Note de l’auteur
Dans ce texte qui ne prétend pas être exhaustif manquent
beaucoup de noms de contemporains, notamment de français
qui ont contribué dans les 40 dernières années à faire avancer
les connaissances sur le spermatozoïde. Que chacun d’eux
accepte ce choix sans acrimonie !
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