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Histoire du spermatozoïde et mobilité des idées

2006, Gynécologie Obstétrique & Fertilité

En 1677, Leeuwenhoek a découvert, avec Ham, des animalcules dans le sperme humain, sans ajouter d'interprétations théoriques à cette découverte. Les discussions se sont alors focalisées sur le rôle respectif de l'oeuf et des animalcules pendant deux siècles avec des positions inexactes. Les idées modernes sur le statut et l'origine des animalcules sont liées au développement de la théorie cellulaire. Les animalcules sont devenus des spermatozoïdes. En 1875, Hertwig a observé la transformation de la tête d'un spermatozoïde en pronucleus et son association au pronucleus femelle, établissant ainsi le concept de la fécondation, la conjugaison de deux cellules. Au cours de la première moitié du XX e siècle, l'endocrinologie et la génétique ont influencé la prise en charge des couples infertiles. La cryopréservation, les analyses ultrastructurales ont développé les connaissances sur le gamète mâle normal et anormal. La fécondation in vitro et plus encore l'ICSI ont ouvert de nouvelles perspectives sur la place du spermatozoïde dans la génération humaine. La génétique et la procréation ont eu des connexions de plus en plus étroites au point que tout projet d'avancée nouvelle déclenchait des débats éthiques, étant perçu comme une transgression de l'ordre biologique naturel. L'avenir du spermatozoïde dans les projets de reproduction humaine demeure un mystère avec, par exemple, les développements expérimentaux à partir de cultures de cellules souches.

Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 http://france.elsevier.com/direct/GYOBFE/ Onzièmes Journées nationales de la FFER (Paris, 11–13 octobre 2006) Histoire du spermatozoïde et mobilité des idées History of spermatozoon and changing views J. Gonzalès Inserm U 782 Endocrinologie et génétique de la reproduction et du développement du Directeur-J.-Y.-Picard), 32, rue des Carnets, 92140 Clamart, France Reçu le 10 juillet 2006 ; accepté le 15 juillet 2006 Disponible sur internet le 07 septembre 2006 Résumé En 1677, Leeuwenhoek a découvert, avec Ham, des animalcules dans le sperme humain, sans ajouter d’interprétations théoriques à cette découverte. Les discussions se sont alors focalisées sur le rôle respectif de l’œuf et des animalcules pendant deux siècles avec des positions inexactes. Les idées modernes sur le statut et l’origine des animalcules sont liées au développement de la théorie cellulaire. Les animalcules sont devenus des spermatozoïdes. En 1875, Hertwig a observé la transformation de la tête d’un spermatozoïde en pronucleus et son association au pronucleus femelle, établissant ainsi le concept de la fécondation, la conjugaison de deux cellules. Au cours de la première moitié du XXe siècle, l’endocrinologie et la génétique ont influencé la prise en charge des couples infertiles. La cryopréservation, les analyses ultrastructurales ont développé les connaissances sur le gamète mâle normal et anormal. La fécondation in vitro et plus encore l’ICSI ont ouvert de nouvelles perspectives sur la place du spermatozoïde dans la génération humaine. La génétique et la procréation ont eu des connexions de plus en plus étroites au point que tout projet d’avancée nouvelle déclenchait des débats éthiques, étant perçu comme une transgression de l’ordre biologique naturel. L’avenir du spermatozoïde dans les projets de reproduction humaine demeure un mystère avec, par exemple, les développements expérimentaux à partir de cultures de cellules souches. © 2006 Publié par Elsevier SAS. Abstract With Ham, Leeuwenhoek discovered animalcules in human semen in 1677, without theoretical interpretations. Discussions focused on the respective role of ovum and animalcules during two centuries with erroneous doctrines. Modern ideas on status and origin of animalcules are associated with the development of the cell theory. Animalcules became spermatozoa. In 1875, Hertwig observed that the head of spermatozoon becomes a pronucleus and combines with the female pronucleus, thus establishing the concept that fertilization is the conjugation of two cells. During the first half of 20th century, endocrinology and genetics influenced management of infertile couples. Cryopreservation, analyses of ultrastructural morphology improved knowledges of normal and abnormal male gametes. In Vitro Fertilization and more IntraCytoplasmic Sperm Injection opened new views on the role of spermatozoa in human generation. Genetics and procreation were more and more so linked that each perspective of further advances shocked ethical considerations as transgression of natural biology. The future of spermatozoon in human reproductive programs remains a mystery according to, for example, experimental development using stem cell cultures. © 2006 Publié par Elsevier SAS. Mots clés : Histoire du spermatozoïde ; Reproduction ; Stérilité masculine Keywords: History of spermatozoa; Reproduction; Male sterility Adresse e-mail : [email protected] (J. Gonzalès). 1297-9589/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.gyobfe.2006.07.025 820 J. Gonzalès / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 1. Leeuwenhoek et les animalcules La véritable histoire du spermatozoïde débute avec les premières observations d’animalcules dans la semence humaine. En 1677, une lettre envoyée par Leeuwenhoek à la Société Royale de Londres fait date pour cet événement scientifique. Leeuwenhoek vivait à Delft, dans la ville même où de Graaf exerçait la médecine. Au début de l’année 1673, il avait été recommandé par ce dernier à la Royal Society pour la qualité de ses lentilles et de ses descriptions microscopiques. Leeuwenhoek adressait sa première lettre à la société savante dès le 28 avril (il en enverra 249 autres) ; de Graaf, lui, s’éteignait quelques mois plus tard, le 16 août 1973 [1]. Revenons à la lettre envoyée en novembre 1977 à Lord Brouncker, le président de la Société Royale, dans laquelle Leeuwenhoek rapporte les observations qu’il a faites avec Johan Ham, un jeune étudiant en médecine de Leyde recommandé par Cranen. Dès sa deuxième visite, le jeune homme à qui Leeuwenhoek avait confié une lentille de sa fabrication lui avait signalé la présence d’« animalcules vivants qui possèdent une queue » dans l’épanchement séminal d’un homme atteint de blennorragie. Leeuwenhoek avait confirmé cette observation dans la semence d’un homme cette fois sain. En réponse à cette lettre, le secrétaire de la Société Royale demande à Leeuwenhoek d’étudier les semences d’animaux pour étayer sa découverte et pour mettre en évidence d’éventuelles différences avec l’Homme. Leeuwenhoek y répond le 18 mars 1678 par une lettre en latin qu’il accompagne de dessins montrant des animalcules humains et canins, des « créatures qui naissent et meurent ». Huygens fait connaître cette nouvelle scientifique dans le Journal des Savants, daté du 15 août, sans en préciser le ou les auteurs, en signalant simplement « On a observé en Hollande… » [2]. Leeuwenhoek, un calviniste convaincu, ne croit pas à la génération spontanée : « C’est pure imagination ». Il prétend que les animalcules, en nombre impressionnant, proviennent des testicules. Dans sa lettre du 12 octobre 1685, il ajoute : « Je suis convaincu que les animalcules sont de deux types (…) mâles et femelles et qu’en conséquence si l’un (ou plus) des animalcules de la première catégorie s’installe dans l’utérus, c’est un descendant mâle qui sera produit. » Leeuwenhoek influencé peut-être par les idées de Swammerdam, un universitaire de Leyde, imagine que les animalcules peuvent se transformer en hommes ou en animaux, les uns mâles, les autres femelles, par une sorte de métamorphose comme la chenille en papillon. « J’ai imaginé, alors que j’observais ces animaux, qu’il y avait ici une tête aussi bien que des épaules ou des hanches, mais je n’ai pu par la suite, confirmer avec le moindre degré de certitude, cette intuition. Je n’affirme donc rien… » (Lettre 13 juillet 1685). Leeuwenhoek est hostile à la théorie de l’ovisme, une thèse en vogue qui soutient que l’animal est préformé dans l’œuf. Il est convaincu du rôle des animalcules qui, eux, sont vivants à l’inverse de l’œuf toujours inerte et il se demande comment les animalcules se multiplient. Hartsoeker publie, en 1694, un dessin montrant un homonculus, un petit homme en position fœtale situé dans la tête de l’animalcule. Cela sous-tend l’idée de préformation, une thèse, l’animalculisme, véritable contretype de l’ovisme. Leeuwenhoek n’est jamais allé si loin dans cette idée. Mais, le 16 juin 1699, il envoie une lettre qui lui prêtera cette opinion. Il y fait état d’un document, un texte accompagné de quatre dessins, que lui a adressé un certain Dalenpatius, en réalité M. de la Plantade, un scientifique de Montpellier. Leeuwenhoek a le tort de reproduire des images qui vont lui être attribuées comme auteur : on y voit un individu en miniature occupant la tête d’un animalcule. En cette fin du XVIIe siècle, la génération humaine fait l’objet d’un double débat pour les savants : faut-il le concours des deux sexes pour faire un enfant ? Quelle est la part de l’un ou l’autre sexe puisque l’embryon semble préexister soit dans l’œuf, soit dans l’animalcule ? Pour les partisans de l’ovisme, la femme n’a pas besoin d’homme tandis que pour certains savants défenseurs de l’animalculisme, l’embryon préexistant dans la tête des animalcules, l’utérus ne sert qu’à la poursuite de son développement jusqu’à terme. Malgré la confusion de débats souvent passionnés, qu’évitent les médecins et les sages-femmes, un tournant majeur s’est produit dans l’histoire des idées sur la procréation humaine. La génération semblait être sous la dépendance d’une semence, c’est-à-dire d’un liquide. Désormais, la discussion pointe sur les vermicules qui y sont observés. Ont-ils un rôle ? Cette interrogation est renforcée par les découvertes faites autour, de 1670, sur les « testicules féminins », appelés désormais ovaires car ils contiennent des oeufs. Puisque les femmes conçoivent à partir d’œufs pondus par les ovaires, l’idée qu’elles possèdent une semence est également à mettre au rebut. La génération humaine se fait non pas à partir de liquides, mais d’éléments figurés [3]. Au XVIIIe siècle, ces interrogations scientifiques se poursuivent. Les animalcules dont la mobilité et la forme ont fasciné tout nouvel observateur deviennent en quelques décennies de simples êtres vivants, voués à mourir. Ces animalcules ne sont-ils pas des parasites trouvés dans le sperme d’hommes en réalité malades ? Leur mobilité ne serait-elle pas la source du plaisir sexuel des femmes lors des rapports physiques, leur rôle dans la procréation étant nul ? Leur action mécanique directe sur l’ovaire ne serait-elle pas responsable de l’ovulation ? Le siècle des Lumières est encore imprégné de préjugés religieux qui privilégient l’ovisme. Les animalcules perdent de leur importance, mais les essais de classification des êtres vivants exigent de déterminer leur place. Buffon qui prend en compte tous les écrits scientifiques connus jusqu’à son époque pour rédiger son Encyclopédie, affirme l’existence de « globules » animés dans les semences des hommes et des animaux mâles. Il prétend avoir vu, en 1748, à l’aide d’un puissant microscope apporté par Needham, les mêmes « molécules organiques » dans le liquide qu’on appellerait aujourd’hui folliculaire, prélevé sur des ovaires de chiennes. Il n’est donc pas étonnant de lire, en 1749, dans une lettre adressée à la Société Royale de Londres qu’une femme a conçu un enfant sans le concours d’un homme. La mise en évidence de la régénération comme, par exemple, la repousse J. Gonzalès / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 de la queue des lézards, et l’observation de la parthénogenèse chez le puceron contribuent à privilégier les thèses sur l’ovisme et la préformation. Buffon ne partage pas ces thèses, mais ses observations et ses réflexions rendent encore plus confuses les discussions sur la nature des animalcules. Pour lui, ce ne sont pas des animaux ; ils ne sont donc pas susceptibles de se « métamorphoser » en êtres humains. Sa réflexion s’oriente sur la nature des globules qu’il a vus, présents dans les deux sexes, sans nier pour autant les observations de Leeuwenhoek, mais influencé sans doute par Maupertuis. Pour Buffon, leurs queues ne sont que des corps étrangers, et les globules des « parties organiques mouvantes », des espèces de machines. Selon lui, les deux liqueurs séminales mâles et femelles sont nécessaires « à l’œuvre de la génération » et l’œuf sert à nourrir le fœtus né de ce mélange des liqueurs [4]. Nous sommes en 1750. Vers 1760, plusieurs savants annoncent avoir fécondé des œufs de poissons artificiellement, mais, le 16 mars 1777, Spallanzani réalise une véritable expérience de fécondation in vitro sur des batraciens, en baignant des œufs de femelles dans la « liqueur » provenant des vésicules séminales d’un mâle fraîchement sacrifié. Encouragé par ce succès, il prolonge son expérimentation en affublant des crapauds mâles de caleçons en taffetas et constate alors que les femelles sont ainsi rendues stériles. Il montre qu’une goutte de « liqueur séminale » trouvée dans un des caleçons et déposée sur les œufs suffit à donner naissance à des têtards. Quatre ans plus tard, en 1781, Spallanzani poursuit ses expériences et réussit la première insémination, sur un mammifère, sa petite chienne qu’il avait enfermée pour être certain de son abstinence. Sachant le rôle de la température sur la vitalité des animalcules, il avait réchauffé au préalable la seringue inséminatrice. L’annonce de la naissance de trois chiots enthousiasme quelques savants et, parmi eux, Bonnet qui, dans une lettre adressée à Spallanzani, presse l’avenir de cette méthode : « Je ne sais même pas si ce que vous venez de découvrir n’aura pas quelque jour dans l’espèce humaine des applications auxquelles nous ne songeons pas et dont les suites ne seront pas légères… ». Spallanzani se met à diluer les semences dans de l’eau et comme il continue à obtenir des fécondations, il finit par mettre en doute le rôle des animalcules, car il n’en observe plus dans les semences qu’il utilise dans ses expériences. De plus, cet abbé vieillissant préfère croire en l’ovisme pour sa tranquillité d’esprit et se met à nier le rôle des mâles dans la génération. Quant à la prémonition de Bonnet, elle devient réalité, en 1791, dans un coin de l’Angleterre, mais la nouvelle n’est pas diffusée. Aucun savant n’est au courant, Hunter, un médecin anglais célèbre, s’étant limité à donner des conseils à un mari porteur d’un hypospadias pour qu’il réalise lui-même l’insémination de sa femme. La réussite de cette première insémination avec sperme de conjoint (IAC) ne sera divulguée que quelques années plus tard, par Home, après la mort de Hunter, son propre beaufrère, dans une publication sur les anomalies génitales de certains animaux, l’hermaphrodisme chez le chien [5]. 821 2. XIXe siècle : le spermatozoïde, une cellule qui intervient dans la fécondation En 1824, Prévost et Dumas découvrent chez des lapines et des chiennes en chaleur la présence d’animalcules dans les cornes utérines : ils démontrent expérimentalement que la génération nécessite la rencontre des gamètes mâles et femelles. Le rôle des mâles n’est plus contesté dans la procréation. Von Baer distingue pour la première fois l’ovule dans l’œuf, en observant avec minutie et un peu de chance le contenu d’un follicule ovarien de chienne, en 1827. En 1838, Schwann et Schleiden créent la théorie cellulaire, un concept vraiment nouveau. L’ovule est une cellule typique, avec son noyau et son protoplasme, mais la nature cellulaire des animalcules reste discutée. Leur nom change dans les années 1830, spermatozoen, zoospermes, et finalement Duvernoy, un collaborateur de Cuvier les appelle spermatozoïdes dans un cours donné au Collège de France en 1841. L’idée qu’on se fait alors du spermatozoïde reste encore très éloignée de ce qu’on sait aujourd’hui car, pour résumer, l’avancée des connaissances sur le spermatozoïde, autour de 1850, a résisté aux grandes découvertes que ce soit les observations de Leeuwenhoek, les expériences de Spallanzani ou la découverte de la cellule. Les animalcules dépourvus de protoplasme et mobiles ne sont-ils pas des parasites, des vers, des êtres unicellulaires ? Quels rapports ont-ils avec le sperme ? Leur statut change lorsque Kölliker démontre leur origine cellulaire testiculaire : « Les cellules séminales, comme je les appelle, ont avec les spermatozoïdes des connexions intimes (…) chaque noyau de cellule donne naissance à un spermatozoïde. » Le froid comme le chaud, la fièvre, suspend leurs mouvements. « Le sperme se compose uniquement d’une très petite quantité de liquide visqueux et d’une infinité de corpuscules linéaires… ». « Sa composition n’a pas encore été déterminée chez l’homme » [6]. Ce même savant décrit plus tard, en 1868, la spermatogenèse. S’il est alors bien admis qu’une cellule se forme à partir d’une autre cellule et que le développement embryonnaire provient d’une multiplication de cellules, reste à savoir comment s’est formée la première. De nombreux spécialistes de cette époque ne peuvent penser qu’un seul spermatozoïde suffit pour transformer un ovule en embryon étant donné leur différence de taille. Pourtant Barry l’a suggéré dès 1840, et Newport a observé la pénétration d’un spermatozoïde dans l’ovule en 1854… mais chez la grenouille. En 1869, Légeois écrit que « la substance des spermatozoaires s’étant combinée molécule à molécule avec le liquide de l’ovule, c’est-à-dire le vitellus, on voit bientôt le contenu granuleux de ce liquide se partager en deux, puis en quatre, puis en huit, etc., masses arrondies, d’abord sans paroi et présentant un noyau central » [7]. En 1875, Hertwig, un élève de Haeckel, réalise la découverte scientifique fondamentale, celle de la fécondation de l’oursin dans les eaux pures de la baie d’Ajaccio. « Un des noyaux appartient à l’œuf alors que l’autre dérive du sperma- 822 J. Gonzalès / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 tozoïde » [8]. Le spermatozoïde forme un pronoyau après avoir pénétré dans l’ovule et un seul spermatozoïde suffit. D’autres savants vont confirmer ce mécanisme comme Fol, puis van Beneden pour les mammifères. Entre 1880 et 1886 sont décrits les chromosomes, la mitose et le nombre fixe de chromosomes pour chaque cellule somatique. Van Beneden décrit la méiose : les gamètes possèdent la moitié des chromosomes d’une cellule somatique correspondante ce qui conduit Boveri à conclure que le nombre de chromosomes est propre à chaque espèce, animal ou végétal. Flemming apporte la preuve que la chromatine du noyau de la spermatide donne la tête du spermatozoïde et La Valette, qui a décrit ses trois segments, pense que la queue provient du cytoplasme. À la fin du siècle, la pièce intermédiaire fait l’objet de nombreuses études car le centrosome semble y jouer un rôle important dans la fécondation. Ces découvertes cytologiques ne doivent pas occulter le fait que la génétique n’existe pas encore, que les lois de Mendel sont ignorées… mais l’eugénisme connaît un engouement croissant, l’inné, l’acquis, les théories sur l’évolution et la morale produisant de curieux mariages, comme le montrent bien des écrits de l’époque. Considérant que l’acquis est transmissible, améliorer la race humaine semble une démarche scientifique louable, comme en témoignent les textes rédigés par Galton, le cousin de Darwin, et Gobineau, un diplomate. Dans ce mouvement d’idées, le « Docteur » Gérard fait beaucoup parler de lui avec ses inséminations artificielles. Bien avant lui, tout au long du XIXe siècle, des inséminations ont été pratiquées, avec succès parfois, alors que la période ovulatoire de la femme demeure ignorée. Dès le début de ce siècle, grâce à Thouret, le doyen de la faculté de médecine de Paris, la technique des inséminations a été précisée et a été reprise par quelques médecins de Nancy, La Rochelle et Paris. Quand, en 1885, Joseph Gérard s’apprête à soutenir sur ce sujet sa thèse, Pajot, un professeur d’obstétrique, celui-là même qui en était l’inspirateur, s’oppose avec ses collègues du jury à lui conférer le titre de Docteur en médecine, au motif qu’il a fait beaucoup trop de publicité sur sa propre pratique, et sur ses taux de succès. Par ailleurs, dans une affaire opposant un médecin inséminateur à un couple stérile, le tribunal de Bordeaux a considéré en 1880, que l’insémination « répugne à la loi naturelle ; elle peut constituer un véritable danger social et il importe à la dignité du mariage que de semblables procédés ne soient pas transportés du domaine de la science dans celui de la pratique ». Considérant qu’il avait été traité injustement, Gérard devenu docteur l’année suivante en consacrant sa thèse, cette fois, à l’ulcère de l’estomac, se défend en publiant un livre dénonçant la méprise populaire : « Beaucoup de personnes ont cru sincèrement… que nous fabriquions des enfants de toutes pièces, qu’il suffisait de faire sa commande… qu’on pouvait demander le sexe et la couleur des yeux, voire les aptitudes physiques et morales des futurs embryons » [9]. Le spermatozoïde devient hors-la-loi moral. En 1897, le Saint-Office de Rome prononce sa sentence : est-il permis de féconder artificiellement une femme ? « Ce n’est pas licite. » Les inséminations intraconjugales ne sont plus pratiquées en Europe pour plusieurs décennies, du moins au grand jour. Mais en 1884, la première insémination avec donneur (IAD) a été pratiquée par Pancoast, professeur à Philadelphie, en utilisant le sperme d’un donneur sélectionné, le meilleur étudiant de sa promotion… L’épouse inséminée avait été chloroformée pour la circonstance. Les débuts du planning familial s’opèrent, dans le même temps, en Europe, dans la même clandestinité. Sims a signalé, en 1866, que les spermatozoïdes peuvent rester plusieurs jours vivants dans l’organisme féminin, dans les sécrétions cervicales (test post-coïtal). Hertwig renchérit : « Il est possible que les spermatozoïdes de l’homme puissent, dans ces circonstances vivre pendant plusieurs semaines » [10]. Duplay en trouve dans le sperme de 37 vieillards sur 51 étudiés, des hommes âgés de 60 à 80 ans, à la suite de la publication parue, en 1867, du Dr Dieu sur le sperme des hommes âgés. Kölliker avait noté que la dilution du sperme dans de l’eau rendait les spermatozoïdes immobiles en raison de l’enroulement de leur queue « mais dans cet état les spermatozoïdes ne sont pas morts (…) j’ai constaté, au contraire, que des solutions concentrées peuvent y faire renaître le mouvement ». La robustesse des spermatozoïdes devient légendaire… Les premiers préservatifs en latex sont fabriqués par MacIntosh dans les années 1970, mais en 1880, Rendell, un pharmacien de Londres, met au point un pessaire composé de bisulfite de quinine et de beurre de cacao qui fond, une fois placé dans le vagin. Cet ovule a des vertus spermicides relatives puisqu’il immobilise, mais ne semble pas tuer les spermatozoïdes. Gunther, en 1907, réalisera les premiers tests in vitro pour comparer le pouvoir spermicide de neuf produits, le critère retenu étant limité, cette fois encore, à la perte de mobilité des gamètes mâles [11]. 3. Spermatozoïde et génétique au XXe siècle La génétique moderne naît en 1900, coïncidant avec la redécouverte des analyses de Mendel faites 35 ans plus tôt. Wilson montre que la femelle des drosophiles possède deux chromosomes X et le mâle un seul. Morgan analyse les mutations naturelles et Painter localise de très nombreux gènes dans les chromosomes géants des glandes salivaires de ces mouches. L’eugénisme, une idéologie plus qu’une science, poursuit alors son essor avec les dérives épouvantables qu’on connaîtra. La découverte des hormones coïncide aussi avec la naissance de la génétique, au tout début du siècle. La période fertile de la femme est enfin scientifiquement reconnue, vers les années 1920, indépendamment par Ogino et Knaus. Pendant la première moitié du XXe siècle, l’étude des spermatozoïdes est assez délaissée, même si dès 1895, leur comptage avec une cellule, un hémocytomètre, a été réalisé par Alois Lode. Certes des spermogrammes sont parfois réalisés pour définir des normes ; en 1929, Macomby et Saunders J. Gonzalès / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 relient le nombre de spermatozoïdes au diagnostic et au pronostic d’une stérilité conjugale. Mais, l’origine masculine dans les stérilités reste vague pour la plupart des médecins, les femmes étant considérées responsables dans la majorité des cas, que ce soit pour des raisons hormonales, défauts d’ovulation, absence de perméabilité tubaire, hormis pour celles dont le mari présente des difficultés sexuelles. Les recherches sur l’appareil génital de l’homme prennent ainsi du retard sur celles de la femme. En 1949, Kitty Ponse, faisant le point sur la différenciation du sexe, dans son livre, ne peut conclure sur la prééminence des chromosomes ou des hormones pour le garçon. Le chromosome Y est si petit qu’il pourrait être un artefact. Pour Rostand ce qui compte est le chromosome X : un seul X dans l’œuf et un garçon est conçu, deux et c’est une fille. Mais les embryologistes montrent de leur côté, par des expériences utilisant des hormones, leur énorme impact sur la différenciation des appareils génitaux au point de pouvoir inverser le sexe. Le 27 mai 1950, paraît dans la revue Nature un article consacrant une grande première scientifique : on y annonce la naissance de deux lapins d’une taille très augmentée pour leur race, après avoir traité le sperme de lapin avec de la colchicine, ce qui aurait conféré aux gamètes un gain de chromosomes ! Selon les auteurs de cette même publication, la tête de leurs spermatozoïdes paraît plus grosse. La vraie découverte notable date de l’année précédente, 1949, et constitue une grande étape dans l’histoire des spermatozoïdes. Polge et al. se sont aperçus accidentellement que des spermatozoïdes de poulet congelés dans du glycérol gardent leur potentiel de mobilité si on les décongèle, même trois jours plus tard. Certes déjà Spallanzani avait remarqué l’effet du froid, comme on l’a vu. Mais, on en vient ainsi à la mise au point de procédures de cryopréservation de spermatozoïdes provenant de plusieurs espèces animales, en particulier de taureaux, une technologie qui va prendre un grand développement dans les élevages d’animaux domestiques. Les applications à l’Homme conduisent à la création de banques de sperme humain au Japon et aux États-Unis en 1962 ; Sherman obtient plusieurs grossesses à partir de 1963. Le premier CECOS voit le jour en France, en 1973, à l’instigation surtout de David, malgré des condamnations solennelles d’ordre moral [12]. La qualité des spermatozoïdes est essentiellement liée à leur aptitude à garder leur mobilité après décongélation. Leur anonymat est une règle en France pour le don. Les études se trouvent puissamment stimulées avec le développement des CECOS. Les connaissances sur la part masculine dans les stérilités conjugales vont faire de grands progrès. Le spermatozoïde livre ses secrets aux chercheurs, aux andrologues, notamment sa complexité morphologique. L’acrosome avait été identifié par Retzius en 1881 et Benda, en 1887 en avait reconnu l’origine Golgienne. À partir de 1955, le microscope électronique révèle l’ultrastructure du gamète mâle normal [13] au terme de la spermiogenèse [14]. De nombreuses équipes décrivent, dans les années suivantes, des anomalies ultrastructurales et, parmi elles, en France, les équipes de David et de Dadoune. Le complexe axonémal pré- 823 sente une structure ciliaire comparable à ce qui existe dans les règnes animal et végétal. Le spermocytogramme classique est confronté aux données du microscope électronique : les résultats normaux passent en quelques années de 90 % de formes normales à 30 %, voire moins. La mobilité des spermatozoïdes fait l’objet d’analyses vélocimétriques sophistiquées par microvidéographie assistée par ordinateur, mais encore faut-il trouver un modèle mathématique satisfaisant pour expliquer comment cette mobilité permet leur progression linéaire dans le liquide séminal aux particularités rhéologiques encore peu connues. La dynéine isolée, en 1963, par Gibbons et étudiée chez l’oursin constitue une protéine essentielle pour cette fonction. Les microtubules glissent les uns par rapport aux autres, un modèle comparable à celui des myocytes. Dans les années 1980, la question de savoir s’il y avait contraction ou glissement de ces structures faisait l’objet d’une controverse. Cette problématique rappelle celle résolue par Sténon pour les fibres musculaires… au temps de Leeuwenhoek. Le moteur du spermatozoïde est dans le flagelle, dans la pièce intermédiaire : les enzymes mitochondriales identiques à celles des muscles fournissent l’ATP indispensable à la mobilité. Il avait été proposé d’activer le mouvement des spermatozoïdes en les faisant migrer sur de la laine de verre, ou en les plaçant dans des milieux enrichis en inhibiteurs de la phosphodiestérase, par exemple ; ces procédures sont évidemment inopérantes quand l’appareil axonémal est malformé ou défaillant. D’autres recherches ont porté sur le canal épididymaire, long de plusieurs mètres, un passage obligé pour que le spermatozoïde devienne mobile et mature [15]. On a montré également qu’une élévation de la température scrotale réduit la qualité et met en péril la vitalité des gamètes. Mais est-ce que cet ensemble de données constitue un apport, constituant un apport important, font remarquer ceux pour qui un spermatozoïde dans le liquide séminal survit quelques heures alors qu’il reste vivant quelques jours s’il séjourne dans les liquides génitaux féminins ? Les plus finalistes lui prêtent ainsi un véritable instinct de survie lorsqu’il se sauve dans le mucus cervical. En s’éloignant de ce point de vue anthropocentrique, on constate que le problème biologique s’est en fait déplacé : le spermatozoïde doit être apte à migrer dans le mucus cervical et/ ou les milieux de culture pour être capacité et devenir fécondant. En 1965, Edwards écrit : « La fécondation d’œufs de mammifères in vitro n’est pas facile, bien que de nombreux ovules de lapins l’aient été en utilisant des spermatozoïdes pris dans l’appareil génital de la femelle. » Edwards fait ainsi référence au succès obtenu sur la lapine, en 1959, par Thibault et Dauzier, mais il souligne aussi la nécessité de mettre au point des techniques de lavages des spermatozoïdes [16]. En 1978, il réussit avec Steptoe la première FIVETE humaine qui a nécessité une préparation particulière du sperme [17]. Pour la première fois, il est possible techniquement de mettre en évidence directement la qualité fécondante ou non des spermatozoïdes. L’attention se porte alors sur le nombre de spermatozoïdes mobiles pour le corréler au pronostic en Assistance médicale à la procréation (AMP). 824 J. Gonzalès / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 Ce paramètre devient quantifié avec les tests de migration– survie marquant au fil des ans sa supériorité pour décider des indications thérapeutiques. On s’aperçoit ainsi que la FIV ne résout pas les problèmes de stérilité masculine. Malgré ses succès croissants, l’AMP butte sur une nouvelle limite biologique : des spermatozoïdes mis en présence de complexes cumulo-ovocytaires ne peuvent adhérer à la zone pellucide dans certains cas. Des tests de fécondance utilisant des fragments de zone pellucide sont alors mis en œuvre, mais leurs résultats ne constituent pas une fidèle prédiction de ce qui se passera en FIV. Les recherches sur le pouvoir fécondant de tel ou tel éjaculat mettant en lumière notre ignorance persistante, des équipes médicales se sont déjà tournées vers le GIFT (Gamete Intra Fallopian Transfer : Transfert intra-tubaire de gamète), à l’exemple de Asch, à partir de 1984 : les spermatozoïdes se débrouillent avec les ovocytes dans les trompes et seul le résultat compte ! Les taux de grossesses paraissent impressionnants, mais surtout ceux des grossesses multiples, pour les esprits critiques ! Quant à comprendre les échecs du GIFT, il n’en est pas question puisque la fécondation est redevenue mystérieuse, se faisant à l’insu des regards au microscope. La FIV finalement reprend tout son intérêt, dans les années 1990, même si elle ne peut résoudre tous les cas de stérilité masculine, notamment d’origine immunologique ou dans les asthénospermies extrêmes. Les spermatozoïdes sont parfois aussi incapables de franchir la zone pellucide, de réaliser leur réaction acrosomiale et par là même d’interagir avec l’ovocyte. En 1986, Talansky, Gordon puis Cohen et Malter cherchent à faciliter l’accès des spermatozoïdes peu mobiles jusqu’à l’ovocyte en fendant la zone pellucide (PZD, Partial Zona Drilling). En 1988, une équipe de Singapour avec Bongso, Sathananthan, préfère injecter les spermatozoïdes sous cette zone (SUZI, SUb Zonal Injection). Finalement en 1992, Palermo avec l’équipe belge de Van Steirteghem et Devroey obtient des naissances avec la micro-injection d’un spermatozoïde dans l’ovocyte, l’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) [18]. Cette dernière technique démontrant qu’un seul spermatozoïde suffit pour devenir père soulève dans les imaginaires du public et de certains couples traités le problème de la sélection du spermatozoïde injecté dans chaque ovocyte. Les spécialistes, quant à eux, découvrent qu’avec l’ICSI ce qui compte n’est finalement pas le spermatozoïde dans son intégralité, mais son génome car peu importe la qualité de son flagelle ou de son acrosome. Autour des années 1970, de nombreuses équipes avaient analysé la morphologie ultrastructurale des spermatozoïdes pathologiques, la microscopie à balayage donnant par ailleurs des images particulièrement spectaculaires de la fécondation. Avec l’ICSI, ces études semblent perdre de leur importance. Grâce à la FIV, on croyait connaître les spermatozoïdes et la limite de leur pouvoir fécondant. Avec l’ICSI, on fait reculer notre ignorance. Cette cellule qui émerveillait par sa mobilité s’est trouvée réduite en quelques années à son compartiment nucléaire génétique. Certes l’audace d’injecter un spermatozoïde dans un ovocyte, un viol pour certains, a abouti à la naissance d’enfants normaux. Des enfants sont aussi nés de pères porteurs d’un Klinefelter. La stérilité masculine pourrait sembler vaincue puisque le spermatozoïde immobile et même celui qui est immature, arraché à la pulpe testiculaire, est devenu fécondant. Cette vision réductrice, trop optimiste risque d’ignorer un certain nombre d’interrogations d’ordre génétique sur l’avenir des enfants ainsi conçus liées à l’empreinte parentale, par exemple. La relation intime entre génétique et procréation n’a en effet cessé de grandir avec l’avancée des techniques d’AMP. On connaissait, depuis 1942, le syndrome de Klinefelter avec ses nombreuses variantes chromosomiques publiées à partir de 1975 ; des publications rapportaient aussi des formes familiales d’anomalies ultrastructurales des spermatozoïdes relevant sans doute d’anomalies génétiques. Mais le humster test mis au point par Yanagimachi, en 1976 [19], démontrant qu’il est possible d’obtenir des fécondations hétérospécifiques, de transgresser la barrière des espèces en enlevant la zone pellucide ovocytaire, a créé beaucoup plus d’émoi. Ce test utilisé pour tester la fécondance d’un sperme n’a pas apporté les résultats escomptés, car le pouvoir fécondant des spermatozoïdes reste individuel. Cette découverte a ouvert néanmoins des discussions fondamentales importantes, comme on le verra plus loin. Déterminer le caryotype des spermatozoïdes a été longtemps impossible. La technique de décondensation obtenue par des fécondations hétérospécifiques (humster test) a offert cette possibilité [20] avec évidemment un rendement très faible, ce travail particulièrement fastidieux ne pouvant porter que sur quelques dizaines de spermatozoïdes. Les techniques utilisées aujourd’hui de cytogénétique moléculaire, les sondes et l’hybridation in situ, permettent théoriquement d’analyser très aisément les aneuploïdies présentes sur un grand nombre de gamètes. Les spermatozoïdes porteurs d’aneuploïdies sont beaucoup plus nombreux que ce qu’on croyait et peuvent paraître normaux… mais celui qui nous intéresse le plus, celui qui va être utilisé en ICSI et qui est sélectionné dans l’esprit des non-spécialistes est précisément un spermatozoïde au caryotype et au génome inconnus. Dès lors des questions sont devenues d’actualité : comment trier les spermatozoïdes ? Peut-on choisir le sexe de l’enfant à venir ? Fondamentalement les spermatozoïdes gardent leur mystère génétique parce qu’ils sont tous différents les uns des autres et de ce point de vue, nul ne saurait distinguer les bons des mauvais. Peu de gens savent que les spermatozoïdes ne sont soumis même dans les laboratoires les plus avisés qu’à la vision subjective d’un observateur pourtant compétent. Et que d’incertitudes ! Elle n’est pas si loin l’époque où l’on pensait qu’un spermatozoïde porteur d’un double Y pouvait être responsable de faire de l’individu qui le possédait un criminel en puissance. Les méthodes avancées pour choisir le sexe de l’enfant ont évolué avec des succès qui ont stagné… autour de 50 %. Historiquement, elles ont d’abord consisté à jouer sur l’environnement des gamètes, le pH des sécrétions cervicova- J. Gonzalès / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 ginales, par exemple. Elles se sont orientées ensuite sur la recherche de caractéristiques différentielles entre les spermatozoïdes X et Y, les Y étant censés courir plus vite que les X, comme en athlétisme les garçons par rapport aux filles ? La petitesse du chromosome Y a conduit ensuite à l’idée que les spermatozoïdes Y étaient plus légers que les X. Des techniques de centrifugation différentielle sophistiquées se sont multipliées. Mais y a-t-il une relation entre la vélocité des spermatozoïdes et leur génome situé dans leur tête alors que la mobilité est liée aux mitochondries et alors à leur ADN d’origine fondamentalement maternel ? Plus récemment et de façon efficiente cette fois, avec le recours d’outils utilisés en cytogénétique, quelques équipes se sont lancées sur le diagnostic préconceptionnel, en déterminant la nature du chromosome sexuel de chaque spermatozoïde destiné à être micro-injecté. Ce choix du sexe est une démarche éthiquement prohibée en France. 4. XXIe siècle, vers l’inutilité des spermatozoïdes pour procréer ? Faudra-t-il encore un spermatozoïde pour concevoir un enfant dans quelques décennies, est-ce la fin programmée des spermatozoïdes ? On peut poser aujourd’hui cette question. Les analyses de môles hydatiformes ont montré que le patrimoine masculin est important pour le développement du trophoblaste embryonnaire, mais pas pour la masse interne qui forme l’embryon. Pour autant on ne saurait conclure à l’inutilité du spermatozoïde comme le démontre cette pathologie du développement. Ceux qui croient à l’importance du spermatozoïde pour la fécondation restent, par conséquent, très majoritaires. Ils étudient la fragmentation de l’ADN dans la tête, traitent le stress oxydatif décrit par Jones et Mann en 1973, en agissant sur la production des radicaux libres comme l’a montré Aitken. Pour eux encore, il y a priorité aux recherches sur la cryoconservation des spermatozoïdes, sur la mise au point de greffes de cellules germinales, pour prévenir ou pallier certaines stérilités acquises, voire congénitales. Mais l’évolution de la biologie de la reproduction n’a cessé de franchir de nouveaux seuils, marquée par une succession de transgressions [21]. Quelles en seront donc les limites ? Être stérile de père en fils devient une réalité, grâce à l’ICSI, en utilisant un spermatozoïde, voire en injectant un spermatide. Certes, les études sur l’empreinte parentale jettent un doute sur l’innocuité de ces procédures pour les descendants. Mais le spermatozoïde est-il encore indispensable pour faire un enfant ? Certaines publications inciteraient à en douter. Il y a un consensus pour interdire le clonage reproductif mais cette discussion n’est pas close pour autant [22]. Des cellules somatiques peuvent être transformées en cellules haploïdes. L’utilisation de cellules souches ne relève plus de l’utopie… s’agit-il d’un retour à l’ovisme ? 825 De tels programmes de recherche et d’autres travaux en cours sur les spermatozoïdes font rejaillir périodiquement des épisodes du passé. Prenons deux exemples. La vision anthropomorphique du spermatozoïde est certes lointaine, mais pourtant aujourd’hui beaucoup des gens se demandent si l’AMP peut changer l’Homme en manipulant les gamètes. Le spectre des menaces sur l’évolution de notre espèce rejoint les débats du XIXe siècle suscités par les théories sur l’évolution. Bedford après avoir montré que des spermatozoïdes humains peuvent pénétrer l’ovocyte d’un gibbon a soulevé la thèse d’une évolution des récepteurs des spermatozoïdes présents sur la zone pellucide pour expliquer la taxonomie entre les singes et les hominidés, évoquant l’hypothèse de récepteurs communs qui se seraient différenciés secondairement [23]. Les liens biologiques existant entre être humain et singe continuent à fournir des interrogations qui remontent bien avant Darwin, jusqu’à l’Antiquité [24]. Cette hypothèse sur le passé de l’Homme renvoie à des questions sur son avenir. Quel homme sera le plus apte à survivre sur cette planète ? L’homme artificiel, celui qui naîtra d’AMP en ayant vraiment subi de réelles modifications génétiques ? Va-t-on accentuer par l’AMP la variabilité de notre espèce jusqu’à une cohabitation d’hommes différents, comme celle bien établie entre l’homme de Néandertal et l’homo sapiens ? Ces changements s’ils sont possibles demanderaient plusieurs siècles et pourtant alimentent fortement les réflexions. Par ailleurs, une équipe de chercheurs a rapporté que des hommes stérilisés par des traitements anticancéreux pourraient récupérer naturellement une spermatogenèse complète et par-là même des possibilités de procréation ; leurs gonades pourraient être colonisées à partir de cellules souches contenues dans leur moelle osseuse. Cette thèse récente étayée par des travaux encore discutés a fait grand bruit [25]. Elle rendrait floue la distinction faite depuis plus d’un siècle entre les cellules germinales et les cellules somatiques. Elle rejoint par ailleurs étonnamment de très vieilles croyances. Hippon, pythagoricien du VIe siècle avant J.-C., contemporain d’Anaxagore, supposait que les os du fœtus « se concréaient de la semence masculine ». L’avait-il appris des égyptiens ? Des textes religieux égyptiens datant de 1000 ans avant notre ère proclamaient que la semence du mâle est créée ou fixée dans les os [26]. Pour les Égyptiens, les os constituaient le réservoir de la semence, une idée exprimée dans leur mythologie avec les dieux Khonsou et Khnoum qui créaient les germes masculins de la vie dans les os. Cette croyance était peut-être plus ancienne encore, puisqu’elle a été rencontrée dans plusieurs ethnies africaines, notamment chez les Vendas pour qui le père donne les os et les organes, tandis que la mère fournit la chair et le sang à l’enfant [27]. La biparentalité était sauve en ces temps reculés. Mais, si l’on reprend l’histoire de la biologie au cours des trois millénaires qui nous séparent de cette époque, il est stupéfiant de constater le nombre de fois où cette idée de biparentalité nécessaire a été ébranlée. C’est encore le cas de nos jours. 826 J. Gonzalès / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 819–826 L’imaginaire et l’amnésie des hommes n’ont pas fini d’alimenter la saga du spermatozoïde. Note de l’auteur Dans ce texte qui ne prétend pas être exhaustif manquent beaucoup de noms de contemporains, notamment de français qui ont contribué dans les 40 dernières années à faire avancer les connaissances sur le spermatozoïde. Que chacun d’eux accepte ce choix sans acrimonie ! Références [1] Boutibonnes P. Van Leeuwenhoek. L’exercice du regard. Paris: Belin; 1994. [2] Dobell C. Antony Van Leeuwenhoek and his little animals. New York: Dover Publications; 1960. [3] Gonzalès J. Histoire naturelle et artificielle de la procréation. Paris: Bordas Larousse; 1996. [4] Buffon. 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