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Robert Sablayrolles, Libertinus miles. Les cohortes de vigiles

1998

Rezension zu: Robert Sablayrolles, Libertinus miles. Les cohortes de vigiles. Collection de l’Ecole francaise de Rome, Band 224. De Boccard, Rom 1996. IX, 875 Seiten, 7 Abbildungen, 4 Tafeln, Index.

610 F. Berard: R. Sablayrolles, Libertinus miles Libertinus miles. Les cohortes de vigiles. Collection de l’Ecole franqaise de Rome, Band 224. De Boccard, Rom 1996. IX, 875 Seiten, 7 Abbildungen, 4 Tafeln, Index. Robert Sablayrolles, A la fois affranchis et soldats, deux etats en principe incompatibles, les vigiles constituent un champ privilegie pour Phistoire sociale, qui occupe logiquement la majorite de cette importante these. Mais, quel que soit leur Statut, les vigiles etaient d’abord des pompiers, et la seconde partie du livre s’interesse aussi ä des questions plus concretes, qui relevent de la topographie de Rome (chapitre V), de Phistoire des techniques (chapitre VI), voire de Phistoire des revolutions ou de la poetique du feu (chapitre VII). C’est dire tout Pinteret de ce livre, qui avec ses appendices et ses index approche les 900 pages. L’ouvrage se presente donc d’abord comme une etude classique d’histoire militaire, avec trois chapitres (II—IV) consacres aux personnels et six gros appendices prosopographiques qui dressent les listes exhaustives des 49 prefets, 23 sous-prefets, 65 tribuns, 196 centurions, 286 principales ou immunes et 2097 simples soldats connus. L’etude des prefets (chapitre II) montre que, sans qu’il y ait de carriere-type, il s’agit plutöt de militaires, anciens primipiles passes par les procurateles et, en general, les bureaux de la chancellerie, egaux en dignite au prefet de Pannone et poursuivant frequemment leur carriere jusqu’ä la prefecture du pretoire. L’auteur montre bien Pimportance de cette fonction militaire qui, avec le commandement de sept cohortes casernees dans Rome, fait du prefet des vigiles une sorte de second, ou parfois de contre-poids, sinon de rival du prefet du pretoire, qu’il est parfois appele ä remplacer et avec lequel il partage le titre prestigieux d’eminentissimus vir. Mais ces responsabilites militaires ou plutöt policieres n’excluent pas un pouvoir judiciaire, ä Porigine modeste et limite sans doute aux affaires d’incendie et de vol, mais qui, un peu comme celui du prefet du pretoire, se developpe avec le temps, jusqu’ä devenir au IVe siede, apres la suppression des cohortes, l’activite essentielle des prefets. L’analyse de la juridiction criminelle et civile des prefets est un des aspects importants du chapitre, qui s’interesse aussi ä leur röle dans Padministration de Rome, oü ils remplacent au IIe siede les curatores senatoriaux dans la tutelle des vicorum magistri. Les informations fournies par les codes rejoignent ici les conclusions F. Berard: R. Sablayrolles, Libertinus miles 611 de l’analyse prosopographique, dans la mesure oü l’on constate des le debut du IIe siede la presence de juristes, qui deviennent majoritaires au IVe siede. Des observations analogues sont faites pour les sousprefets, qui semblent avoir seconde leurs chefs dans toutes leurs fonctions, aussi bien judiciaires que militaires, mais curieusement sans jamais parvenir ensuite aux plus hautes fonctions, ni des grandes prefectures, ni de la chancellerie. En dessous des prefets, les tribuns constituent un groupe assez ferme et un peu exterieur, dans la mesure oü ils ne restaient qu’un ou deux ans dans le corps des vigiles, avant d’etre promus ä la tete d’une cohorte urbaine ou des equites singuläres, promotion qui apparait comme une regle quasi-systematique, puisqu’elle intervient dans 22 cas sur 25. L’etude prosopographique confirme le caractere tres rigide de la carriere des tribuns de la garnison romaine, puisque les 24 tribuns des vigiles dont l’origine est connue sont tous d’anciens primipiles et que, sur les 24, 17 sont promus directement du primipilat au tribunat des vigiles. Si Ton met de cote les carrieres trop anciennes ou au contraire posterieures aux reformes intervenues dans le cours du IIP siecle, il ne reste que deux exceptions, celles de N. Marcius Plaetorius Celer et de T. Pontius Sabinus (App. III, n° 15 et 16), pour lesquels un commandement de vexillations legionnaires vient s’inserer entre le primipilat et le tribunat des vigiles. Mais il n’est pas sür qu’il faille considerer ces postes de praepositus vexillationis comme une etape exceptionnelle dans ce type de carriere: c’est le moment, en effet, oü les primipilaires, detaches ä Rome dans le numerus primipilariorum, etaient ä la disposition de l’empereur pour des missions diverses avant d’etre nommes ä un tribunat, et on pourrait trouver d’autres exemples analogues, comme celui de L. Magius Urgulanianus (Annee Epigr., 1984, 183 = 1982, 164), qui ne semble pas cependant etre passe par le tribunat des vigiles. La regularite des carrieres est ä peine moindre, ä l’echelle inferieure, pour les centurions, qui sont tous originaires des rangs du pretoire, et donc, un peu comme les tribuns, „de passage chez les vigiles“ selon l’expression heureuse de l’auteur. Il faut remarquer cependant que les promotions paraissent moins systematiques que pour les tribuns et que si certains poursuivent apres un ou deux ans le cycle des centurionats urbains au sein des cohortes urbaines ou des statores, d’autres, plus äges, moins capables ou moins bien notes, semblent etre restes plus longtemps, et parfois meme jusqu’ä leur retraite, dans le corps des vigiles. Peutetre ceux-lä avaient-ils eu le temps de devenir un peu de vrais vigiles; quant aux premiers, une partie au moins devaient avoir l’occasion de revenir plus tard dans les vigiles en qualite de tribun, assurant ainsi une continuite du commandement et une bonne transmission de l’experience au sein du corps; mais la proportion d’anciens centurions des vigiles parmi les tribuns est impossible ä evaluer, les cursus des tribuns ne donnant en general pas la carriere anterieure au primipilat. Au-delä de ces officiers, qu’elles partageaient avec l’ensemble de l’armee romaine, ou du moins de la garnison de la capitale, la verkable specificite des cohortes de vigiles venait de leurs soldats ou de leurs principales. Ceux-ci sont exceptionnellement bien connus, gräce en particulier aux celebres bases de la villa Caelimontana, qui nous donnent, ä quelques annees d’ecart, deux tableaux complets des effectifs de la Ve cohorte des vigiles dans la premiere decennie du IIP siecle (CIL VI 1057-1058). Le chapitre IV propose une etude tres detaillee de leurs nombreux grades, qui renouvelle la „Rangordnung“ d’A. von Domaszewski (p. 6-16), en s’appuyant sur les regles d’avancement proposees par D.J. Breeze dans son etude sur les immunes et les principales (Bonner Jahrb. 174, 1974, 259-263 = Mavors 10 [1993] 25-29). Une des principales observations est que la plupart des fonctions techniques specifiques aux vigiles, comme les uncinarii, les aquarii, les siphonarii etc, figurent dans les grades subalternes, alors que l’encadrement hierarchique des officia et des cohortes est pratiquement le meme que dans le reste de l’armee romaine, et notamment du pretoire. On trouve ainsi d’un cote des corniculaires, des beneficiaires, des librarii, et de l’autre des imaginiferi, des tesserarii et des optiones, la principale originalite etant les vexillarii, qui remplacent les habituels signiferi au sommet des trois „charges tactiques“. Pour tous ces grades et pour bien d’autres, on dispose desormais d’une etude de reference, qui, si eile hesite sagement entre des optiones ba(lneorum) ou plutot ba(lteariorum), sait faire justice de lectures perimees, comme les optiones ba(llistarum) ou les har(uspices), qui deviennent avantageusement des car(cerarii). Si la liste des fonctions est longue, le nombre de veritables carrieres reste en revanche reduit, puisqu’on n’en compte guere que trois ou quatre qui comprennent plus de deux postes au sein des vigiles. Les promo­ tions exterieures ne sont guere plus nombreuses, bien qu’on note deux cornicularii praefecti promus centurions legionnaires (CIL XI 5693 = ILS 2666 et VI 414 b) et deux optiones qui sont transferes comme simples soldats dans les cohortes urbaines ou les statores (CIL VI 221 et X 3880 = ILS 2660 et 2171). L’auteur en conclut justement, comme D.J. Breeze, que la grande majorite des vigiles finissaient leur carriere dans leurs corps d’origine, sans grande possibilite de promotion. Il faut noter cependant qu’on ne connait guere plus de veterans (trois au total) et que, comme le remarque justement l’auteur, c’est surtout le nombre d’inscriptions (et notamment d’epitaphes) qui est moins nombreux que pour les autres unites du pretoire. Les quelques exemples dont nous disposons montrent qu’il existait malgre tout une (ou plutot, comme le montre bien l’auteur, plusieurs) carriere militaire dans les cohortes des vigiles, comme dans les autres unites de l’armee romaine. Mais l’observation ne vaut naturellement que pour le 612 F. Berard: R. Sablayrolles, Libertinus miles IIe et surtout le IIP siede, epoque d’oü vient l’essentiel de notre documentation, 86 % des vigiles connus figurant sur les latercula des Pre et Ve cohortes (CIL VI 1056-1058). 11 n’est pas etonnant qu’ä cette epoque les vigiles soient consideres comme de vrais soldats, puisqu’ils sont alors dans leur tres grande majorite citoyens romains et que les empereurs eux-memes les appellent milites nostri. Mais cela ne nous dit rien sur la Hierarchie du Ier siede, qui reste largement inconnue: le premier vigile connu n’est pas anterieur ä 111 ap. J.-C. (CIL VI 222 = App. V, n° 1) et il est significatif qu’en 141 ap. J.-C., Sex. Aetrius Ferox tienne ä preciser qu’il etait le premier corniculaire du prefet des vigiles ä atteindre le centurionat (CIL VI 5693 = ILS 2666 = App. V, n° 14). Une des grandes qualites du livre est precisement son souci permanent de la Chronologie et une conscience aigue des changements qui ont affecte le corps des vigiles au cours de son existence. Si la „Rangordnung“ que decrivent les chapitres II-IV est largement celle de l’epoque severienne, un premier chapitre ä la fois dense et complet s’attache ä retracer les evolutions du corps, des balbutiements de l’epoque republicaine et des premiers affranchis enroles par Auguste (y compris les inuigulantes pro vicinia etudies par S. Panciera) aux troupes que les prefets Laco et Macro lancerent contre Sejan et aux reorganisations de l’epoque flavienne et du IIe siede. Celles-ci restent mal connues et mal datees, mais c’est ä ce moment-lä (l’auteur a souvent une petite preference pour le regne de Domitien) qu’il faut placer l’augmentation des effectifs des cohortes (toujours incertains), la creation d’un poste de sous-prefet, l’installation des vigiles ä Ostie, peut-etre aussi le senatus-consulte ramenant ä trois ans le delai qui faisait des affranchis servant dans les vigiles des citoyens romains. Meme si bien des obscurites subsistent, c’est certainement aussi dans cette periode que les cohortes se mirent ä recruter davantage de citoyens romains et que corollairement dut commencer ä se developper une hierarchie militaire calquee sur celle du pretoire, que les grandes dedicaces severiennes nous revelent dans toute sa complexite. Cette perspective chronologique peut sans doute expliquer pour une large part l’ambigui'te que nous notions en commen§ant: les vigiles furent, pour l’essentiel, d’abord des affranchis, puis des soldats. Si les officiers furent depuis toujours ceux du reste de l’armee, les principales devaient, des le IIe siede, etre en grande majorite des citoyens romains, et les latercula montrent qu’au debut du IIIe siede c’etait aussi le cas de la plupart des soldats. Mais il dut toujours subsister un petit contingent d’affranchis, qui assurait la specificite du corps et empecha qu’il füt jamais considere comme une unite militaire ä part entiere. Apres les carrieres, l’ouvrage s’interesse logiquement aux conditions de Service des vigiles (chapitre VI): Statut juridique (d’abord en grande majorite des Latins Juniens, puis de plus en plus des citoyens romains des l’engagement), avantages, parmi lesquels l’acces au frumentum publicum fait l’objet d’une etude detaillee qui s’appuie sur les travaux recents de C. Virlouvet, solde, pour laquelle l’estimation proposee rejoint, avec quelques nuances dans la Chronologie, le chiffre propose recemment par M.A. Speidel (dans Y. Le Bohec [ed.], La hierarchie [Rangordnung] de l’armee romaine sous le Haut-Empire [1995] 299-309), soit 5/6e de la solde legionnaire et peut-etre l’equivalent de la solde auxiliaire, mais aussi esperance de vie, vie religieuse et familiale, pour lesquelles la documentation est assez reduite, mais qui paraissent avoir ete semblables ä ce qu’on connait pour le reste de l’armee. Au delä de ces chapitres traditionnels de la proposopographie militaire, l’ouvrage a le grand merite de s’interesser ä des questions plus techniques et moins connues, comme l’equipement et le materiel (avec en particulier une savante etude des pompes, p. 361-367), les methodes de la lutte contre l’incendie et plus generalement l’organisation du Service, qui semble avoir repose surtout sur la prevention, et en particulier les patrouilles. Ces pages stimulantes, et que l’auteur n’hesite pas ä etayer de comparaisons modernes, constituent le complement logique du chapitre V, qui propose un catalogue complet de l’implantation des vigiles dans Rome. On sait que chacune des sept cohortes surveillait deux regions de la Ville, mais les details de la repartition gardent beaucoup d’incertitudes, et le Schema traditionnel qui attribue ä chaque cohorte une caserne principale et un excubitorium dans l’autre region reste une hypothese, au demeurant vraisemblable. En fait, on ne connait vraiment bien aucune caserne des vigiles, et les donnees archeologiques se limitent toujours ä deux fouilles tres partielles et tres anciennes, celle de Vexcubitorium de la VIIe cohorte au Trastevere et celle de la caserne de la Ve cohorte sur le Caelius, qui ne fournissent ni plan complet ni indications stratigraphiques. Dans cette Situation, l’auteur a le grand merite de dresser un etat lucide de la documentation, ainsi que des diverses hypotheses qu’on peut avancer pour la localisation des autres cohortes, que les indications des Regionnaires et parfois de l’epigraphie permettent en general de situer avec plus ou moins de precision. Sagement, il s’interesse de plus pres ä la caserne d’Ostie, dont des fouilles recentes permettent d’attribuer le premier etat au regne de Domitien et dont le plan, qui remonte dans ses grandes lignes au regne d’Hadrien, pourrait fournir un modele pour les casernes romaines, puisque la vexillation qui y tenait garnison comptait sans doute quatre centuries. L’ensemble de l’ouvrage offre d’ailleurs une etude tres complete du detachement des vigiles d’Ostie, qui avaient la bonne habitude d’elever des dedicaces aux empereurs ä la fin de leur sejour, qui durait quatre mois, la releve arrivant ou plutot „descendant“ aux ides de decembre, avril et aoüt. Cette riche epigraphie permet de connaitre avec la plus grande precision la composition de la vexillation (placee sous le commandement d’un ou deux H.-J. Schulzki: R. Weiller, Monnaies antiques ... de Luxembourg 613 tribuns et quatre centurions), ainsi que d’une maniere plus generale les procedures de recrutement et de detachement de l’armee romaine. Le livre de R. Sablayrolles est donc bien la somme qu’on attendait sur les vigiles, qu’il etudie ä Ostie comme ä Rome, dans leurs obscurs debuts comme dans leur gloire de l’epoque severienne, dans leurs reussites techniques comme dans leurs epreuves, puisque le VIIe chapitre et surtout le VIIe appendice enregistrent, avec la longue liste des incendies de Rome, comme la litanie de leurs echecs. On ne sera pas surpris de constater que l’epigraphie y tient la place principale, car, si les vigiles ont eleve moins d’inscriptions que les pretoriens, les bases de la villa Caelimontana ou les dedicaces d’Ostie, pour ne rien dire des deux celebrissimes inscriptions de Florence, constituent des sources d’une richesse ä peu pres unique. Si l’on comprend que toute la documentation n’ait pu etre reproduite dans son integralite, et si le mode de presentation sobre adopte en particulier pour la prosopographie parait totalement justifie, l’epigraphiste regrettera parfois de ne pas trouver le texte complet des inscriptions, ou au moins des plus importantes d’entre elles, pour lesquelles il doit se reporter au CIL ou aux ILS (malheureusement non indexees). On peut rever en particulier, sinon d’une photo (qui eüt ete difficile ä lire), d’un fac-simile ou du moins du texte complet des celebres bases qui dorment dans la villa Caelimontana. Mais ces petits defauts, que la taille dejä considerable du livre suffit ä excuser, sont plus que largement compenses par l’extreme richesse d’un livre qui sera utile, non seulement au specialiste de l’armee, qui le rangera parmi les ouvrages de reference sur la garnison de Rome, entre ceux d’FL Freis sur les cohortes urbaines et de M.-R Speidel sur les equites singuläres, mais aussi ä tout ceux qu’interessent la vie quotidienne d’une grande metropole comme Rome, dans son aspect le plus banal ou au contraire dans ses drames les plus terribles. Paris Francois Berard