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Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse

2010, Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée

p. 77 («Era fra i primi architetti d'Italia e, per gusto ed eleganza di disegno, addirittura il primo»). Toutes les citations sont traduites par nos soins.

Mélanges de l’École française de Rome Italie et Méditerranée modernes et contemporaines 122-2 | 2010 Le palais Farnèse Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Antonio Cipolla, architect of the Farnese Palace Simon Sarlin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/mefrim/577 DOI : 10.4000/mefrim.577 ISSN : 1724-2142 Éditeur École française de Rome Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2010 Pagination : 347-370 ISBN : 978-2-7283-0919-1 ISSN : 1123-9891 Référence électronique Simon Sarlin, « Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse », Mélanges de l’École française de Rome Italie et Méditerranée modernes et contemporaines [En ligne], 122-2 | 2010, mis en ligne le 18 septembre 2013, consulté le 03 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/mefrim/577 ; DOI : 10.4000/ mefrim.577 © École française de Rome MEFRIM – 122/2 – 2010, p. 347-370. Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN À sa mort en 1874, Antonio Cipolla (né à Naples en 1823) pouvait être rangé «parmi les premiers architectes italiens et [était] même, par le bon goût et l’élégance du dessin, le premier»1. Il apparaissait alors comme l’un des meilleurs représentants du courant architectural du revival néorenaissance qui s’est affirmé dans toute l’Italie à partir du début des années 1860 et coïncidait partiellement avec la tentative de trouver un style «national», symboliquement associé à la période du plus grand rayonnement artistique italien en Europe 2. Ses principales réalisations architecturales sont en effet liées aux grandes œuvres publiques des premières années du royaume d’Italie, dans le cadre de vastes réaménagements urbains – ainsi les sièges de la Banque d’Italie à Bologne (1862-1865) et à Florence (1865-1869), l’hôpital psychiatrique d’Imola (1869-1880), la Caisse d’épargne (1864-1874) et la Trinity Church à Rome (1872-1874) –, de commandes de la monarchie – la restauration des palais de la Consulta, Braschi et du Quirinal (1871-1874) et la construction du «villino del Re» (1873-1874) – ou de chantiers pour de riches particuliers – le palais Silvani à Bologne (1863-1865), les villas Fabbricotti à Florence (1864) et Attias à Livourne (1871) 3. Les interventions de Cipolla au palais Farnèse entre 1859 et 1862, en tant qu’architecte local de l’Azienda Farnese (l’organisme chargé à Rome de veiller à l’administration des propriétés que les Bourbons de Naples avaient héritées d’Élisabeth Farnèse), se situent donc à l’orée d’une carrière qui n’a pas, par ailleurs, connu de débuts fulgurants. Il n’est donc guère surprenant que cette période ait assez peu suscité l’intérêt des historiens de l’art qui ont abordé le parcours et l’œuvre de Cipolla, lesquels se bornent à mentionner le passage de ce dernier par les bancs de l’Académie des Beaux-Arts de Naples et son pensionnat à Rome, sans prêter l’attention voulue à l’influence que cette culture académique et l’expérience acquise au service des Bourbons de Naples ont pu exercer sur les conceptions et la pratique de la «maturité» de l’architecte. Nombreuses également sont les lacunes et les inexactitudes qui pèsent encore sur les différentes phases des travaux accomplis sous la conduite du Napolitain au palais Farnèse, dans le cadre de la réfection des appartements de représentation du premier étage à destination de la légation napolitaine auprès du Saint-Siège en 1859-1860, puis de l’aménagement du palais en vue de l’installation de la famille royale en exil en 1861-1863, dont une grande partie est encore visible aujourd’hui. L’œuvre de Cipolla au Farnèse méritait pourtant, aux yeux de l’architecte et critique d’art Francesco Gasparoni (1802-1865), des louanges d’autant plus appuyées que la pratique contemporaine de la 1. Citation de Raffaele De Cesare dans la nécrologie de Cipolla publiée par la Nuova illustrazione universale, 37-38, 1874, p. 77 («Era fra i primi architetti d’Italia e, per gusto ed eleganza di disegno, addirittura il primo»). Toutes les citations sont traduites par nos soins. 2. R. De Fusco, L’architettura dell’Ottocento, Turin, 1980; P. Rossi, Il Neorinascimento e l’Eclettismo : architettura e archi- tetti, dans G. Alisio (dir.), Civiltà dell’Ottocento. Architettura e urbanistica, Naples, 1997, p. 107-118. 3. Pour un aperçu biographique de Cipolla et une présentation de son œuvre, voir G. Miano, «Antonio Cipolla», dans Dizionario biografico degli Italiani (dorénavant DBI); et F. Di Marco, Antonio Cipolla, architettto napoletano attivo a Bologna dal 1853 al 1872, dans Il Carrobbio, 18, 1992, p. 103-112. ——————— Simon Sarlin, École Française de Rome, [email protected] 348 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN restauration de monuments offrait alors peu d’exemples de réussite et beaucoup de contreexemples : Il convient pour une fois de tirer bas le chapeau, et le fait est si nouveau et singulier que personne ne croyait plus pouvoir l’attendre de notre époque. J’avoue m’être fortement émerveillé de voir briller soudain trois de nos architectes [Antonio Cipolla, Gaetano Bonoli pour la façade de l’église des Agonisants et Francesco Azzurri pour le palais du prince Camillo Massimo], qui se font modèles pour leurs confrères (qu’il faudrait appeler maîtres en l’art d’abîmer et de ruiner plutôt qu’architectes) comme restaurateurs de l’ancien, pour le plus grand profit des trois édifices qui ont eu le bonheur d’être confiés à leurs soins 4. Il est a contrario révélateur que le nom de Cipolla ne soit cité qu’une seule fois dans l’essai consacré par Philippe Levillain et François-Charles Uginet au palais Farnèse entre 1799 et 1874, pourtant la présentation la plus détaillée sur cette période, mais dont l’exploration des sources d’archives napolitaines ne se poursuit étrangement pas après 1850 5. La lecture des sources documentaires disponibles sur cette phase de l’histoire du palais, celles du fond de la Maggiordomia maggiore e Soprintenza di Casa Reale (indexée pour la période postérieure à 1852) et, pour l’exil des Bourbons de Naples, de l’Archivio Borbone, permet de mieux cerner le programme décoratif imaginé et mis en œuvre par Cipolla et de contribuer, nous l’espérons, à la connaissance de la culture artistique italienne du milieu du XIXe siècle. Trois sont en effet les clefs de lecture qui peuvent être appliquées aux interventions de l’architecte napolitain au palais Farnèse entre 1859 et 1863 : les enjeux 4. F. Gasparoni, Arti e lettere, vol. 1, Rome, 1863, p. 380 : («A questa volta è bene da dar dentro alle campane di santa ragione, che ’l fatto è tanto nuovo e singolare, che nessuno l’avrebbe più creduto di questo tempo. Dico che abbiamo dovuto prendere grandissima ammirazione, di vedere a un tratto risentirsi tre de’ nostri architetti, e farsi esempio a’ loro confratelli (maestri guastanti e minanti, anzi che da chiamare con quel nome di architetti) di restauratori dell’antico, in tre fabbriche che ebbero la ventura di venire alle loro mani». Sur Gasparoni, voir A. Campitelli, sub voce, dans DBI. 5. Ph. Levillain et Fr.-Ch. Uginet. «Il Reale Palazzo Farnese in Roma» (1799-1874), dans Le Palais Farnèse, I, 2, Rome, 1981, théoriques et pratiques de la restauration dans le cadre de l’affirmation, à partir de la fin du premier tiers du siècle en Italie, des politiques de préservation du patrimoine historique et artistique; la récupération, à travers d’abord la restauration de monuments, du langage artistique de la Renaissance après plusieurs décennies de domination sans partage du néoclassicisme; le contexte personnel, matériel et politique qui préside enfin à l’ouverture du chantier et en influence le programme 6. AU SERVICE DE L’AZIENDA FARNESE : LES DÉBUTS D’UNE CARRIÈRE D’ARCHITECTE L’espoir de Cipolla d’être admis au service de la monarchie napolitaine comme architecte des propriétés farnésiennes à Rome remonte à 1854, comme en témoigne une lettre de candidature spontanée au prince de Bisignano, grand majordome (maggiordomo maggiore) de Ferdinand II. Ce poste d’architecte constituait un emploi fixe – régulièrement rémunéré depuis 1816 – à la charge de l’Azienda farnesiana, qui dépendait depuis 1832 d’une Surintendance générale de la Maison du roi (Soprintendenza generale di Casa Reale) accolée à la charge du grand majordome 7. En 1854, le titulaire de cette place, l’architecte Pietro Bosio, avait été rendu impotent par la maladie, et le temps semblait proche où la monarchie aurait dû lui trouver un successeur : Depuis 1843 réside à Rome, en raison de sa profession d’architecte et des liens de famille qu’il y a contractés, le sujet de Votre Majesté et fils de Maria Sorgente, Antonio Cipolla, ancien pensionnaire de l’Académie des Beaux Arts plusieurs fois récompensé par une Médaille d’or. Désireux de p. 647-692. 6. Voir, pour comparaison, le cas contemporain du chantier de restauration des loges du Vatican : C. Mazzarelli, «Aumentar virtù per via dell’emulazione» : il cantiere delle Logge Pie (18471876), dans G. Capitelli et C. Mazzarelli, La pittura di storia in Italia, 1785-1870. Ricerche quesiti, proposte, Milan, 2008, p. 181-193. 7. M. Azzinnari et M. R. Ricci, Il Ministero di Casa Reale, dans A. Massafra (dir.), Il Mezzogiorno preunitario. Economia, società, istituzioni, Bari, 1988, p. 671-696; G. Landi, Istituzioni di diritto pubblico del Regno delle Due Sicilie (1815-1861), Naples, 1977, vol. 1, p. 408 – 413. 349 rendre un service à la Cour de Naples, celui-ci accepta avec joie en 1852 la proposition de S.E. Mgr Lancellotti, administrateur en chef de l’église royale de Spirito Santo à Rome, d’en devenir l’architecte, avec la charge de conduire la restauration de l’édifice. Les travaux nécessaires furent aussitôt lancés à l’intérieur comme à l’extérieur de l’église, et menés avec tant de diligence qu’au jour du 30 mai de cette année la façade entièrement achevée a pu être exposée au public. Il n’appartient pas au suppliant de décrire l’accueil réservé par les connaisseurs de l’art à ce spectacle; mais il se réjouit plutôt d’avoir su mériter la pleine satisfaction dont l’a assurée le digne prélat. Or, cet encouragement reçu il y a peu fait naître dans le cœur de l’architecte Cipolla l’audace de présenter à Votre Majesté une requête pour être nommé dès maintenant futur successeur de l’actuel architecte des biens farnésiens, qu’une infirmité permanente empêche de prêter service et oblige à se faire remplacer dans ses fonctions par l’un de ses aides. Que Votre Majesté daigne considérer que le suppliant, seul architecte napolitain se trouvant à Rome, mériterait d’être préféré aux étrangers pour servir l’administration royale, d’autant plus que le fait d’être napolitain lui ferme à Rome toute voie d’accès aux travaux publics, et lui rend extrêmement difficile celle des particuliers, concédés d’ordinaire aux concitoyens des commanditaires. Ces raisons, et plus encore la générosité bien connue de Votre esprit souverain, maintes fois expérimentée Comme le réclame ce genre d’exercices, l’acte de candidature de Cipolla faisait feu de tout bois. Ainsi de son appartenance à une famille qui, du côté maternel, avait fourni plusieurs employés à la Maison du roi. La mère de Cipolla, Maria Sorgente, qui exerçait à sa naissance la profession de couturière pour la cour, avait été appelée en 1833 au service de la reine Maria Cristina puis, après la mort de cette dernière, avait servi la reinemère et, pendant quelque temps, la deuxième épouse de Ferdinand II – fréquentation qui lui vaudrait de pouvoir témoigner en faveur de la «reginella santa» lors du procès en béatification ouvert par Pie IX en 1859 9. Plus surprenante peut apparaître en revanche l’invocation d’une préférence «napolitaine» qui avait bien peu compté jusqu’alors dans les choix de la monarchie au moment de nommer ses architectes à Rome. En 1818, le dernier grand chantier qu’avait connu le palais Farnèse, à l’occasion de la visite de Ferdinand Ier à Rome, avait été confié à l’architecte romain Giuseppe Camporese, actif à Rome depuis 1785 au service de la papauté puis de l’occupant français. À partir de cette date, le système adopté avait consisté à établir à Naples un architecte en titre avec l’obligation de se rendre à Rome une ou deux fois par an, et un architecte local pour 8. Archivio di Stato di Napoli (dorénavant ASN), Maggiordomia maggiore e Soprintendenza di Casa Reale (dorénavant Maggordomia), III inv., b.2134, fo 685 : Antonio Cipolla à Pietro Antonio Sanseverino (prince de Bisignano), Rome, 30 juin 1854 : «Dimora a Roma fin dal 18[4]3 per faccende di sua professione di Architetto, e per parentela contratta, il suddito di Vostra Maestà, e figliuolo a Maria Sargente, Antonio Cipolla, già Pensionato, e onorato più volte col premio di Medaglia di oro, dalla Real Napolitana Accademia di Belle Arti. Desideroso di rendere qualche servigio alla Real Corte di Napoli nel 1852 accolse con gioja la nomina con la quale fu chiamato da S. E. Monsignor Lancellotti Primicerio della Regia Chiesa dello Spirito Santo in Roma all’ufficio di Architetto dell’amministrazione cui appartiene la detta Chiesa, e gli fu nel medesimo tempo commesso il restauro del Tempio mentovato. I lavori occorrenti furono tosto cominciati sì nell’interno come nell’esterior parte della Chiesa, e vennero condotti innanzi con alacrità per modo, che nel fausto giorno del 30 maggio corrente anno se ne poté esporre al pubblico la facciata in ogni sua parte compiuta. Non tocca al supplicante dire l’accoglienza fattasi dagli uomini periti dell’arte a quella prospettiva; egli bensì gode di aver potuto meritare la soddisfazione pienissima, quale gli fu dimostrata dall’Illustre Prelato. Or questo incorragiamento testè ricevuto pone in cuore dell’Architetto Cipolla l’ardire di presentare alla Maestà Vostra una supplica per esser nominato fin da ora futuro successore all’attuale architetto dei beni Farnesiani, il quale per continue infermità inabilitato a prestare l’opera della sua persona è costretto a farsi supplire nell’ufficio da un suo ajuto. Degni Vostra Maestà di considerare come il supplicante trovandosi in Roma solo Architetto Napolitano par che meriti di essere ai Forestieri preferito in una Reale Amministrazione, molto più, che questo suo essere Napolitano chiudigli in Roma ogni via a pubblici lavori, e gli rende oltremodo difficile i privati, concessi di ordinario ai concittadini dei committenti. Queste ragioni, e molto più di esse la nota, e dalla famiglia del supplicante assai volte sperimentata, generosità del Real Vostro Animo, alimentano in petto all’Architetto Cipolla la fiducia di vedere esaurita benignamente la sua domanda». 9. Neapolitana beatificationis et canonizationis servae Dei Mariae Christinae a Sabaudia regni utriusque Siciliae reginae, vol. 1, Rome, 1859, en particulier p. 11. par la famille du suppliant, nourrit dans le for d’Antonio Cipolla l’assurance que sa demande sera examinée avec bienveillance 8. 350 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN s’occuper uniquement du détail des travaux et dépendant entièrement du premier. Pietro Bianchi, nommé en 1829 architecte du Palazzo degli Studi (siège du Musée archéologique et de la Bibliothèque royale) avec une solde supplémentaire pour servir annuellement l’Azienda Farnese, était un architecte lombard, formé à Milan et à Rome, et s’était installé à Naples en 1816 à la demande de Ferdinand Ier pour y diriger la construction de l’église San Francesco di Paola avant d’être nommé architecte de la Maison du roi en 182110. À sa mort en 1849, le poste avait échu à Pietro Bosio, lui aussi d’origine lombarde et formé à Milan puis à Rome, qui était depuis 1818 au service de la Chambre Apostolique11. En 1854, Cipolla avait depuis six ans achevé ses études d’architecture. Dans la Naples de la Restauration, la formation des architectesingénieurs pouvait emprunter trois voies non nécessairement concurrentes : l’obtention, à l’Université, d’une licence en mathématique éventuellement complétée auprès d’ingénieurs exerçant la profession d’architecte; l’entrée par concours dans les écoles spécialisées en ingénierie, collèges militaires ou Scuola di Applicazione di Ponti e Strade; et la fréquentation des leçons dispensées par les professeurs d’architecture de l’Istituto di Belle Arti, héritier de l’Accademia fondée par Charles III au milieu du XVIIIe siècle et réformée pendant l’occupation française puis en 182212. Dès sa fondation, l’Académie avait eu une double nature d’école professionnelle et de lieu de la recherche artistique, en proposant deux niveaux de formation successifs, l’un destiné à l’apprentissage des techniques du «dessin» – considéré comme le fondement de tous les arts – et l’autre composé de trois écoles spécialisées, dont celle d’architecture13. Mais ce n’est qu’au début du XIXe siècle que l’Académie, en réponse aux évolutions intellectuelles et techniques contemporaines, s’était orientée vers l’acquisition des savoirs techniques nécessaires à la formation d’architectesbâtisseurs, en statuant notamment que «les jeunes gens qui voudraient se consacrer à la profession devraient étudier les mathématiques à l’Université ou auprès d’autres maîtres exerçant en privé, et donner la preuve de ces études pour concourir à l’obtention du diplôme14 ». Le décret de 1822 reprenait cette exigence, tout en perpétuant dans le programme d’étude le primat de la forme (le dessin) sur les techniques de la construction15. Rien d’étonnant donc si Cipolla s’était diplômé en architecture «à la suite d’études aussi bien scientifiques qu’artistiques», avant de poursuivre ses études à Naples sous la direction de l’architecte lombard Enrico Alvino entre 1839 et 1841, date de son inscription officielle à l’Istituto16. Comme pour tous les meilleurs élèves de l’aca- 10. Sur Pietro Bianchi, voir A. Venditti, sub voce, dans DBI; N. Ossanna Cavadini, Pietro Bianchi : la formazione e le opere, dans Id. (dir.), Pietro Bianchi, 1787-1849. Architetto e archeologo, Milan, 1995, p. 21-40. 11. Sur Pietro Bosio, voir P. Favole, sub voce, dans DBI. 12. R. Di Stefano, Storia, architettura e urbanistica, dans Storia di Napoli, IX, Naples, 1972, p. 645-743; G. Russo (dir.), La scuola d’ingegneria in Napoli : 1811-1967, Naples, 1967, p. 23-24; C. Lorenzetti, L’Accademia di Belle Arti di Napoli (1752-1952), Florence, 1952, première partie; A. Giannetti, Costruire un’accademia : dall’Accademia del Disegno al Reale Istituto di Belle Arti di Napoli, 1750-1860, dans G. Ricci (dir.), L’architettura nelle accademie riformate. Insegnamento, dibattito culturale, interventi pubblici, Milan, 1992, p. 193-212. 13. C. Lorenzetti, L’Accademia..., cit., p. 16-21. 14. Ivi, p. 367 : lettre de Domenico Mundo, directeur de l’Accademia di Pittura, au marquis Vasto, Naples, 6 août 1802, reproduite en appendice (V) de l’ouvrage : «I giovani che vorranno applicarsi a tale professione, dovranno studiare all’Università dei Regi Studi o presso di altri particolari Maestri, le Matematiche, e nel concorso da farsi per ottenere il premio, dovranno far costare di aver fatto tale studio». 15. «Decreto relativo alla novella organizzazione del Real Istituto di belle arti, ed allo stabilimento dei pensionati in Roma» (Naples, 2 mars 1822), dans Collezione delle leggi, dei decreti e di altri atti riguardante la pubblica istruzione promulgati nel già Reame di Napoli dal 1806 in poi, vol. 2, Naples, 1862, p. 47-78 : titre VII, art. 46 («Nessun alunno potrà essere ammesso allo studio di architettura, se non sarà iniziato nell’aritmetica e nella geometria [...]»), et titre III, art. 17, organisant les études d’architecture en deux classes, l’une inférieure pour apprendre à dessiner les ordres d’architecture et en connaître l’origine comme les usages, et une classe supérieure d’exercice à la composition. 16. Sulla spoglia mortale di Antonio Cipolla trasportata di Roma a Napoli nella cappella gentilizia al Camposanto il dì 11 gennaio 1875. Questi discorsi leggevano Cesare Dalbono, direttore dell’Istituto di Belle Arti, e l’architetto Enrico Alvino, professore dell’Istituto di Belle Arti, [Naples], s.d., p. 9 : «il Cipolla col crescere degli anni mostrò sempre ingegno acuto e vivace; in guisa che per ben tempo, di seguito a studî sì scientifici che artistici, fu laureato in Architettura»). La date de 1841 indiquée par Alvino dans sa nécrologie est confirmée par les registres d’inscription de l’Académie (Archivio dell’Accademia di Belle Arti di Napoli, «Registro degli alunni ammessi all’Istituto dal 1836 in poi». Enrico (ou Errico) Alvino était né à Milan en 1809 mais s’était formé à Naples où il poursuivrait l’essentiel de sa carrière et de son activité; rapidement nommé, à la fin de ses études, architecte de la municipalité napolitaine, il apparaît dès 1835 dans le rôle des professeurs honoraires de l’Istituto di Belle Arti, où il ne deviendrait professeur ordinaire qu’en 351 démie napolitaine, une étape essentielle de la formation de Cipolla a consisté dans un séjour à Rome. Si l’institution du Pensionato est quasicontemporaine de la naissance de l’Académie, sous la forme de subventions accordées par la monarchie à des artistes pour se rendre à Rome, ce n’est qu’en 1813, sous le règne de Murat, que cette pratique a été institutionnalisée et encadrée par des statuts précis; ces derniers instauraient neuf pensions (également réparties entre peintres, sculpteurs et architectes) attribuées sur concours aux élèves les plus méritants17. Le cadre ainsi formé avait été confirmé après la seconde Restauration, dans un décret de 1815 retouché au moment de la grande réforme de l’Istituto en 1822. Le nombre de pensionnaires avait alors été ramené à six, toujours également répartis entre les trois sections, renouvelés tous les quatre ans à l’issue d’un concours où étaient admis les candidats sélectionnés au vu des études accomplies, des derniers travaux réalisés et du nombre de prix remportés dans les «concours d’encouragement» qu’organisait tous les deux ans l’académie. Le programme d’étude fixé pour les architectes comprenait deux ans consacrés «à mesurer et à étudier les monuments antiques, à en faire les plans, les élévations et le dessin», tandis que la troisième année était employée à la «restauration d’un monument classique» et la dernière à l’exécution d’un «projet d’invention (...) en ayant en vue ceux qui un jour pourraient devenir utiles ou server d’ornement et d’embellissement pour la capitale ou pour les provinces»18. En 1842, au moment où Cipolla pouvait se présenter au concours – il avait remporté, lors de l’exposition des Beaux Arts de mai 1839, une médaille d’argent de première classe, et une de deuxième classe à l’exposition de 184119 – une réforme portait la scolarité des pensionnaires à six ans, avec une première année consacrée à «étudier les chefs d’œuvres et les monuments classiques de l’Antiquité qui se trouvent dans le royaume» et, lors de la dernière année, un voyage artistique dont le but était d’offrir aux pensionnaires «l’opportunité d’admirer tout ce qui existe en matière de peinture, de sculpture, d’architecture civile et hydraulique, de monuments antiques et médiévaux en Romagne, en Toscane et dans le royaume lombard-vénitien» 20. Le programme fixé aux pensionnaires de Rome était donc placé sous le signe de la synthèse. Synthèse entre les tendances formalistes et conventionnelles de l’académisme et les exigences de l’expérimentation, à travers notamment la pratique ancienne de la «restauration» d’édifices anciens, conçue comme compromis entre l’activité 1859 (voir E. Lavagnino, sub voce, dans DBI; G. Bruno, Errico Alvino, architetto e urbanista napoletano dell’800, Naples, 1962). 17. «Statuto del pensionato artistico a Roma» (Naples, 31 juillet 1813), reproduit par C. Lorenzetti, L’Accademia..., cit. en appendice IX, p. 379-380. Voir également F. Mangone, Il pensionato napoletano di architettura, 1813-1875, dans G. Alisio (dir.), Civiltà dell’Ottocento. Architettura e urbanistica, Naples, 1997, p. 35-43. 18. «Decreto relativo alla novella organizzazione del Real Istituto di belle arti, ed allo stabilimento dei pensionati in Roma» (1822), titres VII («Concorsi per le piazze di pensionati a Roma») et IX («Metodo degli studi dei pensionati»), dans Collezione delle leggi, dei decreti e di altri atti riguardante la pubblica istruzione promulgati nel già Reame di Napoli dal 1806 in poi, vol. 2, Naples, 1862, p. 47-78. En particulier l’article 99, p. 73 : «Gli alunni architetti dovranno impiegare due anni nel misurare e studiare gli antichi edifizi, farne le piante, le elevazioni e gli spaccati. Tanto nel primo che nel secondo anno dovranno inviare un saggio del loro studio in questo genere, affin di giudicarsi del loro profitto. Nel terzo dovranno intraprendere il ristauro di qualche monumento classico : nel quarto finalmente eseguiranno un progetto d’invenzione, o qualche altro che a Noi piacerà d’indicar loro, tenendo in mira quelli che un giorno potranno divenir utili o essere di decorazione ed abbellimento della capitale o delle provincie». 19. Annali civili del regno delle Due Sicilie, XIX, 1839, p. 150, et XXV, 1841, p. 153. 20. «Decreto e regolamento concernenti lo stabilimento d’un pensionato di belle arti in Roma pe’ sudditi de’ reali dominii oltre il Faro» (Naples, 27 juillet 1842), dans Collezione delle leggi, dei decreti e di altri atti riguardante la pubblica istruzione, cit., vol. 2, p. 358-372, en particulier les art. 18 : «Il corso degli studi di perfezionamento a’quali dovranno attendere i pensionarì essendo stato da Sua Maestà fissato ad anni sei, e dovendo nel primo anno studiare i capolavori e gli antichi monumenti classici, che sono nei reali domini di qua e di là del Faro, sarà cura della Commissione di far conoscere a ciascun pensionano il soggetto del rispettivo studio con le analoghe istruzioni») et 27 («Prima che compiano i quattro anni della dimora dei pensionai in Roma, la Commissione a’termini dell’articolo terzo del decreto organico, presenterà al Ministro degli affari interni le istruzioni da servire di norma pel viaggio artistico, che dovranno intraprendere nel seguente ed ultimo anno. Essendo scopo di questo viaggio l’offrire ai medesimi l’opportunità di ammirare quanto vi ha di classico in fatto di pittura, di scultura e di architettura civile ed idraulica, ed in monumenti antichi e del medio evo nella Romagna, nella Toscana e nel regno Lombardo-Veneto, così sarà cura della Commissione d’indicare i luoghi da visitare, i monumenti da studiare e gli obblighi da adempiere». 352 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN d’analyse (via le relevé) et l’invention ou «reconstruction idéale» destinée à permettre la réappropriation du langage classique des monuments étudiés. Synthèse ensuite entre la place prépondérante de l’Antiquité et l’attention pour le patrimoine historique architectural de la péninsule dans sa double dimension artistique et technique. Si le néoclassicisme a continué de dominer en effet la culture académique napolitaine pendant toute la première moitié du siècle, les années 1830 et plus encore la décennie suivante ont vu l’affirmation progressive, précisément contre les impasses formelles de l’académisme néoclassique, de tendances historicistes et éclectiques engagées dans la recherche d’un langage à la fois plus souple et plus fonctionnel toujours inspiré du modèle classique – avec pour modèle les architectes-bâtisseurs de la Renaissance – ainsi que dans la revalorisation du patrimoine «national», que celui-ci ait été hérité de l’Antiquité ou de périodes postérieures 21. En témoigne, en 1842 précisément, la parution du Discorso su’ monumenti patrii de l’architecte napolitain et ancien pensionnaire romain Luigi Catalani, même si ce mouvement n’a jamais acquis jamais, en Italie, un caractère véritablement abouti sur un plan idéologique ou théorique 22. Le pensionnat romain a sans doute joué un rôle dans cette évolution en favorisant les contacts des pensionnaires napolitains avec leurs homologues étrangers, notamment ceux de l’Académie de France à Rome, et à travers eux avec les ferments anticlassicistes des avant-gardes architecturales européennes. Plus simplement, et en concomitance avec l’évolution de la législation en matière patrimoniale – les décrets de 1822, interdisant l’exportation d’œuvre d’art, leur déplacement des sites d’origine et la démolition de monuments antiques, et celui de 1839, confiant la surveillance de ces derniers à une autorité admi- nistrative placée sous la double tutelle du Ministère de l’Intérieur et de l’Istituto di Belle Arti – la connaissance des «monuments nationaux» s’imposait désormais, autant que celle du langage formel de l’architecture classique, comme un passage obligé dans la formation des artistes pensionnés par la monarchie, avec la restauration comme finalité pratique 23. Cette exigence devait exercer une influence profonde sur la pratique des pensionnaires, pendant et après leur séjour romain. En octobre 1842, Cipolla participait à côté de sept autres candidats au concours d’architecture – sur le thème «une chartreuse pour vingt-quatre moines, située sur un point élevé et disposant d’une église, d’archives, d’une maison d’hôtes et du reste» – et remportait le nombre maximal de voix à égalité avec le Napolitain Pasquale Maria Veneri 24. En janvier 1843, les deux lauréats recevaient pour instruction d’étudier pendant six mois à Naples et la seconde moitié de l’année à Pompéi. L’essai réalisé par Cipolla pendant son premier semestre consistait à «mesurer et dessiner les monuments qui se trouvent dans l’église San Giovanni a Carbonara», et lui a valu une petite médaille d’or à l’exposition de mai 1843. À Pompéi, les deux architectes se sont attachés à établir un plan du forum dans son état actuel, et à relever les restes des maisons de particuliers 25. Pour sa deuxième année à Rome, Cipolla proposait une restauration de la base de la colonne Trajane et choisissait, pour l’essai de 1845, de s’intéresser au palais Farnèse. De cette exploration ont été tirés plusieurs dessins – le plan du rez-dechaussée, un tableau de la façade principale sur la place, le détail du portail d’entrée sur la façade principale, le détail des frises du deuxième étage et un relevé détaillé du portique – qu’a récompensés une grande médaille d’or à l’exposition de 1845 26. 21. Voir sur ce point A. Venditti, Architettura neoclassica a Napoli, Naples, 1961, p. 1-50; L. Patetta, L’architettura dell’eclettismo. Fonti, teorie, modelli, 1750-1900, Milan, 2005, p. 311-373 («Il Neorinascimento e gli sviluppi della progettazione eclettica nella seconda metà dell’Ottocento»). 22. L. Catalani, Discorso sui monumenti patrii, Naples, 1842. 23. R. Picone, Restauri e trasformazioni dell’architettura a Napoli nel XIX secolo, dans G. Alisio, (dir.), Civiltà dell’Ottocento..., cit., p. 151-162. 24. Sur le déroulement du concours, entre octobre et décembre 1842, voir ASN, Ministero della Pubblica Istruzione, b. 498 : «Concorso per le piazze del Pensionato di belle arti a Roma dal 1o gennaio 1843 a tutto dicembre 1848». 25. ASN, Ministero della Pubblica Istruzione, b. 500; Indicazione delle opere dei pensionati napolitani e siciliani... inviati a Roma al perfezionamenti delle rispettive arti..., Rome, Tip. Menicanti, 1845. 26. Annali civili del regno delle Due Sicilie, XLIII, 1847, p. 72. En vertu du règlement de l’Istituto di Belle Arti, les essais produits par les pensionnaires devenaient propriété de l’établissement. Ces documents semblent aujourd’hui introuvables à l’Archivio dell’Accademia di Belle Arti, même si un inventaire en a été dressé en 1924 (signalé par F. Mangone, Il pensionnato napoletano..., art. cit., note 5). Ironie du sort, Cipolla réclamerait en 1850 de pouvoir récupérer temporairement ses essais afin de les publier, et s’attirerait par 353 Pour le voyage de dernière année, la commission de l’Istituto a fixé un itinéraire allant de Rome à Pérouse par la vallée de la Nera, Bologne, Ferrare, Vicence, Venise, Milan, Vérone, Pavie, Parme, Carrare, Lucques, Pise et Florence. Le 1er février 1848 cependant, six pensionnaires (dont Cipolla) signaient une lettre demandant le report du départ, fixé au 15 du mois, afin de terminer leurs études en cours «et pour laisser passer les frimas de l’hiver dans des régions plus septentrionales où la neige et le mauvais temps empêcheraient l’examen des diverses œuvres d’art, unique but de leurs observations» 27. Un mois plus tard, les pensionnaires sollicitaient un nouveau report au mois de mai, cette fois en raison «[des] troubles politiques et des rigueurs de la saison qu’ils devraient affronter [qui] leur auraient ôté le calme nécessaire à l’étude des beaux arts», ainsi qu’une rallonge financière pour le temps passé à Rome 28. En mai enfin, les élèves du pensionnat arguaient à nouveau de la «situation politique présente» pour demander l’autorisation de rentrer à Naples en conservant la jouissance de leur pension, quitte à renvoyer à plus tard le voyage d’étude. La requête était jugée raisonnable par les autorités académiques, qui ont autorisé les pensionnaires à aller retrouver leurs familles, mais ont donné l’ordre au directeur du pensionnat de ne verser leurs pensions qu’à ceux qui, au terme de douze jours, seraient repartis de Naples pour accomplir régulièrement leur voyage en haute Italie. En juillet, seuls Cipolla et Veneri, avec le peintre Angelo Scetta, avaient accompli leur devoir et se trou- vaient à Venise 29. La ville était alors en pleine révolution, après l’insurrection contre le gouvernement autrichien et la proclamation d’une République indépendante, dont Cipolla se vanterait par la suite d’avoir contribué à la défense comme capitaine du génie dans l’armée vénitienne 30. Au terme de leur scolarité à Rome, les anciens pensionnaires étaient généralement confrontés à de grandes difficultés pour s’insérer dans la vie professionnelle. Pendant toute la première moitié du siècle, le principal débouché qu’offrait le Pensionato, à défaut d’un encouragement supplémentaire de la part de l’État napolitain et par suite de leur éloignement de Naples pendant une longue période, restait l’activité d’enseignement. Fonder une école privée, à l’exemple d’Alvino, était bien souvent d’après Camillo Napoleone Sasso «l’unique voie ouverte aux élèves sortis du pensionnat romain, pour cette raison que le gouvernement, par un faux raisonnement, prétendait avoir fait assez pour eux en leur facilitant l’éducation artistique; ceux-ci devaient ensuite se procurer eux-mêmes des contrats, tout comme les autres le faisaient qui n’avaient pas eu comme eux le bénéfice d’une aide. De la sorte, des esprits distingués et voués entièrement à l’Art se retrouvaient désœuvrés dans une aussi vaste cité que Naples, car pour s’en être éloignés pendant tout le temps de leur pensionnat ils étaient peu connus du tout-venant, que ne s’entend guère de l’Art, et parce que le gouvernement ne les employait pas dans les chantiers publics, comme il aurait dû le faire pour son plus grand profit 31». deux fois le refus des autorités académiques, au nom du principe que «les travaux des pensionnaires sont l’un des rares ornements de [l’]Institut» («essendo tali saggi dei pensionati uno dei rari ornamenti del nostro Reale Istituto») : ASN, Ministero della Pubblica Istruzione, b. 503I. ASN, Ministero della Pubblica Istruzione, b. 500 : lettre des pensionnaires romains à Francesco Paolo Bozzelli, président de la Reale Società Borbonica, Rome, 1er février 1848 («... per iscansare il fitto del verno in parti più settentrionali, ove le nevi ed il cattivo tempo impedirebbero lo studio nelle varie opere d’arte, unico scopo delle loro osservazioni»). Id., s.d. (avril 1848) («le turbolenze politiche, ed i rigori della stagione a cui andranno incontro, li avrebbero distolti dalla calma che si richiede per lo studio delle arti belle»). Ivi : Filippo Marsigli, directeur du Pensionato, à Francesco Paolo Bozzelli, Rome, 13 juillet 1848. Sulla spoglia mortale di Antonio Cipolla... cit., p. 11. Alvino rapporte ce fait de la bouche même de Cipolla. Alfredo Comandini attribue quant à lui à Cipolla un rôle dans la défense de Trévise (L’Italia nei cento anni del secolo 19. : (18011900) : giorno per giorno illustrata, 5 (1871-1900), Milan, 1942, p. 297). 31. N. C. Sasso, Storia de’ monumenti di Napoli e degli architetti che gli edificavano dallo stabilimento della monarchia sino ai nostri giorni, Naples, 2, 1858, p. 328 : «Era questa l’unica via aperta agli alunni venuti dal romano pensionato. Imperocché il Governo con un falso ragionare diceva aver fatto abbastanza per essi, avendo loro agevolata l’educazione artistica; dover poi eglino medesimi procurarsi gli affari, egualmente che gli altri facevano, i quali non avevano avuto come essi il beneficio di sussidio alcuno. Così distinti ingegni, dediti solo all’Arte, si vedevano disoccupati in una vasta città quale è Napoli, perché coll’esserne stati lontani nel tempo del loro pensionato eran poco noti all’universale, che tra noi non molto d’Arte si briga, e perché il Governo non adoperavali nelle opere pubbliche, come con grande utilità avrebbe dovuto fare». 27. 28. 29. 30. 354 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN Après son voyage de fin d’étude, Cipolla a fait le choix – original – de rester à Rome, en partie sans doute pour des raisons personnelles, ayant contracté un mariage avec la fille du savant (chimiste, archéologue et étruscologue) Francesco Orioli, ancien ministre du gouvernement provisoire de 1831 qui, depuis son retour d’exil à la faveur de l’amnistie de 1846, enseignait l’histoire et l’archéologie à l’Université de Bologne. Cette situation le contraignait à se contenter d’un emploi de technicien, en obtenant en 1849 de la Società Industriale Toscana le poste de directeur des travaux de terrassement de la ligne de chemin de fer Rome-Frascati, dont le projet avait été approuvé par le gouvernement pontifical en novembre 1848 32. Mais Cipolla n’avait pas renoncé à des ambitions publiques et artistiques, puisqu’il se proposait peu après de diriger les travaux de restauration du palais Farnèse, qui avait subi de sérieux dommages pendant la période révolutionnaire romaine (nous y reviendrons), fût-ce gratuitement. «Poussé par l’amour de l’art», le jeune architecte demandait «la faveur de pouvoir restaurer ce monument, en renonçant tout de suite à toute rétribution, puisqu’il en trouverait une très grande en rendant quelque service à l’Auguste Souverain dont il avait reçu tant de bienfaits, et en voyant par son œuvre restauré ce colosse du XVIe siècle 33 ». La proposition a été favorablement accueillie par l’Agent farnésien, Camillo Trasmondo, en raison d’une part de la nature des travaux indiqués par le devis de Bosio, «dont deux ou trois titres concernaient les aspects décoratifs du palais et tout le reste des restaurations matérielles » et dont pouvaient être exempté l’architecte de l’Agenzia et son aide «peut-être au détriment sinon de leur réputation artistique», mais aussi de la bonne réputation de Cipolla, «architecte-ingénieur à la réputation d’habileté» qu’il se rappelait avoir vu «au cours des quelques années de son séjour au pensionnat (...) souvent occupé à étudier avec assiduité les monuments célèbres de cette capitale» 34. Dans l’immédiat cependant, la Surintendance s’est surtout préoccupée de réduire les coûts de la restauration et n’a pas donné suite à la proposition du jeune architecte. Contraint de renoncer temporairement à l’espoir d’une commande publique, Cipolla a alors misé sur la réalisation de travaux mineurs dans l’espoir de se faire un nom à Rome; ainsi le monument funéraire du prince Théodore Galitzine destiné au cimetière de la Chartreuse de Bologne mais réalisé à Rome en 1851 avec la collaboration des sculpteurs Antonio Rossetti et Giuseppe Palombini. Ce n’est qu’en 1852 cependant que Cipolla s’est vu confier la direction d’un chantier d’une certaine importance, au service non de la papauté mais bien de la monarchie napolitaine, dans le cadre des travaux de rénovation de l’église nationale de Santo Spirito en cours depuis 1848, et cela grâce à la recommandation de Mgr Luigi Lancellotti qui avait pris en mars 1852 la responsabilité administrative du bâtiment. Nommé architecte de la fabrique en août, Cipolla supervise la réfection de la façade, l’agrandissement de l’église et toute sa décoration interne. La réalisation de la façade, achevée en seulement un an entre mai 1853 et mai 1854, a vu la poursuite de la collaboration avec Giuseppe Palombini et l’inauguration d’une autre coopération avec le sculpteur Domenico D’Amico 35. L’inspiration néo-Renaissance de cette façade, qui était aussi celle du tombeau du prince Galitzine, a dès ce moment suscité l’admiration de Francesco Gasparoni, pour qui le mérite du Napolitain était d’avoir su, «sans donner dans 32. ASN, Maggiordomia, III, b. 2266, fasc. 181 : Antonio Cipolla au prince de Bisignano, Rome, 30 juillet 1849. 33. Ibid. : («Spinto dall’amor dell’arte, domanda all’E.V. la grazia di poter ristaurare detto monumento, rinunziando sin da ora a qualsiasi compenso, poichè ne troverebbe uno grandissimo nel prestare un tenue servigio all’Augusto Sovrano dal quale tanto è stato beneficato, e nel veder per opera sua restaurato quel colosso del Cinquecento». 34. Ivi : Camillo Trasmondo au prince de Bisignano, Rome, 27 octobre 1849; «Mi onoro rassegnarle, che essendovi la perizia per i lavori occorrenti nelle Reali Proprietà danneggiate dalle trascorse vicende, composita dal Sign. Cav. Bosio, e rilevandosi da essa due o tre sole partite interessanti la parte decorativa del Real Palazzo Farnese, essendo tutte le altre relative a ristauri materiali, converrebbe [eccettuare], o il prelodato Cav. Bosio, o il sig. Mampieri dalla direzione di questa parte di esecuzione, e forse con discapito di loro riputazione artistico. Il sig. Cipolla d’altronde è un architetto ingegnere di nota abilità, ed appunto è destinato alla formazione della via ferrata Pia-Latina, e nei varii anni nei quali dimorò nel Real Alunnato mi rammento averlo veduto spesse volte occupato con assiduità a studiare i celebri monumenti di questa metropoli». 35. L. Lancellotti, La regia Chiesa dello Spirito Santo dei napolitani in Roma ampliata e rifatta, Naples, 1868, p. 40-47. 355 d’étranges gothiqueries ou byzantineries», s’écarter d’une école d’architectes qui depuis la fin du siècle précédent, sous la houlette de théoriciens du néoclassicisme tels que Francesco Algarotti et surtout Francesco Milizia, «et bien plus encore du cri poussé après la découverte des villes ensevelies d’Herculanum et de Pompéi pour débaroquiser l’art, se jetèrent tous sans réserve dans l’imitation pédante de l’antique et, oublieux ou insoucieux de l’œuvre des Brunelleschi, des Pintelli, des Bramante, des Sangallo, etc. (...), transportèrent dans nos églises (...) toutes sortes de formes païennes» 36. Sur la vague de ce premier succès et fort la recommandation de Mgr Lancellotti, Cipolla pouvait donc, en juin 1854, postuler au poste d’architecte de l’Azienda Farnese, avec l’espoir d’être écouté. À la mort de Pietro Bosio, au début de l’année suivante, sa candidature était effectivement examinée à côté de celle de cinq autres architectes. Malgré des qualités d’architecte universellement reconnues et des appuis d’importance – celui du prélat précédemment cité et du marquis de San Giuliano, chargé d’affaires à l’ambassade napolitaine à Rome, qui mourrait du choléra peu de temps après – Cipolla a été écarté sans doute pour des raisons politiques. Une note de la police sur les aspirants au poste le définit ainsi «habile homme, mais d’une telle hostilité politique au trône que le directeur général de la police lui-même, Mgr Matteucci, le croyant au service de l’Azienda, a adressé un blâme confidentiel à l’agent, s’étonnant qu’un individu qui en 1848 avait publiquement prêché contre Sa Majesté puisse être employé par l’église royale des Napolitains» 37. À Cipolla a donc été préféré Pietro Gambao, «excellent gentilhomme, peu avant décoré de l’ordre de François Ier, mais de second ordre seulement parmi les architectes» 38. Ainsi s’évanouissait une deuxième fois l’espoir d’entrer au service de la monarchie. Mais le nouvel architecte était loin de donner satisfaction à l’agent farnésien et au nouveau chargé d’affaires, Giacomo De Martino (transféré à Rome en 1855), qui ont fini par s’en plaindre à la monarchie par l’intermédiaire de son majordome : 36. Lettere romane sulla architettura scritte da Francesco Gasparoni a’ suoi amici, Rome, s.d. [1854], p. 10 : «[...] già fin dallo scorcio del passato secolo, gli architetti sforzati dai precelti dell’Algarotti, e poi dalle furibonde declamazioni del severo ed acre Milizia, e molto più dal grido che levarono i monumenti delle dissotterrate città di Ercolano e di Pompei a disbarocchir l’arte, si buttarono tutti senza riserbo all’imitazione pedantesca dell’antico, e dimentichi o non curanti dell’opere dei Brunelleschi, dei Pintelli, dei Bramanti, dei Sangalli ecc., che avevano creata, tre secoli prima, la vera architettura italica cristiana, trasportarono nelle nostre chiese (e non dovevano recarvi che la correzione dello stile antico) ogni maniere di forme pagane». 37. ASN, Maggiordomia, III, b. 2241, fasc. 565 : «Aspiranti alla piazza di Architetto della Reale Azienda Farnesina in luogo del fu cav. Bosio» [non datée, mais sans doute 1855]; «Uomo di abilità, ma di tale e tanta avversità politica al Reale Trono, che lo stesso Direttor Generale di Polizia Monsignor Matteucci supponendolo addetto alla Reale Azienda rimproverò il Regio Agente in confidenza, meravigliandosi come un uomo che pubblicamente avea predicato nel 1848 contro S.M.D.G., fosse al servizio della Regia Chiesa del Napoletani». 38. Ibid. : «Ottimo galantuomo, testè decorato dell’ordine di Francesco Primo, ma di 2a classe appena tra gli architetti». Pietro Gambao (1796-1874), après des études de littérature puis de mathématique, avait obtenu assez jeune âge le titre d’architecte et la liberté d’exercer, avant d’être recruté par la Chambre Apostolique (voir sa nécrologie par B Capogrossi Guarna, dans Il Buonarroti, 1872, II/9, no 1, p. 33-34). 39. Ivi : rapport du prince de Bisignano à Ferdinand II, Naples, 30 octobre 1858 : «La esperienza ha dimostrato che il cav. D. Pietro Gambao architetto della Reale Azienda Farnesiana, per la imperizia nella professione e per avidità di guadagno fa spesso eseguire negli edifici dell’Azienda stessa dei lavori per lo più a suo capriccio e senza autorizzazione, procedendo anche a demolizioni per metterci nell’assoluta necessità di rifare a nuovo ciò che esisteva di antico. Si è cercato varie volte da questa Sopraintendenza Generale di richiamarlo con opportuni ammonimenti al dovere, ma lo è stato sempre indarno». 40. Ibid. : «accio non vadano distrutti i loro stupendi tipi che son L’expérience a démontré que le chevalier Pietro Gambao, architecte de l’Azienda Farnesiana, par incompétence et par avidité d’argent, fait souvent réaliser dans les bâtiments de l’Azienda des travaux selon son seul caprice et sans autorisation, procédant même à des démolitions pour nous mettre dans l’impérieuse nécessité de refaire à neuf ce qui existait depuis longtemps. La Surintendance générale a tenté à plusieurs reprises de le rappeler au devoir par des avertissements, mais toujours en vain 39. L’extrême valeur des bâtiments demandait selon eux le plus grand soin, «de façon à prémunir la destruction de leurs caractères exceptionnels que leur donnent des chefs d’œuvre réalisés à cet effet, et pour ne pas encourir la censure publique à laquelle le chevalier Gambao a par le passé donné matière en mêlant en certains lieux des œuvres de styles complètement divers» 40. Pour mettre un 356 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN frein à cette situation, la Surintendance proposait de revenir au système adopté entre 1818 et 1849, en nommant à Naples un architecte en titre de l’Azienda et à Rome un architecte local chargé de l’exécution seulement des travaux sous la dépendance du premier. Le choix de la monarchie s’est alors porté sur l’architecte Luigi d’Angelo (qui n’a guère laissé de traces à notre connaissance), tandis que Gambao conservait ses fonctions comme architecte local avec une solde mensuelle de 18 écus. La nouvelle configuration s’est avérée rapidement tout aussi peu satisfaisante, et De Martino a continué à «manifester hautement l’impossibilité de garder le chevalier Gambao en raison de son incompétence, de son abandon à un état d’inaction complète et d’opposition à l’agent du roi, et enfin parce qu’il refusait d’exécuter les instructions de d’Angelo 41». Force était donc de lui trouver un substitut, et le nom avancé était celui de Cipolla, «en tenant compte du fait que celui-ci est considéré à Rome comme le meilleur des architectes». S’il n’était pas possible de renvoyer Gambao, il n’y avait qu’à lui adjoindre ce dernier, comme architecte surnuméraire et sans solde, en laissant à D’Angelo la faculté de choisir qui bon lui semblerait – solution économique qui a aussitôt rencontré les faveurs de la monarchie. Le 27 octobre 1858, l’Agent farnésien faisait prêter serment au nouvel architecte, en vertu duquel celui-ci commencerait, à compter du 1er janvier 1859 et conformément aux instructions imparties par d’Angelo, «à s’occuper de la direction des travaux dans la catégorie des manutentions ordinaires» 42. Avec l’acte du serment, Trasmondo joignait à la fin de l’année une lettre de remercie- configurati in apposite opere di arte, e per non incorrersi nella pubblica censura alla quale per lo addietro il cav. Gambao ha dato luogo col frammezzare in taluni dei monumenti stessi delle opere di stile affatto diverso». 41. Ibid. : «Intanto, il Comm. De Martino nel manifestare a voce la impossibilità di ritenersi il Cav. Gambao per la sua imperizia, per essersi messo nello stato di assoluta inazione, ed in contraddizione col Reale Agente, e perchè renitente ad eseguir le istruzioni di d’Angelo, ha dedotto che il cav. Gambao meriterebbe di essere rimosso e supplito da altro soggetto [...]». 42. Ivi : Camillo Trasmondo au prince de Bisignano, Rome, 18 décembre 1858, et Luigi D’Angelo, au prince de Bisignano, Naples, 12 novembre 1858. 43. Ivi : Antonio Cipolla à Camillo Trasmondo, Rome, 15 décembre 1858 : «Nella carriera nè breve nè poco faticosa, ments de Cipolla où perçait la satisfaction d’avoir obtenu la reconnaissance tant désirée : Au cours de la carrière ni brève ni peu laborieuse que j’ai parcourue jusqu’ici, la pensée de me rendre un jour digne d’un honneur si considérable m’a toujours servi d’aiguillon très efficace aussi bien dans des études longues et variées que dans l’exercice consciencieux de ma profession 43. LE PALAIS ET SES TRAVAUX Le palais dont Cipolla devenait l’architecte le 1er janvier 1859 était loin de ne nécessiter que de menues interventions; son état laissait à désirer, depuis longtemps, aussi bien dans sa structure que dans son aménagement intérieur. Déjà en février 1814, l’agent nommé par Murat à la conservation des Monuments farnésiens, Domenico Venuti, avertissait son gouvernement du mauvais état dont souffrait le palais qui devait accueillir sous peu le roi de Naples, sa cour et son administration : Cette prodigieuse merveille des arts, qui fait tant d’honneur à notre Italie et en procure d’infinis à notre Souverain qui les possède, le palais [Farnèse], est dans ses plafonds fort abîmé, et abîmé à tel point que, cela soit dit en toute franchise, si un prompt remède n’y est apporté, il en pourrait résulter des dommages propres à réclamer par la suite d’immenses dépenses 44. Certes, Venuti n’était pas architecte, lui qui comme surintendant des antiquités (soprintendente alle antichità) avait été nommé par Ferdinand IV inspecteur-conservateur des œuvres d’arts appar- da me finora percorsa, il pensiero di rendermi un giorno degno di così desiderato onore, mi è stato sempre sprone efficacissimo come agli studi lunghi e molteplici, così eziandio all’esercizio decoroso della mia professione». 44. ASN, Ministero dei dipartimenti Italici, b. 39II, fasc. 1051, no 3 : Domenico Venuti à Davide Winspeare, Rome, 14 février 1814 : «Queste portentose meraviglie delle arti, che tanto onore fanno alla nostra Italia, e che infinito ne apportano al nostro Sovrano, che le possiede, nei suoi soffitti, il Palazzo suddetto, è molto danneggiato, e danneggiato a segno, che può dirsi francamente, che se non se le arreca un pronto riparo, potrà cagionare qualche dissesto da doversi in seguito spendere delle somme vistose ». Je remercie M. Gateano Damiano, de l’Archivio di Stato di Napoli, de m’avoir gentiment signalé ce document. 357 tenant aux palais farnésiens (et chargé, en 1799, du transfert à Naples des sculptures de la collection Farnèse); mais l’Agence farnésienne était alors dépourvue de titulaire officiel. À la lumière de cet avertissement, le Conseil d’État de l’époque (Consiglio amministrativo) avait décidé de créer une commission, composée du sculpteur Antonio Canova, du peintre Vincenzo Camoncini et de l’architecte Raffaele Stern, chargée de collaborer avec Venuti pour «proposer les interventions indispensables et les dépenses nécessaires à la remise en bon état de ce magnifique édifice» 45. La précipitation des événements, qui conduiraient à la chute de Murat et à l’occupation du palais par les troupes autrichiennes en mai 1815, ont cependant eu raison de ces projets. Sous la Restauration, l’administration du patrimoine royal avait eu pour principe général d’éviter que les propriétés romaines des Bourbons de Naples ne grèvent son budget. Mis à part les travaux décidés en 1818 à l’occasion de la visite à Rome de Ferdinand Ier (principalement la fermeture des arcades du premier étage de la cour), les documents financiers de l’Azienda Farnese consultés par Philippe Levillain et FrançoisCharles Uginet montrent que le souci d’économie conduisait à limiter les dépenses aux seuls travaux inévitables de réparation et de nettoyage 46. Les commentaires portés sur le plan du palais dressé par l’architecte Alessandro Mampieri en 1845 font l’inventaire des maux dont souffrait le bâtiment, du sous-sol aux toits : les souterrains étaient généralement encombrés d’immondices et les citernes situées sous les locaux de la légation se voyaient régulièrement remplies par l’eau du Tibre en crue, désagrément fort préjudiciable causé par l’encombrement des égouts sous le palais qui ne permettaient plus l’évacuation des caves; dans la galerie des Carrache, deux corniches extérieures dont les plaques étaient pourries laissaient filtrer l’eau par les commissures des travertins, risquant d’endommager à terme les fresques de la salle; l’eau pénétrait également, par temps de pluie, à travers les dix fenêtres du deuxième étage, endommageant les voûtes au-dessous, ainsi que par les lucarnes et les fenêtres du troisième, toutes dépourvues de vitre, de sorte que les plafonds de l’étage inférieur montraient par endroits des signes d’infiltration 47. Les mêmes principes d’économie avaient guidé les réparations rendues nécessaires par les événements révolutionnaires romains de 1849. Séquestré par le gouvernement républicain, le palais Farnèse avait été transformé en quartier général de l’artillerie, les portiques de la cour en écuries, les couloirs du premier étage en caserne et les appartements ministériels au deuxième étage en logements pour les officiers; plus tard y avait pris place la «Commission des barricades», et le bâtiment avait alors été ouvert à la plèbe romaine, tandis que d’autres dégâts avaient été causés par les combats et le passage des troupes françaises. Aucune partie du palais n’avait été épargnée : au rez-de-chaussée et dans la cour, les anneaux de fer avaient été arrachés des murs, les décorations de travertin ébréchés en de nombreux endroits, les portes et fenêtres de toutes les pièces étaient à réparer et la cuisine avait été dévastée; au premier étage, il fallait restaurer toutes les parois des salles, couloirs et escaliers, en particulier dans le salon d’Hercule et les deux pièces attenantes transformés par la Commission des barricades en magasins et armurerie, ainsi que le cabinet du Ministre et le reste de son appartement livrés au pillage; au deuxième étage enfin, où des centaines de personnes s’étaient massées pour participer aux travaux de défense et dont les plafonds et espaces attenants avaient été tous ouverts pour servir de jour comme de nuit aux curieux désireux de suivre les combats sur les bastions du Janicule 48. Mais au vu du devis dressé par Mampieri en juillet 1849 et des «sommes considérables» qu’il réclamait, la Surintendance avait demandé à Trasmondo de séparer les réparations urgentes des autres travaux, afin de limiter les dépenses. Comme la nouvelle expertise chiffrait les 45. Ivi : Davide Winspeare à Domenico Venuti, Rome, 21 février 1814 : «Questa si riunirà presso di voi per proporre i risarcimenti necessarj, e la spesa occorrente per rimettersi in buono stato questo stupendo edifizio». 46. Ph. Levillain et Fr.-Ch. Uginet, Il Reale Palazzo Farnese in Roma (1799-1874), cit. 47. ASN, Maggiordomia, III, b. 1250, fasc. 178 : plan du palais Farnèse par Alessandro Mampieri, Rome, 10 avril 1845, reproduit ivi, p. 670-671. 48. ASN, Maggiordomia, III, b. 2266, fasc. 181 : «Descrizione e Scandaglio estimativo dei danni recati ai Reali Fondi Farnesiani in Roma, tanto dalla invasione del cessato Governo della Repubblica, quanto dai projettili da guerra lanciati dal Campo Francese nell’assedio del prossimo passato giugno corrente anno 1849», Alessandro Mampieri, Rome, 28 juillet 1849. 358 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN premières à plus de 1800 écus et les autres interventions sur les décorations de travertin, également qualifiées d’urgents, à 2800 écus, l’Agent farnésien avait été sommé de ne considérer comme urgents que les travaux indispensables «pour éviter la destruction du bâtiment», et de ne pas tenir compte de «l’exagération habituelle» de Mampieri 49. Un troisième devis avait alors été confié à Bosio, qui identifiait les travaux nécessaires dans la réfection des toits, afin de protéger les pièces qu’ils recouvraient des prochaines pluies automnales, la réparation de quelques châssis de portes et de fenêtres et la pose de nouvelles vitres, pour moins de 700 écus 50. Après avoir dû insister à deux reprises auprès de la Surintendance sur l’importance de commencer le chantier, l’Agent était finalement autorisé à décembre à faire le nécessaire 51. Les travaux, réalisés sous la direction de Bosio en 1850, ne coûtèrent finalement que 342 écus. D’après les registres du Status animarum de la paroisse de S. Caterina della Rota, le palais Farnèse servait de logement, dans les années 1850, à un nombre compris entre 60 au début de la décennie et 80 personnes environ en 1858 52. Une idée de l’occupation des lieux en 1845 nous est donnée par le plan réalisé à cette date par l’architecte Mampieri. Au rez-de-chaussée se trouvaient les bureaux et les archives de la légation, ainsi que les logements de divers employés (le gardien, le portier, le majordome et la lavandière). En dehors des espaces de représentation, les appartements du chargé d’affaires – à cette époque, le comte Ludolf – occupaient tout l’angle Sud-Ouest en correspondance avec les limites de la cour, laissant le coin Sud à la comtesse Ludolf et le coin Nord à des logements d’artistes. À l’étage supérieur, la suite des pièces allouées à la comtesse et l’appartement du fils utilisaient toute l’aile SudOuest, le reste de l’espace disponible étant réparti entre le secrétaire de légation et (pour une petite partie) l’architecte Mampieri. Le troisième étage, sous les toits, était divisé en de nombreuses pièces pour la plupart inhabitées 53. Plusieurs éléments ont contribué, à la fin des années 1850 et au début des années 1860, à inaugurer une nouvelle phase de travaux dans le palais. Le premier est antérieur à la nomination de Cipolla et tenait aux lésions qui se sont manifestées en 1857 dans le plafond de la grande salle du deuxième étage, au centre de l’aile Nord-Ouest, qu’occupait l’appartement du secrétaire de légation (Giuseppe Gravina, prince d’Altomonte). Cette grande pièce avait été divisée à une époque antérieure en trois espaces par des cloisons en armature de bois recouverte de toile peinte et abaissée en hauteur par un faux-plafond de même composition qui cachait le plafond en bois d’origine, lui-même soutenu par des chaînes et des tirants de bois reliés à l’armature du plancher supérieur. À la demande d’Altomonte, une partie de ce faux-plafond avait été démontée afin de permettre la réfection de l’entrée de l’appartement, découvrant l’ancien plafond à caissons qui s’était révélé «dans un état déplorable qui faisait craindre un malheur imminent, aussi bien à cause de la vétusté des bois que du défaut des soutiens nécessaires, et parce qu’il apparaissait presque partout effondré et en grande partie moisi». Devant l’imminence du péril, l’architecte local Gambao avait été autorisé à procéder d’urgence à la consolidation, en démontant et reconstruisant le plancher supérieur pour y installer des tirants en fer et renouveler les parties abîmées, pour une somme de 350 écus versée au chapitre des charges imprévues 54. Mais le mal était forcément général 49. Ivi : le prince de Bisignano à Camillo Trasmondo, Naples, 1er août 1849. 50. Ivi : Pietro Bosio à Camillo Trasmondo, Rome, 15 septembre 1849. 51. Ivi : Camillo Trasmondo au prince de Bisignano, Rome, 29 novembre 1849, et Caprarola, 10 octobre 1849; et réponse du majordome, Naples, 4 décembre 1849. 52. G. Michel, Vie quotidienne au Palais Farnèse (XVIIe-XVIIIe siècle), dans Le Palais Farnèse, I, 2, cit., tableau 2, p. 565. 53. ASN, Maggiordomia, III, b. 1250, inc. 178 : Alessandro Mampieri, plan du palais Farnèse en 1845, reproduit dans Le Palais Farnèse, I, 2, cit., p. 670-671. 54. ASN, Maggiordomia, III, b. 2310, fasc. 111 : Pietro Gambao à Camillo Trasmondo, Rome, 2 juillet 1857, «rapporto sulli danni manifestatisi nel soffitto che ricopre la gran sala del secondo piano nobile». «La gran sala del secondo piano nobile del Real Palazzo Farnese, suddivisa da taluni tramezzi composti di armature in legno con tela incartata e dipinta, viene egualmente tramezzata in altezza con simile armatura ricoperta da tela dipinta. Superiormente viene ricoperta da un soffitto di legname alla foggia dell’epoca della edificazione del cennato Real Palazzo, sostenuto da catena, e tiranti di legno raccomandate all’armatura del soprapposto solajo, formando piano al sottotetto. Soffitto non visibile atteso il tramezzo in altezza ch’esiste a copertura delle suddivisioni esercitate nella sopraddetta gran Sala. Alla circostanza di aver tolti taluni dei tramezzi verticali di 359 et la Surintendance ne pouvait cette fois faire l’économie d’une restauration de l’ensemble des grands plafonds à caissons qui recouvraient les pièces du premier et du second étage. Un décret du 23 décembre 1857 avait donc alloué une somme extraordinaire de 5777 écus pour permettre à l’Azienda Farnese de faire face à la dépense. Or, la réalisation des travaux a permis de faire une économie d’environ 1000 écus, «bien qu’il ait fallu faire face à de nombreux imprévus en raison des dépenses supplémentaires nécessitées par les armatures et des grandes manœuvres exécutées, en particulier dans le plan des plafonds» 55. Cette somme restait dans les caisses de l’Agence et pouvait être utilisée pour financer de nouveaux projets. Les interventions sur les plafonds réalisées dans la première moitié de l’année 1858 rendaient possibles et nécessaires la rénovation d’une partie des espaces de représentation du première étage. En octobre, la Surintendance demandait donc à son agent de fixer d’abord avec le chargé d’affaires quelles étaient les pièces à restaurer, et d’enjoindre ensuite à Gambao de compiler le devis correspondant, en calculant pour chaque espace les sommes à prévoir pour le dépoussiérage et la restauration des plafonds, le revêtement en papier de toutes les parois, la réalisation d’une frise supérieure en analogie avec le plafond et d’une frise inférieure en faux marbre verni, ainsi que la pose de corniches en bois dorés sur les bords de chaque embrasure 56. On retint alors les salles qui formaient l’angle du premier étage de la «salle de bal» (R) à la grande pièce du milieu de la galerie Nord-Ouest (N) auparavant divisée en trois espaces, pour lesquelles le devis élaboré par Gambao aboutissait à la somme de 3198 écus, sans doute bien supérieure aux prévisions de la Surintendance 57. À peine nommé, Cipolla était donc sollicité pour proposer une nouvelle estimation qui, signée le 31 janvier 1859, parvenait à la limiter les dépenses à 2071 écus 58. En juillet seulement, sur l’avis de d’Angelo, la Surintendance donnait son accord pour la restauration de trois salles sur les cinq proposées, à financer sur le reliquat des travaux de l’année précédente, et en donnant la préférence au projet de Cipolla 59. On se concentra donc sur l’antichambre (O), le premier salon à gauche (P) et la pièce à l’angle de la rue et de la terrasse (Q) 60. Une des premières décisions de Cipolla a été, «puisqu’il devait reprendre l’entière exécution des travaux d’ornement des frises dans les salles, et qu’il n’approuvait pas celle que le peintre [Domenico] Tojetti a commencé à réaliser comme essai sous la direction du chevalier Gambao », d’implorer la faculté de se servir uniquement pour ces frises du concours du peintre napolitain Vicenzo Palliotti, à qui l’architecte avait confié la réalisation d’une toile représentant l’âme de Ferdi- sopra contemplati secondo si richiedeva dall’Eccmo Signor principe di Altomonte, segretario della Regia Legazione di Sua Maestà Siciliana, ed ottenere un più decoroso ingresso all’appartamento assegnatogli, necessità volle di togliere la tela di quelli orizzontali, per indi riporsi in opera con alcune emendi. Fu allora che scoprendosi l’antico soffitto a lacunari, si ebbe luogo conoscere essere il medesimo in pessimo e ruinoso stato, da far temere un’eminente sinistro, sia per la vecchiezza dei legnami, come per la mancanza dei necessarj sostegni, scorgendosi quasichè interamente avvallato, e nella massima parte fracido. Come si riconobbe eminente il pericolo di esso soffitto, egualmente si rinvenne l’urgenza di accorrere al consolidamento del medesimo, facendomi lecito di ordinare ai varj artefici i lavori conducenti al necessario restauro, disfacendo l’intero mattonato al piano sottotetto, e ricostruzione del medesimo, accrescere le armature al solaio del medesimo, onde sostenere il soffitto in parola, e con stampelle e leve a soffietto, rimandare possibilmente al suo sesto l’antica opera, rinnovando quelle parti consunte, aumentando e necessarie catene in legno, ed i tiranti in ferro, nella quantità che si cederà prescrivere all’atto della prattica esecuzione, per il ché non potendo calcolare in dettaglio l’ammontare della spesa da incontrarsi, limiterò di dare per norma della superiorità la presunta cifra di circa scudi 350 implorandone la Reale approvazione sul fondo Imprevisti». Ivi : Camillo Trasmondo au prince de Bisignano, Rome, 27 septembre 1858 («[...] abbenché siasi dovuto far fronte a non pochi imprevisti, per li risarcimenti occorsi, a causa delle armature, e grandi manovre eseguite, singolarmente nel piano delle soffitte»). ASN, Maggiordomia, III, b. 2310, fasc. 110 : le prince de Bisignano à Camillo Trasmondo, Naples, 8 octobre 1858. Ivi : devis pour la décoration de cinq salles de représentation du premier étage présenté par Pietro Gambao, Rome, 4 novembre 1858. Pour localiser ces salles, on se reportera au plan du premier étage reproduit en fig. 1. Ivi, fasc. 109 : «Dettaglio estimativo dei lavori occorrenti a decorare l’appartamento di rappresentanza al primo piano del Reale Palazzo Farnese, a forma del dispaccio della Maggiordomia maggiore e soprintendenza generale di Casa Reale», Antonio Cipolla, Rome, 31 janvier 1859. Ivi : le prince de Bisignano à Camillo Trasmondo, Naples, 9 juillet 1859. Ivi : le prince de Bisignano à Camillo Trasmondo, Naples, 27 juillet 1859. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 360 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN nand II gagnant les cieux pour orner l’église San Lorenzo in Damaso à l’occasion des funérailles solennelles du souverain exécutées sous sa direction le 12 juillet 1859 61. Mais c’était sans compter sans l’esprit de parcimonie de la Surintendance, qui après avoir rappelé la nécessité pour Cipolla «de bannir dans l’exécution des travaux le plus petit dépassement des dépenses annoncées dans son projet et de chercher autant que possible à faire des économies», indiquait que l’architecte pouvait, pour la peinture des frises, «employer ceux qu’il jugerait les plus compétents parmi les artistes se trouvant à Rome, étant inutile d’envoyer quelqu’un de Naples à cet effet, car cela donnerait lieu à une dépense excessive» 62. Le choix de Cipolla se porterait alors sur les frères Florentins Gioacchino et Mariano Grassi, pour la réalisation des peintures et des vernis, tandis que celle des stucs serait à nouveau confiée au sculpteur Domenico D’Amico. En septembre 1859, alors que les travaux étaient lancés, Giacomo De Martino revenait à la charge auprès de la Surintendance pour obtenir que le chantier soit étendu dans la foulée au reste du premier étage. L’argument était d’ordre politique : la papauté et le gouvernement romain attendaient avec impatience la visite à Rome du nouveau souverain, et il était préférable selon lui que François II puisse à cette occasion fixer sa résidence dans son palais de la via Giulia. Il suffisait pour cela d’ordonner l’achèvement des travaux décidés en 1858 et reportés ensuite, qui se limitaient à deux salons, aux couloirs et à l’escalier du palais, quitte à en faire retomber le coût sur le budget des prochaines années. Si l’économie était le principal souci de l’administration royale, la solution offerte par le chargé d’affaires pour la grande salle du milieu de la galerie, dont le plafond était le plus endommagé, consistait justement à rétablir les cloisons abattues l’année précédente; auraient ainsi été créées trois chambres à coucher pour la famille royale, pourvues de leurs cabinets respectifs, tout en évitant les frais d’une restauration 63. Le prince de Bisignano n’était cependant pas prêt à écouter ces arguments, car «la Maison du Roi n’[était] pas en mesure de soutenir des dépenses exorbitantes pour des raisons qui il [était] à [lui] seul donné de connaître» 64 : ces raisons tenaient évidemment aux nuages qui s’amoncelaient au-dessus du trône depuis la défaite de l’Autriche en Italie du Nord, conjuguée à la crise politique interne annoncée par la prise de distance volontaire du général Carlo Filangieri, après trois mois seulement passés à la tête du Conseil 65. Cette situation précipiterait au moment où les travaux seraient achevés au Farnèse en janvier 1860, lorsque François II accepterait la démission donnée par Filangieri, rendant vains les nouveaux arguments de De Martino et Cipolla en faveur de la poursuite des travaux 66. La venue de François II à Rome appelée de ses vœux par De Martino aurait bien lieu, et avec elle la reprise des travaux au palais Farnèse, mais dans des conditions bien différentes de celles que ce dernier avait prévues en 1859. Après avoir dû abandonner sa capitale à Garibaldi et aux Chemises rouges puis, après une résistance acharnée dans les murs de Gaète, capituler devant les troupes de Victor-Emmanuel II le 13 février 1861, le roi des Deux-Siciles avait en effet trouvé 61. Ivi : Camillo Trasmondo au prince de Bisignano, Rome, 20 juillet 1859; sur le déroulement des funérailles, voir La Civiltà Cattolica, III, 4, 1859, p. 356-357 : «[...] dovendo ripromettersi della completa esecuzione dei lavori di ornati nei fregi delle sale, e non approvando quella che come saggio fu fatta incominciare dal Pittore [T]Ojetti sotto la direzione del cav. Gambao, implora [...] la facoltà di avvalersi unicamente per tali fregi dell’opera del valente dipintore Napolitano sig. Vincenzo Palliotti, la di cui abilità tra testé avuti occasione di ammirare nel solenne funerale alla memoria di S.M. Ferdinando II, tanto lodevolmente eseguito nella mattina dei 12 di questo mese». 62. Ivi : le prince de Bisignano à Camillo Trasmondo, Naples, 27 juillet 1859 : «[...] Intanto ella inculcherà al Cipolla di far sì che nella esecuzione dei mentovati lavori lungi dal verificarsi la benché minima eccedenza nelle singole rispettive partite da lui prevedute nel progetto si sperimentino il più possibile dei risparmi. In quanto poi alla dipintura dei fregi nei ripetuti tre saloni le manifesto che potrà il sig. Cipolla adoperare quelli che creda idonei fra gli artisti che si trovano in Roma, non convenendo spedirvi qualcuno da Napoli per tale oggetto, mentre ciò darebbe luogo ad eccesso di spesa». Ivi : Giacomo De Martino au prince de Bisignano, Rome, 8 septembre 1859. Ivi : le prince de Bisignano à Giacomo De Martino, Naples, 12 septembre 1859 : «[...] non potersi per il momento sostenere dalla casa Reale esorbitanti spese per motivi che a me solo è dato di conoscere». G. Galasso, Storia d’Italia. XV. 4. Il Regno di Napoli. Il Mezzogiorno borbonico e napoleonico (1734-1815), Turin, 2007, p. 753764. Ivi : Camillo Trasmondo au prince de Bisignano, Rome, 17 janvier 1860. 63. 64. 65. 66. 361 un sûr refuge à Rome pour lui, sa famille et une partie de sa cour. Invité par Pie IX à occuper le Quirinal, François II avait alors abandonné son palais de la via Giulia à ses ministres de la Guerre et de la Marine, au gardien des chiens et des perroquets de la reine ainsi qu’à un petit nombre d’employés 67. Visitant à ce moment le Farnèse, Louise Collet avait donc trouvé «dans la cour dépeuplée des chefs-d’œuvre antiques (...) les voitures mal lavées des généraux de François II». Au premier étage, la galerie de face lui était apparue «décorée de fresques qui s’effacent, de débris de bas-reliefs antiques, d’une statue équestre de Caligula, encombrée de tas de plâtras et de balayures». Le custode, interrompant sa sieste, avait accepté d’ouvrir pour elle la galerie des Carrache qui «semblait ne pas avoir été balayée depuis un siècle» : dans les niches, qui abritaient autrefois des statues antiques, se trouvaient désormais «des figures en plâtre, tenant à la main des débris de cierges dans des bobèches de fer-blanc», tandis que dans le salon quelques chaises d’église étaient dispersées sur le plancher disjoint. C’est cet état de la pièce que montre un cliché du photographe romain Tommaso Cuccioni, dans un album consacré aux fresques d’Annibale Carracci présenté à l’Exposition de Londres de 1862 68. La quantité de décombres que la visiteuse a dû traverser au premier étage laisse penser que le chantier ouvert en 1859 n’était pas encore à cette date véritablement achevé 69. En février 1861, François II avait annoncé que son séjour à Rome serait temporaire et, bien qu’hésitant sur le parti à prendre, avait même accueilli avec intérêt l’offre d’achat de Napoléon III portant sur ses propriétés romaines. C’était compter sans la papauté qui, en acceptant de lever la cause de fidéicommis qui pesait sur l’héritage farnésien dont elle était le garant, en a exclu le palais de la via Giulia «en tant qu’œuvre maîtresse d’architecture» 70. Ce souci patrimonial n’était qu’un prétexte – comme le montrait au même moment l’assentiment pontifical à la vente et à la dispersion de la riche collection archéologique du marquis Campana – mais il devait permettre au roi déchu de renflouer ses caisses grâce à la vente des autres biens farnésiens, tout en lui laissant la possibilité de se loger à Rome, et à ses propres frais. Dans l’esprit des dirigeants pontificaux, la présence de François II offrait alors une double utilité, comme argument moral pour repousser tout accord avec Turin, et comme épine plantée dans le pied de la nouvelle Italie, au moment où grondait la révolte dans les provinces napolitaines. L’explosion du «brigandage» antiunitaire au cours du printemps devait d’ailleurs finir de convaincre François II de braver les foudres de la diplomatie et de l’opinion publique en prolongeant un séjour qui le mettait à portée des événements et de ses partisans 71. C’est à ce moment qu’a été décidée l’installation au Farnèse de la famille royale napolitaine, et que s’est donc imposée la nécessité d’un nouveau chantier. Les interventions proposées par Cipolla en juin 1861 concernaient principalement l’étage noble et les espaces qui y menaient. Il s’agissait de : 1. La restauration de quinze salles et chambres du premier étage dans la continuité et le style des trois pièces restaurées en 1859; 2. La rénovation et en partie le remplacement des grandes armatures qui soutenaient les plafonds à caissons dans les trois salles donnant sur la place après le salon d’Hercule (B, C et D), la restauration des ornements et la reconstitution des structures de soutènement de ces plafonds, ainsi que le remplacement du pavement dans les salles correspondantes du deuxième étage; 3. La réfection du grand escalier jusqu’au premier étage et des couloirs menant à l’appartement royal (les anciens logements du chargé d’affaires); 5. L’installation de l’éclairage au gaz au-dessus de l’entrée principale, dans le vestibule et la cour, ainsi que dans les escaliers et les couloirs jusqu’au deuxième étage, grâce à quatorze lampadaires de métal 72. Après le début du chantier, d’autres travaux sont apparus indispensables afin de rendre le 67. ASN, Archivio Borbone, b. 1618, fo 892-893 : Camillo Trasmondo au prince Ruffano, Rome, 3 mai et 17 juin 1861. 68. «Sala Farnese dipinta da Annibale Caracci» (100 × 72cm), cliché de T. Cuccioni, Rome, Stab. tipografico di via Condotti, 1861. Sur ce document, voir P. Coccia, La fortuna di Annibale Carracci nella fotografia di documentazione, in Annibale Carracci e i suoi incisori, Rome, 1986, p. 313-321 69. L. Colet, Italie des Italiens. 4. Rome, Paris, 1864, p. 170-171. 70. A. M. Voci, Tra Borboni, Francia e Italia : il recupero di Palazzo Farnese al patrimonio italiano, Naples, 2005, p. 24. 71. Je me permets de renvoyer ici à l’introduction de mon mémoire de thèse, «Le gouvernement des Bourbons de Naples en exil et la mobilisation européenne contre le Risorgimento (1861-1866)», p. 33-39. 72. ASN, Archivio Borbone, b. 1619, no 80, fo 398-399 : Antonio Cipolla à François II, Rome, 8 juin 1861. 362 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN premier et le deuxième étage convenablement habitables. Certains étaient liés à l’amélioration du confort des habitants, dans un palais qui ne possédait aucun des aménagements modernes, tels que l’installation d’une pompe hydraulique pour amener l’eau aux étages, installée dans les soussols à l’angle avec la via del Mascherone et se servant de l’eau de la fontaine sur la place comme force motrice. Pour faciliter la circulation et le service de la domesticité, on éclaira au gaz le petit escalier secondaire (E15) près de la chancellerie (afin de libérer le grand escalier), la cuisine du rezde-chaussée et celle qui, au premier étage, jouxtait l’escalier secondaire. D’autres interventions étaient en revanche destinées à remédier au mauvais état du palais. Il était ainsi nécessaire de procéder enfin à la purge des souterrains du palais que rendait insalubres la fange déposée par les crues du Tibre, avant d’y installer la machine hydraulique. En surface, l’architecte suggérait de remplacer une partie du pavement du vestibule et du portique, et de nettoyer murs et voûtes qui devaient être blanchis à la chaux ou peints en demi-teinte. Sur la façade principale, il convenait de boucher les trous du crépi, de cheviller l’enfilade de blocs de travertin servant de banc, et de remplacer la balustrade située au-dessus du portail d’entrée qui était branlante. À l’intérieur enfin, l’architecte était préoccupé par la salle des Carrache (S) et celle «de Salviati» (B), où l’enduit tendait à se détacher des murs et menaçait de tomber d’un moment à l’autre, en particulier le long de fissures anciennes; il avait donc demandé à Pellegrino Succi, considéré à l’époque comme l’artiste le plus habile dans la technique de la restauration de fresques, de calculer la dépense pour remettre en place l’enduit et nettoyer les peintures sans intervenir cependant sur les couleurs. Un dernier type de travaux visait à dégager de nouveaux espaces pour pourvoir au logement des nouveaux locataires (avec l’arrivée d’une partie de la famille royale, de l’administration et de leurs employés, le nombre d’habitants du palais, entre 1863 et 1869, dépasserait en effet la centaine 73). Dans ce but, Cipolla proposait de rétablir les cloisons qui avaient existé autrefois dans les trois grandes salles du second étage donnant sur la place, pour former un appartement de neuf pièces. De la même façon, la troisième galerie du second étage devait être cloisonnée pour y faire apparaître cinq nouvelles pièces et un couloir de communication entre anciens et nouveaux appartements 74. En juillet 1861, François II concluait, par l’intermédiaire de son majordome, un contrat avec les banquiers Tommasini et Marignoli pour ouvrir un crédit à hauteur de vingt mille ducats destinés à la restauration du palais; les travaux réalisés au-delà de cette somme devaient être faits «dans un esprit scrupuleux d’économie», toujours sous la direction de Cipolla et exécutés par les mêmes artistes aux conditions précédemment stipulées 75. La composition de l’équipe réunie par Cipolla fait par ailleurs clairement apparaître la continuité avec le chantier de l’année précédente. On y retrouve à la fois l’atelier de Domenico D’Amico, pour la réalisation des stucs, et celui des frères Grassi pour les peintures 76. Pour se refaire d’une partie des dépenses, la Surintendance a également demandé à Cipolla d’inspecter les anciennes écuries, sur la via Giulia à gauche de la fontaine du Mascherone, alors louées à un négociant de bois de construction qui s’en servait comme entrepôt, afin de déterminer le moyen d’en tirer une plus forte rente annuelle 77. La proposition de Cipolla, qui consistait à rétablir le bâtiment dans son ancienne fonction, soit à l’usage des habitants du palais (en économisant ainsi les frais d’une location), soit pour être cédé en bail à un marchand de voitures, ne devant cependant être réalisée que trois ans plus tard, sous la direction du nouvel architecte de l’Azienda, le Romain Giuseppe Zampi 78. 73. G. Michel, «Vie quotidienne au Palais Farnèse», art. cité, p. 565. 74. ASN, Archivio Borbone, b. 1619, n o 80, f o 443-450 : «Preventivo addizionale e suppletorio, per i lavori occorrenti a completare il restauro dei Reali appartamenti nel primo piano del Palazzo Farnese e prevvedere all’alloggio degli addetti alla Real Casa ed ai familiari, nelle sale e corridoj al secondo piano», Antonio Cipolla, Rome, 4 octobre 1861. 75. Ivi, fo 422-423 : le prince Pignatelli (adjoint au majordome) à Camillo Trasmondo, Rome, 22 mai 1862. 76. Ivi, fo 400-403 : «Nota degli artisti e manuali impiegati al restauro del Real Palazzo Farnese in Roma» (Antonio Cipolla, Rome, 7 novembre 1861). 77. Ivi, fo 414 : le prince Pignatelli à Antonio Cipolla, Rome, 14 septembre 1861. 78. Ivi, fo 412-413 : Antonio Cipolla au prince Pignatelli, Rome, 21 septembre 1861; fo 452-459 : «Scandaglio dei lavori occorrenti per il ristauro delle scuderie e rimesse destinate per uso delle Loro Maestà e delle Altezze loro, e riduzione delle abitazioni superiori per i maestri, guardie e mezzi di 363 LA RESTAURATION SELON CIPOLLA Au moment de présenter à Votre Excellence l’estimation d’ensemble des dépenses nécessaires à la restauration de plusieurs salons qui doivent former l’appartement de représentation du palais Farnèse, il convient que je vous expose l’idée que je me suis formée au sujet de la manière la plus convenable de décorer ces salons (...). L’architecte n’est pas entièrement libre dans le choix des ornements, lorsqu’il s’agit de salles appartenant au palais Farnèse. Il faut ne pas s’éloigner du style sévère certes, mais aussi grandiose de tout l’édifice, qui parmi les beaux monuments de l’art d’édifier est le plus beau. Mais pas seulement, car deux autres liens contraignent l’architecte : les décorations que l’on a commencé à réaliser dans ces salons, et les autres superbes salles du palais entièrement ornées par de célèbres artistes. Les décorations existantes sont les plafonds sculptés à grands motifs dans leurs magnifiques caissons; mais l’œuvre est inachevée, car il y manque les dorures et les peintures qui avaient été prévues dans le modèle. La grande dépense que cette dorure et ces peintures réclameraient a conseillé de laisser ces plafonds à peu près comme ils se trouvent à présent. L’uniformité de teinte plutôt sombre, l’absence de dorure et de beau coloris impriment alors aux plafonds une gravité qui oblige à adopter dans les parois un style très sévère. Il convient donc d’éliminer les dorures aussi dans les simples corniches, celles-ci n’étant pas appelées par la partie supérieure; il faut bannir une vivacité excessive dans les frises colorées; il faut écarter les encadrements qui ne s’accorderaient pas non plus avec l’époque de l’édifice; il convient enfin d’éviter la fragmentation, car la trop grande variété des parties enlèverait aux murs la fermeté qui seule leur permet de supporter la lourde masse des plafonds. Une fois faites ces déclarations générales, voici dans le particulier comment je souhaiterais mener la décoration des salles. Sous le plafond, je ferais courir une grande frise divisée selon les lignes principales de ce dernier, qui s’appuierait sur elle. Dans les cadres de ces compartiments, je ferais peindre selon le style de l’époque du palais des ornements, des emblèmes, des Amours, des perspectives, des paysages, mais chaque chose de style grandiose et de ton sévère. Sous cette frise sera posé le linteau de stuc en relief riche d’éléments ornementaux, et réalisé dans le goût de celui qui existe dans la grande salle du palais décorée par Daniele da Volterra. Les murs seront couverts d’une tenture d’étoffe de cuir d’une seule teinte; ou bien, si on les voulait plus richement décorés d’arabesques, avec un dessin qui devrait être vaste et grandiose et, pour éviter la bigarrure et afin de mettre en valeur la frise, en choisissant toujours un ton sur ton. Pour une plus grande économie, on pourrait aux tentures d’étoffe préférer les papiers vélins qui imitent le cuir et le tissu. Ces revêtements devront être entourés aux quatre côtés de chaque paroi par de grands cadres de bois de noyer poli, en rappelant ainsi le bois des plafonds, afin que toute la décoration s’unisse harmonieusement. La partie inférieure des murs sera composée dans ses trois parties : la cimaise, le dé et la base. Ces dernières, avec l’aide du clair-obscur, imiteront le relief, et peintes de façon à imiter le marbre de la couleur la plus convenable à une base qui devra être surmontée de telles parois et de tels plafonds. Au cœur de celle-ci, on pourra cependant disposer dans des compartiments correspondant à ceux de la frise et du plafond, des marbres colorés d’après le style noble de l’époque propre au palais Farnèse. Telle est l’idée que je me suis formée de la manière de décorer ces salles. Si cette présentation a le bonheur d’être approuvée dans son idée générale, je commencerai à présenter avec Votre accord les dessins particuliers des frises plus ou moins riches qui doivent être placées dans les diverses parties du chantier et dans les différentes salles. Je n’omettrai pas alors d’indiquer précisément les allégories qui peuvent être représentées dans ces frises, afin que le projet artistique réponde à l’usage de chaque salle, aux contraintes de la restauration et à la Majesté qu’incarne ici le représentant du roi 79. scuderia, nel casamento posto sulla via del Fontanone di Ponte Sisto presso il R. Palazzo Farnese» (Giuseppe Zampi, architecte de la Real Azienda Farnese, Rome, 12 juin 1865). 79. ASN, Maggiordomia, III, b. 2310, fasc. 111 : Antonio Cipolla à Camillo Trasmondo, Rome, 31 janvier 1859 («Nel presentare all’Ecc. Vostra lo specchio estimativo delle spese occor- Pour exposer les idées de Cipolla en matière de restauration, il vaut la peine de reproduire in extenso la lettre écrite par l’architecte à Camillo Trasmondo en janvier 1859 en accompagnement de son devis pour les travaux à accomplir dans les appartements de la légation : 364 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN Le premier principe énoncé par Cipolla est donc le respect des décorations existantes, qu’il s’agisse des éléments déjà présents dans l’espace concerné ou ceux d’autres pièces, et l’uniformité de style et de ton. Cette position, certes, n’a rien de très original pour le lieu et l’époque. Gambao s’était vu reprocher, précisément, de «mêler (...) des œuvres de styles complètement divers» 80. Pour remédier à ce risque, l’architecte en titre Luigi D’Angelo proclamait en mai 1858, «animé du désir de prévenir toute censure public à l’encontre de ce qui se fait par ordre du roi, (...) l’urgence d’une prescription officielle confiant à l’architecte ou à l’autorité locale la responsabilité du moindre changement qui, à la faveur de la restauration ou de la réparation d’une partie des propriétés farnésiennes, puisse se faire au détriment du caractère architectonique primitif établi par les célèbres architectes du passé, et si fidèlement reproduit par des gravures connues de tous» 81. Le principe suivant lequel «chaque édifice ou chaque partie d’un édifice doivent être restaurés dans le style qui leur appartient, non seulement comme apparence, mais comme structure», pour emprunter la définition de Violletle-Duc, tendait à devenir une évidence dans la culture architecturale partout en Europe 82. Chez Cipolla, la nécessité de ne pas nuire au renti per restauro dei vari saloni, che debbono costituire l’appartamento di rappresentanza nel Real Palazzo Farnese, è necessario che io le esponga il concetto che mi sono formato intorno al modo più conveniente di decorare detti saloni. [...] L’architetto non è interamente libero nella scelta degli ornamenti, quando trattasi di saloni posti nel Palazzo Farnese. Bisogna non allontanarsi dallo stile severo sì, ma grandioso di tutto l’edifizio, che tra i belli monumenti dell’arte d’edificare è il bellissimo. Nè ciò solo : poiché altri due vincoli impongono all’architetto, si la parte esistente di decorazioni cominciatesi in detti saloni, e si le altre belle sale del Palazzo stesso interamente compiute da celebre artisti. La parte già esistente sono i soffitti intagliati a grandiosi fregi distribuiti nei loro belli spartimenti : ma l’opera non è finita, perché mancavi la doratura, mancano le dipinture che vi erano state ideate nel modello. La grande spesa che questa doratura e dipintura richiederebbe, ha consigliato di lasciar li detti soffitti un presso a poco come sono al presente. L’uniformità adunque di tinta piuttosto scura, la mancanza di dorature e di bel colorito impone ai soffitti una gravità, che obbliga a tenere nelle pareti uno stile molto severo. Quindi bisogna eliminare le dorature anche delle semplici cornici, non essendo richiamate nell’alto; bisogna fuggire il brio soverchio nei fregi colorati; bisogna evitare le riquadrature che neppure si accorderebbero coll’epoca di tutto l’edifizio; bisogna infine schivare il tritume, perché la troppa varietà delle parti non tolga alle pareti la sodezza che sola può far sopportare la grave imponenza dei soffitti. Fatte queste dichiarazioni generali, ecco in particolare come io crederei di condurre gli ornamenti delle sale. Sotto il soffitto dovrebbe correre un grandioso fregio scompartito secondo le travature principali del soffitto, che sopra gli si appoggia. Nei quadri di tali scompartimenti verrebbero dipinti secondo lo stile dell’epoca del Palazzo ornati, stemmi, putti, prospettive, paesaggi, ma ogni cosa di stile grandioso e d’intonazione grave. Sotto questo fregio sarà posto l’architrave di stucco a rilievo ricco di ornamenti architettonici, e fatto sul gusto di quelle esistente nella bella sala dello stesso edifizio decorata da Daniele da Volterra. Le pareti verranno coperte da paramenti di stoffa di cuoio ovvero di una sola tinta, ovvero, se si volessero più ricchi ed arabescati, dovrebbero essere di largo e grandioso disegno, e per evitare il frastuono dei colori vari, affinché il fregio trionfi, si sceglierebbero sempre di tinta sopratinta. Per maggior risparmio potrebberosi ai paramenti di stoffa sostituire le carte di Francia che imitano il cuoio ed il drappo. Questi parati dovranno parere essere circondati nei quattro lati d’ogni parete da grandiosi cornici di noce a pulitura, affinché richiamando il legno dei soffitti tutta la decorazione s’unisca in bella armonia. L’imbasamento delle pareti sarà composto delle sue tre parti; la cimasa, il dado, e la base; le quali col magistero del chiaroscuro imiteranno il rilievo, e dipingendosi a vernicetta somiglieranno il marmo del colore più conveniente ad una base che deve sottostare a tali pareti e tal soffitto. Nel vivo però di questo basamento possonsi in scompartimenti rispondenti ai fregi ed al soffitto disporre marmi colorati secondo il bello stile dell’epoca propria del Palazzo Farnese. Tale è l’idea che mi sono formata del modo di decorare queste sale. Se questa idea ha la fortuna di essere approvata nel suo concetto generale; volendosi, verrò mano mano presentando i disegni speciali dei varj fregi più o meno ricchi che occorrono nelle diverse parti del lavoro e nelle differenti sale; non omettendo allora d’indicare le particolari allegorie che i detti fregi possono rappresentare, perché il concetto artistico risponda al fine proprio di ciascuna sala, al tempo del restauro, ed alla Maestà di chi quivi il Suo Reale rappresentante. [...]». 80. Rapport cité du prince de Bisignano au roi, Naples, 30 octobre 1858.. 81. ASN, Maggiordomia, III, b. 2202 : Luigi d’Angelo au prince de Bisignano, Naples, 20 mai 1858 : «Riflettendo allo scopo a cui mirano le spese che annualmente erogansi per la Reale Azienda Farnesiana, ed animato ancora dal desiderio di prevenire qualsiasivoglia pubblica censura in quanto eseguesi per ordine di S.M. il Re N.S., mi credo in dovere rassegnare all’E.V. la urgenza di una formale prescrizione colla quale fosse posto a carico dell’Architetto, o dell’Autorità locale qualsiasivoglia minimo cambiamento, che in occasione di restauro, o riparimento di talune componenti nelle Reali proprietà Farnesiane, potesse ridondare a sfregio del primitivo tipo architettonico stabilito da celeberrimi Artisti di quei tempi, e si fedelmente riportati in apposite opere d’incisioni generalmente conosciute». 82. E.-E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, 1866, p. 23. 365 legs artistique de la Renaissance finit par acquérir une valeur positive : c’est désormais cet héritage, fût-il inachevé et distant du projet original de l’artiste comme dans le cas des plafonds monumentaux, qui devait commander la décoration de l’espace restant et guider l’artiste dans ses choix. Nombre d’architectes-restaurateurs du moment partageaient ce besoin primordial de préserver l’unité de style d’un monument «en n’y opérant que les modifications possibles et nécessaires pour atteindre le but de l’art, c’est-à-dire un plus grand accord du tout» 83. La capacité à conserver l’unité du langage formel devenait ainsi le mètre permettant de juger la qualité d’une intervention, et l’échec consistait dans l’effet déplaisant à l’œil du connaisseur de la rupture de ton, de l’éparpillement, de la surcharge ou de la bigarrure. C’est cette conviction qui pousse Cipolla, en 1859, à recommander pour la «salle de bal» (R) d’«abraser la frise, y compris dans les parties qui viennent d’être décorées, car celles-ci ne sont aucunement en harmonie avec le style du plafond, ne rappelant jamais la distribution de ce dernier, [pour] y faire une nouvelle peinture, avec des ornements analogues à la décoration et à l’époque du palais» 84. L’impératif d’unité stylistique s’imposant à l’architecte n’impliquait cependant aucun renoncement à l’invention. Le programme de Cipolla consistait à compléter la décoration des salles «dans le goût de» l’ornementation existante et «d’après le style» du palais et de l’époque, sans tomber dans une imitation servile de l’ancien. En outre, l’architecte déclare explicitement que la restauration des espaces ne peut faire abstraction des usages modernes auquel ceux-ci sont destinés, et que le projet artistique doit donc être adapté à la fonction : pour Cipolla, la tâche principale du restaurateur est rendre le monument conforme aux nécessités présentes, non de la figer dans son état primitif. Dans la pratique, le Napolitain aurait sans doute pu faire sien le précepte de Violletle-Duc à l’adresse de l’architecte-restaurateur confronté à la nécessité de «faire vivre» son édifice : «dans des circonstances pareilles, le mieux est de se mettre à la place de l’architecte primitif et de supposer ce qu’il ferait, si, revenant au monde, on lui posait les programmes qui nous sont posés à nous-mêmes» 85. Ce processus d’invention était légitime dans la mesure où l’artiste parvenait à se pénétrer du style propre au monument dont la restauration lui était confiée, à travers l’observation attentive de l’édifice et la connaissance des styles propres à chaque époque acquise à travers les premiers manuels d’histoire de l’art publiés depuis le début du siècle avec leurs planches de détails architectoniques. Le programme fixé par Cipolla pour les fresques réalisées en 1859 témoigne en la matière d’un subtil jeu de rappels stylistiques et historiques au service des fonctions dévolues à chaque espace 86. C’est ainsi que dans la pièce O du premier étage, sans doute la première à avoir été restaurée pour servir d’antichambre à l’appartement du chargé d’affaires, la frise placée sous le plafond s’inspire clairement de celle de la salle décorée par Daniele da Volterra (D), avec ses encadrements scandés par des losanges de stuc et embrassés par des motifs d’arabesques sur fond de couleur sombre (fig. 2 et 3). L’innovation se fait dans l’ajout de motifs à caractère symbolique : apparaissent ainsi ça et là des fleurs de lys, 83. La citation est tirée de C.N. Sasso, Storia dei monumenti..., cit., 2, p. 322 : «operandovi solo quelle modificazioni possibili e necessarie per lo scopo dell’arte, vale a dire un migliore accordo nel tutto». Sur les conceptions et la pratique de la Restauration en Italie au milieu du XIXe siècle, voir S. Casiello, La cultura del restauro a Napoli, dans Id. (dir.), Restauri Napoli nei primi decenni del Novecento, dans Restauro, XII, 68-69, 1983, p. 7-31; R. Picone, Restauri e trasformazioni dell’architettura a Napoli nel XIX secolo, dans G. Alisio (dir.), Civiltà dell’Ottocento. Architettura e urbanistica..., cit., p. 151162; Id., Restauro o «abbellimento»? L’attività di Federico Travaglini, dans S. Casiello (dir.), La cultura del restauro [1996], Venise, 2005, p. 95-116. 84. ASN, Maggiordomia, III, b. 2310, fasc. 109 : «Dettaglio estimativo dei lavori occorrenti a decorare l’appartamento di rappresentanza al primo piano del Reale Palazzo Farnese... », Antonio Cipolla, Rome, 31 janvier 1859 «Raschiare il fregio anche nelle parti ultimamente decorate non essendo in veruna armonia collo stile del soffitto medesimo, e non richiamando in veruna parte la distribuzione di esso, farvi un nuovo dipinto, di ornamenti analoghi, alla decorazione, ed epoca del palazzo stesso [...]». 85. Ivi, p. 32. 86. Sur ce programme, voir le texte et les illustrations fournis par Liliana Barroero, Antonio Cipolla e il restauro del piano nobile (1859-1863), dans le catalogue de l’exposition sur le palais Farnèse organisée par l’ambassade de France de décembre 2010 à avril 2011, à paraître chez l’éditeur Giunti. Je remercie Mme Barroero pour m’avoir permis de lire son manuscrit. 366 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN symbole commun aux Farnèse et aux Bourbons, en particulier dans les mains d’Amours jouant à l’intérieur de médaillons, tandis que la souveraineté de la monarchie napolitaine s’affiche dans les écussons peints à chaque angle de la pièce. Dans la salle Q, qui servait comme sa voisine (P) de salon de réception ou de compagnie pour le chargé d’affaires, l’architecte a choisi de rendre hommage à la famille Farnèse à travers quatre de ses principaux représentants, dont les bustes en trompel’œil sont insérés dans une architecture complexe et encadrés par les représentations des vertus cardinales ou de disciplines intellectuelles (la philosophie et la théologie) qui, comme les médaillons de la salle voisine, sacrifient aux canons esthétiques qui dominaient à l’époque où les Carrache décoraient leur galerie (S). Le même programme célébratif réapparaît deux ans plus tard dans les deux salles F et G, qui constituaient probablement l’appartement de l’amiral Roberto Pasca (ministre de la Marine dans le gouvernement en exil de François II), où sont représentées vertus, disciplines et emblèmes des Farnèse, à travers des personnages de facture maniériste rappelant celles du cabinet voisin des Carrache (I) (fig. 4). Les mêmes principes peuvent être repérés en effet dans la réalisation des décorations en 1862 et 1863. Celles de la salle R, décorée à ce moment mais dont le programme remontait sans doute à 1859, font écho aux angles de la galerie contiguë des Carrache en représentant des groupes de putti engagés dans ses activités ludiques (danse, musique, triomphe de l’amour), surmontées de masques de comédie et séparées par les bustes de Muses en trompe-l’œil, en accord avec la fonction de salle de bal dévolue à la pièce (fig. 5). La présence de décors de style pompéien ou grotesque dans les ébrasures des fenêtres et des portes, importés au palais par Cipolla, s’inscrit quant à elle dans la récupération de motifs décoratifs de la Renaissance dont témoignent au même moment les fresques réalisées à la manière de Raphaël par Nicola Consoni dans les loges du Vatican entre 1862 et 1869. Il en va de même des représentations paysagères de fiefs farnésiens entourés de décorations grotesques, dans la petite salle H aux fonctions vraisemblables d’antichambre, qui renvoient à un répertoire de représentations typique des XVIe et XVIIe siècles – pensons, en premier lieu, à la décoration du salon des fastes herculéens du palais Farnèse à Caprarola (fig. 6). L’architecte a eu recours à un procédé identique dans la salle N, restituée en 1859 à ses dimensions originales et à partir de 1862 à sa fonction passée de salle du trône, où, à la demande de François II, ont été exécutés quatre paysages représentant les villes principales du royaume perdu (Naples, Palerme, Gaète et Messine) 87. Plus que partout ailleurs, la récupération du langage symbolique et politique emprunté à la Renaissance entre ici au service des revendications politiques du monarque en exil et se renouvellent à leur lumière; le choix de Gaète et de Messine apparaissait en effet comme un rappel aux événements récents et impliquait une exaltation de la monarchie déchue, puisque la première était associée à la résistance héroïque du couple royal entre novembre 1860 et février 1861, et que la seconde n’avait accepté de capituler qu’en mars 1861 (fig. 7). Une conclusion similaire pourrait être tirée, avec d’autres enseignements, de l’autre réalisation de Cipolla qui a le plus marqué la physionomie du palais : le balcon à balustrade ajouté après 1861 à la façade principale au-dessus du portail d’entrée. Dans cette composition, l’architecte est parvenu à respecter le style de la façade et à en faire oublier le caractère d’innovation; Francesco Gasparoni la jugeait par exemple «si bien imitée dans toutes ses parties, et en si parfait accord avec le style des constructions anciennes, que l’on jurerait que celle-ci, habilement peinte de manière à paraître vieillie, y a toujours été» 88. D’apparence marmoréenne, la balustrade a en réalité été réalisée en fer forgé et vernie de façon à prendre l’aspect du vieux travertin. Au même moment, Viollet-le-Duc édictait de même comme règle pour la restaura- 87. L’attribution du programme à François II se fonde sur un document de Cipolla de 1862 (ASN, Archivio Borbone, b. 1619, fo 496-536). 88. F. Gasparoni, Arti e lettere, vol. 1, Rome, 1863, p. 380 : «[...] dirò solamente della loggia di balaustri di marmo che ha condotto in facciata sopra il portone, contraffatta così bene in ogni sua parte, e tanto bene rispondente con la maniera delle antiche architetture, che giureresti, avendola ancora ingegnosamente dipinta da parere vecchia, esservi sempre stata». 367 tion «de ne substituer à toute partie enlevée que des matériaux meilleurs et des moyens plus énergiques ou plus parfaits» 89. Au respect raisonné des styles et des formes correspond ainsi une liberté plus grande dans l’usage des matériaux, révélant une conception de l’authenticité réduite aux seuls aspects visibles de l’œuvre 90. En novembre 1862, les travaux du palais étaient en effet suffisamment avancés pour que François II puisse s’y installer avec une partie de la famille royale (la reine-mère, persona non grata au Farnèse, louerait pour elle et les plus jeunes princes le palais Nepoti de la piazza Venezia, aujourd’hui détruit). Certaines peintures ne seraient cependant achevées que l’année suivante, comme le montre la date de 1863 inscrite sur l’encadrement d’une fenêtre du premier étage 91. Aux yeux de Cipolla, il était évident désormais que le service des Bourbons de Naples, dont les espoirs de restauration s’amincissaient au fil des ans, ne lui offrirait plus de perspectives et qu’il lui fallait chercher ailleurs l’opportunité de diriger de grands projets. Parallèlement au Farnèse, c’est à Cavour que l’architecte consacre son énergie à partir de 1861, lorsque la municipalité de Turin ouvre un concours pour la réalisation du monument à l’homme d’État disparu en juin. Le projet de Cipolla n’a pas été retenu, mais il est sûr que sa carrière prenait alors un autre cours. Simon SARLIN 89. E.-E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française..., cit., vol. 8, p. 26. 90. A. L. Maramotti, La materia del restauro, Milan, 1989, p. 19. 91. Le Palais Farnèse..., cit., II planches, p. 237. 368 Antonio Cipolla, architecte du palais Farnèse Simon S ARLIN Fig. 1 – Plan du premier étage du palais (tiré de Le Palais Farnèse, Rome, 1980, II, planches, p. 405). 369 Fig. 2 – Fresques et stucs de Daniele da Volterra, XVIe siècle (1er étage, pièce D, mur SE). Fig. 3 – Peintures murales réalisées sous la direction d’Antonio Cipolla, 1862-1863 (1er étage, pièce O, mur SW). Fig. 4 – Représentation allégorique des vertus farnésiennes, Antonio Cipolla, 1862-1863 (1er étage, pièce F, mur SW). Fig. 5 – Groupes de putti musiciens ou dansant, Antonio Cipolla, 18621863 (1er étage, pièce R, mur SE). Fig. 6 – Représentation des fiefs farnésiens de Canino et Vico, Antonio Cipolla, 1862-1863 (1er étage, pièce H, mur SE). Fig. 7 – Vue de Gaète, Antonio Cipolla, 1862-1863 (1er étage, pièce N, mur SE).