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L’architecte Marcel Dourgnon et l’Égypte

2010, L’architecte Marcel Dourgnon et l’Égypte

L'opportunité d'engager une recherche approfondie sur le concours pour un nouveau musée des Antiquités égyptiennes au Caire a été offerte par le projet européen Musomed, qui s'était donné pour objectif d'expérimenter la constitution de nouveaux corpus documentaires dispersés. Une documentation la plus exhaustive possible a été ainsi rassemblée sur le concours à travers un dépouillement systématique de la presse architecturale européenne, en particulier française, italienne et anglaise, et la consultation de quotidiens paraissant en Égypte. Ce premier ensemble de textes a été complété par des recherches dans plusieurs fonds d'archives en Europe, publics et privés. Marcel Dourgnon est né le 29 septembre 1858 dans un milieu modeste et profondément républicain. Il suivit une longue scolarité qui lui permit d'accumuler de nombreuses récompenses en dessin d'architecture ou d'ornement. Parallèlement, il acquit l'expérience des chantiers, en France et au Chili. Au printemps 1895, Marcel Dourgnon fit partie des quatre lauréats ex aequo au concours du musée des Antiquités du Caire, et réalisa également le pavillon de l'Égypte pour l'Exposition universelle de Paris de 1900.

L’architecte Marcel Dourgnon et l’Égypte Hélène Morlier (dir.) DOI : 10.4000/books.inha.7002 Éditeur : Publications de l’Institut national d’histoire de l’art Lieu d'édition : Paris Année d'édition : 2010 Date de mise en ligne : 5 décembre 2017 Collection : Les catalogues d’exposition de l'INHA ISBN électronique : 9782917902769 http://books.openedition.org Édition imprimée Nombre de pages : 32 Référence électronique MORLIER, Hélène (dir.). L’architecte Marcel Dourgnon et l’Égypte. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2010 (généré le 29 mai 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/inha/7002>. ISBN : 9782917902769. DOI : https://doi.org/ 10.4000/books.inha.7002. Ce document a été généré automatiquement le 29 mai 2020. © Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2010 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 1 Catalogue d’exposition « L’architecte Marcel Dourgnon et l’Égypte », du 20 mai au 12 juin 2010. L’opportunité d’engager une recherche approfondie sur le concours pour un nouveau musée des Antiquités égyptiennes au Caire a été offerte par le projet européen Musomed, qui s’était donné pour objectif d’expérimenter la constitution de nouveaux corpus documentaires dispersés. Une documentation la plus exhaustive possible a été ainsi rassemblée sur le concours à travers un dépouillement systématique de la presse architecturale européenne, en particulier française, italienne et anglaise, et la consultation de quotidiens paraissant en Égypte. Ce premier ensemble de textes a été complété par des recherches dans plusieurs fonds d’archives en Europe, publics et privés. Marcel Dourgnon est né le 29 septembre 1858 dans un milieu modeste et profondément républicain. Il suivit une longue scolarité qui lui permit d’accumuler de nombreuses récompenses en dessin d’architecture ou d’ornement. Parallèlement, il acquit l’expérience des chantiers, en France et au Chili. Au printemps 1895, Marcel Dourgnon fit partie des quatre lauréats ex aequo au concours du musée des Antiquités du Caire, et réalisa également le pavillon de l’Égypte pour l’Exposition universelle de Paris de 1900. 2 SOMMAIRE Marcel Dourgnon 29 septembre 1858 – 18 octobre 1911 Marie-Laure Crosnier Leconte et Hélène Morlier Les années de formation Un long séjour au Chili Le musée du Caire Le palais de l’Égypte et les autres récompenses L’architecte, le franc maçon et le maire du IXe arrondissement Histoire du concours d’architecture (1894-1895) Hélène Morlier Le projet de Marcel Dourgnon soumis au concours de 1895 Marie-Laure Crosnier Leconte Le projet de Marcel Dourgnon conservé au département des Estampes et de la photographie Marie-Laure Crosnier Leconte Le palais de l’Égypte à l’Exposition universelle de 1900 Jean-Marcel Humbert 3 Marcel Dourgnon 29 septembre 1858 – 18 octobre 1911 Marie-Laure Crosnier Leconte et Hélène Morlier Les années de formation 1 Marcel Dourgnon naquit dans un milieu modeste et profondément républicain, du quartier des Chartreux à Marseille : son père maçon et sa mère piqueuse ne légitimèrent leur mariage qu’en 1860. Pourtant, l’enfant suivit une longue scolarité puisqu’il remporta les premiers prix des classes de peinture et d’architecture à l’école des beaux-arts de Marseille en 1878. La reconnaissance de ses talents lui permit d’être pensionné par la ville de Marseille à Paris et d’entrer dans l’atelier de Jean-Louis Pascal (1837-1920). Il effectua à l’École des beaux-arts un cursus scolaire très personnel, dans un type d’enseignement où l’élève avait une certaine latitude dans le choix des matières étudiées. Dourgnon ne dépassa pas la 2e classe (celle des débutants). Pendant les huit ans de sa scolarité (1879-1887), il était parvenu à accumuler de très nombreuses récompenses, mais seulement en dessin d’architecture ou d’ornement. Il avait même réussi à être admis pendant sept années consécutives au second essai du concours de Rome et deux fois logiste au concours Chaudesaigues, dit aussi « Petit Prix de Rome », en 1881 et 1883. Cet élève s’était donc focalisé sur une spécialité unique : le dessin et la composition d’architecture. 2 Parallèlement, il acquit l’expérience des chantiers : il fut attaché aux travaux de reconstruction de l’hôtel de ville de Paris, sous la direction de Théodore Ballu (1817-1885) et travailla aussi dans les agences de plusieurs architectes comme William Bouwens Van der Boijen, Jean-Louis Pascal, Albert Ballu, Jules Bouchot. 3 En 1886-1887, il fut nommé inspecteur aux travaux pour l’achèvement de l’hôtel de ville de Pantin et collabora au projet d’une école primaire supérieure de jeunes filles, avec Joseph Cassien Bernard (1848-1926) qui concourut plus tard comme lui pour le musée des Antiquités égyptiennes. 4 4 En 1887, il fut attaché à l’agence des travaux de l’Exposition universelle de 1889 pour la construction du palais des beaux-arts sur le Champ-de-Mars à Paris, sous la direction de Jean Camille Formigé (1845-1926). Un long séjour au Chili 5 En 1889, il fut engagé comme architecte pour le gouvernement du Chili. L’année suivante (le 13 juillet 1890), il fut nommé officier d’académie par le ministère de l’Instruction publique, alors qu’il travaillait déjà pour le gouvernement chilien. Il construisit plusieurs édifices dans le centre de Valparaiso, notamment la nouvelle bourse du commerce et l’intendance de la marine. À la capitale Santiago du Chili, il fut chargé de dessiner le jardin et la décoration de la place du Congrès. 6 Ces édifices ont un style architectural « Beaux-Arts » parisien qui correspond à l’image de modernité que les pays d’Amérique du Sud avaient voulu transmettre par le biais de leurs pavillons respectifs lors de l’Exposition universelle de 1889 : aucune allusion à un style local ne permettait d’attribuer un pavillon à un État ou un autre. 7 Marcel Dourgnon honora aussi les commandes privées : il construisit un établissement d’administration minière avec maisons d’habitation à Valparaiso ainsi qu’un établissement industriel, deux hôtels particuliers avec des maisons de rapport à Santiago. Il obtint le 1er prix dans un concours pour un projet de banque privée. C’était donc un architecte reconnu qui le 9 janvier 1893 épousa à Valparaiso Sabine Angèle Eugénie Waguet, née le 11 novembre 1869 à Biastre (Nord). Elle était la fille du consul de France au Chili. Le marié eut pour témoin Henri de Bacourt, Encargado de negocios depuis 1875 puis Ministro Plenipotenciado en 1888. Son séjour au Chili dans les milieux aisés chiliens et diplomatiques français donna au jeune architecte l’occasion de construire plusieurs bâtiments dont des édifices officiels, et aussi de se faire des relations. C’est avec un carnet d’adresses bien rempli qu’il revint en France en 1893. 8 À Fontainebleau, il travailla à la construction d’une maison de rapport avec annexe, puis à celle d’une villa bourgeoise en collaboration avec Georges Chedanne (1861-1940), grand Prix de Rome en 1887. En 1894, il devint sociétaire perpétuel de la fondation Taylor et prépara un projet pour le concours international ouvert durant l’été 1894 pour la construction d’un nouveau musée archéologique au Caire. Il concourut sous la devise : Eurêka, reprise une dizaine d’années plus tard pour le concours de Montevideo (voir p. 6). Le musée du Caire 9 Au printemps 1895, il fit partie des quatre lauréats qui obtinrent une prime ex aequo. Il dut adapter ensuite son projet aux exigences d’ordre financier des commanditaires et accepta la charge de la direction des travaux qui l’obligeraient à séjourner longuement au Caire. 10 En 1896, il fut admis comme membre de la Société centrale des architectes français. Il fut présenté par son maître J.-L. Pascal et ses camarades H. P. Nénot, H. Legrand et A. Gontier. La même année, il demanda avec l’architecte Alexandre Callonge un permis pour dessiner dans les monuments arabes du Caire. 5 11 En 1897 et 1898, il séjourna au Caire. La cérémonie de pose de la première pierre du musée eut lieu en présence du khédive le 1er avril 1897 et du directeur des Antiquités, Jacques de Morgan, avec lequel Dourgnon était lié d’amitié. L’architecte reçut alors plusieurs décorations : officier de l’Instruction publique (15 février 1897) et officier du Medjidieh par le khédive (4 mai 1897). Il fut aussi nommé architecte délégué du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Pendant son séjour, il assura la direction des travaux de l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO), selon les plans d’Ambroise Baudry (1838-1906), et de l’hôpital français du Caire. Il travailla aussi pour le monument aux soldats français de la campagne d’Égypte au cimetière latin de la ville. En effet, les retards s’accumulaient pour la construction du musée et en mai 1898, il donna sa démission de la direction du chantier du musée, lassé par les embûches qui l’empêchaient de mener son projet à bien. Le palais de l’Égypte et les autres récompenses 12 Ses liens avec l’Égypte ne furent pas rompus, puisque le projet de pavillon représentant ce pays à l’Exposition universelle de 1900 lui fut confié et fut réalisé sous sa direction. Il semble bien qu’il ait mis à profit son voyage en Égypte pour concevoir ce bâtiment qui réunissait en un ensemble équilibré des édifices de différentes époques et de styles variés. En 1900, il obtint plusieurs récompenses grâce à ses projets en relation avec l’Égypte : le prix Nicolas Bailly (juin 1900) décerné à l’unanimité par l’Académie des beaux-arts et une 2e médaille au Salon des artistes français pour le projet du musée des Antiquités ; une 2e médaille de bronze (section des Beaux-Arts) à l’Exposition universelle pour le palais de l’Égypte. 13 Il collabora avec le statuaire Denys Puech (1854-1942), auteur de la statue d’Auguste Mariette qui figure au-dessus de son tombeau dans le jardin du musée du Caire. La Ville de Paris offrit un monument funéraire à Mlle Henriot (1878-1900), de la Comédie française, au cimetière de Passy. Le tombeau dessiné par Marcel Dourgnon est surmonté d’un buste de la jeune comédienne, également œuvre de Puech. 14 L’année suivante, il reçut trois diplômes d’art décernés à l’Exposition internationale de Glasgow. Le 23 avril 1901 naquit son fils Jean Tigrane dont le second prénom évoque sans doute Tigrane Pacha, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères. L’architecte, le franc maçon et le maire du IXe arrondissement 15 En 1902, il fut initié à la loge maçonnique L’Avenir, d’obédience républicaine, vouée à l’instruction laïque et qui militait contre l’antisémitisme. Le 15 novembre de cette même année, le musée des Antiquités fut enfin inauguré par le khédive Abbas II Hilmi mais Marcel Dourgnon n’assista pas à la cérémonie. Il fut toutefois honoré du titre chevalier de la Légion d’honneur en janvier 1903. Il continua sa progression dans la hiérarchie maçonnique : à la fin de l’année, il était devenu Maître. C’est à cette époque qu’il lança une première campagne de presse en faveur de la protection du site des Baux-deProvence. En effet, il était étroitement lié avec Frédéric Mistral : il donna d’ailleurs à sa fille, née le 17 juillet 1895, le prénom de Mireille, titre de l’œuvre la plus célèbre du 6 défenseur de la langue occitane. En décembre, il fut nommé adjoint au maire du IX e arrondissement de Paris, à la suite du décès de M. Pinard, son prédécesseur. 16 De 1903 à 1905, il travailla à la reconstruction de l’hôtel du Palais à Biarritz détruit par un incendie le 1er février 1903. Cette tâche fut menée en collaboration avec Édouard-Jean Niermans (1859-1928). L’hôtel, lieu de résidence impériale durant le Second Empire, fut rénové selon ce style (restaurant et chambres) ; toutefois c’est le style Louis XVI qui eut la préférence pour le luxueux grand hall et la salle des fêtes. Le peintre Paul Gervais (1859-1936) fut chargé de la décoration du salon. 17 Marcel Dourgnon fut nommé inspecteur des Beaux-Arts (1905) puis inspecteur de l’enseignement du dessin et des musées. 18 En 1907, il fut lauréat avec Henri Ébrard (1876-1941) du concours pour la construction d’un orphelinat à Punta Carretas, un quartier de Montevideo (Uruguay). Il s’agissait d’un projet de grande ampleur qualifié dans la presse locale de « petite ville avec ses rues, ses jardins et ses pavillons » ; ces derniers étaient dessinés dans le style des grands hôtels des stations balnéaires européennes. Ce projet ne semble pas avoir été exécuté. 19 En 1908, il fut nommé maire du IXe arrondissement de Paris par le décret du 1 er février. En avril, il lança une nouvelle campagne de presse en faveur de la sauvegarde des Baux dans le Figaro, la première n’ayant pas donné les résultats escomptés. Il faisait alors partie de l’association des « Cigaliers de Paris » et mena cette nouvelle action avec ses amis les avocats Izouard et Crémieux. Il décéda prématurément le 28 octobre 1911 des suites d’une « longue maladie ». 20 Débordant d'activité, Marcel Dourgnon présida non seulement les manifestations que sa charge de maire lui imposait, mais était aussi dirigeant ou membre de nombreuses associations attachées à la défense des idées républicaines, de l’éducation et de l’activité physique. 21 Sa personnalité et sa profession en faisaient un maire attentif aux événements artistiques qui se produisaient dans cet arrondissement qui était alors le lieu de résidence de nombreux musiciens, peintres, sculpteurs. Il habitait avec sa famille au 36, rue Ballu dans le même immeuble que les deux célèbres musiciennes Nadia et Lili Boulanger. Toutefois, c’est son engagement républicain qui marqua son mandat. Il fut un maire qui afficha clairement ses idées et qui fut apprécié pour cela dans un arrondissement autrefois qualifié de « réactionnaire ». 7 1. Marcel Dourgnon portant son écharpe de maire, c. 1908. 2. Procès-verbal de la pose de la première pierre du musée des Antiquités égyptiennes, 1er avril 1897. Source : La Construction moderne, 12 juin 1897, p. 432. 8 AUTEURS MARIE-LAURE CROSNIER LECONTE Conservateur du patrimoine HÉLÈNE MORLIER InVisu (CNRS-INHA), Paris, France 9 Histoire du concours d’architecture (1894-1895) Hélène Morlier 1 La décision de sélectionner un projet pour le nouveau musée des Antiquités égyptiennes par un concours fut l’aboutissement d’un long processus. 2 Le premier musée avait été fondé en 1859 par Auguste Mariette (1821-1881) et ouvert au public en 1863. Mariette était alors directeur des Antiquités et représentait la recherche archéologique française en Égypte. Le musée était installé à Boulaq, port commercial du Caire, dans un bâtiment réaménagé, situé dans le quartier des entrepôts. Vite exigu, ce local présentait toutefois l’avantage d’être situé près du Nil, ce qui permettait le déchargement des statues et sarcophages convoyés sur le fleuve. En revanche, l’humidité rendait les salles peu propices à la conservation des objets en bois et des papyrus. 10 1. Le jardin du musée de Boulaq Source : Album du musée de Boulaq, 1872, pl. 1. 3 En 1890, sous la direction de Gaston Maspero (1846-1916), les collections furent transférées dans le palais de Giza laissé vacant par le khédive Ismaïl alors destitué. Bien que plus vaste, ce palais n’était pas adapté à la fonction de musée. Les salles étaient nombreuses mais bien souvent trop vite encombrées par les sarcophages présentés debout faute de place et les vitrines trop volumineuses. Très présente, la décoration du palais rendait difficile une perception visuelle correcte des œuvres exposées. En outre, le danger provenait de la structure de l’édifice bâti trop vite à l’aide de matériaux divers hautement inflammables. Ce second musée ne présentait aucune des qualités requises pour l’exposition du patrimoine de l’Égypte ancienne ; de plus, il était éloigné du centre du Caire. 11 2. Musée de Giza, entrée de la section consacrée au Nouvel Empire. 4 La communauté internationale, passionnée par les découvertes archéologiques des différentes équipes de savants, lança le débat qui fut rapidement relayé par la presse de chaque pays. Il fut proposé d’adapter le palais à sa nouvelle fonction, ce qui avait le défaut d’entraîner des travaux longs et coûteux, peu propices à la bonne conservation des objets. Il fut finalement décidé, grâce à l’impulsion du directeur des Antiquités du moment Jacques de Morgan (1857-1924), à la campagne de presse internationale ainsi qu’à divers soutiens diplomatiques, de construire un nouvel édifice à vocation de musée. 5 Honoré Daumet (1826-1911), architecte du château de Chantilly, membre de l’Institut, président de la Société centrale des architectes, proposa de prendre en charge l’organisation d’un concours d’architectes. Un programme auquel les concurrents devraient se conformer fut rédigé. Celui-ci reflète bien l’expérience des conservateurs des deux musées précédents : on tenta d’éviter les écueils qui avaient entravé la gestion et la présentation des collections. 6 Le terrain, situé dans le quartier européen de Qasr el-Nil, fut mis à disposition par le gouvernement égyptien. On vit grand (12 550 m²) avec des espaces de travail qui avaient manqué préalablement : des bureaux pour les administrateurs du musée, de vastes magasins et des laboratoires pour le traitement des objets, une bibliothèque pour les chercheurs et conservateurs, des galeries d’exposition bien éclairées et suffisamment vastes pour mettre en valeur la grande statuaire. Enfin, il était prévu d’emblée que le futur bâtiment devait être à l’épreuve des incendies. 7 Les difficultés pour concevoir un projet étaient multiples : la principale contrainte venait de la nécessité de prévoir un éclairage zénithal pour toutes les salles alors que le musée était prévu sur deux niveaux, une autre était la ventilation indispensable à cause de la chaleur, une autre était la quasi-interdiction de disposer de cours intérieures afin de ne pas perdre de place pour prévoir un agrandissement ultérieur, une autre encore 12 venait de l’enveloppe budgétaire extrêmement réduite pour un édifice de cette ampleur : 150 000 livres égyptiennes (£E). Enfin, une ultime difficulté résidait dans les échelles d’exécution demandées pour des plans et coupes (1:100) et les détails (1:20) qui expliquent les dimensions des dessins exposés aujourd’hui. Le projet devait être accompagné d’un livret explicatif avec tous les détails techniques. 8 Le programme fut publié et mis à la disposition des architectes ainsi que le catalogue des collections du musée et les prix des matériaux en Égypte. 9 La publicité de ce concours fut relayée par la presse internationale quotidienne ou spécialisée. Le concours eut un grand retentissement, ce qui conduisit des architectes du monde entier à présenter des projets. Ceux-ci devaient être remis au siège du ministère des travaux publics au Caire au plus tard le 1 er mars 1895. Un jury international fut constitué et comprenait des experts réunis dans un sous-comité technique et des personnalités représentatives de l’archéologie, de l’architecture et des ministères égyptiens, au total dix-huit personnes. 10 Environ 116 projets furent expédiés au Caire et seulement 73 furent exposés au public dans les locaux de l’école des Princes, près du palais Abdîn, dans le centre européen du Caire. Le public put admirer les projets proposés pendant un mois, du 14 mars au 15 avril 1895, alors que le jury délibérait et rendait son verdict le 20 mars 1895. Des chroniqueurs exposèrent leurs remarques dans des comptes rendus détaillés parus dans leurs journaux respectifs (The Builder, L’Imparziale, etc.), comptes rendus fort utiles de nos jours pour savoir en quoi consistaient la plupart de ces projets, en particulier ceux qui ne furent pas reproduits dans des revues d’architecture. En effet, les dessins restaient la propriété du gouvernement égyptien, sauf si les concurrents venaient les reprendre après l’exposition. Malgré des recherches soutenues, il n’a pas été possible de localiser ces documents si toutefois ils existent encore. 3. Vue de la façade du musée des Antiquités égyptiennes, c. 1902. Source : Paris (France), les Arts décoratifs, collection Maciet. 11 Aucun projet ne répondait aux exigences du programme et n’était donc pleinement satisfaisant. Aussi, le jury ne rendit pas un verdict tranché désignant un lauréat. Les neuf projets récompensés par des prix (les quatre premiers ex æquo) étaient des travaux émanant d’architectes parisiens, ce qui fit dire à des concurrents malchanceux que le jury était partial car dominé par les Français. En définitive, ce fut Marcel Dourgnon qui fut désigné pour construire le musée après révision de son projet, musée qui abrite toujours les Antiquités égyptiennes dans le quartier de Qasr el-Nil. 13 AUTEUR HÉLÈNE MORLIER InVisu (CNRS-INHA), Paris, France 14 Le projet de Marcel Dourgnon soumis au concours de 1895 Marie-Laure Crosnier Leconte NOTE DE L’ÉDITEUR Texte extrait de Marie-Laure CROSNIER LECONTE, « La participation française », in Ezio GODOLI et Mercedes VOLAIT (dirs.), Concours pour le musée des Antiquités égyptiennes du Caire, 1895, Paris : Picard, CNRS et DIPSAC, 2010, p. 90-93. 1 De tous les concurrents, Marcel Dourgnon apparaît comme celui qui a produit la meilleure réponse en plan à l’équation presque impossible du programme : développer une vaste surface de galeries étagées sur deux niveaux, tout en apportant un éclairage naturel à toutes les salles du rez-de-chaussée. Cette source de lumière est obtenue par l’alternance de salles superposées avec des galeries laissées à rez-de-chaussée. 2 Toutes les composantes demandées sont présentes et logiquement placées. Ainsi la bibliothèque et la salle de vente sont logées symétriquement à gauche et à droite dans des avant-corps en forte saillie sur la façade principale, pratiquement détachés du reste du bâtiment et accessibles du dedans comme du dehors. À l’extrême gauche et à l’extrême droite, sur le même alignement, l’administration et l’habitation du directeur, prévues pour figurer dans une hypothétique seconde tranche de travaux, sont placées dans des constructions indépendantes, reliées au corps de bâtiment principal par un patio bordé de galeries ouvertes, formant une sorte de cloître. Ces deux ensembles secondaires sont ainsi clairement séparés des espaces muséaux et peuvent aisément être soustraits pour tout ou partie de la première tranche de la construction. 15 1. Marcel DOURGNON, musée du Caire, vue perspective à vol d'oiseau. Source : L'Illustration, 3116, 15 novembre 1902, p. 393. 3 Le musée proprement dit couvre un vaste quadrilatère avec à chaque angle, hors œuvre, un escalier d’accès à l’étage. L’ensemble se décompose en séries de salles et de galeries disposées transversalement et longitudinalement avec une relative variété qui ménage de nombreux changements d’axes ; ces salles sont en alternance couvertes d’une toiture de verre, ou surmontées d’un étage et recevant alors la lumière latéralement, faisant aussi alterner les espaces d’exposition principaux et secondaires demandés par le programme. Au centre, un vaste hall couvert d’une charpente métallique. Cette cour intérieure, d’une tendance industrielle malheureuse en termes de choix climatiques, d’esthétique et de coût, traduit chez Dourgnon une méconnaissance du terrain qu’il paiera très cher lors du chantier. Un autre choix coûteux tient dans les trop nombreux ressauts et percements de murs qui réduisent inutilement les longueurs de cimaises. La surface au sol est en revanche la plus vaste des projets sélectionnés, excédant la demande de plus de 3 500 m², pour un coût de 8,60 £E au mètre carré, une évaluation particulièrement faible et peu réaliste. 4 Un autre point fort du plan tient dans la prévision des extensions du musée en deux séries de salles disposées sur deux larges bandes latérales, aux couvertures alternées elles aussi, doublées à l’arrière d’un corridor-galerie. Toutes ces adjonctions, qui prévoient la couverture de la presque totalité de la parcelle, présentent deux inconvénients : le rejet du jardin des sculptures sur les espaces résiduels du terrain, d’abord difficile, et une multiplication de salles et d’accès laissant entrevoir une surveillance compliquée, ce qui se confirma dès l’ouverture du musée. Dessinées en grisé sur le plan, elles figurent dans la perspective cavalière [...]. 16 2. Marcel DOURGNON, musée du Caire, plan du rez-de-chaussée. Source : Centralblatt der Bauverwaltung, 34, 24 août 1895, p. 363. 5 Traduit en volume, l’effet est malheureusement beaucoup moins réussi. La disposition en façade d’espaces secondaires crée un ensemble discontinu et sans monumentalité, traité de plus dans un style d’architecture trop classicisant, trop « français », jugé mesquin dans la plupart des commentaires, mis à part le journal berlinois Centralblatt der Bauverwaltung : sa cour d’accès trop directement inspirée du Palais-Royal à Paris et le caractère général de la construction évoquent plus une préfecture de province qu’un musée. 6 Les commentaires les plus virulents vinrent de la plume d’Honoré Daumet qui n’eut pas de mots assez durs pour évoquer le sentiment de vulgarité que lui inspiraient les effets décoratifs proposés par Dourgnon. Rien ne trouvait grâce à ses yeux, jusqu’au plan dont les extensions nuisaient selon lui à l’harmonie, à l’éclairage et à la surveillance, jusqu’à la lumière zénithale, saluée par L’Imparziale pour ses lanterneaux verticaux et ses vitrages inclinés de manière à ne pas capter les rayons du soleil, critiquée par Daumet pour des murs qui masquent les jours pris dans les combles. 17 AUTEUR MARIE-LAURE CROSNIER LECONTE Conservateur général du patrimoine. 18 Le projet de Marcel Dourgnon conservé au département des Estampes et de la photographie Marie-Laure Crosnier Leconte 1 Un mois après les résultats du concours, le 27 avril 1895, le ministre des Travaux publics d’Égypte, Hussein Fakhry Pacha, adressa à ses quatre lauréats une circulaire leur demandant « de formuler les conditions qu’ils mettraient à leur collaboration ». Rappelant qu’aucun des projets présentés n’avait rempli les conditions désirées pour le musée, il fixa des conditions strictes : s’en tenir « d’une façon absolue » à la somme de 120 000 £E, et pour cela reprendre les façades et les parties décoratives « dans un style plus simple que les projets primés ». Le ministre désirait que les travaux de fondation puissent être effectués entre le 1er avril et le 1er septembre 1896, avant la crue du Nil, la durée totale de la construction étant « évaluée à deux ans et demi au plus ». 2 Deux solutions étaient proposées aux architectes : ou ils assuraient la maîtrise d’œuvre, restant sur place au moins jusqu’à ce que les travaux soient bien lancés, ou ils élaboraient en amont un projet suffisamment détaillé pour que le service d’architecture du ministère fût à même de mener le chantier sans problème après le départ de son auteur. Dans les deux cas, la présence de l’architecte au Caire était requise, mais plus brièvement si la seconde solution était retenue. 19 1. Marcel DOURGNON, nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, plan du rez-dechaussée ; plan du premier étage. Source : Paris (France), BnF, département des Estampes et de la photographie. 3 Début mai, le choix se porta définitivement sur le projet de Marcel Dourgnon. S’il n’allait pas dans les préférences du rapporteur du jury Honoré Daumet, il s’accordait au mieux avec celles des responsables de la conservation du musée et du service des Antiquités égyptiennes, Emil Brugsch Bey et Jacques de Morgan : « Un seul projet, fort bien conçu comme plan et très adéquat comme façade, offrait toutes les conditions requises. C’était celui de M. Marcel Dourgnon qui remporta le prix », devait rapporter ce dernier dans ses Mémoires. 4 Le lauréat fut prié de reprendre son projet en le simplifiant au maximum, avec une façade en pierres locales de petit appareil, qui le privait de toute possibilité d’y dresser une colonnade. Les masses murales denses et pratiquement dépourvues d’ornements n'expriment plus un style particulier, si ce n’est dans les ouvertures cintrées et l’effet triomphal du portique d’entrée, inspirés de la Rome impériale. 5 Le nouveau plan est moins compact que celui du concours, mais plus profond. Il conserve l’alternance d’atriums vitrés et de salles sur deux niveaux, ainsi que la séparation claire entre espaces publics, administration et annexes. Il affecte la forme d’un T renversé articulé autour de deux galeries, l’une située derrière la façade, l’autre perpendiculaire, et dans les angles duquel s’inscrivent les extensions prévues pour élargir le plan en un carré presque parfait d’environ 125 mètres de côté. La direction et l’administration apparaissent détachées sur les côtés et en avant de la façade principale ; elles ne seront jamais réalisées, pas plus que les extensions des espaces d’exposition. 6 Les nécessités d’économie se font encore plus sentir à l’intérieur, avec des structures de murs et d’appuis libres très simplifiés ; elles répondent aussi au souhait de la direction du musée, qui était d’assurer la prépondérance aux objets exposés, regroupés de manière simple et harmonieuse comme des motifs décoratifs sur des parois peintes en tons neutres. 20 7 Les nouveaux plans furent approuvés en décembre 1895. Dourgnon avait choisi d’assurer lui-même la maîtrise d’œuvre. Le cahier des charges et le devis estimatif furent imprimés le 1er février 1896, et mis à la disposition des adjudicataires, accompagnés d’un ensemble de tirages en bleu. Le premier document prévoyait une nouveauté importante : l’emploi du béton armé dans la construction. 2. Marcel DOURGNON, nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, façade principale. Source : Paris (France), BnF, département des Estampes et de la photographie. 8 L’adjudication des travaux fut fixée au 18 avril, le chantier devant être lancé immédiatement après. Hélas, l’expédition du Soudan par Lord Herbert Kitchener pour mater la révolte de Dongola fut lancée en mars 1896. Le mois suivant, le gouvernement khédivial décida, pour assurer les frais de campagne, de surseoir à l’exécution de plusieurs chantiers, dont les deux musées d’art égyptien et arabe. Dongola fut soumise en septembre, et décision prise deux mois plus tard de reprendre les travaux. Dourgnon fut rappelé par dépêche. L’architecte avait pris ce temps de latence pour affiner sensiblement son projet. 9 Trois entreprises locales soumissionnèrent en décembre, et ce furent des Italiens établis au Caire, les entrepreneurs Garozzo fils, avec la société Zaffrani, qui furent les moins-disants, proposant même un rabais substantiel sur le budget des travaux – qui avait pourtant été encore ramené à 110 000 £E –, assorti de l’engagement de terminer complètement l’édifice en 26 mois, soit vers mars 1899. 10 On confia à Ferdinand Faivre (1860-1937), statuaire parisien d’origine marseillaise, comme Dourgnon, l’exécution, pour la porte principale, de deux grandes cariatides de 4,75 mètres de haut, représentant la Haute et la Basse Égypte, et d’une clef de voûte sculptée d’une tête de reine d’Égypte pour le porche central, ainsi que de bas-reliefs de lions, têtes d’animaux, etc., qui ne furent pas réalisés. 11 Les travaux purent commencer, au début de janvier 1897, avec l’assistance d’un ingénieur anglais du ministère, Contenay Clifton. Avec le conservateur du musée d’origine berlinoise, Emil Brugsch, l’équilibre entre les nations participantes semblait assuré. 21 3. Marcel DOURGNON, nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, coupe longitudinale sur la grande galerie d'honneur. Source : Paris (France), BnF, département des Estampes et de la photographie. 4. Marcel DOURGNON, nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, coupe sur la grande galerie centrale. Source : Paris (France), BnF, département des Estampes et de la photographie. 12 Cependant la situation évolua rapidement dans le courant de l’année 1896 : à la demande de Lord Cromer, consul général britannique, un changement d’axe du bâtiment fut décidé ; la façade principale, originellement orientée à l’est, devait désormais regarder vers le sud. Ce qui aurait entraîné d’après Dourgnon une transformation complète de la partie postérieure du bâtiment. Mais une lecture comparative des deux séries de plans qu’il a livrées pour les deux adjudications successives de 1895 et 1896 révèle des changements beaucoup plus profonds. 13 Le plan n’a pas changé en apparence, et pourtant il a subi un élargissement substantiel de la galerie centrale au détriment des salles latérales, avec un creusement en son centre et des mezzanines à l’étage, dans le but de dégager un espace pour les sculptures colossales. Dans les élévations, extérieures comme intérieures, on sent une volonté de l’architecte de casser la monotonie qu’il avait dû s’imposer pour respecter les contraintes budgétaires dans lesquelles l’avait enfermé l’administration égyptienne. Là où les parois étaient planes et les ouvertures répétitives, il anima les murs et introduisit des rythmes dans les percements. Les transformations sont particulièrement sensibles dans la grande galerie centrale, où la double paroi générée par un corridor permet la juxtaposition d’arcs en plein cintre aux rythmes contrastés d’un effet beaucoup plus agréable. Il exhaussa la coupole afin de mieux souligner le porche central et d’augmenter le volume du vestibule d’honneur. En revanche, la vaste toiture vitrée aurait laissé entrer dans l’atrium central une lumière trop vive et une chaleur potentiellement dommageables pour les peintures grecques à la cire et les 22 décorations des sarcophages, avant qu’elle ne soit partiellement obturée. La coupe sur la grande galerie d’honneur, parallèle à la façade principale, donne en outre à voir les peintures décoratives que Dourgnon avait prévues pour orner les deux escaliers placés aux extrémités, « des scènes reconstituées de la vie de l’antique Égypte, par la représentation de ses plus beaux monuments, de son art, de sa religion, etc. » 5. Marcel DOURGNON, nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, détails à l'échelle de 0 m. 10 cm par mètre : la Basse-Égypte, relief ornant la façade principale. Source : Paris (France), BnF, département des Estampes et de la photographie. 14 Mais de telles modifications avaient aussi un coût. L’architecte présenta au ministère des Travaux publics un devis de construction de 160 000 £E, supérieur de 50 000 £E par rapport à l’enveloppe budgétaire de 110 000 £E. 15 La première pierre fut posée le 1er avril1897 et l’architecte fut honoré à cette occasion des croix d’officier de l’Instruction publique et de l’Ordre impérial du Medjidieh. Cependant, le jour même de la cérémonie, Jacques de Morgan informa les autorités françaises de son intention de donner sa démission, ayant l’opportunité de diriger la délégation scientifique en Perse. 23 6. Marcel DOURGNON, nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, détails à l'échelle de 0 m. 10 cm par mètre : cartouche ornant l'entrée principale avec la date de 1897, année de la pose de la première pierre. Source : Paris (France), BnF, département des Estampes et de la photographie. 16 Les rapports entre les entrepreneurs italiens et l’architecte étaient devenus exécrables. Ceux-ci auraient proposé à Dourgnon un arrangement malhonnête qu’il aurait refusé. En janvier 1898, alors que les fondations étaient achevées et qu’on s’apprêtait à monter les murs, ceux-ci déclarèrent au ministère des Travaux publics que le plan de Dourgnon était inexécutable : ce dernier, qui avait dû respecter ses maigres crédits sans sacrifier son plan, avait lésiné sur la solidité de la construction. N’obtenant pas de soutien du ministère et ayant perdu toute autorité sur les entrepreneurs, il n’eut pas d’autre solution que de se reporter sur la seconde option qui lui avait été proposée en avril 1895. 17 Dourgnon acheva les dessins modificatifs qui lui étaient demandés, et quitta Le Caire le 27 mai 1898. L’exécution de son nouveau plan était estimée à 158 000 £E, un retour à son premier devis qui lui donnait rétrospectivement raison. La Caisse de la Dette consentit un prêt supplémentaire de 28 000 £E pour couvrir ses frais supplémentaires. Dourgnon continua de fournir depuis Paris les pièces qui lui étaient demandées mais, malgré l’éloignement, les tensions ne s’atténuaient pas. 24 7. Marcel DOURGNON, nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, coupe longitudinale sur la grande galerie d'honneur : détail, vue d'un temple antique, non réalisée. Source : Paris (France), BnF, département des Estampes et de la photographie. 18 Gaston Maspero fut rappelé pour superviser l’achèvement du musée et l’installation des collections. Celui-ci, fils d’un Italien réfugié en France, était un archéologue de renommée internationale, ancien adjoint et successeur d’Auguste Mariette. 19 Bien que définitivement éloigné du chantier, Dourgnon présenta ses plans à l’Institut de France, où il reçut le prix Bailly de l’Académie des beaux-arts le 23 juin 1900. Puis il les transféra au Salon des artistes français, où ils figurent dans la seconde édition du livret. Ses planches dessinées, pour les élévations et les coupes, à l’échelle spectaculaire de 2 centimètres par mètre, sont encore conservées au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France. 20 La mise en caisse des œuvres commença sous la conduite de Gaston Maspero le 7 mai 1900, mais les clefs des portes du musée ne furent remises aux conservateurs que le 30 novembre 1901. Ces différents retards expliquent le décalage de dates portées sur les cartouches de la grande entrée du musée pour son achèvement, entre les dessins, qui marquent l’année 1900, et la pierre, où est gravée celle de 1901. Il fallut même attendre encore un an pour fêter l’inauguration du musée, le 15 novembre 1902. Dourgnon ne se rendit pas à la cérémonie. 21 Bien que l’administration égyptienne ne mentionnât son nom que sur le côté droit de la façade, ce bâtiment reste toujours associé à Marcel Dourgnon. Son musée a conservé sa physionomie d’origine, malgré une reprise presque totale des plafonds, rendue nécessaire par l’affaissement des toitures-terrasses de béton armé, une technique encore mal maîtrisée et dont la mise en œuvre par des ouvriers non spécialisés s’est révélée très malheureuse. 25 22 Si le musée n’a jamais été agrandi et ne répond plus aux critères de la muséographie contemporaine, il conserve le charme de ses vitrines anciennes, et est parvenu bon an mal an à absorber les enrichissements continuels des collections – dont le contenu de la sépulture de Toutânkhamon –, comme le flux incessant des visiteurs. Son concepteur est toujours cité comme l’architecte du musée dans tous les guides touristiques, comme si c’était l’homme d’une œuvre unique. Il ne construisit effectivement plus guère et se tourna vers une activité d'édile. 23 « Il était bien trop attentif à tout ce que faisaient les entrepreneurs ; la plus petite modification à ses plans le mettait en éveil, en surexcitation même ; rien ne lui échappait, et si, comme il arrive souvent dans les cours du travail, on avait dû modifier certaines parties de la construction, soit pour les renforcer ou pour toute autre cause, il n’eût pas hésité un seul moment à le faire. Le musée était son œuvre, et il y tenait pardessus tout. Je suis convaincu qu’il aurait fait en quelque sorte l’impossible, pour avoir la satisfaction de le remettre à l’État dans les meilleures conditions d’achèvement et de sécurité », commenta en 1910 José Lambert, ingénieur au ministère des Travaux publics égyptien, détaché au musée des Antiquités égyptiennes et qui participa aux travaux de construction du musée, puis à son entretien. AUTEUR MARIE-LAURE CROSNIER LECONTE Conservateur général du patrimoine. 26 Le palais de l’Égypte à l’Exposition universelle de 1900 Jean-Marcel Humbert 1 L’Exposition universelle de 1900, à Paris, fut certainement l’une des plus importantes dans le monde. Elle proposa à ses quelque 52 millions de visiteurs quantité d’édifices évoquant des sujets variés, mais également des pavillons nationaux. En ce tournant de siècle, l’Égypte se devait d’être présente malgré les difficultés qu’elle connaissait : un palais « pharaonique » allait permettre de montrer au grand public les diverses facettes historiques, culturelles et artisanales du pays vues par un comité mêlant, avec l’aval du khédive Abbas II Hilmi, concepteurs français et égyptiens, et commerçants orientaux. 2 C’est lors de l’Exposition universelle de 1867 que, pour la première fois, des pavillons représentatifs de pays lointains furent édifiés. L’égyptologue Auguste Mariette y avait organisé un parc égyptien évoquant à la fois l’Égypte ancienne (temple avec son allée de sphinx) et contemporaine (palais du vice-roi et okel ou caravansérail), qui connut un immense succès. Lors de celle de 1878, il proposa une simple maison égyptienne, moins onéreuse. Après sa mort en 1881, en un moment où le pays connaissait d’importants problèmes politiques et financiers, des comités privés prirent le relais pour assurer la représentation de l’Égypte, aussi bien à Paris en 1889 (rue du Caire), à Chicago en 1893 (rue du Caire et « temple de Luksor [sic] ») qu’à Paris à nouveau en 1900. 3 Dès le projet d’Exposition universelle de Paris 1900 connu, le khédive envisagea d’édifier sur les bords de la Seine la reconstitution d’un temple égyptien antique ; mais le gouvernement anglais, peut-être refroidi par l’expérience médiocre de Chicago, s’y opposa. Une société privée proposa une variante que le souverain avalisa, et fit acte de candidature dès 1895. Elle était représentée par Philippe Boulad qui, avec Moustafa El Dib, avait déjà participé à plusieurs expositions (maison égyptienne en 1878 et magasins de la rue du Caire en 1889). Deux ans plus tard, le projet prit corps ; pour se démarquer des sections arabes voisines, il privilégiait le style « égyptien antique » pour les deux tiers du bâtiment ; Philippe Boulad précisait : « Je suis persuadé que ce style imposant aura aussi du succès, attendu qu’il est peu connu en France, de visu ». 27 4 C’est l’architecte du tout nouveau Musée égyptien du Caire, Marcel Dourgnon, qui fut chargé de concevoir et de construire le palais. Début 1898, il proposa un « grand projet » très spectaculaire, ou « projet de 4 700 mètres » : y étaient prévus, devant la façade, une place antique égyptienne où étaient dressés deux sphinx et un obélisque en reproduction, ainsi que « deux pavillons avec colonnes reproduisant ceux de Tibère à Philœ [sic] ». Mais ce projet ne fut pas réalisé, car l’emplacement concédé était finalement plus petit : situé dans le parc du Trocadéro, entre l’avenue d’Iéna et la Seine, il constituait un quadrilatère de 2 640 m², ce qui en faisait néanmoins l’un des plus importants parmi tous ceux qui avaient été accordés aux nations étrangères. 1. Exposition universelle de 1900 : plan du parc du Trocadéro le palais de l'Égypte porte le n° 30. Source : L'Exposition de Paris (1900), 3 vol., Paris, Librairie Montgredien et Cie, 1900, II, p. 240. 5 Le choix final se porta sur un vaste palais, dont la façade principale donnait sur l’avenue d’Iéna, et était donc tournée vers l’extrémité du pavillon d’about de l’aile nord du palais du Trocadéro ; son côté gauche longeait l’actuelle avenue Albert-de-Mun (à l’époque rue de Magdebourg) ; son côté droit et la façade arrière donnaient sur les jardins et sur d’autres pavillons. Cet emplacement peut paraître prestigieux, mais il est en fait un peu en retrait et en périphérie, et beaucoup moins attractif que ceux occupés par les nations souveraines (par exemple l’Italie, les États-Unis ou l’Empire ottoman) qui se déployaient le long de la « rue des Nations » : l’Égypte, assimilée – depuis 1882 – à une colonie anglaise, ne pouvait prétendre à mieux. Un peu à l’écart des « vedettes » de l’exposition, ce palais de l’Égypte ne retrouva pas vraiment le succès du parc égyptien de 1867. 28 2. Marcel DOURGNON, palais de l'Égypte, façade principale du palais de l'Égypte sur l'avenue d'Iéna. 6 Pourtant, il était somptueux et proposait des présentations et des activités aussi nombreuses que variées. L’ensemble se composait de trois édifices distincts, quoiqu’intimement accolés. Deux monuments inspirés de l’art antique embrassaient un troisième, arabisant : les contemporains notèrent que « les formes sévères et somptueuses des deux premiers encadrent et font ressortir l’élégance, la fantaisie et la diversité des silhouettes de la construction purement arabe ». Car Marcel Dourgnon avait remarquablement réussi la jonction entre les diverses architectures imposées par le programme. Il apporta un soin tout particulier au traitement des surfaces, de manière à leur donner « le ton roussi, cuit et verni par l’ardent soleil du pays, tandis que sur certains points, des tons à demi décolorés rappellent la décoration antique que la succession des ans a lentement rongée ». 29 3. Palais de l'Égypte, façade principale. Source : L'Exposition de Paris (1900), III, p. 5. 7 Le premier bâtiment, sur la gauche de la façade principale, était inspiré du temple ptolémaïque de Dandour, en Nubie, peu connu à l’époque, et que les membres de la commission seraient bien surpris de savoir aujourd’hui dans un musée à New York… Il fut traité avec un véritable souci de gigantisme : les colonnes mesuraient 14 mètres de haut, et le diamètre maximum des chapiteaux était de 2,50 mètres. Les intérieurs étaient décorés dans un parti pris de polychromie ; on y trouvait en accès gratuit des expositions sur les produits agricoles et manufacturés (manuscrits, bijoux, tapis, etc.) de l’Égypte et du Soudan. Dans le sous-sol étaient reconstitués des tombeaux avec leurs peintures murales, sarcophages, momies et mobilier funéraire. 8 Au centre, un ensemble arabisant s’inspirait à la fois de la fontaine d’Abd el-Rahman Katkhoda (1744) au Caire, et de la porte la plus connue – en ogive tréflée – du marché au coton du Caire, le bazar Khan-Khalili. On pouvait acheter dans cet « Ouakala » (okel) toutes sortes de produits. On pouvait aussi y voir une reproduction du « Salon du ministre de France au Caire » avec ses précieuses mosaïques de marbre, son plafond à poutrelles, sa coupole à stalactites et ses moucharabiehs ouvragés. Enfin, un cinématographe y montrait « en action » des scènes de la vie des bords du Nil et du Soudan. Au-dessus, sur la terrasse, un café-restaurant offrait une vue embrassant tout le Champ-de-Mars. 9 La partie droite abritait un théâtre, élément nouveau par rapport aux précédentes expositions universelles. Sa façade était inspirée de divers monuments antiques, dont, pour les colonnes, le temple de Médinet-Abou. Décoré à l’intérieur également à l’égyptienne, il se composait d’une vaste salle avec sièges, loges et promenoirs, et d’une scène de 13 mètres de large sur 19 mètres de profondeur dont le plafond était formé d’un immense vitrage ; un grand velum historié protégeait l’intérieur du soleil, quand cela était nécessaire. Ce théâtre servit de cadre à des représentations folkloriques, ballets d’un grand luxe de décors et de costumes, tableaux vivants de la vie égyptienne 30 ou soudanaise, et même de reconstitutions de l’Antiquité. Bien sûr, la danse du ventre – dont il semble que les visiteurs commençaient à se lasser – était encore présente, mais sous une forme plus acrobatique. Un drame en un acte de Joseph de Pesquidoux, Ramsès , y fut également joué. 10 En continuant de faire le tour du bâtiment, on pouvait voir sur le grand mur quasi aveugle du côté latéral du théâtre, ainsi que sur le retour d’angle, de grands bas-reliefs inspirés des règnes d’Aménophis III et de Ramsès II et III, copiés à Louxor, Karnak et Médinet-Abou. La partie centrale de la façade arrière était traitée en style arabisant, et, enfin, l’arrière et le côté du « temple » reprenaient certains ordonnancements de celui de Philae, avec des emprunts à Abydos, Karnak et Abou-Simbel, à la tombe de Ramsès III, ainsi qu’à des tombes de Sakkarah. 4. Palais de l'Égypte, façade postérieure côté sud. Source : L'Exposition de Paris (1900), III, p. 1. 31 5. Palais de l'Égypte, façade latérale côté ouest. Source : L'Exposition de Paris (1900), III, p. 1. 11 Cet édifice était donc essentiellement un patchwork, dont l’originalité première était de mêler en un seul ensemble styles égyptien antique et arabisant, tout en montrant ce qu’ils peuvent avoir de plus curieux ou de plus caractéristique. On est bien loin des scrupules qu’avait Mariette quant au mélange des époques dans la perspective d’une présentation didactique. Le public, néanmoins, se déclara satisfait de cet ensemble disparate ; mais, autant l’extérieur fut jugé « splendide », autant l’intérieur fut considéré comme « pauvre », avec ses médiocres reproductions. Plus intéressantes encore furent les réactions de visiteurs égyptiens. Ahmad Zaki déplorait que l’industrie moderne égyptienne ait été totalement absente, et il était très gêné de voir son pays représenté par des danseuses du ventre. Position partagée par ‘Isa, héros du roman de Muhammad al-Muwaylihi, Al-Rihla al-thaniya (Le second voyage), qui se déroule dans le cadre de l’Exposition de 1900 : ses amis et lui sont tout d’abord séduits par le cadre architectural, mais quand ils découvrent les fameuses danseuses, ils quittent l’exposition pour n’y plus revenir. 12 En effet, les autochtones y étaient montrés un peu comme des bêtes de foire, selon les principes de l’ethnographie d’alors. Ils concrétisaient le colonialisme, tant du pays dominant chez eux, que de l’organisateur de l’Exposition universelle, à travers une hiérarchie à la fois nationale et raciale, véritable œuvre politique de propagande. Les stéréotypes illustraient bien un ordre mondial préétabli, maintenu et exposé par les grandes puissances. 13 Ce palais de l’Égypte constituait une bonne synthèse d’une certaine architecture néocolonialiste propre aux expositions universelles. Mais en même temps, il était déjà le signe de l’essoufflement de ces types de représentations : les voyages, en se démocratisant, permettaient au public d’aller sur place juger des cultures et sociétés lointaines, et diminuaient d’autant l’impact des Expositions universelles. Ce système de représentation va néanmoins perdurer, mais dans des expositions internationales plus thématiques. Après l’Exposition de 1900, il n’y aura plus à Paris que trois constructions éphémères à l’égyptienne : la Crypte des Pharaons à Luna Park (1909), le pavillon du canal de Suez à l’Exposition coloniale de 1931, et le pavillon de l’Égypte à l’exposition internationale des Arts et Techniques de 1937. Est-ce à dire que l’Égypte en était déjà 32 arrivée en 1900, comme disent certains, à une surexploitation ? Certes non, tout le XX e siècle et le début du XXIe nous ont prouvé que l’on pouvait aller beaucoup plus loin dans ce domaine, sans lasser les foules, bien au contraire. AUTEUR JEAN-MARCEL HUMBERT Conservateur général du patrimoine