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Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous

Cahiers d’études africaines 193-194 (2009) Tourismes ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Cristina D’Alessandro-Scarpari Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Cristina D’Alessandro-Scarpari, « Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous », Cahiers d’études africaines [En ligne], 193-194 | 2009, mis en ligne le 29 juin 2009, consulté le 09 septembre 2014. URL : http:// etudesafricaines.revues.org/14037 Éditeur : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales http://etudesafricaines.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://etudesafricaines.revues.org/14037 Document généré automatiquement le 09 septembre 2014. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Cahiers d’Études africaines Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous Cristina D’Alessandro-Scarpari Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous Pagination de l'édition papier : p. 634-637 1 2 3 4 5 6 S’il est notoire que les conséquences actuelles de l’apartheid sont encore nombreuses et importantes en Afrique du Sud de nos jours, cet ouvrage met en exergue combien cela est vrai également concernant les questions environne-mentales. Comme le souligne en effet Benoît Antheaume dans l’avant-propos de l’ouvrage : « Les héritages spatiaux des dispositifs raciaux restent souvent en place et n’ont été que marginalement remodelés » (p. 7). La société et l’espace sud-africains restent donc encore fortement ségrégués, bien que cette ségrégation ne s’opère plus par les mêmes moyens que dans le passé. L’émergence d’une classe moyenne noire capable de se réapproprier certains espaces par des moyens politiques ou économiques vient certainement nuancer quelque peu ces propos, mais les rivages zoulous du Kwa-ZuluNatal qui nous concernent ici restent encore majoritairement fréquentés par les Blancs, que ce soit pour l’exploitation minière et portuaire ou encore pour le tourisme. Œuvre d’un géographe, qui connaît bien ces terrains pour les avoir longuement fréquentés et sillonnés, et dont la connaissance du terrain transparaît tout le long du texte, l’ouvrage porte donc sur des conflits spatiaux particuliers : les conflits environnementaux. Après une analyse des dynamiques conflictuelles (qui constituent la partie la plus originale et passionnante du texte à nos yeux), l’auteur en présente par la suite la genèse, pour terminer avec les tentatives de régulation. Ce que l’on appelle ici « rivages zoulous », c’est-à-dire le littoral du pays zoulou, est constitué, à l’exception de la ville portuaire et industrielle de Richards Bay, de stations balnéaires anciennes de taille réduite et d’espaces protégés : il s’agit d’« un cadre spatial encore très inerte » (p. 12) selon les mots de l’auteur, mais agité par un certain nombre de conflits spatiaux entre les activités économiques et la protection de l’environnement. Les politiques environnementales néolibérales mises en place par le gouvernement sud-africain post-apartheid tentent de valoriser l’environnement par son exploitation économique à l’aide de l’écotourisme, mais cela ne suffit certainement pas à apaiser tous les conflits, vu par ailleurs que les résultats sont mitigés. L’ouvrage fait plus particulièrement référence à trois localités de ce littoral, qui sont exemplaires, pour les conflits environnementaux qu’elles cristallisent, des dynamiques de la bande côtière dans son ensemble : St Lucia, Manguzi et Richards Bay. St Lucia, au cœur du Greater St Lucia Wetland Park, est victime des stratégies issues des logiques de conservation de la nature littorale héritées de l’époque coloniale. Dans cette région pauvre, la concurrence spatiale pour l’appropriation du littoral, et l’incompatibilité des différentes logiques d’exploitation de celui-ci, engendre des conflits environnementaux. L’exploitation du titane n’est effectivement pas compatible avec la conservation du littoral : une seule de ces deux options peut prévaloir. Dans ce cas, la politique et le droit ont été utilisés pour régler les dynamiques conflictuelles par voie d’autorité : une décision gouvernementale a imposé dès 1996 le développement écotouristique de la région. Mais ce coup de force engendre-t-il une résolution réelle du conflit ? On peut en douter, car l’exploitation touristique des plages reste une source insuffisante de revenus, qui ne parvient pas à couvrir les besoins des populations locales, pour lesquelles donc la protection de l’environnement constitue une perte. Si les habitants subissent des contraintes ou des interdits au nom de la protection de l’environnement, ils vont développer des stratégies de réaction qui risquent de relancer le conflit. C’est ce qui s’est passé lors de l’extension du parc de St Lucia à la réserve naturelle de Kosi Bay, où se situe la localité de Manguzi. La réalisation d’un campement écotouristique à Banga Nek donne aux habitants l’espoir de pouvoir se partager au sein de la communauté les retombées des bénéfices, mais celui-ci perd de l’argent et l’écotourisme se révèle comme un mauvais investissement. Les conflits autour de l’intégration de la réserve au parc de St Lucia restent donc nombreux et virulents. Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009 2 Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous 7 8 9 10 11 Richards Bay représente une réalité fort différente des deux précédentes. C’est une ville industrielle, dont l’activité économique a été propulsée par la construction du port en 1976 : il s’agit donc d’un centre urbain de création récente (qui n’était qu’un village de pêcheurs avant la construction du port) pour lequel, malgré tout, la municipalité tente de mettre en place un développement touristique de la plage, non sans dérives écologistes. Mais, seulement une partie restreinte et bien identifiée de la population est impliquée dans les conflits qui en découlent, les dynamiques conflictuelles étant donc elles aussi ségrégatives : « Les conflits environnementaux ne semblent concerner qu’une petite fraction aisée de la population qui en a fait un de ses chevaux de bataille sans toutefois être capable de présenter un front uni » (pp. 56-57). En Afrique du Sud, l’environnement génère donc encore de l’exclusion et de la ségrégation (ce que l’auteur appelle « l’apartheid vert ») entre des groupes majoritairement blancs qui défendent leurs lieux de vie ou de vacances, à l’aide de moyens politiques, sociaux et institutionnels pour faire entendre leur voix et des populations noires pauvres et marginales, déplacées à l’époque coloniale pour permettre la création des parcs et des réserves, et aujourd’hui contraintes à vivre dans des conditions difficiles. « L’apartheid vert […] implique la sanctuarisation de grands espaces “naturels” à des fins de protection de l’environnement en mettant préalablement à l’écart les populations autochtones qui s’y étaient établies » (p. 99). À Kosi Bay par exemple, cette logique a engendré des conflits spatiaux entre l’aménagement touristique de l’espace du parc et le monde rural pauvre qui l’avoisine et qui est coupé non seulement de toute infrastructure indispensable, mais aussi de l’accès aux ressources auxquelles les populations avaient toujours eu accès dans le passé. Si la protection de l’environnement engendre de tels résultats, on en arrive à se questionner avec l’auteur sur la compatibilité entre le développement et les logiques de protection : « Qu’est-ce que la protection de l’environnement sans un processus d’amélioration du niveau de vie de la majorité démunie des habitants ? » (p. 77). Voici un point crucial pour la planification des aires protégées en Afrique subsaharienne et rarement explicité en ces termes : bien que les discours des acteurs occidentaux soulignent toujours les retombées économiques apportées par l’écotourisme, dans les faits, les communautés locales sont progressivement exclues de la jouissance de leurs ressources (par les interdits qui accompagnent les politiques de conservation) et de la décision concernant les espaces qui leur appartiennent. Les exemples de ce type sont nombreux un peu partout en Afrique, et multiplient les conflits spatiaux, en autorisant les chercheurs à parler d’échecs répétés des politiques environnementales sur le continent africain. L’environnement n’est donc pas un enjeu de conflit en soi, mais plutôt un révélateur, comme d’autres vraisemblablement, de ce type de dynamiques qui mettent l’espace au centre de l’action. En ce qui concerne plus spécifiquement l’Afrique du Sud, Sylvain Guyot souligne qu’avec la fin de l’apartheid, le gouvernement qui l’a remplacé a mis en place de nouveaux pouvoirs locaux, qui se sont superposés aux précédents sans pour autant vraiment les remplacer, ce qui n’a fait qu’accroître les difficultés de gestion des territoires et des conflits. En effet, le niveau provincial est censé faire appliquer les lois édictées par l’État sud-africain, mais celuici ne dispose pas (quelques rares exceptions mises à part) de moyens nécessaires pour ce faire. « Le niveau local “fait le grand écart” entre des impératifs de développement local, et la montée des mécontentements liés à la dégradation de la qualité environnementale concernant différents types de clientèles urbaines. Finalement il y a une distorsion importante entre la loi et son application en raison de l’absence d’autorité régulatrice dotée de pouvoirs et de moyens appropriés » (p. 204). Le gouvernement ANC est donc responsable d’un découpage et d’une gestion territoriale inadaptée et peu performante en même temps qu’il relaye les discours des institutions économiques internationales (Banque Mondiale et FMI) sur le développement durable, à l’aide de politiques environnementales de protection, qui utilisent le tourisme pour légitimer leurs actes. Le bilan amer que l’auteur dresse de l’application des discours sur la gouvernance territoriale et le développement durable en Afrique du Sud, et plus particulièrement dans les localités étudiées, parle d’illusions sur la participation des habitants aux politiques environnementales. Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009 3 Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous 12 13 14 À Kosi Bay-Manguzi « la “bonne gouvernance” sert de faire-valoir à des institutions voulant continuer à appliquer des politiques corrompues et vouées à l’échec, tout en se donnant bonne conscience et en investissant dans une communication politiquement correcte » (p. 209). En ce qui concerne la participation des habitants, celle-ci pose en revanche dans ces contextes les mêmes problèmes qu’on retrouve ailleurs. Au premier chef la représentativité des acteurs : seuls les acteurs qui ont des enjeux ou des intérêts bien précis dans les espaces concernés viennent s’exprimer. À cela s’ajoute le fait que les développeurs ont des budgets limités et des contraintes qui découlent de l’interaction avec les institutions concernées par les réalisations : leur marge de manœuvre est donc limitée et bien souvent ils ne recherchent qu’une validation « par le bas », sans être vraiment à l’écoute des besoins et des points de vue des habitants. Cette étude contribue donc à faire réfléchir sur les spécificités du cas sud-africain, strictement liées aux héritages de l’apartheid, mais aussi aux dynamiques et aux problématiques communes aux États africains. « Les catégorisations de l’apartheid font aussi partie des héritages difficiles à dépasser, que ce soit pour les habitants eux-mêmes, enfermés dans leurs certitudes, ou pour les observateurs extérieurs qui ne peuvent pas s’en défaire facilement » (p. 14). L’apartheid n’est-il donc pas bien souvent davantage présent dans l’esprit du chercheur que dans la réalité, celui-ci étant dépourvu d’autres schémas explicatifs aptes à le remplacer ? Les rivages zoulous, convoités entre plusieurs groupes d’acteurs et des logiques spatiales différentes, soumis à la protection de leur environnement ainsi qu’aux stratégies de développement industriel et touristique, font donc l’objet d’une compétition territoriale et sont en syntonie avec les dynamiques actuelles de la mondialisation. En ce qui concerne le politique, les efforts de démocratisation sont indéniables et, pour ce qui est de l’économique, les choix néo-libéraux sont clairs. Si au présent, les discours sur le développement durable ne font que justifier les stratégies des différents acteurs qui visent principalement à accroître leur propre profit, on peut légitimement s’interroger sur le futur de ces rivages zoulous. Référence(s) : GUYOT, Sylvain. – Rivages zoulous. L’environnement au service du politique en Afrique du Sud. Paris, IRD-Karthala, 2006, 263 p. Pour citer cet article Référence électronique Cristina D’Alessandro-Scarpari, « Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous », Cahiers d’études africaines [En ligne], 193-194 | 2009, mis en ligne le 29 juin 2009, consulté le 09 septembre 2014. URL : http:// etudesafricaines.revues.org/14037 Référence papier Cristina D’Alessandro-Scarpari, « Guyot, Sylvain. – Rivages zoulous », Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009, 634-637. Droits d'auteur © Cahiers d’Études africaines Cahiers d’études africaines, 193-194 | 2009 4