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Allons-nous bientôt manquer d'eau ?

2018, La Météorologie

Allons-nous bientôt manquer d’eau ? Ghislain de Marsily1,2, Rodrigo Abarca-del-Rio3, Anny Cazenave2,4, Pierre Ribstein1 1 Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols, Institut Pierre-Simon Laplace, Sorbonne Université / CNRS, Paris 2 Académie des sciences, Paris 3 Departamento de Geofísica, Facultad de Ciencias Físicas y Matemáticas, Universidad de Concepción, Concepción, Chili 4 Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales, Centre national d’études spatiales, Toulouse [email protected] Résumé L’eau sur Terre est pour l’essentiel salée, et c’est l’évaporation de cette eau à la surface des océans et des continents sous l’influence du rayonnement solaire, puis sa condensation et sa précipitation qui alimentent majoritairement le cycle de l’eau. Ce cycle alimente en eau les continents, à la fois en « eau bleue », qui coule dans les rivières et dans les nappes, et en « eau verte », qui est stockée dans les sols après la pluie, puis reprise et transpirée par la végétation. Ces flux sont presque entièrement utilisés par les écosystèmes naturels continentaux et côtiers, la vie s’étant partout développée jusqu’aux limites des ressources en eau disponibles. À l’échelle du globe, la part de cette ressource que consomme l’humanité est encore modeste : 7 % de « l’eau bleue » et 9 % de « l’eau verte », mais les répartitions spatiales de la population humaine et de la ressource en eau sont notoirement différentes. Par exemple, 21,5 % de l’humanité se concentre dans les steppes et les zones arides avec seulement 2 % des ressources en « eau bleue » de la planète (Viviroli et al., 2007). De plus, les besoins en eau augmentent du fait de la croissance démographique et des modif ications des régimes alimentaires, alors que les ressources en eau sont affectées par le changement climatique. Nous ’eau sur Terre est à 97 % contenue dans l’océan (figure 1). C’est son évaporation sous l’effet du rayonnement solaire qui alimente le cycle de l’eau, par condensation et précipitation. Il faut distinguer les réservoirs (ou stocks) d’eau et les flux entre ces réservoirs. L L’équation du cycle de l’eau sur les continents peut s’écrire : dW/dt = P – E – R avec le stock W d’eau sur les continents, superficielle et souterraine, et les flux P (précipitation), E (évaporation et transpiration), R (écoulement superficiel et souterrain). C’est pour l’essentiel le flux des précipitations qui constitue notre ressource, les variations des stocks étant en général petites à l’échelle annuelle par rapport aux flux, ils servent principalement à les régulariser. Nous verrons plus bas le cas des eaux « fossiles » dans certains grands aquifères, qui sont en phase de surexploitation. Le flux des précipitations continentales est d’environ 113 000 km3/an, ce qui correspond en un an à 1 270 fois le volume du lac Léman ou 127 fois celui du lac Titicaca ! On décompose aujourd’hui ce flux des précipitations en eau « bleue » (le terme R de l’équation) et « verte » (le terme E de l’équation) Figure 1. Volumes d’eau présents sur Terre. Adapté de www.septiemecontinent.com/pedagogie/wpcontent/uploads/2013/02/eau-de-la-terre.jpg Changement climatique 39 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 40 examinerons comment résoudre ce défi d’équilibre en 2050, et a fortiori en 2100, entre l’offre et la demande, tout en préservant l’environnement et en évitant les pénuries, les famines, les conflits et les migrations. Abstract Will we soon run out of water? The water on planet Earth is mainly salty and it is the evaporation of this water at the surface of the oceans and the continents under the influence of solar radiation followed by its condensation and precipitation that mainly feeds the water cycle. This cycle provides water for the continents and can be divided into “blue water” which flows in the rivers and aquifers and “green water” which is stored in the ground after a rainfall and taken up and transpired by the vegetation and also directly evaporated. These two fluxes are almost entirely used up by the natural continental and coastal ecosystems because everywhere, life has developed up to the very limits of the available water resources. On the global scale the share of this resource consumed by humans is still relatively modest: 7 % of the “blue water” and 9 % of the “green water” but the distributions in space of the human population and the water resources are significantly different. For example 21 % of the humans are concentrated on steppes and in arid zones and have access to only 2 % of the “blue water” resources of the planet. Moreover, the demand for water is increasing because of population growth and changes in food habits whereas the resources are impacted by climate change. The challenge is how to find remedies for the imbalance between the supply and the demand by 2050 and even more so for 2100, while protecting the environment and avoiding def icits, famines, conflicts and migrations. La Météorologie - n° 101 - mai 2018 selon Hoekstra et Mekonnen (2012) ou Zimmer (2013). L’eau « bleue » (35 % des précipitations à l’échelle du globe, soit 40 000 km3/an) est définie comme l’eau douce qui s’écoule en surface ou de façon souterraine, autrement dit celle qu’on retrouve dans les rivières, dans les lacs, celle qui circule dans les nappes souterraines et aboutit en général à la mer ; on y ajoute l’eau qui provient de la fonte des icebergs des continents glacés (Groenland, Antarctique). Cette eau bleue peut être captée pour les usages domestiques, industriels et agricoles et distribuée dans les canalisations. C’est l’eau des hommes, des ingénieurs et des animaux. L’eau « verte » (65 % des précipitations, soit 73 000 km 3 /an) correspond à l’eau de pluie qui est stockée provisoirement dans les pores des sols superf iciels et devient disponible pour les plantes, grâce aux racines, pour la transpiration, mais qui peut aussi être évaporée directement par séchage du sol. C’est l’eau invisible, seulement accessible aux racines des plantes. On voit sur la figure 2 que c’est le terme majeur du cycle de l’eau (Trenberth et al., 2007). En termes d’utilisation de l’eau, ce que l’on considère comme ressources en eau, l’eau « bleue », est réparti entre eau domestique, eau industrielle et pour l’énergie, eau pour le transport (bateaux, canaux…) et eau agricole d’irrigation. L’eau « verte » est hélas souvent ignorée dans les statistiques sur les ressources en eau. De ce fait, il peut y avoir ambiguïté sur la consommation d’eau agricole selon que l’on prend en compte l’agriculture pluviale, donc l’eau « verte », ou seulement l’eau d’irrigation, donc l’eau « bleue », ou les deux. Comment mesure-t-on les paramètres du cycle de l’eau ? Les réseaux d’observation in situ L’estimation des différents termes du cycle de l’eau à l’échelle globale (figure 2) est basée d’abord sur un réseau de capteurs au sol qui mesurent les précipitations et les débits des rivières. Les données sont recueillies sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Le Centre mondial de données sur l’écoulement1 à l’Institut fédéral d’hydrologie de Coblence, en Allemagne, fait off ice de centre d’archivage international des données sur les débits, avec des relevés qui dans certains cas remontent à deux siècles. La synthèse de ces données à l’échelle globale a fait l’objet de nombreux travaux, dont celui, pionnier, de 1. Global runoff data centre (GRDC), Voir http://www.bafg.de/GRDC/EN/Home/homepage_ node.html Figure 2. Les différents processus et réservoirs intervenant dans le cycle de l’eau sur les continents, d’après Trenberth et al. (2007). Précipitations : 113 000 km3/an ; eau bleue : 40 000 km3/an ; eau verte : 73 000 km3/an. 41 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 Shiklomanov en Union soviétique (voir par exemple Shiklomanov et Rodda, 1993). L’apport complémentaire de l’observation spatiale Alors que les informations sur l’eau sont très insuffisantes dans de nombreuses régions du monde en raison du déclin des réseaux de mesures in situ ou de difficultés d’accès à certaines données sur l’eau, l’observation spatiale permet aujourd’hui d’estimer plusieurs paramètres clés du cycle de l’eau : les précipitations, les variations des volumes d’eau des réservoirs de surface (lacs, fleuves, réservoirs artificiels), l’humidité superficielle des sols et les variations temporelles du stock total d’eau dans les sols, y compris les eaux souterraines. L’altimétrie spatiale développée depuis plus de 25 ans pour mesurer les courants océaniques et la hausse du niveau de la mer est aujourd’hui utilisée en routine sur les lacs et les fleuves et permet de surveiller les fluctuations des niveaux d’eau en lien avec la variabilité climatique (Crétaux et al., 2016). Une nouvelle mission spatiale appelée Swot (Surface Water Ocean Topography), en cours de développement par le Cnes en France et la Nasa aux États-Unis, va fournir d’ici cinq ans des données de hauteur et de volume d’eau des réservoirs de surface et de débit des fleuves sur l’ensemble des terres émergées, avec une précision et une résolution sans précédent : ce sera très probablement une révolution dans ce domaine (Cazenave et al., 2016). Depuis quelques années, des satellites européens et américains mesurent l’humidité superficielle des sols (l’eau verte utilisée par la végétation pour sa croissance), un indicateur très précieux des sécheresses ou au contraire des zones inondées. La mission de gravimétrie spatiale Grace (Gravity Recovery and Climate Experiment) développée conjointement par les agences spatiales allemande et américaine fournit depuis 2002 les variations spatio-temporelles du stock total d’eau dans les sols, à grande échelle (centaine de kilomètres). Ces mesures, une fois corrigées des contributions superficielles (eaux de surface et humidité des sols) nous renseignent sur les variations du stock d’eau dans les grands aquifères de la planète pour lesquelles les réseaux de surveillance sont extrêmement limités, voire inexistants (Famiglietti et al., 2015). Avec Grace, on peut ainsi « voir » le pompage de l’eau dans les nappes souterraines, notamment dans les régions – comme le nord-ouest de l’Inde – où cette ressource est particulièrement sollicitée pour l’irrigation des cultures. L’observation continue des eaux continentales depuis l’espace est aujourd’hui assurée par de nombreuses missions développées par différentes agences spatiales dans le monde (Cazenave et al., 2016), tout comme l’observation des océans ou des terres émergées. Les informations qu’elle fournit – ignorant les frontières entre les États – ont des applications multiples, en tout premier lieu la gestion de l’eau dans les bassins-versants pour l’irrigation des cultures, la consommation domestique et l’industrie, ainsi que la navigation fluviale, la prévision météorologique, la prévision des inondations et des sécheresses. Ressources en eau et besoins de la société Consommation et prélèvements Notre ressource en eau, c’est pour l’essentiel ces flux annuels du cycle de l’eau qui constituent l’eau « bleue ». Cette quantité globale semble pour l’instant avoir peu varié depuis environ 6 000 ans, mais c’est surtout la répartition spatiale et temporelle de cette ressource qui varie. La figure 3 donne une indication sur les zones de la planète qui connaissent aujourd’hui un déficit chronique en eau (représenté ici par le débit des rivières pour l’année 2000). Les causes de ce déf icit sont le changement et la variabilité climatique, et les activités humaines. Les hommes « consomment » aujourd’hui 7 % du flux d’eau « bleue », soit 2 500 km3/an, mais les prélèvements sont plus importants (13 %), soit 4 700 km3/an. On appelle « prélèvements » l’eau qui est extraite du milieu naturel pour l’utiliser (par exemple, par pompage), mais dont une partie va retourner rapidement dans le milieu naturel continental (par exemple l’eau usée rejetée dans le milieu, avec ou sans traitement) ; elle reste liquide, s’infiltre et retourne dans les nappes et les rivières, où elle peut être réutilisée ; on appelle en revanche « consommation » l’eau qui ne retourne pas directement dans le milieu, mais est évaporée (principalement l’eau d’irrigation) et retourne donc à l’atmosphère ; elle reviendra sur la terre ou sur la mer par la pluie, mais en moyenne 9 jours plus tard et à environ 1 000 km de son point de départ, ce qui bien souvent sera en mer. Figure 3. Zones subissant en 2000 un manque chronique de ressources en eau bleue, d’après l’IWMI (2007). On distingue les manques du point de vue physique ou économique. Déficit économique en eau : les ressources sont abondantes par rapport aux usages, mais la sous-alimentation sévit. La capacité financière en moyens d’équipement fait défaut. Notez que le manque de nourriture ne sévit pas dans la zone de déficit physique en eau, grâce à l’importation de nourriture, mais dans la zone de déficit économique, pourtant très arrosée (voir aussi la figure 7). 42 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 Nous utilisons 9 % de l’eau « verte » pour l’agriculture, soit 6 500 km3/an, le reste alimente les écosystèmes naturels (forêts, savanes, zones humides…) (figure 4). Nous prélevons aussi un peu d’eau « fossile » sur les stocks contenus dans les grands aquifères de quelques pays (Inde, États-Unis, Chine, Pakistan, Iran, Mexique, dans l’ordre des prélèvements décroissants…), principalement pour l’irrigation des cultures, au rythme d’environ 100 km 3/an, soit 2 % des prélèvements totaux d’eau pour l’irrigation (Döll et al., 2016). Ce chiffre est petit, mais cette situation n’est pas durable. En effet, les stocks de ces aquifères seront épuisés en quelques décennies, ce qui nécessitera d’aller chercher de l’eau par canaux dans les grands fleuves, comme ceux descendant de l’Himalaya (Yang-Tsé-Kiang, Gange…), ou de dessaler de l’eau de mer. Par ailleurs, la fonte des glaciers de haute montagne du fait du réchauffement climatique suralimente en eau certains fleuves issus des Alpes, de l’Himalaya, des montagnes Rocheuses, et aussi de la cordillère des Andes. Une ville comme La Paz ou la côte Pacifique du Pérou vivent pour l’essentiel aujourd’hui de ces eaux de fonte, qui vont fortement diminuer dans les prochaines décennies en raison de la réduction ou de la disparition des glaciers. Après la disparition des glaciers, les pluies qui arriveront sur la cordillère ne seront plus stockées sous forme de glace, avec fusion estivale, et nécessiteront la construction de retenues si la saisonnalité de ces pluies ne correspond pas aux périodes de forte consommation. Eau et activités humaines Les besoins en eau peuvent se décomposer en eau domestique, eau industrielle, eau agricole. On appelle « eau virtuelle » la quantité d’eau utilisée dans un pays ou une région donnée pour produire un bien matériel (produit alimentaire, le plus souvent, mais aussi produit industriel), qui est ensuite transporté dans un autre pays ou une autre région pour être consommé. La zone qui importe ce bien matériel bénéficie ainsi de l’eau qui a été utilisée pour produire ce bien, sans avoir à utiliser sa propre ressource en eau. L’eau « virtuelle » peut être « bleue » ou « verte », suivant l’origine de l’eau utilisée. La quantité d’eau domestique prélevée en moyenne globale va de 20 à 500 l/j Figure 4. Les composantes du cycle de l’eau. Adapté de Rockström (1999). par personne (soit de 7 à 180 m3/an) selon les pays. Ces chiffres peuvent parfois inclure les pertes dans les réseaux d’approvisionnement de l’eau, qui peuvent atteindre plus de 50 % (44 % actuellement à Rome, par exemple). Aux États-Unis, on parle de 500 l/j (180 m 3/an). En France, on estime les prélèvements d’eau potable à 150 l/j (55 m 3 /an) et la moyenne mondiale serait de 60 m3/an, soit, pour 7,2 milliards d’habitants aujourd’hui, environ 430 km3/an. En 2050, la population mondiale devrait croître jusqu’à 9,77 milliards (Gerland et al., 2014 ; ONU, 2017) et à 11,2 milliards en 2100, avec une croissance importante, principalement en Afrique (1 milliard en 2000, 2,53 milliards en 2050 et 4,47 milliards en 2100…). En prenant par exemple 100 m3/an par habitant pour les besoins domestiques, la quantité totale d’eau « bleue » domestique à prélever nécessaire pour satisfaire les besoins de la planète en 2050 représenterait 980 km3/an, soit 0,87 % des précipitations ou 2,7 % de toute l’eau « bleue ». L’accès à l’eau pour les besoins domestiques n’est donc pas un problème de quantité, mais seulement de transport 2 et de qualité, donc d’infrastructures d’adduction et de traitement, car l’eau doit presque toujours être traitée pour être rendue potable. La planète ne manquera jamais d’eau domestique si elle se décide à f inancer et construire à temps ces infrastructures. La ville de Windhoek (350 000 habitants) par exemple, capitale de la Namibie, en plein désert, est alimentée en eau depuis 30 ans par un barrage et une conduite de 800 km de long, ainsi que par le recyclage de ses eaux usées retraitées qui sont réinjectées dans la nappe locale. Au XIXe siècle, Paris a construit, avec les moyens des travaux publics limités de l’époque, 250 km d’aqueducs pour s’alimenter en eau aux sources de la Vanne et de l’Avre, dispositif qui fonctionne toujours aujourd’hui. Mais certains États hésitent à financer de tels travaux lourds, en préférant d’autres investissements, comme les moyens de télécommunication. Dans de nombreux pays, on se contente du peu d’eau qu’il y a. Il faut aussi mentionner qu’au coût de l’adduction et du traitement de l’eau potable s’ajoute celui de la collecte et du traitement des eaux domestiques usées, très supérieur au coût de l’adduction d’eau potable, vu le fort diamètre des tuyaux d’égout nécessaires, car l’eau n’y est pas en 2. Il est très rare que l’on transporte de l’eau potable sur plus de 100 km aujourd’hui, mais avec l’urbanisation massive et la construction de mégapoles, cette situation va probablement changer, voir par exemple McDonald et al. (2011). 43 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 pression, et le coût des stations de traitement. Mais si l’assainissement n’est pas construit en même temps que l’adduction, l’état sanitaire des populations se détériore, car les eaux sales courent dans les rues et polluent les cours d’eau, qui sont sources d’eau potable plus en aval. Pour les besoins industriels, nous prélevons chacun en moyenne environ 150 m3/an actuellement, soit près de 1 100 km 3/an pour la planète. Mais cette eau n’est « consommée » qu’à 10 % ; elle est rejetée à 90 % dans le milieu, parfois réchauffée (eau de refroidissement) ou polluée si elle n’est pas traitée. L’eau nécessaire aux activités agricoles est le terme dominant de nos besoins en eau (figure 5) (Griffon, 2006 ; Paillard et al., 2010 ; Leridon et Marsily, 2011 ; Marsily, 2006, 2009 ; Marsily et Abarcadel-Rio, 2016). Pour nourrir aujourd’hui 7,2 milliards d’habitants, nous utilisons : (i) 6 500 km3 d’eau « verte » tombant sur 1,5 milliard d’hectares d’agriculture « pluviale » et 3,2 milliards d’hectares de terres en pâtures ; et (ii) 3 500 km3 d’eau « bleue » prélevés dans les rivières et nappes pour arroser 280 millions d’hectares irrigués. C’est donc en définitive 10 000 km3 d’eau par an qu’il nous faut pour nous nourrir. Cependant la moitié de l’eau d’irrigation, soit 1 750 km3 par an, est « perdue » par évaporation directe ou par infiltration dans les nappes, si bien que l’eau véritablement utile pour nous nourrir est de 6 500 + 1750 = 8 250 km3, soit en moyenne 1 150 m3/an pour chacun. produire la nourriture qui leur est nécessaire par manque d’eau ou parfois de terres cultivables : leur nombre d’habitants a dépassé la capacité du pays à les nourrir à partir des ressources locales et les habitudes alimentaires ont évolué ; ils doivent désormais importer de la nourriture depuis les pays aux productions excédentaires (Amérique du Nord et du Sud, Europe, Australie, certains pays d’Asie comme la Thaïlande…). Plus de 30 % de la nourriture produite sur la planète est ainsi transportée aujourd’hui d’un pays à un autre (figure 7), surtout en bateau, donc sans grande dépense énergétique. L’eau nécessaire à produire cette nourriture est Figure 5. Prélèvements de l’eau « bleue » dans le monde pour l’agriculture, l’industrie et l’eau domestique. Source : http://www2.assembleenationale.fr/documents/notice/13/rapinfo/i4070/(index)/rapports-information/(archive s)/index-information-comper. Figure 6. Sous-alimentation dans le monde, selon l’Observatoire des inégalités. Source : http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=111. Eau et alimentation Près de 800 millions d’habitants sont aujourd’hui sous-alimentés 3 , principalement en Asie du Sud-Est et en Afrique subsaharienne, dans des zones très arrosées et non pas dans des zones arides. Cette situation est due au sous-développement (production agricole inefficace et insuffisante, très faible utilisation d’intrants, absence d’aménagement, de barrages, de périmètres irrigués, voir figure 6). En ce qui concerne les zones arides, qui ne sont pas les zones où sévit principalement la sous-nutrition, de nombreux pays sont incapables de 3. Certains, comme Thomas Pogge, professeur de sciences politiques à l’université de Yale, pensent que cette estimation de la FAO est inférieure à la réalité d’un facteur pouvant aller jusqu’à deux. Figure 7. Évolution de la quantité d’eau virtuelle échangée entre 1986 (a) et 2007 (b). Les chiffres donnent le volume d’eau virtuelle en kilomètres cubes et les liens colorés correspondent aux régions exportatrices. La carte régionale en bas à gauche donne les couleurs et les acronymes des continents : Asie (As), Afrique (Af), Amérique du Nord (NA), Amérique du Sud (SA), Europe (Eu) et Océanie (Oc). La taille des cercles est proportionnelle au volume d’eau virtuelle échangée. D’après Dalin et al. (2012). 44 appelée, on l’a dit, « eau virtuelle ». En effet, les pays en déf icit hydrique équilibrent ce déf icit, non pas en important de l’eau, mais de la nourriture qui a nécessité de l’eau pour être produite. Pour payer ces importations, les pays concernés vendent des matières premières énergétiques ou minérales, développent des activités industrielles ou tertiaires, promeuvent le tourisme ou encore bénéf icient des retours financiers de leur diaspora émigrée. Certains pays exportent des produits agricoles à haute valeur (café, cacao, coton…) et importent de la nourriture. Mais les pays importateurs sont alors dépendants, avec risques de pressions politiques et de tensions sur les prix en cas de pénurie globale. Aujourd’hui, l’autonomie alimentaire est impossible à atteindre dans tous les pays arides par manque d’eau (Afrique du Nord, Moyen-Orient…) et le sera demain dans toute l’Asie, par manque de terres cultivables par rapport à la taille de leur population. On voit des pays comme la Chine acheter des territoires cultivables importants dans des pays en développement (surtout en Afrique et en Amérique du Sud) pour y cultiver eux-mêmes, puis importer chez eux la nourriture dont ils ont ou auront besoin. La figure 7 donne l’évolution du commerce d’eau virtuelle de 1986 à 2007, ainsi que la nature des exportations et importations. La Météorologie - n° 101 - mai 2018 l’intensité du ruissellement ainsi que le flux d’eau dans les rivières, etc. (Douville et al., 2012 ; Trenberth et al., 2014 ; Rodell et al., 2015). Ainsi, chaque degré d’élévation de la température de l’air devrait correspondre à une augmentation d’environ 7 % du contenu en vapeur d’eau de l’atmosphère, conduisant à une intensification du cycle global de l’eau, via principalement des modifications de l’évaporation et des précipitations. Les modèles de climat suggèrent que, globalement, les précipitations devraient augmenter au cours des prochaines décennies. Mais comme pour les autres variables climatiques, ce changement ne sera pas uniforme : de manière générale, les régions plutôt humides aujourd’hui deviendront encore plus humides, les régions sèches encore plus sèches (Prudhomme et al., 2013). Le réchauffement climatique aura donc pour effet d’augmenter les contrastes (Greve et Seneviratne, 2014). Les régions continentales des hautes latitudes recevront davantage de précipitations en raison de l’augmentation du contenu en eau de la troposphère dans un climat plus chaud. L’effet le plus important est attendu sur l’Amérique du Nord et le nord de l’Eurasie. On s’attend en revanche à une diminution des précipitations sur les latitudes moyennes et les régions semiarides de la planète. Le déplacement des zones climatiques vers les pôles prévu dans un climat plus chaud devrait entraîner une aridification des latitudes subtropicales, et tout particulièrement de la région méditerranéenne, du sud-ouest des États-Unis et du sud de l’Afrique (Scheff et Frierson, 2012). Ces phénomènes devraient s’accompagner d’une diminution du débit des rivières en Europe du Sud et au Moyen-Orient. Au contraire, dans les hautes latitudes, le débit des fleuves devrait augmenter, en réponse à l’accroissement des précipitations. Les modèles suggèrent de plus une nette augmentation de l’intensité des événements extrêmes (crues, sécheresses), rendant la situation encore plus difficile à gérer. Environ 110 millions d’hectares (soit 1,1 million de km2) cultivables dans les latitudes méditerranéennes devraient être perdus en 2100, mais 160 millions d’hectares (1,6 million de km 2 ) devraient être gagnés dans les latitudes nordiques (Canada, Alaska, Sibérie) par suite du réchauffement climatique. Ces changements vont bien sûr poser d’énormes problèmes dans les pays concernés, qui sont souvent les pays les plus pauvres. Si la barre des 2 °C de réchauffement global est franchie d’ici 2100, ces pays seront encore plus durement touchés. Hansen et al. (2017) plaident pour un retour à une concentration de l’atmosphère en CO2 à 350 ppm (nous sommes actuellement à 400 ppm) avant la fin du siècle pour Et demain ? Ressources en eau et changement climatique Le changement climatique associé à la hausse des températures a et aura des effets conséquents sur toutes les composantes des systèmes hydrologiques, car ces phénomènes interagissent les uns avec les autres, qui plus est en fonction des conditions locales (Liu et al., 2015). Par exemple, la variation de la répartition, quantité, intensité et fréquence des précipitations et l’augmentation des températures vont déf initivement modif ier les conditions d’équilibre des neiges de montagne et des glaciers de par le monde, augmentant considérablement leur fonte, vont incrémenter la présence de vapeur d’eau dans l’atmosphère, la teneur en eau dans le sol et dans la végétation, l’évapotranspiration, et changeront Figure 8. Variation moyenne des températures de surface (°C) et des précipitations en % entre (1986-2005) et (2081-2100) selon le Giec (2014), pour deux scénarios d’émission de gaz à effet de serre : RCP 2.6, optimiste, entraînant une augmentation de température moyenne de 2 °C en 2100, et RCP8.5, pessimiste, entraînant une augmentation de température moyenne de 3,7 °C en 2100. 45 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 limiter le réchauffement à 1,5 °C, à partir d’éléments paléoclimatiques du dernier interglaciaire il y a 120 000 ans où les gaz à effet de serre avaient une concentration assez proche de celle de l’ère préindustrielle et où le niveau de la mer était environ 6 à 9 m plus haut qu’aujourd’hui. Ils proposent pour y parvenir la réduction, bien sûr, des émissions des gaz à effet de serre et le stockage du carbone dans les sols agricoles et forestiers, ainsi que la séquestration du CO2 dans les aquifères profonds. La f igure 8 (Giec, 2014) donne, pour 2100, les variations attendues de la température et des précipitations de la planète, pour deux scénarios d’émission de gaz à effet de serre, le RCP 2.6, optimiste, entraînant une augmentation de température moyenne de 2 °C en 2100 (par rapport au début de l’ère industrielle), et le RCP 8.5, pessimiste, entraînant une augmentation de température moyenne de 3,7 °C en 2100. Et demain ? Ressources en eau, démographie et évolution de la demande… La f igure 9 montre l’évolution des prélèvements mondiaux d’eau « bleue » depuis 1900. En 2050, pour alimenter toute l’humanité au régime alimentaire actuel, il faudra consommer 11 000 km3 d’eau (« verte » et « bleue ») par an, contre 8 250 km3 aujourd’hui. La figure 9 ne représente que l’eau « bleue » de l’irrigation, qu’elle estime à 2 500 km3 par an en 2010, alors que nous donnons plus haut, à partir d’autres sources, 3 500 km3 pour les prélèvements de l’irrigation, dont 1 750 km3 seulement sont réellement utilisés, le reste étant « perdu » ; ceci donne une idée de l’incertitude sur ces estimations… ! C’est possible si les pays déficitaires ont les moyens d’acheter leur nourriture auprès des pays exportateurs et que ces derniers acceptent de produire audelà de leurs propres besoins. Si la consommation de viande s’accélère, ce qu’on appelle l’hypercarnisme 4 , il faudra 13 000 km 3 /an d’eau. La consommation de viande a en effet une très forte influence sur les besoins en eau : il faut 13 000 litres d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf nourri au grain, soit 13 fois plus que pour produire 1 kg de blé ! Ces 11 000 à 13 000 km 3 /an se répartiront entre agriculture pluviale et irriguée : on va devoir partout augmenter les rendements ainsi que les surfaces cultivées. Mais qui dit « meilleurs rendements » dit « augmentation de la consommation d’engrais (et éventuellement de pesticides) », qui dit « plus d’agriculture pluviale » dit « défrichement » et qui dit « plus d’irrigation » dit « construction de barrages et de périmètres irrigués ». L’augmentation de la fertilisation, la construction de barrages ou le défrichement auront nécessairement des conséquences environnementales délétères. Mais si la population de la planète ne cesse d’augmenter, ne faut-il pas la nourrir, et ce de la façon la moins néfaste possible ? Il est indiscutable que la croissance et le développement des hommes sur terre viennent réduire à la portion congrue la place des autres espèces, donc la biodiversité. L’enjeu principal aujourd’hui est de réaliser les aménagements indispensables (irrigation, défrichement) en minimisant leurs impacts environnementaux. Le dessalement de l’eau de mer a un coût de l’ordre de 0,7 € /m 3 et une consommation électrique de 2 à 4 kWh/m3 : c’est environ dix fois trop pour de l’eau d’irrigation, mais acceptable pour l’eau domestique. Il semble hélas que nous puissions à nouveau connaître des famines mondiales. En 1998, une forte sécheresse en Asie du Sud-Est (Chine et Indonésie) a entraîné des achats massifs de céréales sur les marchés mondiaux, avec une forte réduction des stocks, qui seraient devenus insuffisants si la sécheresse s’était prolongée. Ainsi les stocks sont passés de 10 mois de consommation mondiale il y a 20 ans à environ 2 mois aujourd’hui. Ces années de forte sécheresse en zone de mousson sont liées à des événements El Niño très intenses qui se produisent en moyenne deux fois par siècle selon les statistiques établies d’après les registres paroissiaux en Amérique du Sud (Ortlieb, 2000). Elles ont été observées par exemple en 1876-1878 et 1896-1900 au XIXe siècle, en Éthiopie, Inde, Chine et Brésil (Davis, 2003), entraînant chaque fois environ 30 millions de morts ; au XXe siècle, elles se sont produites en 1940, 1983 et 1998, sans famine importante. L’effet du changement climatique sur la fréquence et l’intensité des événements El Niño fait aujourd’hui l’objet de débats. À cette image inquiétante des besoins de production agricole future, on peut opposer tout d’abord la maîtrise de la croissance démographique et la réduction des gaspillages (figure 10), car aujourd’hui environ 30 % de la nourriture achetée est gaspillée dans les pays développés5 ou perdue par mauvaise récolte ou mauvaise conservation dans les pays en développement. On peut opposer aussi la sobriété des régimes alimentaires, car la quantité d’eau nécessaire pour nourrir un humain varie de 600 à 2 500 m3/an selon les pays, la consommation de produits animaux étant le facteur principal de variation : les pays développés consomment environ deux fois trop de produits animaux par rapport aux besoins 4.Voir http://www.planetoscope.com/elevageviande/1235-consommation-mondiale-deviande.html 5. http://www.banquemondiale.org/themes/crisealimentaire/rapport/fevrier-2014.html Figure 9. Évolution des prélèvements mondiaux d’eau « bleue » de 1900 à 2025, Source : Courrier de l’Unesco, http://artimain-tpe-desalinisation.e-monsite.com/medias/images/evolutionconsommation-mondiale-eau-secteur-activite-2.jpg. 46 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 Figure 10. Estimation des pertes et du gaspillage aux différents stades de la production alimentaire par région du monde selon la Banque mondiale (http://www.worldbank.org/en/topic/ poverty/publication/food-price-watch-home). Pour chaque région du monde, les pertes en % du total des pertes (100 %) sont reparties entre pertes (du bas vers le haut dans chaque colonne) lors de la production (en orange), manipulation et stockage (rouge), transformation (violet), distribution et commercialisation (bleu), consommation (vert). En bas apparaît en pourcentage la part du total des aliments disponibles qui sont perdus ou gaspillés. On peut remarquer l’importante quantité des pertes dues au consommateur ou au gaspillage dans les pays industrialisés. Les risques de conflits l’île de Pâques au XVIIe siècle. Il est classique de dire que le génocide rwandais a pour origine un conflit ethnique entre Hutus et Tutsis. Le premier à avoir mis en cause cette interprétation est Jared Diamond, géographe américain auteur de Effondrement, ouvrage paru en France en 2006 (Diamond, 2006), qui analyse les cas de catastrophes des civilisations du passé faute d’avoir su gérer leur environnement. Il traite d’abord du cas bien connu de l’île de Pâques, découverte en 1722 par les Hollandais ; la civilisation de l’île, totalement isolée, sans contact depuis plusieurs siècles avec le monde extérieur et se croyant seule au monde, a détruit entre le XVe et le XVIIe siècle son environnement en abattant tous ses arbres pour en faire des rondins af in de déplacer ces immenses statues de pierre bien connues, les Moaï, qui servaient de symboles de domination aux prêtres ou aux puissants ; l’érosion des sols et la perte des moyens de production alimentaire qui en a résulté n’ont plus permis de maintenir une société estimée initialement entre 6 000 et 30 000 âmes ; en 1680 environ, des révoltes contre les élites, une guerre civile et des massacres incluant du cannibalisme auraient réduit cette population à quelque 30 % de sa population maximale Les deux conflits emblématiques auxquels on peut penser sont le génocide rwandais de 1994 et ceux de Au Rwanda, en 1994, où environ 800 000 personnes (11 % de la population) ont été massacrées en nutritionnels, les pays émergents sont en moyenne au bon niveau, bien que peu équitables entre leurs habitants et les pays en développement en moyenne un tiers en dessous des besoins nutritionnels. Pour satisfaire les besoins alimentaires des pays en déficit hydrique, il n’y a que trois options : transférer de l’eau par grands canaux comme a décidé de le faire la Chine (ou devrait se décider à le faire l’Inde), transférer de l’eau virtuelle sous forme de nourriture ou en dernier ressort accepter la migration des populations des pays déficitaires vers les pays plus riches en eau, chassés de chez eux par des conflits sanglants et des émeutes de la faim, dont l’histoire récente a donné des exemples sinistres (voir ci-après). Le problème des migrants que nous rencontrons aujourd’hui n’est que le début d’une longue histoire qui va s’intensifier avec le changement climatique, la croissance démographique et l’augmentation de la consommation de produits animaux… Si le réchauffement climatique n’est pas limité à 2 °C, la situation sera vraisemblablement intenable (Welzer, 2009). un mois, c’est selon Diamond, la croissance démographique démesurée de ce pays, d’environ 3 % par an, et la réduction continue des moyens disponibles per capita pour produire la nourriture qui a conduit au massacre. Toutes les terres cultivables étaient exploitées ; la population avait atteint en 1993 une densité très élevée, proche de celle de la Grande-Bretagne (250 habitants par km2), et n’était plus en mesure de se nourrir compte tenu des méthodes agricoles utilisées. En 1985, la production alimentaire par habitant, après avoir crû de 1966 à 1981, était redescendue au niveau de 1960. C’est la pénurie qui aurait été la cause première des massacres, ce qui serait en partie confirmé par le massacre des Hutus par des Hutus, dans des zones où les Tutsis étaient minoritaires ou absents. Un conflit ethnique est bel et bien présent, il existe historiquement des conflits ancestraux entre les deux communautés, mais l’hypothèse de Diamond est que la cause première du conflit est la raréfaction de la ressource et qu’ensuite seulement le conflit s’habille en conflit ethnique, religieux ou culturel, ou est délibérément orienté vers un tel conflit par la propagande. Au Rwanda, la raréfaction de la ressource n’était pas l’eau, c’est un pays très humide, mais la disponibilité de terres agricoles sur lesquelles cultiver pour se nourrir. Ce risque de pénurie avait été anticipé par des agronomes belges (Wils et al., 1986), sans qu’aucune action ne soit prise pour éviter la crise. Mais la même chose peut se produire pour les conflits liés à l’eau, laquelle peut bien souvent être la cause première de la raréfaction des ressources alimentaires. Elle peut servir alors d’étincelle pour ranimer des conflits ancestraux liés à l’ethnie, au nomadisme, à la religion… Gleick (2014) attribue l’origine du conflit syrien à une forte sécheresse ayant entraîné une perte des productions agricoles et une migration des ruraux vers les centres urbains, d’où serait partie la révolte, mais ce point de vue est contesté par Selby et al. (2017) et réaffirmé en réponse par Gleick (2017) ou d’autres commentateurs dans le même numéro de Political Geography. La f igure 11 selon Story (2015) donne les zones de conflits potentiels sur l’eau au XXI e siècle. On peut trouver aussi des cartes similaires dans (De Stephano et al., 2012), ainsi qu’une chronologie des conflits liés à l’eau (http://www2. worldwater.org/conflict.html) produite pas l’équipe de A.T. Wolf à Oregon State University. 47 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 Figure 11. Zones de conflits potentiels sur l’eau, selon Story (2015). Cartographie : Jean-Pierre Magnier Conclusion Non, nous n’allons pas globalement manquer d’eau ! Malgré le changement climatique et malgré l’augmentation de la demande, il y a encore assez d’eau douce sur Terre produite par le cycle naturel de l’eau (évaporation, condensation, précipitations, écoulements) pour apporter chaque année l’eau « verte » dont a tant besoin l’agriculture pluviale que les écosystèmes naturels, ainsi que l’eau « bleue » pour l’irrigation, les besoins industriels et domestiques, et ceux des écosystèmes aquatiques. Mais cette ressource abondante, même avec le changement climatique, dont nous n’utilisons aujourd’hui que moins de 10 % pour nos besoins directs (sans compter ceux des écosystèmes naturels dont nous dépendons également), n’est pas uniformément répartie sur le globe, tout comme la population : par exemple, l’Asie possède 60 % de la population mondiale et seulement 36 % des ressources en eau « bleue ». Enfin la croissance démographique, encore bien trop forte dans certains pays, en particulier en Afrique subsaharienne, ne dépend aucunement de la ressource en eau : le Niger par exemple est le pays où la croissance démographique est la plus forte au monde et également un pays très aride et très pauvre, ceci ne pouvant conduire qu’à des migrations ou des conflits. Cette ressource en eau connaît aussi de fortes variations dans le temps (années sèches). Le « problème de l’eau » est d’abord un problème technique, qui aboutit à un problème sociétal des plus délicats. Quand une population en un lieu donné de la planète se trouve confrontée à un déficit en eau, chronique ou accidentel, un éventail de solutions s’offre à elle : (i) économiser, être plus sobre, réduire les fuites et le gaspillage ; (ii) aller chercher de l’eau à distance, éventuellement constituer des stocks (barrages, ou stockages souterrains dans des aquifères rechargés artificiellement) ; (iii) traiter et recycler les eaux usées, dessaler l’eau de mer ; (iv) modif ier les allocations de ressources entre les différents utilisateurs (eau domestique, eau pour les écosystèmes naturels qu’il ne faut pas oublier, eau industrielle et eau agricole) ; (v) si la production agricole se trouve alors affectée, choisir les espèces végétales les mieux adaptées aux climats secs et importer la nourriture nécessaire pour les besoins de la population, en l’achetant sur les marchés internationaux (principalement les céréales), organiser l’activité économique (extraction des matières premières, industrie, tertiaire…) pour générer les revenus nécessaires pour f inancer ces achats ; (vi) si cet ensemble de solutions techniques est insuffisant, ou inapplicable, et que la démographie continue à augmenter, il ne reste qu’une alternative, se déplacer au sein du continent (ce qui est classique par exemple en Afrique, les populations de l’intérieur migrent vers les côtes) ou vers d’autres continents ; une telle migration devient inévitable si la démographie continue à augmenter, ce qui signifie en fait que la question démographique concerne tout le monde et pas seulement les pays où elle est incontrôlée. Cela peut paraître utopiste, mais ne devrait-on pas prévoir et organiser, par exemple sous l’égide de l’ONU, ces migrations devenues nécessaires, au lieu de devoir faire face à chaud à des crises humanitaires futures d’une ampleur incomparable par rapport à la crise actuelle des migrants ? Les solutions techniques pour accroître l’accessibilité de l’eau demandent un financement, souvent important. Il faut 48 La Météorologie - n° 101 - mai 2018 cesser de considérer que l’eau est un bien gratuit et accepter aujourd’hui de lui consacrer un financement approprié, soit par voie fiscale, soit par la fixation d’un prix de l’eau compatible avec les investissements à réaliser. Dans les pays en développement, les termes techniques du problème sont les mêmes, mais le f inancement est souvent problématique. La solidarité internationale doit intervenir, par exemple le Fonds vert pour le climat, si ces projets d’infrastructure peuvent se conjuguer avec des réductions d’émission de gaz à effet de serre ou avec des stratégies d’adaptation. Sinon, l’aide bilatérale ou les grandes ONG doivent intervenir. Mais les grands bailleurs de fonds internationaux mettent souvent des conditions de gouvernance difficiles à remplir pour fournir les financements. Une formation des dirigeants à l’aménagement et la gestion des eaux peut être un préalable. En ce qui concerne la croissance démographique, l’ouvrage Africanistan de Serge Michailof (2015) met en lumière les risques de conflits et de migrations que la croissance démographique peut engendrer, en se basant sur une comparaison de la situation actuelle entre l’Afghanistan et l’Afrique ; il est temps que les dirigeants de la planète cessent de vouloir ignorer le problème et réfléchissent à une éventuelle redistribution des populations sur la planète, en fonction des ressources disponibles, l’eau n’étant que l’une d’entre elles. Est-il éthiquement acceptable de vouloir organiser de telles migrations ? Faut-il s’y opposer ? Fautil attendre l’arrivée incontrôlée de migrants et la gérer dans l’urgence et la honte par le biais de quotas, comme c’est le cas aujourd’hui ? Faut-il agir auprès des pays qui ne parviennent pas à contrôler leur démographie pour tenter de les y aider ? Mais qui sommes-nous pour donner des leçons aux pays qui n’ont pas réussi leur transition démographique ? 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