Laboratoire Architecture et Anthropologie
École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris la Villette
« Art, architecture et paysages »
Programme interdisciplinaire de recherche
Paysages imaginés et paysages construits
En-quête d’un imaginaire contemporain des Alpes
Rapport final
et
DVD de l’« exposition virtuelle »
Équipe de recherche :
Alessia de Biase (architecte et anthropologue)
Alain Guez (architecte et urbaniste)
Armin Linke (photographe et film-maker)
Renato Rinaldi (musicien et sound-designer)
Piero Zanini (architecte et chercheur)
Bureau de la Recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère
Ministère de la Culture et de la Communication
Plan Urbanisme Construction Architecture
Ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Amenagement durables
(Convention n° F 06.26/0600411 du 19 octobre 2006)
octobre 2007
Laboratoire Architecture et Anthropologie
École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris la Villette
« Art, architecture et paysages »
Programme interdisciplinaire de recherche
Paysages imaginés et paysages construits
En-quête d’un imaginaire contemporain des Alpes
Rapport final
et
DVD de l’« exposition virtuelle »
Équipe de recherche :
Alessia de Biase (architecte et anthropologue)
Alain Guez (architecte et urbaniste)
Armin Linke (photographe et film-maker)
Renato Rinaldi (musicien et sound-designer)
Piero Zanini (architecte et chercheur)
Bureau de la Recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère
Ministère de la Culture et de la Communication
Plan Urbanisme Construction Architecture
Ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Amenagement durables
(Convention n° F 06.26/0600411 du 19 octobre 2006)
octobre 2007
Cet ouvrage a été réalisé avec le concours
du Ministère de la Culture et de la
Communication, Direction de l’Architecture et du
Patrimoine,
Bureau
de
la
Recherche
Architecturale, Urbaine et Paysagère
du Plan Urbanisme Construction Architecture,
Ministère de l’Ecologie, du Développement et de
l’Amenagement durables
VISITE VIRTUELLE
DE L’EXPOSITION
DANS LE DVD CI-JOINT
Sommaire
9. Effet neige p. 53
8. Climat p. 52
7. Vers le sommet p. 52
10. Conclusions p. 61
6. Urbanité alpine p. 45
5. Mes alpes p. 32
4. Vue des alpes p. 31
3. Imaginaires sonores p. 26
2. Le masque du son p. 23
1. Réinventer un heritage p. 20
0. Introduction p. 6
11. Bibliographie
et credit p. 63
0
Paysages imaginés et paysages construits
C’est difficile regarder avec les yeux différents de ceux d’avanthier (Ernst Bloch, 1930)
Une crête de montagne se dessine sur une mer de nuages. Au premier
plan, derrière quelques personnes qui, un peu plus bas, admirent le
magnifique panorama, un panneau d’interdiction montre un talon aiguille.
Nous sommes au sommet du Schiltenhorn, dans les Alpes de l’Oberland
suisse, à 2970 mètres d’altitude. Cette image, pour ce qu’elle montre, et
encore plus pour ce qui est exclu du cadre, nous amène directement au
propos de cette recherche : affronter la question des différents rapports
entre les processus de transformation d’un paysage et la rhéthorique qui
le concerne. Comment et pourquoi peut-on donc trouver un panneau de
ce type sur le sommet d’une montagne, au milieu des Alpes ?
Face aux discours globalisants qui prônent la déterritorialisation de la
culture et la banalisation du territoire, il est difficile de penser de réussir
à déchiffrer la complexité des territoires qui font la contemporanéité
sans un retour sur la “tangibilité” du monde. Cela revient à retourner
sur le terrain en se mettant à l’épreuve des tensions et des
contradictions concrètes face auxquelles il nous met. Ce retour
présuppose la redécouverte, avec des yeux nouveaux, de tout ce que
nous avons tendance à considérer comme connu et avéré. Processus qui
requiert aussi la capacité d’élaborer de nouvelles approches du monde,
tant sur le plan de son exploration (et donc également des
méthodologies avec lesquelles les mettre en pratique) que sur une
possible « représentation » (et donc, de comment le raconter, le rendre
présent aux autres). Avec cette recherche, nous nous plaçons donc dans
une perspective résolument expérimentale.
Dans ce sens, il y a des lieux qui, plus que d’autres, sont en mesure
d’exprimer d’une manière particulière les tensions, les gênes, le
dynamisme, les continuités des passages entre anciennes et nouvelles
situations. Ce sont des lieux où il se passe quelque chose, où s’engendre
une « friction » entre nous et la Terre, et ce également sur le plan de
l’imaginaire. Des lieux où le monde nous oppose une résistance, qui nous
mettent à nu face à l’impossible indifférence réciproque entre nous et le
monde ; lieux au contact desquels les significations prennent sens comme le disait Dardel1 - et nous offrent, avec leur discours, des
métaphores, des occasions et des hypothèses qui peuvent se révéler
utiles à notre être au monde et dans le monde.
Les Alpes sont aujourd’hui un de ces lieux parce que « nous sommes
aujourd’hui à un tournant de notre rapport au paysage en Occident. Ce
tournant est perceptible dans un ensemble de pratiques sociales,
institutionnelles et géographiques qui s’expriment dans des lieux divers,
en particulier les Alpes qui ont presque valeur de laboratoire
expérimental d’un changement qui est peut-être destiné à concerner
l’ensemble de nos espaces de vie».2
1
2
E. Dardel, L’Homme et la Terre. Nature de la réalité géographique, P.U.F, Paris 1952.
B. Debarbeiux, "Du paysage magnifié à l’empaysagement", Université de Genève, 2005.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
6
A la base de cette recherche il y a un constat, celui d’une absence
récurrente, assez forte pour faire penser plutôt à une occultation, à un
refoulement, et qui révèle une difficulté : les représentations collectives
des Alpes ont en général tendance à effacer le plus possible du «cadre»
tout ce qui n’est pas reconductible aux diverses images qui ont donné
forme, au cours du temps, au mythe alpin. Bien qu’immergé dans un
contexte moderne depuis au moins un siècle, le monde alpin semble
encore appartenir « idéologiquement »3 à un autre temps et à un
système de civilisation plus tourné vers le passé que vers le présentfutur. A tel point, comme nous dit François Walter, que « la référence
culturelle aux beaux paysages des Alpes peut fonctionner sans les Alpes,
en l’absence de toute realité physique puisqu’elle peut mobiliser tout un
corpus de textes et d’images. »4
Se juxtapose à ce paysage « imaginé » (et aux représentations qu’il
véhicule, par exemple à travers la communication touristique) un autre
paysage, cette fois « construit » et en général privé d’image, visible, mais
en même temps rarement montré, et qui fait du monde alpin, à différents
niveaux, un intéressant et particulier laboratoire de la contemporanéité :
un lieu clé pour sa délicatesse et importance environnementale, et pour
l’intensité des activités humaines, où observer et étudier la complexité
des relations sociales, économiques et politiques, chacune avec ses
implications écologiques, qui, à différentes échelles – locale, régionale et
mondiale – contribuent à la transformation d’un territoire, de son
paysage et également de la perception des habitants résidents et des
visiteurs.
De ce point de vue, quelles sont alors les rapports entre les « faits » (les
processus matériels) et les « fictions » (les rhétoriques en acte) dans la
fabrication du paysage ? Jusqu’à quel point un « paysage imaginé », en
privilégiant certaines perspectives et/ou en limitant d’autres, entre en
résonance avec les trajectoires de transformation du « paysage
construit » ? Dans quelle mesure la consolidation historique d’un certain
type de regard influence-t-elle notre manière de penser et de modeler
aujourd’hui ce paysage, et le territoire qui le forme ?
Dans ce contexte, la contribution artistique, tant au niveau visuel que
sonore, se pose à un niveau qu’on appellera « diagnostic poétique », c’està-dire de prise de conscience d’une situation ou d’un territoire à partir
d’un écart, d’un déplacement qui surprend. Il est, il nous semble, un
moyen utile – et parfois nécessaire - pour stimuler l’apparition de
nouvelles perspectives d’enquête et de nouvelles possibilités
d’intervention en ce qui concerne la recherche fondamentale. Nous
sommes convaincus que lorsque nous nous retrouvons de plus en plus
face à des lieux hyper représentés, l’approche artistique peut se révéler
indispensable pour créer des courts-circuits et de nouvelles significations
et reconsidérer le « banal » présent dans les choses apparemment déjà
connues qui nous entourent. C’est cette « banalité » qui nous semble
nécessaire pour recomposer l’image d’un lieu car, comme disait Luigi
Ghirri dans la présentation de l’exposition « Voyage en Italie »5, le
paysage à regarder est nécessairement « le pays que tout le monde voit,
y compris les touristes. Tous les lieux ont un passé à conserver, mais il y
a aussi le rapport avec le présent. L’image finale que le touriste a de
l’Italie est celle des Récifs de Capri, mais pour y arriver il y a huit cents
kilomètres d’autoroute, avec ses paysages.[…] L’Italie mineure est, en
réalité, celle majeure, […] c’est […] le paysage infini que l’iconographie
traditionnelle, le stéréotype touristique, l’hebdomadaire ou le mensuel
plus ou moins glacés, a plus ou moins refoulé ou caché. »6.
3
A. Zumthor, “L’Arc Alpin, l’Europe et l’Homo Alpinus”, in Dumont, G.F.et Zurfluh A.
(dir.), L’Arc Alpin. Histoire et géopolitique d’un espace européen, Economica, Paris 1998
4
F. Walter, « Le paysage incertain. Refléxions sur les temporalités paysagères dans le
contexte hélvetique », La révue de géographie alpine, n°3, 2006, p.8
5
L. Ghirri, G. Leone, E. Velati (dir.), Viaggio in Italia, il Quadrante, Alessandria, 1984. Une
vingtaine de photographes ont participé à l’exposition parmi lesquels O. Barbieri, G.
Basilico, G. Chiaramonte, L. Ghirri, M. Jodice, C. Nori, C. White, et accompagnés par les
textes de l’écrivain G. Celati.
6
R. Valtorta, op. cit., p. 18. Traduction (AG)
LAA > Paysages imaginés paysages construits
7
C’est ce paysage qui existe entre l’image qu’on a d’une icône (Capri pour
Ghirri, et les Alpes pour nous) et l’icône même, qu’il nous intéresse de
faire émerger. C’est cet écart dans notre perception, produit par
l’apport artistique, qui peut nous révéler une autre manière « d’organiser
la visibilité »7 du monde.
Chercher un autre système de récit
Comment construire une expérience du monde qui cherche à être
« contemporaine »8, et à être aussi capable de témoigner de ce qu’il est,
et non pas de ce que nous imaginons qu’il ait été ou que nous voudrions
qu’il soit ? Il ne s’agit pas ici de l’insoutenable aspiration à une
présupposée objectivité de l’image, mais plutôt de la tentative contraire
de chercher une image à partir de laquelle il soit possible d’installer
« une conscience de réalité », parce que, comme le souligne Jean-Marc
Besse, c’est cette « imagination intentionnelle, pointant vers le réel, qui
constitue, et anime au plus profond, l’esprit géographique. »9
S’il n’y a pas de montagne plus fausse que celle qui s’obstine à ressembler
à une présupposée montagne « vraie », reléguée dans un temps
mythique, quelle est la montagne qui se manifeste aujourd’hui face à
notre regard ? Et surtout, comment la raconter ? Comment restituer
une image des Alpes, capable de rompre avec, ou du moins de mettre en
crise, un dispositif perceptif « lui même daté, puisqu’il corrispond à la
culture du paysage definie par les siècles de la modernité (du XVIe au
troisième quart du XXe siècle) »10 ?
L’histoire de l’évolution, au cours des trois derniers siècles, du sentiment
esthétique des Alpes (dont la version « standard » (Mathieu) peut se
résumer dans la polarité démoniaque paradisiaque), et des possibles
codifications, est bien connue et elle a amplement été traitée dans de
nombreux colloques, études et également dans des expositions
artistiques11. Récemment, il y a eu de nombreux moments de
reconsidération historique des formes de la perception12 du monde
alpin, qui ont donné une contribution à la mise en crise, du moins du
point de vue scientifique, de certains lieux communs qui la caractérisent.
Par contre, les travaux et recherches qui essaient de sonder l’actualité
de ce sentiment esthétique, sa consistance et persistance aujourd’hui
(tant dans le monde alpin, qu’à l’extérieur), les éventuelles
transformations ou les adaptations subies du fait des nouveaux modèles
d’usage de la montagne, apparus en particulier à partir de la deuxième
moitié du XXème siècle, et liés au succès massif des sports d’hiver, sont
peu nombreux. Quelles sont les expériences de la montagne qui forment
7
J.-M. Besse, Face au monde. Atlas, jardins, géoramas, Desclée de Brouwer, Paris 2003, p. 10.
La forme – une installation avec trois grands écrans dans un espace octhogonale – avec les
premiers matériaux du “progetto Alpi” a été présentée à la Biennale de Venise. Elle avait
pour référence une idée du peintre Giovanni Segantini qui pour l’exposition universellle de
Paris en 1900 voulait réaliser une “georama” sur lequel peindre le panorama des Alpes de
l’Engadina, telles quelles lui apparaissaient à ce moment.
8
on touche ici la problématique soulevée il y a une vingtaine d’années par B. Latour, er
reprise récemment dans une conférence au Collège de France : « Puisque les modernes
n’ont jamais été contemporains d’eux-mêmes, peuvent ils le devenir enfin?». Cfr. B. Latour,
Le rappel de la modernité - approches anthropologiques, dans “ethnographiques.org”, n.
6/2004.
9
J.-M. Besse, op. cit., pag. 11.
10
F. Walter, op cit., p.12
11
Par exemple, Montagna. Arte scienza, mito da Dürer a Warhol, sous la dir. scientifique de
G. Belli, P. Giacomoni, A. Ottani Cavina a été organisée par le Mart (Musée d’art
contemporain de Trente et Rovereto). Cfr. catalogue publié par Skira, Milano, 2004.
12
De ce point de vue, un des moments les plus importants a été le cycle d’ateliers menés
par Jon Mathieu et Simona Boscani Leoni qui entre 2001-2003 a réuni au siège de l’Istituto
di storia delle Alpi (ISAlp) de Lugano des chercheurs provenant de divers pays alpins
(France, Italie, Suisse, Allemagne, Autriche et Slovenie), construit autour à deux idées
directrices : d’une part, assumer le caractère national du discours alpin ; d’autre part, la
volontà de réintégrer dans la recherche, les “voix alpines” d’habitude oubliées. Cfr J.
Mathieu; S. Boscani Leoni (dir.), Les Alpes! Pour une histoire de la perception européenne depuis
la Renaissance, Peter Lang, 2005.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
8
ces nouveaux modèles d’usage ? Que nous disent-ils sur la perception
que l’on a aujourd’hui de cette réalité géographique ? Par certains
aspects, c’est comme si aujourd’hui on ne pouvait produire une
esthétique actuelle, si ce n’est à l’intérieur d’espaces spécifiques et
contrôlés comme ceux du tourisme, sans mettre en danger l’existence
même de ce monde : et si toutefois on arrivait à le faire, ce serait
toujours à l’intérieur d’un cliché défini : « la fascination ambivalente et
étonnante du sublime dans laquelle eut lieu l’invention des montagnes
reste comme appeal jusque dans le marketing touristique : en effet, la
répétition du cliché qui, dans l’art, aurait mené à un effet de saturation,
semble continuer à garantir la reconnaissance de l’image de la montagne
comme construction spécifique d’une culture, en fonctionnant souvent
comme une protection, même inconsciente et rassurante, par rapport à
une vraie connaissance de la réalité – naturelle et culturelle – du monde
alpin. »13
Le point intéressant ici n’est pas ce que l’on entend par « vraie
connaissance de la réalité » mais de mettre en évidence la relation qui
semble apparaître entre une autre connaissance de la réalité (c’est-à-dire
une autre façon d’organiser la « visibilité », comme nous disions plus
haut), et la reconnaissance des images qui accompagne déjà et modèle
cette réalité. « Le schéma de la perception est le même qu’il s’agisse d’un
regard qui voudrait enlever ou au contraire ajouter : dans la vision,
émerge un élément de dérangement que le sujet, dans son désir d’unité
spirituelle avec la réalité spatiale qu’il a (constitue) face à lui, voudrait
effacer. »14
Mais alors, si la vitesse avec laquelle un paysage se transforme est
différente de celle avec laquelle se modifient nos images de lui, comment
dire l’écart entre ce que nous imaginons du monde et la façon dont nous
le vivons et le racontons, individuellement ou collectivement ? Quels
sont les effets connexes au maintien social – conscients ou pas - de la
« reconnaissance » d’un monde, c’est-à-dire de schémas sédimentés de la
perception? En particulier, dans un cas comme celui alpin dans lequel
domine essentiellement, souvent chez qui y est né et y habite 15, un
ensemble de représentations fabriquées dans des milieux et par des
auteurs externes à ce monde ?
La nécessité de chercher un autre système pour raconter un territoire
complexe naît donc de l’exigence d’affronter des problématiques qui
sont généralisables au-delà du cas spécifique alpin et qu’elles
appartiennent plutôt aux modèles et aux logiques contemporaines de
fabrication des lieux 16. Nous pensons que ces modèles et logiques ne
peuvent être compréhensibles que si ils sont reconsidérés dans une
perspective historico-géographique plus ample et articulée, et en mesure
d’envisager conjointement des éléments appartenant à la grande comme
à la petite échelle.
13
L. Bonesio, L’evoluzione del sentimento estetico delle Alpi tra Settecento e Novecento, 2002,
cfr. Sito Italiano di Geofilosofia, www.geofilosofia.it Traduction (AG
14
R. Scolari, Paesaggi senza spettatori. Territori e luoghi del presente, Mimesis, Milano, 2006, p.
36. Traduction (AG)
15
On retrouve un des effets sociaux de cette représentation dans une récente recherche
sur la diffusion de l’acoolisme chez les jeunes (15-35 ans) résidents dans des vallées du
nord de l’Italie et réalisée par un sociologue italien en 2005. Dans les paroles des
interviewés, tous résidents dans des zones où l’agriculture est encore rentable, tout
comme le tourisme, s’exprime avec force l’idée d’une montagne “démoniaque” et
“claustrophobique”, bloquée dans le temps et dans des règles et comportements sociaux
“traditionnels” dont il est difficile de se libérer. Cfr. C. Arnoldi, Il mito del montanaro grande
bevitore (Le mythe du montagnard grand buveur), comunicazione dell’autore.
16
Un cas intéressant dans ce sens est celui mis en lumière par P. Nys, Le pittoresque aux
limites du moderne, dans le cadre du 2ème appel à proposition Art, architecture et paysage,
2005.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
9
Méthode de travail
Pourquoi les Alpes comme un tout ?
Les Alpes, comme objet géographique plus ou moins bien défini17, ne
sont pas tant l’objet de la recherche, mais plutôt le potentiel évocateur
qui accompagne cette réalité, et comment il s’est formé à partir de son
« invention »18 comme lieu jusqu’à aujourd’hui, et que le toponyme
« Alpes » semble porter avec lui.
Existe-t-il un lieu appelé « Alpes » ? Et si oui, pour qui ? S’agit-il au
contraire seulement d’un signe, d’une représentation conventionnelle sur
les pages d’un atlas ? Et dans ce cas, qu’est-ce-que ça nous dit de nous,
de la façon dont nous habitons le monde ?
Ce potentiel évocateur est essentiellement le résultat historique d’un
discours né et développé dans ce qui a été défini par une formule
efficace « un cosmos bourgeois »19 et de matrice nord européenne. Bien
qu’avec d’importantes différences selon les nationalités, ce qui en est
dérivé, en termes de description de la nature et de la population alpine, a
été « une autoreprésentation des auteurs et du milieu social auquel ils
appartiennent ».20 Les premiers protagonistes de ce processus sont des
littéraires, des poètes, des artistes et des scientifiques, et leur regard est
clairement filtré par leurs « lunettes urbaines ». Comme le soulignait à la
fin du XIXème siècle l’Abbé Amé Gorret, « un voyageur qui part pour la
montagne le fait parce qu’il cherche la montagne et je crois qu’il serait
contrarié s’il y trouvait la ville qu’il vient de quitter. »21 En même temps,
on pourrait dire « qu’il n’y a pas de montagne plus fausse que celle qui
ressemblerait à une vraie montagne, « comme celle d’autrefois » ».22
Bien que les voyages de plaisirs (sur les voies du Grand Tour) et les
explorations scientifiques aient pour destination des parties précises de
la longue chaîne alpine – au début surtout ce « drôle de pays » appelé
Suisse (Daudet) – les compte-rendus qui en découlent, et non seulement
ceux naturalistico-scientifiques, ont une nette tendance à assumer
l’aspect d’abstraction généralisante. Depuis le début, ce sont les
« Alpes » dans leur ensemble « panoramique », avec leur masse
imposante, leur vertige (poétique, philosophique, scientifique) qui
stimulent la sensibilité des visiteurs citadins cultivés, captivant leur
intérêt : pour donner quelques exemples23, si le théologien anglais
Thomas Burnet, un des codificateurs de la catégorie du sublime, les
décrit comme « une immense ruine » (1681), pour Rousseau elles sont
le lieu « d’un stupéfiant mélange de nature sauvage et de nature
éduquée » et un monde de « pureté inaltérée » et un « symbole de
liberté » (1761) ; un siècle plus tard, John Ruskin les décrit comme des
« cathédrales de la Terre » (1869), et plus ou moins au même moment,
Leslie Stephen, intellectuel et alpiniste, met en évidence le caractère
hédoniste de la montagne (l’alpinisme comme sport) et présente les
Alpes comme « playground de l’Europe » (1871). La distance est ici faible
avec la vision caricaturale et patinée de la montagne consumée décrite
ironiquement par Daudet dans son Tartarin dans les Alpes (1885), faisant
apparaître bloquée dans le temps la question – Le Cervin est-il une ville ?
17
On considère ici comme région alpine le territoire défini en 1991 par la France, l’Italie, la
Suisse, l’Allemagne, le Lichtenstein, l’Autriche et la Slovénie dans la Convention Alpine qui a
pour but de sauvegarder l’écosystème naturel des Alpes et de promouvoir le
développement durable de la région en préservant les intérêts économiques et culturels
des populations résidentes. Cfr. Cipra, 1° Rapport sur l’état des Alpes, Edisud, Aix-enProvence, 1998.
18
Le premier qui utilisa le terme “invention” en se référant aux Alpes était Philippe Joutard
dans sa monographie dédiée au Mont Blanc. Cfr. L’invention du Mont Blanc, Gallimard, 1986.
19
Cfr. C. Ambrosi, M. Wedekind, (dir.), L' invenzione di un cosmo borghese: valori sociali e
simboli culturali dell'alpinismo nel secolo XIX e XX, Museo storico di Trento, Trento 2000.
20
Cfr J. Mathieu; S. Boscani Leoni, op. cit., pag 31. Traduction (AG)
21
Cfr. Amé Gorret, Autobiographie et écrits divers, a cura di Lin Colliard, 2 voll. Torino
1987-88. Traduction (AG)
22
Cfr. E. Camanni, La nuova vita delle Alpi, Bollati Boringhieri, Torino, 2002, p. 69.
23
Cfr. T. Burnet, Telluris theoria sacra, in B. Willey (dir.), Centaur Press, London, 1965; J-J.
Rousseau, Julie ou la nouvelle Hélöise, Flammarion, Paris, 1967; J. Ruskin, Modern Painters,
Kessinger, 2005 ; L. Stephen, Le terrain de jeu de l’Europe, Paris, Hoëbeke, 2003
LAA > Paysages imaginés paysages construits
10
– que l’on trouve dans l’important « portrait » de la Suisse dressé par
Herzog et de Meuron dans leurs cours à l’ETH de Bâle. 24
Le regard de cette élite urbaine qui a conditionné et défini la manière
dont on a pendant longtemps regardé (en l’idéalisant parfois en positif,
parfois en négatif), et en partie nous continuons à regarder la montagne,
est, en d’autres termes, un regard globalisant 25. C’est un regard qui
prend la partie pour le tout, rendant les Alpes pensables comme entité,
et ainsi les confinant à l’intérieur de ce qui, pendant longtemps, sera
perçu, de l’extérieur, comme un monde à part, porteur d’une tradition
stable, et délié du monde de la plaine et des villes qui l’entourent26. Si le
paradigme des sociétés fermées27 et privées de relations avec le monde
environnant, peut désormais être considéré comme dépassé, il est plus
difficile de soutenir que les effets qu’il a produit sur le plan imaginaire ont
suivis la même parabole. Il suffit de penser aux sources qui nourrissent
encore aujourd’hui une grande partie de la communication touristique.
La situation est différente et plus complexe si nous assumons un point de
vue interne au monde alpin. Avec une métaphore, on pourrait dire que
selon qui le prononce, le mot « Alpes » renvoie - comme un écho – à
quelque chose qui ne revient toujours qu’en partie, ou bien, qui ne
revient pas du tout. Et ce parce que, si quelque chose qui répond à ce
nom, comme nous l’avons vu, a existé et continue d’exister dans le
discours du politique, du scientifique, de l’environnementaliste, du
publicitaire, etc., sa perception commence à se dissoudre dans quelque
chose d’abstrait et de confus au fur et à mesure où l’on en parle avec
ceux qui habitent les « Alpes »28 et pour lesquels cette dimension
globale n’a pas de réalité. Pour les populations alpines, l’horizon avec
lequel on se mesurait et on se mesure encore en partie aujourd’hui dans
le quotidien est représenté par la propre « montagne », ou par la propre
vallée, plutôt que par un ensemble géographique auquel elles
appartiennent.
Comment se comporter face à cette dichotomie ? Si la dichotomie est
une opposition construite à partir d’une base commune, alors c’est dans
la tension entre les parties qu’elle prend son sens et qu’elle peut rendre
compte de la réalité qui les lie. Si la perception que nous avons
aujourd’hui de la montagne est dépendante des modèles perceptifs des
gens de la ville, qui projettent ces propres désirs et ses propres
aspirations, c’est à l’intérieur de cette perspective que l’on doit se
confronter pour comprendre quelles sont les tendances et les
dynamiques globales qui influent localement sur la fabrication dans
l’actualité du paysage alpin (sur le plan esthétique comme sur celui de la
rhétorique politique et écologique). Si un nouveau système de récit est
possible, celui-ci ne peut naître que de cette dichotomie et des tensions
et controverses qu’il produit.
Une approche : la description
Face aux grands changements politiques, sociaux et économiques des
dernières décennies, les sciences sociales se retrouvent dans la nécessité
24
R. Diener, J. Herzog, M. Meili, P. de Meuron, C. Schmid (dir.), La Suisse. Portrait urbain,
Birkhäuser-Editions d’Architecture, Basel 2006, p. 919.
25
Ceci aussi du fait du rôle fondamental qu’ont eu les chercheurs dans la formation de ce
regard : c’est un nouveau “cosmos” qui se dessine sur le plan scientifique simultanément à
la “découverte” esthétique des Alpes, tout comme les connaissances qui se développent à
partir de l’observation des montagnes, qui comme le soutenait, René Daumal, sont
intéressantes quand elles permettent de parler d’autre chose.
26
Aujourd’hui, au contraire, on ne prend pas assez en considération une autre évidence,
lourde de conséquences, à savoir, que ce sont les modes de connaissances des “gens de
montagne” qui se sont progressivement “urbanisés” suite aux processus socioéconomiques qui, au cours du dernier siècle, ont investit le territoire alpin.
27
Dans le contexte alpin, la mise en discussion de ce paradigme commence avec les
recherches de J. Cole et E. Wolf, in The hidden frontier. Ecology and Ethnicity in an Alpine
Valley, Academic Press, New York, 1974.
28
Il est important de souligner comment à l’intérieure de l’aire alpine, les différences sont
en fait assez fortes et ce aussi parce que la majorité de la population qui vie dans les Alpes
– plus de 65% - se concentre désormais dans les agglomérations urbaines où il y a le plus
d’emplois.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
11
de trouver de nouveaux outils pour la compréhension de la réalité qui
semble en permanence remettre en question des paradigmes donnés et
avérés, et remélanger les cartes. Dans un récent entretien sur ces
thèmes, Bruno Latour29 proposait une position précise : « On renouvelle
considérablement l’approche d’une situation lorsqu’on se met à la
décrire précisément au lieu de chercher à l’expliquer tout de suite, le
plus souvent à partir de théories établies. […] Les sciences sociales ont,
depuis le XVIIIème siècle, accompagné le projet de modernisation qui
consistait entre autres à imposer la différence entre le rationnel et
l’irrationnel (la raison et la foi), la nature et la culture, etc. Ce travail a
été très important, mais, aujourd’hui, il tombe à plat alors que le monde
devient très confus, avec des éléments de modernité et d’autres
archaïques.»
Nous tenons à souligner ici deux aspects qui nous intéressent
particulièrement pour cette recherche : le premier est de mettre
l’accent sur la description d’une situation (et, nous ajoutons, de son
contexte historique, géographique, culturel, etc.), plutôt que sur
l’explication immédiate 30 ; le second, qui est déterminé par le premier,
est d’accepter la possibilité qu’à l’intérieur de la description puisse se
manifester la coprésence d’éléments et pratiques contradictoires et
paradoxales – c’est-à-dire dialogiques – et que celles-ci puissent
appartenir à des modes de connaissance et à des mondes et des
temporalités historico-culturelles même très différents entre eux.
Le retour à la « tangibilité » du monde, évoqué en ouverture de ce
rapport, naît de ces points de vue assumés comme éléments nécessaires,
mais certainement pas suffisant seuls, pour une approche complexe de la
réalité des choses (celle que Edgar Morin définie comme « complexité
généralisée »), et du besoin de rediscuter le système des relations entre
le tout et ses parties assumé par la pensée déterministe. Même si une
partie de l’anthropologie est aujourd’hui engagée dans la mise en
discussion du statut, de la pratique ethnographique de la recherche sur le
terrain, c’est encore un lieu où l’on cherche à comprendre les processus
humains, et peut-être à imaginer d’autres moyens possibles de concevoir
la réalité.
Le rapport entre artistes et chercheurs
« Parce que l’autre, n’est pas seulement l’autre, l’alter ego qui
est en face de moi ; l’autre est déjà à l’intérieur de moi de par
le fait même que je parle, c’est-à-dire de parcourir une série de
chaînes signifiantes qui sont déjà elles-mêmes reprises de ce qui
me vient ailleurs… Donc allons chercher l’Autre à l’intérieur de
nous et en fonction de la capacité que nous avons de repérer
l’Autre à l’intérieur de nous-même, nous pourrons effectivement
donner la place à l’autre que nous rencontrerons. »5
Ce projet de recherche veut poursuivre et approfondir, en introduisant
d’autres points de vue, la recherche, l’identification et l’analyse de
certaines formes présentes dans le paysage alpin contemporain en se
greffant sur le travail déjà engagé par une partie de l’équipe avec le «
progetto Alpi », présenté sous forme d’installation en 2004 à la IXe
Biennale Internationale d’Architecture de Venise (mention spéciale du
jury pour la section « Episodes »). Le point de départ de cette
collaboration est la considération que pratique artistique et pratique
scientifique peuvent, dans un même projet de recherche, se situer sur un
même plan. Ceci signifie accepter l’idée qu’il y a une influence réciproque
entre elles, et que la façon de procéder de l’une puisse être influencée
par l’autre, et vice-versa et qu’ensemble elles contribuent à modifier la
29
Catherine Portevin, Télérama, n° 2941 - 24 mai 2006.
C’est là un des traits caractéristiques et explicites du travail déjà cité de Herzog-de
Meuron et al. sur la Suisse.
5
J.P. Lebrun, Habiter et vivre son corps. Le corps est un organisme malade de la parole collective,
Bruxelles, Ed trajectoires, 2002.
30
LAA > Paysages imaginés paysages construits
12
physionomie d’un paysage, sa compréhension et sa possible
appropriation.
Du point de vue méthodologique, cette recherche se propose comme
une recherche-action pluridisciplinaire. Elle interpelle les différents
positionnements disciplinaires, leur dialogue et leur effacement, au profit
d’une approche post-disciplinaire par laquelle chaque regard est capable
d’incorporer les autres dans son rayon d’observation. Par postdisciplinaire nous concevons, suivant les discussions entamées par
Wallerstein 31 et Joas et Camic32 et Joas33 - et les derniers travaux menés
par le Laboratoire Architecture Anthropologie 34 - une approche qui se
caractérise par la compréhension de la recherche comme le produit d’un
dialogue entre différentes sensibilités et orientations. Une
compréhension post-disciplinaire de la recherche implique d’établir une
interaction dans laquelle les chercheurs sont capables d’adopter le point
de vue et les règles des artistes, et vice-versa. C’est lorsque les
chercheurs et les artistes sont capables d’agir, en prenant les « lunettes »
de l’autre, afin d’observer les phénomènes territoriaux et sociaux, que
l’enquête adopte une poétique propre35. Cette interaction sera la base
de notre recherche.
Or, pour faire rejaillir les différents enchevêtrements entre pratique
artistique et pratique scientifique, mais aussi entre la concrétude d’un
territoire et les divers imaginaires qui l’accompagnent, nous sommes
censés participer au jeu de regards qui se met en place lorsqu’on aborde
la question du paysage à partir des sciences sociales ou de l’art. Ces jeux
de regards engagent autant les habitants du territoire déterminé, les
décideurs (du politicien au publicitaire), les artistes, et les chercheurs.
Analyser la complexité d’un territoire à partir d’un jeu de regards entre
artistes et chercheurs, implique de ne pas prendre partie pour une
conception disciplinaire, mais de trouver les interstices à l’intérieur
desquels nos regards se frottent les uns avec les autres. La volonté de
travailler sur la poétique de fabrication de la recherche, et avoir un
regard « décalé » sur le territoire - c’est-à-dire la possibilité de mettre
ensemble ce qui en apparence ne l’est pas - impose donc un dialogue
entre chercheur en Sciences Humaines et Sociales et artistes (un
photographe-cinéaste et un artiste sonore). Celui qui regarde et/ou qui
écoute a la possibilité de construire un espace autre, qui peut devenir un
nouvel espace commun et ouvrir de nouvelles possibilités d’imaginer le
monde.
Le film comme terrain
Un des points qui structure le projet est de considérer que la pratique
artistique et la pratique scientifique peuvent, dans un même projet de
recherche, se situer sur un même plan. Ceci signifie accepter l’idée qu’il
y a une influence réciproque entre elles, et que la façon de procéder de
l’une puisse être influencée par l’autre, et vice-versa, et qu’ensemble,
elles contribuent à modifier la physionomie d’un paysage, sa
compréhension et sa possible appropriation. En se référant au caractère
de recherche-action interdisciplinaire du programme Art, architecture et
paysage, il nous est apparu utile, tant sur le plan épistémologique que sur
celui méthodologique, de faire de l’objet artistique, à la base du projet,
un véritable outil génératif de réflexions. C’est la principale raison qui a
conduit l’équipe à assumer le film comme terrain de recherche.
Dès le début, en effet, le film s’est proposé comme une exploration/enquête d’un lieu commun, celui alpin, compris comme espace
31
Wallerstein, I., Ouvrir les sciences sociales. Rapport de la Commission Gulbenkian pour la
restructuration des sciences sociales. Paris: Descartes & Cie, 1996
32
Joas, H. et Camic, Ch. (dir.), The dialogical turn. New Roles for Sociology in the
Postdisciplinary Age. Lanham, MD (Rowman and Littlefield) 2004
33
Joas, H., « Postdisciplinary Histories of Discipline” dans European Journal of Social Theory 2
(1999), no.1, pp. 109-122.
34
“Tranche de ville” (LAA-APUR), les “Reenchantement de la courneuve” (LAA/PUCA).
Cf. www.laa.archi.fr, et www.laa-courneuve.net
35
Brady, I. (dir.), Anthropological Poetics. MD: Rowman and Littlefield, 1991. 410 pp
LAA > Paysages imaginés paysages construits
13
anthropologique complexe, en en cherchant, dans le sillage d’une
tradition propre à l’histoire de la représentation géographique (avec
toutes les ambiguïtés et les problématiques qu’elle porte avec elle), une
manière « d’organiser la visibilité »36 de ce monde.
Dans cette recherche, l’objet artistique assumé comme terrain doit être
compris dans un double sens : soit comme un processus de création en
cours (et indépendant de la recherche) pour produire un objet
artistique ; soit comme l’ensemble des matériaux distincts et de natures
hétérogènes (images, sons, entretiens, textes, etc) qui le composent.
Ce repositionnement nous permet en outre de lier dans l’analyse, les
deux dimensions d’interrogations sur lesquelles s’est construit le projet
– celle qui comprend le paysage essentiellement comme une manière de
voir, comme une image, un point de vue, et celle pour laquelle le paysage
est en premier lieu l’organisation de l’espace même, mis en acte par une
société dans sa confrontation avec la nature – et de commencer à en
explorer les rapports et les tensions37.
Dans cette perspective, l’apport artistique, à l’intérieur du projet de
recherche, ne se propose ni en amont - sur le plan intellectuel, c’est-àdire dans l’autorité d’expertise, de conseil et de programmation - ni en
aval - sur le plan matériel, dans la légitimité de conception d’objets,
d’installations in situ et/ou dans la définition d’actions - mais comme
élément d’un processus, comme instrument de lecture et de réflexion
qui contribue, avec les autres savoirs, à enquêter sur la physionomie d’un
territoire et sur la possibilité de le décrire.
Les interactions au cours de la recherche
Expositions
Sur le plan proprement artistique, à travers des installations produites
dans des manifestations et des expositions – parmi lesquelles la 7.
Medien und Architektur Biennale à Graz (Autriche, décembre 2005); le
nouveau Musée des Alpes du Fort de Bard (Vallée d'Aoste, Italie, janvier
2006); l’exposition ‘In den Alpen’ realisée par la Kunsthaus de Zurich
(Suisse, octobre 2006) – nous avons pu analyser deux aspects : d’une
part, les enjeux à partir desquels une pratique artistique produit et
transforme en matériau poétique des réflexions théoriques ; d’autre
part, la construction de dispositifs en mesure de transformer une
représentation dans un lieu physique, concret, où le public puisse faire
l’expérience du monde.
Colloques et séminaires
Sur le plan scientifique, la possibilité de participer et d’intervenir dans
certains colloques et séminaires internationaux - parmi les plus
importants, on rappelle la participation en décembre 2005 à la section
« Sociétés, cultures identités » dans le 2ème colloque de l’ISCAR
(International Scientific Committee on Research in the Alps) à Lugano,
en Suisse ; et en septembre 2006, la participation au colloque
international « L’habiter dans sa poétique première » à Cerisy-la-Salle, en
France – a été une partie intégrante de la méthodologie suivie dans la
recherche et une occasion importante et récurrente de confrontation et
de réflexion par rapport à un débat sur le futur proche des Alpes qui est
devenu toujours plus intense au cours des dernières années tant sur le
36
J.-M. Besse, Face au monde. Atlas, jardins, géoramas, Desclée de Brouwer, Paris 2003, p. 10.
La forme – une installation avec trois grands écrans dans un espace octhogonale – avec les
premiers matériaux du “progetto Alpi” a été présentée à la Biennale de Venise. Elle avait
pour référence une idée du peintre Giovanni Segantini qui pour l’exposition universellle de
Paris en 1900 voulait réaliser une “georama” sur lequel peindre le panorama des Alpes de
l’Engadina, telles quelles lui apparaissaient à ce moment.
37
Ces deux manières de concevoir le paysage représentent aussi les deux principales
polarités à travers lesquelles se décline une part importante de la réflexion théorique
actuelle sur le paysage et sur son statut.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
14
plan scientifique 38 que sur celui politique (à l’échelle régionale,
transnationale et européenne) 39 ; et enfin la participation au
ForumAlpinum 2007 « Landscape Development in Mountain Regions »,
Engelberg, Suisse.
En ce qui concerne le contenu même de la recherche, colloques et
séminaires ont présenté des occasions utiles pour mettre à l’épreuve
l’intérêt de la thématique de conjugaison de l’approche scientifique avec
celle artistique, et d’en mesurer les possibilités épistémologiques, et en
même temps d’en évaluer les limites et les différences.
Un workshop final
Un workshop final a été organisé le 14 septembre 2007, sous forme
d’une table ronde d’une journée autour des matériaux filmiques et
sonores choisis et présentés par l’équipe en rapport avec les
problématiques de la recherche. Nous avons soumis à nos invités des
questions qui sont apparues au cours de la recherche. Faut-il encore
parler de la montagne pour parler des Alpes ? Comment peut-on
raconter aujourd’hui la complexité d’un lieu ? Quel est l’impact de
l’imaginaire sur notre expérience du monde ? Quelle expérience
singulière du monde est-il encore possible faire dans un lieu ? Comment
notre image du monde s’actualise-t-elle en relation avec ses
changements ?
Nous avons également demandé aux participants invités d’amener
« quelque chose » (photos, livres, articles,...) qui pouvait nourrir le débat.
Outre les membres de l’équipe de recherche, les personnes suivantes
ont particpé à ce workshop : Jean Marc Besse, Monica Studer et
Christoph Van den Berg, Michelle Sustrac, Nicolas Tixier et Jean-Fraçois
Coulais.
Cette journée de travail à permis à l’équipe de recherche de recaler le
positionnement de son travail en vue de sa finalisation.
Pourquoi une exposition ?
Recomposer une image des Alpes :
une hypothèse de travail
Commencez par filmer les montagnes.
Quand vous saurez filmer les montagnes,
vous saurez aussi filmer les hommes.
(E. Lubitsch)
L’hypothèse qui a dès le départ structuré cette recherche et qui en a
défini les modalités de production était la suivante : seule la
recomposition d’une image, ou mieux, des images des Alpes comprises
comme lieu anthropologique et géographique, peut rendre
compréhensible l’actualité de son territoire et la complexité des tensions
qui se créent en lui, entre la dimension locale et celle globale du
processus historique, l’expérience quotidienne qui naît de cette tension
et leurs conséquences sur l’espace.
38
C’est, pour ne donner que deux exemples, le cas du projet “Avenir dans les Alpes”
elaboré par la Cipra (Commission Internationale pour la Protection des Alpes), pour la
période 2004-2007; ou le prochain Forum Alpinum 2007, organisé par l’ISCAR, qui aura
lieu à Engelberg entre le 18 et le 21 avril 2007, avec l’objectif declaré d’arriver « à une
approche commune de la dynamique des paysages de montagne » et de «développer des
perspectives pour la recherche future concernant les paysages et pour décider de leur
transformation. » Cfr. www.forumalpinum.org/2007/f/
39
Par exemple, la récente exposition « Alpes 2020. Les nouveaux tunnels. Bâtir l’Europe de
la mobilité durable », en cours à la Cité de sciences et de l’industrie au Parc de la Villette.
Cfr. www.alpes2020.org ,
LAA > Paysages imaginés paysages construits
15
Recomposer, donc, non seulement dans le sens de remettre ensemble
des fragments, mais aussi comme tentative d’encadrement à nouveau,
c’est-à-dire de redéfinir le “cadre”, de réorienter la vision de la réalité de
l’objet d’étude.
Nous pensons que cette opération devrait être préliminaire à toute
intervention dans un territoire. Dans le cas des « Alpes », cela revient à
assumer en en ayant conscience, certains des paradoxes qui font ce
monde : parmi eux, par exemple, celui qui fait du monde alpin une région
qui a été valorisée (par ceux qui n’y habitaient pas) comme un modèle de
« naturalité » et en même temps, justement pour cela vendue et
consommée. Ceci pour dire, et c’est une évidence, que la façon dont on
regarde la montagne, et plus généralement les lieux, détermine aussi la
manière dont on intervient dans le paysage.
Dans un certain sens alors, recomposer l’image d’un lieu comme les
« Alpes » revient à se diriger vers une « normalisation » de la vision
qu’on en a, en sortant de l’impasse générée par « une image
contrastive»40 (celle qui pendant longtemps l’a considéré comme un
monde à part, délié et opposé à la plaine, avec tout ce que cela
représente sur le plan symbolique, politique et économique) pour ne pas
les soustraire encore une fois à leur histoire et à leur présent. En ne se
cachant pas un autre paradoxe face auquel on se retrouve, c’est-à-dire
que c’est « justement « une image contrastive » - une image qui souligne
les spécificités (surtout « vertueuses ») des Alpes – qui soit aujourd’hui
utilisée dans les projets de construction de l’espace alpin comme
nouvelle entité politique ».41
La complexité des enjeux est évidente, et elle réaffirme encore une fois
la nécessité de ne pas sous-évaluer, ou mieux de reconsidérer, le rôle,
non seulement symbolique, que la fabrication et la transmission des
images a dans l’activité humaine 42 liée à la transformation du paysage 43.
Champs de recherche en grande partie encore à construire, et dont
notre projet veut seulement contribuer à montrer l’importance
théorique et pratique par rapport aux possibilités qu’une intervention
sur le paysage puisse contribuer, au fond, à rendre le monde plus
habitable.
A la recherche d’une image qui questionne : deux
expériences historiques
Les dernières décennies du XXème siècle ont été une période
d’importantes expériences dans le champ de la recherche
photographique sur le paysage dans de nombreux pays européens
comme la France, l’Italie, l’Allemagne, sur les traces de ce qui avait déjà
eu lieu aux Etats-Unis44. Dans la variété des approches de ces
expériences, une sorte de nécessité, commune, de « redécouvrir » avec
une attention et un regard nouveaux, la réalité qui nous entoure. C’est le
cas de la Mission photographique de la Datar, lancée en 1984 avec pour
intention d’offrir des « points de vue » sur le paysage français dans un
moment particulier de son histoire. Et aussi, la même année, d’une autre
expérience intéressante, l’exposition dédiée au paysage italien et intitulée
« Voyage en Italie »45 conçue et organisée par Luigi Ghirri, un des
principaux membres du renouveau de la photographie en Europe.
40
Cfr. J. Mathieu, Gechichte der Alpen 1500-1900. Umwelt, Entwicklung, Gesellschaft, Böhlau
Verlag, Wien, 1998, p. 202.
41
P.P. Viazzo, Comunità alpine. Ambiente, popolazione, struttura sociale nelle Alpi dal XVI secolo
ad oggi, Carocci, Roma, 2001, pp. 354-355. Traduction (AG)
42
Cfr. H. Belting, Pour une anthropologie des images, Paris, Gallimard, 2005.
43
Pensons par exemple au rôle joué par ‘Google Earth’ dans le processus de numérisation
du monde et aux effets que ça a sur notre prerception du monde comme ça a été mis en
lumière par J.F. Coulais, au cours du colloque international « L’habiter dans sa poétique
première » à Cerisy-la-Salle, en septembre 2006, ou encore au travail photographique de J.
Fontcuberta, Landscape without memory, Aperture, New York, 2005.
44
Nous faisons ici référence à l’exposition dirigée par W. Jenkins, New Topographics:
Photographs of a Man-altered Landscape, International Museum of Phoytography at George
Eastman House, Rochester, 1975.
45
L. Ghirri, G. Leone, E. Velati (dir.), op.cit.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
16
L’actualité de ces expériences se trouve dans la question qu’elles
posaient : est-ce possible, et si oui, de quelle façon, de raconter
aujourd’hui la complexité de notre monde et des histoires qui l’habitent
à partir des images ? Par une image qui interroge et qui sache ouvrir à la
complexité des lieux ?
De ce point de vue, tant dans l’expérience de la Datar que dans celle du
« Voyage en Italie », la photographie était assumée comme un « outil
intellectuel et affectif » dont l’homme contemporain « peut disposer
pour entrer en relation avec le monde extérieur pour chercher à
comprendre si et combien il y appartient, combien et comment il peut
l’habiter, dans un parcours continuel de recherche. »46 François Hers et
Bernard Latarjet, promoteurs du projet de la Datar, parcourent une voie
semblable : « ceux qui affirment que le paysage n’est pas en train de
changer, mais est en train de disparaître, entendent souligner
l’impossibilité de la part des valeurs et des techniques traditionnelles de
représenter un sujet qui est complètement fragmenté. Aux paysages
cohérents, racontables à travers la forme du panorama, succède un
territoire de fragments et d’épaves[…] Comment ce paysage hybride qui
n’a pas de nom peut-il être exprimé en termes photographiques ?
Comment éviter la tentation de la nostalgie et de la dérision, le risque de
la carte postale et du formalisme ? […] Le paysage n’est pas qu’une
réalité visible, mais surtout la représentation de ce qu’une culture peut
offrir. »47
Le but déclaré de Ghirri, dans la présentation du volume de l’exposition,
était d’imposer « la confrontation avec le vide d’engagement des
connaissances qui paralyse d’autres activités expressives et d’autres
systèmes de communication. La télévision, le cinéma, les arts visuels
apparaissent toujours plus lointains du vouloir connaître, ou au moins
observer, la face concrète de l’Italie. […] L’intention est de recomposer
l’image d’un lieu, anthropologique et géographique, [où] le voyage est
recherche et possibilité d’activer une connaissance qui n’est pas la froide
catégorie d’une science, mais une aventure de la pensée et du regard .» 48
Ce projet s’inscrit sur le plan de la recherche visuelle dans la direction
indiquée par ces deux expériences et dans leur objectif commun de
vouloir rendre le visage concret d’un lieu complexe, en redonnant une
visibilité à un paysage qui, bien que présent devant nos yeux, était resté
jusqu’alors invisible.
Dans cette volonté de recomposition d’une image d’un lieu, il y a aussi,
nous le croyons, un motif épistémologique important : accepter de se
poser devant les choses, et de les regarder comme elles adviennent,
comme elles se donnent à voir, et dans notre cas, aussi à sentir, ce qui
signifie engager un processus de connaissance capable de favoriser un
renouvellement de la manière de se poser devant la réalité et une
réflexion moins idéologique sur le monde dans lequel l’homme vit. Et
alimenter cette merveille et cette stupeur qui, seules, peuvent peut-être
nous pousser à la compréhension de comment continuer à « remettre
au monde le monde » (Boetti).
Une métaphore: la « friction »
La métaphore de la « friction » concerne la viscosité des connexions qui
font le monde. C’est une métaphore élaborée en anthropologie 49 comme
une sorte de rappel au sens de la réalité par rapport à la vulgate
globalisante qui, au cours des années 90, soutenait l’entrée de l’humanité
dans une nouvelle ère de « global motion » dans laquelle, les
46
R. Valtorta, Racconti dal paesaggio. 1984-2004. Vent’anni dopo il “Viaggio in Italia”, Lupetti,
2004, p. 11. Traduction (AG)
47
F. Hers, B. Latarjet, dans Aa.Vv., Paysages-photographies. La Mission Photographique de la
DATAR. Travaux en cours, Hazan, Paris, 1985, pp. 27-28.
48
L. Ghirri, G. Leone, E. Velati (dir.), op. cit., Traduction (AG)
49
A. Tsing Lowenhaupt, Friction: An ethnography of global connection, Princeton University
Press, Princeton, 2004.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
17
marchandises, les idées, l’argent et les personnes auraient pu se mouvoir
partout dans le monde et sans aucun empêchement. Comme dans le cas
du regard porté par la bourgeoisie sur les Alpes, ce discours aussi de
l’image qu’on se fait du monde, à partir de l’auto-représentation de son
propre milieu, une élite cosmopolite 50.
Parler de « friction » signifie donc ramener l’attention sur l’importance
des interactions, comme moments qui modèlent des formes culturelles,
et surtout aujourd’hui dans une période où elles s’intensifient à l’échelle
globale. Dans le contexte alpin, ça signifie d’assumer une montagne qui
est pleinement dans le monde et qui, depuis longtemps, ressent des
mutations, des scenarii politiques et économiques globaux qui en
définissent les directions du changement (et qui se reflètent dans les
transformations des paysages des Alpes), et qui en vit les contradictions.
Dans ce sens, la civilisation alpine « a commencé à s’appauvrir non
seulement pour les difficultés objectives de la montagne (les glaciers ont
toujours oscillés dans leurs mouvements ; la terre a toujours été plus
avare à la montagne qu’à la plaine, mais compensée par des pâturages,
par les forêts abondantes et par les ressources minéralières ; les
populations des Alpes ont souvent trouvé des réponses géniales aux
conjonctures négatives), mais parce les scenarii politiques ont changé et
les montagnes ont subi des gouvernements toujours plus lointains et
désintéressés. L’appauvrissement et le dépeuplement des hautes vallées
ne sont pas des conséquences « naturelles » du caractère sévère de
l’environnement alpin, avec lequel les peuples des Alpes ont appris à
vivre avec des résultats culturels surprenants, mais plutôt le résultat de
l’isolement politique et économique qui, au lieu de les corriger, tend à
exalter les négativités environnementales »51.
Il s’agit surtout d’une question d’échelle. Face à la dimension globale de
certains phénomènes, c’est le cas des changements climatiques en cours,
les solutions élaborées localement par les experts pour contenir les
effets dans un contexte fondamental pour l’économie du monde alpin
comme le tourisme, sont désormais explicitement voués à « gagner du
temps »52, dans l’attente d’une hypothétique intervention du pouvoir
politique. Étant donnée l’échelle des problèmes, l’importance d’un saut
de paradigme est encore plus évidente, afin de se situer là où, d’une
certaine façon, il est possible de penser conjointement des formes et des
structures, des formes et des événements.
Si le paysage est une réalité capable d’exprimer les valeurs d’une société,
que se passe-t-il quand les pratiques humaines contemporaines se
confrontent avec un environnement sensible comme celui des Alpes ?
Quelles formes donnent-elles à l’expérience du paysage et à la
perception qu’on en a ? Quels imaginaires produisent- elles ? Et que nous
racontent ces imaginaires sur nous-mêmes et sur la façon dont nous
habitons le monde ?
Une idée d’exposition
Cette exposition est une mise en espace d’un parcours à la fois
théorique et esthétique où la scénographie devrait pouvoir mettre le
spectateur dans la condition de se trouver, à travers son corps, souvent
en contradiction avec ce qu’il voit. Souligner cette contradiction ce n’est
pas pour nier le rôle que la vue a joué depuis la Rennaissance dans la
culture occidentale mais pour l’enrichir à travers l’activation cognitive
d’autres sens. Ainsi dans une exposition construite autour de l’image,
certaines salles ont la fonction de seuil, c‘est-à-dire qu’ils sont en même
temps, lieu de passage, lieu (et limite) du regard, limite au-delà de
laquelle peut se determiner une brusque variation d’état, ou encore
limite qui rend perceptible une sensation. Ces salles/seuil ont été
50
Cfr. J. Friedman, « Des racines et (dé)routes. Tropes pour trekkers », L'Homme, 156.
E. Camanni, op. cit., pp. 30-31. Traduction (AG)
Entretien avec Eric Vuillet, directeur de alpS-Gmbh, société autrichiene installée à
Innsbruck et spécialisée dans l’évaluation et la gestion des changements environnementaux,
octobre 2006.
51
52
LAA > Paysages imaginés paysages construits
18
conçues pour agir sur la perception du spectateur en produisant un
écart qui devrait l’influencer sur la manière dont il regardera les salles
suivantes.
En même temps, la structure spatiale de l’exposition est construite
autour de l’idée de verticalité tant pour obliger le visiteur à mettre en
jeu sa corporeité que pour organiser le discours sur trois niveaux
différents : 1. la ville extérieure aux Alpes comme centre d’élaboration
de l’imaginaire alpin ; 2. l’espace habité au milieu des Alpes comme lieu
d’interférence entre regard exogène et endogène ; 3. le sommet comme
topos mythique et comme observatoire de la complexité des relations
entre global et local.
L’exposition, conçue comme un parcours à travers différentes forment
d’appréhensions et de représentation du paysage alpin est composée de
10 salles : Réinventer un héritage, propose un exemple de comment se
fabrique l’image publicitaire utilisée pour valoriser un territoire
touristique par l’utilisation de logotypes; les deux salles suivantes, Le
masque du son et Imaginaires sonores, posent, dès le début de l’exposition,
la question du rôle que peut jouer le son dans la connaissance d’un lieu ;
Vue des Alpes propose une installation qui, à travers les stéréotypes
alpins, interroge d’une manière plus générale notre rapport à l’image ; au
centre du parcours, Mes Alpes veut donner une voix à ceux qui habitent
les Alpes, et dont on n’entend que rarement la voix sauf dans des
controverses médiatisées ; Urbanité alpine pose la question de
l’opportunité d’analyser le territoire alpin à travers les catégories
habituellement utilisées pour décrire la ville ; l’ascension Vers le sommet,
nous fait éprouver en bon touriste l’écart entre la promesse du
panorama et la variabilité météorologique à laquelle on est soumis,
comme nous le montre l’installation Le climat ; la dernière salle Effet neige
nous plonge dans une dimension conditionée qui essaie de s’affranchir de
cette même variabilité météorologique ou de se mesurer avec les
conditions et les changements climatiques.
La plupart du matériel video exposé dans ce parcours est issue des
tournages menés pour la réalisation du film « Alpi » qui a été à l’origine
de ce projet de recherche et qui a évolué avec elle. La manière dont ce
matériel a été utilisé tout au long du parcuors expositif, peut être
considérée comme une des formes de montages de ce work in progress.
Les documents sonores ont été recueillis pendant le travail de terrain
mené dans le cadre de cette recherche.
VISITE VIRTUELLE DE L’EXPOSITION
DANS LE DVD JOINT
LAA > Paysages imaginés paysages construits
19
1
Reinventer un heritage
Les Alpes sont un environnement qui nous impose de nous questionner
de façon anachronique. Ceci veut dire essayer de comprendre comment
une certaine expérience du temps est proposée dans le processus de
fabrication de l’image des Alpes aujourd’hui. Plusieurs moments et
périodes semblent être conviés : une mythologie naturelle originelle dont
les massifs témoignerait de la force irrésistible de la nature et d’un
processus pré-humain ; le mythe d’une modernité mécaniste
conquérante qui dépasse les obstacles physiques du relief et du climat ;
l’imaginaire pastoral d’une montagne jardinée par les paysans ;
l’imaginaire d’un monde inhabité, immaculé et silencieux ; ou encore
l’imaginaire lié à l’invention des loisirs alpins faisant des Alpes un espace
dédiée au temps libre des citadins… Tous ces mythes et imaginaires sont
mobilisés à différents niveaux dans l’imagerie contemporaine, surtout à
travers des références visuelles, qui construisent un présent dont les
repères temporels sont troublés. Ce trouble nous invite a explorer
l’épaisseur temporelle des images des lieux et à travers lesquels les récits
véhiculés par les références visuelles se mélangent pour composer un
référentiel temporel singulier.
On peut identifier des permanences dans les thèmes exploités par
l’imagerie publicitaire dans la valorisation de ces territoires. Ces
thématiques deviennent logotypique, au point de créer l’embarras chez
les responsables de la vente des séjours alpins qui cherchent à exprimer
les spécificités locales.
Le cas proposé ici montre les mécanismes et les valeurs qui sous-tendent
l’élaboration d’une campagne publicitaire hivernale pour la région
autrichienne du Tyrol. La construction d’une images « actuel » des Alpes
tyrolienne s’appuie sur une imagerie élaborée au début de l’essor de la
pratique du ski. Il est en effet question d’actualiser l’identité visuelle de la
région en empruntant des images que des peintres-publicitaires ont
élaborée dans les années 20-40, dont on garde le paysage peint comme
fond et dont on remplace les personnages, par des photos de
personnages contemporains reconnaissables par les vêtements et les
sports actuels qu’ils pratiquent. Les artistes mobilisés aujourd’hui ici, sont
donc parmi ceux qui ont participé, il y a 70 ans environ, à construire
l’identité visuelle de la même région parce qu’on estime qu’ils savent le
mieux exprimer les « particularités du paysage visible et agréable ». Ici,
l’actualité du Tyrol s’inscrit donc en continuité avec une « tradition »
qu’on considère toujours valable sur le plan émotionnel, et où chaque
observateur peut projeter son opinion et ses sentiments vacanciers.
Ces images renvoient à une idée d’un temps suspendu, non plus
mythique, mais originel et dont l’origine est placée au moment de l’essor
des loisirs sportifs alpins au Tyrol. Les Alpes sont représentées selon des
traits stylistiques datables et renvoyant à une période antérieure au
développement du tourisme de masse. Il semble y avoir comme une
contradiction nostalgique dans cette stratégie visuelle qui promeut le
LAA > Paysages imaginés paysages construits
20
développement touristique tout en essayant de valoriser une période où
les loisirs n’avaient pas encore engendré les installations et les
infrastructures que l’on y trouve aujourd’hui et qui en ont transformé les
paysages.
marketing territorial
Présentation de la nouvelle campagne publicitaire hivernale pour la
région du Tyrol (Autriche). Vienne, 2007.
Traduction des commentaires faits par le responsable de la campagne.
1. C’est comme ça que maintenant j’imagine la publicité du Tyrol.
Ce qui est évident c’est que la neige est partout blanche, que les
remontées mécaniques sont modernes partout, c’est-à-dire que l’offre
est la même partout, ce que l’on reçoit dans les restos c’est pareil
partout, et que partout à la montagne, c’est possible de faire du snowboard, ski de fond…. Ça on peut le voir ici.
Celles-ci ce sont tout simplement des images de différentes régions, et
c’est très difficile pour le consommateur de reconnaître les différences.
Je pense que même pas les experts peuvent reconnaître la région
spécifique depuis laquelle les images proviennent. C’est une offre très
conforme et la tâche que la publicité doit remplir c’est de distinguer le
Tyrol des autres régions. Donner au Tyrol une image propre, ou encore
mieux renforcer l’image qu’il a déjà. Quand on envisage la conception
d’une campagne publicitaire, il est important de savoir ce que les
consommateurs pensent, et la position des consommateurs par rapport
aux vacances est à-peu-près la suivante : chacun veut les stations de ski
avec l’équipement le plus moderne, on fait des efforts pour avoir les
meilleures remontées mécaniques, les meilleures pistes, et aussi pour
tout ce qu’il y a dans les alentours.
Si une vacance est vraiment une vacance donc ça ne dépend pas de
l’offre, ma de comment je me sens là-bas ; des émotions que je m‘attend
à éprouver..et la publicité doit toujours se fixer un objectif, et celui de
notre campagne c’est : que doit penser le public après avoir vu notre
publicité, ou mieux, après avoir vu la publicité du Tyrol ? Ils doivent
penser au Tyrol… « Le Tyrol c’est quelque chose de spécial. Le Tyrol
est plus intéressant… il m’est plus sympathique… c’est un pays qui se
m’est présenté de façon plus authentique, non artificielle et le public
devrait penser, si je pense aux prochaines vacances ; pourquoi ne pas
aller au Tyrol ?
2. « Le vrai hiver a lieu au Tyrol »
On a pensé que cet héritage, c’est quelque chose de très très précieux,
et l’on a voulu baser notre campagne sur cela. La question est
simplement comment le faire.
On est allé regarder d’autres marques, des marques qui peut-être dans
le passé étaient des grandes griffes, mais qui avec le temps ont perdu un
peu de leur pouvoir d’attraction et de leur actualité, comme pour la
coccinelle, une icône de Volkswagen, qui a connu un revival grâce à la
nouvelle Beetle…
Encore un exemple dans le domaine de la mode. Burberry a été pendant
longtemps un classique connu et apprécié, mais il a perdu son actualité…
Et qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont pris cette doublure caractéristique à
carreaux, et ils l’ont tournée vers l’extérieur, et à ce moment-là ils
étaient actuels à nouveau. Et cela a sauvé la griffe, et ça l’a fait
progresser…
La question à ce moment-là était comment on peut exploiter tout cela.
Qu’est-ce que ça veut dire ça pour le Tyrol. On a réfléchi à comment
utiliser ces racines pour re-réveiller et actualiser le désir envers le
Tyrol…et justement dans la publicité touristique tyrolienne on a des
exemples classiques comme celui de Alfons Walde, et c’est les artistes
qui avec leur sensibilité particulière par rapport à l’environnement, déjà
dans le passé, ont rendu les particularités du paysage visibles et agréables
LAA > Paysages imaginés paysages construits
21
… le Tyrol a influencé la publicité touristique pendant une période assez
longue et il y a mis sa propre empreinte. Et ça c’est un héritage très très
fort et pour la pub c’est un capital communicatif. Pourquoi donc
abandonner ce capital au lieu de l’utiliser ?
Surtout quand on a la possibilité de distinguer le Tyrol des autres régions
touristiques à travers ce capital et créer une différenciation pour le pays.
3. […] ces images sont encore assez fortes pour produire des images
dans la tête des gens… Si aujourd’hui on entend le nom d’Alfons Walde,
ça produit immédiatement des images dans la tête des gens, de même
que si on lit Zelga…Ou bien monsieur Joseph Binder, il a créé des
images prégnantes qui représentent encore dans la tête des gens un
capital communicatif.
C’est pour cela que notre concept est de citer cet héritage merveilleux
des artistes et de le remettre en scène de façon nouvelle, fraîche et
actuelle. En plus on a une exigence verbale, parce qu’il s’agit de l’hiver et
des vacances et qu’aujourd’hui il faut donner aux gens la liberté pour
qu’ils puissent se confronter avec les choses. En fait, on leur donne le
stimulus (input ??) verbal, « c’est ainsi que j’imagine l’hiver » , et si on lie
ce stimulus avec le monde visuel d’un Alfons Walde, alors on va créer un
désir, une nostalgie pour les beaux temps passés, pour une nature
authentique, sincère…
Ou bien.. « C’est comme ça que j’imagine l’hiver »… ici on cite à partir
du passé avec les éléments graphiques du passé l’ambiance et on la met
en contraste avec la photographie du monde alpin d’aujourd’hui.
Ou bien un exemple de Zelga, dans son paysage on met un snowboarder
moderne.. comme ça on crée un beau contraste entre la citation du
passé et l’activité sportive moderne…
Voici une citation d’un paysage de Walde avec une skieuse moderne,
c’est ainsi que j’imagine l’hiver. Cela crée de l'appétit pour la vacance, ça
crée du désir pour le Tyrole et ça crée une présentation très typique
pour le Tyrol, parce que cette image ne peut pas être réclamée par un
autre pays….
4. On a encore d’autres idées comme d’amener le concept dans l’espace
public…c’est ainsi que j’imagine l’hiver..ça c’est des objets artistique dans
la ville, des targets .. à Francfort, par exemple, en été ou en automne on
pourrait laisser circuler des voitures avec une énorme couche de neige
avec le slogan « C’est ainsi que j’imagine les vacances d’hiver au
Tyrol… » Ou bien sur les ponts de l’autoroute, on pourrait faire des
banderoles publicitaires avec le slogan et qui terminent après avec des
stalactites de glace.. c’est une idée très belle et insolite pour créer l’envie
de vacances d’hiver, là où il n’y a pas d’hiver…Une autre idée c’est de
mettre des autostoppeurs habillés en skieurs, par exemple à Hambourg,
dans les rues de sortie de la ville avec l’indication Tyrol…c’est donc
important que la publicité ne passe pas que dans les médias classiques,
mais qu’elle soit animée par différentes activités..
Par exemple cette pancarte surdimensionnée, permanente, qui va au-delà
du format normal parce que les montagnes sont si hautes.. «C’est ainsi
que j’imagine l’hiver au Tyrol… »
LAA > Paysages imaginés paysages construits
22
2
le masque du son
Quel rôle peut avoir le paysage sonore, et, ,par extension, le son, dans
l’exploration d’un paysage ? que peut-il raconter de notre façon d’habiter
le monde ? dans la recherche, le travail sur le son se pose à un niveau
qu’on appellera « diagnostic poétique », c’est-à-dire de prise de conscience
d’une situation ou d’un territoire à partir d’un écart, d’un déplacement
qui surprend. C’est cet étonnement qu’il est possible d’éprouver par la
prise en compte de la composante sonore d’un paysage. Nous pensons
qu’il puisse stimuler l’apparition de nouvelles perspectives d’enquête et
de nouvelles possibilités d’intervention en ce qui concerne la recherche
fondamentale. Nous sommes convaincus que lorsque nous nous
retrouvons face à des lieux hyper représentés, l’approche artistique peut
se révéler indispensable pour créer de nouvelles significations et
reconsidérer le « banal », présent dans les choses apparemment déjà
connues qui nous entourent.
Au lieu de proposer l’écoute d’extraits du paysage sonore alpin, nous
avons donc pensé d’utiliser et d’intégrer le son comme outil d’enquête
sur des mécanismes perceptifs qui influences notre manière de regarder
un paysage et de produire une image.
Un effet banal : un son fort couvre, dans ce cas, il masque un son faible.
C’est un effet qu’on utilise souvent pour nous protéger et qui nous mène
à créer des hiérarchies mutables de sons qui, selon les situations, laissent
émerger seulement les sons que l’on considère les plus agréables ou les
moins nuisibles. Ceci revient à créer des masques sonores, réels ou
imaginaires, qui participent à la construction de notre paysage sonore
idéal, qui se modifiera selon les variations des hiérarchies.
Mais ce masquage peut aussi signifier que les sons « mettent un
masque » et entrent, en nous étonnant, dans le jeu de la représentation :
ceci est valable pour les sons, mais aussi pour le silence, qui a une part
importante dans la construction et la persistance au plan de l’imaginaire
d’une certaien façon de considérer le paysage alpin. Si le masque, par
nature, cache ou laisse entendre autre chose, parfois il peut aussi cacher
pour mieux révéler.
Dans cette partie du parcours d’exposition, les visiteurs entrent dans un
jeu de chambres dans lesquelles ils sont invités à trouver un point de
rencontre et de confrontation entre l’imaginaire qui les accompagne et
les mouvements entre l’image, le son et la mémoire du corps : on peut
se trouver dans une situation dans laquelle la dimension sonore est
suspendue dans l’attente d’une impulsion qui la remette en marche, qui la
fasse résonner [Otodate + Ku] ; on peut éprouver comment la
provenance incongrue d’un son dérange la perception jusqu’à troubler
l’image que l’on voit [Contrepoint sonore] ; on peut se laisser
envelopper par une voix en cherchant d’en percevoir le paysage qu’elle
porte en elle [Le son dans la voix]. Un jeu entre le simultané du visible et
le contemporain de l’audible (J.L. Nancy) à travers lequel il ne s’agit pas
de rétablir une primauté entre les sens ou de faire une révolution
LAA > Paysages imaginés paysages construits
23
paradigmatique entre le son et l’image, mais plutôt de comprendre les
critères avec lesquels on pose sur l’un le masque de l’autre, ou encore
nous cachons l’un à l’intérieur de l’autre.
Otodate +KU
(intervention artistique d’Akio Suzuki)
On présente ici deux installations de l’artiste japonais Akio Suzuki qui
depuis plusieurs années travaille sur la perception que l’on a de
l’environnement dans lequel on vit. Elles nous intéressent pour deux
raisons : premièrement pour redonner de l’espace à l’écoute comme
outil de connaissance du monde ; deuxièmement pour mettre en
évidence certaines structures qui sont à la base des relations qui lient
l’espace à l’image.Les deux installations sont ici proposées en qualité de
filtres perceptifs capables, on espère, d’influencer et accompagner le
visiteur dans son exploration de l’espace d’exposition.
1. Otodate est un terme japonais, formé par deux idéogrammes qui
veulent dire respectivement « écouter » (oto) et « point » (date).
otodate est donc, littéralement, un « point d’écoute », et c’est dans ce
sens-là que ça nous intéresse de proposer le travail d’Akio Suzuki à
l’intérieur de l’exposition. En traçant sur le sol un signe circulaire, à
l’intérieur duquel deux figures spéculaires sont inscrites et qui
représentent en même temps deux oreilles et l’empreinte de deux pieds
humains, Suzuki définit le lieu d’une expérience particulière. La sienne est
une invitation adressée à n’importe qui passe à côté d’un « otodate » afin
qu’il interrompe un moment son parcours en s’arrêtant avec les deux
pieds sur les deux signes du cercle : une exception momentanée par
rapport à la fruition habituelle de l’espace-temps qui l’entoure, qui lui
permettra de percevoir, avec les yeux et les oreilles, une portion du
monde. Une expérience qui peut se révéler complètement nouvelle
aussi, et surtout, quand elle a lieu dans un endroit apparemment déjà
bien connu par l’usager.
Pour cette édition de otodate on va demander à Akio Suzuki de jouer
avec le matériel de l’exposition et de choisir où placer le long du
parcours d’exposition les différents « points d’écoute », en nous
suggèrent avec sa légèreté et son ironie, les lieux et les façons à partir
desquels rediscuter nos habitudes de perception.
MUSEOGRAPHIE
Akio Suzuki
OTODATE – 1997
SCENOGRAPHIE
Il s’agit de marquer graphiquement avec le symbole « otodate », selon les
choix de l’artiste, un autre parcours à travers l’exposition, pour suggérer
aux visiteurs d’ultérieurs points de vue-écoute, non seulement de
l’espace de l’exposition, mais aussi des matériaux exposés.
2. Akio définit « ku » (lignes/vers, en japonais) une installation sonore
faisant allusion à un phénomène, bien connu, et crucial pour comprendre
son travail, celui de l’écho, expérimenté pour la première fois dans sa
jeunesse au Japon : on lance un cri dans l’espace, et ce cri nous reviendra
en arrière après quelques instants, en décrivant ainsi dans son parcours
d’allée et de retour la forme et la nature de l’espace en question dans ce
moment précis.
Dans ce cas, des robinets son fixés le long d’une paroi, et au-dessus
d’une série d’objets et de différents matériaux. L’absence de son qui
caractérise l’installation n’est rien d’autre que l’attente de son retour.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
24
Dans l’imagination du visiteur, les objets et les matériaux situés sous les
robinets forment une vision interne reliée à des tonalités et à des bruits
précis. Cette installation démontre d’une façon simple et intense
comment les sons ne sont pas une matière objective, mais qu’ils
dépendent de l’attitude du visiteur-écouteur, en tant que possibilité et en
tant qu’effet. Il s’agit d’un travail dans lequel la présence du son, qui est
seulement évoquée, stimule la perception souvent en provoquant de
véritables événements kinesthésiques.
MUSEOGRAPHIE
Akio Suzuki
KU Installation présentée à la Stadgalerie Saarbrücken – 1997.
SCENOGRAPHIE
L’installation est constituée par une série de robinets sur un mur et une
série d’objets mis en dessous de chaque robinet, visant à évoquer le ton
- son particulier que la goutte d’eau acquerrait si elle tombait sur ce
matériel spécifique.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
25
3
Imaginaires sonores
« Dans le silence qui était parfois comme un grondement, des pensées et
des questions qui me reviennent en permanence à l’esprit pour y
chercher une explication à la vie et à son but, dans ce concentré,
minuscule noyau de bruit muet, parvenait le bruit d’une poule d’une
cours voisine, et tout de suite, ce son, sa distincte et affilée présence
sous un ciel d’azur de nuages blancs, provoquait en moi un intense
sentiment de liberté. Le bruit de la poule, que je n’arrivais même pas à
voir, était un événement (comme un chien courrant ou un artichaut en
fleur) dans un champ qui jusque là était resté en attente d’un événement
initial, qui le rende perceptible. Je savais que je pouvais écouter dans ce
champ tous les sons et toutes les musiques. » (John Berger) 53“
Quel rôle joue la dimension sonore dans notre rapport à un paysage?
Que se passe-t-il lorsqu’on enregistre un écart, une interférence, entre
l’idée acoustique qu’on s’est faite d’un lieu déterminé et la façon dont ce
lieu « sonne » réellement ?
Dans notre rapport au monde, nous sommes souvent mus par une
« vision » induite par l’extérieur, qui nous fait rentrer en relation avec
une donnée « réelle » en l’intégrant ou en la refusant. Une recherche
menée par le Cresson 54 à Badonecchia sur les relations entre la ville et
l’autoroute du Fréjus a permis par exemple de mettre en évidence la
possibilité des habitants du secteur d’intégrer un bruit extérieur comme
le « bourdonnement » du trafic autoroutier en lui attribuant une
rythmicité comparable à celle qui par le passé appartenait au
« mouvement » du bétail. A l’opposé, l’apparition d’ « événements »
sonores imprévus et perturbant (le son de la cloche d’une église, celui
des cloches du bétail au pâturage, etc) liée à l’absence du
« bourdonnement » caractéristique qui accompagne la vie urbaine, peut
mener à briser la représentation qu’un visiteur s’est fait d’un lieu, jusqu’à
le pousser à porter plainte pour la gêne dans la quiétude de sa vacance.
En faisant la comparaison entre ces deux expériences, le rôle joué par le
temps apparaît, parmi d’autres choses : dans le premier cas on est dans
une dimension de la permanence, et donc d’une nécessaire et inévitable
fréquentation quotidienne d’un paysage sonore déterminé ; dans le
second cas au contraire, c’est l’intermittence qui prévaut, le transitoire
de la suspension, propres de l’activité touristique. Elle induit des besoins,
des attentes, des désirs qui peuvent facilement être déçus par
l’interférence avec la réalité sonore des territoires fréquentés. L’image
d’une montagne calme, tranquille, où règne le silence qui, après une
longue histoire, caractérise encore une grande partie de la
communication publicitaire touristique, en est un exemple. Ceci nous
rappelle comment chaque image visuelle est toujours accompagnée par
une atmosphère sonore qui, bien que silencieuse, peut produire des
effets réels sur notre corps, comme sur notre imaginaire, influençant la
relation que l’on établit avec un lieu.
53
54
J. Berger, Champ, dans ”Au regard du regard”, L’Arche, 1995.
www.cresson.archi.fr/pubMEDIAbardo.htm
LAA > Paysages imaginés paysages construits
26
Jamais avoir une vache à Maranzanis…
Une fois, moi j’étais assis sur cette chaise et il y quelqu’un de Maranzanis
qui a appelé, quelqu’un qui est à Rome mais qui a une maison à
Maranzanis, et il m’a appelé pour se plaindre du fait qu’il y avait des
chèvres, que là-bas il y avait le fils de Leo qui avait 18 chèvres avec la
clochette, et que lui ne pouvait pas dormir, parce que le matin les
clochettes sonnaient…Moi je lui ai répondu que ce n’était pas dans nos
compétences et que « d’ailleurs vous venez dans un village de
montagne ! »
Mais l’idée n’est pas que Maranzanis soit un village de montagne, l’idée
est qu’ils viennent dans une petite ville propre…Jamais avoir une vache à
Maranzanis parce que sinon les touristes ne viennent plus ! Par contre s’il
a les tuyaux d’échappement, des scooters à gaz et toutes ces choses là,
le touriste n’a rien à dire parce qu’il s’agit de la pollution à laquelle il est
habitué, et ça aussi ça fait partie d’un imaginaire citadin qui est imposé à
la montagne…
Sonagrammes
Pour mettre enn evidence les écarts et les superppositions, dans les
relations entre la ville et la montagne, tout comme entre les diverses
manières de percevoir/sentir les paysages respectifs, nous proposons une
série de sonogrammes, soit des representations objectivantes des
panoramas sonores de ces deux mondes. Le sonogramme permet de
rendre visible, de façon simultanée, l’intensité, la fréquence, et la
distribution temporelle d’un évènement sonore. En travaillant sur le
graphisme, on tentera de rendre visible, en un coup d’oeil, les variations
et les recurrences dans des cycles temporels relativement longs. Il nous
semble opportun que s’interpose la médiation de ceux qui se meuvent
en permanence entre les réalités de cet imaginaire, afin d’éviter des
contrapositions stériles et faciles entre les deux environnements, et pour
ne pas devoir fixer arbitrairement des points d’écoute. Nous
demanderons sonc à des personnes, qui pour différentes raisons ont
décidé de se déplacer temporairement d’une situation à l’autre,
d’nregistrer des promenades sonores dans les deux environnements.
Ces enregsitrements seront successivement traduits dans une forme
sonogrammatique.
Même si on n’en concervera pas la trace dans le sonogramme, le corps,
avec son mouvement, influencera la façon d’écouter et, de la même
manière, l’écoute influera sur le mouvement et sur le parcours. On
demandera également aux personnes d’élaborer une représentation
graphique des promenades et, au début de l’expérimentation, d’essayer
de donner une image idéale du paysage sonore des deux environnements
dans lesquels ils évolueront. Nous sommes conscients que toute
représentation visuelle d’un son est arbitraire, mais le sens de ce projet
est justement d’enquêter sur cet arbitraire qui dépend de la sensibilité,
du corps et de la mémoire ce celui qui se meut dans l’espace. Cet
arbitraire nous permettra de comprendre, d’un autre point de vue,
comment l’imagination travaille sur le réel.
MUSEOGRAPHIE
De ongs panneaux avec les sonogrammes des promenades. Des dessins
des représentations des paysages sonores exécutés par les personnes qui
ont fait les promenades.
SCENOGRAPHIE
Les panneaux avec les sonogrammes seront à hauteur d’œil, pas très
grands (1m de haut maximum), mais très longs, formant comme une
ligne continue autour de la salle. Des dessins seront disposés à côté des
LAA > Paysages imaginés paysages construits
27
sonogrammes, et des extraits des entretiens réalisés sur comment ils
entendent et comment ils se sentent.
3.1
contrepoint sonore
Un jeu de regards, comme en face d’un miroir qui réfléchi sans
ressemblance. Un dédoublement qui est une invitation à regarder et reregarder avec une attention insistante ce qui est en face de nous. En face
de nous il y les Alpes , qui ont vécu et vivent des transformations
profondes. Il y a l’image des Alpes, qui a des difficultés à reconnaître ces
transformations et qui, si elle peut, les omet et les cache, fidèle à un
passé qu’elle n’arrive pas à laisser partir. Et nous sommes là aussi, avec
notre façon d’habiter le monde qui ne suit plus les modèles et les
logiques auxquelles nous avons été habitués, et qu’on ne peut que
décrire, en l’absence, pour l’instant, d’alternatives. En cherchant des
images qui sachent nous le restituer dans sa multiplicité souvent
paradoxale.
Le film Alpine resort est une étape d’une recherche encore en cours. Ici il
cherche à interroger la relation entre les Alpes et le monde. Entre
Davos et Dubai. L’une sous-entend l’autre au moment même où elles
semblent s’exclure réciproquement : à la fois réalité et en même temps,
image de cette réalité.
Dans le jeu entre « faits » et « images » on a cherché une façon pour
briser les automatismes qui sont en cours dans la vision
cinématographique (et pas seulement).Lorsqu’on regarde une image
projetée sur un écran (qu’il s’agisse de documentaire ou de fiction), le
son que l’on écoute est, généralement, cohérent avec l’image que l’on
est en train d’observer (ce qui ne veut pas dire que ce soit aussi en
synchronie avec l’image). L’expérience du monde que l’on a est
concentrée dans le cadre visuel, le son est au service de l’image, et ce qui
est extérieur au cadre est consciemment et/ou inconsciemment,
reconduit à son intérieur. C’est la même technologie amateuriale, à
opérer de façon autonome, et de façon non contrôlable, la compression
du son et de l’image : si nos oreilles perçoivent le son à 360°, les
« oreilles » d’une caméra enregistrent le son sur un angle bien plus
limité, qui correspond en général à l’ouverture moyenne de son objectif.
Dans cette salle, on propose une installation qui veut mettre en évidence
l’écart entre la vision d’une image en mouvement et une écoute à 360°.
Le visiteur sera immergé dans un espace sonore tridimensionnel qui ne
se limite pas à compléter l’expérience visuelle, mais qui se pose plutôt
comme contrepoint de cette dernière, un contrepoint qui peut
perturber, en nous rappelant la possibilité d’une autre façon d’ « être » à
l’écoute face aux images.
MUSEOGRAPHIE
A.Linke-R.Rinaldi-P. Zanini
ALPINE RESORT, 2006
16 mm- film ; DVD exibition copy
SCENOGRAPHIE
Projection vidéo avec installation sourround 5.1 dans un espace isolé
acoustiquement du reste de l’exposition, pour favoriser ainsi l’immersion
totale du visiteur (assis dans une position particulière) à l’intérieur d’un
espace tridimensionnel.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
28
3.2 Le paysage dans la voix
Dans un chant ne résonne pas vraiment un paysage, plein et
concret, de la terre et des rochés, de l’eau et des herbes, mais
plutôt un espace articulé sommairement dans des lignes et des
accents. (Lucian Blaga –L’espace miriotique, Paris, librairie du
savoir, 1995
Qu’est ce qui transparaît du monde que nous habitons dans notre
parler ? Jusqu’à quel point est-il possible d’écouter un paysage dans la
voix de quelqu’un ? Pendant longtemps le chant populaire a été une
forme capable de représenter le monde qu’il exprimait, mais qu’en est-il
aujourd’hui ? Est-ce toujours le cas ? En reproposant le répertoire
aujourd’hui, il nous apparaît, du point de vue de sa capacité de raconter
la contemporanéité d’un lieu, anachronique. Les lectures, même celles
les plus « modernes », et tout en étant philologiquement correctes, sont
désormais complètement étrangères au paysage qui les avait exprimées.
Dépouillé des éléments anachroniques (texte et musique), il ne reste au
chant que sa matière première : la voix avec son timbre et sa texture.
Voix qui a perdu l’articulation mélodique et n’a pas encore acquis le sens
(unique) qui lui est imposé par le logos. Voix comme substance qui
s’agite dans le paysage, voix d’un corps immergé dans son paysage et qui
exprime cette immersion, mais nous pouvons aussi ignorer ce qui est dit,
comme s’il s’agissait de l’écriture à voix haute évoquée par Roland
Bartes ;
L’écriture à voix haute, par contre, n’est pas expressive… elle
est amenée non pas par les inflexions dramatiques, les
intonations malignes, les accents complaisants, mais par la
texture de la voix, qui est un mélange érotique de timbre et de
langage, et elle peut être elle aussi, tout autant que la diction, la
matière d’un art : l’art de conduire son propre corps (d’ici
l’extrême importance dans les théâtres moyen-orientaux). En
tenant compte des sons de la langue, l’écriture à voix haute
n’est pas phonologique mais phonétique ; son objectif n’est pas
la clarté des messages, le théâtre des émotions ; ce qu’elle
recherche (dans une perspective de jouissance), ce sont les
accidents pulsionnels, c’est le langage tapissé de peau, un texte
dans lequel on puisse sentir la texture de la gorge, la patine des
consonnes, la volupté des voyelles, toute une stéréophonie de la
chair profonde. L’articulation du corps, de la langue, pas celle
du sens, mais celle du langage. Un certain art de la mélodie
peut donner une idée de cette écriture vocale… »55
Barthes parle d’un art, d’une technique qui peut s’apprendre et se
réaliser ; un acte volontaire finalisé à un résultat esthétique. Ce qui nous
intéresse c’est de creuser la possibilité que cette écriture à voix haute
puisse se concrétiser à l’intérieur d’une voix modelée par l’ « être » dans
le lieu, par l’habiter un paysage précis. Dans ce cas, la voix et le son, que
cette dernière amène, « ne se dévoilent pas en tant que véhicules de
significations préexistantes, de sens extérieur, mais comme des espaces
où se constitue le sens même, qui se trouve là, dans les sons, vie et
forme, corps et identité »56 . Comme partie du corps, « la voix est active
comme le regard est passif, dans l’attente d’être imprimé par le calque
d’un corps extérieur, dans lequel au contraire la voix, imprime sa
trace 57». Celui qui émet un son, entend le son qu’il émet dans le cycle
constant de perception et de construction du paysage qui est l’être dans
un lieu, la voix participe comme le plus flexible des instruments. La voix
55
R. Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 1982
E.L.Petrini, introduction à la version italien de J.-L. Nancy, Dell’ascolto, Cortina Editore,
Milano, 2004
57
C. Bologna, Flatus voci, il Mulino, Bologna, 2000.
56
LAA > Paysages imaginés paysages construits
29
s’adapte et est adaptée en continu, elle réagit en temps réel, aux
contingences/insurgeances spatio-temporelles. En même temps, sa
texture qui se compose de stratifications (dont la construction à lieu à
travers un crash avec le paysage : quand la voix sort de la bouche elle
explore l’espace et claque contre les éléments environnants avant de
retourner à l’oreille) garde la mémoire des variations subies. De la
même façon, certaines nuances qui s’insinuent dans le langage dépendent
de pratiques territoriales qui ne peuvent pas être abstraites de la relation
avec leur propre paysage, et se mettre à l’écoute d’une voix c’est, il
nous semble, une façon possible pour pénétrer dans la substance de
cette relation, qui se configure comme étant unique. La texture est à la
voix ce que la voix est au corps et le corps à l’espace. Il s’agit encore une
fois, de ramener au centre du problème de la représentation du paysage
le corps avec ses qualités sensibles, « mais le défis d’un travail sur les
sens et sur les qualités sensibles est nécessairement celui d’un empirisme
à travers lequel on puisse tenter de renverser l’expérience 58», en
mettant en crise la position par laquelle on « regarde » le paysage en
essayant de déconstruire le préjugé à travers lequel on se rapproche
d’une voix qui tend à séparer la parole des parlants et à réduire le son à
un sens pur. Autrement dit : mettre fin à une inattention
programmatique vers l’unicité de la voix 59.
Y-a-t-il une donnée du paysage, secrète ou non comprise, qui se révèle si
l’on essaye d’ « écouter » une voix plutôt que de nous efforcer à
comprendre : entendre ce qu’elle dit ? Et encore, « quel secret se déplie
– et donc se rend public - lorsqu’on écoute une voix en elle-meme, un
instrument ou un bruit ? Et l’autre aspect, indissociable, sera donc : que
signifie « être à l’écoute », comme quand on dit « être au monde » ?
Qu’est-ce que c’est qu’exister par l’écoute, pour elle et par elle? Qu’estce-qui est mis en jeu dans l’écoute, en terme d’expérience et de
vérité 60? »
MUSEOGRAPHIE
Extraits sonores de 5 exemples de voix originaires de France et d’Italie.
Carte postale sonore: berger d’Aubrac, avec Raymond Redon ; realisation
Laurent Sassi & Jean Pallandre ; GMEA (Groupe de Musique Electroacoustique
d’Albi-Tarn), 2001
Giordano Custode, Valle Stura-Italie, 2006 ; réalisation Renato Rinaldi
(Laboratoire Architecture/Anthropologie).
Lidie, Frioul-Italie, 2007 ; réalisation Renato
Rinaldi
(Laboratoire
Architecture/Anthropologie).
Vilma, Frioul-Italie, 2007 ; réalisation Renato Rinaldi (Laboratoire
Architecture/Anthropologie).
Ermer, Frioul-Italie, 2007 ; réalisation Renato Rinaldi (Laboratoire
Architecture/Anthropologie).
SCENOGRAPHIE
Une pièce acoustiquement bien isolée pour reproduire au mieux une intimité
entre celui qui parle et celui qui écoute. Afin de neutraliser le plus possible les
attentes du regard, et favoriser la concentration dans l’écoute, le public pourra
s’asseoir dans la pénombre sur des chaises longues.
58
J.-L. Nancy, A l’écoute, Paris, Galilée, 2002
A. Cavarero, A più voci, Feltrinelli, Milano, 2003.
60
J.-L. Nancy, op.cit.
59
LAA > Paysages imaginés paysages construits
30
4
Vue des Alpes
(Installation de Monica Studer et Cristoph van der Berg)
Studer et Van den Berg interrogent notre perception des lieux et les
images qui participent à la construire. Ils travaillent à partir de
stéréotypes de paysages (voir vue des Alpes ou le Swiss Pavillon à
l’exposition de universelle de Aichi en 2005 61) qu’ils reconstruisent à
partir d’élaborations informatiques générant des images reconnaissables
mais ne correspondant à aucun lieu particulier. Leurs œuvres produisent
à la fois des simulations du réel – transfiguré par les stéréotypes de
l’imagerie des Alpes en tant que matériau – et la visibilité de cette
simulation. Ainsi, ils ont construit un relief artificiel, pour le Swiss
pavillon de Aichi au Japon, recouvert par des images d’herbes, de
plantes, de pierres – générées par ordinateur - qui donnent l’impression
d’être dans une vallée alpine. Mais ce relief est formé de grands plans
triangulaires montrant explicitement le caractère non mimétique de cet
environnement. L’environnement physique et visuel que Studer et Van
den Berg créent, a la richesse de cette ambivalence qui nous destabilise
tout en nous permettant de nous réapproprier notre perception du
monde.
Nous avons choisi de dédier une pièce de l’exposition à une œuvre qui
pose la question de la construction de notre regard sur le paysage alpin.
Cette installation nous intéresse dans la mesure où si elle ne produit pas
une « nouvelle image des Alpes » elle nous permet de prendre
conscience de comment cette image s’impose à nous. Le travail de
Studer et Van den Berg joue sur le vraisemblable mais tout en dévoilant
explicitement le montage fictionnel, nous interrogeant par là même sur
ce que nous voyons. Ils ne nous livrent pas d’emblée l’ensemble de leur
dispositif de vision, mais en le parcourant on le découvre et il prend sens
progressivement. Si ce que je vois n’est pas la réalité – bien que je l’ai
cru - alors la réalité est ailleurs, semble nous inviter à penser le travail de
ces artistes, laissant une impression étrange, dû au fait que ce que nous
voyons n’est qu’une construction et nous invitant ainsi à nous
questionner sur notre perception des choses et du monde.
MUSEOGRAPHIE
Monica Studer & Christoph van den Berg
Ohne Titel, 2006, 6 aufeinander-folgende F4 Plakate für Ausstellung REISEN MIT DER
KUNST, Plakat 1+2
SCENOGRAPHIE
L’installation est constituée par une image numérique mais vraisemblable des alpes.
Face à cette image installée sur un grand mur, un banc sur une estrade. Derrière ce
banc, un fragment de décors qui, filmé par une caméra, reconstitue une vue de
l’arrière du banc comme s’il était en situation dans les Alpes. Les images filmées sont
montrées sur un écran placé à droite de l’image des Alpes et on peut y voir les
visiteurs de dos, admirant ce paysage alpin. Le visiteur est invité à monter sur
l’estrade pour admirer le paysage alpin et éventuellement à s’asseoir sur le banc. Ce
n’est qu’après avoir fait le tour du dispositif qu’il en découvre les différentes facettes.
61
Studer et van der Berg, world exposition 2005, Swiss pavillion, Aichi, Japan (Form and
Surface of the mountain: Studer / van den Berg, concept in collaboration with the group of
authors "panorama 2000", Switzerland)
LAA > Paysages imaginés paysages construits
31
5
Mes Alpes
« Il faut un Autre pour conférer à mon espace la qualité du paysage »,
nous dit Gerard Lenclud62, phrase qu’on pourrait transformer en « il faut
un Autre pour que ma montagne, mon bétail, mon village deviennent les
Alpes ».
Cet « autre » nécessaire à la transformation d’un espace en paysage est
le même qui soutient la distinction entre nous, notre montagne, notre
village, et les touristes, les gens de la ville. Cette dichotomie nécessaire
pour construire toute identité 63 est la même qui régit la polarité entre
champs travaillés et paysage, comme le dirait Gerard Lenclud.
En ce sens, l’expression « mes Alpes » est presque un oxymore qui nous
permet de mettre en évidence l’articulations dans laquelle plonge le
monde alpin dans cette valse sociale, politique et économique composée
par des récits locaux et des discours globaux qui transforment ces
territoires en un terrain miné. Mettre au personnel (mes), une catégorie
abstraite (comme, les Alpes) qui n’a guère de réalité dans les sentiments
des Alpins, est une tentative de donner un lieu à qui y habite, à l’intérieur
d’un contexte plus large, même si souvent ils ne le reconnaissent pas,
mais qui existe tant dans le regard exogène que sur le plan politique
national ou international.
Cependant notre tentative n’est pas de formuler une identité collective
alpine, un « nous » généralisé, car c’est quelque chose qui n’a pas une
véritable correspondance avec la réalité du terrain. Tout est beaucoup
plus fractionné, les territoires de référence sont toujours grands comme
un mouchoir de poche, et le « nous » et l’autre, « eux », sont toujours
beaucoup plus nuancés que l’on croit. Un jeu d’échelles de
représentations qui pourrait dessiner le territoire alpin d’une manière
complètement différente de ce que l’on peut voir en ouvrant un atlas :
villages de montagne habités désormais par des « rurbains », par des
touristes pendant les vacances et par des propriétaires de résidences
secondaires qui revendiquent une appartenance vaste aux Alpes, et des
villages habités, peut-être par quelques habitants, qui ne revendiquent
guère une appartenance à un grand territoire mais à une seule montagne,
un village, une vallée… Une représentation, peut-être cartographique, du
territoire alpin où l’on pourrait comprendre la circulation des références
qui façonnent le paysage aujourd’hui par les gens qui y habitent. Des
références qui en général viennent élaborées dans les milieux urbains
lointains, et se mettent en circulation dans l’imaginaire local (même si
elles ne sont pas complètement acceptées) jusqu’au point de mettre une
communauté, c’est le cas de Chamonix, dans la nécessité de réfléchir sur
elle-même et de redéfinir ses valeurs.
62
G. Lenclud, « l’ethnologie et le paysage. Questions sans réponses », in C. Voisenat (dir.),
Paysage au pluriel. Pour une approche ethnologique des paysages, Paris, MSH, Collection
Ethnologie de la France, 1995, pp. 3-17
63
F. Barth, « Les groupes ethniques et leurs frontières », in Ph. Poutignant et J. StreiffFenart, Théories de l’ethnicité, Paris, PUF, 1995, pp. 203-249
LAA > Paysages imaginés paysages construits
32
Nous présentons ici quelques-unes de ces voix qui ont rarement la
possibilité de s’exprimer et qui déjà dans leur partialité font bien
émerger les diversités, internes à la société alpine, souvent assez fortes
par rapport aux différents contextes économiques auxquels elles se
réfèrent : entre existences qui, au-delà de toute rhétorique, ont perdu
toute possibilité d’évoluer ; existences bloquées dans la réitération d’un
système de codes sociaux incapables de se renouveler ; existences qui
acceptent de rester à la montagne, à l’écart de tout, en continuant à y
travailler même si conscientes d’être parmi les dernières ; existences qui
se confrontent avec la violence de l’intermittence existentielle liée à
l’industrie touristique ; existences qui cherchent à combattre la
progressive annihilation de la montagne produite par l’imposition des
modèles extérieurs ; existences qui, malgré tout, pensent encore de
vivre dans le plus bel endroit du monde.
Bâtir une communauté alpine
Entretien avec le responsable sanitaire à Tolmezzo (Frioul, Italie). Ce
médecin est une des personnes le plus actives, par son métier aussi, dans
une opposition intelligente et pratique vers la tendance législative (et non
seulement) à considérer le territoire de montagne comme une simple
extension de la ville. Cette opposition se fonde sur l’idée de l’existence
de plusieurs communautés appartenantes à un espace alpin commun.
Dans cet effort de neutraliser les lois impropres élaborées tant au niveau
régional que national ou européen, il y a la constante revendication de la
particularité socio-économique et géographique de la montagne.
« Donner un sentiement de communauté. Donner aux montagnards
l’idée qu’ils vivent dans une communauté alpine, est une chose
fondamentale. Quand j’avais 20 ans, par exemple, je suis allé à Florence
cinquante fois, mais je n’étais allé à Vienne qu’ue fois…La distance est la
même, mais les Alpes étaient une barrière, mentale vant même que
physique, abattre cette barrière est important, c’est fondamental, même
que pour raisonner sur les Alpes. La valeur locale doit être exaltée et
mise dans le monde, c’est ça l’idée, pas simplement dire qu’il y a le
monde… »
« Appartenir au monde alpin… la construction des Alpes comme
identité mentale est une chose récente, le premier livre que j’ai lu sur les
Alpes comme espace unitaire est le livre de Paul Guichonnet, en 1980,
c’était une chose très intéressante, parce que les Alpes pour eux…
s’étendaient de la Savoie à la Slovénie, mais la Carnia n’était pas dedans,
elle était « sautée, on ne la trouvait pas…[…]. Le livre qui est sorti
ensuite, toujours sur les Alpes, est intitulé Communauté Alpine, de
Pierpaolo Viazzo, ne parle pas de la Carnia, il considère Alagna, la Suisse,
le Trentin, l’Haut Adige, la Slovénie, et il nous saute. Nous avons eu un
contact avec Viazzo pour un colloque sur les Cramars [ les hommes qui
au cours des longs siècles de migrations, ont nourri leur familles en
franchissant les montagnes comme vendeurs ambulants] et nous lui
avons demandé pourquoi nous ne sommes pas cités dans son livre. Sa
réponse a été qu’il l’aurait fait volontiers, mais il n’a pas trouvé de
matériaux pour étudier notre zone aussi. C’ était en 1990, et en 2000
sort un livre d’un suisse dont je ne me souviens plus le nom [Jon
Mathieu] et encore un livre sur les Alpes qui ne nous prend pas en
considération. En fait, nous, des Alpes, n’existons pas culturellement,
nous sommes là, mais lorsqu’on fait une description de l’espace alpin,
nous n’y sommes pas. »
« Finalement, en 2005, cet état de fait évolu avec la sortie d’un livre très
intéressant écrit par un certian Lorenzetti qui travaille à Lugano et par
Raul Merzrio qui travaille à l’université de Teramo, mais qui s’est
toujours occupé d’immigration. Et que se passe-t-il alors ? il se passe, que
dans ce livre, il n’y a que nous [rire], très intéressant, et ce parce que les
LAA > Paysages imaginés paysages construits
33
actes du colloque sur les Cramars, une publication qui a beaucoup
circulé dans les universités, ont été la clé d’entrée dans l’imaginaire et
dans la construction du monde alpin. Alors l’idée c’est que nous devons
faire quelque chose pour entrer dans le monde culturel alpin et pour ce
faire, nous devons produire quelque chose de décent qui puisse être
utilisé pour faire des comparaisons, pour faire des raisonnements, etc.
jusqu’à présent pas assez de choses n’ont été faites dans ce sens parce
qu’on a privilégié le renferment dans le local, le localiste et se poussert
dasn l’éphémère folkloristique, au lieu de cela nous devons faire une
opération à plus long terme… le colloque sur les Cramars a eu lieu en
1996 et il a porté ses fruits en 2005, et nous, pour entrer dans
l’imaginaire alpin, nous devons continuer à proposer des travaux de
cette portée qui aient une incidence sur la cnstruction culturelle des
Alpes. Et nous ne devons pas faire cela qu’à un niveau culturel mais aussi
au niveau politique… […]. Tout le raisonnement qui est produit autour
de la construction de l’identité alpine ne nous voit pas comme
protagonistes. Nous sommes montagne et nous voulons rester dans ce
processus de construction identitaire, simplement parce que nous
sommes montagne. »
« Nous sommes autre chose. C’est une loi qui apparemment n’a rien à
voir : elle sit que chaque année, chaque acqueduc doit faire une série
d’analyses, et il y a une longue liste qui commence par l’acrylonitrile et
qui fini par le vanadium, de A à V, et dedans il y a les hydrocarbures
aromatiques polycycliques, les alogénates, les chloroalogénates et une
série de 100 paramètres environ, à chercher. La loi est la même pour
tous, mais ici il n’y a aps de vanadium,parce que nous n’avons d’industries
qui le produisent ou l’utilisent pour ensuite le rejeter, nous avons des
eaux de source. Il n’y a aps d’hydrocarbures, ni de chloroalogénates
parce qu’ils n’y a pas d’usines qui les utilisent, et s’il y en avait se serait en
fond de vallée et ça n’aurait pas d’influence sur les sources d’altitude.
Mais, en Europe, la loi est dimensionnée sur Düsseldorf, ou Berlin, ou
Zurigue ou Paris ou une autre ville et ensuite elle est catapultée à
Ligosullo [commune de 200 habitants, à 950 de haut, dans la Carnia] et
ceci est terrible parce que ça signifie que ceux de Ligosullo doivent
s’adapter aux paramètres de Düsseldorf, ce qui revient à suffoquer la
commune de Ligosullo, parce qu’une analyse de ce type coûte 1500
euros, tu dois la faire 10 fois par an, ce qui revient à 15 000 euros par an
et la commune de Ligosullo “saute”. Et ce n’est pas la seule loi qui ait été
faite de cette manière, la majeur partie suit ce critère : par exemple,
lorsqu’ils ont fait les lois sur l’hygiène alimentaire, ils n’ont pas dit dans la
plaine il y a certaines conditons et en montagne d’autres conditions,
quand ils ont fait le plan pour la localisation des industries ils n’ont pas
pensé qu’à Pannellia [zone industrielle de la plaine frioulaine] il y a la
place et à Comeglians [détroit dans une vallée de la Carnia] il n’y a pas
de place et donc nous devons prévoir des solutions différentes. C’est la
même chose pour l’agriculture, tout est dimensionné pour l’agriculture
de vallée où la production est calculée en milliers de quintaux de maïs,
de soja, etc. mais nous ne pouvons penser en milliers de quintaux et
rentrer dans une compétition quantitative avec la plaine. Nous sommes
autre chose, les Alpes sont un autre monde, et les lois europénnes
doivent être différentes pour la plaine et pour la montagne, deux
situations différentes, deux raisonnements différents ; le monde du
capital et des capitales ne peut pas vivre à la montagne.
Neutraliser des lois impropres. Je parle de notre travail d’hygiène
publique… nous avons fait de tout pour détruire tout ce qui n’était pas
en adéquation avec l’imaginaire urbain ou rural de plaine. Nous avons un
grand pouvoir, c’est-à-dire un petit pouvoir exercé en continu, donc à la
fin un grand pouvoir… si tu décides que le tabio de bois [le plan sur
lequel s’égoute le fromage] n’est pas hygiénique et il faut un tabio en
acier inoxidable, tu as déjà commis un petit homicide de la culture
traditionnelle, en plus sans une vraie raison, parce que le tabio en acier
s’il n’est pas nettoyé est anti-hygiénique tout comme celui en bois.…
nous ne prétendons plus rien, nous soignons la culture traditionnelle en
LAA > Paysages imaginés paysages construits
34
nous basant sur la donnée scientifique qui montre que ce qui est imposé
n’améliore rien. C’est une révolution en positif, petite mais en positif,
nous avons commencé à protéger les osterie ; personne ne prétend que
l’osteria de Comeglians est comme celle de via Condotti à Rome, ceci
parce que nous avons fait un raisonnement montagnard. »
« Tout cela est possible tout d’abord par ce que des convictions sont
réapparues, qui nous permettent de raisonner de cette manière, ensuite
il faut bien étudier les lois, et puis il faut se documenter sur la base
scientifique de ces lois et si une lois n’est pas supportée par une base
scientifique, et se présente comme une insolence, on l’interprète d’une
autre manière. Nous avons procédé de la sorte et n’avons jamais eu de
contestation, au contraire, de cette pièce et cet étage est parti un
mouvement national pour éliminer toutes « les lois de merde » qui
sortent… un exemple pratique : une loi régionale disait que si une
entreprise agricole est aussi agritourisme, elle ne peut pas abattre les
cochaons si elle n’a pas d’abattoir. Et bien, nous avons commencé à faire
comme les enfants qui demandent toujours pourquoi, pourquoi on ne
peut pas ? qu’elle est la différence entre les deux typoogies
d’entreprises ? quelle est la raison de l’interdiction et qu’est-ce-qu’elle
protège ? qui l’a décidé ? la santé du consommateur est vraiment mieux
protégée ? et on continue avec une série de questions jusqu’à ce qu’ils ne
soient plus en mesure de répondre et l’interdiction tombe par ellemême. »
« Croire en la montagne. Ici il y a eu une régression à partir du moment
où nous avons arrêté de vivre comme des montagnards, sérieusement ;
la chutte démographique et l’abandon, sont les conséquences du fait que
nous avons arrêté de croire dans les valeurs et dans les possibilités de la
montagne et que nous avons commencé à croire en d’autres choses et
valeurs qui étaient celles de la plaine et de la ville. Mais si tu veux rester
debout ici, tu dois continuer à croire dans les valeurs de la montagne, ce
qui veut dire que tu es conscient d’être à la montagne et que tu es à la
montagne avec les autres montagnards. »
« J’ai réussi à reconstruire le nombre de vaches qu’il y avait à Comeglians
au cours des 400 dernières années, ça se passait comme ça : pendant
350 ans les vaches de Comeglians sont environ au nombre de 600, en
1950-60 elles deviennent 200, en 1970 on en compte 80, en 2006 il y en
a 18. Le monde alpin a tenu jusqu’à 1960, l’élevage, parce qu’à la
montagne on fait de l’élevage et c’est une connerie de dire qu’on y fait
de l’agriculture, il a tenu, puis il s’est écroulé. Evidememnt il s’est écroulé
parce qu’il semble qu’aller dans l’étable, traire, faucher, ne pas avoir un
jour de repos etc, sont des choses qui ne valent plus le coût, quelqu’un
t’a dit, mais pourquoi tu vas faucher, le foin que tu fais en 10 jours, tu
peux le faire en 1 ehure dans la plaine ? ils t’ont convaincu que de faire le
paysan n’était pas beau, mais l’idée que faire le paysan n’est pas beau,
n’est pas passée en Haut Adige et les paysans sont encore les patrons du
village et ici au cntraire ils sont les derniers du village, ces quatre qui
sont restés paysans ont de toutes les façons l’idée qu’ils se fatiguent plus.
C’est vrai que ça vaut aussi pour les villages de la plaine, mais avec une
différence : le système économique du monde paysan est substituable en
plaine par un autre système économique […] par contre à la montagne
ce n’est pas le cas. C’est ça le problème… »
« Il n’y a pas un système alternatif à ceui qui a été détruit dans les Alpes.
D’autre part, si tu penses aux toursites qui veulent une Alpe vécue
comme une Alpe bien fauchée, bien entretenue et régulée où tu trouves
les produits typiques comme le speck et le fromage, et donc pourquoi
les toursites devraient-ils venir dans une zone comme celle-ci ? elle n’est
plus régulée et vécue et donc la dégradation est totale, même du point
de vue hydrogéologique. »
« Imaginaires en conflit. En revenant sur l’imaginaire alpin, nous sentons
la nécessité d’être reconnus et inclus dans la construction de cet
LAA > Paysages imaginés paysages construits
35
imaginaire parce que l’alternative est d’être inclus dans un autre
imaginaire qui est celui de la ville, donc soit on commence à croire et à
valoriser la vie en montagne pour ce qu’elle est, soit tu grandis avec
l’image de la ville et le désir d’y aller. D’où nait cet imaginaire si ce n’est
d’une image distante de la vie en ville, qui pour ceux qui y ont vécu se
révèle une merde, ni plus ni moins que la vie qu’ona ici… »
« Les APT mettent la montagne au service de la plaine, la montagne est
considérée comme le repos du guerrier ou du citadiin qui monte
seulement pour se reposer, et dans cette logique, la montagne ne doit
pas produire, donc on ne doit pas voir les carrières, on ne doit pas
déranger le paysage et les montagnards doivent être les domestiques de
la plaine. Par exemple,, le musée de Tolmezzo n’arrive pas à travailler
avec l’APT, parce que l’APT ne veut que des choses qui servent à l’APT,
nous n’arrivons pas à nous faire sponsoriser un colloque scientifique
parce qu’ils veulent du folklore, ils veulent les elfes, les petits nains et
toutes ces conneries qui servent à construire une bonne image pour les
citadins qui viennent la chercher ici, et c’est ça la folie. »
Je reste ici
Extrait d’entretien avec G.M., habitant de San Volfango, Frioul, Italie.
« …alors, juste pour dire quelque chose, ça m’est arrivé une fois de
parler avec des gens qui étaient venus pour quelques jours, une semaine,
une vacance on va dire. Ils habitaient en ville, habitués à la confusion, à la
circulation, à beaucoup de bruits. Et les jours suivants l’arrivée, un d’eux
avait mal à la tête, pourquoi ? Parce qu’il est habitué à beaucoup de
confusion, comme si moi je vais en ville où il y a beaucoup de confusion,
je vais avoir mal à la tête. Lui il a eu mal pour la raison opposée, parce
qu’il y a trop de tranquillité..et, vivre ici, vivre ici c’est beau, comme j’ai
déjà dit, pour quelqu’un qui aime..c’est un peu, disons..ce n’est pas que
ce soit difficile parce que de nos jours on à le confort, et chacun peut se
le créer tout seul. Avant c’était dur, c’était difficile parce qu’il fallait
descendre dans la vallée pour aller chercher quoi que ce soit.
Aujourd’hui on a la route qui passe devant chez nous, et même si par
exemple la maison se trouve à cent mètres, de la rue principale, on va
dire, que tout le problème n’est pas là…non, je suis désolé, moi je reste
ici. Je ne sais pas…Il y a quelque chose qui m’attache à cet endroit.
Même s’ils voulaient me donner une maison comme celle-ci à côté de la
ville, en bas dans la plaine, non.
Je reste ici. Je ne sais pas…il y a quelque chose qui me lie à cet endroit,
je ne sais pas pourquoi…une chose que, en y pensant, plusieurs fois,
mais si je vais vivre là en bas j’aurais plein de conforts, ainsi..Non, je n’ai
pas confiance, il y a quelque chose qui me tient attaché ici, à mes lieux..je
ne parle pas tellement de la maison, mais plutôt de l’environnement en
général, à tout… tout l’ensemble. »
Vivre dans une carte postale
Extrait d’entretien avec E.V., habitant et chercheur, Innsbruck, Autriche
« Pour moi les Alpes, c’est le centre de ma vie, de la vie de ma famille.
Pour moi les Alpes sont un petit paradis. J’ai vu beaucoup d’endroits
dans le monde, mais le fait de vivre au Tyrol c’est, c’est une grande
chance, c’est comme gagner au loto, c’est super, c’est le paradis, c’est
comme une carte postale ; c’est comme vivre une carte postale, comme
un petit paradis. C’est comme ça. Il n’y a pas beaucoup d’endroits au
monde comme les Alpes. C’est un paradis que nous devons conserver.
Nous ici, on cherche au moins un peu à le conserver pour que la vie
dans les Alpes soit possible…[…]…[à l’intérieur de cette carte postale]
il y a beaucoup de nature, la nature qui est incomparable, unique, c’est
une nature unique, et ce n’est pas seulement la nature, mais la
LAA > Paysages imaginés paysages construits
36
coprésence entre les habitants et cette nature. Et le Tyrolien, le vrai
Tyrolien, c’est quelqu’un qui a beaucoup le sens de cette nature, pour lui
la nature c’est beaucoup et la majorité des Tyroliens ne part pas, et
quand ils partent, ils reviennent plus tard pour travailler et vivre ici. C’est
un lien très fort…»
rap frioulan
Dek ill cheesa, Vilegjant, Rap par Cjargnel, Musiche Furlane, 2006
(A. De Candido, F. Romanin)
Vacancier, moi je t’en veux pas,
Seulement parce que tu me fais chier,
Ou parce que tu es étranger
Moi je t’en veux parce que
Tu viens, tu utilises et tu salis
Et tu te plains de ce qu’il n’y a pas
Je n’ai pas envie de tout généraliser
Mais il est sûr que la situation a quelque chose qui ne marche pas
Ici, est privilégié
Celui qui arrive et ne reste que pendant trois, quatre ou
Cinq jours par an
Tu aimes avoir le lait frais de bonne heure
Mais t’appelles les flics si une vache mugit
Tu aimes avoir les œufs frais le matin
Mais le bruit de la poule te dérange
Alors t’écris une lettre au maire et une au journal
Parce qu’ici on ne peut pas rester
Il y a plus de bordel qu’en ville
Les vaches ne pourront plus mugir
Les poules ne pourront plus couver
Si avant cela tu n’es pas arrivé
Et avec calme tu t’es reposé
Les oiseaux ne pourront plus chanter
Les hommes ne pourront plus respirer
Si avant cela tu n’es pas arrivé et avec calme tu t’es garé.
L’amèr du monde
Extrait d’entretien avec D.S., habitante dans la Carnia, Frioul, Italie
« Ici on est bien, tous ceux qui viennent ici me disent « ne vas pas à
Socchieve pour l’amour de dieux, tu es si bien ici en haut » . C’est vrai,
l’air est bon… peut-être seulement quand j’ai le rhume, pour le reste je
vais bien..j’ai quelques douleurs, je boite parce que j’ai mal à un genoux,
je dois marcher avec la canne, mais pour le reste.. Eeh ! je n’ai pas de
problèmes à rester toute seule…non, non, non…ça fait déjà onze ans
que je suis ici en haut ! ça fait à partir de 81, même plus, que je suis ici…
Avant on avait pas de courant électrique, maintenant on a la lumière et
ils ont amenés le courant, on est riches par rapport à avant…
Avant il fallait aller avec la lanterne, tu sais ça,
Eh maintenant on a la trayeuse et on a fait toutes les installations.
L’été prochain tu reviens ?
Eeh ! Cet hiver si je tombe malade, je descends, sinon je reste ici
LAA > Paysages imaginés paysages construits
37
Et en bas tu amènes aussi les bêtes ?
Eh oui ! Maintenant ils ont fait une autre partie de l’étable et quand elles
ont terminé de paître, cet automne elles descendent. Si c’est possible on
leur fait faire les veaux ici, on nourrit les veaux ici en haut et après ils
descendent.
Dans le temps ; il y a quelques années, c’était un plaisir d’avoir les bêtes
parce que le lait, ils le payaient bien, maintenant tu ne gagnes même pas
assez pour payer ce que les vaches mangent, et donc.. il n’y a pas de
circuit, il n’y a pas de commerce de fromage, il vient depuis dehors. Eh !
ils amènent le lait de l’Allemagne..
Ils amènent le lait de la Roumanie, de la Jugoslavie , et ainsi de suite..à un
prix qui ne vaut rien, à eux ça les arrange car le prendre ici ça coûte
cher et ça ne va pas ! Tout le monde est allé en ville, ici les gens me
disent que les villes sont pleines de monde, ce n’est pas vrai ? Aussi làbas chez vous ? là-bas chez vous les gens ne s’échappent pas. Dans le
temps ici on avait pas de routes et maintenant que les personnes se sont
échappées ils construisent des routes. Qui-est-ce qui revient se faire une
maison maintenant ? Il n’y pas de monde, ils ne font pas de maisons. A
nous ici ils nous disent faites un hôtel, du tourisme, mais..tu ne vois pas
qu’ils ne te donnent rien ! Aux riches.. ils donnent tout et à ceux qui
travaillent ils ne donnent rien, c’est ça le mal, l’amère du monde »
Le monde est fait ainsi
Extrait d’entretien avec D.S., habitante dans la Carnia, Frioul, Italie
« Eeh ! En été, surtout s’ils savent qu’il y a du tourisme qui tourne, il
viennent, oui, ils vont partout ! Tu ne vois pas qu’ils vont là en haut
partout dans les montagnes, et ils ont fait des chalets et d’autres choses
un peu partout.. A eux ils leur donnent de l’argent, à nous pour réparer
l’étable par contre rien… et donc ? Qu’est ce que tu veux dire ?..ici on
est pauvres et c’est tout.
Que viennent-ils faire ceux de la ville ici à la montagne ?
Eeh ! Tourner pour le plaisir de faire des tours, le goût d’aller ici et là,
n’il y a pas d’autres questions, seulement le goût de faire des tours
Ils s’arrêtent ici ?
Eeh ! Pour quoi faire ? Une heure, une demi-heure, et après ils
recommencent à y aller. Tu veux qu’ils s’arrêtent pour faire quoi ?
Pour parler avec toi
Eeh ! Pour parler avec moi ? Moi je me suis arrêtée parler avec toi par
politesse, parce que ça ne vaut pas la peine.
Pourquoi ça ne vaut pas la peine ?
Ça ne vaut pas la peine parce que, comme je te l’ai dit avant ; il n’y a rien
à en tirer. Rien ! le monde est fait comme ça ; il y ceux qui descendent et
ceux qui montent… comme on disait autrefois. »
États d’âme
Extraits d’une sére d’entretiens réalisés par le sociologue Christian
Arnoldi avec des jeunes entre 17 et 32 ans, dans des macrocommunautés appartenant au territoire des vallées alpines du Trentin,
chacune d’entre elle étant caractérisée par un degré différent de
« modernisation » : une est spécialisée dans l’agriculture ; deux par le
tourisme estival et hivernal ; une à dominante industrielle mais avec une
tradition de tourisme estival. L’enquête a été menée pour vérifier les
consommations , les attitudes, les connaissances de l’alcool, intéresse
notre recherche dans la mesure où l’auteur montre le rôle que le
paysage joue dans la définition du contexte dans lequel se manifestent et
évoluent les dynamiques sociales. Une des premières préoccupations de
la recherche est de comprendre comment les personnes interviewées
LAA > Paysages imaginés paysages construits
38
perçoivent leur monde et comment celui-ci se reflète directement ou
indirectement dans leur quotidienneté. La recherche arrive à fournir
synthétiquement un cadre qui bien que non généralisable à l’ensemble de
l’arc alpin, décrit bien dans ses caractéristiques principales un « état
d’âme » que l’on retrouve également dans d’autres zones des Alpes.
Des comportements et des attitudes émergent de cette recherche, et
qui d’un point de vue anthropologique peuvent être assimilés à un
caractère spécifique de la zone examinée, une valeur traditionnelle,
presque un tabou, définie comme « respet », c’est-a-dire « une sorte de
discrétion, de prudence, ou de crainte d’invasion de l’espace de l’autre
(physique ou intime), une pudeur ses propres sentiments et de sa propre
histoire », originairement lié à des raisons structurelles comme la
carence de ressources.
1.
la répétitivité des choses […] il y a des personnes qui se plaignent
et qui partent, elles sont arrivées à un point où tout se répète de façon
tellement identique… et ça c’est un autre élément qui provoque la
mélancolie, c’est-à-dire la répétitivité des choses, voir toujours les
mêmes personnes… en ville c’est différent, c’est cette mélancolie qui te
pousse à chercher quelque chose.
La répétitivité des choses me donnait des psychoses, ça me donnait un
sens d’irréalité des choses, … on ne peut continuer en voyant toujours
le même film… en le revoyant.
Le temps arrêté. Ici tes habitudes se répètent… si tu es une
personnes qui se contente de ce qu’elle a, et s’habitue à un certain style
et à une certaine routine, le confort fait que tu ne sois pas pousser à
chercher quelque chose de nouveau… le fait que certains aillent
toujours au terrain de jeu dans le froid… je ne sais pas, ils pourraient par
exemple penser d’allumer un petit feu… mais non, c’est normal comme
ça…. Même la tête est comme bloquée, personne ne dit : « qu’est-cequ’il fait froid, nous allons allumer quelque chose… non c’est plutôt :
« allume une autre cigarette, passe moi la bouteille ».
Un film vu et revu. Moi je suis parti d’ici pour interrompre ce cycle
qui se répétait dans mon esprit, ce film que j’avais vu et revu, avec des
petites modifications… j’avais la nécessité de l’amplifier. Peu de gens
abandonneraient ça pour chercher quelque chose qu’ils ne connaissent
pas […]. De nombreuses personnes, même différentes, sentent une
certaine répétitivité… la mélancolie, la dépression ou quelque chose de
ce genre … un certain mécontentement….
L’intermittence existentielle
Les vagues de tourisme donnent peut-être l’impression que le temps
repart…Le tourisme d’un côté c’est ce qui donne un peu de vie aux
endroits, de l’autre c’est ce qui en enlève…
Quand les touristes sont là on a aussi beaucoup d’attractions, des bars,
des initiatives, en automne et au printemps par contre non… Si le
tourisme te donne beaucoup..il est évident que quand le tourisme n’est
pas là tu tombes au fond d’un gouffre…ce qu’il te donne en plus après il
te l’enlève…c’est une sorte de couteau à double tranchant […] Je pense
que s’ils faisaient une enquête sur les suicides, chose que probablement
ils ont déjà faite, les périodes dans lesquelles il y en a plus, ce sont celles
de basse saison...
L’automne c’est la période la plus morte, il n’y pas un être humain, il n’y
a rien à part le bar habituel…
2.
la réitération du modèle transmis. … je te dit cette chose en
tant que fille de personnes qui ont eu un bar et qui par conséquent a
toujours vu depuis le comptoir ce qui se passait le samedi et le
dimanche…. Les habitudes des gens n’ont pas beaucoup changées, chez
ceux qui travaillaient ici et qui n’ont donc pas eu de grandes
LAA > Paysages imaginés paysages construits
39
confrontations avec l’extérieure, qui n’ont pas fréquenté les écoles, ce
sont des jeunes qui travaillant beaucoup et dont le seul moment de
socialisation est vécu au bar, à sept heure du soir, après avoir bossé et
avoir vécu matériellement la fatigue et ils se défoulent en buvant, deux,
trois, quatre, cinq bières, en disant leurs beaux blasphèmes et en
reproduisant des modèles et des lieux communs qui n’ont absolument
pas changé dans le temps… il y a un socle qu maintient un statu quo…
et ça vaut aussi pour les plus jeunes.
Il y a une chose que j’ai remarquée, c’est d’avoir vu des jeunes gens, de
quatre ou cinq ans de moins que moi… dans quand j’étais adolescente
ou femme, je les voyait encore comme des enfants, et maintenant ce
sont des hommes qui ont 23 ou 24 ans. D’enfants graciles et fragiles ils
sont devenus des hommes qui répliquent le même modèle, même
gestuel, de ceux qui ont peut-être vingt ans de plus qu’eux… ils rentrent
tout de suite dans le modèle qui est représenté, il n’y a pas de
différence…
La quotidienneté. La fréquentation de ces endroits est absolument
transversale, il y a le maçon et le comptable, jusqu’au paysan qui vient
depuis 25 ans pour boire un café … toujours le même depuis une vie, et
la briscola [jeu de cartes] à une heure et demie… le temps est cadencé
dans un bar, tu sais que T.C. arrives à deux heures moins le quart, qu’il
est mécanicien, et il se boit la China chaude, ils se mettent à jouer
toujours sur cette même table, tu leur donne le cendrier pour les
mégots et ils les jettent parterre…
L’intermittence des modèles. Il y a un autre problème évident, les étapes
accélérées du développement sont claires ici… le fait d’avoir réussi à
sortir de ce sentiment de souffrance économique et de pauvreté pour
rentrer dans un état de richesse diffuse qui se confrontent avec des
modèles exterieurs qui sont peu… que le touriste vient ici, reste ici,
boit, s’amuse, et puis il s’en va et toi tu restes ici avec ces informations
que tu as captées et tu essaies par imitation… ou tu cultives
l’imaginaire… c’est un aspect que cette génération commencera peutêtre à métaboliser…
Le bar et le hasard. Maintenant j’ai 30 ans, je suis retournée à la vallée
avec une sérénité de fond bien plus marquée qu’il y a 15 ans, de toutes
les façons tu dois chercher la socialité… ce n’est ps donné, pas du
tout… j’habite ici, j’ai un compagnon et je cohabite, aje fais avec lui des
choses et je fais aussi des choses avec d’autres personnes, mais c’est très
fatigant… je suis ici depuis un an et demi, mais il est très difficile de
recevoir un coup de fil de quelqu’un qui ne soit pas P. ou L. et qu’on
t’invite dîner… je me demande ce qu’ils font… il y a une paresse… et
donc le seul moyen pour se voir est le bar… le bar et tous les hasards
qui arrives au bar… « j’ai u un fils », « on fête les matchs de l’Inter »…
chaque excuse est bonne… c’est là qu’il y a toutes les discussions, tous
les échanges mêmes culturels…
N’envahi pas l’espace de l’autre. Ici il y a peu d’occasions de
socialité, tu dois les chercher… elles n’arrivent pas, et quand elles
arrivent c’est parce qu’il y a urgence… c’est rare qu’il y ait une socialité
cordiale, par envie ou pour le plaisir d’être ensemble… on perd un peu
cet entraînement, tu es dans ton environnement « je mange chez moi,
pourquoi devrais-je venir manger chez toi ? » puis il y a le concept du
« respet », le fait de craindre l’autre… le fait d’avoir peur d’envahir
l’espace de l’autre… ça vaut dans de nombreux contextes, ça vaut aussi
par exemple par le fait que je ne te dis pas ce que je pense réellement,
pourquoi dois-je te raconter quelque chose de moi ? quelle importance
ça a ? pourquoi dois-je m’exposer ?… et puis je ne dois pas te
déranger… tout ce qui n’est pas nécessaire n’est pas bien vu… […] Le
« respet » est une crainte qui dans une balance entre recevoir et ne pas
recevoir est poussée du côté de ne pas recevoir… je me tiens à
l’écart… je préfère ne rien te demander, parce que te demander quelque
LAA > Paysages imaginés paysages construits
40
chose revient à envahier ta personne… donc tu crée des peurs
infondées, des rigidités que je vois aussi chez les enfants… ils ne sont pas
habitués à exposer ce qu’ils pensent…
[entretien]
3.
Ne pas parler des problèmes personnels. Nous parlions l’autre
jour avec mes conscrits … quatre de mes conscrits de la vallée sont
morts : deux e sont suicidés et deux ont eu une maladie grave. Je
connaissais très bien un des deux suicidés, ils l’ont trouvé pendu… il n’a
rien dit à personne. C’était un type très intelligent, on avait fait le collège
ensemble, on était les deux bucheurs de la classe, il était toujours très
timide, on s’attendais à ce qu’il s’incrive, minimum en étude d’ingénieur
et au lieu de ça, il a fait trois ans d’école technique et ensuite il a fait le
menuisier…et puis, tout d’un coup…
Il n’a pas eu de chance avec les filles, quand il avait 22 ans il s’était mis
avec une fille de 17, elle avait essayé avec moi aussi, mais ça n’avait pas
marché… et puis ils l’ont trouvé dans la douche…
Même l’autre, qui avait le même âge que moi, il s’est pendu dans le parc
de C., parce qu’il avait des problèmes économiques, c’est ce qu’on dit, et
ils l’ont trouvé attaché à une branche… il faisait le boucher, il était fier et
sûr de lui, c’est ce qu’on croyait… puis je sais pas… beaucoup tentent le
suicide, même V., mon amie, ils ne parlent pas beaucoup de leurs
problèmes personnels. Avec moi par exemple, il n’a jamais parlé avec
persone, même pas avec son meilleur ami… c’était un type un peu
étrange… même s’il était réglo, il avait sa famille, une sœur…
[intervista 9]
5.1
Pastore Giordano
Entretien avec Giordano Custode, vieux berger, qui habite toute l’année
à 1200m d’altitude dans un village presque abandonné dans la Valle Stura
(Piémont).
Le berger Giordano décrit à travers sa vie, sans nostalgie, les
transformations vécues par une partie du territoire alpin de 1950 à
aujourd’hui. Dans tout son récit il est bien conscient que l’effet d’être
resté à habiter dans ce village, désormais presque désert, ne ressort pas
d’un choix individuel mais d’une « imposition » familiale. Dans sa voix et
dans sa quotidienneté totalement dédiée à son petit troupeau de
moutons, ressort l’archaïsme dénué de toute rhétorique de paysage alpin
désormais marginal.
Derrière le paysage
« Toi tu ne le comprends pas qu’ici, la vie à rester, seul est dure. Dans
mon souvenir, trois familles habitaient là en hiver, et trois là-bas. Et
quatre habitaient ici. Et ils sont tous partis. Et moi pour écouter mon
père qui m’a dit qu’il voulait partir, il n’était pas ici, il avait fait fortune, de
ne pas souffrir comme j’ai souffert, et alors mon père m’a dit que ça
c’était le respect qu’ils m’avaient élevé, de l’abandonner. »
Euthanasie pastorale
« Soixante-dix et plus ans. Moi j’ai soixante-dix ans.. je suis déjà dans les
soixante-douze ans, tu sais.. la classe c’est le ’33, le 21 décembre j’ai
quitté les soixante et onze et j’ai pris les soixante-douze, ehh… voilà
tout. C’est un peu dur. Ça va être le dernier hiver parce que j’ai encore
dix moutons. Vous connaissez les moutons ? Pas les chèvres, les
moutons ! L’été je les tues dehors et puis l’automne je me retire en bas
au village parce que ça prend mal…Je suis seul, eh ?Je dois rester la-bas,
LAA > Paysages imaginés paysages construits
41
cadavre, et avant qu’ils se rendent compte, si jamais passe une semaine.
C’est pour cela que je fais encore mourir les bêtes dans l’étable dans la
période d’hiver. Et comme ça pour enlever toutes les raisons je les tue,
et après je descends en bas. Et si ce printemps j’ai encore envie de
monter à faire quelque chose parce que las bas j’ai la terre… »
La chanson de Feliciano
« Et moi au contraire je suis ici sur la colline, comme disait Feliciano
celui qui chantait. Eh mais vous…Feliciano ? Tu te rappelles? Tu n’en a
jamais entendu parler ? Il avait chanté une chanson qui disait « mon cher
village, toi qui est sur la colline, allongé comme un viel endormi. Mon
cher village je te quitte, et je m’en vais » et après disait le truc derrière
« qu’est ce que ça va être, qu’est ce que ça va être, qu’est ce que ça va
être de ma vie, qui le sait » puis il est revenu la dernière, donc il disait
« mes amis » lui c’était un… tu sais qu’il a parlé de musique ? Et il
chantait seulement parce qu’il avait étudié avec un professeur qui nous
faisait école – « mes amis, ils sont presque tous partis, dommage, si
j’étais en leur compagnie » Pour dire qu’il ne pouvait pas aller en
compagnie avec ses amis. Alors, et après elle est revenue « mon cher
village, je pars, je m’en vais, qu’est ce que ça va être, qu’est ce que ça va
être, qu’est ce que ça va être de ma vie, qui le sait, qu’est ce que ça va
être, à partir demain ; on verra. […] C’est pour ça, eh, moi j’habite sur la
colline. Je suis comme ce monsieur-là ; tu sais, allongé. « mon cher
village, toi qui est sur la colline, allongé comme un … allongé comme
un… pour dire endormi… je ne sais pas s’il disait « comme un homme
endormi», je ne me rappelle plus. Peut-être il disait « comme un mort
endormi », mah, en même temps il vous parlait comme ça . »
5.2
Controverses Alpines
Bien que le terme «controverse» est souvent utilisé dans le sens d'une
vive polémique, il est employé ici dans le sens plus restreint d’un débat
qui a pour objet quelque chose qui n’est pas encore clos. Nous parlons
ici de la controverse qui s’est ouverte en Italie lors du projet de
construction d’un nouveau lien ferroviaire rapide entre Lyon et Turin, à
travers la vallée de Susa (l’Alpetunnel du Fréjus, inscrit dans un plus
ample projet européen de réalisation du Couloir 5 qui doit relier
Lisbonne à Kiev). On trouve ici de nombreux thèmes qui renvoient aux
Alpes comme véritable laboratoire expérimental de comment peut
évoluer notre rapport au paysage, en termes de pratiques sociales,
institutionnelles, géographiques. Il y a un entrelacement d’échelles
(locale, régionale, nationale et continentale) inscrit dans des dynamiques
plus globales. Il y a la perdurable réciproque difficulté de communication
entre ville et montagne. Il y a le refus actif de la part des communautés
locales, investies par ce type de projet, d’accepter des décisions
politiques prises loin des lieux qui en subiront ensuite les effets. Il y a
encore, l’effet d’amplification médiatique de vieux stéréotypes qui
déterminent deux mondes bien distincts et en opposition entre eux : les
localistes (les gens de montagne, conservateurs, anachronique et
antimoderniste) et les globalisateurs (les gens des villes, producteurs de
progrès et en phase avec leur époque). Il y a enfin, la re-proposition de la
« lutte contre la distance, vue comme économie d’effort et de temps »
(Dardel), avec ses paysages, qui depuis le XIXème siècle est une des
préoccupations de notre civilisation.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
42
5.3
Panoramas identitaires
Le Riesenrundgemälde (Innsbruck, Autriche) est une enorme peinture
panoramique réalisée à la fin du XIXe et dediée à la lutte de libération
tyrolienne de 1809. Il est un diorama circulaire qui pose le spectateur
comme s’il était sur la même colline depuis laquelle le héros, Andreas
Hofer, a conduit la bataille. On le sait, les sociétés n’ont jamais arrêté
d’utiliser le paysage comme vecteur de sens ou mieux de territorialités.,
Que nous raconte, des changements réels du paysage, la persistance d’un
certain type de représentation figée dans le temps ? Quel espace y-a-t-il
pour que « de nouvelles images se forment sur d’autres registres
ideologiques et symboliques » (Reichler) ?
« On regarde les paysages comme s’ils étaient objectifs. On les mythifie.
Et ce sont eux, ensuite, qui nous gardent » écrit avec beaucoup de
finesse le géographe Jean-Luc Piveteau […]. « Comme en surimpression
à ce niveau profond que le temps use difficilement, une série d’images se
conjugue à temps et à contretemps. » (François Walter)
Rundgemelde
Traduction de la description de la peinture faite par le Musée
« Mesdames, Messieurs,
Nous voici sur le Bergisel, à côté du tremplin des jeux olympiques pour
mieux observer le tableau rond. Vous ne savez sûrement pas que sur le
Bergisel ont lieu les compétitions olympiques. L’auteur de ce tableau
rond est maître Zeno Diemer de Munich. Il a commencé le travail à la fin
de 1895 et en le terminant environ six mois après, c’est-à-dire le 13 juin
1896. Le tableau fait 1000 m2. Il représente la bataille de Bergisel. Nous
sommes en 1809, le 13 août. Napoléon a soumis la moitié de l’Europe,
ses troupes sont postées sur le sol tyrolien avec les alliés bavarois. Les
paysans tyroliens, alors, surgissent pour défendre leur liberté, leur plus
grande valeur. Ils accourent de tous les villages, de toutes les vallées,
pour aller à Innsbruck et pour participer à la bataille décisive.
Leur chef est Andreas Hofer, dit Sandwirt, hôte dans un village en val
Passiria, en Sudtirol. A côté de lui il y a le major des Schützen,
Speckbacher et le père capucin Haspinger, tout les deux combattants
dans la lutte. Ca c’est le fond historique.
La chaîne devant eux, au nord de la ville, est la Nordkette. A l’occident
on voit la Martinswand, une paroi verticale qui tombe à pic. La dent en
haut sur la chaîne est la mythique Frau Hitt, dénomination dérivante
d’une ancienne légende. En regardant vers la droite, en longeant la chaîne
des montagnes, on voit la crête Hafelekar aujourd’hui accessible avec un
téléphérique.
Partout les “masi” en flammes. Fumée et brouillard tombe sur la vallée
de l’Inn. Dans la plaine, on voit les peupliers de la Kranebitterallee. De là
avance l’infanterie bavaroise. A côté de l’Inn, le long de la rive du fleuve
est en effet basée la principale position des bavarois.
Là, devant on voit l’artillerie française, douze unités, qui prennent
férocement sous leurs tirs le Bergisel. Ici dans la vallée, on voit la
paroissial de Wilten avec le cloître à côté, siège du conseil de guerre
tenu par le général français Lefebvre. Au fond, la ville d’Innsbruck dans
son extension de l'époque, le portail d’entrée au sud de la ville, l’Arc de
triomphe est bien visible.
Maintenant on tourne le regard à droite, vers l’est. En premier plan voilà
la ligne des Schützen tyroliens, assujettissant sur le fond de la vallée, près
du pont sur le Sill, avance le major Speckbacher avec une partie des
Schützen de la val Pusteria, de la val Sarentina et de la val d’Isarco,
repoussent les bavarois. Près d’une masure sur le coteau voyons un
groupe de Saxons prisonniers en attente de leur destin.
La scène à côté de l’enclos, où on voit Andreas Hofer, démontre :
chaque tyrolien, jeune et ancien, est impliqué dans la lutte pour la liberté.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
43
Voilà Andreas Hofer, le comandant. Sa haute taille, et son calme
impressionnant donnent courage à son entourage. Même sous le feu, un
schützen de Hofer n’abandonne pas le drapeau tyrolien. Les officiers
autrichiens se consultent avec Andreas Hofer. Notre regard va
maintenant vers le chemin haut du Bergisel. Ici nous sommes témoin
d’un corps à corps entre bavarois et français d’un coté et de l’autre des
tyroliens en assaut, guidés par le père Haspinger. Et nous sommes
revenus au point de départ.
Le soleil est doux au coucher et lance ses derniers rayons sur la vallée
de l’Inn, en illuminant la bataille du Bergisel qui représente pour nous un
monument à la liberté de notre peuple dans son histoire. »
5.4
Mein Berg, unsere Berg
Exemple d’une montagne-mine de fer (Erzberg, Styria, Autriche), en
forme de ziggurat, incorporée comme icône identitaire dans l’histoire
collective autrichienne et individuelle des habitants et qui pendant plus
de six siècles a régi l’économie locale et de l’ancien empire austrohongrois. Depuis quinze ans, les villageois savent que leur futur ne
pourra plus dépendre de l’activité minière et ils s’interrogent sur l’avenir
de ce qu’ils appellent « mein Berg, unsere Berg » (ma montagne, notre
montagne). L’intensité de la dépendance vitale qui a lié, surtout dans le
passé, les habitants de la région à l’Erzberg apparaît évidente à travers
une autre manière d’appeler la montagne : « steirische Brotlaib » (la
miche styrienne).
Il est intéressant de suivre les discours et les stratégies de réinvention
d’Erzberg, de lieu de travail à paysage de tourisme post-industriel,
adoptés par l’industrie touristique locale et nationale. La mine devient
par son gigantisme tant décor pour un tour dans « le taxi le plus grand
du monde » [extrait présenté], que lieu d’événements sportifs et de
concerts, et enfin par sa forme, spectacle et monument avec des jeux de
sons et lumières…
« Le paysage dans lequel nous nous trouvons est un paysage
montueux à l’intérieur duquel se trouve l’Erzberg. L’Erzberg n’a
pas formé que le paysage, mais aussi les gens qui y habitent.
Dans le passé, il y avait ls mineurs qui ont extrait les minéraux
métalliques ou les manœuvres qui ont exécuté le traitement des
minéraux avec la source d’énergie adéquate. Et cette source
était le charbon de bois. Depuis toujours, des mineurs ont
habité le village, on doit les imaginer comme des voyageurs.
Jusqu’à ce qu’on ait besoin de minéraux métalliques, jusqu’à
qu’il y ait de la demande sur le marché pour des minéraux, il y
avait une forte densité de population. Quand la demande de fer
a diminué, les gens se sont déplacés ailleurs. » (Entretien avec
F.K., Eisenerz, Autriche)
Le plus grand taxi du monde
« … et maintenant on voit une belle vue panoramique sur Eisenerz, ville
de montagne. Si le brouillard partait, on pourrait voir aussi les tours
jumelles d’Eisenerz : le Stadelstein, 2070 mètres de haut, et le
Schwarzenstein environs 1900 mètres de haut. On voit trois chaînes de
montagnes, le massif du Hochschwab, puis les Alpes de la vallée du fleuve
Enn, et ici les Alpes de Eisenerz. Lorsqu’on s’arrête à notre point de
stationnement, vous pouvez profiter de la vue, prendre des photos, vous
lever, mais je vous en prie, pas tous en même temps… sur la plateforme
il n’y a de place que pour 6-8 personnes au maximum. Ici vous pouvez
voir des tas de gravier, restes de cette installation de préparation
minérale, qui sont utilisés pour la construction de rues… ainsi celui-ci
est appelé le cirque, utilisé pour les concerts en plein air de groupes tels
que les Bloodhound-Gang, les Zillertaler Schürzenjäger, les Fantastische Vier,
et plein d’autres groupes… »
LAA > Paysages imaginés paysages construits
44
6
Urbanité alpine
Pourquoi parler d’urbanité alpine ? Cet oxymore recouvre ici deux
aspects : d’une part les modes de vie des alpins ressemblent, à travers de
nombreux indicateurs, à ceux des habitants métropolitains, et d’autres
part les imaginaires qui façonnent la transformation matérielle des
paysages Alpins sont largement produits en milieu urbain. Il est d’autant
plus important aujourd’hui d’adopter ce point de vue dans la mesure où
un tabou semble occulter, dans l’appréhension et l’approche des Alpes,
le fait qu’elles se sont aussi construites, dans la période récente, contre,
par et pour la ville. Ceci ne fait pas des Alpes un espace exclusivement
urbain. En revanche l’application de catégories urbaines pour la
compréhension contemporaine des Alpes semble s’imposer comme une
nécessité si ce n’est pour le fait que la plupart des habitants des Alpes
vivent dans des systèmes urbains et que la grande majorité des visiteurs
temporaires proviennent des villes.
La Suisse. Portrait urbain, tout comme TyrolCity, posent d’emblée, parmi
d’autres recherches et propositions, la question du nécessaire
changement des catégories d’analyse et d’interprétation des réalités
contemporaines des espaces alpins. Cette facette de la réalité alpine est
explorée à travers l’utilisation d’indicateurs socio-économiques et
urbains qui permettent de montrer des similitudes, bien que dans une
géographie différemment contrainte, avec les systèmes urbains
appréhendables dans d’autres circonstances. Ces explorations
présentent également l’intérêt de travailler à de nouvelles
représentations du monde alpin, allant jusqu’à utiliser un vocabulaire
discursif et figuratif qu’on n’emploie habituellement pas pour décrire la
montagne. Il en est ainsi des typologies élaborées dans La Suisse. Portrait
urbain ou encore des représentations du réseau ferrée et funiculaire tel
un plan de métro comme proposé dans TyrolCity.
Outre ces approches, nous avons choisi de réunir des exemples
emblématiques de comment la montagne est devenu un lieu façonné par
des transformations et des pratiques urbaines. On trouve les mêmes
phénomènes de démolition des grands ensembles pour reconstruire des
« architectures alpines » ou encore on réinvente le « village » pour un
tourisme international. Les manifestations globales comme le sommet de
Davos, développent les mêmes dispositifs sécuritaires spatiaux que ceux
mis en place dans n’importe quelle ville du monde. Ou encore la
spectacularisation de la montagne à travers des dispoisitfs
scénographiques qui exploitent et en même temps applatissent les
singularités spatiales de la montagne comme c’est le cas pour le spectacle
Hannibal à Sölden (Autriche).
Comment ce détour par l’urbanité alpine peut-il nous pemettre de
mieux identifier et appréhender les singularités alpines ? qu’est-ce-que ce
paysage imaginé comme une altérité, depuis le XVIIIème, au sens
anthropologique, nous dit-t-il en réalité de nous-même ? comment
l’émergence d’un mouvement « d’alp-urbains », revenant résider à la
montagne, se revendiquant montagnard tout en étant modelés par la
ville, va-t-elle définir à nouveau l’imaginaire alpin ?
LAA > Paysages imaginés paysages construits
45
La Suisse portrait urbain
Extraits de Roger Diener, Jacques Herzog, Marcel Meili, Pierre de
Meuron, Christian Schmid, Eth Studio Basel – Institut pour la ville
contemporaine - La Suisse. Portrait urbain, Birkhäuser, Editions
d’Architecture, Basel, Boston, Berlin, 2006, Bâle.
Jacques Herzog : « La longue reflexion que je me suis fait sur la Suisse
m’a egalement appris qu’une recherche urbanistique renvoie à quelque
chose d’intime, et qu’elle releve moins du spectaculaire que le travail
classique morphologique-urbanistique de l’architecte. L’urbaniste
s’interesse à la vie des gens dans la ville. Il ne s’arrete pas sur une
consideration de l’espace de vie urbain mais y penetre egalement. Il ne se
contente pas de garder ce qui est déjà connu. […] il est necessaire
d’entamer un travail lent et intime sur la ville. si après quatre années de
travail consacré à l’étude urbanistique de la Suisse, je me demande ce
que nous savons de plus, j’aimerai aussi savoir si nous avons reussi à
trouver de manière methodique et representative une alternative valable
un instrument pour les futurs projets »
[…]
Marcel Meili : « (…) nous avons tous à fait volontairement renoncé à
inclure des forages historiques dans notre étude. Nous voulons
reproduire l’état du pays tel qu’il est à travers du matériel actuel et des
états de faits physiques. Nous étions naturellement conscients que
derrière les formes actuelles perçues se trouvait une histoire de
différences, dans laquelle les villes ont mis à l’épreuve les possibilités
particulières de leurs nécessité. Contrairement à Aldo Rossi, nous
n’avons plus fait intervenir l’histoire comme un « témoin véridique » en
divergence avec un présent chaotique. Notre portrait dépeint un instant
du présent, une seconde suisse, dans laquelle l’expérience historique
s’inscrit inéluctablement au présent. Nous étions intéressés entre autres
par ses fossiles, ses figements, mais également par ses mutations
cachées. »
[…]
Jacques Herzog : « (…) dans la réalité quotidienne, des espaces
métropolitains et des réseaux urbains prennent forme de manière
toujours plus forte. Mais ceci se manifeste certainement plus à un niveau
technique, économique et infrastructurel que sur un plan culturel
réfléchi.
[…] Les espaces métropolitains, les réseaux urbains, les espaces verts,
les friches et les resorts sont le résultat de lectures répétées des
éléments à disposition. Ils ne renforcent que les potentiels économiques,
sociaux, topographiques et architecturaux déjà reconnus comme forces
latentes. Prenons l’exemple du réseau urbain autour de Berne : je suis
certain qu’aucun Bernois n’a actuellement en tête cette image de sa ville.
Je perçois comme une fonction importante le fait d’apporter ces
nouvelles image d’une Suisse urbanisée à la conscience publique. Nous
présenterons la nouvelle typologie aux politiciens, aux leaders du monde
économique et bien plus volontiers au citoyen dit moyen, et nous les
séduirons. Car somme toute, nous n’avons rien inventé mais juste
représenté ce que nous avons trouvé dans les textes et dans les
graphiques et essayé, à l’aide d’ordinateurs, de les renforcer. Ce procédé
phénoménologique passé au tamis fin nous a permis d’aborder de très
près la réalité actuelle vécue en Suisse. Il semble pourtant qu’il reste un
long chemin avant que notre typologie ne puisse devenir réalité. »
LAA > Paysages imaginés paysages construits
46
Tyrol City
Extraits de l’entretien avec Arno Ritter dans YEAN, Tyrol city. New
urbanity in the Alps, Wien Bozen, Folio verlag Wien, 2005, pp 204-206
Yean : « L’angle conceptuel change-t-il si on decrit le Tyrol comme une
ville ? »
Arno Ritter : « Je crois que l’angle conceptuel change mais ça ne résout
pas les problèmes. Peut-être si on commence à penser en utilisant une
terminologie différente, le niveau sémantique se décale un petit peu. Ce
système bipolaire de la campagne contre la ville ou du village contre la
ville perd certainement de sa validité parce que toute la province est
définie comme une unité relationnelle dans laquelle les montagnes sont
comprises comme parc urbain et les villages comme quartiers. Ceci
implique une pensée systémique et une planification qui vont au-delà du
but de notre nez. Une structure urbaine fonctionne sur la base d’un
accord collectif, des régulations et des stratégies architecturales et n’est
pas que la somme d’intérêts individuels. […] Lorsque j’ai utilisé le terme
« stadt tirol» (tyrol city) à une rencontre avec les élus locaux, j’ai réalisé
que ce terme irritait.
Yean : « qu’est ce qui a provoqué cette irritation ? »
Arno Ritter : « Celui qui vit dans un village ne souhaite pas vivre dans
une ville. Au moment où un villageois a le sentiment qu’il vit dans une
structure urbaine ça l’irrite. Si quelqu’un vit dans un petit village de deux
cents habitant il ne se pense pas comme un habitant d’une « ville du
Tyrol » mais comme un habitant d’un petit village de deux cents
habitants. Il ne se pense pas comme un citadin même si ses rituelles et
ses routines quotidiennes ressemblent à celles de citadin. Je crois que la
notion de ville est une notion abstraite, un outil conceptuel qui nous aide
à analyser et à construire un système, la ville […] C’est une notion
abstraite capable de subordonner les intérêts individuels à l’intérêt
commun et à un concept. Les provinces et les communautés locales
devraient se demander quelle histoire (et quelles histoires) elles veulent
formuler et créer pour la posterité, et que nos descendants devront lire
un jour et comprendre et peut-être auront-ils la volonté et la capacité
de la continuer.»
6.1
Alpine Architektur
Pour parler d’utopies architecturales realisées dans les Alpes dans les
cinquante dernières annnées, nous nous inspirons ici de Alpine
Architektur, œuvre de Bruno Taut, qui nous presentait, au début du XXe,
une architecture alpine utopique. Depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, l’image et le développement urbains prennent leurs sources
dans l’utopie moderniste. Des villes nouvelles, des grands ensembles de
banlieue et, dans les Alpes, des nouvelles stations de ski, ont été bâtis
sous l’égide du fonctionnalisme le corbuséen. Les Arcs, celèbre station
de ski dans les Alpes françaises, ont été conçus par Charlotte Perriand,
en trois étapes différentes, en altitude et dans le temps : 1968 le premier
site Arc Pierre Blanche, rebaptisé ensuite Arc 1600. Puis viendront
successivement Arc 1800 en 1974 et Arc 2000 en 1979.
Cependant, aujourd’hui, dans la même mouvance qu’on trouve dans les
plaines, ce type d’architecture et d’urbanisme, des « machines à
habiter », comme on disait à l’époque, se jouent leur avenir entre
destruction ou rehabilitation. Avec l’ANRU, les démolitions sont
beaucoup plus soutenues, et ainsi des quartiers entiers changent leur
visage en appliquant, encore une fois, le principe de la tabula rasa, si cher
aux modernistes. Bourg-Saint-Maurice, là où les Arcs de Charlotte
Perriand ont été construits, a demoli ses quartiers modernes (pas les
stations de ski) pour laisser place à une nouvelle conception
architecturale et urbaine plus « alpine ». En même temps une nouvelle
Station de Ski, s’ouvre, « les arcs 1950 ». Ici « on reinvente le village »,
comme le temoigne son slogan dans l’home-page de site internet. Le
LAA > Paysages imaginés paysages construits
47
style châlet est aujourd’hui reintroduit dans ce qui est consideré comme
son milieu d’origine : « Les fontaines, les petites places et l’architecture
vernaculaire vont êtres disposées dans un grand collage destiné à
rappeler la montagne. Les toits en ardoise, la pierre et le bois sont
utilisés pour créer l’effet paysage de montagne. Un tel simulacre garantit
l’originalité, le charme et l’ambiance alpine. Des valeurs et des concepts
totalement préfabriqués » (M.Jakob, « Fleur de macadam », L’alpe, n°24,
2004, p.26).
Ces changements nous permettent de toucher, à travers la materialité
de l’architecture, la complexité de l’articulation, sur le plan du paysage,
entre les tendances à l’echelle globale et leurs retombés socioéconomiques, mais aussi esthétiques, sur le plan local. L’architecture
devient ainsi une clée de lecture, plus concrète, qui nous permet, à partir
du cas alpin, de nous questionner sur un phénomène qu’on retrouve
ailleurs, à des échelles différentes.
Vendre les Arcs
« La vie dans le village doit s’écouler comme un fleuve. Elle doit
correspondre aux éléments naturels de la région. C’est ce que les
architectes ont voulu… et c’est pour cela qu’il est tellement important
qu’il y ait des vides entre les contructions… et puis, une fois que les
vides sont définis, une fois qu’on a décidé comment devait se passer la
vie dans le village, nous disposons les bâtiments autour des vides, pour
créer la vie. C’est ça l’important. Ce qui est réellement important ce
sont les rues. Les rues ont une vue complètement ouverte vers les
différentes montagnes, parce qu’ensuite nous pouvons videmment
ajouter un très beau bâtiment… il y a des endroits avec de très beaux
bâtiments, mais ce qui est plus important c’est de penser le village
globalement… penser le village comme une partie de l’environnement.
La Compagnie des Alpes a voulu faire avec Intrawest un retour aux
sources de l’architecture en bois de la région. C’est pour cela que nous
avons des bâtiments en pierrre, en bois, c’est-à-dire avec des éléments
de cette zone. Quelque chose qui respecte plus le style architectural de
ce secteur. Revenir à un contrôle de notre patrimoine, c’est ça le
sens… »
6.2
Alpine resort
Depuis une trentaine d’année, en janvier, Davos devient le « sommet du
monde », le lieu où, comme a dit son concepteur, Klaus Schwab, lors du
discours inaugural du 26 janvier 2005 « une merveilleuse et la plus
representative, la plus puissante communauté de chefs d’entreprise, de
politiciens, d’ONG, de leaders culturels et religieux, de jeunes leaders
globaux, d’entrepreneurs sociaux, se réuni, pour obéir à son attente de
s’engager pour améliorer l’état du monde ».
Etre à l’abri du monde, se réfugier dans le calme d’une vallée alpine avec
un confort offert par une prestigieuse localité touristique, ont été
quelques unes des raisons, qui, au début des années 70, ont porté à
choisir Davos comme le meilleur siège pour organiser cette rencontre
internationale. Suite à la médiatisation de l’évènement, accrue depuis
l’invitation au sommet des politiciens et de personnages du monde du
spectacle, la ville, est progressivement connue par le grand public en
perdant ainsi son caractère d’être « à l’abri du monde ».
Les tensions qui dans les derniers dix ans ont traversé le monde se sont
aussi manifestées dans cette ville « enneigée » qui, pendant la période du
WEF (World Economic Forum), est obligée de cohabiter avec de lourds
dispositifs de contrôle spatial dissimulés dans l’espace urbain.
L’écart entre la représentation globale de l’évènnement sur le plan
médiatique et sa réalité du « terrain » est, entre autres, un exemple
d’une des hypothèses de la recherche : la nécessité éthique de
LAA > Paysages imaginés paysages construits
48
«réorganiser » la visibilité/lisibilité du monde pour pouvoir imaginer de le
transformer. Les extraits presentés ici relèvent d’un travail de terrain de
deux semaines à Davos avant, pendant et apres le WEF.
CNN Davos
Extrait d’un JT de la CNN en directe de Davos, Suisse, lors du Forum
Economique Mondial, janvier 2005
« En parcourant Davos avec élégance ; heures de réunions, longues
interviews et peu de temps précieux pour se reposer pour les gros
bonnets, ici, dans cette retraite de montagne. Richard Quest s’est pris un
peu de temps dans son emploi du temps rempli pour raconter cette ville
enneigée.»
« Où que vous regardiez tout autour, ici à Davos c’est comme être à
l’intérieur d’une image de carte postale.
Après tout, c’est bien pour cela que tout le monde vient ici chaque
année.
Mais vous n’arriverez pas vraiment à jouir de la beauté du lieu en étant
assis dans la salle de congrès, même si vous êtes en train de résoudre les
problèmes du monde.
Alors, pour profiter de a beauté de Davos, j’ai besoin … de ceci.
Au centre de ce petit resort (station) de ski, juste là, il y a le centre de
congrès où ceux qui y participent passent la majeure partie de leur
temps.
Chefs de gouvernement, chefs d’entreprise, experts, la presse, tous
réunis dans ce lieu flamboyant de discussion.
Ceci est le moyen avec lequel la majeure partie de nous bouge, des
navettes qui font des allers-retours toute la journée, mais sincèrement je
préfère mon moyen de transport.
Une autre chose dont il faut se souvenir : les vêtements qu’on utilise
pour participer aux meetings ne sont pas ceux dont tu voudrais avoir
pour rester dehors au froid.
Heureusement, il y a toujours quelqu’un qui t’aide. Ainsi, même si dans
les prochains jours nous passerons notre temps en discutant de
questions lourdes, vous verrez que beaucoup d’entre nous auront
d’autres pensées par la tête, en rêvant où passer une heure ou deux… »
6.3
Scénographie alpine
« Think Big, think Sölden », le slogan mis en place par l’Office du
tourisme de cette localité autrichienne, la plus visitée après Vienne, la
capitale. La déclinaison de cette idée prend en compte tant la dimension
géographique de la région que la stratégie adoptée pour attirer les
touristes : de grands événements spectaculaires et sportifs qui utilisent le
glacier du Rettenbach (3000 m.) comme scénographie. Un exemple est
« Hannibal - Une traversée des Alpes » un spectacle en plein air conçu
par Ernst Lorenzi, directeur de l’Office du tourisme de Sölden, et realisé
par le metteur en scène Hubert Lepka. Ce spectacle, d’après ses
concepteurs, se propose comme un défi « héroïque » à la nature
alpine autant pour ceux qui le réalisent que pour les spectateurs
(plusieurs milliers) : une seule date en printemps, non reconductible, qui
accepte le risque d’une mauvaise méteo. Le décor de « cette épopée
héroïque racontée […] dans un site qui est peut-être le théâtre original
des événements », est une grande scène de 6 kilomètres carrés
aménagée sur le glacier, où jouent plus de 500 comédiens, des
parachutistes, des motos, un bombardier B-25, un avion de chasse
historique, des hélicoptères, des feux d'artifice, des dameuses de pistes,
des traîneaux à moteur, un éléphant, etc.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
49
La rencontre de Ernst Lorenzi et Hubert Lepka, l’un montagnard et
l’autre homme de théatre, nous racconte la difficulté de plus en plus
forte de distinguer par les catégories utilisées jusqu’ici, sur le plan des
valeurs, de l’imaginaire et des pratiques, ce qui est spécifique de la ville et
ce qui appartient à la montagne. Si d’un côté il y a une nécessité, sur le
plan géographique et économique, de garder distincts la montagne et la
ville, il y a en même temps le besoin de les concevoir ensemble sur le
plan de l’imaginaire, en sachant que, depuis « l’invention des Alpes » et
du tourisme, la vision urbaine est dominante.
Alors, si le paysage est une realité capable d’exprimer les valeurs d’une
société, comment faut-il interprêter, au-delà d’une position moraliste, le
metteur en scène, lorsqu’il affirme que ce spectacle ne pose, sur le plan
écologique aucun problème dans la mesure où « le glacier est déjà
complètement colonisé par le tourisme, si bien qu'on ne peut plus rien
détruire » ?
Hannibal
Extrait de l’entretien avec Hubert Lepka, metteur en scene, issue du
d’Ernest Lorenzi, Hannibal. Gletscherschauspiel Sölden, 2004
Pourquoi du théâtre dans un espace aussi difficile ? Est-ce un gague pour
touristes, est-ce que ça ne dépend pas vachement du temps ? Comment jouent
les acteurs sur des distances aussi grandes ?
Le théâtre comme lieu d’illusion est presque entièrement remplacé par
le cinéma. Ce qui reste c’est le réel – la réalité conçue dans l’espace et
dans le temps, le lieu où les spectateurs vivent l’aventure des
protagonistes d’une manière immédiate. Le tourisme s’alimente
d’événements humains dans une nature formatée.
Les deux objectifs se rencontrent d’une manière simple.
Le temps joue un rôle dans un double sens : il est important et il est
acteur. Le voile du théâtre est une réplique des constellations de nuages
pittoresques autour d’un sommet de 3000m de la principale crête des
Alpes.
Le climat et les avalanches formaient aussi un obstacle pour Hannibal et
créaient la vraie aventure. Et si ce n’est pas vrai, alors la tempête arrive
dans tous les cas par le downwash des hélicoptères de l’armée, qui
amènent la Vénus [la protagoniste féminine du spectacle] du sommet de
la faille du glacier jusqu’au campus, devant le public. Le vol entier est bien
visible dans l’amphithéâtre de la fin de la vallée. Il est filmé par des
caméras et projeté sur un écran géant dans le studio de Karthago-Tv.
Pour tout ce qui concerne les voix, Karthago Tv est un amplificateur,
une télévision à grande distance. Pour le mouvement et la danse, la
distance n’est de toutes façons pas un problèmes, mais un défi excitant.
La coordination de tous les lieux d’intervention, dans un espace d’un
kilomètre cube se fait par radio, un programme informatique développé
exprès, et un story-board.
Cet effort est-il soutenable ? Comment autant de technique peut-elle cohabiter
avec la nature ?
Les gens qui voient le spectacle Hannibal sont prêts à débourser une
somme importante. En plus du temps, de l’effort, de l’argent, du froid, ils
prennent un risque : le risque d’échec, avec la troupe, mais aussi la
possibilité d’emporter une expérience unique si cela réussi. Cette crainte
partagée autour de la réussite est ressentie par les spectateurs comme
pour les 500 intervenants dans le spectacle. Les funiculaires, le tourisme,
tout le lieu souhaite la réussite. De telles expériences sont devenues
rares et appréciables, dans une période entièrement assurée contre le
risque. Compte-tenu de tout cela, l’effort en vaut la peine. La nature
n’est pas en contradiction avec cela, au contraire, nous essayons de
mettre en scène cette pièce avec sa beauté, sa gratuité, le danger et la
force, le pouvoir et la nonchalance. De toutes les manières, nous ne
pouvons plus penser ce monde des glaciers sans tous les outils
LAA > Paysages imaginés paysages construits
50
techniques que nous utilisons. Je pense qu’il est tout à fait sensé
d’explorer de façon touristique et technique une partie limitée de cette
montagne intouchée. Le Rettenbachtal et son glacier ont ici les
caractéristiques d’une réserve du fait que ce monde extrême devient,
pour beaucoup de gens, appréhendable dans sa beauté et dans sa
cruauté.
A côté de cette vallée règne le silence inimaginable et l’abandon des
Alpes d’Ötztal. Sölden est, par sa superficie, la deuxième commune
d’Autriche après Vienne. 20.000 personnes dans le Rettenbachferner
ont, du point de vue écologique aussi peu d’impact sur la montagne que
les baigneurs de l’île du Danube sur le près du Hainburger Au. Nature et
technique ne sont pas en soit des contradictions. Les outils techniques
mobilisés, dans le spectacle Hannibal, ont été développés
progressivement tout comme la nature autour. La question de la
cohabitation maîtrisée des deux, est ce qui est éminemment intéressant
dans Hannibal. Le problème du glacier est l’effet de serre global, et celuici n’est pas produit sur cette montagne.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
51
7
Vers le sommet
Après avoir essentiellement exploré la dimension horizontale du paysage
alpin, nous sommes face à la nécessité de monter, afin d’expérimenter
avec le corps la dimension plus évidente et connue des Alpes : l’altitude.
Nous ne sommes pas des alpinistes, mais des touristes… Il y a déjà plus
d’un siècle, on faisait de la satire du fait qu’il n’y avait après tout pas tant
de différence, conceptuelle et pratique, entre le fait de monter sur la
cime de la Jungfrau (3454 m., une icône de la Suisse tout comme le
Matterhorn) ou sur la tour Eiffel : les deux montées présentent de
nombreuses similitudes et l’effort requis pour atteindre la cime, dans un
cas comme dans l’autre, est minime : il suffit d’acheter un billet.
8
Climat
Cette installation « météorologique » fonctionne comme un seuil entre
le voyage à l’intérieur de la montagne qui nous a amené jusqu’à son
sommet et une ambiance conditionnée qui se propose de neutraliser la
variable climat.
Face à l’incertitude liée aux changements climatiques globaux, notre
rapport au monde passe de plus en plus par des situations qui nous
proposent des ersatzs d’expérience : les webcams qui nous montrent
« en temps réel » la méteo des stations de ski et de sites de villégiature,
la construction de skislopes, les visites virtuelles des sites, etc…
LAA > Paysages imaginés paysages construits
52
9
Effet neige
Arrivés au sommet, les choses ne sont pas toujours plus claires.
Et ce n’est pas seulement une question d’acclimatation difficile due à
l’altitude. Ce n’est pas non plus un question de visibilité. C’est que dans
la description qu’on a fait jusqu’ici des paysages alpins se manifeste enfin
une coprésence d’éléments et pratiques paradoxaux qui appartiennent a
des modes de connaissance et à des mondes et des temporalités
historiques et culturelles très différentes entre eux.
La complexité des paysages contemporains devient évidente, il nous
semble, une fois qu’on assume l’existence de ces contradictions.
Incorporer dans le «grand spectacle de la montagne» (C. Reichler)
l’ensemble des personnages qui y jouent, des modes d’intervention
humains et des traces matérielles et immatérielles qu’ils laissent, nous
semblent la condition nécessaire pour chercher à comprendre quelles
tendances caractérisent aujourd’hui nos paysages. En sachant que la
vitesse de changement d’un paysage, n’importe quel paysage, est
beaucoup plus rapide de celle avec laquelle se modifient les images qu’on
en a.
Plus nous arrivons à nous mettre en relation avec le monde et avec
l’alpin, pour ce qu’il est et non pour ce que nous imaginons ou pour ce
que nous voudrions qu’il soit, plus la perception que nous en aurons
s’affranchira de schémas simplistes et notre rapport avec lui pourra
devenir d’autant plus satisfaisant. Si les Alpes sont encore, après plus
d’un siècle, immergées dans le paradoxe d’un monde valorisé comme un
modèle de « naturalité » et pour cela vendu et consommé, cela ne tientil pas au fait que pendant cette période notre image est restée
substantiellement la même ?
Effet neige relève d’une fiction qui recrée une atmosphère conditionnée,
mais conditionnant aussi notre relation à l’étendue terrestre et à sa
perception. Les exemples réunis ici nous mettent face à des solutions
techniques prodigieuses, mais qui produisent des altérations
géographiques et symboliques qui, disait déjà Joseph Conrad au début du
XXe siècle, domestiquent la vie, peut-être au-delà, de ce qu’il nous
convient.
Se mesurer avec l’écart entre ce qu’on imagine du monde et ce que le
monde nous donne à voir de nous-même c’est, avant tout, une question
éthique.
Alpes high-tech
Extrait d’entretien avec Volker Giencke (Architecte, Giencke&Company
Architects), Graz, Autriche, octobre 2006, qui
Cette zone à Ischgl se trouve à environ 2500-3000m. C’est une altitude à
laquelle le corps réagit. Pour un jeune corps l’adaptation est facile, pour
un corps plus âgé, des difficultés peuvent se présenter, et skier
LAA > Paysages imaginés paysages construits
53
tranquillement comme le touriste aimerait le faire, ne deveient pas
toujours évident. […] Et dans une époque de vacances toujours plus
courtes, le touriste qui s’arrête pour une longue période qui soit
suffisante pour l’acclimatation, c’est exceptionnel.
Alors on s’est demandé : comment serait-il possible, dans une zone de
ski comme celle-ci, avec une topographie splendide mais une surface qui
est comme un désert de pierres, de construire une piste de ski qui
puisse être utilisée toute l’année ?
…la beauté de la nature sauvage ne doit pas être en contraste avec la
nature modifié…le paysage occupé par l’architecture à la même
prétention esthétique et culturelle que celui naturel. Il ne s’agit pas
d’endommager la nature, avec une construction [comme le skislope], au
contraire, à travers l’architecture il faut mettre l’accent sur la nature, il
faut souligner l’aspect spectaculaire de la nature, et ceci
indépendamment de la saison.
Le skislope est pensé ainsi, il se réfère au paysage, à ce qui existe dans le
paysage. Une pente raide reste une pente raide…Une galerie peut
disparaître complètement en faisant que les parois et le plafond
deviennent un corps de lumière, en annulant ainsi les limites spatiales.
Cela lie la nature avec l’artificiel. Elle ne s’adapte pas, mais complète la
nature, elle ne conclut pas des accords… Il peut arriver que le naturel
soit l’achèvement de l’artificiel, ça ne doit pas être forcément le
contraire…
Les montagnes sont tellement spectaculaires dans cette zone des Alpes
qu’elles représentent comme un défi, que ce soit sur le plan hightech ou
lowtech. Par contre, je ne peux pas faire face à leur dramatisme avec un
refuge, c’est complètement faux. […] C’est un malentendu de croire que
les refuges de montagne sont adaptés à l’espace naturel, dans les Alpes
aussi. Pas du tout. Ce sont des constructions nées dans un contexte
précis, qui devaient utiliser les matériaux qui étaient à disposition.
Aujourd’hui ce n’est plus comme ça.
L’identité du refuge alpin est quelque chose en dehors du temps. Elle
continue à avoir de la valeur, en tant que construction finalisée à un
objectif. Mais je ne peux pas - avec un instrument higtech aux pieds
comme les skis, qui marchent presque tous seuls, et un équipement
higtech qui me sauve la vie – être mis d’un seul coup dans un milieu.. je
ne sais pas, c’est comme un astronaute qui est dans un tas de déchets
créés par les traditions des siècles passés… une décharge d’ordures
culturelles.. je dois être conscient du fait que pour un équipement higtech
il faut aussi une housse correspondante, une architecture
correspondante…
Le Skilope à Paznaun (Tyrol) et celui de Dubai sont deux choses
complètement différentes. Le premier rend possible l’utilisation des
Alpes dans une situation qui serait dangereuse autrement…cette zone
est un désert de pierre et elle n’est pas skiable.., Au fond, les pistes
naturelles sont construites comme les autoroutes, elles ont une sous
construction énorme, elles ne sont pas seulement des collines aplanies,
mais des voies routières... Et le Skilope ce n’est rien d’autre que la
possibilité d’utiliser cet événement merveilleux que sont les « Alpes ».
Alors qu’à Dubai, le Skilope c’est comme une foire, et c’est en ça qu’il a
sa justification, pour faire connaître cet élément aux gens qui vivent dans
une zone sans neige … Il n’y a presque pas d’autres éléments connotés
aussi positivement que la neige.. la terre, l’eau, l’air - tous positifs et
négatifs, le feu aussi… mais la neige, avalanches à part, c’est quelque
chose de positif.. on est content lorsqu’il neige…
L’identité des Alpes c’est de la grandiosité…et on peut la transférer sur
toute chose…sur toute architecture, aussi dans les installations de
divertissement. […] Les politiques et les opinion-leaders ont beaucoup
LAA > Paysages imaginés paysages construits
54
poussé ce projet, qui maintenant est dans une position d’attente, qui
dépend bien évidemment des financements qui ne peuvent arriver que
par les propriétaires des remontées mécaniques. C’est eux qui devraient
avoir le plus d’intérêt… mais c’est un pas trop grand… Dans ce sens-là,
Dubai n’est pas un bon exemple pour ce projet, telle que je l’entends,
parce qu’il représente à nouveau des clichés…
Il faut faire attention à ce qu’il n’arrive pas aux montagnes ce qui est
arrivé aux villes…les villes sont aujourd’hui – du point de vue d’un
urbaniste – dans de telles conditions, qu’ils faudrait les raser au sol et
tout reconstruire…que ce soit la circulation ou l’architecture… tout est
défectueux, les villes ne marchent plus.. elles marchent seulement parce
qu’on s’est résigné aux bouchons…
Pour moi, c’est juste une fausse pensée de sauvegarde des beautés
naturelles, conserver la situation existante, ça c’est un faux …il faudrait
confronter la situation existante avec la grandiosié à travers
l’architecture… pour moi les montagnes sont de la nature hightech, à
laquelle il faut réagir avec une architecture hightech.. Toute autre
réaction est fausse…cette compréhension des montagnes à la façon
Biedermeier et romantique est pour moi très ancienne. […] Ce n’est pas
possible qu’au XXIème siècle on ait recours au XVème siècle pour
posséder une identité, c’est absurde…
Changer de grilles de lectures
Extrait d’entretien avec François Walter (Historien, Université de
Genève, Suisse) réalisé à Engelberg, Suisse, avril 2007.
« … c’est Dubai qui est au coeur du projet, c’est pas transposer à Dubai
la montagne, il s’agit de rendre visible Dubai d’une autre manière. Donc
les signes, le langage des signes…Nous sommes prisonniers de grilles de
lectures qui font qu’on associe un certain nombre de choses à la
montagne, au chalet, etc..mais les gens qui sont là-bas, qui ne sont pas
contraints par ces prisons mentales, qui font que pour nous c’est
intolérable, dans un certain sens, alors moije crois volontiers que l’on vas
vers certaines situations dans lesquelles un certain nombre de signes que
dans une certaine période ont eu un sens à l’intérieur d’un contexte, ils
le perdent complètement et ne sont plus que des éléments d’un nouveau
discours…et que pour les comprendre nous devons plutôt procéder à
une sorte de processus d’acculturation dont nous ne sommes pas
capables, mais que le nouveau public qui n’est pas encombré par des
références historiques - et ça ne me gêne absolument pas de dire
ça…c’est une question d’occidental cultivé et attardé que d’être choqué
par ça. Pour le reste je trouve ça très bien, pourquoi pas… »
Représentations d’autres représentations
Extrait d’entretien avec Bernard Debarbieux (Géographe, Université de
Genève, Suisse) réalisé à, Engelberg, Suisse, avril 2007.
« ...Si probablement on se trouve face à quelque chose d’un peu
nouveau, au moins dans l’ampleur, cette façon de jouer sur la
représentation de choses singulières, c’est-à-dire l’imaginaire alpin, des
lieux alpins, le chalet suisse, ou ce genre de choses, et de jouer après sur
la déclinaison ou la multiplication de ces déclinaisons faites dans l’espace,
c’est quelque chose de tout aussi vieux que la représentation des Alpes
elle-même. Le fait de vouloir identifier quelque part, dans les Alpes par
exemple, des lieux qui sont emblématiques d’une certaine naturalité,
d’une certaine esthétique paysagère, et des lieux qui dans un premier
temps sont comptés sur les doigts de deux mains, qui sont extrêmement
peu nombreux..et après de les multiplier en découvrant d’autres lieux et
en reproduisant à l’extérieur les lieux initiaux sous forme d’image - c’est
LAA > Paysages imaginés paysages construits
55
quelque chose qui remonte au XVIIIème siècle. Dès le départ, dès la
découverte touristique des Alpes on a commencé à faire des
reproductions et à les multiplier, et, on en parlait à table tout à l’heure,
un des exemples les plus intéressants pour ceux qui s’intéressent à
l’histoire culturelle des représentations de la montagne c’est celui
d’Alexander von Humboldt qui est réputé pour être un des grands
scientifiques inventeurs d’une représentation de la montagne et qui a été
aussi le plus grand promoteur, en son temps, de ce que l’on appelait les
Panoramas, c’est-à-dire ces grandes reconstructions paysagères
artificielles qui devaient être à Berlin, à Rome, à Londres ; et partout
dans le monde…Partout où ils n’y avait pas les Alpes, il devait y avoir les
Alpes …L’idée qu’il puisse y avoir, comme entre les Alpes et Dubai, des
lieux modèle, de référence historique et des lieux comme Dubai de
reproduction, de jeu, de déclinaison des images de ces lieux, c’est une
façon de voir les choses qui est aussi vieille que les représentations
esthétiques de la montagne même. […] Aujourd’hui on est dans une
situation dans laquelle les représentations de la montagne sont des
représentations d’autres représentations et pas des représentations de la
réalité ou du modèle initial.
Donc du coup ça invalide complètement la question de l’authenticité. On
n’arrête pas de parler d’authenticité, on est tous à la recherche
d’authenticité, mais on n’a jamais autant recherché l’authenticité depuis
qu’on consomme des fictions.
Un problème d’ordre ethique
Extrait d’entretien avec Bernard Debarbieux, Engelberg, Suisse, avril
2007.
« Sur le plan collectif et sur le plan des sociétés nationales voire même
de la civilisation européenne, il n’y a quand même pas grand-chose qui a
été sauvegardé de siècle en siècle si on suit toutes les façons de vivre, de
circuler ou d’habiter dans l’Europe toute entière, il n’y a vraiment pas
grand chose qui a été conservé de quoi que ce soit. Donc au nom de
quoi faudrait-il que dans une vallée alpine ou en Europe, faudrait-il
penser les choses sur le mode d’une conservation des choses en l’état,
qu’elles soient naturelles ou qu’elles soient culturelles. Là où sa pose un
problème véritable et un problème d’ordre éthique, véritablement, c’est
la question des personnes et des individus. Parce que s’il y a des
personnes qui sont menacées dans leur bien-être, dans leur équilibre
psychique même, tout simplement parce qu’il y a des menaces de ce
genre qui pèsent sur la vallée dans laquelle ils habitent, là c’est une
question qui est sérieuse, parce que là on est obligé de la placer sur le
plan moral. Par contre sur le plan de la nature ou sur le plan de la
culture, il n’y a rigoureusement aucune dimension morale, ou alors on
prend un risque énorme à vouloir moraliser le rapport à la nature et à la
culture.
Alors après, il me semble qu’il y a quand même une sorte d’évolution
lourde qui nous fait aussi bien parler de Dubai que des Alpes, que des
Etats-Unis ou de l’Europe, qui fait que l’interdépendance généralisée
entre les lieux, fait qu’aucun lieu tout comme aucun individu, comme le
disait François Walter, ni même aucune société locale n’est maître de
son destin aujourd’hui. Donc, il n’y a plus rigoureusement aucune forme
d’autonomie de fonctionnement de qui que ce soit, ou de quelque vallée
que ce soit, ou de quelque aire géographique que ce soit. Alors après,
sans vouloir faire de la prospective, sans vouloir imaginer des scenarios
possibles, ou probable dans l’évolution des choses, il me semble que la
chose peut-être la plus importante, d’un point de vue moral justement et
d’un point de vue éthique, c’est de faire en sorte que tous les lieux, ou
un maximum de lieux dans lesquels vivent des gens aujourd’hui,
disposent d’un éventail de possibles. Qu’il n’y ait rigoureusement rien qui
soit inévitable, qui soit nécessaire, qui soit complètement déterminé,
mais qu’il y ait au moins cette ouverture et cette alternative, qui
LAA > Paysages imaginés paysages construits
56
permette aux personnes qui sont sur place d’avoir soit dans les faits soit
dans l’imaginaire, le sentiment de pouvoir intervenir un peu, ou de
décider un peu de leur avenir. Dans le sens de la conservation, de la
modernisation, dans le sens de ce qu’on veut, il me semble que si l’on
discute sur le plan moral, c’est la seule chose qui mérite à mon avis
d’être véritablement traitée comme telle, mais c’est très général parce
que dans les faits, c’est pas facile à mettre en œuvre. Mais il n’y a rien de
pire qu’une détermination quelle qu’elle soit, qu’une fatalité quelle qu’elle
soit.
Quelles sont les territorialites contemporaines ?
Extrait d’entretien avec Bernard Debarbieux, Engelberg, Suisse, avril
2007.
« Si l’idée qu’un territoire repose d‘abord et avant tout sur la capacité
d’une société locale ou d’individus à produire du sens endogène par
rapport à des ressources immédiates, qui sont des ressources qu’on
pourrait qualifier de géographiques par ailleurs. Si on devait imaginer que
ce qui se passe à Dubai est d’une nature territoriale, ça supposerait de
considérer qu’on puisse parler de territoire indépendamment de toute
production endogène du sens parce que là en l’occurrence, au moins
pour les exemples qu’on a vu, il n’y a pas de production endogène du
sens. Il n’y a pas du tout de ce que les sociologues appelleraient de
l’idiosyncrasie qui est souvent considérée comme le b-a-ba de la
territorialité. Alors moi j’aime bien l’idée ceci dit, ça supposerait l’idée
qu’on retravaille beaucoup le concept et qu’on se repose beaucoup la
question de ce que sont les territorialités contemporaines, postmodernes, je ne sais pas comment les qualifier, mais ça supposerait aussi
qu’on revisite, et ça va peut-être dans le sens de ce que vous disiez il y a
un instant, qu’on revisite nos propres territorialités en essayant de voir
si de notre propre côté aussi en Europe on n’a pas, et là aussi depuis
longtemps, peut-être pas depuis Humboldt, mais peu importe, mais
depuis longtemps, construit des territorialités qui sont essentiellement
alimentées par des références extérieures qui auraient été recomposées,
redistribuées, retravaillées à l’infinie et je crois que l’exemple des Alpes
est de toutes les manières pas inintéressant, parce que, ça a bien été
rappelé tout à l’heure, que le modèle alpin a été inventé dans très très
peu de lieux dans les Alpes, essentiellement en Suisse et en Savoie, et
que c’est l’ensemble des Alpes qui dans un deuxième temps ont été
perçues à travers ce modèle, ça veut dire que l’ensemble des Alpes a été
travaillée et que la territorialité dans l’ensemble des Alpes a été travaillée
en fonction de ce modèle originel. Donc il y a déjà eu des formes de
copier-coller de modèle d’interprétation et de modèle de territorialité,
qui faisaient qu’en Autriche ou dans le reste du territoire français, ce
sont les références hélvétiques qui ont d’abord joué dans la façon de
concevoir une territorialité alpine. Donc l’extension à Dubai, elle est
provocante parce qu’il y a des milliers de kilomètres en plus et il y a un
changement d’environnement physique considérable, mais sur le fond je
ne pense pas qu’il y ait des différences de nature fondamentale dans la
façon de composer avec des modèles symboliques dans des lieux
spécifiques. »
LAA > Paysages imaginés paysages construits
57
9.1
Neige d’orient
«The vision of Dubai gets building» disait une publicité apparue il y a
quelques années. Phénomène médiatique parmi les plus importants de
ces derniers temps, et relié à une stratégie précise de marketing – « put
Dubai on the map of the world » - le petit et riche émirat arabe a réussi
en peu de temps à se positionner dans l’offre des agences de voyage,
même comme destination hivernale, à côté de localités classiques
comme Les Arcs, Saint-Moritz, Cortina, et Aspen au Colorado (USA).
Ceci, grâce à Skidubai, une architecture conçue tant pour expérimenter
le froid et la neige que comme skislope, ouvert dans un complexe qui
accueille aussi un énorme shopping mall et un important hôtel 5 étoiles.
Ce qui se passe dans le « vide » du désert arabe nous intéresse pour
l’effet de reflet qu’il produit dans nos territoires surchargés de
références historiques matérielles et immatérielles, plutôt que comme
exemple de traduction de modèles alpin ailleurs. Vu des Alpes, Skidubai
est intéressant en tant que déclencheur, certes involontaire, pour une
réflexion sur des processus de transformation du paysage qui, même si
avec une intensité différente, investissent déjà une partie des territoires
alpins. Ceci devrait nous interroger à nouveau sur ce que signifie
aujourd’hui parler de territorialité et sur notre façon de circuler entre
territorialités géographiquement éloignées, comme les Alpes et Dubai,
mais proches dans la manière de travailler les modèles symboliques.
Dubaï Experience
Extrait d’entretien avec Mike Clark (architecte ayant participé au projet
Skidubai, Holfords Architects), Dubaï - EAU, mai 2006.
« …L’idée originale est du client. Il voulait une attraction qui devait être
partie intégrante de l’idée du shopping mall. Avec une fonction spécifique
de guider les gens vers le centre du mall, de les garder là, de les assurer
sur la modalité de passer le temps et de s’amuser. Avec un hôtel, une
zone de loisirs pour les enfants… tout dans le même lieu. C’était
réellement une manière pour occuper les gens en leur donnant des
restaurants où pouvoir manger, un endroit où pouvoir skier… c’est une
modalité de vie à Dubaï. On a ce merveilleux contraste entre la neige et
le désert, et d’un coup on a cet étonnant monde de fantaisie.
Soudainement la température est à -2/3°C et le fait que l’eau soit
congelée est en soi même quelque chose que beaucoup de gens d’ici
n’ont jamais expérimenté hormis le glaçon dans un verre. Et soudain il y
a 6000 tonnes de neige… Si on regarde les personnes qui viennent à voir
Skidubai pour la première fois, elles restent bouche bée…[…]
On sort d’un bâtiment à échelle domestique, dans ce vaste espace où on
doit avoir le sentiment d’être dehors, et c’est pour cela qu’on voit la
montagne sur la gauche qui continue derrière le coin et qu’on ne peut
pas voir le sommet, on ne peut voir que la station intermédiaire. Lorsque
les gens débouchent du coin, on dirait qu’ils arrivent d’un sommet qui
semble dans les nuages…
Ce n’est pas seulement offrir une expérience du ski ou de toucher la
neige, mais de fournir une expérience alpine, même si ce n’est pas vraie,
c’est important car c’est tellement différent par rapport à celles qu’on
peut faire ici. Cette différence construit en soi-même, lorsqu’on rentre,
la crédibilité de cet espace, lorsqu’on joue avec la luge… Et du point de
vue du touriste qui vient à Dubaï, qui se lève le matin, prend son petitdéjeuner sur la terrasse, va skier, ensuite manger à la plage et se baigner
deux heures après, et enfin conduire dans le désert… C’est ce qu’on
appelle Dubaï expérience.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
58
Architecturalement, nous ne sommes guère des puristes, nous avons
plus un esprit Disneyland… c’est une espèce d’étrange réalité, dans un
certain sens c’est ce que les consommateurs sont heureux d’avoir. Une
interprétation purement fantastique, sans références spécifiques. Je ne
suis pas allé en Suisse pour récupérer des images qu’on a utilisée ici, ce
n’est pas une traduction directe de quelque lieu en particulier. La station
intermédiaire a une qualité monastique, par sa géométrie, nous avions
cette large façade qu’il fallait traiter, et on a opté pour un soubassement
en pierre accrochée au rocher et en haut une structure légère en bois. Il
y a eu une décision précise de ne pas faire le stéréotype de ce qui
pourrait être un chalet suisse, mais de garder une qualité plus générale,
et cela permet à Skidubai d’être une « coulisse » plus neutre.
Le slope devait être dessiné d’une nouvelle manière, avec une
progression claire afin de pouvoir en jouir avant même de vouloir skier,
comme un snow park : pour introduire de façon facile le concept d’être
au froid, car en soi, il était un nouveau concept… être au froid, avec la
neige, en jouant avec elle, en la manipulant, en la lançant, en glissant
dessus, en y construisant des bonshommes de neige, etc… en
permettant ainsi aux gens, avant même de skier, de rentrer en contact
avec la neige et de la trouver amusante, de donner une autre dimension
au paysage où l’on se trouve, de voir les skieurs (tant les débutants que
les experts), et ainsi, comme étape successive, de vouloir les imiter… La
pente a été dessinée de manière à ce qu’en partant d’en bas l’on puisse,
avec un tapis magique, monter progressivement sur la montagne et après
il y a le télésiège qui amène jusqu’à la station intermédiaire. Après on
peut monter jusqu’au sommet afin de rendre la montagne le plus
accessible possible aux gens sans expérience, mais, en même temps assez
intéressante pour ceux qui savent déjà skier et qui veulent venir 2-3
jours dans une année pour s’amuser dans une activité comme dans une
autre. »
9.2
Changements globaux
Il s’agit ici surtout d’une question d’échelle et de la difficulté que nous
avons à réaliser la portée concrète, sur un plan social et culturel, de ces
changements, et de l’écart entre ce que nous pouvons faire et ce qu’il
serait nécessaire de faire.
Désormais, face à la dimension globale de certains phénomènes, c’est le
cas des changements climatiques en cours, les solutions élaborées
localement par les experts pour contenir les effets dans un contexte
fondamental pour l’économie du monde alpin comme le tourisme, sont
explicitement voués à « gagner du temps » dans l’attente d’une
hypothétique intervention du pouvoir politique. Étant donnée l’échelle
des problèmes, l’importance d’un saut de paradigme est encore plus
évidente, afin de se situer là où, d’une certaine façon, il est possible de
penser conjointement des formes et des structures, des formes et des
événements.
Dans le contexte alpin, ça signifie d’assumer finalment une montagne qui
est pleinement dans le monde - et pas un planète à part - et qui, depuis
longtemps, ressent des mutations, des scenarii politiques et économiques
globaux qui en définissent les directions du changement (et qui se
reflètent dans les transformations des paysages des Alpes), et qui en vit
les contradictions. Il s’agit aussi d’assumer la dimension de l’imaginaire,
dans ses déclinaisons possibles, comme essentiel pour comprendre, en
suivant les travaux de l’historien de l’environnement John R. McNeill, ce
qu’on peut définir comme une sorte de « blocage idéologique » : c’est-àdire la résistance au changement manifestée par ces idées qui ont eu du
succès, et ce, indépendemment de notre propre jugement.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
59
Gagner du temps
Extrait d’entretien avec Eric Vuillet (directeur scientifique de
« alpS Gmbh» qui etudie l’evaluation et la gestion du risque au Tyrol),
Innsbruck, Autriche, octobre 2006.
« Si on prend par exemple, le Pitzal, où l’on a une infrastructure très
influencée par le tourisme. Si on regarde l’utilisation de l’espace, il y a
une volonté politique intéressée à ne pas abandonner des petites vallées
latérales comme celle-ci. Ces vallées ont des infrastructures peu
développées et ne sont pas toujours facilement accessibles, de temps en
temps il y a juste une rue, ou une course du train, ou du bus. C’est une
situation difficile parce qu’en hiver s’ajoute à tout cela le risque
d’avalanches. Maintenant, avec un grand effort, au fond des vallées on a
réussi à développer une industrie liée au glacier. Au Stubaital par
exemple, on a maintenant plus de 1000 postes de travail liés au glacier.
Ce sont des situations sensibles où il est devenu nécessaire d’élaborer
une stratégie spécifique pour ne pas arrêter le changement climatique
global, parce que c’est une erreur dans ce cas, mais pour gagner un peu
de temps…Pour gagner du temps parce que certainement on ne peut
pas interférer au niveau global , auquel on ne peut pas faire grande
chose, parce que même si maintenant on arrêtait les émissions de CO2
le trend continuerait comme ça encore pour cent ans. Ça veut dire
gagner du temps pour pouvoir élaborer de nouvelles stratégies locales,
parce qu’on ne peut pas tout changer d’un jour à l’autre et dire, à partir
d’aujourd’hui le glacier est terminé, et voilà, 1000 travailleurs à la rue.. et
ceux qui avant travaillaient sur le glacier maintenant iront développer des
softwares… Nous savons qu’avec ces interventions on ne peut pas
arrêter la fonte du glacier pour beaucoup de temps, on peut juste la
freiner, et seulement dans certains points névralgiques. »
LAA > Paysages imaginés paysages construits
60
10
Conclusions
« On ne peut pas rester toujours sur le sommet, il faut
redescendre… Avec quel but, alors? Voilà: le haut connaît le
bas, le bas ne connaît point le haut. En montant tu dois
toujours prendre note des difficultés de ton chemin; lorsque tu
montes, tu peux les voir. Dans la descente, tu ne les verras plus,
mais tu sauras qu’il y en a, si tu les auras bien observées. On
monte, on voit. On redescend, on ne voit plus ; mais on a vu. Il
existe un art de se rendre dans les régions basses à travers le
souvenir de ce qu’on a vu lorsqu’on était plus en haut. Lorsque
ce n’est plus possible voir, au moins c’est possible savoir. »
René Daumal, Le Mont Analogue, 1952.
Notre hypothèse de départ était que « seule une recomposition de
l’image des Alpes (ou mieux, des images) peut rendre possible la
compréhension de la complexité des tensions qui se créent entre les
dimensions locales et globales du processus historique, l’expérience
quotidienne qui naît de cette tension et leurs conséquences sur
l’espace ». Cette hypothèse, exprimée dans le titre et le sous-titre même
du projet de recherche « Paysages imaginés et paysages construits. Enquête d’un imaginaire contemporain des Alpes » n’est évidemment pas
limitée au seul territoire alpin, mais elle est valable pour tout territoire
ou situation, dans la mesure où il s’agit plus largement de la relation
entre expérience et représentation du monde.
Cette proposition exprimait une double préoccupation : d’une part celle
de la co-construction de l’imaginaire, de l’expérience et de la
transformation du monde ; et d’autre part, mais elle est liée à la
première, la préoccupation de l’expérience contemporaine, non pas
comme actuel instantané, mais comme présent riche de ses horizons
passés et futurs.
C’est en essayant de trouver une manière de mieux saisir les
articulations entre les faits (c’est-à-dire les processus matériels qui
transforment le paysage) et les fictions (c’est-à-dire les discours qui
participent à différents moments à ces transformations) que l’objet
artistique, à l’origine de cette recherche, nous est apparu comme un
véritable lieu et outil d’investigation.
Notre parcours de recherche s’est alors poursuivi conjointement à
l’élaboration du film Alpi dont la réalisation est toujours en cours. La
recherche et le film se sont développés selon, des logiques propres à
chacun, tout en gardant une contiguïté même sur le plan théorique.
A travers les terrains, les échanges (séminaires et colloques), les mises à
l’épreuve critique du matériel filmique, un tissu de questions s’est
précisé : Faut-il encore parler de la montagne pour parler des Alpes ?
Comment peut-on raconter aujourd’hui la complexité d’un lieu ? Quel est
l’impact de l’imaginaire sur notre expérience du monde ? Quelle expérience
singulière du monde est-il encore possible faire dans un lieu ? Comment notre
LAA > Paysages imaginés paysages construits
61
image du monde s’actualise-t-elle en relation avec ses changements ? Ces
questions ont servi de support au workshop final auquel nous avons
invité des personnalités, provenant de différents champs disciplinaires,
nous ayant aidé à mieux cerner les enjeux soulevés au cours de notre
parcours de recherche.
Le travail de terrain, au sens large du terme, a aussi permis la rencontre
de démarches artistiques ou d’approches proposant d’autres points de
vue et objets d’attention. Ceci nous a confirmé dans l’intérêt du chantier
que nous avons entrepris et aussi et surtout, dans la nécessité d’un
double mouvement pour voir et lire ce qui fait notre contemporanéité :
un déplacement du regard vers de nouveaux « objets » et phénomènes,
et en même temps la mobilisation de nouveaux outils de relevé et de
représentation de la réalité alpine.
Cette prise de conscience nous questionné sur la forme même de
restitution de notre recherche. S’il ne s’agit plus, de construire une
nouvelle représentation des Alpes, il s’agit désormais de travailler sur
l’élaboration d’un dispositif qui puisse permettre d’opérer un
changement de regard sur le monde alpin contemporain. Les
productions scientifiques, publicitaires, artistiques, les projets, ont été
réunies pour construire, non pas un nouveau paysage, mais une nouvelle
forme d’appréhension et de sensibilité critique vis-à-vis de ce qui
constitue le paysage alpin et qui est en partie occulté par un regard qui
apparaît « idéologiquement » figé dans le temps.
En cohérence avec cette démarche, nous nous sommes alors
questionnés sur notre rôle de chercheur et notre possible action sur cet
état de fait. C’est ainsi que l’idée de créer un dispositif dramaturgique
d’exposition – même si dans une forme virtuelle - qui puisse aussi agir
sur les émotions, s’est imposée à nous comme outil et aussi comme
stratégie d’action. L’exposition dont le parcours et les contenus sont
présentés dans ce rapport et dans la visite virtuelle ci-jointe, est pour
nous une véritable « machine de vision » et d’interprétation du monde,
capable d’agir sur les mécanismes même de la perception. Cette
exposition, construite en partie à partir des matériaux récoltés lors des
tournages du film, en constitue en même temps une forme de montage
possible. De plus, comme exposition, elle veut s’adresser à un vaste
public et en particulier, elle se propose comme lieu et support de
discussion des enjeux contemporains des Alpes. Dans ce sens c’est un
outil qui se veut actif dans le débat sur le monde et le paysage alpin
contemporain.
LAA > Paysages imaginés paysages construits
62
11
Bibliographie
La grande quantité de matériaux scientifiques et non scientifiques,
disponible sur les thématiques inhérentes à la recherche, nous a
nécessairement poussé à faire des choix. A côté d’oeuvres avec des
caractéristiques générales (surtout en ce qui concerne l’histoire et la
géographie des Alpes) nous avons essayé de travailler à partir de
nombreuses études et recherches plus spécifiques (sur l’histoire de la
perception, sur l’architecture et l’urbanisme, sur l’ethnographie alpine et
sur le paysage, même dans sa dimension sonore), souvent récentes, et en
mesure de mettre en évidence ces noeuds conceptuels et
méthodologiques utiles pour une recherche organisée autour d’un axe
qui comprend l’art, l’architecture et le paysage. Nous avons
successivement essayé de confronter ces travaux de réflexion théorique
avec une sélection de recherches plus actuelles dans les champs de la
photographie et de l’art, et de toutes les façons reliées à la question de
la représentation de la montagne.
Pour ces raisons, nous avons choisi d’organiser la bibliographie autour de
quelques thématiques qui puissent par la suite se prêter à des
croisements, interférences, confrontations, et fournir de nouvelles
stimulations à la recherche.
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© Credits de l’exposition
Tous les droits de reproductions des images, des vidéos et des bandes
sonores présentes dans ce CD-rom appartiennent à chaque auteur.
Pour toutes les vidéos :
• © Armin Linke, Milan Italie
• sauf pour, Ohne Titel, © Monica Studer & Christoph van der
Berg, 2006 (salle 4)
• sauf pour, Extrait du documentaire de Philippe Puicouyoul,
Charlotte Perriand et les Arcs, 2004/2005, © Centre Pompidou Adagp (salle 6.1)
• sauf pour, Extraits du JT, © France3 (salle 6.1)
Pour toutes les bandes sonores :
• © Renato Rinaldi et Laboratoire Architecture/Anthropologie,
École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris la Villette
• sauf pour, Carte postale sonore: berger d’Aubrac, avec Raymond
Redon ; réalisation Laurent Sassi & Jean Pallandre, © GMEA
(Groupe de Musique Electroacoustique d’Albi-Tarn), 2001 (salle
3.2)
• sauf pour, Vilegjant, Rap par Cjargnel, Dek ill cheesa, © Musiche
Furlane, A. De Candido, F. Romanin, 2006 (salle 5)
Pour les images:
• pour l’image d’ouverture © O. Baumeister, Erlacher R.,
Hamberger S., Zängl W., Schöne neue Alpen, Raben Verlag,
Munchen, 1998, (entrée).
• pour la publicité, © Eric Bergoend, BETC Euro RSCG, (salle 1)
• Otodate, © Akio Suzuki, Musée de la Ville de Paris, 2005 ; KU, ©
Akio Suzuki – Stadtgalerie Saarbrucken, 1997 (salle 2)
• pour le Son dans l’image © Armin Linke, Milan et © www.tyrol.at
(salle 3)
• pour le Sonagramme © Bernard Caillaud, Philippe Caillaud,
Revue SOLARIS, Dec. 2000/Jan. 2001 (salle 3)
• pour Vue des Alpes, © Monica Studer et Christoph van der Berg
(salle 4)
• pour Chamonix Mont-Blanc Identité et valeurs, © Office de
tourisme de Chamonix, France (salle 5)
• pour Pastore Giordano, © Armin Linke, Milan (salle 5.1)
• pour Controversies alpines, © il Messaggero 17.09.2007 (salle 5.2)
• pour Panoramas identitaires, © Rundgemälde Museum, Innsbruck
(salle 5.3)
• pour le plan Potentiels urbains de la Suisse © Roger Diener,
Jacques Herzog, Marcel Meili, Pierre de Meuron, Christian
Schmid, Eth Studio Basel – Institut pour la ville contemporaine La Suisse. Portrait urbain, Birkhäuser, Editions d’Architecture,
Basel, Boston, Berlin, 2006, Bâle (salle 6)
• pour le plan horizontal.METRO © YEAN, Tyrolcity, Wien-Bozen,
Folio-Verlag, 2005 (salle 6)
• pour Hannibal, © Ernest Lorenzi, Hannibal. Gletscherschauspiel
Sölden (salle 6.3)
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pour Alpes High-tech, © Giencke&Company Architects (salle 9)
pour le Décor panoramique, © Paul Madersbacher (salle 9)
pour l’image final, © O. Baumeister, R. Erlacher, S. Hamberger,
W. Zängl, Schöne neue Alpen, Raben Verlag, Munchen, 1998,
(remerciements)
Pour le graphisme :
• © Laboratoire Architecture/Anthropologie, École Nationale
Supérieure d'Architecture de Paris la Villette
Pour le developpement web :
• © intermediammh.com, Bologne, Italie
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