Il ne suffit que de regarder
Éthique et analytique des images
d’Auschwitz-Birkenau
William Delisle
Publié le 01-05-2017
http://sens-public.org/article1249.html
Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International
(CC BY-NC-SA 4.0)
Résumé
En raison de la tournée de Georges Didi-Huberman et de l’exposition Soulèvements, présentée par le Jeu de Paume, à travers le monde
(Paris, Barcelone, Buenos Aires, México et Montréal), cet article fait
un retour sur un ouvrage marquant du philosophe et historien de
l’art français, Images malgré tout (2003, Éditions de Minuit). Dans
un monde constamment submergé d’images, de représentations, comment pouvons-nous interpréter les images d’Auschwitz ? Sont-elles
encore regardables ou demandent-elles trop d’engagement émotionnel
ou intellectuel de celui ou celle qui les regarde ? Comment nous plaçonsnous dans l’imagerie de l’horreur ? Cet article propose un ajointement
entre les pistes conceptuelles et éthiques de l’image que Georges DidiHuberman propose dans son essai et les éléments élaborés par Sigmund
Freud sur le désir et la pulsion scopique ainsi que ceux élaborés par
Jacques Lacan sur le regard. À travers les exemples de Georges DidiHuberman et l’apport de la psychanalyse, cet article laisse la place
à une proposition éthique que l’on obtient grâce au compromis des
multiples éléments qui composent l’image (ontologie, esthétisme, technique) et du regard, de son domaine subjectif et unique ; une éthique
du malgré tout, du risque, basée sur les moyens de percer le réel, ce
terrible réel des camps de concentration, de la machine-à-mort qu’était
Auschwitz.
Abstract
Owing to Georges Didi-Huberman’s tour and his exhibition Soulèvements (Uprising), curated by Jeu de Paume and presented across the
world (Paris, Barcelona, Buenos Aires, México and Montreal), this
article examines the French philosopher and art historian’s remarkable
book Images malgré tout (Images despite it all) (2003, Éditions de
Minuit). In a world that is so overwhelmingly saturated with images
and representations, how can we look back on Auschwitz’s images
and interpret them? Are they watchable? Or do they demand an
unbearable emotional and intellectual labour from the viewer? How
do we position ourselves when faced with the imagery of horror? This
article offers a combination of Didi-Huberman’s conceptual and ethical
lines of thought developed in his essay, some elements of Sigmund
Freud’s ideas concerning desire and the scopic drive as well as Jacques
Lacan’s comments on the gaze. Between examples of Didi-Huberman
and psychoanalysis’ contribution, this article allows for an ethical product, obtained through the compromise of the image’s various elements
(ontology, aesthetics, technique) and the unique, subjective gaze falling
upon it; an ethic of the despite it all, an ethic of risk, based on the
means to pierce through the Real, the terrible Real of concentration
camps – of the deadly machine we call Auschwitz.
Mots-clés: Images, regard, éthique, objet-regard, Georges Didi-Huberman,
psychanalyse, philosophie, Jacques Lacan, Sigmund Freud, Auschwitz, photographie
Keywords: Image, Gaze, Ethic, Objet-regard, Georges Didi-Huberman,
Psychoanalysis, Philosophy, Jacques Lacan, Sigmund Freud, Auschwitz, Photography
Table des matières
L’image à risque . . . . . . . . . . . . . .
Surprendre son désir par le regard . . . . .
L’horreur des images, un acquis du regard
Soutenir l’existence en danger . . . . . . .
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . .
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Il ne suffit que de regarder
William Delisle
Soutenir un regard suffit à encourager l’existence d’une chose, d’un acte ou
d’un être. Un regard, comme nous allons le découvrir, provoquant le réel
et mettant à disposition de celui à qui il s’adresse un présent incomplet et
exigeant. Comment, alors, soutenir un regard lorsque ce qui nous est présenté
correspond aux images de l’enfer d’Auschwitz ? En d’autres mots, comment
pouvons-nous regarder et nous figurer les traces d’une expérience humaine qui
va au-delà de toutes qualités imaginaires ? Dans un monde « repu, presque
étouffé, de marchandise imaginaire » (DIDI-HUBERMAN 2003, 11), peut-on
assumer le poids des images en les reléguant à l’inimaginable, à l’impensable, à
l’irreprésentable, sans s’en préoccuper ? De quelle vérité pouvons-nous peindre
les images, témoignages nécessaires devant l’effacement et l’oubli, mais pas
sans défaut ?
Georges Didi-Huberman, en organisant l’exposition Soulèvements (DIDIHUBERMAN 2016) au Jeu de Paume, à Paris, est revenu sur ces questions
qui ont marqué son travail de philosophe et d’historien de l’art. Quatre
photographies y sont présentées, entre autres : quatre images « arrachées »
du réel d’Auschwitz par un membre du Sonderkommando (commando spécial)
pour la résistance polonaise, durant l’été 1944. Cette équipe de détenus, créée
en 1942, était l’esclave de la mort. Son travail – si on peut appeler cela un
travail – consistait à « manipuler la mort de leurs semblables par milliers »
(DIDI-HUBERMAN 2003, 13) dans les crématoires du camp. Leur existence
était réduite à mener à bien, dans le secret complet des nouveaux détenus et
des SS « non initiés », la Solution finale, soit en éliminant, par les chambres à
gaz, les Juifs et en faisant disparaître leurs corps dans les crématoires ou dans
les fosses d’incinération. Après avoir usé pendant des mois le peu de sens qui
restait de ces hommes, les SS les éliminaient pour former une nouvelle équipe,
et ainsi de suite. C’est dans ce contexte que ces quatre photographies ont été
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Il ne suffit que de regarder
prises clandestinement, à l’insu de la machine-à-mort nazie, dans un moment
d’urgence, de panique, où la catastrophe était celle de ne pas laisser de trace
de cette existence qui n’en était pas une ou, plutôt, qui n’en était plus une.
Un acte de résistance, donc, qui n’a jamais réellement été pris au sérieux
pour ce qu’il représente : « un imaginable pour ce dont personne, jusqu’alors,
n’entrevoyait la possibilité » (DIDI-HUBERMAN 2003, 16).
Cette analyse présentera les arguments éthiques de l’image de Georges DidiHuberman vus dans son livre Images malgré tout (DIDI-HUBERMAN 2003),
écrit il y a quinze ans pour accompagner une exposition sur l’imagerie des
camps de concentration (DIDI-HUBERMAN 2001). À partir de ce constat
philosophique, nous irons questionner la psychanalyse au sujet de « l’indestructibilité du désir » (MORIEN 2016), comme le dit très bien Georges
Didi-Huberman dans la présentation filmée de Soulèvements. Ce désir « plus
fort que nous [. . . ], qui va au-delà de notre vie » (MORIEN 2016), peut être
expliqué par la théorie de Sigmund Freud. Nous allons décrire l’objet regard
de Jacques Lacan, pour ainsi construire une hypothèse générale de ce que
serait une éthique du regard : un choix précis, risqué, de soutenir le regard
pour percer le réel et ainsi évoluer comme sujet. Effectivement, de ce dialogue
entre psychanalyse et philosophie, du malgré tout de Georges Didi-Huberman,
nous allons tirer une explication de cette éthique qui combinera les approches
pour ainsi rendre hommage aux quatre petites photographies en noir et blanc,
à ces « lambeaux » d’un réel violent.
L’image à risque
Dans une récente entrevue donnée à la radio française, Georges Didi-Huberman
est revenu sur l’idée qu’il n’y a pas d’identification entre image et émotion :
l’image ne cède pas l’émotion et l’émotion ne cède pas l’image (VAN REETH
2016). Les images seraient plutôt des porte-affects, véhicules de l’action d’une
émotion. Or, Georges Didi-Huberman remarque très bien l’ancienne méfiance
philosophique par rapport à l’émotion, considérée comme étant subjective
et irrationnelle, et à l’image ; il parle alors d’un débat entre l’importance
du monde de « l’intelligible » et celle du « sensible ». De ce fait, il cite
Maurice Merleau-Ponty : « le mot d’image est mal famé » (MERLEAUPONTY 1989, 69). Comme l’émotion, l’image est ambivalente, propose une
présence imminente, une précarité, un mouvement brusque, une action rapide.
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Mais dans cette ambivalence, beaucoup de choses sont laissées pour compte,
manquent de clarté ou manquent, tout simplement. Dans Images malgré tout,
Georges Didi-Huberman nomme cette situation « le double régime de l’image »
(DIDI-HUBERMAN 2003, 48).
Filip Müller, survivant du Sonderkommando, témoigne d’une scène incroyable
se passant un soir de février 1944 : dans la chambre du chef de commando,
voisine du crématoire, entourée des cadavres prêts à être brûlés, une bande de
SS fêtent la promotion d’un collègue avec de la musique et de la nourriture à
profusion – confisquée à leurs victimes (MÜLLER 1980, 133-34). Dans le bruit
continu de la machine-à-mort, la musique et la fête se mêlent dans un tout
sensible. Qu’est-ce qui est capté ici ? Une monade, le simple éclair essentiel
du moment, et le montage, l’agencement d’un dialogue entre deux sources au
sein même de l’événement, forment une « bouleversante contrainte » (DIDIHUBERMAN 2003, 45) qui pousse un après-coup à contenir cette étrange
chimie. « Dans l’instant il [l’après-coup] transforme la monade temporelle
de l’événement en un complexe montage de temps » (DIDI-HUBERMAN
2003, 46). Nous sommes donc dans l’essence-même de l’image malgré tout,
de cette ambivalence mouvementée de Merleau-Ponty, dans le double régime
du témoignage entre « vérité » et « obscurité ». On est à la fois dans la
féroce résolution d’un réel et dans l’incessant revirement de l’imaginaire. Cette
position est cependant « fragmentaire » et « lacunaire » (DIDI-HUBERMAN
2003, 48). Hannah Arendt parlait des « instants de vérité » (ARENDT 1997,
235) ; d’une vérité qui n’est « pas toute » (DIDI-HUBERMAN 2003, 54). On
ne peut pas s’attendre à une vérité complète et unie de la part des images.
Leur mouvement même rend l’exercice difficile. Mais paradoxalement, la
nécessité des témoignages, des images et des mots, réside dans cet aspect
lacunaire ; elle en est la particule même de vérité.
De cette manière, une éthique des images commence à se dessiner devant nous.
Il y a un « impossible de droit » – Auschwitz l’inmontrable – et un « nécessaire
de fait » – les images comme preuves d’un montrable (DIDI-HUBERMAN
2003, 55). Alors, entre ces deux propriétés exiguës, à l’aide du double régime
de l’image, l’éthique se forme dans un compromis exigeant. Modestie ou
simplicité, l’éthique des images sert à « rendre visible » (DIDI-HUBERMAN
2003, 56) malgré tout, à se montrer nécessaire à l’histoire en étant une fenêtre
unique vers le « vrai » imaginable.
Ceci étant dit, l’éthique est fragile et peut facilement se compromettre dans
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le dogme. Georges Didi-Huberman nomme plusieurs situations où les images
d’Auschwitz ont été trafiquées, mal interprétées ou tout simplement ignorées.
Ainsi, nous revenons à la méfiance face aux images et à l’irreprésentable
d’Auschwitz. En posant le problème de cette façon, l’éthique de l’image
change d’orientation pour produire deux champs du discours : l’esthétisme et
l’historicisme (DIDI-HUBERMAN 2003, 50). Pour le premier, l’image n’est
pas un document historique, mais une trace visuelle dont on peut facilement
manipuler et changer les composantes, pour en extraire un nouveau sens,
une nouvelle destinée. Pour le second, l’image est d’emblée incomplète ; elle
ne peut pas instruire sur l’histoire, donc elle n’est pas porteuse de vérité.
Où les images de la Shoah se placent-elles dans un tel contexte ? En présentant l’exposition Mémoire des camps en 2001, suivie de Images malgré tout,
Georges Didi-Huberman a été vivement critiqué pour ses propos sur ce sujet,
notamment par le psychanalyste Gérard Wajcman1 . Dans le raisonnement de
celui-ci, appuyé par l’iconographie du film homonyme de Claude Lanzmann
(LANZMANN 1985), la Shoah « fut et demeure sans image » ; elle est « sans
trace visible et inimaginable » ou tout simplement la « production d’un
Irreprésentable » (WAJCMAN 1998). Claude Lanzmann poussa son raisonnement jusqu’à affirmer que les images d’Auschwitz étaient des « images sans
imagination » (LANZMANN 2001). Il alimenta alors une opposition entre le
témoignage, porté majestueusement par son film et vu comme le seul moyen
d’incarner l’unique vérité, et l’archive visuelle, utilisée par les « fétichistes »
de l’apparence ou les délirants de l’information. Avoir en main une image des
camps ne fait pas de nous des spécialistes d’Auschwitz, des acteurs imaginaires
indécents, pris dans une incarnation artificielle de l’horreur. D’un autre côté,
exclure complètement l’image comme une source impossible de vérité, comme
un trompe-l’œil, un appel constant à la preuve – pensons à la crainte du
négationnisme –, une source inutile d’information, semble être une attitude
autrement tendancieuse. Cependant, l’archive est-elle aussi amalgamée dans
un tout impossible ? Où est la nécessité de l’image, défaillante, trace bâtarde
d’un réel, face à l’absolu de la logique du tout ou rien ? Qu’est-ce qui a permis
une telle vision hermétique, presque sacrée2 ? C’est exactement cette méfiance
vis-à-vis des images qui a fait l’historicisme et l’esthétisme, une méfiance
cédant à la morale indécente de la négation imaginaire. Gérard Wajcman
Les arguments de Gérard Wajcman et d’Élisabeth Pagnoux, ainsi que ceux de Claude
Lanzmann, sont débattus dans « Malgré l’image toute », (DIDI-HUBERMAN 2003, 67-226).
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Pour une pensée approfondie sur l’esthétisme de l’interdit, voir Jacques Rancière
(RANCIERE 2003).
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Il ne suffit que de regarder
et Claude Lanzmann, comme beaucoup d’autres, n’ont pas su regarder les
quatre images d’Auschwitz comme des morceaux de réel, moments de vérité
faisant partie d’une seule vérité, dialogue et montage entre « la parole et
le silence, le défaut et le reste, l’impossible et le malgré tout, le témoignage
et l’archive » (DIDI-HUBERMAN 2003, 133) : ils ont voulu n’y voir qu’un
simulacre, une fausseté, une attaque à la sacro-sainte iconographie véritable –
paradoxale, puisqu’elle représente l’irreprésentable – et unique de la Shoah,
soit celle de l’absence, de l’invisible.
Or, les photos existent et ces quatre dernières sont encore plus importantes,
puisqu’elles ont été portées par une volonté de résister. Pour défendre l’éthique
des images face au régime de l’invisible, l’auteur de Images malgré tout fait
intervenir Georges Bataille dans la question de la contrainte même de la Shoah :
« L’image de l’homme est inséparable, désormais, d’une chambre à gaz »
(BATAILLE 1988, 228). En effet, en reléguant les images à l’irreprésentable,
à l’invisible, une distance se crée entre celui qui regarde et ceux qui sont
regardés, soit les prisonniers et leurs bourreaux. La responsabilité d’intégrer
Auschwitz à un « possible » (BATAILLE 1947, 266) doit faire partie de notre
réalité. Si cette réalité n’est pas faite pour accueillir l’idée de représenter la
destruction qu’Auschwitz incarne, il faut la changer pour que cela soit possible
– d’où la part éthique de l’image.
Dans un autre substitut du discours, les images d’Auschwitz peuvent être
transformées en « icônes de l’horreur » – volonté purement esthétique – ou en
« document de l’horreur » (DIDI-HUBERMAN 2003, 50) – volonté historiciste.
Les deux visions de l’image en viennent à modifier les éléments des quatre
photographies de l’été 1944, dans le but, soit de donner visage (manipulation
de la représentation des corps pour les humaniser), de rendre présentables
les clichés pris dans un tout autre ordre d’idées, soit de manipuler l’information contenue dans les photographies afin de les rendre plus informatives
(recadrage, immersion, purification informative) (DIDI-HUBERMAN 2003,
50-52). Georges Didi-Huberman parle d’une manipulation « tout à la fois formelle, historique, éthique et ontologique » (DIDI-HUBERMAN 2003, 51-52).
En changeant les particularités de l’image, on aliène le photographe à une
nouvelle grille phénoménologique. On change les intentions, le regard et ses
particularités. On édifie un mensonge paresseux pour éviter d’accepter l’image
comme telle, malgré tout.
Quelle est la nature des images selon Georges Didi-Huberman ? Elle est
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Il ne suffit que de regarder
enseignante d’une vérité en mouvement ; elle est prise sur le coup, dans le
paradoxe du regard, entre dynamisme et statisme ; elle est incomplète, pleine
de trous et s’offre telle quelle ; elle provoque la nécessité du témoignage dans
l’histoire ; elle est ambiguë et son traitement contemporain est tout aussi
problématique ; elle joint l’imaginaire au réel.
Surprendre son désir par le regard
La psychanalyse s’impose ici comme interlocutrice des avancées éthiques de
l’image de Georges Didi-Huberman. C’est par la voie du regard qu’elle va
pouvoir répondre à l’expérience des quatre photographies d’Auschwitz, à ce
désir de mémoire qui a été plus fort que la mort. Dans une entrevue donnée
au magazine Philosophie, Georges Didi-Huberman mentionne le désir dans
l’acte de se soulever : « [. . . ] on transgresse, on va vers quelque chose qui vous
était interdit, on crée une nouvelle possibilité de vie, on va vers le futur. [. . . ]
Se soulever procède du désir, et le désir ne cesse jamais. Il est indestructible
[. . . ]. Il renaît de tout deuil. Ce que Freud précise, justement, c’est qu’on
ne désire jamais sans qu’intervienne la mémoire » (ENJALBERT 2016). En
effet, Freud, depuis le début de sa conception de la psychanalyse, a fait de
la mémoire une source incontournable du désir et un terrain propice à son
accomplissement. Le rêve est un parfait exemple du lien entre désir et mémoire.
À l’époque de L’interprétation des rêves, Freud reconnaîssait « une collection
de résidus psychiques, des traces mnésiques auxquelles [il a] dû attribuer
le caractère d’actualité » (FREUD 1980, 201). Avec cette actualisation des
traces mnésiques, « un matériel neuf sous forme de sensation vient s’ajouter
à ces souvenirs devenus actuels ». Freud ajoute que « l’essence du rêve n’est
pas modifiée quand un matériel somatique s’ajoute aux sources psychiques ;
il reste accomplissement de désir, quel que soit le mode d’expression que le
matériel actuel donne à ce désir ». Puisque chaque nouvelle sensation, nouvelle
pensée, nouvelle perception, sont vues comme un réinvestissement des traces
mnésiques, ce réinvestissement rétablirait l’état primaire de satisfaction du
désir. Georges Didi-Huberman finissait par répondre que « toute invention
du futur passe par une reconfiguration – et non pas une table rase – de la
mémoire » (ENJALBERT 2016). Le désir est dirigé par ces perceptions, ces
sensations, ces pensées, et recherche la satisfaction dans les objets qui lui sont
présentés (oral, anal, phallique, scopique, etc.). La « reconfiguration de la
mémoire » passe par une dynamique pulsionnelle de ces objets qui se donne
10
Il ne suffit que de regarder
des moyens diversifiés plus ou moins efficaces3 .
La pulsion scopique a cette particularité d’être « ambivalente », soit autoérotique. En effet, son « objet s’efface au profit de l’organe qui est [sa] source,
et, en règle générale, ne fait qu’un avec lui » (FREUD 1968, 33). L’œil n’est
pas la source pulsionnelle, même s’il en fait partie. Pour Freud, le « regarder
précède l’être regardé » (FREUD 1968, 29), ce qui veut dire que l’on veut
choisir activement un objet à regarder avant de vouloir être l’objet des autres à
regarder. Cependant, l’ambivalence de la pulsion ne serait pas présente sans un
autre stade qui précèderait le « regarder » et qui consiste en un « retournement
de la pulsion de regarder sur une partie du corps propre » (FREUD 1968,
28). Freud reclasse tous ces stades en les faisant évoluer parallèlement, d’où
une maximisation de la satisfaction pulsionnelle. Arrêtons-nous ici en ce qui
concerne la pulsion scopique freudienne, puisqu’elle sert à une toute autre fin
théorique et pratique dans le champ de la perversion.
Lacan va reprendre là où Freud s’est arrêté dans l’élaboration de la pulsion
scopique en distinguant l’œil du regard et en créant l’objet regard. À la
distinction de Freud et à l’aide des avancées phénoménologiques de son ami
Merleau-Ponty, Lacan opère une schize entre la fonction de voir et celle de
regarder. Voir, c’est se remettre à la conscience qui est obsédée par sa propre
place dans le monde. Je me vois me voir (LACAN 1973, 93). On se limite
alors à l’image spéculaire du sujet, représentation mentale où l’être prend
connaissance de son existence par une vision extérieure de son corps en tant
que lui-même. Cette image se résout par le narcissisme, où le sujet « trouve
appui pour une si foncière méconnaissance » (LACAN 1973, 87) dans une
sorte de contemplation. Or, là est la limite du voir : « c’est par là que le
monde est frappé d’une présomption d’idéalisation, du soupçon de ne [. . . ]
livrer que [les] représentations [du sujet] » (LACAN 1973, 94). Dans cette
situation, le regard est quasi impossible, l’illusion étant trop grande. Il est
ignoré par la conscience ; il est éludé dans ce que Merleau-Ponty appelle
Freud donne une très belle métaphore pour expliquer le procédé pulsionnel. Il dit :
« On pourrait décomposer la vie de toute pulsion en vagues isolées, séparées dans le temps,
homogènes à l’intérieur d’une unité donnée de temps et ayant entre elles à peu près le même
rapport que des éruptions successives de lave ». En continuant : « L’éruption pulsionnelle
première, la plus originaire, se perpétuerait sans changement et ne subirait absolument
aucun développement. Une vague suivante serait soumise, dès le début, à une modification,
[. . . ] et s’ajouterait, avec ce nouveau caractère, à la vague antérieure et ainsi de suite. »
(FREUD 1968, pp. 30-31).
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Il ne suffit que de regarder
« le spectacle du monde4 ». Dans ce « spectacle » de contemplation, nous
sommes tous des êtres regardés sans le savoir – le « monde est omnivoyeur »
dit Lacan (LACAN 1973, 88) – et c’est lorsque ce spectacle commence à
provoquer notre regard que le sujet chute dans l’incitation du désir. C’est ici
qu’entre en fonction l’objet regard. Lacan fait préexister le regard au sujet,
c’est-à-dire qu’avant même d’exister, il était regardé. Dans l’omnivoyance
du monde, le sujet est « donné à voir » et recherche alors à être regardé.
C’est dans cette recherche que le regard devient un objet du désir, un objet
a. Au comble de quoi, le sujet ne sait même pas qu’il recherche le regard,
mais, dans une contingence des fonctions de la pulsion scopique, recherche un
corrélat « punctiforme et évanescent » (LACAN 1973, 89). Dans l’ensemble
du tableau que forment nos représentations, le regard est cette « tache » qui
« s’échappe toujours à la saisie [. . . ] de la vision » (LACAN 1973, 87) ; il se
déplace à travers nos représentations, soutenu par la fonction du désir, comme
« fonction d’écran » (LACAN 1973, 111) dans l’infini symbolique de lumière
qu’est notre monde. Cette « tache » est en fait un élément de l’image qui
acquiert une épaisseur contingente, ce qui attire le sujet, son désir, sur ce point
précis5 . Cette situation peut placer le sujet comme étant lui-même à la fois un
tableau et une « tache » dans un environnement scopique – l’ambiguïté-même
de ce qu’est le regard dans l’ensemble. Merleau-Ponty, toujours cité par Lacan,
nomme « entrelacs » cet espace pulsionnel entre la vision (le voir) et le
regard6 (LACAN 2004, 107). On revient à l’ambivalence de l’objet scopique
chez Freud, où le sujet peut à la fois regarder et être regardé. C’est dans ce
contexte très spécifique que Lacan introduit l’objet regard : un objet identifié
à la fois à l’imaginaire7 de l’autre, à la fois à un réel indissociable et au
Cité par Lacan (LACAN 1973, 87).
Lacan a écrit ce très beau passage sur la « tache », plus tard dans son enseignement :
« Pour révéler ce qu’il y a d’apparence dans le caractère satisfaisant de la forme comme
telle, voire de l’idée en tant qu’enracinée dans l’eidos (idée) visuel, pour voir se déchirer
ce qu’il y a ici d’illusoire, il suffit d’apporter une tache dans le champ visuel pour voir
où s’attache vraiment la pointe du désir. [. . . ] je dirai qu’il suffit d’une tache pour faire
fonction de grain de beauté. [. . . ] Plus que la forme qu’il entache, c’est le grain de beauté
qui me regarde. C’est parce que ça me regarde qu’il m’attire si paradoxalement, quelquefois
à plus juste titre que le regard de ma partenaire, car ce regard me reflète [. . . ]. », (LACAN
2004, 293).
6
Pour la notion d’entrelacs, voir Merleau-Ponty (MERLEAU-PONTY 1964, 172).
7
Comme Imaginaire, on pourrait prendre cette citation de Lacan : « Imaginaire renvoie
ici – premièrement, au rapport du sujet avec ses identifications formatrices, c’est le sens
plein du terme d’image en analyse – deuxièmement, au rapport du sujet au réel dont la
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Il ne suffit que de regarder
symbolique issu de la lumière. Il joue entre la « lumière et l’opacité (LACAN
1973, 111) » et est objet-cause du désir, insaisissable, comme à jamais caché
entre deux champs. C’est dans ce sens que l’on peut parler d’une éthique du
regard, à savoir une éthique de l’absence et du désir de recherche du sens, du
savoir d’un réel qui s’y cache8 . Capter à tout prix un morceau de réel pour
pouvoir comprendre son désir. Chasser la tache pour savoir ce qui s’y cache
derrière. C’est là que Lacan rejoint Georges Didi-Huberman.
L’horreur des images, un acquis du regard
Y a-t-il un savoir dans les images d’Auschwitz ? Peut-on recourir à ce genre
d’énoncé lorsqu’il est question des horreurs commises durant la Shoah ?
Georges Didi-Huberman affirme qu’il n’y a pas de vérité-toute dans les photographies de 1944, mais qu’elles « sont pour nous – pour notre regard
aujourd’hui – la vérité même, à savoir son vestige, son pauvre lambeau »
(DIDI-HUBERMAN 2003, 54). Il y a donc un travail éthique à produire devant
ces images. Lorsque le dénommé Alex, ce membre du Sonderkommando, a
pris ces photographies, n’y avait-il pas là une nécessité, un désir qui rendait la
vie accessoire au témoignage ? Les SS, dans leur entreprise terrifiante, avaient
comme but ultime de faire disparaître la disparition même des Juifs. Par
exemple, le lexique utilisé dans l’administration de la mort était vidé de
tous mots qui concernaient directement la mort et son industrie : les corps
étaient appelés pièces, la mise à mort par gaz était nommée Sonderbehandlung,
soit « traitement spécial », et ainsi de suite (DIDI-HUBERMAN 2003, 31).
Même le mot Sonderkommando ne voulait pas dire grand-chose de particulier.
Ensuite, les SS voulaient détruire tous les restes humains, toutes les traces de
vie, en faisant brûler les corps dans les crématoires ou les fosses d’incinération,
en réduisant en poudre les os qui restaient et en éparpillant les cendres dans
les étendues d’eau, dans les forêts environnantes ou sous terre. Ils sont même
allés jusqu’à déterrer les cadavres des fosses d’exécution pour les incinérer
à la suite9 (DIDI-HUBERMAN 2003, 32). La Solution finale terminée, les
SS avaient l’intention de détruire les installations qui avaient servi à l’industrie de la mort. Il y avait donc une volonté de ne « laisser aucune trace,
caractéristique est d’être illusoire [. . . ]. » (LACAN 1975, 134).
8
Nous nous sommes inspirés du travail de Lisa van Huynh (VAN HUYNH 2013).
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Ce moment dément de la Shoah a été nommé l’Aktion 1005, commandé par Himmler
lui-même, lors de sa visite à Treblinka en mars 1943.
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Il ne suffit que de regarder
[de] faire disparaître tout reste » (DIDI-HUBERMAN 2003, 32). On voulait
aussi « faire disparaître les archives, la mémoire de la disparition », soit une
« façon de la maintenir, encore et toujours, dans sa condition inimaginable »
(DIDI-HUBERMAN 2003, 34). Dans ce sens, les quatre images du Sonderkommando sont quatre « réfutations » (DIDI-HUBERMAN 2003, 30-31). Un
mouvement porté à l’encontre du système de destruction, à l’encontre de
l’anéantissement de l’être dans l’ensemble de son existence, à l’encontre de la
pensée de « l’inimaginable ». Risquer sa vie, alors, pour immortaliser dans
une image, un bout de réel dissout dans le silence, dans la volonté de le cacher,
de déshumaniser sa présence. Un désir de résistance pour « maintenir cette
image malgré tout », pour rester vivant dans l’histoire et pour en montrer ses
plus dures épreuves (DIDI-HUBERMAN 2003, 60). Un désir de provoquer le
regard chez l’autre, peut-être ?
N’y a-t-il pas ici un aspect à rajouter à l’éthique de l’image que l’on a soulevée
plus tôt ? Dans le double régime de l’image, dans cette ambivalence constante
d’opposer ses éléments par leur contraire, n’y a-t-il pas un espace où le regard
perce l’image, où l’imaginaire peut toucher une part du réel10 ? C’est ce que
Georges Didi-Huberman a appelé « l’image-déchirure », ce qui « laisse fuser un
éclat du réel » (DIDI-HUBERMAN 2003, 104). Il cite même Lacan, toujours
influencé par la phénoménologie, lorsque celui-ci revient sur la fonction de
l’imaginaire dans le « surgissement de l’image terrifiante » :
La phénoménologie du rêve de l’injection d’Irma nous a fait distinguer [le] surgissement de l’image terrifiante, angoissante, de
cette vraie tête de Méduse, [. . . ] révélation de ce quelque chose
d’à proprement parler innommable [. . . ]. Il y a donc apparition
angoissante d’une image qui résume ce que nous pouvons appeler
la révélation du réel dans ce qu’il a de moins pénétrable, du réel
sans aucune médiation possible, du réel dernier, de l’objet essentiel qui n’est plus un objet, mais ce quelque chose devant quoi
tous les mots s’arrêtent et toutes les catégories échouent, l’objet
d’angoisse par excellence. [. . . ] Il s’agit d’un dissemblable essentiel,
qui n’est ni le supplément ni le complément du semblable, qui est
l’image même de la dislocation, du déchirement essentiel du sujet
Georges Didi-Huberman fait référence à ce que Maurice Blanchot a nommé « la double
version » de l’imaginaire, où elle serait à la fois l’image qui « nie le néant » et l’image
qui porte le « regard du néant sur nous ». Maurice Blanchot, « Les deux versions de
l’imaginaire » (BLANCHOT 1951, 341-55).
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Il ne suffit que de regarder
(LACAN 1978, 209).
Lacan cerne déjà ici ce qui va composer son objet regard : déchirement
essentiel du sujet – la tache – là où le « rapport imaginaire atteint lui-même
sa propre limite ». Georges Didi-Huberman retire de cette leçon que l’image
doit nécessairement répondre au double régime, que cette image-déchirure est
une « exception » parmi le « consensuel ». Une image-déchirure qui montre,
donc, « l’horreur nue », celle de « l’humaine banalité au service du mal le plus
radical » (DIDI-HUBERMAN 2003, 106). Fondre l’imaginaire au réel crée
la possibilité qu’il y ait un savoir qui surgisse de la brèche du double régime.
Provoquer le regard. Dans cette « turbulence » créée par la « connaissance »,
nous « traversons alors le moment difficile et fécond d’une épreuve de vérité »
(DIDI-HUBERMAN 2003, 108) - ce que Susan Sontag appelait « épiphanie
négative ». Lorsque la philosophe décrit le moment où elle a pris conscience
des horreurs photographiées dans les camps de concentration, elle en parle
comme d’un événement à part entière : « La première rencontre que l’on fait
de l’inventaire photographique de l’horreur absolue est comme une révélation,
prototype moderne de la révélation : une épiphanie négative ». Elle ajoute
alors : « Quand j’ai regardé ces photos, quelque chose s’est brisé. Une limite
avait été atteinte, et qui n’était pas seulement celle de l’horreur ; je me suis
sentis irrémédiablement endeuillée, blessée, mais une partie de mes sentiments
commença à se raidir ; ce fut la fin de quelque chose » (SONTAG 1993, 34).
Un savoir est acquis et vient du regard – j’ai découvert, donc je suis irradié
par ce savoir. Toujours est-il que la limite même du savoir est le sujet. Susan
Sontag le dit très bien dans le « quelque chose s’est brisé » – le sujet choit
dans la dialectique du désir.
Soutenir l’existence en danger
Nous avons un certain savoir qui découle d’un premier regard, d’un « geste »
qui sous-tend un désir de montrer et, surtout, de résister. Au-delà de l’image
terrifiante, notre regard porte sur ce qui fait tache dans l’image, ce qui
devait auparavant nous laisser indifférents (nous avons l’exemple de ceux qui
formatent les images des camps pour faciliter artificiellement le regard). Or,
c’est toute la nature de l’image et du premier regard qui nous est représentée
ici, celui d’Alex, membre du Sonderkommando – sachant très bien qu’il n’allait
pas survivre à cet enfer. Malgré tout, malgré la contradiction du désir et de la
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Il ne suffit que de regarder
vie qui le porte, malgré les ambiguïtés techniques et phénoménologiques des
images, malgré le savoir lacunaire qui y est véhiculé. Georges Didi-Huberman
finit son ouvrage par une remarque de Siegfried Kracauer sur le mythe de
Méduse où, rappelons-le, Persée doit combattre la Gorgone Méduse, qui par
un simple regard perçant, peut transformer la personne regardée en bête de
pierre ; Persée, sous les conseils d’Athéna, réussit à couper la tête de Méduse
en regardant la réflexion de celle-ci dans son bouclier. Kracauer dit que nous
ne pouvons pas voir les « horreurs réelles », car « elles nous paralysent d’une
terreur aveuglante ». La seule façon de les regarder, c’est par leur reproduction
véritable en images. Il ajoute : « Le mythe nous suggère aussi que les images
sur le bouclier ou sur l’écran sont des moyens pour une fin ; elles sont là
pour permettre au spectateur – voire pour l’induire dans cette possibilité
– de décapiter l’horreur qu’elles reflètent. [. . . ] Elles appellent le spectateur
à prendre et, donc, à incorporer en sa mémoire la face réelle des choses,
ces choses trop terribles pour être vues dans la réalité. [. . . ] Nous sauvons
l’horreur de son invisibilité derrière les voiles de la panique et du fantasme »
(KRACAUER 1974, p. p. 305-306). Nous avons ici les deux logiques éthiques
présentées plus haut : celle de l’image et celle du regard. À la fois, l’éthique
de l’image demande un travail considérable, un « mouvement » pour bien
y attraper le réel qui la traverse, sans se laisser dominer par les limites de
notre perception ; l’éthique du regard consiste à naviguer dans l’absence pour
y trouver un sens, une direction, qui nous permet de prendre un bout de réel.
Cependant, cette éthique demande un courage énorme et une persistance dans
la réhabilitation du réel, de son « impossible », à un « possible ». Georges
Didi-Huberman retrouve Lacan dans le fait que l’on ne fait que rarement le
« choix » de persister à prendre le réel pour ce qu’il est. Que cela soit dans la
réduction de l’image d’Auschwitz à un « irreprésentable », ou que cela soit
dans l’insaisissable du regard, dans le choix que l’on fait de l’ignorer comme
tel, dans nos représentations pudiques et conservatrices de notre vision. Or,
l’éthique est toujours une question de choix11 – toujours entre deux champs,
entre deux composantes, là où tout chute pour créer un moment, un risque,
un instant senti par le sujet. Malgré tout. Quatre photographies qui, encore
Georges Didi-Huberman cite Robert Antelme lorsque celui-ci parle du choix à faire
quand il est question de parler des camps, de son expérience personnelle qui lui paraissait
« inimaginable ». Malgré tout, il annonce la nécessité du « choix, c’est-à-dire encore [de]
l’imagination » ; Robert Antelme (ANTELME 1957, 9). On pourrait aussi citer Jacques
Rancière lorsqu’il dit qu’il n’y a pas « d’irreprésentable comme propriété d’événement [. . . ]
il y a seulement des choix » (RANCIERE 2003, 145).
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Il ne suffit que de regarder
après les nombreux obstacles, montrent un regard que l’on ne saurait ignorer,
un regard qui aspire à l’histoire de tous et qui questionne notre capacité à
comprendre ce qui nous regarde.
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