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Charles Mopsik Textes choisis Le Monde Divin

1997, Charles Mopsik - Cabale et Cabalistes (extrait, textes choisis)

Extrait de Cabale et Cabalistes, petite anthologie ayant trait à la nature du monde divin par rapport à notre monde de matière par divers penseurs entre le IIème et le XVIIème siècle raéssemblée par Charles Mopsik publiées chez Bayard presses en 1997.

CABALE ETCABALISTES CHARLESMOPSIK - ,. ~ 1 ~r 1 , n .,- t.n Spiritualitésvivantes Albin Michel Textes choisis 120 Dieu et Lemonde divin 121 L'insondable KETER (Couronne) 2 3 !iOKHMAH BINAII (Sagesse) (Discernement) 4 5 !iESSED GUEVOURAII (Bonté, Grâce) (Puissance, Rigueur) 6 TIFERET (Beauté) 7 8 NETSA!.!. HOD (Victoire) (Majesté) 9 YESSOD (Fondement) 10 MALKHOUT (Royauté) La Couronne suprême : secret du degré le plus haut, clos et scellé, gravé dans le secret de la Foi. Elle est appelée Air limpide insaisissable [ ... ] et elle est le principe de toute l'existence. Tous les hommes s'épuisent dans leur recherche et il ne faut ni spéculer ni penser en ce lieu. Ce domaine est nommé par le secret de l'infini car il est le principe du tout. En vérité, sur lui se brise l'ardeur des sages car il est le secret de la Cause des causes, comme nous l'avons indiqué, et c'est lui qui leur donne à tous l'existence. Il faut réaliser, réfléchir et disposer l'esprit et la pensée au fait que Lui, béni soit son nom, est l'annihilation de toutes les pensées et qu'aucune idée ne le contient. Or donc, puisque nul (ayin) ne l'appréhende de quelque façon, il est appelé Néant (ayin). C'est le secret du verset: « La sagesse, tu la trouveras à partir du néant» (Jb 28, 12). Tout ce qui est indéfinissable et inaccessible, dont nul ne sait rien, est appelé néant, à savoir: personne ne sait rien à propos de cette chose. Or l'âme de l'homme, celle qui est dénommée âme intellectuelle, nul ne sait en percevoir quoi que ce soit. Elle jouit donc d'un statut de néant, comme il est dit: « La supériorité de l'homme sur l'animal est néant» (Ec 3, 19), car par cette âme l'homme possède une supériorité sur toutes les autres créatures et cette suréminence qu'il recèle est cette chose appelée «néant». Si donc nul ne sait rien de cette âme, à cause des réalités indéfinissables et inaccessibles qu'elle recèle, à bien plus forte raison en va-t-il de même en ce qui concerne l'occultation de ce lieu-là que les êtres d'en haut et d'en bas n'atteignent en rien quand ils le cherchent. Comprends qu'il arrive à l'homme que sur sa tête passe un air qui réjouit le cœur et les pensées, et [cet homme] ignore ce que c'est et pourquoi cela se produit, parce que c'est insaisissable. De même, lorsque le degré en question [= le Néant] se met en branle, il donne à tous splendeur et rayonnement, mais il n'est d'aucune façon saisissable 122 Textes choisis par eux et ils ne savent rien à son sujet. Et à cause de l'éminence de son rang, il n'a pas de nom qui l'arraisonnerait. Cependant, grâce aux autres couronnes encloses qui sont inaccessibles [==les autres sefirot], l'homme intellectuel renoncera à l'idée et à la pensée de spéculer à son sujet, en vertu de quoi [ce Néant] sera appelé «Lui», chose cachée et occultée, « Lui nous a faits>\ (Ps 100, 3), «Que le Lévite serve Lui» (Nb 18, 23 ). A partir de là les choses occultes et encloses ont procédé en chaîne vers l'en bas de façon à ce que puisse être prononcé le nom« Lui». Qu'il est agréable de savoir que Lui, béni soit son nom, existentia toute l'existence et que, à partir d'une parcelle de l'existence, l'âme intellectuelle est en mesure d'atteindre la vérité de son existence, « Tu en verras seulement l'extrémité, tu ne le verras pas tout entier» (Nb 23, 13). Ainsi, il n'a ni commencement ni limite ni fin, et l'homme doit s'écarter de lui ainsi que ses- pensées. (Moïse de Léon, le sicle du sanctuaire, op. cit .. p.113-114.) Cela que l'on ne doit pas nommer Sache qu'il ne faut absolument pas spéculer sur l'infini, béni soit-il, car il est interdit de lui attribuer ne serait-ce qu'une existence nécessaire. Même la première scfira est. appelée Néant alors que la deuxième est dénommée Etre, à savoir que nous savons qu'il est et c'est seulement cela que nous percevons de lui, ce qui n'est pas même le cas de la première [sefira] et à plus forte raison de l'infini, béni soit-il, que son nom soit béni, qu'il est interdit de penser de quelque façon, il est même interdit de l'appeler« Infini». Tout cc que nous disons de lui et des sefirot [concerne] sa volonté et sa providence en tant qu'il est connaissable par ses actes. Tel est le principe de toutes les voies de la cabale. Et l'on sait que, de la même façon qu'il est sans limite, ainsi sa volonté, et c'est cela l'infini de sa volonté pure, et même à cet égard il est interdit de spéculer de quelque manière, l'on sait seulement que les Dieu et le monde divin 123 mondes sont finis et nombrables. (Gaon Élie de Vilna [ 1720-1797), Lituanie, appendice de son Commentaire sur le Sifra di-Tsniouta, rééd. à Jérusalem, s.d. [vers 1967), fol. 38b.) Le Dieu anthropomorphe: le Chiour Qomah R. Ismaël dit: J'ai vu le Roi des rois de rois assis sur un trône élevé et sublime, ses guerriers se tenaient devant lui à sa droite et à sa gauche. Un ange, le prince de la Face, dont le nom est Métatron ( ... ) me dit: Indique, rabbi Ismaël, quelle est la mensuration du Saint béni soit-il, lui qui est caché vis-à-vis de toutes les créatures. La plante de ses pieds remplit le monde entier, comme il est écrit: « Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied» (ls 66, I ). La hauteur de chacune de ses voûtes plantaires est de trois cent mille milliers de parsi, la plante de son pied droit porte le nom de Parsimya Atraqatat et celle de gauche est dénommée Antaman. [ ... ] Sur son cœur soixante-dix noms sont inscrits[ ... ]. La sphère de sa tête a trois cent mille myriades trente-trois et un tiers de parsi, [d'une immensité] que la bouche ne peut dire et que l'oreille est incapable d'entendre [ ... ]. L'apparence du visage comme des mâchoires ressemble à l'esprit et à la fonne de l'âme, nulle créature ne peut l'évoquer. Son corps est comme de la chrysolithe, son éclat lumineux répand le feu du milieu de l'obscurité, il est enveloppé de nuages et de brumes, tous les princes de la Face et les séraphins sont en ordre devant lui [ ... ). Sa langue s'étend d'un bout du monde à l'autre [ ... ). Sur son front il est écrit YYHOU, HAHA, YOAH, VAYAH, HAA, HAY, HAY[ ... ). La pupille de son œil droit a cent mille et mille quatre cents parsi, de même celle de gauche [ ... ], les étincelles qui en jaillissent illuminent toutes les créatures. C'est pourquoi il est appelé « le Dieu grand, puissant et redoutable» [ ... ]. Chaque parsi a trois milles et chaque mille a dix mille coudées, chaque coudée a deux empans selon son empan à lui, et son empan à lui remplit l'univers entier[ ... ]. La lar- Textes choisis 124 geur du front est comme la hauteur du cou, la moustache a la longueur d'une narine, la longueur d'une narine est pareille à celle du petit doigt, la hauteur des mâchoires est comme la moitié de la sphère de la tête, comme il en va des proportions de chaque homme [ ... ].La couronne qui est sur sa tête a quatre cent mille sur quatre cent mille [parsi], son nom est Israël[ ... ]. Ses cuisses sont des piliers d'albâtre reposant sur des planches d'or fin, [ ... ] il est tout entier délices, tel est mon bien-aimé et mon compagnon, filles de Jérusalem [ ... ]. En conséquence, la totalité de la dimension [divine] est d'une myriade de myriades de myriades de milliers de parsi de hauteur, et de mille milliers de myriades de parsi de largeur. Rabbi Ismaël dit: Lorsque je dis cela en présence de rabbi Akiba, il me déclara: Quiconque connaît cette mesure de notre Créateur et la forme du Saint béni soit-il qui est cachée aux créatures, il peut être assuré d'être digne-du monde à venir, il goûtera dès ce monde-ci au bonheur du monde à venir et il vivra de longs jours. Rabbi Ismaël me dit devant ses disciples : Moi et rabbi Akiba nous nous en portons garants, quiconque connaît cette mesure de notre Créateur et la forme du Saint béni soit-il, est assurément digne du monde à venir, pourvu qu'il les étudie de façon répétée chaque jour sans exception. (Extrait de la version éditée dans Otsar haMidrachim, New York, 1920, t. li, p. 561-562, cité d'après le Sefer Raziel.) La beauté de Dieu De ces commandements, le premier et le plus grand, c'est de craindre le Seigneur Dieu et de ne servir que lui seul. Or le Dieu qu'il nous a dit de craindre, c'est celui dont les anges des moindres fidèles d'entre nous contemplent perpétuellement la face dans le ciel, c'est le Père. Car il a une forme, à cause de la première et unique beauté. Il a tous les membres, mais non pour s'en servir: car il n'a pas des yeux pour voir par eux, puisqu'il voit de partout, son corps étant incompara- Dieu et le monde divin 125 blement plus lumineux que l'esprit par lequel nous voyons et plus brillant que tout, à tel point qu'en comparaison avec lui la lumière du soleil est réputée ténèbres. Il n'a pas non plus des oreilles pour entendre, car c'est de partout qu'il entend, comprend, meut, agit, fait. C'est à cause de l'homme qu'il a la plus belle forme, c'est pour que ceux qui ont le cœur pur puissent le voir et se réjouissent à sa vue en compensation des maux qu'ils ont endurés ici-bas. C'est sur sa propre forme, comme avec un très grand sceau, qu'il a modelé l'homme, afin que celui-ci fût le chef et le maître de toutes choses et que tout fût à son service. C'est pourquoi jugeant que Dieu est le tout et que l'homme est son image - Dieu lui-même est invisible mais l'homme visible est son image - celui qui veut honorer Dieu honore son image visible, qui est l'homme. Par conséquent, tout ce que l'on fait à l'homme, soit bien, soit mal, remonte jusqu'à Dieu. Ainsi son jugement s'étendra-t-il à tous, rendant à chacun selon ses mérites. Car il venge sa propre forme. (Témoignage des Homélies clémentines, homélie XVII, § 7, citée d'après la traduction du grec par A. Siouville, rééditée aux éd. Verdier, 1991, p. 322.) Le corps humain mémorial du Corps de Dieu Toutes les expressions que nous lisons dans la Torah, comme «main», «pied», «oreille», « œil », et ainsi de suite, que signifient-elles? Sache et crois que toutes ces expressions, bien qu'elles indiquent et attestent sa grandeur et sa réalité, aucune créature ne peut connaître et conceptualiser l'essence de cette chose[= sefira] appelée main, pied, oreille, et autres semblables. Et si nous sommes façonnés d'après l'image et la forme [du Créateur], qu'il ne te vienne pas à l'esprit que« I'œil » a la forme physique de l 'Œil, ou la« main» la forme physique de la Main, mais il s'agit des plus insondables expressions se rapportant à la réalité de l'existence de YHVH, béni soit-il, desquelles la source et l'épanchement jaillissent vers tous les existants de Textes choisis 126 par le décret du Nom, qu'il soit béni. Néanmoins, la quiddité de la Main n'est pas comme la quiddité de la «main», et leur ~tructure n'est pas équivalente, comme il est dit: « A qui te comparerai-je et te ferai-je égaler?» (ls 40, 25). Sache et comprends qu'il n'y a pas entre nous et lui de ressemblance sous l'angle de la substance et de la bâtisse, hormis l'intention placée dans les formes de nos organes qui sont façonnées comme des signes renvoyant à des choses mystérieuses et sublimes, que l'esprit ne peut connaître sauf à la manière d'une évocation: quand on écrit par exemple « Ruben fils de Jacob», ces lettres ne sont pas la forme même de Ruben fils de Jacob - ni sa forme, ni sa structure, ni sa quiddité - mais elles sont le rappel qu'il s'agit de Ruben fils de Jacob; l'écriture est un signe renvoyant à la substance et à la structure connue appelée « Ruben fils de Jacob». Et puisque YHVH, béni soit-il, a voulu que nous obtenions-du mérite, il a créé dans le corps de l'homme de nombreux organes, cachés et exposés, qui font office de signes [renvoyant) au récit du Char [= la structure du monde divin]. Si l'homme a le mérite de purifier l'un de ses organes, cet organe même sera à l'image d'un trône pour la chose supérieure insondable appelée par ce nom: œil pour Œil, main pour Main, et ainsi de suite. (Joseph Gikatila, Castille, XIII° siècle, Les portes de la lumière [Cha'aré Oruh], Varsovie, 1883, 2b, p. 4-5.) Les dix entités créatrices Alors que le livre de la Genèse relatait la façon dont Dieu créa le monde en prononçant l'une après l'autre dix paroles, depuis lefiat lux du premier jour, un énoncé du Talmud franchit un pas supplémentaire en direction d'une conception théosophique de la création. Il énumère dix «choses» (devarim) ou dix entités par le biais desquelles Dieu a créé l'univers. Bien que le statut ontologique de ces dix choses ne soit pas précisé, il est fait clairement allusion à l'existence d'un Dieu et le monde divin 127 modèle d'activité divine cosmogonique. Ces agents créateurs ne sont plus simplement les dix paroles du Dieu de la Bible mais apparaissent comme des aspects de la vie divine. Une connexion, encore imprécise, semble même établie entre chacune de ces entités et un domaine particulier de l'univers. Des sources extérieures au judaïsme, dont des textes gnostiques et hermétiques sans doute antérieurs au milieu du 11°siècle, se réfèrent également à l'existence de dix entités supérieures ou logoi divins et représentent vraisemblablementdes reformulations de spéculations juives très anciennes sur le processus de la création, où le nombre dix joue un rôle essentiel. R. Zoutra ben Touvia dit au nom de Rav que le monde a été créé au moyen de dix entités : Sagesse et Intelligence, Connaissance et Force, Puissance et Menace, Droiture et Justice, Grâce et Miséricorde. Que le monde fut créé par la Sagesse et l'intelligence, 011le sait grâce au verset: « C'est par la sagesse que l'Eternel a fondé la terre, c'est par l'intelligence qu'il a affermi les cieux» (Pr 3, 19). Par la Connaissance: « C'est par sa connaissance que les abîmes se sont ouverts» (suite). Par la Force et la Puissance: «li affermit les montagnes par sa force, il est ceint de puissance» (Ps 65, 7). Par la Menace: « Les colonnes du ciel tremblent et s'étonnent à sa menace» (Jb 26, 11). Par la Droiture et la Justice: « La droiture et la justice sont la base de ton trône» (Ps 89, 15). Par la Grâce et la Miséricorde: « Souviens-toi de ta miséricorde et de ta grâce, car elles existent à tout jamais» (Ps 25, 6). (Talmud, traité Haguiga 12a.) Les six extensions et l'infini Le véritable Dieu est donc un; il préside, doué d'une forme éminente. li est deux fois cœur, et de ce qui est en haut, et de ce qui est en bas. De ce cœur, comme d'un centre, jaillit la force vitale et incorporelle, ainsi que l'univers avec les astres et les lois du ciel, de l'air, Textes choisis 128 de l'eau, de la terre et de tous les autres êtres. Il apparaît comme une substance infinie en hauteur, illimitée en profondeur, immense en largeur, étendant trois fois à l'infini la nature vivifiante et intelligente de Dieu. Cet infini en tous sens qui sort de lui est nécessairement cœur; il possède la figure de celui qui est réellement au-dessus de tout, de celui qui, où qu'il soit, est comme au centre de l'infini, tout en étant la limite de l'univers. C'est donc de lui que partent les extensions qui tirent leur nature des infinis. Prenant en lui leur point de départ, l'un [de ces infinis] pénètre en hauteur en haut, l'autre en profondeur en bas, celui-ci à droite, celui-là à gauche, l'un par-devant, )'autre par-derrière. Les yeux fixés sur eux comme sur un nombre égal de toutes parts, Dieu achève le monde en six intervalles de temps, étant lui-même repos et ayant pour image le siècle infini à venir. Il est le commencement et la fin car c'est à lui qu'aboutissent les six [extensions]-infinies et c'est de lui qu'elles partent pour s'étendre à l'infini. Tel est le mystère de la semaine. Car Dieu est le repos de tous les êtres. Il se donne lui-même pour leur repos à ceux qui imitent en petit ce qu'il a fait en grand. Il est seul, tantôt compréhensible, tantôt incompréhensible, tantôt sans limites, avec des extensions qui, partant de lui, s'étendent à l'infini. (Témoignage des Homélies clémentines, homélie XVII, § 9, op. cit., p. 323-324.) les dix sejirot Dix chiffres-abîme: nombre des dix doigts, cinq face à cinq, l'alliance de !'Unité située au centre dans la circoncision de la langue et de la bouche ainsi que dans la circoncision de la nudité. Dix chiffres-abîme: dix et non neuf, dix et non onze. Discerne avec sagesse et sois sage avec discernement. Examine-les et sonde-les. Connais, considère et conçois. Dresse la chose sur sa base et assieds le Créateur sur son siège. Leur mesure est dix parce qu'ils n'ont pas de fin. Dieu et le monde divin 129 Dix chiffres-abîme: retiens ton cœur de spéculer, retiens ta bouche de parler. Et si ton cœur se hâte, retourne à l'endroit d'où tu es parti et rappelle-toi qu'il est dit: « Les Vivants couraient et revenaient» (Ez 1, 14). Sur cette chose-là une alliance a été conclue. [Dix chiffres-abîme]: leur mesure est dix parce qu'ils n'ont pas de fin: leur fin est fichée dans leur origine et leur origine dans leur fin, telle une flamme liée à un charbon ardent. Connais, considère et conçois que Je Seigneur est unique et le Créateur est un et n'a pas de second. Et avant un que comptes-tu? Dix chiffres-abîme: leur mesure est dix parce qu'ils n'ont pas de fin. Profondeur commencement et profondeur terme, profondeur bien et profondeur mal, profondeur haut et profondeur bas, profondeur est et profondeur ouest, profondeur nord et profondeur sud, et un Seigneur unique, Dieu roi fidèle, les gouverne tous depuis sa sainte demeure et jusqu'à perpétuité. Dix chiffres-abîme: leur aspect est comme l'apparence de l'éclair, quant à leur limite ils n'ont pas de fin. Sa parole en eux est comme une course, et à son dire comme une tempête ils accourent, et devant son trône ils se prosternent. (Livre de la création [Sefer Ye$ira], hébreu, entre le Ill° et le vie siècle, chapitre premier, traduit sur l'édition précritique d'I. Gruenwald, «A Preliminary Critical Edition of Se.fer Yezi• rah », Israel Oriental Studies, l, I 97 I, p. 132-177.) Unité et dualité du monde divin : Dieu et sa Sagesse Pierre répondit: C'est un seul et même Dieu qui dit à sa Sagesse: « Faisons l'homme.» Cette Sagesse, avec laquelle Dieu lui-même se réjouissait sans cesse comme avec son propre Esprit, est d'une part unie à Dieu comme une âme, et, d'autre part, s'étend hors de lui comme une main, créant l'univers. C'est pour cela qu'il n'a été fait qu'un seul homme et que le sexe féminin est sorti de celui-ci. L'unité dans l'espèce est dualité. C'est en effet selon l'extension et la contraction que l'unité est considérée comme dualité. J'ai 130 Textes choisis donc raison de rapporter tout l'honneur à un seul Dieu, comme à des père et mère. (Témoignage des Homélies clémentines, homélie XVI,§ 12, op. cit., p. 312.) Adam et Ève et les deux attributs divins La raison de la création [d'Adam et Ève] en deux visages (dou-partsoufim) consiste en ceci: l'homme a été créé en deux visages afin que la femme obéisse à son époux et afin que sa vie soit suspendue à la sienne, qu'ils ne suivent pas chacun son propre chemin, mais qu'il y ait entre eux proximité et fraternité, qu'ils ne se séparent pas. Alors il y aura la paix entre eux et par leur intermédiaire il y aura la paix dans le monde. Il en va ainsi également des «agents de la vérité dont l'action est vérité» [les attributs de miséricorde et de jugement]. La signification des deux visages se capporte à deux choses. On sait que deux contraires ont été émanés, l'un est le jugement (din) et son compagnon est la miséricorde parfaite. S'ils n'avaient pas été émanés en un double visage, chacun aurait agi selon sa propension propre et ils seraient apparus comme deux souverainetés; chacun aurait agi sans relation avec l'autre et sans son aide. Mais comme ils ont été créés en un double visage, toutes leurs actions s'accomplissent à l'unisson, à égalité, en parfaite corrélation, sans séparation entre eux. S'ils n'avaient pas été créés en un double visage, aucune corrélation parfaite ne serait venue d'eux, et la dimension du jugement ne pourrait pas s'élever dans la dimension de miséricorde, comme la dimension de miséricorde ne pourrait pas s'élever dans la dimension du jugement. Mais puisqu'ils ont été créés en un double visage, chacun d'eux se rapproche et s'unit à l'autre, désirant et convoitant de se conjoindre à l'autre, pour former un seul tabernacle. Une preuve en est que les noms [divins) se désignent l'un l'autre, tu trouveras que« YHVH » [qui se rapporte à la miséricorde) désigne parfois aussi la dimension du jugement, de même le nom Elohim [qui se rapporte au jugement], désigne parfois la dimension de miséricorde, comme Dieu et le monde divin 131 dans Genèse 19, 24. Ces dimensions passent l'une dans l'autre. Telle est, en bref, la signification du double visage. Réfléchis à cela et tu trouveras. (Fragment de R. Abraham ben David édité par Scholem, Réchit haQabbalah, Jérusalem, 1948, p. 79, d'après Ms Brit. Mus. 768, fol. 14a, Oxford 1956, fol. 7a. Voir aussi Les origines de la kabbale, de G. Scholcm, p. 232, 233.) L 'Infini et les dix sefirot Élie prit la parole et dit: Seigneur de tous les mondes, tu es un mais non par le nombre. Tu es élevé au-dessus de tout ce qui est élevé, mystérieux plus que tout ce qui est mystérieux, la pensée ne te saisit d'aucune manière. Tu es Celui qui fit surgir dix structures que nous appelons dix sefirot, c'est par elles que les mondes cachés et invisibles ainsi que les mondes visibles sont dirigés, en elles Tu te dérobes aux yeux des hommes. Tu es Celui qui les lie et les unit, et parce que Tu es à l'intérieur, quiconque sépare ces dix l'une de l'autre, c'est comme s'il te divisait. Ces dix sefirot se meuvent selon leur ordre, l'une est patience, l'une impatience, l'autre juste mesure. Tu es Celui qui les guide et nul ne te conduit, ni d'en haut ni d'en bas ni d'aucun côté. Tu les as ornées de vêtements d'où les âmes prennent leur envol à destination de l'humanité, et Tu les as parées de nombreux corps - corps qui portent un tel nom au regard des vêtements qui les couvrent. Elles sont dénommées respectivement: Hessed (Bonté), bras droit; Guevourah (Puissance), bras gauche; Tiferet (Beauté), tronc; Netsah (Victoire) et Hod (Majesté), deux cuisses; Yessod (Fondement), terminaison du corps, signe de l'Alliance sainte; Malkhout (Royauté), bouche, Torah orale - ainsi les nomme-t-on. La Hokhmah (Sagesse)- le cerveau - est la pensée intérieure. La Binah (Intelligence) est le cœur, et par elle le cœur comprend. Au sujet de ces deux-là, il est écrit: « Les mystères appartiennent à YHVH notre Dieu» (Dt 29, 28). La Couronne suprême (Keter) est la Couronne de la Royauté, à son propos il 132 Textes choisis est dit: « Il indique dès l'origine ce qui sera à la fin» (ls 46, 10) [ ... ]. Seigneur des mondes, Tu es cela, !'Origine des origines, la Cause des causes, qui arrose !'Arbre [= les sefirot] par cette Source [= la Couronne], et cette Source est comme une âme pour un corps car elle vivifie le corps. Mais de toi il n'est ni image ni représentation parmi toutes choses intérieures ou extérieures. Tu as créé le ciel et la terre, Tu en as fait émerger le soleil, la lune, les étoiles et les constellatiors. Et sur la terre, les arbres, les végétaux, le jardin d'Eden, l'herbe, les animaux, les oiseaux, les poissons et les hommes, afin que les entités supérieures se laissent connaître à travers eux, ainsi que leur façon de conduire les êtres d'en haut et d'en bas. Mais de toi nul ne sait rien, et hors de toi les êtres supérieurs et inférieurs n'ont pas d'unité, Tu te fais connaître comme leur Seigneur. Chaque sefira possède un nom en propre, les anges les invoquent grâce à lui, mais toi Tu, ne possèdes aucun nom propre car Tu remplis tous les noms et Tu es leur plénitude. Lorsque Tu les abandonnes, tous ces noms restent comme un corps sans âme. Tu es sage, non d'une sagesse connue, Tu es intelligent, non d'une intelligence connue, Tu n'as pas de lieu connu si ce n'est pour faire connaître ta force et ta puissance aux hommes, et pour leur montrer comment Tu conduis le monde par le jugement et la miséricorde, qui sont Justice et Droit, en fonction des œuvres humaines. Le jugement c'est la Puissance, le Droit c'est la Colonne médiane[= Tiferet], la Justice c'est la sainte Royauté, les « balances de justice» ce sont les deux Piliers de vérité [Netsah et Hod], le «juste poids» c'est le signe <l'Alliance[= Yessod]. Tout cela afin de montrer comment le monde est dirigé, ce qui n'implique pas que Tu possèdes une Justice connue, qui est le jugement, ni un Droit connu, qui est la miséricorde, ni aucun de ces attributs. ( Tiqouné ha-Zohar, texte anonyme en araméen, Castille, début . du x,ve siècle, Margaliot, Jérusalem, 1978, oraison d'Elie [second prologue, fol. l 7a].) Dieu et le monde divin 133 Les dix sefirot et l'image de l'homme [« R. Jérémie ben Éléazar dit: Quand le Saint béni soit-il créa le premier homme], il le créa androgyne» (Genèse Rabba 8, 1). ,L'explication s'obtiendra* partir du sens littéral de !'Ecriture, sur ce verset: « Elohim (Binah) cré~ l'homme à son image (Tiferet), à l'image (Tiferet) d'Elohim (' Atarah) il le créa, mâle (Tiferet) et femelle (' Atarah) il les créa» (On 1, 27). La signification ésotérique est la suivante: c'est à partir du secret du mâle et de la femelle qu'ils ont été créés et pour cette raison ils sont à l'image de Dieu. Sache que la puissance de la 'Atarah est appelée «femelle», puisqu'elle reçoit l'influx de la puissance supérieure appelée «mâle» [ ... ]. Aussi l'homme a-t-il été créé androgyne. Sache en effet que dans la langue grecque l'homme est appelé andro et la femme gynos et yeniqa. Tel est son secret, discerne-le bien. Car dans l'image de l'homme est une image et une ressemblance, je veux dire que toutes les cohortes d'en haut, soit mâles soit femelles, ont toutes été créées à [l'image de l'homme], c'est le secret de ce que dit R. Samuel bar Nahmani : « Au moment où le Saint béni soit-il créa le premier homme, il le créa avec deux figures» - issues de Tiferet et de 'Atarah- «puis elles furent scindées» - [Dieu] les sépara et lui fit« une aide contre lui», ce qu'exprime: « Il n'est pas bon que l'homme soit seul, je lui ferai une aide contre lui» (On 2, 18). « li les fit dos à dos, un dos ici et un dos là» (Genèse Rabba, ibidem), afin que [la partie féminine] puisse s'approcher et s'éloigner de lui. Sache, ô lecteur de ce discours, que toutes les choses que le Saint béni soit-il a créées dans son monde sont mâle et femelle: par rapport aux sefirot en tant que contenant, le canal en lequel est reçu l'influx et qui est l'embouchure afférente du canal [d'écoulement] - cette embouchure sera appelée femelle et le canal, mâle. En tant que contenu [ou substance], chacune des lumières des dix sefirot peut être comparée au soleil, qui a une masse et un 134 Textes choisis rayonnement. Ainsi la Couronne suprême appelée «neige» est sa substance et la splendeur qui en rayonne [est appelée femelle]. La Sagesse (Hokhmah), dont l'aspect est du bleu rayonnant, a une substance qui est mâle et la splendeur qui en rayonne est appelée femelle. Le Discernement (Binah) est jaune comme un arc-en-ciel et la splendeur qui en rayonne est sa femelle. La Grandeur (Guedoulah = Hessed) a l'aspect de !'argent dont l'éclat resplendit, et la splendeur qui en rayonne est sa femelle. De même la Puissance (Guevourah) dont la substance est comme du feu, la splendeur qui en rayonne est appelée femelle. La Beauté (Tiferet) dont la substance est composée pour moitié d'eau et d'argent et pour moitié d'or et de feu, la splendeur qui en rayonne est appelée femelle. La Victoire (Netsah) reçoit du côté de Hessed la blancheur et du côté de la blancheur Tiferet, cependant Netsah reçoit également du rouge qui est dans Tiferet, c'est pourquoi elle est du rouge tendant vers le blanc. Sa splendeur est dite femelle. La Majesté (Hod) reçoit le rouge de Guevourah et le rouge de Tiferet, mais elle reçoit aussi le blanc qui est dans Tiferet. Or, quand est épanché le blanc du côté droit de Tiferet et qu'il passe par le côté gauche, il reçoit une coloration de ce dernier. Lorsqu'il parvient à Hod, son aspect est un blanc inclinant vers le rouge et la splendeur qui en rayonne est appelée femelle. Le Fondement (Yessod) reçoit l'énergie de toutes les [sefirot] à égalité: de la Couronne suprême, de la Sagesse et du Discernement, puisque [cesse fi rot] sont attachées à la Colonne vertébrale, de la Grandeur et de la Puissance, car elles aussi sont attachées à la Colonne vertébrale et s'épanchent dans la Beauté, de la Victoire et de la Majesté, car [ces sefirot] se déversent dans le Fondement qui reçoit ce qui vient de la Colonne vertébrale à travers la Beauté, ainsi que toutes les [sefirot]. Son aspect est un mélange de tous les aspects, c'est une couleur de synthèse, [ ... ] c'est le bleu azur (lekhelet) des franges rituelles( ... ]. Au début du processus de formation, chaque resplendissement [de nature féminine] est attaché à sa racine, comme la Dieu et le monde divin 135 flamme est liée à la braise, c'est le secret de:« Mâle et femelle il les créa» (Gn 1, 27). Selon le verset: « Je lui ferai une aide contre lui», il prit un de ses côtés - c'est le resplendissement - et il le construisit et le fit équivalent au mâle. De même, toutes les sefirot du [domaine] des êtres créés sont rassemblées dans la •Atarah et sont dénommées femelles. Mais l 'unification consiste à réunir tout mâle à son «côté» et toute splendeur à sa braise. Tel est le secret de « Il les fit dos à dos, un dos ici et un dos là», ils méritent - ils sont face à face-, ils déméritent - dos à dos. lis méritent pour l'amour-, ils déméritent - pour la haine. (Joseph ben Chalom Achkénazi, Barcelone, fin du x111°siècle, Commentaire sur Genèse Rabba [Perouch la-Farachat Beréchit], édité par M. Hallamish, Magnes Press, Jérusalem, 1984, p. 132-134.) Les dix sejirot et les sphères célestes d'Aristote La cabale et la philosophie sont une seule et même chose; point de différence entre elles dans le principe. Nos docteurs ont reçu ou connu les doctrines des philosophes, mais ils les ont cachées sous [le manteau] de leurs paraboles et de leurs énigmes. [ ... ] En vertu de cette considération, les sefirot sont les Intelligences motrices des sphères. [ ... ] Quant à la première opinion [sur l'existence de dix sefirot seulement], je puis l'interpréter conformément à la doctrine d'Aristote. Kcter sera la Première Cause et [en même temps] le Premier Moteur, c'est-à-dire le moteur de la sphère ultime; Hokhmah, le moteur de la sphère des signes du zodiaque; Binah, celui de la sphère de Saturne; Hessed, celui de la sphère de Jupiter; Guevourah, celui de la sphère de Mars; Tifcrct, celui de la sphère du Soleil; Netsah, celui de la sphère de Vénus; Hod, celui de la sphère de la Lune; Malkhout enfin sera l' Intellect Agent. [ ... ] Il ressort clairement de [tout] cela qu'à condition d'interpréter les doctrines des cabalistes comme je )'ai exposé. elles concordent avec celles des philosophes. La doctrine des uns s'accorde avec celle 136 Textes choisis d'Aristote, des autres, avec celle d' Abu Ali [ibn Sina], si bien que la doctrine de la cabale et de la philosophie s'avère une à ce point de vue. [La première] n'a été appelée cabale que parce que ses adeptes l'ont obtenue par transmission, non par raisonnement. (Joseph ibn Waqar, philosophe et cabaliste qui écrit en arabe à Tolède, dans la première moitié du x1vc siècle. Texte traduit par Georges Vajda dans Recherches sur la philosophie et la kabbale dans la pensée juive du Moyen Age,Mouton, Paris-La Haye, 1962, p. 285-286.) Les dix sefirot et la hiérarchie des couleurs Le but de ce chapitre est d'expliquer la question des couleurs évoquées par les exégètes ainsi que dans le Zohar et dans les propos de R. Siméon ben Yohaï; c'est ainsi que seront mises en évidence la couleur de chacune des sefirot et sa signification, celaèle façon très condensée. [ ... ] Maintes fois, le lecteur des livres des cabalistes et du Zohar constate que des couleurs spécifiques sont attribuées à chacune des sefirot, cc à quoi le lecteur doit prendre garde. Il ne devra pas croire ni penser que les choses sont confonnes à leur sens apparent - Dieu préserve - car la couleur est une chose d'ordre matériel et elle est un des aspects de la matière et un de ses accidents. Or, ce qui n'est pas matière ne doit pas être figuré par des accidents de la matière - Dieu préserve. Celui qui pense que lesdites couleurs se situent dans les sefirot selon le sens littéral des énoncés [des cabalistes] détruit le monde et [brise] les limites qu'ont posées les anciens, en conséquence de quoi il matérialise [ce qui est divin], Dieu préserve. Le lecteur doit donc être vigilant à ce sujet. En réalité, les couleurs sont utilisées comme des métaphores pour [décrire] les opérations qui émanent des racines d'en haut. Une illustration: il sied d'attribuer [la couleur] rouge à la [sefira] Guevourah (Puissance) qui l'emporte dans la guerre, étant donné qu'elle a une propension à verser le sang rouge; de plus, le rouge manifeste la cruauté, la passion et le débordement de colère. Cela Dieu et le monde divin 137 a été expliqué. C'est pourquoi la rougeur est mise en relation avec le lieu du jugement sévère. Par ailleurs, il n'est pas douteux que les choses rouges procèdent de la puissance de cette racine-là, comme nous l'avons indiqué dans le portique traitant de la quiddité et de la direction [de l'univers]. De la même façon, la [couleur] blanche se rapporte à la miséricorde et à la paix: il est dans le tempérament des [personnes] pâles d'être miséricordieuses, comme les vieillards et les gens aux cheveux blancs, qui ne sont pas portés à s'enrôler dans les années. Aussi, quand on désire attribuer [une couleur] à la paix, à la grâce et à la miséricorde, on les met en relation avec la blancheur. Il n'est pas douteux que les choses blanches émanent de la puissance de cette racine, comme nous l'avons expliqué dans le portique précité; tel est le but de [l'attribution] de couleurs aux sefirot: elles servent de métaphores pour les opérations procédant [des se firot] selon leur nature et leur fonction. Nous ne possédons pas d'autres tropes ni d'autres cadres que les couleurs pour les représenter et les caractériser suivant leurs différenciations, couleurs qui se différencient, dominent et s'intensifient en fonction de la prédominance d'une couleur sur une autre. C'est pour cette raison que les métaphores de couleurs sont employées pour représenter les opérations divines. Le but est de rendre ces dernières intelligibles à l'oreille corporelle à travers cc qu'elle est capable d'entendre. Il n'est pas douteux que les couleurs recèlent une voie d'accès aux opér~tions des sefirot et à leur épanchement d'énergie. A cause de quoi, lorsque le théurge souhaite attirer un influx de miséricorde de la [sefira] Hessed, il dessinera devant lui le nom de cette sefira avec la couleur de la chose voulue de lui, qui sera confonne à la couleur de la dimension [divine concernée]: si c'est de la grâce absolue [qu'il souhaite], il se servira de blanc pur. Si ce n'est pas de la grâce si absolue [dont il souhaite attirer l'influx], il dessinera avec du blanc tel le carbonate de calcium ou d'autres pigments de même genre, comme nous l'avons expliqué dans le portique de la méditation. De même aussi, 138 Textes choisis quand il voudra entreprendre une action [surnaturelle] et qu'il aura besoin d'une émanation d'énergie de rigueur (din), alors cet homme devra s'habiller de vêtements rouges et dessiner la fonne des noms divins (hahavayot) avec du rouge. Ainsi pour toutes les opérations et les attractions [d'influx]. Quand il aura besoin de grâce et de miséricorde, il s'habillera de blanc. L'exemple des prêtres nous en fournit des preuves claires: l'attraction qu'ils exerçaient procédait [de la sefira] Hessed et leurs vêtements étaient blancs, afin de manifester la paix. C'était le cas du grand prêtre lors du jour de Kippour: il ôtait ses [parures] d'or et revêtait des habits blancs parce que le culte durant ce jour requérait des vêtements blancs. [Les maîtres du Talmud] ont donné une explication: « Pourquoi le grand prêtre ne pénétrait pas dans le Saint des Saints vêtu d'habits d'or afin d'accomplir le culte? Parce que, s'il en avait été ainsi, )'Accusateur ne-se serait pas transfonné en Défenseur» (Roch ha-Chanah 26a) - ils se sont ainsi explicitement référés au sujet qui nous occupe. Il en va de même, bien évidemment, en ce qui concerne les amulettes. Lorsque l'homme fabrique une amulette [en vue d'attirer] la grâce, il dessinera ce nom en un blanc resplendissant, car alors l'efficience de ce nom grandira. Ainsi en ce qui concerne l'énergie de rigueur (din), il faut dessiner le nom de la rigueur en rouge, et mieux encore ce sera s'il le dessine avec du sang de bouc, car alors la couleur et sa cause se rapporteront ensemhle à la rigueur. Ces choses sont connues et comprises des rédacteurs d'amulettes, mais nous n'avons pas part à leur besogne. Nous avons déjà observé une personne qui dessinait des noms dans des amulettes se référant à la rigueur avec du rouge, à la grâce avec du blanc et à la miséricorde avec du jaune, et tout cela selon les directives des instructeurs authentiques qui lui avaient enseigné l'art de fabriquer des amulettes. Ce qui nous montre que les couleurs recèlent des voies d'accès aux opérations émanant d'en haut Proches de cette pratique étaient les astrolâtres; ils accomplissaient leur culte Dieu et le monde divin 139 avec de l'encens qui était connu dans leur cercle, afin que soit épanchée à leur intention une puissance venant d'une étoile et ils s'habillaient de vêtements [teints d'une couleur] en relation avec leur activité, selon leur stupidité. Ce qui atteste fidèlement [la réalité de l'efficience des couleurs], ce sont les pierres du pectoral [du grand prêtre]; celui-ci comprenait douze pierres liées à ) 'attraction qu'exerçaient les douze tribus d'Israël sur le Lieu subi ime. li ne faut pas rejeter ce phénomène; en effet, les physiciens ont dit que, si l'homme fixe les yeux sur des masses d'eau courantes, la blancheur s'éveillera en lui, si bien que les malades qui ne trouvent pas le repos et dont le sommeil n'est pas doux, feront jaillir devant eux des jets d'eau afin que la blancheur s'éveille, que l'humidité prédomine et qu'ils trouvent enfin le sommeil. Quand le lecteur réfléchira à tête reposée il trouvera un grand intérêt au fait que, au moyen des couleurs visibles ou qui sont imaginées dans l'intellect au niveau corporel, le spirituel est activé: l'âme [sensitive] éveille l'esprit, l'esprit éveille l'âme [supérieure] et cette âme [s'élève] de degré d'existence en degré d'existence jusqu'à ce qu'elle rejoigne l'endroit [divin] où elle se nourrit et qu'elle le mette en éveil confonnément à la nature de [la couleur] qu'elle s'est représentée. [ ... ] Car l'éveil et l'aspect des choses d'en bas dépendent des hommes [ ... ]et donc suivant l'intensité de cet éveil sera l'épanchement [d'en haut]. [ ... ] C'est la raison du blanchissement de la languette cramoisie [placée sur la porte du Sanctuaire] lors du jour de Kippour, car lorsque la rigueur disparaît dans la racine supérieure, ses branches inférieures disparaissent, et comme la source où se situe le principe déterminant du rouge passait de la rigueur à la miséricorde, ainsi la branche inférieure [= la languette fixée sur le Temple] passait du rouge au blanc. C'est pour la même raison que les anciens fidèles, pendant la fête de la moisson, jetaient de !'eau devant eux quand ils disaient leur prière: c'était afin que leur cœur se concentre sur ce sujet, que leur âme s'émeuve et attire [un épanchement] confonne à son 140 Textes choisis ébranlement. Il n'est pas douteux que c'est également pour la même raison que les endeuillés de Sion portent des vêtements noirs; le but est qu'ils soient émus par l'absence de lumière et par l'obscurité dominante [ ... ]. (Moïse Cordovéro, Safed, xvie siècle, Le verger aux grenades [Pardés Rimonim], Munkacz, 1906, fol. 59b-c.) L'expansion de /'Unique primordial Je dois d'abord t'éveiller à quelques sujets transmis par les maîtres de la tradition véritable qui ont convenu d'une clé capable d'ouvrir les portails les plus clos. Tends l'oreille pour entendre les paroles des sages et la connaissance de leurs lèvres qui ont parlé pour leur génératjon. Nous apprenons ceci dans le Pirqé de Rabbi Eliézer (chap. 3) : «Avant que le monde ne soit créé il y avait Lui et son nom seulement.» Expliquons : «Avant que ne soit créé le monde» des sefirot, qui porte Je nom de« monde», il y avait )'Unique couronné, )'Ame des âmes, d'où les sefirot ont été émanées, cette puissance étant leur âme à elles. Avant la «création» évoquée, la puissance appelée « son nom» était collée à sa racine, bénie soit-elle et exaltée soitelle, telle une flamme liée à la braise. De la même façon qu'une flamme couvée en profondeur dans la braise avant d'être agitée par un souffle est totalement invisible, ainsi était ce paradigme au sein de l'émanation subtile, spirituelle, simple à l'extrême, lorsqu'elle était intimement liée à sa racine, qu'elle soit bénie et exaltée. Pour le moment encore ('Unique primordial, béni soit-il, ne portait pas de nom propre et n'était absolument pas désignable ni par un attribut ni même par un point qui l'aurait symbolisé, à cause de son extrême simplicité substantielle. Quand le désir et la volonté le prirent de créer le monde des sefirot, alors il exhala de sa bouche un souffle de vie en un étincellement sans fin, et il fit émaner une lumière spirituelle simple, c'est ce qui est appelé « son nom». Aussitôt celle-ci se subdivisa en trois lumières: lumière primor- Dieu et le monde divin 141 diale, lumière limpide, lumière éclatante, et le secret de la« flamme» se manifesta, elle qui étouffait au sein de la braise, grâce à la force de la bouffée d'air. L'ensemble de ces puissances et de ces lumières est appelé « son nom», béni soit son nom à jamais et pour l'éternité des éternités. Tels sont les propos du Zohar (section Aazinou, fol. 535): « Le mystère de tous les mystères est séparé et transcende tout, et il n'est pas séparé car tout est attaché à lui et il est attaché à tout, il est tout, l'Ancien de tous les anciens, le mystère de tous les mystères, il est organisé et inorganisé. Il est organisé pour tout faire subsister et il est inorganisé parce qu'il n'existe pas. Lorsqu'il commença à s'organiser, il fit jaillir neuf lumières qui flambèrent à partir de lui, à partir de ses organes, et ces lumières flambaient, se répandaient et s'étendaient en tous sens, telle une sublime chandelle d'où se détachent des rayons de lumière de tous côtés. Mais lorsque ces lumières de lui échappées cherchèrent à le connaître, elles ne trouvèrent rien sinon cette Chandelle suprême, mystère de tous les mystères. Rien n'existe si ce n'est ces lumières qui se déploient, qui se dévoilent et qui se dissimulent, elles sont dénommées le saint nom.» Tu viens d'avoir l'explication de tout ce à quoi nous avons fait allusion, si tu comprends et examines correctement ce merveilleux récit métaphorique, comment se déroula le processus du secret de l'émanation et du secret des mots: « Il y avait Lui et son nom seulement.» Ensuite le désir le prit encore de produire une structure pour sa structure et d'ajouter de la gloire à sa gloire. C'est ainsi qu'il créa dix Palais saints et purs, limpides et diaphanes, pour qu'ils soient le sanctuaire du secret de son nom sanctifiç, Palais appelés par les cabalistes du nom de sefirot. A leur sujet le Livre de la création a fait allusion: « Dix sefirot abîme, dix et non neuf, dix et non onze. » Par leur biais les existants ont existé, les créatures ont été créées, et le secret de la Divinité a été reconnu grâce à elles, parce que l'homme a été créé à l'image du secret du Char supérieur et selon le mode de cette création-là la gloire du secret de la Divinité 142 Textes choisis sanctifiée devient manifeste. Par la puissance du resplendissement de la lumière primordiale et de sa formidable cohérence la dimension de la Couronne a été émanée, en elle était inscrit le secret des essences, de toutes les marques, de tous les sentiers en une même apparition sans aucune discontinuité. Jusqu'ici ce Palais devant le Saint des Saints appartient à YHVH. Il fit émaner encore la lumière limpide par sa puissance causale et il fit rayonner sa lumière sur la Couronne et par la puissance de cette lumière il en alla comme si la Couronne avait conçu et elle donna naissance à la dimension de la Sagesse, secret du deuxième Palais, saint sanctifié. Mais même ce Palais demeure caché de la manière la plus extrême à cause de son excès de sublimité et de simplicité substantielle. Le secret de la surabondante lumière s'épancha une troisième fois, à cause de la puissance de la lumière éclatante, sur la dimension de la Couronne, sans aucune discontînuité, et de la Couronne [elle s'épancha] sur la Sagesse, et d'elle émana la dimension de l'intelligence, alors «on commença à invoquer le nom de YHVH » vocalisé comme «Élohim», et ici le secret du premier sceau fut parachevé, d'après le secret ,des trois par trois, secret du [signe de cantillation des Ecritures appelé segou/ta]. Ces trois sont l'image et le paradigme du cerveau humain qui est le sanctuaire de !'âme, ainsi en va-t-il dans l'en haut, comprends-le et garde le silence pour YHVH. L'Unique primordial fit émaner encore une émanation surabondante sur ces trois couronnes supérieures et le sceau fut frappé une deuxième fois selon le secret du [signe] ségo/ : Grandeur, Puissance, Beauté. Le sceau fut encore frappé une troisième fois par le secret du monde des prophètes, Victoire, Majesté, Fondement, et là fut achevé le secret de l'extension et de l'émanation spirituelle simple. Ces sefirot sont l'image d'ufl corps et de palais spirituels [abritant] le secret de l' Ame. Ces dix de création pennettent de vêtir les dix d'émanation, les unes sont noyaux, les autres coquilles, de même chacune des neuf sefirot est appelée coquille vis-à-vis de sa voisine. Par ces cou- Dieu et le monde divin 143 ronnes nous pouvons qualifier et nommer !'Unique primordial, béni soit-il, en usant de noms particuliers: lorsqu'il se revêt du secret de la Couronne (Keter) il est appelé Ehyé (Je serai). Le secret de ce nom est reconnaissance du fait qu'il était, qu'il est et qu'il sera et c'est le secret de la parfaite miséricorde sans aucun mélange de jugement. Cette dimension est appelée par les cabalistes « dimension d'équanimité», car le juste et l'impie sont équivalents pour elle tant est abondante la pure miséricorde qu'elle recèle par la puissance du nom« Je serai». Mais ce sujet nécessiterait une longue explication. Au niveau de la dimension de la Sagesse (Hokhmah) il est appelé Être, par le nom de Yah. Au niveau de la dimension de l'intelligence (Binah) il est ~ppelé YHVH, vocalisé d'après les voyelles du nom Elohim. Au niveau de la dimension de la Grâce (Hessed) il est.appelé El. Au niveau de la Puissance (Guevourah) Elohim, au niveau de la Beauté (Tiferet) YHVH, au niveau de la Victoire (Netsah) Seigneur des années, au niveau de la Majesté (Hod) Dieu des années, au niveau du Fondement (Yessod) Dieu vivant. Voilà le secret de ses noms et de ses appellations, béni et exalté soit-il. Et l'ensemble de ces neuf sefirot porte le nom de « Monde du Mâle». Ensuite l'émanation surabondante se répand à nouveau sur ces neuf couronnes appelées métaphoriquement « Monde du Mâle» et émane de par la puissance de leur épanchement et de leur union une force unique particulière appelée de manière métaphorique par le nom de « Monde de la Femelle», et portant également les noms de Présence (Chekhinah) et Royauté (Malkhout), selon le secret du verset: « Sa royauté s'.étend dans tous les règnes.» Elle est le secret de !'Epouse recelant tout en elle et elle est le réceptacle de toutes les autres [sefirot], elle reçoit la puissance issue de chacune d'elles, en proportion de ce qui lui convient. Or !'Unique primordial, béni soit-il, lorsqu'il se revêt de l'habit de la Royauté porte le nom de Seigneur, car il est le Seigneur des seigneurs et le Seigneur de toute la terre. Cette dimension est la dernière et la fin de !'Edifice car [les sefirot] sont 144 Textes choisis dix par le nombre et unes comme Édifice, en elles est l'énigme de toute réalité. Les cabalistes les dénomment « dix setirot abîme, dix et non neuf, dix et non onze». Elles sont à l'image d'un vêtement pour le mystère des Faces intérieures selon le secret des dix qui revêtent dix. [ ... ] L'influx s'épaissit à nouveau ainsi que la puissance d'émanation de la lumière sur le secret de cette dixième dimension recelant tout en elle, et elle donne naissance à son tour en faisant passer de la puissance à !'acte dix saintes puissances appelées « Monde des êtres séparés», qui sont métaphoriquement l'image d'un corps et d'un vêtement pour le secret de la Chekhinah. De même que l'âme n'accomplit pas ses désirs en agissant activement si ce n'est par l'intermédiaire des organes du corps, ainsi en va-t-il en haut, où la Chekhinah est l'âme de tous ces degrés et ceux-ci sont ses organes et ses instruments d'action lui permettant d'intervenir sur les êtres d'en bas par leur médiation, il en va aussi semblablement en haut, tout en haut, comme nous l'avons déjà expliqué. Ces dix classes portent le nom de « classe des saints vivants», classe des séraphins, classe des ophans, classe des er 'élim, classe des élim, classe des anges, classe des hachmalim, classe des fils de Dieu, classe des tarchichim, classe des ichim (feux). L'ensemble de ces dix degrés sont des serviteurs et des ministres [au service] du secret des dix sefirot; par l'intermédiaire de la Chekhinah et à son ordre ils accourent et se pressent. Audessous de ces dix degrés saints il y a dix classes impures, secret des Contraires, qui ~ont également les serviteurs du secret de la sainteté. A nouveau !'influx [émanatif] s'épaissit et se matérialise quelque peu à travers la Chekhinah et elle donne naissance à son tour aux sphères célestes qui sont au nombre de neuf plus le globe terrestre, ce qui fait qix. [Ces sphères] sont une allusion au secret du saint Edifice caché. Et de même que nous trouvons en haut, au niveau du secret des dix setirot, que celles-ci agissent activement par l 'intermédiaire de la Chekhinah, secret de la Terre céleste, ainsi en va-t-il en bas, en ce monde-ci, où les sphères astrales Dieu et le monde divin 145 sont au nombre de neuf globes et agissent activement par le biais de cette terre inférieure et en elle ils expriment leur puissance en donnant naissance à tout animal et à tout être rampant selon son espèce, à l'herbe portant semence selon son espèce, pour pourvoir les créatures en nourriture, et cela grâce à la puissance des neuf sphères précitées et par leur révolution, et ces sphères elles aussi sont activées par la puissance des dix degrés que nous avons évoqués, qui sont les serviteurs du secret de la Chekhinah, et ces degrés à leur tour sont activés par le secret des dix sefirot, <:_t cellesci encore sont activées par la puissance de !'Ame des âmes et de la Cause des causes. Chacun de ces mondes est un vêtement, un sceau et l'image d'un corps pour celui qui se situe au-dessus. [ ... )Tu dois savoir que la subsistance et la per.sistance de ces sefirot dépendent de la puissance de l'Emanateur suprême, béni et exalté soit-il, et« s'il ramenait à lui son souffle, s'il retirait à lui son âme, toute chair expirerait d'un seul coup» (Jb 34, 14), et il ne resterait plus que des vases desséchés, des vases brisés, et tel est le secret de la vacuité du temps de l'exil. (Jacob bar Isaac bu-lfergan, Maroc, fin du XVI° siècle, début du xv11C, la fleur de lys [Perah Chochan ], 1b-5b, pages éditées par H. Zafrani à la fin de son ouvrage, Ethique et mystique, judaïsme en terre d'Islam, Paris, 1991.) Procession des sejirot et des âmes et copulations spirituel/es La dixième sefira [Malkhout) est !'Épouse et elle est notre sainte Mère appelée Royauté et dénommée « Reine du ciel», tandis que notre saint Père est appelé «Roi» [Tiferet]et les enfants d'Israël« sainte semence», car leurs âmes sont saintes puisqu'elles naissent et sont créées par! 'étreinte du Roi et de la Reine, ce sont donc des enfants de rois. C'est le secret de ce qu'ont dit nos maîtres, que leur mémoire soit une bénédiction : « Tous les israélites sont des enfants de rois.» Heureux sommes-nous, que notre partage est bon, que notre lot 146 Textes choisis est channant. Ainsi, quand l'homme et sa femme en bas se conjoignent dans la sainteté, ils sont à l'image du Roi et de la Reine en haut. L'épanchement que le Roi prodigue en la Reine, d'où lui vient-il? Il procède de la Cause des causes, béni soit-elle. Si tel est le cas, observe cette fonnidable merveille, et vois cette chose élevée, à savoir que nos âmes proviennent du plus haut degré, de la Cause des causes, béni soit-elle, considère donc ce qu'est l'homme et quel est son niveau et son élévation. [ ... ] Les sefirot dont nous avons parlé sont ses dimensions (middot), béni soit-il, par elles le monde est conduit. Ce sont des fonnes spirituelles, subtiles, limpides et saphiriques. Leur niveau de spiritualité dépasse de beaucoup celui des anges, à un point dont il est difficile d'avoir idée. Elles sont toutes effets de la Cause des causes qui réside au-dessus d'elles. Tout leur désir aspire vers elle car elles en sont émanées. li est ('Unique, le Saint, s'exhaussant au-dessus d'elles toutes, panni elles aucune ne lui ressemble, car il s'exhausse au-dessus d'elles selon une élévation absolue, telle que la bouche ne peut dire et telle que l'oreille ne peut entendre. Toutes désirent l'atteindre et devant son trône elles se prosternent. Avant que montât en la Pensée [la décision) de créer le monde, lui était seul, béni soit-il, unique et simple sans second, connu de personne. Lorsque monta en la Pensée [la décision de créer le monde], il émit un premier jet, et ce jet était absolue simplicité, sans nulle composition, subtil, plus que subtil, et inséparé de lui. Au sein de ce jet étaient les sefirot, les anges, les âmes, les corps célestes, la terre et tous ses engendrements, en puissance et non en acte. Et quand il voulut, béni soit-il, exposer et manifester sa vérité et créer le monde, il fit émaner [de ce jet) une sainte procession suprême, ni séparée ni distincte de lui, mais elle resta attachée à lui et ce fut la Couronne d'en haut. Quand l'influx de son souffle et de sa bonté descendit sur la Couronne, sans doute aucun, cet influx déferla en elle et la Couronne fut enceinte de ce flux surabondant et elle enfanta la Sagesse, qui est la deuxième sefira: celle-là est la fille Dieu et le monde divin 147 de la Cause des causes et de la Couronne, car la Couronne était une réalité intermédiaire. Ce n'est pas elle pourtant qui est appelée fille, car la Sagesse est appelée Père et le Discernement Mère, mais j'ai dit qu'elle est fille parce que de là-bas elle procède, « la Sagesse advient à partir du néant» (Jb 28, 12). Cette deuxième sefira aussi ne se sépara pas mais resta jointe et liée. L'influx progressivement s'épancha ainsi jusqu'à la dixième [émanation] et dix sefirot furent émanées de la Cause première et se disposèrent comme un vêtement, toujours jointes à lui. Tel est le sens du mot « émanation» (atsilout): elles sont restées auprès de lui (etslo) [en tant que) vêtement, et elles ont été émanées à l'image de quelqu'un qui allume une flamme à partir d'une flamme [ ... ). La dimension de la Couronne est plus simple que tout ce qui est au-dessous d'elle car elle est la mère de tout vivant, de tout végétal et minéral, mais elle comporte une composition en raison de sa virtualité et en raison de la volonté de sa Cause. (Abraham Halévi ben Éliézer, la transmission de la Sagesse [Massoret ha-Hokhmah], édité par G. Scholem, dans Kiryat Sefer, vol. II, 1925-1926, p. 128-129.) L'origine de la première sefira Toutes les sefirot procèdent d'un donnant et d'un recevant ou, métaphoriquement, d'un mâle et d'une femelle, sauf Keter, qui est émané immédiatement, et sans femelle ou recevant, de Eyn Sof, la cause première. Toutes les sefirot du monde émané n'ont été produites que par la vertu et l'efficience d'un donnant et d'un recevant, qui métaphoriquement parlant se dénomment mâle et femelle, excepté la première et la plus haute qui est Keter, qui est venu de Eyn So/; la cause première, sans médiation d'un recevant ou femelle, avec la participation de la vertu souveraine, une quasi-semence, qui l'a ensuite engrossé en luimême en grande simplicité, comme embryon ou fœtus, afin qu'il produise ou accouche ultérieurement d'un effet plus complexe et plus tangible. Et si Keter est 148 Textes choisis venu de Eyn Sof, en ce mode parfait et immédiat, ce fut pour démontrer en soi-même que cela fut accompli par la volonté absolue et libre de la cause première, qui étant par soi suffisante, n'a besoin de rien ni de personne pour accomplir ce qu'elle veut. Cependant, Hokhmah et Binah n'ont pas été émanées si ce n'est en vertu des racines de mâle et femelle que Keter contient en soi, et les autres sefirot ont procédé de ces deux-là, à savoir Hokhmah et Binah, comme de père et mère. (Abraham Ha-Cohen Hererra, Amsterdam, actif vers 1620-1635. Il écrit en espagnol La porte du ciel [Puerta del Cie/a], éditée partiellement à Madrid par K. Krabbenhoft, en 1987, p. 128.) L'émanation de gauche et l'origine du mal À propos de ta question concernant les mystères de l'émanation de gauche: celle-ci constitue la réalitéâ'un autre monde complet, séparé dans son essence propre et dans ses qualificatifs. Sa connaissance est restée essentiellement cachée et hors de portée de la plupart des maîtres de la gnose occulte. Et, bien que tous aient été initiés à l'essence de l'existence de son être, rares sont ceux qui connaissent et comprennent vraiment le principe de la hiérarchie de l'émanation, ce qu'il est et quelle est la racine de sa structure et de son fondement. Car un domaine d'existence aussi étrange et extraordinaire n'est ni accessible ni compréhensible sans le secret de la haute cabale transmis par les plus grandes autorités de l'univers. Elle constitue en elle-même une cabale particulière transmise à quelques rares élus à l'instar de la cabale confirmée par les fondements des racines de la sagesse et de l'intelligence transmise aux « quelques-uns que YHVH a appelés». [ ... ] Lorsque survint en sa pensée pure et en son esprit la décision de donner existence à une réalité sainte et pure, fondement du bien et pilier de perfection, de faire émaner de l'influx de sa majesté tout bien et de faire tenir le monde sur une réalité parfaitement ordonnée [ ... ], de la même façon survint en sa volonté divine pure la Dieu et le monde divin 149 décision de donner existence à des réalités organisées selon une intention distincte, des plus étonnantes, extérieure et étrangère à la spéculation intellectuelle de tous ceux qui possèdent une pensée équilibrée et raisonnable. Il s'agit d'une tradition fiable transmise à tous les tenants de la sagesse occulte, d'un enseignement sûr. Le voici : la réalité universelle ne peut subsister si ce n'est grâce à des existants qui ont pour fonction de faire le bien et de faire le mal, pour maintenir et faire perdurer, et pour détruire et anéantir, pour donner une bonne rétribution et pour châtier, car «Dieu a fait en sorte qu'on le craigne» (Ec 3, 14). Et Salomon 3 dit: « Le Dieu a fait ceci face à cela» (ibid. 7, 14), et nos maîtres ont ajouté : « Il a créé d,esjustes, il a créé des méchants, il a créé le jardin d'Eden, il a créé la géhenne» (Haguiga ! Sa). Cela pour indiquer qu'il a créé une chose et son contraire. Et le prophète a dit: « Il forme la lumière et crée l'obscurité, il fait la paix et crée le mal, Je suis YHVH qui fait tout cela» (ls 45, 7). Le sens de ce verset nous permet de comprendre et de savoir que le Nom, béni soit-il, forma une chose et son contraire. [ ... ] Le Bien a été émané du secret du degré de la plénitude de la Droite, qui est tendue pour recevoir ceux qui se repentent, il s'agit de la réalité parfaitement bonne qui fait perdurer et maintient tout dans une permanence continuelle par la Grâce de Dieu tous les jours. Le Mal procède par révolutions et bouleversements durs et nuisibles, ébranlements et secousses, bruit de grand tumulte, de la racine du fondement de la Gauche qui fait tourner à gauche vers l'ombre de la mort et désorganise les habitants de la terre [ ... ]. Du côté de la Puissance (Guevourah) la [Gauche] se renforce pour exécuter jugement et sentence contre les rebelles et les criminels et pour les punir par de dures souffrances, certains sont châtiés par une sanction de la dimension du jugement dur, d'autres par celle du jugement faible, chacun selon sa faute et la mesure de sa méchanceté[ ... ]. Le nom de la première sefira qui est le fondement de l'émanation [de gauche] correspond à des appellations qui indi- 150 Textes choisis quent aux cabalistes des choses intérieures. [Son nom] est Teoumiel (= la jumelle de Dieu), cette expression enseigne au cabaliste intelligent que celle-ci ainsi que la sefira connue qui couronne les sefirot supérieures habituelles sont jumelles dans leur rang. Mais le saint maître R. Yehoudah bar Yaqar a reçu une tradition a propos du nom précité[ ... ] selon laquelle celui-ci est Toumiel et se rapporte au fait que cette [sefira de Gauche] et le degré en question ne sont pas de rang égal et ne sont pas jumeaux. (Moïse de Burgos, milieu du XIII° siècle, Castille, Sefer 'Amoud ha-Smoli, [livre de la colonne de gauche], édité par G. Scholem, Tarbiz IV, 1933, p. 208.) La controverse primordiale et l'origine du mal «Dieu dit: Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux» (Gn 1, 6). Tel est, exposé en détail, le secret de la séparation entre eaux supérieures et eaux inférieures. Ici [le deuxième jour] la controverse a été créée dans le mystère de la Gauche. Jusqu'à maintenant il s'agissait du mystère de la Droite, désormais [il est question] du mystère de la Gauche, c'est pourquoi la controverse grandit entre elle et la Droite. La Droite est la toute perfection, c'est pourquoi tous écrivent avec la [main] droite, d'elle dépend toute plénitude. Mais quand la Gauche s'éveilla, la controverse s'éveilla et à cause de cette controverse le feu de la colère fut attisé et la Géhenne émergea de cette controverse; la Géhenne s'éveilla à Gauche et s'attacha à elle. Cela, Moïse le contempla dans sa sagesse, il observa l'œuvrc de la genèse. Durant l'œuvrc de la genèse il y eut une controverse : Gauche contre Droite, et lors de cette controverse où la Gauche s'éveilla, apparut en elle la Géhenne qui s'attacha à elle. La Colonne médiane - le troisième jour - s'interposa entre elles et trancha la controverse, mettant d'accord les deux parties. La Géhenne descendit en bas, la Gauche se combina à la Droite et il y eut la paix partout. Il en alla de même en ce qui concerne la controverse de Coré contre Aaron - Dieu et le monde divin 151 Gauche contre Droite. Moïse scruta l'œuvre de la genèse et se dit : « Il me revient en propre de trancher la controverse entre Gauche et Droite.» Il s'efforça de les mettre d'accord, mais la Gauche refusa et Coré redoubla de véhémence. [Moïse] se dit : « Certes, la Géhenne résidant dans la véhémence de la controverse, la Gauche devrait être attachée à ce qui se situe au-dessus d'elle et être combinée à la Droite, or [Coré] ne veut pas être attaché à ce qui est au-dessus d'elle et être combiné à la Droite, il descendra donc en bas à cause de la violence de sa colère.» Coré refusa que Moïse résolve cette controverse parce qu'il ne l'avait pas déclenchée« pour le nom du Ciel», il n'avait cure de la gloire d'en haut et niait l'œuvre de la genèse. Dès que Moïse constata que [Coré] niait l'œuvre de la genèse et qu'il se bannissait lui-même à l'extérieur, aussitôt « Moïse fut très irrité» (Nb 16, 15). «Irrité» parce que [Coré] l'avait renié pour qu'il ne mette pas l'accord dans cette controverse; «très», parce qu'il niait l'œuvre de la genèse. Coré niait tout, l'en haut et l'en bas. [ ... ] Une controverse qui fut structurée conformément au modèle d'en haut, qui monta et ne descendit pas, qui fut menée avec droiture, telle fut la controverse entre Chamaï et Hillel. Le Saint béni soitil les départagea et les accorda. Ce fut une controverse « pour le nom du Ciel» - le Ciel trancha la controverse et sur cette controverse le monde subsista, elle [s'était déroulée] suivant l'œuvre de la genèse. Mais Coré nia totalement l'œuvrc de la genèse, c'était une controverse contre le Ciel et il voulut nier les énoncés de la Torah, certes [cette controverse] était sous l'emprise de la Géhenne aussi [Coré] se lia-t-il à elle. Ce secret est [exposé] dans le livre d'Adam: Au moment où l'Obscurité s'éveilla, elle s'éveilla avec force et la Géhenne fut créée par elle et elle s'attacha avec elle à cette controverse [entre Lumière et Obscurité]. Dès que se calmèrent colère et véhémence, une controverse d'une autre sorte s'éveilla, une controverse d'amour. Il y eut donc deux controverses : l'une est au commencement, l'autre est à la fin et telles sont les voies des Textes choisis 152 justes, ils commencent dans la peine, ils finissent dans le calme. Coré était le commencement de la controverse, qui était colère et véhémence et il dut être rattaché à la Géhenne. Chamaï était la fin de la controverse; la colère étant apaisée, il faut que s'éveille la controverse d'amour qui doit être résolue par le Ciel. Ce secret est : «Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare, etc.» (Gn 1, 6): il s'agit de la première controverse, explosion de colère et de véhémence. Il voulut la trancher et s'éveilla la Géhenne. Jusqu'à ce que colère et véhémence refroidissent, alors « Dieu fit le firmament et il sépara» (Gn 1, 7), s'éveilla une controverse d'amour, d'amitié et fondatrice du monde. Selon ce mystère fut la controverse entre Chamaï et Hillel: la Torah orale s'avança avec amour auprès de la Torah écrite et elles furent pleinement fondées ( ... ). Il y a donc toujours séparation en deuxième [lieu], qui est la Gauche au commencement, et à partir de la véhémence et de la colère que la Gauche éveille dans la controverse avant qu'elle ne soit calmée et reposée, est créée la Géhenne ; alors sont créés les anges qui contestent leur Seigneur en haut et qu'un feu dévore et qui sont consumés, de même des [anges] qui sont [régulièrement] anéantis et qui n'ont pas de durée et sont brûlés dans le feu, ainsi qu'il en fut ici-bas de Coré, et tout est c0nforme à un unique modèle. (Extrait du livre de lu splendeur [Zohar], attribué à Siméon ben Yohaï, texte araméen écrit en Castille au XIIIesiècle, fol. I, l 7a-b.) La Chekhinah, les anges et Moise Lorsqu'elle guide les cohortes d'en bas e11e[la Chekhinah] s'enveloppe d'un vêtement, et lorsqu'elle guide les cohortes d'en haut, elle se déshabille et sort de son écrin. Et ce vêtement ne demeure avec elle qu'un temps très bref. [ ... ] Grâce au mystère du vêtement dont elle se revêt les justes peuvent s'approcher d'elle ici-bas. Tel est le secret du verset: « Moïse s'avança vers le nuage où était Dieu» (Ex 20, 21 ). Le Dieu et le monde divin 153 «nuage» est réellement le vêtement dont elle s'enveloppe pour guider le monde, à la différence de ce qui se passe en haut, car lorsque le Juste, le Vivant des siècles [la sefira Yessod], s'approche d'elle, elle se débarrasse de son vêtement et ils s'unissent et« ne font qu'un» (Ez 37, 17). Mais lorsqu'un juste en bas, dans ce monde-ci, s'approche d'elle, elle se revêt de son vêtement et se pare. Grâce à lui, il peut s'approcher d'elle car elle n'a aucune effectivité dans ce monde si ce n'est en un vêtement. Il en va de même de toutes les choses célestielles qui procèdent d'elle. Ce qui le montre, tu pourras en prendre connaissance à travers un phénomène apparent, manifeste (aux yeux] de tous les peuples. Ces cieux-ci, lorsqu'ils s'activent dans ce monde, sur la terre d'en bas, pour la faire prospérer et la guider, revêtent d'abord un vêtement, ensuite ils la guident, comme il est dit: « C'est lui qui couvre le ciel de nuages», après quoi « il prépare la pluie pour la terre» (Ps 147, 8). Car sans vêtement [les cieux] ne peuvent guider [la terre], pour la préparer et l'aider. (Moïse de Léon, Michkan ha- 'Edout, Ms. Jérusalem, BN 8° 2922, fol. 30a.) La Chekhinah, mère des anges et des démons Une tradition nous enseigne: Mille hautes montagnes sont devant elle, toutes vis-à-vis d'elle sont souffle de vent, mille fleuves l'abreuvent et d'une gorgée elle les avale. Ses ongles saisissent mille soixante-dix directions et ses mains tiennent vingt-quatre mille directions. Rien ne lui échappe de ce côté-ci et rien ne lui échappe de l'autre côté. Plusieurs milliers de champions sont accrochés à ses cheveux. Un Jouvenceau (= Métatron], dont la taille s'étend d'un bout du monde à l'autre, sort d'entre ses pieds muni de soixante lanières de feu, il est vêtu de ses couleurs et a été chargé des êtres d'en bas qui sont sous son égide. Ce Jouvenceau tient six cent treize clés célestes appartenant à la Mère, et toutes ces clés sont suspendues à la pointe du glaive fixé à sa ceinture. ( ... ] Au-dessous de 154 Textes choisis lui se trouvent de nombreux animaux[= anges] appelés « animaux du Champ», ce sont véritablement les animaux du «Champ»[= la Chekhinah]. Sous ces animaux sont attachés les cheveux de la Lune [= la Chekhinah] appelés «comètes», [astres] du «sceptre» précisément, agents des mesures, agents des balances, agents des sévérités, agents des fauchages, tous sont dénommés « cheveux pourpres». Ses pieds et ses mains happent tel un lion féroce qui saisit sa proie, il est écrit à ce propos: « Il déchire et il n'est personne pour délivrer» (Mi 5, 7). Ses ongles, ce sont les êtres qui rappellent les péchés des hommes, ils écrivent et notent leurs fautes avec ! 'acharnement du dur jugement, il est marqué à ce sujet: « Le péché de Juda est écrit avec un burin de fer, avec un ongle de diamant» (Jr 17, 1). Qu'est-ce que le diamant? C'est ce qui marque et perce la pierre et qui la taille de tous côtés. La rognure de ses ongles, ce sont tous ceux qui ne-sont pas attachés au Corps du Roi et qui tètent le côté impur, quand la Lune commence à diminuer. Et comme le roi Salomon hérita de la Lune en sa plénitude, il voulut aussi en hériter dans son incomplétude, aussi s'adonna-t-il à la science des démons et des esprits pour hériter de la Lune dans tous ses aspects. (Zohar I, op. cil., 223a-b.) La Chekhinah doit résider ici-bas Aucune bénédiction ne s'établit en haut si elle ne s'établit pas aussi en bas. C'est ce qui est expliqué maintes fois dans le Zohar: Que la Chekhinah soit en bas est un besoin de l'en haut. La raison en est que toute !'Émanation n'a eu lieu que pour le besoin des êtres d'en bas [ ... ]. Puisqu'elle est donc essentiellement destinée aux êtres d'en bas, lorsque ceux-ci sont dignes que la bénédiction se pose sur eux, alors elle et l'épanchement s'établissent sur les entités supérieures. Et lorsque nulle bénédiction ne se pose sur les êtres d'en bas, à cause du défaut de leur préparation, aucune bénédiction ne s'établit sur les entités supérieures. Dieu et le monde divin 155 C'est pourquoi, que la « Chekhinah soit en bas», à savoir qu'il y ait résidence de la Chekhinah en bas, dans ce bas monde, c'est un «besoin de !'En haut», à savoir: un besoin pour l'émanation supérieure qui se situe au-dessus d'elle. La parabole employée à ce propos est celle de la mère allaitante : si son enfant est en vie et qu'il est capable de téter, le lait augmentera dans ses mamelles. Et lorsqu'il n'y a pas d'enfant à allaiter et sur lequel s'épancher, alors le lait manquera dans ses seins. Ce qui est en question, c'est l'impulsion dont nous parlons, qui est une préparation et un trône pour l'épanchement et la bénédiction. Voilà pourquoi il faut une impulsion du juste d'en bas qui est dans ce mondeci à l'adresse de la Chekhinah, afin que le juste soit un trône et une demeure pour l'influx épanché sur ce monde-ci par la Chekhinah, et grâce à son mérite il y aura épanchement sur les êtres d'en bas. (Moïse Cordovéro, Le verger aux grenades [Pardés Rimonim], op. cil., fol. 51a.) L'expiration de Dieu et la création de l'espace Dieu a fait jaillir un souffle de son Esprit saint et il a gravé et sculpté [les dix sefirot] en ce souffle qu'il a expiré, puis il fit surgir de son souffle l'espace de !.'univers ainsi que les quatre directions du monde.[ ... ] A l'exemple d'un verrier qui, désirant façonner un vase en verre, prend une pipette en acier percée aux deux extrémités, puis retire un morceau de verre fondu du four brûlant, il place dans sa bouche une extrémité de la pipette, expire par la bouche un souffle qui traverse l'instrument jusqu'au morceau de verre fondu et fluidifié en contact avec l'autre extrémité de la pipette, et par la force de l'expiration du souffle le morceau de verre s'enfle et devient un vase, grand ou petit, sphérique ou cubique, long, large ou court, tel que le désire ! 'artisan, selon sa force restreinte. Or le Dieu grand, puissant et redoutable fit surgir par sa grande force un souffle de son souffle et l'espace de !'univers a gonflé jusqu'à ce qu'il lui dise: Suffit! (Isaac Donnolo, Italie, 156 Textes choisis x• siècle, commentaire sur le Livre de la création intitulé Sefer Hakhmoni, réédité à Jérusalem, 1965, fol. 67b.) Dieu et le monde divin 157 M. !del dans «À propos de l'histoire de la notion de tsimtsoum dans la cabale et dans la recherche». Jerusalem Studies in Jewish Thought, vol. 10, 1992 [en hébreu].) Le retrait primordial La Sagesse (Hokhmah) est la limite de ce que l'homme peut concevoir par la pensée. La tradition concernant ce sujet a été transmise de manière allusive : la Couronne suprême, bénie soit-elle, est plus ample que ce que le cœur peut concevoir au sujet de sa gloire. Elle contracta donc cette gloire même ( ... ], la réduisant à un empan, et l'obscurité se fit à la surface de tout, car le retrait de la lumière est obscurité. Puis elle tira de la source de tout la lumière éclatante appelée Sagesse en trente-deux sentiers, chaque sentier perçant dans l'obscurité les formes des lettres et les sefirot d'après la mesure fixée par la volonté du Graveur, béni soit-il et exalté soit-il, et elles se différencièrent l'une de !'autre. La percée de la lumière des sentiers et leur émergence distincte sont appelées «gravure». (Nahmanide, Barcelone, milieu du x111csiècle, Commentaire sur le Livre de la création [hébreu], édité par G. Scholem, Kiryat Sefer, 6, 1929, p. 402-403.) La contraction de la lumière divine et la création du monde Comment donna-t-il existence et créa-t-il son monde? Comme un homme qui retient son souffle et contracte sa respiration, se contractant en sorte que ce qui est petit puisse contenir ce qui est grand, ainsi il contracta sa lumière à la mesure de son empan, et le monde demeura dans l'obscurité. C'est dans cette obscurité qu'il découpa des «rochers» et tailla des «pierres» afin d'en faire émerger les sentiers appelés« merveilles de sagesse», et c'est ce que dit un verset: « L'insondable répand la lumière» (Jb 28, 11). (Texte anonyme cité par Shem Tov ben Shem Tov, xvc siècle, édité par le tsimtsoum ou contraction de l'infini selon Hayim Vital Quand l'Émanateur suprême dé~ira créer le monde matériel, il contracta sa présence. A l'origine, Eyn Sof remplissait tout. Maintenant encore même une pierre inanimée est illuminée par lui, si tel n'était pas le cas, la pierre ne pourrait pas exister, elle se serait annihilée. La lumière du Eyn Sof revêt enveloppe sur enveloppe. Au commencement de la création, quand le Eyn Sofse retira de façon homogène dans toutes les directions, il laissa un vide au centre, centre qui se trouva entouré de tous côtés par la lumière du Eyn Sof mais évacué en son milieu même. La lumière s'en était retirée comme l'eau dans un bassin frappée par une pierre. Quand on laisse tomber une pierre dans un bassin, !'eau à cet endroit ne disparaît pas, elle se mêle au flot alentour. De la même manière, la lumière contractée convergea à l'extérieur et un vide demeura au centre. Alors toute l'opacité et toute la densité du jugement [la force de restriction] furent extraites du sein de la lumière du Eyn Sof, telle une goutte dans l'océan. Descendant dans le vide, celui-ci se métamorphosa en une masse amorphe, entourée dars toutes les directions par la lumière du Eyn Sof A partir de cette masse, quatre mondes émanèrent : émanation, création, formation, fabrication. Par s9n pur désir d'accomplir son intention [initiale], l'Emanateur illumina la masse d'un rayon de la lumière qui s'était retirée auparavant, mais non avec la totalité de cette lumière, parce que, si elle était entièrement revenue, l'état originel aurait été restauré, ce qui n'était pas l'intention. Pour façonner une poterie, le potier prend d'abord une masse d'argile sans forme puis met les mains dans la masse pour la configurer. Ainsi, l'Émanateur suprême mit sa main au 158 Textes choisis sein de la masse am!)rphe, à savoir Je rayon de lumière revenu d'en haut. A mesure que cette lumière comrpença à pénétrer la masse, des « vases» se fonnèrent. A partir de la lumière la plus subtile, vint d'abord Keter, ensuite Hokhmah, puis Binah et ainsi de suite, jusqu'à la dixième sefira. Comme Keter était Je plus pur et le plus limpide des vases, il put supporter la lumière qui le pénétra, mais la Hokhmah et la Binah, bien que plus transparentes que les sefirot inférieures, ne l'étaient pas autant que Keter. N'ayant pas sa capacité, leur dos se brisa et elles tombèrent de leur position. Quand la lumière descendit plus avant, six points apparurent, six fragments de ce qui avait été un point de lumière. Alors les vases se fracassèrent, leur essence spirituelle, la lumière, remonta dans la matrice de la Mère, tandis que les vases brisés tombèrent dans le monde de la Création. Quand la lumière émana une fois encore, régénérée, à nouveau réparée, ~lie s'étendit seulement jusqu'au bout du monde de !'Emanation. Le mot «émanation» désigne cette expansion de la lumière qu Eyn Sof pendant le temps de la régénération. L'Emanation comporte cinq Configurations. Celles-ci sont des réélaborations des points de lumière capables maintenant de recevoir la lumière de telle sorte qu'aucune brisure ne survienne, comme au début. Sous ces Configurations, la lumière du Eyn Sof apparaît seulement comme à travers un écran, comme lorsque tu t'assieds dans un lieu ombragé, bien que la lumière du soleil ne brille pas directement sur toi, elle illumine l'espace ombragé. De la même façon, la lumière du Eyn Sof illumine le monde de la Création à travers un écran, indirectement. (Hayim Vital, Safed, xv1e-xv11esiècle, liqoutim Hadachim, Jérusalem, 1985, p. 17-23.) Le tsimtsoum selon Joseph ibn Teboul La lumière de Eyn Sof, béni soit-il, remplissait tout et, lorsque monta en sa pure volonté [la décision] de faire émaner et de créer les mondes comme il le fit Dieu et le monde divin 159 [ensuite], il concentra (tsimtsem) sa lumière à la façon dont il concentra sa Chekhinah entre les deux barres supportant l'arche [d'alliance], et il resta un lieu vide d'une dimension correspondant aux quatre mondes (émanation, création, fonnation, fabrication). La lumière qui l'occupait aux quatre coins se retira, et dans ce même lieu resta une seule trace de lumière, comme lorsque tu parles de la brillance du soleil et non du soleil même. Ce qui fut la cause de son retrait est la puissance du jugement qui se trouvait là. Il est nécessaire que la puissance du jugement se soit trouvée là, car tout ce qui est en bas doit avoir nécessairement une racine en haut d'une extrême miséricorde (rahamim). Car, si tu ne dis pas que la racine du jugement s'y trouvait, il y aurait préjudice pour sa loi, béni soit-il, et loin de là pareille chose! N'est appelé parfait selon la plus extrême perfection que celui qui ne manque de rien et se suffit à lui-même, et si nous ne disons pas qu'il y avait là du jugement, il se trouverait avoir un défaut, loin s'en faut! Il y avait là, bien sûr, la puissance du jugement qui est appelée « Flamme obscure» [ ... ] et cette puissance était mélangée à tout son être, béni soit-il, et elle n'était pas perceptible et n'avait aucune action, car tout était plénitude de miséricorde. Lorsqu'il prit la décision de faire émaner les mondes, il rassembla toutes les racines du jugement qui étaient englouties en lui, c'est-à-dire qu'il les manifesta quelque peu en lui, et c'est cela [la création] ex nihilo, car au début il n'y avait que lui, béni soit-il, et rien d'autre, désonnais la racine [du jugement] se manifeste quelque peu en lui, et nous ne pouvons pas savoir d'où s'est manifestée en lui la racine de ces rigueurs, mais il faut croire que ces rigueurs sont appelées «être» et se sont manifestées à partir du néant, alors la lumière s'est rassemblée dans un lieu unique. Dans le lieu [où se sont manifestées] ces racines, la miséricorde s'est retirée. [Ces racines du jugement étaient] à l'exemple d'un grain de poussière au milieu de l'océan: il ne cause aucun trouble et il est imperceptible. Lorsque tu filtres l'eau, la poussière qui y était 160 Textes choisis mélangée advient et se manifeste. De même ici, le jugement était englouti au sein de la plus extrême miséricorde et lorsque se rassembla et se recueillit toute la puissance du jugement en un unique lieu, elle s'épaissit et à cause d'elle la lumière de Eyn Sof, béni soit-il, se retira. Demeura là une trace de lumière avec la puissance du jugement, qui est la racine des rigueurs. L'ensemble, trace et jugement, est mélangé, puisque, dès que la puissance de la miséricorde se retire, se manifeste le jugement. (Joseph ibn Teboul, Maroc, xv1•siècle, Derouch Heftsi Bah, Ms. de Parme 2177, fol. 31 Ob; voir aussi Simhat Cohen, Jérusalem, 1921, fol. lc-d, texte cité par R. Shatz-Uffenheimer dans « Moïse Cordovero et le Ari, entre nominalisme et réalisme», Jerusa/em Studies in Jewish Thought, vol. 3, 1982, p. 122 [en hébreu].) Le tsimtsoum d'après un écrit d'Isaac Luria ,--- « Il marqua sa trace» (Zohar I, 15b) : [ces mots visent] à expliquer comment les vases se sont constitués au début de l'émanation, attendu que !'Infini est simple, d'une extrême simplicité. L'explication [du Zohar] est la suivante: antérieurement au processus d'émanation, Lui et son nom faisaient un et il remplissait le lieu de la totalité des mondes. Lorsqu'il eut la volonté simple de faire exister tous les mondes et de faire du bien à autre que lui, il contracta sa présence et il retira sa lumière vers le haut : resta un lieu vide en lequel les mondes furent créés. Quand la lumière retourna en haut la [puissance] de cette lumière revenue s'était évanouie, car c'est la puissance du jugement qui était là, grâce à laquelle la lumière s'était retirée en haut, car tout retrait de lumière n'est qu'un effet du jugement, [sans lui] la lumière se serait répandue à l'infini. Et c'est de cette puissance de jugement qui se trouvait là et par laquelle la lumière s'est retirée, qu'un vase s'est constitué et qu'il resta une trace de la première lumière. Pour l'heure encore ce vase remplissait tout le lieu vide, vase qui avait été façonné par la Dieu et le monde divin 161 puissance de la racine des rigueurs que nous avons indiquées, et la trace, qui est ce qui reste de la lumière, était troublée et le vase était immense. Quand la lumière revint pour créer les mondes et pour les vivifier, elle ne descendit pas selon sa mesure antérieure : sans cette restriction, il aurait été impossible de créer quoi que ce soit, parce qu'elle serait revenue et aurait rempli la totalité de l'espace. Aussi ce n'est qu'un peu de cette lumière qui descendit. Elle est un unique Yod qui pénétra dans le vase ; une fois entrée, elle dissipa le trouble de la trace, lumière du vase, et le vase devint petit. La lumière qui est la trace prit ce vase pour vêtement. Et le lieu vide resta investi d'une mesure propre à produire une émanation. (Isaac Louria Ashkénazi, Safed, xvl°siècle. Texte publié par G. Scholem dans « Les écrits authentiques du Ari concernant la cabale», Kiryat Sefer, 19, 1943, appendice, p. 197 [en hébreu].) Le tsimtsoum d'après la version d'Israël Sarouq Antérieurement à tout, à savoir lorsque le Saint béni soit-il se délectait de lui-même, qu'il se réjouissait et se délectait tel un homme si l'on peut dire, cette joie le fit étinceler, et de la secousse produite par cet étincellement la Torah fut créée, elle fut composée par les deux cent trente et une portes qui sont les deux cent trente et un alphabets[ ... ] et telle est la racine de toute chose. Et sache que la secousse qui naquit de cette délectation était constituée de dix oscillations, tel un yod, qui sont dix lettres à partir desquelles procède toute dizaine [ ... ]. Et avant toute chose, Lui, béni soit-il, remplissait tous les mondes, à savoir l'espace destiné à ce qu'y soient créés tous les mondes, il s'était fait un vêtement de la lumière de sa substance qui est la Torah[ ... ]. Puis il se retira et se contracta à l'intérieur de ce vêtement [qui l'entourait] au-delà [de lui], ensuite il contracta son vêtement de la même façon et ce vêtement se mit à tourbillonner. (Italie, fin du xW siècle, début du xv11c, livre des études de l'émanation [Sefer limoudé Atsilout], Munkacz, 1897, fol. 3a.)