CABALE
ETCABALISTES
CHARLESMOPSIK
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Spiritualitésvivantes
Albin Michel
Textes choisis
120
Dieu et Lemonde divin
121
L'insondable
KETER
(Couronne)
2
3
!iOKHMAH
BINAII
(Sagesse)
(Discernement)
4
5
!iESSED
GUEVOURAII
(Bonté, Grâce)
(Puissance, Rigueur)
6
TIFERET
(Beauté)
7
8
NETSA!.!.
HOD
(Victoire)
(Majesté)
9
YESSOD
(Fondement)
10
MALKHOUT
(Royauté)
La Couronne suprême : secret du degré le plus haut,
clos et scellé, gravé dans le secret de la Foi. Elle est
appelée Air limpide insaisissable [ ... ] et elle est le
principe de toute l'existence. Tous les hommes s'épuisent dans leur recherche et il ne faut ni spéculer ni penser en ce lieu. Ce domaine est nommé par le secret de
l'infini car il est le principe du tout. En vérité, sur lui
se brise l'ardeur des sages car il est le secret de la Cause
des causes, comme nous l'avons indiqué, et c'est lui
qui leur donne à tous l'existence. Il faut réaliser, réfléchir et disposer l'esprit et la pensée au fait que Lui,
béni soit son nom, est l'annihilation de toutes les pensées et qu'aucune idée ne le contient. Or donc, puisque
nul (ayin) ne l'appréhende de quelque façon, il est
appelé Néant (ayin). C'est le secret du verset: « La
sagesse, tu la trouveras à partir du néant» (Jb 28, 12).
Tout ce qui est indéfinissable et inaccessible, dont nul
ne sait rien, est appelé néant, à savoir: personne ne sait
rien à propos de cette chose. Or l'âme de l'homme,
celle qui est dénommée âme intellectuelle, nul ne sait
en percevoir quoi que ce soit. Elle jouit donc d'un statut de néant, comme il est dit: « La supériorité de
l'homme sur l'animal est néant» (Ec 3, 19), car par
cette âme l'homme possède une supériorité sur toutes
les autres créatures et cette suréminence qu'il recèle
est cette chose appelée «néant». Si donc nul ne sait
rien de cette âme, à cause des réalités indéfinissables et
inaccessibles qu'elle recèle, à bien plus forte raison en
va-t-il de même en ce qui concerne l'occultation de ce
lieu-là que les êtres d'en haut et d'en bas n'atteignent
en rien quand ils le cherchent. Comprends qu'il arrive
à l'homme que sur sa tête passe un air qui réjouit le
cœur et les pensées, et [cet homme] ignore ce que c'est
et pourquoi cela se produit, parce que c'est insaisissable. De même, lorsque le degré en question [= le
Néant] se met en branle, il donne à tous splendeur et
rayonnement, mais il n'est d'aucune façon saisissable
122
Textes choisis
par eux et ils ne savent rien à son sujet. Et à cause de
l'éminence de son rang, il n'a pas de nom qui l'arraisonnerait. Cependant, grâce aux autres couronnes
encloses qui sont inaccessibles [==les autres sefirot],
l'homme intellectuel renoncera à l'idée et à la pensée
de spéculer à son sujet, en vertu de quoi [ce Néant]
sera appelé «Lui», chose cachée et occultée, « Lui
nous a faits>\ (Ps 100, 3), «Que le Lévite serve Lui»
(Nb 18, 23 ). A partir de là les choses occultes et encloses
ont procédé en chaîne vers l'en bas de façon à ce que
puisse être prononcé le nom« Lui». Qu'il est agréable
de savoir que Lui, béni soit son nom, existentia toute
l'existence et que, à partir d'une parcelle de l'existence, l'âme intellectuelle est en mesure d'atteindre la
vérité de son existence, « Tu en verras seulement
l'extrémité, tu ne le verras pas tout entier» (Nb 23, 13).
Ainsi, il n'a ni commencement ni limite ni fin, et
l'homme doit s'écarter de lui ainsi que ses- pensées.
(Moïse de Léon, le sicle du sanctuaire, op. cit ..
p.113-114.)
Cela que l'on ne doit pas nommer
Sache qu'il ne faut absolument pas spéculer sur l'infini, béni soit-il, car il est interdit de lui attribuer ne
serait-ce qu'une existence nécessaire. Même la première scfira est. appelée Néant alors que la deuxième
est dénommée Etre, à savoir que nous savons qu'il est
et c'est seulement cela que nous percevons de lui, ce
qui n'est pas même le cas de la première [sefira] et à
plus forte raison de l'infini, béni soit-il, que son nom
soit béni, qu'il est interdit de penser de quelque façon,
il est même interdit de l'appeler« Infini». Tout cc que
nous disons de lui et des sefirot [concerne] sa volonté
et sa providence en tant qu'il est connaissable par ses
actes. Tel est le principe de toutes les voies de la
cabale. Et l'on sait que, de la même façon qu'il est
sans limite, ainsi sa volonté, et c'est cela l'infini de sa
volonté pure, et même à cet égard il est interdit de spéculer de quelque manière, l'on sait seulement que les
Dieu et le monde divin
123
mondes sont finis et nombrables. (Gaon Élie de Vilna
[ 1720-1797), Lituanie, appendice de son Commentaire
sur le Sifra di-Tsniouta, rééd. à Jérusalem, s.d. [vers
1967), fol. 38b.)
Le Dieu anthropomorphe: le Chiour Qomah
R. Ismaël dit: J'ai vu le Roi des rois de rois assis sur
un trône élevé et sublime, ses guerriers se tenaient
devant lui à sa droite et à sa gauche. Un ange, le prince
de la Face, dont le nom est Métatron ( ... ) me dit:
Indique, rabbi Ismaël, quelle est la mensuration du
Saint béni soit-il, lui qui est caché vis-à-vis de toutes
les créatures. La plante de ses pieds remplit le monde
entier, comme il est écrit: « Le ciel est mon trône et la
terre mon marchepied» (ls 66, I ). La hauteur de chacune de ses voûtes plantaires est de trois cent mille
milliers de parsi, la plante de son pied droit porte le
nom de Parsimya Atraqatat et celle de gauche est
dénommée Antaman. [ ... ] Sur son cœur soixante-dix
noms sont inscrits[ ... ]. La sphère de sa tête a trois cent
mille myriades trente-trois et un tiers de parsi, [d'une
immensité] que la bouche ne peut dire et que l'oreille
est incapable d'entendre [ ... ]. L'apparence du visage
comme des mâchoires ressemble à l'esprit et à la
fonne de l'âme, nulle créature ne peut l'évoquer. Son
corps est comme de la chrysolithe, son éclat lumineux
répand le feu du milieu de l'obscurité, il est enveloppé
de nuages et de brumes, tous les princes de la Face et
les séraphins sont en ordre devant lui [ ... ). Sa langue
s'étend d'un bout du monde à l'autre [ ... ). Sur son
front il est écrit YYHOU, HAHA, YOAH, VAYAH, HAA,
HAY, HAY[ ... ). La pupille de son œil droit a cent mille
et mille quatre cents parsi, de même celle de gauche
[ ... ], les étincelles qui en jaillissent illuminent toutes
les créatures. C'est pourquoi il est appelé « le Dieu
grand, puissant et redoutable» [ ... ]. Chaque parsi a
trois milles et chaque mille a dix mille coudées,
chaque coudée a deux empans selon son empan à lui,
et son empan à lui remplit l'univers entier[ ... ]. La lar-
Textes choisis
124
geur du front est comme la hauteur du cou, la moustache a la longueur d'une narine, la longueur d'une
narine est pareille à celle du petit doigt, la hauteur des
mâchoires est comme la moitié de la sphère de la tête,
comme il en va des proportions de chaque homme
[ ... ].La couronne qui est sur sa tête a quatre cent mille
sur quatre cent mille [parsi], son nom est Israël[ ... ].
Ses cuisses sont des piliers d'albâtre reposant sur des
planches d'or fin, [ ... ] il est tout entier délices, tel est
mon bien-aimé et mon compagnon, filles de Jérusalem
[ ... ]. En conséquence, la totalité de la dimension
[divine] est d'une myriade de myriades de myriades de
milliers de parsi de hauteur, et de mille milliers de
myriades de parsi de largeur. Rabbi Ismaël dit:
Lorsque je dis cela en présence de rabbi Akiba, il me
déclara: Quiconque connaît cette mesure de notre
Créateur et la forme du Saint béni soit-il qui est cachée
aux créatures, il peut être assuré d'être digne-du monde
à venir, il goûtera dès ce monde-ci au bonheur du
monde à venir et il vivra de longs jours. Rabbi Ismaël
me dit devant ses disciples : Moi et rabbi Akiba nous
nous en portons garants, quiconque connaît cette
mesure de notre Créateur et la forme du Saint béni
soit-il, est assurément digne du monde à venir, pourvu
qu'il les étudie de façon répétée chaque jour sans
exception. (Extrait de la version éditée dans Otsar haMidrachim, New York, 1920, t. li, p. 561-562, cité
d'après le Sefer Raziel.)
La beauté de Dieu
De ces commandements, le premier et le plus grand,
c'est de craindre le Seigneur Dieu et de ne servir que
lui seul. Or le Dieu qu'il nous a dit de craindre, c'est
celui dont les anges des moindres fidèles d'entre nous
contemplent perpétuellement la face dans le ciel, c'est
le Père. Car il a une forme, à cause de la première et
unique beauté. Il a tous les membres, mais non pour
s'en servir: car il n'a pas des yeux pour voir par eux,
puisqu'il voit de partout, son corps étant incompara-
Dieu et le monde divin
125
blement plus lumineux que l'esprit par lequel nous
voyons et plus brillant que tout, à tel point qu'en comparaison avec lui la lumière du soleil est réputée
ténèbres. Il n'a pas non plus des oreilles pour entendre,
car c'est de partout qu'il entend, comprend, meut, agit,
fait. C'est à cause de l'homme qu'il a la plus belle
forme, c'est pour que ceux qui ont le cœur pur puissent
le voir et se réjouissent à sa vue en compensation des
maux qu'ils ont endurés ici-bas. C'est sur sa propre
forme, comme avec un très grand sceau, qu'il a modelé
l'homme, afin que celui-ci fût le chef et le maître de
toutes choses et que tout fût à son service. C'est pourquoi jugeant que Dieu est le tout et que l'homme est
son image - Dieu lui-même est invisible mais
l'homme visible est son image - celui qui veut honorer
Dieu honore son image visible, qui est l'homme. Par
conséquent, tout ce que l'on fait à l'homme, soit bien,
soit mal, remonte jusqu'à Dieu. Ainsi son jugement
s'étendra-t-il à tous, rendant à chacun selon ses
mérites. Car il venge sa propre forme. (Témoignage
des Homélies clémentines, homélie XVII, § 7, citée
d'après la traduction du grec par A. Siouville, rééditée
aux éd. Verdier, 1991, p. 322.)
Le corps humain mémorial du Corps de Dieu
Toutes les expressions que nous lisons dans la
Torah, comme «main», «pied», «oreille», « œil », et
ainsi de suite, que signifient-elles? Sache et crois que
toutes ces expressions, bien qu'elles indiquent et attestent sa grandeur et sa réalité, aucune créature ne peut
connaître et conceptualiser l'essence de cette chose[=
sefira] appelée main, pied, oreille, et autres semblables. Et si nous sommes façonnés d'après l'image et
la forme [du Créateur], qu'il ne te vienne pas à l'esprit
que« I'œil » a la forme physique de l 'Œil, ou la« main»
la forme physique de la Main, mais il s'agit des plus
insondables expressions se rapportant à la réalité de
l'existence de YHVH, béni soit-il, desquelles la source
et l'épanchement jaillissent vers tous les existants de
Textes choisis
126
par le décret du Nom, qu'il soit béni. Néanmoins, la
quiddité de la Main n'est pas comme la quiddité de la
«main», et leur ~tructure n'est pas équivalente,
comme il est dit: « A qui te comparerai-je et te ferai-je
égaler?» (ls 40, 25). Sache et comprends qu'il n'y a
pas entre nous et lui de ressemblance sous l'angle de la
substance et de la bâtisse, hormis l'intention placée
dans les formes de nos organes qui sont façonnées
comme des signes renvoyant à des choses mystérieuses et sublimes, que l'esprit ne peut connaître sauf
à la manière d'une évocation: quand on écrit par
exemple « Ruben fils de Jacob», ces lettres ne sont pas
la forme même de Ruben fils de Jacob - ni sa forme, ni
sa structure, ni sa quiddité - mais elles sont le rappel
qu'il s'agit de Ruben fils de Jacob; l'écriture est un
signe renvoyant à la substance et à la structure connue
appelée « Ruben fils de Jacob». Et puisque YHVH, béni
soit-il, a voulu que nous obtenions-du mérite, il a créé
dans le corps de l'homme de nombreux organes,
cachés et exposés, qui font office de signes [renvoyant) au récit du Char [= la structure du monde
divin]. Si l'homme a le mérite de purifier l'un de ses
organes, cet organe même sera à l'image d'un trône
pour la chose supérieure insondable appelée par ce
nom: œil pour Œil, main pour Main, et ainsi de suite.
(Joseph Gikatila, Castille, XIII° siècle, Les portes de la
lumière [Cha'aré Oruh], Varsovie, 1883, 2b, p. 4-5.)
Les dix entités créatrices
Alors que le livre de la Genèse relatait la façon dont Dieu
créa le monde en prononçant l'une après l'autre dix paroles,
depuis lefiat lux du premier jour, un énoncé du Talmud franchit un pas supplémentaire en direction d'une conception
théosophique de la création. Il énumère dix «choses» (devarim) ou dix entités par le biais desquelles Dieu a créé l'univers. Bien que le statut ontologique de ces dix choses ne soit
pas précisé, il est fait clairement allusion à l'existence d'un
Dieu et le monde divin
127
modèle d'activité divine cosmogonique. Ces agents créateurs
ne sont plus simplement les dix paroles du Dieu de la Bible
mais apparaissent comme des aspects de la vie divine. Une
connexion, encore imprécise, semble même établie entre chacune de ces entités et un domaine particulier de l'univers. Des
sources extérieures au judaïsme, dont des textes gnostiques et
hermétiques sans doute antérieurs au milieu du 11°siècle, se
réfèrent également à l'existence de dix entités supérieures ou
logoi divins et représentent vraisemblablementdes reformulations de spéculations juives très anciennes sur le processus de
la création, où le nombre dix joue un rôle essentiel.
R. Zoutra ben Touvia dit au nom de Rav que le
monde a été créé au moyen de dix entités : Sagesse et
Intelligence, Connaissance et Force, Puissance et
Menace, Droiture et Justice, Grâce et Miséricorde.
Que le monde fut créé par la Sagesse et l'intelligence,
011le sait grâce au verset: « C'est par la sagesse que
l'Eternel a fondé la terre, c'est par l'intelligence qu'il a
affermi les cieux» (Pr 3, 19). Par la Connaissance:
« C'est par sa connaissance que les abîmes se sont
ouverts» (suite). Par la Force et la Puissance: «li
affermit les montagnes par sa force, il est ceint de puissance» (Ps 65, 7). Par la Menace: « Les colonnes du
ciel tremblent et s'étonnent à sa menace» (Jb 26, 11).
Par la Droiture et la Justice: « La droiture et la justice
sont la base de ton trône» (Ps 89, 15). Par la Grâce et
la Miséricorde: « Souviens-toi de ta miséricorde et de
ta grâce, car elles existent à tout jamais» (Ps 25, 6).
(Talmud, traité Haguiga 12a.)
Les six extensions et l'infini
Le véritable Dieu est donc un; il préside, doué d'une
forme éminente. li est deux fois cœur, et de ce qui est
en haut, et de ce qui est en bas. De ce cœur, comme
d'un centre, jaillit la force vitale et incorporelle, ainsi
que l'univers avec les astres et les lois du ciel, de l'air,
Textes choisis
128
de l'eau, de la terre et de tous les autres êtres. Il apparaît comme une substance infinie en hauteur, illimitée
en profondeur, immense en largeur, étendant trois fois
à l'infini la nature vivifiante et intelligente de Dieu.
Cet infini en tous sens qui sort de lui est nécessairement cœur; il possède la figure de celui qui est réellement au-dessus de tout, de celui qui, où qu'il soit, est
comme au centre de l'infini, tout en étant la limite de
l'univers. C'est donc de lui que partent les extensions
qui tirent leur nature des infinis. Prenant en lui leur
point de départ, l'un [de ces infinis] pénètre en hauteur
en haut, l'autre en profondeur en bas, celui-ci à droite,
celui-là à gauche, l'un par-devant, )'autre par-derrière.
Les yeux fixés sur eux comme sur un nombre égal de
toutes parts, Dieu achève le monde en six intervalles
de temps, étant lui-même repos et ayant pour image le
siècle infini à venir. Il est le commencement et la fin
car c'est à lui qu'aboutissent les six [extensions]-infinies et c'est de lui qu'elles partent pour s'étendre à
l'infini. Tel est le mystère de la semaine. Car Dieu est
le repos de tous les êtres. Il se donne lui-même pour
leur repos à ceux qui imitent en petit ce qu'il a fait en
grand. Il est seul, tantôt compréhensible, tantôt incompréhensible, tantôt sans limites, avec des extensions
qui, partant de lui, s'étendent à l'infini. (Témoignage
des Homélies clémentines, homélie XVII, § 9, op. cit.,
p. 323-324.)
les dix sejirot
Dix chiffres-abîme: nombre des dix doigts, cinq
face à cinq, l'alliance de !'Unité située au centre dans
la circoncision de la langue et de la bouche ainsi que
dans la circoncision de la nudité.
Dix chiffres-abîme: dix et non neuf, dix et non
onze. Discerne avec sagesse et sois sage avec discernement. Examine-les et sonde-les. Connais, considère
et conçois. Dresse la chose sur sa base et assieds le
Créateur sur son siège. Leur mesure est dix parce
qu'ils n'ont pas de fin.
Dieu et le monde divin
129
Dix chiffres-abîme: retiens ton cœur de spéculer,
retiens ta bouche de parler. Et si ton cœur se hâte,
retourne à l'endroit d'où tu es parti et rappelle-toi qu'il
est dit: « Les Vivants couraient et revenaient» (Ez 1,
14). Sur cette chose-là une alliance a été conclue.
[Dix chiffres-abîme]: leur mesure est dix parce
qu'ils n'ont pas de fin: leur fin est fichée dans leur origine et leur origine dans leur fin, telle une flamme liée
à un charbon ardent. Connais, considère et conçois que
Je Seigneur est unique et le Créateur est un et n'a pas
de second. Et avant un que comptes-tu?
Dix chiffres-abîme: leur mesure est dix parce qu'ils
n'ont pas de fin. Profondeur commencement et profondeur terme, profondeur bien et profondeur mal, profondeur haut et profondeur bas, profondeur est et
profondeur ouest, profondeur nord et profondeur sud,
et un Seigneur unique, Dieu roi fidèle, les gouverne
tous depuis sa sainte demeure et jusqu'à perpétuité.
Dix chiffres-abîme: leur aspect est comme l'apparence de l'éclair, quant à leur limite ils n'ont pas de
fin. Sa parole en eux est comme une course, et à son
dire comme une tempête ils accourent, et devant son
trône ils se prosternent. (Livre de la création [Sefer
Ye$ira], hébreu, entre le Ill° et le vie siècle, chapitre
premier, traduit sur l'édition précritique d'I. Gruenwald, «A Preliminary Critical Edition of Se.fer Yezi•
rah », Israel Oriental Studies, l, I 97 I, p. 132-177.)
Unité et dualité du monde divin : Dieu et sa Sagesse
Pierre répondit: C'est un seul et même Dieu qui dit
à sa Sagesse: « Faisons l'homme.» Cette Sagesse,
avec laquelle Dieu lui-même se réjouissait sans cesse
comme avec son propre Esprit, est d'une part unie à
Dieu comme une âme, et, d'autre part, s'étend hors de
lui comme une main, créant l'univers. C'est pour cela
qu'il n'a été fait qu'un seul homme et que le sexe
féminin est sorti de celui-ci. L'unité dans l'espèce est
dualité. C'est en effet selon l'extension et la contraction que l'unité est considérée comme dualité. J'ai
130
Textes choisis
donc raison de rapporter tout l'honneur à un seul Dieu,
comme à des père et mère. (Témoignage des Homélies
clémentines, homélie XVI,§ 12, op. cit., p. 312.)
Adam et Ève et les deux attributs divins
La raison de la création [d'Adam et Ève] en deux
visages (dou-partsoufim) consiste en ceci: l'homme a
été créé en deux visages afin que la femme obéisse à
son époux et afin que sa vie soit suspendue à la sienne,
qu'ils ne suivent pas chacun son propre chemin, mais
qu'il y ait entre eux proximité et fraternité, qu'ils ne se
séparent pas. Alors il y aura la paix entre eux et par
leur intermédiaire il y aura la paix dans le monde. Il en
va ainsi également des «agents de la vérité dont l'action est vérité» [les attributs de miséricorde et de jugement]. La signification des deux visages se capporte à
deux choses. On sait que deux contraires ont été émanés, l'un est le jugement (din) et son compagnon est la
miséricorde parfaite. S'ils n'avaient pas été émanés en
un double visage, chacun aurait agi selon sa propension propre et ils seraient apparus comme deux souverainetés; chacun aurait agi sans relation avec l'autre et
sans son aide. Mais comme ils ont été créés en un
double visage, toutes leurs actions s'accomplissent à
l'unisson, à égalité, en parfaite corrélation, sans séparation entre eux. S'ils n'avaient pas été créés en un
double visage, aucune corrélation parfaite ne serait
venue d'eux, et la dimension du jugement ne pourrait
pas s'élever dans la dimension de miséricorde, comme
la dimension de miséricorde ne pourrait pas s'élever
dans la dimension du jugement. Mais puisqu'ils ont été
créés en un double visage, chacun d'eux se rapproche
et s'unit à l'autre, désirant et convoitant de se conjoindre
à l'autre, pour former un seul tabernacle. Une preuve
en est que les noms [divins) se désignent l'un l'autre,
tu trouveras que« YHVH » [qui se rapporte à la miséricorde) désigne parfois aussi la dimension du jugement,
de même le nom Elohim [qui se rapporte au jugement],
désigne parfois la dimension de miséricorde, comme
Dieu et le monde divin
131
dans Genèse 19, 24. Ces dimensions passent l'une dans
l'autre. Telle est, en bref, la signification du double
visage. Réfléchis à cela et tu trouveras. (Fragment de
R. Abraham ben David édité par Scholem, Réchit haQabbalah, Jérusalem, 1948, p. 79, d'après Ms Brit.
Mus. 768, fol. 14a, Oxford 1956, fol. 7a. Voir aussi Les
origines de la kabbale, de G. Scholcm, p. 232, 233.)
L 'Infini et les dix sefirot
Élie prit la parole et dit: Seigneur de tous les
mondes, tu es un mais non par le nombre. Tu es élevé
au-dessus de tout ce qui est élevé, mystérieux plus que
tout ce qui est mystérieux, la pensée ne te saisit d'aucune manière. Tu es Celui qui fit surgir dix structures
que nous appelons dix sefirot, c'est par elles que les
mondes cachés et invisibles ainsi que les mondes
visibles sont dirigés, en elles Tu te dérobes aux yeux
des hommes. Tu es Celui qui les lie et les unit, et parce
que Tu es à l'intérieur, quiconque sépare ces dix l'une
de l'autre, c'est comme s'il te divisait. Ces dix sefirot
se meuvent selon leur ordre, l'une est patience, l'une
impatience, l'autre juste mesure. Tu es Celui qui les
guide et nul ne te conduit, ni d'en haut ni d'en bas ni
d'aucun côté. Tu les as ornées de vêtements d'où les
âmes prennent leur envol à destination de l'humanité,
et Tu les as parées de nombreux corps - corps qui portent un tel nom au regard des vêtements qui les couvrent. Elles sont dénommées respectivement: Hessed
(Bonté), bras droit; Guevourah (Puissance), bras
gauche; Tiferet (Beauté), tronc; Netsah (Victoire) et
Hod (Majesté), deux cuisses; Yessod (Fondement),
terminaison du corps, signe de l'Alliance sainte; Malkhout (Royauté), bouche, Torah orale - ainsi les
nomme-t-on. La Hokhmah (Sagesse)- le cerveau - est
la pensée intérieure. La Binah (Intelligence) est le
cœur, et par elle le cœur comprend. Au sujet de ces
deux-là, il est écrit: « Les mystères appartiennent à
YHVH notre Dieu» (Dt 29, 28). La Couronne suprême
(Keter) est la Couronne de la Royauté, à son propos il
132
Textes choisis
est dit: « Il indique dès l'origine ce qui sera à la fin»
(ls 46, 10) [ ... ]. Seigneur des mondes, Tu es cela,
!'Origine des origines, la Cause des causes, qui arrose
!'Arbre [= les sefirot] par cette Source [= la Couronne], et cette Source est comme une âme pour un
corps car elle vivifie le corps. Mais de toi il n'est ni
image ni représentation parmi toutes choses intérieures
ou extérieures. Tu as créé le ciel et la terre, Tu en as fait
émerger le soleil, la lune, les étoiles et les constellatiors. Et sur la terre, les arbres, les végétaux, le jardin
d'Eden, l'herbe, les animaux, les oiseaux, les poissons
et les hommes, afin que les entités supérieures se laissent connaître à travers eux, ainsi que leur façon de
conduire les êtres d'en haut et d'en bas. Mais de toi nul
ne sait rien, et hors de toi les êtres supérieurs et inférieurs n'ont pas d'unité, Tu te fais connaître comme
leur Seigneur. Chaque sefira possède un nom en
propre, les anges les invoquent grâce à lui, mais toi Tu,
ne possèdes aucun nom propre car Tu remplis tous les
noms et Tu es leur plénitude. Lorsque Tu les abandonnes, tous ces noms restent comme un corps sans
âme. Tu es sage, non d'une sagesse connue, Tu es intelligent, non d'une intelligence connue, Tu n'as pas de
lieu connu si ce n'est pour faire connaître ta force et ta
puissance aux hommes, et pour leur montrer comment
Tu conduis le monde par le jugement et la miséricorde,
qui sont Justice et Droit, en fonction des œuvres
humaines. Le jugement c'est la Puissance, le Droit
c'est la Colonne médiane[= Tiferet], la Justice c'est la
sainte Royauté, les « balances de justice» ce sont les
deux Piliers de vérité [Netsah et Hod], le «juste
poids» c'est le signe <l'Alliance[= Yessod]. Tout cela
afin de montrer comment le monde est dirigé, ce qui
n'implique pas que Tu possèdes une Justice connue,
qui est le jugement, ni un Droit connu, qui est la miséricorde, ni aucun de ces attributs. ( Tiqouné ha-Zohar,
texte anonyme en araméen, Castille, début . du
x,ve siècle, Margaliot, Jérusalem, 1978, oraison d'Elie
[second prologue, fol. l 7a].)
Dieu et le monde divin
133
Les dix sefirot et l'image de l'homme
[« R. Jérémie ben Éléazar dit: Quand le Saint béni
soit-il créa le premier homme], il le créa androgyne»
(Genèse Rabba 8, 1). ,L'explication s'obtiendra* partir
du sens littéral de !'Ecriture, sur ce verset: « Elohim
(Binah) cré~ l'homme à son image (Tiferet), à l'image
(Tiferet) d'Elohim (' Atarah) il le créa, mâle (Tiferet)
et femelle (' Atarah) il les créa» (On 1, 27). La signification ésotérique est la suivante: c'est à partir du
secret du mâle et de la femelle qu'ils ont été créés et
pour cette raison ils sont à l'image de Dieu. Sache que
la puissance de la 'Atarah est appelée «femelle», puisqu'elle reçoit l'influx de la puissance supérieure appelée «mâle»
[ ... ]. Aussi l'homme a-t-il été créé
androgyne. Sache en effet que dans la langue grecque
l'homme est appelé andro et la femme gynos et
yeniqa. Tel est son secret, discerne-le bien. Car dans
l'image de l'homme est une image et une ressemblance, je veux dire que toutes les cohortes d'en haut,
soit mâles soit femelles, ont toutes été créées à
[l'image de l'homme], c'est le secret de ce que dit
R. Samuel bar Nahmani : « Au moment où le Saint
béni soit-il créa le premier homme, il le créa avec deux
figures» - issues de Tiferet et de 'Atarah- «puis elles
furent scindées» - [Dieu] les sépara et lui fit« une aide
contre lui», ce qu'exprime:
« Il n'est pas bon que
l'homme soit seul, je lui ferai une aide contre lui»
(On 2, 18). « li les fit dos à dos, un dos ici et un dos là»
(Genèse Rabba, ibidem), afin que [la partie féminine]
puisse s'approcher et s'éloigner de lui. Sache, ô lecteur
de ce discours, que toutes les choses que le Saint béni
soit-il a créées dans son monde sont mâle et femelle:
par rapport aux sefirot en tant que contenant, le canal
en lequel est reçu l'influx et qui est l'embouchure afférente du canal [d'écoulement] - cette embouchure sera
appelée femelle et le canal, mâle. En tant que contenu
[ou substance], chacune des lumières des dix sefirot
peut être comparée au soleil, qui a une masse et un
134
Textes choisis
rayonnement. Ainsi la Couronne suprême appelée
«neige» est sa substance et la splendeur qui en
rayonne [est appelée femelle]. La Sagesse (Hokhmah),
dont l'aspect est du bleu rayonnant, a une substance
qui est mâle et la splendeur qui en rayonne est appelée
femelle. Le Discernement (Binah) est jaune comme un
arc-en-ciel et la splendeur qui en rayonne est sa
femelle. La Grandeur (Guedoulah = Hessed) a l'aspect
de !'argent dont l'éclat resplendit, et la splendeur qui
en rayonne est sa femelle. De même la Puissance
(Guevourah) dont la substance est comme du feu, la
splendeur qui en rayonne est appelée femelle. La Beauté
(Tiferet) dont la substance est composée pour moitié
d'eau et d'argent et pour moitié d'or et de feu, la splendeur qui en rayonne est appelée femelle. La Victoire
(Netsah) reçoit du côté de Hessed la blancheur et du
côté de la blancheur Tiferet, cependant Netsah reçoit
également du rouge qui est dans Tiferet, c'est pourquoi
elle est du rouge tendant vers le blanc. Sa splendeur est
dite femelle. La Majesté (Hod) reçoit le rouge de Guevourah et le rouge de Tiferet, mais elle reçoit aussi le
blanc qui est dans Tiferet. Or, quand est épanché le
blanc du côté droit de Tiferet et qu'il passe par le côté
gauche, il reçoit une coloration de ce dernier. Lorsqu'il
parvient à Hod, son aspect est un blanc inclinant vers
le rouge et la splendeur qui en rayonne est appelée
femelle. Le Fondement (Yessod) reçoit l'énergie de
toutes les [sefirot] à égalité: de la Couronne suprême,
de la Sagesse et du Discernement, puisque [cesse fi rot]
sont attachées à la Colonne vertébrale, de la Grandeur
et de la Puissance, car elles aussi sont attachées à la
Colonne vertébrale et s'épanchent dans la Beauté, de
la Victoire et de la Majesté, car [ces sefirot] se déversent dans le Fondement qui reçoit ce qui vient de la
Colonne vertébrale à travers la Beauté, ainsi que toutes
les [sefirot]. Son aspect est un mélange de tous les
aspects, c'est une couleur de synthèse, [ ... ] c'est le
bleu azur (lekhelet) des franges rituelles( ... ]. Au début
du processus de formation, chaque resplendissement
[de nature féminine] est attaché à sa racine, comme la
Dieu et le monde divin
135
flamme est liée à la braise, c'est le secret de:« Mâle et
femelle il les créa» (Gn 1, 27). Selon le verset: « Je lui
ferai une aide contre lui», il prit un de ses côtés - c'est
le resplendissement - et il le construisit et le fit équivalent au mâle. De même, toutes les sefirot du
[domaine] des êtres créés sont rassemblées dans la
•Atarah et sont dénommées femelles. Mais l 'unification consiste à réunir tout mâle à son «côté» et toute
splendeur à sa braise. Tel est le secret de « Il les fit dos
à dos, un dos ici et un dos là», ils méritent - ils sont
face à face-, ils déméritent - dos à dos. lis méritent pour l'amour-, ils déméritent - pour la haine. (Joseph
ben Chalom Achkénazi, Barcelone, fin du x111°siècle,
Commentaire sur Genèse Rabba [Perouch la-Farachat
Beréchit], édité par M. Hallamish, Magnes Press, Jérusalem, 1984, p. 132-134.)
Les dix sejirot et les sphères célestes d'Aristote
La cabale et la philosophie sont une seule et même
chose; point de différence entre elles dans le principe.
Nos docteurs ont reçu ou connu les doctrines des philosophes, mais ils les ont cachées sous [le manteau]
de leurs paraboles et de leurs énigmes. [ ... ] En vertu
de cette considération, les sefirot sont les Intelligences
motrices des sphères. [ ... ] Quant à la première opinion
[sur l'existence de dix sefirot seulement], je puis l'interpréter conformément à la doctrine d'Aristote. Kcter
sera la Première Cause et [en même temps] le Premier
Moteur, c'est-à-dire le moteur de la sphère ultime;
Hokhmah, le moteur de la sphère des signes du
zodiaque; Binah, celui de la sphère de Saturne; Hessed, celui de la sphère de Jupiter; Guevourah, celui de
la sphère de Mars; Tifcrct, celui de la sphère du
Soleil; Netsah, celui de la sphère de Vénus; Hod, celui
de la sphère de la Lune; Malkhout enfin sera l' Intellect
Agent. [ ... ] Il ressort clairement de [tout] cela qu'à
condition d'interpréter les doctrines des cabalistes
comme je )'ai exposé. elles concordent avec celles des
philosophes. La doctrine des uns s'accorde avec celle
136
Textes choisis
d'Aristote, des autres, avec celle d' Abu Ali [ibn Sina],
si bien que la doctrine de la cabale et de la philosophie
s'avère une à ce point de vue. [La première] n'a été
appelée cabale que parce que ses adeptes l'ont obtenue
par transmission, non par raisonnement. (Joseph ibn
Waqar, philosophe et cabaliste qui écrit en arabe à
Tolède, dans la première moitié du x1vc siècle. Texte
traduit par Georges Vajda dans Recherches sur la philosophie et la kabbale dans la pensée juive du Moyen
Age,Mouton, Paris-La Haye, 1962, p. 285-286.)
Les dix sefirot et la hiérarchie des couleurs
Le but de ce chapitre est d'expliquer la question des
couleurs évoquées par les exégètes ainsi que dans le
Zohar et dans les propos de R. Siméon ben Yohaï;
c'est ainsi que seront mises en évidence la couleur de
chacune des sefirot et sa signification, celaèle façon
très condensée. [ ... ] Maintes fois, le lecteur des livres
des cabalistes et du Zohar constate que des couleurs
spécifiques sont attribuées à chacune des sefirot, cc à
quoi le lecteur doit prendre garde. Il ne devra pas
croire ni penser que les choses sont confonnes à leur
sens apparent - Dieu préserve - car la couleur est une
chose d'ordre matériel et elle est un des aspects de la
matière et un de ses accidents. Or, ce qui n'est pas
matière ne doit pas être figuré par des accidents de la
matière - Dieu préserve. Celui qui pense que lesdites
couleurs se situent dans les sefirot selon le sens littéral
des énoncés [des cabalistes] détruit le monde et [brise]
les limites qu'ont posées les anciens, en conséquence
de quoi il matérialise [ce qui est divin], Dieu préserve.
Le lecteur doit donc être vigilant à ce sujet. En réalité,
les couleurs sont utilisées comme des métaphores pour
[décrire] les opérations qui émanent des racines d'en
haut. Une illustration: il sied d'attribuer [la couleur]
rouge à la [sefira] Guevourah (Puissance) qui l'emporte dans la guerre, étant donné qu'elle a une propension à verser le sang rouge; de plus, le rouge manifeste
la cruauté, la passion et le débordement de colère. Cela
Dieu et le monde divin
137
a été expliqué. C'est pourquoi la rougeur est mise en
relation avec le lieu du jugement sévère. Par ailleurs, il
n'est pas douteux que les choses rouges procèdent de
la puissance de cette racine-là, comme nous l'avons
indiqué dans le portique traitant de la quiddité et de la
direction [de l'univers]. De la même façon, la [couleur] blanche se rapporte à la miséricorde et à la paix:
il est dans le tempérament des [personnes] pâles d'être
miséricordieuses, comme les vieillards et les gens aux
cheveux blancs, qui ne sont pas portés à s'enrôler dans
les années. Aussi, quand on désire attribuer [une couleur] à la paix, à la grâce et à la miséricorde, on les met
en relation avec la blancheur. Il n'est pas douteux que
les choses blanches émanent de la puissance de cette
racine, comme nous l'avons expliqué dans le portique
précité; tel est le but de [l'attribution] de couleurs aux
sefirot: elles servent de métaphores pour les opérations procédant [des se firot] selon leur nature et leur
fonction. Nous ne possédons pas d'autres tropes ni
d'autres cadres que les couleurs pour les représenter et
les caractériser suivant leurs différenciations, couleurs
qui se différencient, dominent et s'intensifient en fonction de la prédominance d'une couleur sur une autre.
C'est pour cette raison que les métaphores de couleurs
sont employées pour représenter les opérations divines.
Le but est de rendre ces dernières intelligibles à l'oreille
corporelle à travers cc qu'elle est capable d'entendre.
Il n'est pas douteux que les couleurs recèlent une voie
d'accès aux opér~tions des sefirot et à leur épanchement d'énergie. A cause de quoi, lorsque le théurge
souhaite attirer un influx de miséricorde de la [sefira]
Hessed, il dessinera devant lui le nom de cette sefira
avec la couleur de la chose voulue de lui, qui sera
confonne à la couleur de la dimension [divine concernée]: si c'est de la grâce absolue [qu'il souhaite], il se
servira de blanc pur. Si ce n'est pas de la grâce si absolue [dont il souhaite attirer l'influx], il dessinera avec
du blanc tel le carbonate de calcium ou d'autres pigments de même genre, comme nous l'avons expliqué
dans le portique de la méditation. De même aussi,
138
Textes choisis
quand il voudra entreprendre une action [surnaturelle]
et qu'il aura besoin d'une émanation d'énergie de
rigueur (din), alors cet homme devra s'habiller de
vêtements rouges et dessiner la fonne des noms divins
(hahavayot) avec du rouge. Ainsi pour toutes les opérations et les attractions [d'influx]. Quand il aura
besoin de grâce et de miséricorde, il s'habillera de
blanc. L'exemple des prêtres nous en fournit des
preuves claires: l'attraction qu'ils exerçaient procédait
[de la sefira] Hessed et leurs vêtements étaient blancs,
afin de manifester la paix. C'était le cas du grand
prêtre lors du jour de Kippour: il ôtait ses [parures]
d'or et revêtait des habits blancs parce que le culte
durant ce jour requérait des vêtements blancs. [Les
maîtres du Talmud] ont donné une explication: « Pourquoi le grand prêtre ne pénétrait pas dans le Saint des
Saints vêtu d'habits d'or afin d'accomplir le culte?
Parce que, s'il en avait été ainsi, )'Accusateur ne-se
serait pas transfonné en Défenseur» (Roch ha-Chanah
26a) - ils se sont ainsi explicitement référés au sujet
qui nous occupe. Il en va de même, bien évidemment,
en ce qui concerne les amulettes. Lorsque l'homme
fabrique une amulette [en vue d'attirer] la grâce, il dessinera ce nom en un blanc resplendissant, car alors
l'efficience de ce nom grandira. Ainsi en ce qui
concerne l'énergie de rigueur (din), il faut dessiner le
nom de la rigueur en rouge, et mieux encore ce sera
s'il le dessine avec du sang de bouc, car alors la couleur et sa cause se rapporteront ensemhle à la rigueur.
Ces choses sont connues et comprises des rédacteurs
d'amulettes, mais nous n'avons pas part à leur besogne.
Nous avons déjà observé une personne qui dessinait
des noms dans des amulettes se référant à la rigueur
avec du rouge, à la grâce avec du blanc et à la miséricorde avec du jaune, et tout cela selon les directives
des instructeurs authentiques qui lui avaient enseigné
l'art de fabriquer des amulettes. Ce qui nous montre
que les couleurs recèlent des voies d'accès aux opérations émanant d'en haut Proches de cette pratique
étaient les astrolâtres; ils accomplissaient leur culte
Dieu et le monde divin
139
avec de l'encens qui était connu dans leur cercle, afin
que soit épanchée à leur intention une puissance
venant d'une étoile et ils s'habillaient de vêtements
[teints d'une couleur] en relation avec leur activité,
selon leur stupidité. Ce qui atteste fidèlement [la réalité de l'efficience des couleurs], ce sont les pierres du
pectoral [du grand prêtre]; celui-ci comprenait douze
pierres liées à ) 'attraction qu'exerçaient les douze tribus d'Israël sur le Lieu subi ime. li ne faut pas rejeter
ce phénomène; en effet, les physiciens ont dit que, si
l'homme fixe les yeux sur des masses d'eau courantes,
la blancheur s'éveillera en lui, si bien que les malades
qui ne trouvent pas le repos et dont le sommeil n'est
pas doux, feront jaillir devant eux des jets d'eau afin
que la blancheur s'éveille, que l'humidité prédomine
et qu'ils trouvent enfin le sommeil. Quand le lecteur
réfléchira à tête reposée il trouvera un grand intérêt au
fait que, au moyen des couleurs visibles ou qui sont
imaginées dans l'intellect au niveau corporel, le spirituel est activé: l'âme [sensitive] éveille l'esprit, l'esprit éveille l'âme [supérieure] et cette âme [s'élève] de
degré d'existence en degré d'existence jusqu'à ce
qu'elle rejoigne l'endroit [divin] où elle se nourrit et
qu'elle le mette en éveil confonnément à la nature de
[la couleur] qu'elle s'est représentée. [ ... ] Car l'éveil
et l'aspect des choses d'en bas dépendent des hommes
[ ... ]et donc suivant l'intensité de cet éveil sera l'épanchement [d'en haut]. [ ... ] C'est la raison du blanchissement de la languette cramoisie [placée sur la porte
du Sanctuaire] lors du jour de Kippour, car lorsque la
rigueur disparaît dans la racine supérieure, ses branches
inférieures disparaissent, et comme la source où se
situe le principe déterminant du rouge passait de la
rigueur à la miséricorde, ainsi la branche inférieure [=
la languette fixée sur le Temple] passait du rouge au
blanc. C'est pour la même raison que les anciens
fidèles, pendant la fête de la moisson, jetaient de !'eau
devant eux quand ils disaient leur prière: c'était afin
que leur cœur se concentre sur ce sujet, que leur âme
s'émeuve et attire [un épanchement] confonne à son
140
Textes choisis
ébranlement. Il n'est pas douteux que c'est également
pour la même raison que les endeuillés de Sion portent
des vêtements noirs; le but est qu'ils soient émus
par l'absence de lumière et par l'obscurité dominante
[ ... ]. (Moïse Cordovéro, Safed, xvie siècle, Le verger
aux grenades [Pardés Rimonim], Munkacz, 1906,
fol. 59b-c.)
L'expansion de /'Unique primordial
Je dois d'abord t'éveiller à quelques sujets transmis
par les maîtres de la tradition véritable qui ont convenu
d'une clé capable d'ouvrir les portails les plus clos.
Tends l'oreille pour entendre les paroles des sages et la
connaissance de leurs lèvres qui ont parlé pour leur
génératjon. Nous apprenons ceci dans le Pirqé de
Rabbi Eliézer (chap. 3) : «Avant que le monde ne soit
créé il y avait Lui et son nom seulement.» Expliquons : «Avant que ne soit créé le monde» des sefirot,
qui porte Je nom de« monde», il y avait )'Unique couronné, )'Ame des âmes, d'où les sefirot ont été émanées, cette puissance étant leur âme à elles. Avant la
«création» évoquée, la puissance appelée « son nom»
était collée à sa racine, bénie soit-elle et exaltée soitelle, telle une flamme liée à la braise. De la même
façon qu'une flamme couvée en profondeur dans la
braise avant d'être agitée par un souffle est totalement
invisible, ainsi était ce paradigme au sein de l'émanation subtile, spirituelle, simple à l'extrême, lorsqu'elle
était intimement liée à sa racine, qu'elle soit bénie et
exaltée. Pour le moment encore ('Unique primordial,
béni soit-il, ne portait pas de nom propre et n'était
absolument pas désignable ni par un attribut ni même
par un point qui l'aurait symbolisé, à cause de son
extrême simplicité substantielle. Quand le désir et la
volonté le prirent de créer le monde des sefirot, alors il
exhala de sa bouche un souffle de vie en un étincellement sans fin, et il fit émaner une lumière spirituelle
simple, c'est ce qui est appelé « son nom». Aussitôt
celle-ci se subdivisa en trois lumières: lumière primor-
Dieu et le monde divin
141
diale, lumière limpide, lumière éclatante, et le secret
de la« flamme» se manifesta, elle qui étouffait au sein
de la braise, grâce à la force de la bouffée d'air. L'ensemble de ces puissances et de ces lumières est appelé
« son nom», béni soit son nom à jamais et pour l'éternité des éternités. Tels sont les propos du Zohar (section Aazinou, fol. 535): « Le mystère de tous les
mystères est séparé et transcende tout, et il n'est pas
séparé car tout est attaché à lui et il est attaché à tout,
il est tout, l'Ancien de tous les anciens, le mystère de
tous les mystères, il est organisé et inorganisé. Il est
organisé pour tout faire subsister et il est inorganisé
parce qu'il n'existe pas. Lorsqu'il commença à s'organiser, il fit jaillir neuf lumières qui flambèrent à partir
de lui, à partir de ses organes, et ces lumières flambaient, se répandaient et s'étendaient en tous sens, telle
une sublime chandelle d'où se détachent des rayons de
lumière de tous côtés. Mais lorsque ces lumières de lui
échappées cherchèrent à le connaître, elles ne trouvèrent rien sinon cette Chandelle suprême, mystère de
tous les mystères. Rien n'existe si ce n'est ces lumières
qui se déploient, qui se dévoilent et qui se dissimulent,
elles sont dénommées le saint nom.» Tu viens d'avoir
l'explication de tout ce à quoi nous avons fait allusion,
si tu comprends et examines correctement ce merveilleux récit métaphorique, comment se déroula le
processus du secret de l'émanation et du secret des
mots: « Il y avait Lui et son nom seulement.» Ensuite
le désir le prit encore de produire une structure pour sa
structure et d'ajouter de la gloire à sa gloire. C'est
ainsi qu'il créa dix Palais saints et purs, limpides et
diaphanes, pour qu'ils soient le sanctuaire du secret de
son nom sanctifiç, Palais appelés par les cabalistes du
nom de sefirot. A leur sujet le Livre de la création a
fait allusion: « Dix sefirot abîme, dix et non neuf, dix
et non onze. » Par leur biais les existants ont existé, les
créatures ont été créées, et le secret de la Divinité a été
reconnu grâce à elles, parce que l'homme a été créé à
l'image du secret du Char supérieur et selon le mode
de cette création-là la gloire du secret de la Divinité
142
Textes choisis
sanctifiée devient manifeste. Par la puissance du resplendissement de la lumière primordiale et de sa formidable cohérence la dimension de la Couronne a été
émanée, en elle était inscrit le secret des essences, de
toutes les marques, de tous les sentiers en une même
apparition sans aucune discontinuité. Jusqu'ici ce
Palais devant le Saint des Saints appartient à YHVH. Il
fit émaner encore la lumière limpide par sa puissance
causale et il fit rayonner sa lumière sur la Couronne et
par la puissance de cette lumière il en alla comme si la
Couronne avait conçu et elle donna naissance à la
dimension de la Sagesse, secret du deuxième Palais,
saint sanctifié. Mais même ce Palais demeure caché de
la manière la plus extrême à cause de son excès de
sublimité et de simplicité substantielle. Le secret de la
surabondante lumière s'épancha une troisième fois, à
cause de la puissance de la lumière éclatante, sur la
dimension de la Couronne, sans aucune discontînuité,
et de la Couronne [elle s'épancha] sur la Sagesse, et
d'elle émana la dimension de l'intelligence, alors «on
commença à invoquer le nom de YHVH » vocalisé
comme «Élohim», et ici le secret du premier sceau fut
parachevé, d'après le secret ,des trois par trois, secret
du [signe de cantillation des Ecritures appelé segou/ta].
Ces trois sont l'image et le paradigme du cerveau
humain qui est le sanctuaire de !'âme, ainsi en va-t-il
dans l'en haut, comprends-le et garde le silence pour
YHVH. L'Unique primordial fit émaner encore une
émanation surabondante sur ces trois couronnes supérieures et le sceau fut frappé une deuxième fois selon
le secret du [signe] ségo/ : Grandeur, Puissance,
Beauté. Le sceau fut encore frappé une troisième fois
par le secret du monde des prophètes, Victoire, Majesté,
Fondement, et là fut achevé le secret de l'extension et
de l'émanation spirituelle simple. Ces sefirot sont
l'image d'ufl corps et de palais spirituels [abritant] le
secret de l' Ame. Ces dix de création pennettent de
vêtir les dix d'émanation, les unes sont noyaux, les
autres coquilles, de même chacune des neuf sefirot est
appelée coquille vis-à-vis de sa voisine. Par ces cou-
Dieu et le monde divin
143
ronnes nous pouvons qualifier et nommer !'Unique
primordial, béni soit-il, en usant de noms particuliers:
lorsqu'il se revêt du secret de la Couronne (Keter) il
est appelé Ehyé (Je serai). Le secret de ce nom est
reconnaissance du fait qu'il était, qu'il est et qu'il sera
et c'est le secret de la parfaite miséricorde sans aucun
mélange de jugement. Cette dimension est appelée par
les cabalistes « dimension d'équanimité», car le juste
et l'impie sont équivalents pour elle tant est abondante
la pure miséricorde qu'elle recèle par la puissance du
nom« Je serai». Mais ce sujet nécessiterait une longue
explication. Au niveau de la dimension de la Sagesse
(Hokhmah) il est appelé Être, par le nom de Yah. Au
niveau de la dimension de l'intelligence (Binah) il est
~ppelé YHVH, vocalisé d'après les voyelles du nom
Elohim. Au niveau de la dimension de la Grâce (Hessed) il est.appelé El. Au niveau de la Puissance (Guevourah) Elohim, au niveau de la Beauté (Tiferet)
YHVH, au niveau de la Victoire (Netsah) Seigneur des
années, au niveau de la Majesté (Hod) Dieu des années,
au niveau du Fondement (Yessod) Dieu vivant. Voilà
le secret de ses noms et de ses appellations, béni et
exalté soit-il. Et l'ensemble de ces neuf sefirot porte le
nom de « Monde du Mâle». Ensuite l'émanation surabondante se répand à nouveau sur ces neuf couronnes
appelées métaphoriquement « Monde du Mâle» et
émane de par la puissance de leur épanchement et de
leur union une force unique particulière appelée de
manière métaphorique par le nom de « Monde de la
Femelle», et portant également les noms de Présence
(Chekhinah) et Royauté (Malkhout), selon le secret du
verset: « Sa royauté s'.étend dans tous les règnes.»
Elle est le secret de !'Epouse recelant tout en elle et
elle est le réceptacle de toutes les autres [sefirot], elle
reçoit la puissance issue de chacune d'elles, en proportion de ce qui lui convient. Or !'Unique primordial,
béni soit-il, lorsqu'il se revêt de l'habit de la Royauté
porte le nom de Seigneur, car il est le Seigneur des seigneurs et le Seigneur de toute la terre. Cette dimension
est la dernière et la fin de !'Edifice car [les sefirot] sont
144
Textes choisis
dix par le nombre et unes comme Édifice, en elles est
l'énigme de toute réalité. Les cabalistes les dénomment « dix setirot abîme, dix et non neuf, dix et non
onze». Elles sont à l'image d'un vêtement pour le
mystère des Faces intérieures selon le secret des dix
qui revêtent dix. [ ... ] L'influx s'épaissit à nouveau
ainsi que la puissance d'émanation de la lumière sur le
secret de cette dixième dimension recelant tout en elle,
et elle donne naissance à son tour en faisant passer de
la puissance à !'acte dix saintes puissances appelées
« Monde des êtres séparés», qui sont métaphoriquement l'image d'un corps et d'un vêtement pour le
secret de la Chekhinah. De même que l'âme n'accomplit pas ses désirs en agissant activement si ce n'est par
l'intermédiaire des organes du corps, ainsi en va-t-il en
haut, où la Chekhinah est l'âme de tous ces degrés et
ceux-ci sont ses organes et ses instruments d'action lui
permettant d'intervenir sur les êtres d'en bas par leur
médiation, il en va aussi semblablement en haut, tout
en haut, comme nous l'avons déjà expliqué. Ces dix
classes portent le nom de « classe des saints vivants»,
classe des séraphins, classe des ophans, classe des
er 'élim, classe des élim, classe des anges, classe des
hachmalim, classe des fils de Dieu, classe des tarchichim, classe des ichim (feux). L'ensemble de ces dix
degrés sont des serviteurs et des ministres [au service]
du secret des dix sefirot; par l'intermédiaire de la Chekhinah et à son ordre ils accourent et se pressent. Audessous de ces dix degrés saints il y a dix classes
impures, secret des Contraires, qui ~ont également les
serviteurs du secret de la sainteté. A nouveau !'influx
[émanatif] s'épaissit et se matérialise quelque peu à
travers la Chekhinah et elle donne naissance à son tour
aux sphères célestes qui sont au nombre de neuf plus le
globe terrestre, ce qui fait qix. [Ces sphères] sont une
allusion au secret du saint Edifice caché. Et de même
que nous trouvons en haut, au niveau du secret des dix
setirot, que celles-ci agissent activement par l 'intermédiaire de la Chekhinah, secret de la Terre céleste, ainsi
en va-t-il en bas, en ce monde-ci, où les sphères astrales
Dieu et le monde divin
145
sont au nombre de neuf globes et agissent activement
par le biais de cette terre inférieure et en elle ils expriment leur puissance en donnant naissance à tout animal et à tout être rampant selon son espèce, à l'herbe
portant semence selon son espèce, pour pourvoir les
créatures en nourriture, et cela grâce à la puissance des
neuf sphères précitées et par leur révolution, et ces
sphères elles aussi sont activées par la puissance des
dix degrés que nous avons évoqués, qui sont les serviteurs du secret de la Chekhinah, et ces degrés à leur
tour sont activés par le secret des dix sefirot, <:_t
cellesci encore sont activées par la puissance de !'Ame des
âmes et de la Cause des causes. Chacun de ces mondes
est un vêtement, un sceau et l'image d'un corps pour
celui qui se situe au-dessus. [ ... )Tu dois savoir que la
subsistance et la per.sistance de ces sefirot dépendent
de la puissance de l'Emanateur suprême, béni et exalté
soit-il, et« s'il ramenait à lui son souffle, s'il retirait à
lui son âme, toute chair expirerait d'un seul coup»
(Jb 34, 14), et il ne resterait plus que des vases desséchés, des vases brisés, et tel est le secret de la vacuité
du temps de l'exil. (Jacob bar Isaac bu-lfergan, Maroc,
fin du XVI° siècle, début du xv11C,
la fleur de lys [Perah
Chochan ], 1b-5b, pages éditées par H. Zafrani à la fin
de son ouvrage, Ethique et mystique, judaïsme en terre
d'Islam, Paris, 1991.)
Procession des sejirot et des âmes
et copulations spirituel/es
La dixième sefira [Malkhout) est !'Épouse et elle est
notre sainte Mère appelée Royauté et dénommée
« Reine du ciel», tandis que notre saint Père est appelé
«Roi» [Tiferet]et les enfants d'Israël« sainte semence»,
car leurs âmes sont saintes puisqu'elles naissent et sont
créées par! 'étreinte du Roi et de la Reine, ce sont donc
des enfants de rois. C'est le secret de ce qu'ont dit nos
maîtres, que leur mémoire soit une bénédiction :
« Tous les israélites sont des enfants de rois.» Heureux
sommes-nous, que notre partage est bon, que notre lot
146
Textes choisis
est channant. Ainsi, quand l'homme et sa femme en
bas se conjoignent dans la sainteté, ils sont à l'image
du Roi et de la Reine en haut. L'épanchement que le
Roi prodigue en la Reine, d'où lui vient-il? Il procède
de la Cause des causes, béni soit-elle. Si tel est le cas,
observe cette fonnidable merveille, et vois cette chose
élevée, à savoir que nos âmes proviennent du plus haut
degré, de la Cause des causes, béni soit-elle, considère
donc ce qu'est l'homme et quel est son niveau et son
élévation. [ ... ] Les sefirot dont nous avons parlé sont
ses dimensions (middot), béni soit-il, par elles le
monde est conduit. Ce sont des fonnes spirituelles,
subtiles, limpides et saphiriques. Leur niveau de spiritualité dépasse de beaucoup celui des anges, à un point
dont il est difficile d'avoir idée. Elles sont toutes effets
de la Cause des causes qui réside au-dessus d'elles.
Tout leur désir aspire vers elle car elles en sont émanées. li est ('Unique, le Saint, s'exhaussant au-dessus
d'elles toutes, panni elles aucune ne lui ressemble, car
il s'exhausse au-dessus d'elles selon une élévation
absolue, telle que la bouche ne peut dire et telle que
l'oreille ne peut entendre. Toutes désirent l'atteindre et
devant son trône elles se prosternent. Avant que montât en la Pensée [la décision) de créer le monde, lui
était seul, béni soit-il, unique et simple sans second,
connu de personne. Lorsque monta en la Pensée [la
décision de créer le monde], il émit un premier jet, et
ce jet était absolue simplicité, sans nulle composition,
subtil, plus que subtil, et inséparé de lui. Au sein de ce
jet étaient les sefirot, les anges, les âmes, les corps
célestes, la terre et tous ses engendrements, en puissance et non en acte. Et quand il voulut, béni soit-il,
exposer et manifester sa vérité et créer le monde, il fit
émaner [de ce jet) une sainte procession suprême, ni
séparée ni distincte de lui, mais elle resta attachée à lui
et ce fut la Couronne d'en haut. Quand l'influx de son
souffle et de sa bonté descendit sur la Couronne, sans
doute aucun, cet influx déferla en elle et la Couronne
fut enceinte de ce flux surabondant et elle enfanta la
Sagesse, qui est la deuxième sefira: celle-là est la fille
Dieu et le monde divin
147
de la Cause des causes et de la Couronne, car la Couronne était une réalité intermédiaire. Ce n'est pas elle
pourtant qui est appelée fille, car la Sagesse est appelée Père et le Discernement Mère, mais j'ai dit qu'elle
est fille parce que de là-bas elle procède, « la Sagesse
advient à partir du néant» (Jb 28, 12). Cette deuxième
sefira aussi ne se sépara pas mais resta jointe et liée.
L'influx progressivement s'épancha ainsi jusqu'à la
dixième [émanation] et dix sefirot furent émanées de la
Cause première et se disposèrent comme un vêtement,
toujours jointes à lui. Tel est le sens du mot « émanation» (atsilout): elles sont restées auprès de lui (etslo)
[en tant que) vêtement, et elles ont été émanées à
l'image de quelqu'un qui allume une flamme à partir
d'une flamme [ ... ). La dimension de la Couronne est
plus simple que tout ce qui est au-dessous d'elle car
elle est la mère de tout vivant, de tout végétal et minéral, mais elle comporte une composition en raison de sa
virtualité et en raison de la volonté de sa Cause. (Abraham Halévi ben Éliézer, la transmission de la Sagesse
[Massoret ha-Hokhmah], édité par G. Scholem, dans
Kiryat Sefer, vol. II, 1925-1926, p. 128-129.)
L'origine de la première sefira
Toutes les sefirot procèdent d'un donnant et d'un
recevant ou, métaphoriquement, d'un mâle et d'une
femelle, sauf Keter, qui est émané immédiatement, et
sans femelle ou recevant, de Eyn Sof, la cause première. Toutes les sefirot du monde émané n'ont été
produites que par la vertu et l'efficience d'un donnant
et d'un recevant, qui métaphoriquement parlant se
dénomment mâle et femelle, excepté la première et la
plus haute qui est Keter, qui est venu de Eyn So/; la
cause première, sans médiation d'un recevant ou
femelle, avec la participation de la vertu souveraine,
une quasi-semence, qui l'a ensuite engrossé en luimême en grande simplicité, comme embryon ou fœtus,
afin qu'il produise ou accouche ultérieurement d'un
effet plus complexe et plus tangible. Et si Keter est
148
Textes choisis
venu de Eyn Sof, en ce mode parfait et immédiat, ce fut
pour démontrer en soi-même que cela fut accompli par
la volonté absolue et libre de la cause première, qui
étant par soi suffisante, n'a besoin de rien ni de personne pour accomplir ce qu'elle veut. Cependant,
Hokhmah et Binah n'ont pas été émanées si ce n'est en
vertu des racines de mâle et femelle que Keter contient
en soi, et les autres sefirot ont procédé de ces deux-là,
à savoir Hokhmah et Binah, comme de père et mère.
(Abraham Ha-Cohen Hererra, Amsterdam, actif vers
1620-1635. Il écrit en espagnol La porte du ciel
[Puerta del Cie/a], éditée partiellement à Madrid par
K. Krabbenhoft, en 1987, p. 128.)
L'émanation de gauche et l'origine du mal
À propos de ta question concernant les mystères de
l'émanation de gauche: celle-ci constitue la réalitéâ'un
autre monde complet, séparé dans son essence propre
et dans ses qualificatifs. Sa connaissance est restée
essentiellement cachée et hors de portée de la plupart
des maîtres de la gnose occulte. Et, bien que tous aient
été initiés à l'essence de l'existence de son être, rares
sont ceux qui connaissent et comprennent vraiment le
principe de la hiérarchie de l'émanation, ce qu'il est et
quelle est la racine de sa structure et de son fondement.
Car un domaine d'existence aussi étrange et extraordinaire n'est ni accessible ni compréhensible sans le
secret de la haute cabale transmis par les plus grandes
autorités de l'univers. Elle constitue en elle-même une
cabale particulière transmise à quelques rares élus à
l'instar de la cabale confirmée par les fondements des
racines de la sagesse et de l'intelligence transmise aux
« quelques-uns que YHVH a appelés». [ ... ] Lorsque
survint en sa pensée pure et en son esprit la décision de
donner existence à une réalité sainte et pure, fondement du bien et pilier de perfection, de faire émaner de
l'influx de sa majesté tout bien et de faire tenir le
monde sur une réalité parfaitement ordonnée [ ... ], de
la même façon survint en sa volonté divine pure la
Dieu et le monde divin
149
décision de donner existence à des réalités organisées
selon une intention distincte, des plus étonnantes, extérieure et étrangère à la spéculation intellectuelle de
tous ceux qui possèdent une pensée équilibrée et raisonnable. Il s'agit d'une tradition fiable transmise à
tous les tenants de la sagesse occulte, d'un enseignement sûr. Le voici : la réalité universelle ne peut subsister si ce n'est grâce à des existants qui ont pour
fonction de faire le bien et de faire le mal, pour maintenir et faire perdurer, et pour détruire et anéantir, pour
donner une bonne rétribution et pour châtier, car
«Dieu a fait en sorte qu'on le craigne» (Ec 3, 14). Et
Salomon 3 dit: « Le Dieu a fait ceci face à cela» (ibid.
7, 14), et nos maîtres ont ajouté : « Il a créé d,esjustes,
il a créé des méchants, il a créé le jardin d'Eden, il a
créé la géhenne» (Haguiga ! Sa). Cela pour indiquer
qu'il a créé une chose et son contraire. Et le prophète a
dit: « Il forme la lumière et crée l'obscurité, il fait la
paix et crée le mal, Je suis YHVH qui fait tout cela» (ls
45, 7). Le sens de ce verset nous permet de comprendre et de savoir que le Nom, béni soit-il, forma
une chose et son contraire. [ ... ] Le Bien a été émané
du secret du degré de la plénitude de la Droite, qui est
tendue pour recevoir ceux qui se repentent, il s'agit de
la réalité parfaitement bonne qui fait perdurer et maintient tout dans une permanence continuelle par la
Grâce de Dieu tous les jours. Le Mal procède par révolutions et bouleversements durs et nuisibles, ébranlements et secousses, bruit de grand tumulte, de la racine
du fondement de la Gauche qui fait tourner à gauche
vers l'ombre de la mort et désorganise les habitants de
la terre [ ... ]. Du côté de la Puissance (Guevourah) la
[Gauche] se renforce pour exécuter jugement et sentence contre les rebelles et les criminels et pour les
punir par de dures souffrances, certains sont châtiés
par une sanction de la dimension du jugement dur,
d'autres par celle du jugement faible, chacun selon sa
faute et la mesure de sa méchanceté[ ... ]. Le nom de la
première sefira qui est le fondement de l'émanation
[de gauche] correspond à des appellations qui indi-
150
Textes choisis
quent aux cabalistes des choses intérieures. [Son nom]
est Teoumiel (= la jumelle de Dieu), cette expression
enseigne au cabaliste intelligent que celle-ci ainsi que
la sefira connue qui couronne les sefirot supérieures
habituelles sont jumelles dans leur rang. Mais le saint
maître R. Yehoudah bar Yaqar a reçu une tradition a
propos du nom précité[ ... ] selon laquelle celui-ci est
Toumiel et se rapporte au fait que cette [sefira de
Gauche] et le degré en question ne sont pas de rang
égal et ne sont pas jumeaux. (Moïse de Burgos, milieu
du XIII° siècle, Castille, Sefer 'Amoud ha-Smoli, [livre
de la colonne de gauche], édité par G. Scholem, Tarbiz IV, 1933, p. 208.)
La controverse primordiale et l'origine du mal
«Dieu dit: Qu'il y ait un firmament au milieu des
eaux» (Gn 1, 6). Tel est, exposé en détail, le secret de
la séparation entre eaux supérieures et eaux inférieures. Ici [le deuxième jour] la controverse a été
créée dans le mystère de la Gauche. Jusqu'à maintenant il s'agissait du mystère de la Droite, désormais [il
est question] du mystère de la Gauche, c'est pourquoi
la controverse grandit entre elle et la Droite. La Droite
est la toute perfection, c'est pourquoi tous écrivent avec
la [main] droite, d'elle dépend toute plénitude. Mais
quand la Gauche s'éveilla, la controverse s'éveilla et à
cause de cette controverse le feu de la colère fut attisé
et la Géhenne émergea de cette controverse; la Géhenne
s'éveilla à Gauche et s'attacha à elle. Cela, Moïse le
contempla dans sa sagesse, il observa l'œuvrc de la
genèse. Durant l'œuvrc de la genèse il y eut une
controverse : Gauche contre Droite, et lors de cette
controverse où la Gauche s'éveilla, apparut en elle la
Géhenne qui s'attacha à elle. La Colonne médiane - le
troisième jour - s'interposa entre elles et trancha la
controverse, mettant d'accord les deux parties. La
Géhenne descendit en bas, la Gauche se combina à la
Droite et il y eut la paix partout. Il en alla de même en
ce qui concerne la controverse de Coré contre Aaron -
Dieu et le monde divin
151
Gauche contre Droite. Moïse scruta l'œuvre de la
genèse et se dit : « Il me revient en propre de trancher
la controverse entre Gauche et Droite.» Il s'efforça de
les mettre d'accord, mais la Gauche refusa et Coré
redoubla de véhémence. [Moïse] se dit : « Certes, la
Géhenne résidant dans la véhémence de la controverse, la Gauche devrait être attachée à ce qui se situe
au-dessus d'elle et être combinée à la Droite, or [Coré]
ne veut pas être attaché à ce qui est au-dessus d'elle et
être combiné à la Droite, il descendra donc en bas à
cause de la violence de sa colère.» Coré refusa que
Moïse résolve cette controverse parce qu'il ne l'avait
pas déclenchée« pour le nom du Ciel», il n'avait cure
de la gloire d'en haut et niait l'œuvre de la genèse. Dès
que Moïse constata que [Coré] niait l'œuvre de la
genèse et qu'il se bannissait lui-même à l'extérieur,
aussitôt « Moïse fut très irrité» (Nb 16, 15). «Irrité»
parce que [Coré] l'avait renié pour qu'il ne mette pas
l'accord dans cette controverse; «très», parce qu'il
niait l'œuvre de la genèse. Coré niait tout, l'en haut et
l'en bas. [ ... ] Une controverse qui fut structurée
conformément au modèle d'en haut, qui monta et ne
descendit pas, qui fut menée avec droiture, telle fut la
controverse entre Chamaï et Hillel. Le Saint béni soitil les départagea et les accorda. Ce fut une controverse
« pour le nom du Ciel» - le Ciel trancha la controverse
et sur cette controverse le monde subsista, elle [s'était
déroulée] suivant l'œuvre de la genèse. Mais Coré nia
totalement l'œuvrc de la genèse, c'était une controverse contre le Ciel et il voulut nier les énoncés de la
Torah, certes [cette controverse] était sous l'emprise
de la Géhenne aussi [Coré] se lia-t-il à elle. Ce secret
est [exposé] dans le livre d'Adam: Au moment où
l'Obscurité s'éveilla, elle s'éveilla avec force et la
Géhenne fut créée par elle et elle s'attacha avec elle à
cette controverse [entre Lumière et Obscurité]. Dès
que se calmèrent colère et véhémence, une controverse
d'une autre sorte s'éveilla, une controverse d'amour. Il
y eut donc deux controverses : l'une est au commencement, l'autre est à la fin et telles sont les voies des
Textes choisis
152
justes, ils commencent dans la peine, ils finissent dans
le calme. Coré était le commencement de la controverse, qui était colère et véhémence et il dut être rattaché à la Géhenne. Chamaï était la fin de la controverse;
la colère étant apaisée, il faut que s'éveille la controverse d'amour qui doit être résolue par le Ciel. Ce
secret est : «Qu'il y ait un firmament au milieu des
eaux et qu'il sépare, etc.» (Gn 1, 6): il s'agit de la première controverse, explosion de colère et de véhémence. Il voulut la trancher et s'éveilla la Géhenne.
Jusqu'à ce que colère et véhémence refroidissent, alors
« Dieu fit le firmament et il sépara» (Gn 1, 7), s'éveilla
une controverse d'amour, d'amitié et fondatrice du
monde. Selon ce mystère fut la controverse entre Chamaï et Hillel: la Torah orale s'avança avec amour
auprès de la Torah écrite et elles furent pleinement
fondées ( ... ). Il y a donc toujours séparation en
deuxième [lieu], qui est la Gauche au commencement,
et à partir de la véhémence et de la colère que la Gauche
éveille dans la controverse avant qu'elle ne soit calmée
et reposée, est créée la Géhenne ; alors sont créés les
anges qui contestent leur Seigneur en haut et qu'un feu
dévore et qui sont consumés, de même des [anges] qui
sont [régulièrement] anéantis et qui n'ont pas de durée
et sont brûlés dans le feu, ainsi qu'il en fut ici-bas
de Coré, et tout est c0nforme à un unique modèle.
(Extrait du livre de lu splendeur [Zohar], attribué à
Siméon ben Yohaï, texte araméen écrit en Castille au
XIIIesiècle, fol. I, l 7a-b.)
La Chekhinah, les anges et Moise
Lorsqu'elle guide les cohortes d'en bas e11e[la Chekhinah] s'enveloppe d'un vêtement, et lorsqu'elle
guide les cohortes d'en haut, elle se déshabille et sort
de son écrin. Et ce vêtement ne demeure avec elle
qu'un temps très bref. [ ... ] Grâce au mystère du vêtement dont elle se revêt les justes peuvent s'approcher
d'elle ici-bas. Tel est le secret du verset: « Moïse
s'avança vers le nuage où était Dieu» (Ex 20, 21 ). Le
Dieu et le monde divin
153
«nuage» est réellement le vêtement dont elle s'enveloppe pour guider le monde, à la différence de ce qui
se passe en haut, car lorsque le Juste, le Vivant des
siècles [la sefira Yessod], s'approche d'elle, elle se
débarrasse de son vêtement et ils s'unissent et« ne font
qu'un» (Ez 37, 17). Mais lorsqu'un juste en bas, dans
ce monde-ci, s'approche d'elle, elle se revêt de son
vêtement et se pare. Grâce à lui, il peut s'approcher
d'elle car elle n'a aucune effectivité dans ce monde si
ce n'est en un vêtement. Il en va de même de toutes les
choses célestielles qui procèdent d'elle. Ce qui le
montre, tu pourras en prendre connaissance à travers
un phénomène apparent, manifeste (aux yeux] de tous
les peuples. Ces cieux-ci, lorsqu'ils s'activent dans ce
monde, sur la terre d'en bas, pour la faire prospérer et
la guider, revêtent d'abord un vêtement, ensuite ils la
guident, comme il est dit: « C'est lui qui couvre le ciel
de nuages», après quoi « il prépare la pluie pour la
terre» (Ps 147, 8). Car sans vêtement [les cieux] ne
peuvent guider [la terre], pour la préparer et l'aider.
(Moïse de Léon, Michkan ha- 'Edout, Ms. Jérusalem,
BN 8° 2922, fol. 30a.)
La Chekhinah, mère des anges et des démons
Une tradition nous enseigne: Mille hautes montagnes
sont devant elle, toutes vis-à-vis d'elle sont souffle de
vent, mille fleuves l'abreuvent et d'une gorgée elle les
avale. Ses ongles saisissent mille soixante-dix directions et ses mains tiennent vingt-quatre mille directions. Rien ne lui échappe de ce côté-ci et rien ne lui
échappe de l'autre côté. Plusieurs milliers de champions sont accrochés à ses cheveux. Un Jouvenceau
(= Métatron], dont la taille s'étend d'un bout du monde
à l'autre, sort d'entre ses pieds muni de soixante
lanières de feu, il est vêtu de ses couleurs et a été
chargé des êtres d'en bas qui sont sous son égide. Ce
Jouvenceau tient six cent treize clés célestes appartenant à la Mère, et toutes ces clés sont suspendues à la
pointe du glaive fixé à sa ceinture. ( ... ] Au-dessous de
154
Textes choisis
lui se trouvent de nombreux animaux[= anges] appelés « animaux du Champ», ce sont véritablement les
animaux du «Champ»[= la Chekhinah]. Sous ces animaux sont attachés les cheveux de la Lune [= la Chekhinah] appelés «comètes», [astres] du «sceptre»
précisément, agents des mesures, agents des balances,
agents des sévérités, agents des fauchages, tous sont
dénommés « cheveux pourpres». Ses pieds et ses
mains happent tel un lion féroce qui saisit sa proie, il
est écrit à ce propos: « Il déchire et il n'est personne
pour délivrer» (Mi 5, 7). Ses ongles, ce sont les êtres
qui rappellent les péchés des hommes, ils écrivent et
notent leurs fautes avec ! 'acharnement du dur jugement, il est marqué à ce sujet: « Le péché de Juda est
écrit avec un burin de fer, avec un ongle de diamant»
(Jr 17, 1). Qu'est-ce que le diamant? C'est ce qui
marque et perce la pierre et qui la taille de tous côtés.
La rognure de ses ongles, ce sont tous ceux qui ne-sont
pas attachés au Corps du Roi et qui tètent le côté impur,
quand la Lune commence à diminuer. Et comme le roi
Salomon hérita de la Lune en sa plénitude, il voulut
aussi en hériter dans son incomplétude, aussi
s'adonna-t-il à la science des démons et des esprits
pour hériter de la Lune dans tous ses aspects. (Zohar I,
op. cil., 223a-b.)
La Chekhinah doit résider ici-bas
Aucune bénédiction ne s'établit en haut si elle ne
s'établit pas aussi en bas. C'est ce qui est expliqué
maintes fois dans le Zohar: Que la Chekhinah soit en
bas est un besoin de l'en haut. La raison en est que
toute !'Émanation n'a eu lieu que pour le besoin des
êtres d'en bas [ ... ]. Puisqu'elle est donc essentiellement destinée aux êtres d'en bas, lorsque ceux-ci sont
dignes que la bénédiction se pose sur eux, alors elle et
l'épanchement s'établissent sur les entités supérieures.
Et lorsque nulle bénédiction ne se pose sur les êtres
d'en bas, à cause du défaut de leur préparation, aucune
bénédiction ne s'établit sur les entités supérieures.
Dieu et le monde divin
155
C'est pourquoi, que la « Chekhinah soit en bas», à
savoir qu'il y ait résidence de la Chekhinah en bas,
dans ce bas monde, c'est un «besoin de !'En haut», à
savoir: un besoin pour l'émanation supérieure qui se
situe au-dessus d'elle. La parabole employée à ce propos est celle de la mère allaitante : si son enfant est en
vie et qu'il est capable de téter, le lait augmentera dans
ses mamelles. Et lorsqu'il n'y a pas d'enfant à allaiter
et sur lequel s'épancher, alors le lait manquera dans
ses seins. Ce qui est en question, c'est l'impulsion dont
nous parlons, qui est une préparation et un trône pour
l'épanchement et la bénédiction. Voilà pourquoi il faut
une impulsion du juste d'en bas qui est dans ce mondeci à l'adresse de la Chekhinah, afin que le juste soit un
trône et une demeure pour l'influx épanché sur ce
monde-ci par la Chekhinah, et grâce à son mérite il y
aura épanchement sur les êtres d'en bas. (Moïse Cordovéro, Le verger aux grenades [Pardés Rimonim],
op. cil., fol. 51a.)
L'expiration de Dieu et la création de l'espace
Dieu a fait jaillir un souffle de son Esprit saint et il
a gravé et sculpté [les dix sefirot] en ce souffle qu'il a
expiré, puis il fit surgir de son souffle l'espace de
!.'univers ainsi que les quatre directions du monde.[ ... ]
A l'exemple d'un verrier qui, désirant façonner un
vase en verre, prend une pipette en acier percée aux
deux extrémités, puis retire un morceau de verre fondu
du four brûlant, il place dans sa bouche une extrémité
de la pipette, expire par la bouche un souffle qui traverse l'instrument jusqu'au morceau de verre fondu et
fluidifié en contact avec l'autre extrémité de la pipette,
et par la force de l'expiration du souffle le morceau de
verre s'enfle et devient un vase, grand ou petit, sphérique ou cubique, long, large ou court, tel que le désire
! 'artisan, selon sa force restreinte. Or le Dieu grand,
puissant et redoutable fit surgir par sa grande force un
souffle de son souffle et l'espace de !'univers a gonflé
jusqu'à ce qu'il lui dise: Suffit! (Isaac Donnolo, Italie,
156
Textes choisis
x• siècle, commentaire sur le Livre de la création intitulé Sefer Hakhmoni, réédité à Jérusalem, 1965,
fol. 67b.)
Dieu et le monde divin
157
M. !del dans «À propos de l'histoire de la notion de
tsimtsoum dans la cabale et dans la recherche». Jerusalem Studies in Jewish Thought, vol. 10, 1992 [en
hébreu].)
Le retrait primordial
La Sagesse (Hokhmah) est la limite de ce que
l'homme peut concevoir par la pensée. La tradition
concernant ce sujet a été transmise de manière allusive : la Couronne suprême, bénie soit-elle, est plus
ample que ce que le cœur peut concevoir au sujet de sa
gloire. Elle contracta donc cette gloire même ( ... ], la
réduisant à un empan, et l'obscurité se fit à la surface
de tout, car le retrait de la lumière est obscurité. Puis
elle tira de la source de tout la lumière éclatante appelée Sagesse en trente-deux sentiers, chaque sentier perçant dans l'obscurité les formes des lettres et les sefirot
d'après la mesure fixée par la volonté du Graveur, béni
soit-il et exalté soit-il, et elles se différencièrent l'une
de !'autre. La percée de la lumière des sentiers et leur
émergence distincte sont appelées «gravure». (Nahmanide, Barcelone, milieu du x111csiècle, Commentaire
sur le Livre de la création [hébreu], édité par G. Scholem, Kiryat Sefer, 6, 1929, p. 402-403.)
La contraction de la lumière divine
et la création du monde
Comment donna-t-il existence et créa-t-il son monde?
Comme un homme qui retient son souffle et contracte
sa respiration, se contractant en sorte que ce qui est
petit puisse contenir ce qui est grand, ainsi il contracta
sa lumière à la mesure de son empan, et le monde
demeura dans l'obscurité. C'est dans cette obscurité
qu'il découpa des «rochers» et tailla des «pierres»
afin d'en faire émerger les sentiers appelés« merveilles
de sagesse», et c'est ce que dit un verset: « L'insondable répand la lumière» (Jb 28, 11). (Texte anonyme
cité par Shem Tov ben Shem Tov, xvc siècle, édité par
le tsimtsoum ou contraction
de l'infini selon Hayim Vital
Quand l'Émanateur suprême dé~ira créer le monde
matériel, il contracta sa présence. A l'origine, Eyn Sof
remplissait tout. Maintenant encore même une pierre
inanimée est illuminée par lui, si tel n'était pas le cas,
la pierre ne pourrait pas exister, elle se serait annihilée.
La lumière du Eyn Sof revêt enveloppe sur enveloppe.
Au commencement de la création, quand le Eyn Sofse
retira de façon homogène dans toutes les directions, il
laissa un vide au centre, centre qui se trouva entouré de
tous côtés par la lumière du Eyn Sof mais évacué en
son milieu même. La lumière s'en était retirée comme
l'eau dans un bassin frappée par une pierre. Quand on
laisse tomber une pierre dans un bassin, !'eau à cet
endroit ne disparaît pas, elle se mêle au flot alentour.
De la même manière, la lumière contractée convergea
à l'extérieur et un vide demeura au centre. Alors toute
l'opacité et toute la densité du jugement [la force de
restriction] furent extraites du sein de la lumière du
Eyn Sof, telle une goutte dans l'océan. Descendant
dans le vide, celui-ci se métamorphosa en une masse
amorphe, entourée dars toutes les directions par la
lumière du Eyn Sof A partir de cette masse, quatre
mondes émanèrent : émanation, création, formation,
fabrication. Par s9n pur désir d'accomplir son intention [initiale], l'Emanateur illumina la masse d'un
rayon de la lumière qui s'était retirée auparavant, mais
non avec la totalité de cette lumière, parce que, si elle
était entièrement revenue, l'état originel aurait été restauré, ce qui n'était pas l'intention. Pour façonner une
poterie, le potier prend d'abord une masse d'argile
sans forme puis met les mains dans la masse pour la
configurer. Ainsi, l'Émanateur suprême mit sa main au
158
Textes choisis
sein de la masse am!)rphe, à savoir Je rayon de lumière
revenu d'en haut. A mesure que cette lumière comrpença à pénétrer la masse, des « vases» se fonnèrent.
A partir de la lumière la plus subtile, vint d'abord
Keter, ensuite Hokhmah, puis Binah et ainsi de suite,
jusqu'à la dixième sefira. Comme Keter était Je plus
pur et le plus limpide des vases, il put supporter la
lumière qui le pénétra, mais la Hokhmah et la Binah,
bien que plus transparentes que les sefirot inférieures,
ne l'étaient pas autant que Keter. N'ayant pas sa capacité, leur dos se brisa et elles tombèrent de leur position. Quand la lumière descendit plus avant, six points
apparurent, six fragments de ce qui avait été un point
de lumière. Alors les vases se fracassèrent, leur essence
spirituelle, la lumière, remonta dans la matrice de la
Mère, tandis que les vases brisés tombèrent dans le
monde de la Création. Quand la lumière émana une
fois encore, régénérée, à nouveau réparée, ~lie s'étendit seulement jusqu'au bout du monde de !'Emanation.
Le mot «émanation» désigne cette expansion de la
lumière qu Eyn Sof pendant le temps de la régénération. L'Emanation comporte cinq Configurations.
Celles-ci sont des réélaborations des points de lumière
capables maintenant de recevoir la lumière de telle
sorte qu'aucune brisure ne survienne, comme au début.
Sous ces Configurations, la lumière du Eyn Sof apparaît seulement comme à travers un écran, comme
lorsque tu t'assieds dans un lieu ombragé, bien que la
lumière du soleil ne brille pas directement sur toi, elle
illumine l'espace ombragé. De la même façon, la
lumière du Eyn Sof illumine le monde de la Création à
travers un écran, indirectement. (Hayim Vital, Safed,
xv1e-xv11esiècle, liqoutim Hadachim, Jérusalem,
1985, p. 17-23.)
Le tsimtsoum selon Joseph ibn Teboul
La lumière de Eyn Sof, béni soit-il, remplissait tout
et, lorsque monta en sa pure volonté [la décision] de
faire émaner et de créer les mondes comme il le fit
Dieu et le monde divin
159
[ensuite], il concentra (tsimtsem) sa lumière à la façon
dont il concentra sa Chekhinah entre les deux barres
supportant l'arche [d'alliance], et il resta un lieu vide
d'une dimension correspondant aux quatre mondes
(émanation, création, fonnation, fabrication). La
lumière qui l'occupait aux quatre coins se retira, et
dans ce même lieu resta une seule trace de lumière,
comme lorsque tu parles de la brillance du soleil et non
du soleil même. Ce qui fut la cause de son retrait est la
puissance du jugement qui se trouvait là. Il est nécessaire que la puissance du jugement se soit trouvée là,
car tout ce qui est en bas doit avoir nécessairement une
racine en haut d'une extrême miséricorde (rahamim).
Car, si tu ne dis pas que la racine du jugement s'y trouvait, il y aurait préjudice pour sa loi, béni soit-il, et loin
de là pareille chose! N'est appelé parfait selon la plus
extrême perfection que celui qui ne manque de rien et
se suffit à lui-même, et si nous ne disons pas qu'il y
avait là du jugement, il se trouverait avoir un défaut,
loin s'en faut! Il y avait là, bien sûr, la puissance du
jugement qui est appelée « Flamme obscure» [ ... ] et
cette puissance était mélangée à tout son être, béni
soit-il, et elle n'était pas perceptible et n'avait aucune
action, car tout était plénitude de miséricorde. Lorsqu'il prit la décision de faire émaner les mondes, il rassembla toutes les racines du jugement qui étaient
englouties en lui, c'est-à-dire qu'il les manifesta
quelque peu en lui, et c'est cela [la création] ex nihilo,
car au début il n'y avait que lui, béni soit-il, et rien
d'autre, désonnais la racine [du jugement] se manifeste quelque peu en lui, et nous ne pouvons pas savoir
d'où s'est manifestée en lui la racine de ces rigueurs,
mais il faut croire que ces rigueurs sont appelées
«être» et se sont manifestées à partir du néant, alors la
lumière s'est rassemblée dans un lieu unique. Dans le
lieu [où se sont manifestées] ces racines, la miséricorde s'est retirée. [Ces racines du jugement étaient] à
l'exemple d'un grain de poussière au milieu de
l'océan: il ne cause aucun trouble et il est imperceptible. Lorsque tu filtres l'eau, la poussière qui y était
160
Textes choisis
mélangée advient et se manifeste. De même ici, le
jugement était englouti au sein de la plus extrême
miséricorde et lorsque se rassembla et se recueillit
toute la puissance du jugement en un unique lieu, elle
s'épaissit et à cause d'elle la lumière de Eyn Sof, béni
soit-il, se retira. Demeura là une trace de lumière avec
la puissance du jugement, qui est la racine des rigueurs.
L'ensemble, trace et jugement, est mélangé, puisque,
dès que la puissance de la miséricorde se retire, se
manifeste le jugement. (Joseph ibn Teboul, Maroc,
xv1•siècle, Derouch Heftsi Bah, Ms. de Parme 2177,
fol. 31 Ob; voir aussi Simhat Cohen, Jérusalem, 1921,
fol. lc-d, texte cité par R. Shatz-Uffenheimer dans
« Moïse Cordovero et le Ari, entre nominalisme et réalisme», Jerusa/em Studies in Jewish Thought, vol. 3,
1982, p. 122 [en hébreu].)
Le tsimtsoum d'après un écrit d'Isaac Luria
,---
« Il marqua sa trace» (Zohar I, 15b) : [ces mots
visent] à expliquer comment les vases se sont constitués au début de l'émanation, attendu que !'Infini est
simple, d'une extrême simplicité. L'explication [du
Zohar] est la suivante: antérieurement au processus
d'émanation, Lui et son nom faisaient un et il remplissait le lieu de la totalité des mondes. Lorsqu'il eut la
volonté simple de faire exister tous les mondes et de
faire du bien à autre que lui, il contracta sa présence et
il retira sa lumière vers le haut : resta un lieu vide en
lequel les mondes furent créés. Quand la lumière
retourna en haut la [puissance] de cette lumière revenue s'était évanouie, car c'est la puissance du jugement qui était là, grâce à laquelle la lumière s'était
retirée en haut, car tout retrait de lumière n'est qu'un
effet du jugement, [sans lui] la lumière se serait répandue à l'infini. Et c'est de cette puissance de jugement
qui se trouvait là et par laquelle la lumière s'est retirée,
qu'un vase s'est constitué et qu'il resta une trace de la
première lumière. Pour l'heure encore ce vase remplissait tout le lieu vide, vase qui avait été façonné par la
Dieu et le monde divin
161
puissance de la racine des rigueurs que nous avons
indiquées, et la trace, qui est ce qui reste de la lumière,
était troublée et le vase était immense. Quand la
lumière revint pour créer les mondes et pour les vivifier, elle ne descendit pas selon sa mesure antérieure :
sans cette restriction, il aurait été impossible de créer
quoi que ce soit, parce qu'elle serait revenue et aurait
rempli la totalité de l'espace. Aussi ce n'est qu'un peu
de cette lumière qui descendit. Elle est un unique Yod
qui pénétra dans le vase ; une fois entrée, elle dissipa le
trouble de la trace, lumière du vase, et le vase devint
petit. La lumière qui est la trace prit ce vase pour vêtement. Et le lieu vide resta investi d'une mesure propre
à produire une émanation. (Isaac Louria Ashkénazi,
Safed, xvl°siècle. Texte publié par G. Scholem dans
« Les écrits authentiques du Ari concernant la cabale»,
Kiryat Sefer, 19, 1943, appendice, p. 197 [en hébreu].)
Le tsimtsoum d'après la version d'Israël Sarouq
Antérieurement à tout, à savoir lorsque le Saint béni
soit-il se délectait de lui-même, qu'il se réjouissait et se
délectait tel un homme si l'on peut dire, cette joie le fit
étinceler, et de la secousse produite par cet étincellement la Torah fut créée, elle fut composée par les deux
cent trente et une portes qui sont les deux cent trente et
un alphabets[ ... ] et telle est la racine de toute chose. Et
sache que la secousse qui naquit de cette délectation
était constituée de dix oscillations, tel un yod, qui sont
dix lettres à partir desquelles procède toute dizaine
[ ... ]. Et avant toute chose, Lui, béni soit-il, remplissait
tous les mondes, à savoir l'espace destiné à ce qu'y
soient créés tous les mondes, il s'était fait un vêtement
de la lumière de sa substance qui est la Torah[ ... ]. Puis
il se retira et se contracta à l'intérieur de ce vêtement
[qui l'entourait] au-delà [de lui], ensuite il contracta
son vêtement de la même façon et ce vêtement se mit à
tourbillonner. (Italie, fin du xW siècle, début du xv11c,
livre des études de l'émanation [Sefer limoudé Atsilout], Munkacz, 1897, fol. 3a.)