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Liban : La dimension démo-économique de la migration

2011

Lebanese emigration characterized, above all, by its long history, is today woven into global mobility patterns. The global financial crisis has triggered a movement of return migration, especially among active migrants, who have suffered under the impact of the crisis more directly. In some cases, people have returned for good, while in other cases their return is temporary. This kind of mobility – very difficult to define in itself – has not been recorded by official and reliable sources. In parallel, new forms and patterns of emigration have developed and several foreign and domestic firms have started to employ Lebanese people abroad, both through telecommuting or with repetitive missions outside Lebanon. This practice has led to a significant increase in the mobility of people especially among highly-skilled and educated individuals. As to immigration patterns, as before, there has been, in the last years, a rise in labor flows from Asia.

Liban : La dimension démo-économique de la migration Choghig Kasparian CARIM Notes d’analyse et de synthèse 2011/66 Série - Migrations méditerranéennes et subsahariennes : évolutions récentes Module Démographic et économique Co-financé par l’Institut universitaire européen et l’Union européenne CARIM Consortium pour la recherche appliquée sur les migrations internationales Notes d’analyse et de synthèse – Migrations méditerranéennes et subsahariennes: évolutions récentes module démographic et économique CARIM-AS 2011/66 Liban : La dimension démo-économique de la migration Choghig Kasparian Professeur de statistiques, faculté des lettres et des sciences humaines, université Saint Joseph de Beyrouth L’ensemble des travaux de la série « Migrations méditerranéennes et subsahariennes: évolutions récentes » est disponible à l’adresse suivante : http://www.carim.org/ql/MigrationEvolutions. © 2011, Institut universitaire européen Robert Schuman Centre for Advanced Studies Ce texte ne peut être téléchargé et imprimé, en un seul exemplaire, que pour un usage strictement personnel et non collectif. Toute autre reproduction, totale ou partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite préalable du Robert Schuman Centre for Advanced Studies. Les demandes d’autorisation doivent être adressées à : [email protected] Dans les citations et références, ce texte doit être mentionné comme suit : [Prénom et nom de(s) auteurs(s)], [titre], série : “CARIM AS”, [n° de série], Robert Schuman Centre for Advanced Studies, San Domenico di Fiesole (FI): Institut universitaire européen, [année de publication]. Les opinions exprimées dans cette publication ne peuvent en aucun cas être considérées comme reflétant la position de l'Union européenne Institut universitaire européen Badia Fiesolana I – 50014 San Domenico di Fiesole (FI) Italie http://www.eui.eu/RSCAS/Publications/ http://www.carim.org/Publications/ http://cadmus.eui.eu/dspace/index.jsp CARIM Le Consortium pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales (CARIM) a été créé à l’Institut universitaire européen (IUE, Florence) en février 2004. Il est co-financé par la Commission européenne, DG AidCo, actuellement au titre du Programme thématique de coopération avec les pays tiers en matière de migrations et d'asile. Dans ce cadre, le CARIM a pour objectif, dans une perspective académique, l’observation, l’analyse et la prévision des migrations dans les pays du sud et de l'est de la Méditerranée et d'Afrique subsaharienne (signifiée par « la région » dans le texte ci-dessous). Le CARIM est composé d’une cellule de coordination établie au Robert Schuman Centre for Advanced Studies (RSCAS) de l’Institut Universitaire Européen et d’un réseau de correspondants scientifiques établis dans les 17 pays d’observation : Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Palestine, Sénégal, Soudan, Syrie, Tchad, Tunisie et Turquie. Tous sont étudiés aussi bien comme pays d’origine, de transit que d’immigration. Des experts externes provenant des pays de l’Union européenne et des pays de la région contribuent également à ses activités. Le CARIM conduit les activités suivantes: - Base de données sur les migrations méditerranéennes et subsahariennes; - Recherches et publications; - Réunions d’experts et rencontres entre experts et décideurs politiques; - Ecole d’été sur les migrations ; - Information Les activités du CARIM couvrent trois dimensions majeures des migrations internationales : économique et démographique, juridique et sociopolitique. Les résultats des activités ci-dessus sont mis à la disposition du public par le site Web du projet: www.carim.org Pour plus d’information Consortium Euro-Méditerranéen pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales Centre Robert Schuman Institut universitaire européen (IUE) Convento Via delle Fontanelle 19 50014 San Domenico di Fiesole Italie Tél: +39 055 46 85 878 Fax: + 39 055 46 85 755 Email: [email protected] Robert Schuman Centre for Advanced Studies http://www.eui.eu/RSCAS/ Résumé L’émigration libanaise, essentiellement caractérisée par son ancienneté, s’inscrit de nos jours dans un mouvement de mobilité à l’échelle mondiale. La crise financière internationale a impulsé un mouvement de retour des émigrés, surtout actifs, ayant subi plus directement l’impact de la crise. Cette migration de retour s’est soldée pour certains par un retour définitif, pour d’autres par un retour provisoire. Cette mobilité - très difficile à cerner en soi - n’a pas été recensée par des sources officielles et fiables. De nouvelles formes et caractéristiques liées à l’émigration se sont parallèlement développés ; plusieurs entreprises étrangères ou nationales ont engagé des Libanais pour travailler à partir du sol libanais pour l’étranger, soit par télétravail soit par de multiples missions en-dehors du Liban. Cette pratique a conduit à une augmentation importante de la mobilité des personnes et surtout des personnes qualifiées et instruites. Quant à l’immigration, il ressort de la période récente qu’elle s’accentue de la même manière avec une tendance vers une croissance significative de l’immigration de la main d’œuvre asiatique. Abstract Lebanese emigration characterized, above all, by its long history, is today woven into global mobility patterns. The global financial crisis has triggered a movement of return migration, especially among active migrants, who have suffered under the impact of the crisis more directly. In some cases, people have returned for good, while in other cases their return is temporary. This kind of mobility – very difficult to define in itself – has not been recorded by official and reliable sources. In parallel, new forms and patterns of emigration have developed and several foreign and domestic firms have started to employ Lebanese people abroad, both through telecommuting or with repetitive missions outside Lebanon. This practice has led to a significant increase in the mobility of people especially among highly-skilled and educated individuals. As to immigration patterns, as before, there has been, in the last years, a rise in labor flows from Asia. Introduction L’émigration libanaise principalement caractérisée par son ancienneté, s’inscrit de nos jours dans un mouvement de mobilité à l’échelle mondiale. Pour cadrer l’ampleur de cette émigration récente et amplifiée que connait le Liban depuis 1975 - date du début de la période d’instabilité politique et de guerres internes - jusqu’à nos jours, et étant donné l’absence d’un système national de mesure, plusieurs tentatives de quantification ont été faites par des organismes privés, universitaires ou internationaux. Cependant, les chiffres restent souvent approximatifs et les méthodes et sources retenues pas toujours fiables ou suffisantes. La crise financière mondiale, quant à elle, a généré une mobilité en sens inverse. En effet, le Liban a été touché par un mouvement de retour des émigrés, surtout actifs, ayant subi plus directement l’impact de la crise. Cette migration de retour s’est soldée pour certains par un retour définitif, pour d’autres par un retour provisoire. Cette mobilité - très difficile à cerner en soi -, n’a pas été recensée par des sources officielles et fiables. Quant à l’immigration, durant ces dernières années, elle a continué de la même manière avec une tendance vers une croissance de la main d’œuvre asiatique. De nouvelles formes et modes d’émigration se sont parallèlement développés, plusieurs entreprises étrangères ou nationales ont engagé des Libanais pour travailler à partir du Liban pour l’étranger, soit par télétravail soit par de multiples missions en-dehors du Liban. Cette pratique a induit une augmentation importante de la mobilité des personnes et surtout des personnes qualifiées et instruites. Pour recenser de manière même approximative les phénomènes de l’émigration et de l’immigration au Liban au titre de ces dernières années et, à défaut de chiffres exacts et d’estimations ressortant d’enquêtes nationales, nous nous baserons sur une série de statistiques voisines régulières se rapportant aux mouvements des voyageurs et à l’émission des permis de travail au titre des années 2008-2009. Il conviendra également de décrire les phénomènes des départs à partir des estimations ressortant de l’enquête nationale sur « L’émigration des jeunes libanais et leurs projets d’avenir » conduite fin 2007 et publiée en juin 2009 - enquête réalisée dans le cadre de l’OURSE (Observatoire Universitaire de la Réalité Socio-Economique) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. 1. L’immigration Recenser l’immigration de manière quantitative est une opération presque impossible au Liban au regard des multiples lacunes dans les données officielles et de l’existence d’une immigration irrégulière. D’après les estimations établies par l’Administration centrale de la Statistique en 2004, le taux d’étrangers résidant au Liban (après avoir ajouté les effectifs des résidants palestiniens dans les camps estimés, en 1997, entre 150 000 et 200 000 individus) s’élèverait autour de 9%. Les étrangers résidant temporairement au Liban, tels que les ouvriers saisonniers, ne sont pas recensés au titre de cette estimation. Il est à noter que, toutefois, au cours de ces dernières années, les mouvements d’immigration n’ont pas enregistré des irrégularités, et la mobilité a continué dans le même sens sans l’apparition de nouveaux phénomènes. L’appréciation des mouvements migratoires par l’enregistrement des arrivées et des départs à l’aéroport de Beyrouth, retenue par certains comme indicateur de la mesure de l’immigration, aboutit à des contradictions importantes par comparaison avec les statistiques de la Sûreté Générale et, ceci, à cause « de l’imprécision des statistiques libanaises » - comme le soulignait, en 2007, l’économiste et l’actuel ministre Charbel Nahas. CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS Choghig Kasparian D’autres sources administratives permettent de visualiser un ordre de grandeur de l’immigration régulière sans pour autant pouvoir estimer l’immigration irrégulière dans sa globalité. En effet, le Ministère du Travail, habilité à délivrer les permis de travail, publie régulièrement des statistiques sur le nombre de permis délivrés sur une base mensuelle et annuelle. Ces chiffres permettent de dresser une image de la présence de la main d’œuvre étrangère régulière, sans pour autant permettre de mesurer les flux nouveaux. Depuis 2007, cette administration fait la distinction entre les permis délivrés pour la première fois et ceux qui sont renouvelés, ce qui permet de mesurer les flux d’arrivée. Tableau 1. Permis de travail délivrés, par année Permis délivrés 1ère fois Année Permis renouvelés Total Permis 2007 42 218 79 157 121 375 2008 36 716 94 398 131 114 2009 45 619 100 065 145 684 Source : Ministère du Travail Ces chiffres révèlent une nette augmentation des nouvelles arrivées au titre de l’année 2009 et, de manière globale, un accroissement dans les flux d’immigration régulière. Les permis de travail délivrés et ventilés par nationalité permettent de dresser un ordre de grandeur, bien que sous-estimé, de la présence des non-Libanais résidant au Liban suivant le pays d’origine. Il convient, néanmoins, de ne pas oublier qu’en plus des résidants réguliers, un nombre important de ces étrangers, malgré l’insistance du gouvernement libanais en vue de la régularisation de leur situation de résidence, reste non déclaré et ne possède pas de permis de travail. Tableau 2. Permis de travail délivrés, par nationalité, entre 2006-2009 Nationalité 2006 2007 2008 2009 16 505 17 055 16 725 17 900 5 618 3 263 4 108 3 709 22 123 20 318 20 833 21 609 Philippins 30 309 22 997 21 685 25 706 Sri Lankais 28 945 21 294 16 644 14 759 Indiens 5 321 5 294 5 399 5 562 Bengladesh 4 843 7 063 11 033 19 952 Népal 1 345 2 468 6 738 11 459 786 416 648 727 Total Asiatiques non arabes 71 549 59 532 62 147 78 165 Ethiopiens 12 924 36 859 42 947 36 755 2 965 4 666 5 187 9 155 15 889 41 525 48 134 45 910 109 561 121 375 131 114 145 684 Arabes Egyptiens Autres Arabes Total Arabes Asiatiques non arabes Autres asiatiques Autres nationalités Total autres nationalités Total Général Source : Ministère du Travail 2 CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS Liban : La dimension démo-économique de la migration Ces sources administratives montrent que durant ces dernières années, les ressortissants asiatiques constituent la communauté étrangère ayant obtenu un permis de travail au Liban la plus nombreuse. Parmi eux, les Philippins viennent en premier, puis les ressortissants du Bengladesh et du Sri Lanka. Un phénomène nouveau apparaît avec l’arrivée de plus en plus massive de Népalais, leur nombre passant d’environ un millier en 2006 à plus de 11 000 immigrés recensés au titre de l’année 2009. Les travailleurs asiatiques représentent les trois-quarts des travailleurs étrangers réguliers recensés entre 2006 et 2009, suivis par les Ethiopiens dont les effectifs augmentent très sensiblement entre 2006 et 2009 (environ 13 000 en 2006, 43 000 en 2008 et 37 000 en 2009). Les Egyptiens - qui constituent la grande majorité de travailleurs arabes (les Syriens n’étant pas recensés) maintiennent un taux d’effectifs à peu près stable au cours de ces dernières années avec une légère augmentation en 2009 (17 900). Cette augmentation, certes réelle, peut aussi être justifiée par la régularisation d’une partie importante de la main d’œuvre étrangère au cours de cette période, les services administratifs libanais les ayant dispensés de s’acquitter des pénalités en vue de régulariser les retards. Le Ministère du Travail distingue, depuis 2007, au sein de ses statistiques, entre les permis octroyés pour une première entrée et le renouvellement du permis de travail. Cette répartition par nationalité, telle que dressée dans le tableau suivant, fait apparaître une importante augmentation des premières arrivées parmi les ressortissants originaires du Népal, du Bengladesh et des Philippines (leur nombre est passé, au titre de l’année 2007, respectivement de 1374, 2908, 1924 à 5836, 11031, 9438 en 2009). Par contre, le nombre des Ethiopiens nouvellement arrivés a diminué passant de 27321 en 2007 à 7456 en 2009. Tableau 3. Permis de travail délivrés, par type et par nationalité, entre 2007-2009 Nationalité 2007 Renouve1er permis lement 2008 Renouve1er permis lement 2009 Renouve1er permis lement Arabes Egyptiens 1 862 15 193 1 460 15 265 2 214 15 686 900 2 363 1 007 3 101 804 2 905 2 762 17 556 2 467 18 366 3 018 18 591 Philippins 1 924 21 073 5 915 15 770 9 438 16 268 Sri Lankais 3 903 17 391 2 520 14 124 3 116 11 643 529 4 765 597 4 802 580 4 982 Bengalis 2 908 4 155 4 994 6 039 11 031 8 921 Népalais Autres Asiatiques non arabes 1 374 1 094 4 756 1 982 5 836 5 623 40 376 168 480 175 552 Tot. asiatiques n. arb 10 678 48 854 18 950 43 197 30 176 47 989 Ethiopiens 27 321 9 538 13 225 29 722 7 456 29 299 1 457 3 209 2 074 3 113 4 969 4 186 Tot. autres national. 28 778 12 747 15 299 32 835 12 425 33 485 Total Général 42 218 79 157 36 716 94 398 45 619 100 065 Autres Arabes Total Arabes Asiatiques n. arabes Indiens Autres nationalités Source : Ministère du Travail CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS 3 Choghig Kasparian Par ailleurs, l’immigration irrégulière reste importante, les prisons dégorgent d’étrangers incarcérés en raison de leur présence irrégulière, beaucoup d’entreprises emploient cette main d’œuvre sans la déclarer et sans s’acquitter des frais sociaux. Cette immigration reste, en général, temporaire ou de transit. Le cas des Irakiens est particulier : leur statut est reconnu comme réfugié par les organismes internationaux mais pas encore par la loi libanaise. Les chiffres restent très approximatifs s’agissant de cette communauté et affichent des contradictions suivant les sources. La main d’œuvre syrienne reste comme dans les années précédentes, très présente au Liban : elle est concentrée essentiellement dans le secteur du bâtiment et le secteur agricole. Ces mouvements sont par définition provisoires, de courtes durées et répétitives. Il convient de soulever la persistante absence de statistiques nécessaires pour recenser cette « migration économique ». En définitive, l’immigration actuelle au Liban se réduit à des séjours de durée plus ou moins longue. Mis à part le cas des réfugiés Palestiniens et Irakiens, les autres non-Libanais résidant actuellement sur le territoire libanais sont définis comme des personnes qui viennent pour y travailler et rarement pour y rester. 2. L’émigration des Libanais Le recensement de l’émigration libanaise reste une tache difficile dans la mesure où, outre les difficultés relevant de la rareté de statistiques officielles, cette estimation nécessite des définitions et des concepts homogènes en vue de quantifier ce phénomène. En 2009, d’après l’enquête nationale conduite par l’Université Saint-Joseph portant sur « L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir », l’estimation des départs pour la période 1992-2007 variait essentiellement entre 460 000 et 650 000 Libanais - ceci, en plus des Libanais qui avaient d’ores-et-déjà émigré au cours de la même période mais qui étaient revenus depuis. Ces derniers représentent environ 7% des résidants libanais. Cette émigration provisoire a touché aussi bien les hommes que les femmes, mais avec un taux sensiblement plus élevé parmi les hommes. L’émigration a touché, selon la même étude, environ un ménage sur deux : ainsi, 46% des ménages ont vu au moins un de leur membre quitter le pays entre 1992 et 2007. Cette importance du phénomène migratoire a marqué, dans le même temps, des impacts négatifs et aussi a généré des effets positifs dans la vie des Libanais. La désintégration familiale, le retard enregistré dans les mariages, ainsi que l’augmentation des taux de célibat sont des effets socio-démographiques indéniables et qui ont pu entraîner un net déséquilibre dans la société libanaise. D’autre part, ces départs ont entraîné une baisse du taux de chômage et surtout une amélioration de la situation des familles au Liban, familles qui ont profité de l’envoi des aides financières. Les communautés locales ont aussi été touchées positivement par ces départs, les émigrés disposant de moyens financiers allouant souvent des dons à leur village d’origine. Ces départs essentiellement justifiés par une ouverture de l’économie libanaise vers les pays de la région, le développement du secteur des services et touristique, et aussi la recherche de l’emploi, se sont surtout développés à l’échelle des jeunes et des diplômés universitaires. Cette enquête dénote aussi l’accroissement de l’émigration féminine au cours des dernières années. En effet, 73% des émigrés enregistrés au cours de cette période sont des jeunes âgés de 18 à 35 ans. En considérant les émigrés de tout âge, les taux de départ annuels moyens pour la période 1992-2007 sont de 10,2 pour mille pour les hommes et de 5,5 pour mille pour les femmes. S’agissant de cette même période et en considérant seulement les émigrés âgés de 18 à 35 ans, ces taux atteignent annuellement environ 23 pour mille pour les hommes et 11,5 pour mille pour les femmes. La prédominance de l’émigration des jeunes universitaires est remarquable. En effet, 43,4% des émigrés ayant émigré entre 18 et 35 ans disposent d’un diplôme universitaire. Ce taux particulièrement fort est légèrement plus élevé parmi ceux qui ont actuellement entre 18-35 ans que parmi ceux qui ont 4 CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS Liban : La dimension démo-économique de la migration dépassé les 35 ans (respectivement 45,4% et 38,9%). Il est donc à noter que les plus jeunes générations qui émigrent sont de niveau d’instruction encore plus élevé et ce phénomène est plus sensible parmi les filles émigrées où 50% parmi les 18-35 ans sont universitaires contre 40,4% parmi les plus âgées (35 ans et plus). L’enquête révèle, par ailleurs, que parmi l’ensemble des jeunes résidant au Liban âgés de 18 à 35 ans, la proportion de ceux qui disposent déjà d’un diplôme universitaire s’élève à 18,8%, d’autres (21,2%) sont en cours d’études universitaires. Au regard des taux globauxd’émigration1, cette même enquête fait ressortir des différences régionales confirmées par les chiffres du tableau qui suit : Tableau 4. Taux global d’émigrés (1992-2007), par Mohafazat et par genre (en %)2 Genre Hommes Femmes Ensemble Beyrouth Banlieue Reste Mont Liban 18,8 11,3 15,0 11,6 6,5 9,1 13,8 8,4 11,2 Liban Nord Liban Sud 11,1 6,0 8,7 Nabatieh 18,3 5,9 12,4 Béqaa Ensemble 18,6 6,5 12,9 9,7 5,0 7,4 13,5 7,0 10,3 Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009. Les émigrés constituent également des effectifs importants parmi les deux grandes communautés religieuses. En chiffres absolus, on estime que 60% de ceux qui ont émigré au cours de la période 1992-2007 sont issus de la communauté musulmane, et 40% de la communauté chrétienne. Ces effectifs ramenés aux nombres de résidents permettent de calculer des taux globaux d’émigrés à l’intérieur de chaque communauté. Tableau 5. Taux global d’émigrés (1992-2007), par communauté religieuse et par genre (en %) Genre Hommes Femmes Ensemble Musulmane 13,4 6,3 10,0 Chrétienne Ensemble 13,6 8,1 10,9 13,5 7,0 10,3 Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009. Ainsi, les taux globaux d’émigrés sont presque identiques à l’échelle des deux grandes communautés, bien que des écarts restent à noter parmi les femmes où le taux est légèrement plus élevé pour les Chrétiennes. L’émigration libanaise récente accuse une augmentation relevée à l’échelle des jeunes, et se caractérise essentiellement par une extension géographique. Les résultats de cette enquête indiquent une diversification des destinations aussi bien à l’échelle des hommes que des femmes. Les pays arabes restent la destination la plus importante suivis par l’Amérique du Nord et l’Europe. 1 Définitions : Le taux global d’émigrés est le rapport de l’effectif des émigrés ayant quitté le pays de manière provisoire ou définitive durant une période donnée sur le total des effectifs des résidents au moment de l’enquête et des effectifs des émigrés ayant quitté dans la même période. Le taux annuel d’émigration ou de départ est la fréquence des départs d’une année donnée par rapport à la population résidente moyenne de l’année. Le taux annuel moyen de départ pour une période donnée est le nombre annuel moyen de départs de la période sur la population moyenne entre le début et la fin de la période. 2 Ibid. CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS 5 Choghig Kasparian Tableau 6. Emigrés entre 1992-2007, par période de départ et destination (en %) Pays de destination Bey- Banrouth lieue Reste Mont Liban Liban Nord Liban NabaEnsemBéqaa Sud tieh ble Pays arabes 44,2 31,5 43,3 32,8 31,2 30,0 24,2 34,9 Europe de l'Ouest 19,0 24,7 16,0 12,2 28,2 22,2 21,9 20,2 2,2 2,5 2,3 2,4 2,0 0,8 2,7 2,2 24,5 25,8 26,8 14,0 13,0 19,7 32,7 22,2 Amérique Centrale et Sud 2,9 1,0 1,9 3,0 3,3 7,3 9,0 3,2 Asie (sauf pays arabes) 1,0 0,7 0,6 0,3 0,6 0,4 0,6 Australie 2,6 7,9 3,8 28,2 2,4 6,1 8,9 3,5 6,0 100.0 100.0 5,4 100.0 7,2 100.0 19,3 100.0 15,1 3,1 100.0 100.0 7,9 100.0 Europe de l'Est Amérique du Nord Afrique Total 5,0 Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009. La concentration des flux migratoires est un phénomène qui apparaît surtout au cours de la période 2002-2007. A partir de 2008, et d’une manière générale et sans l’appui de chiffres données, l’observation indique que l’émigration des Libanais a continué, parallèlement à un mouvement de retour beaucoup moins élevé. En effet, au cours de la deuxième moitié de l’année 2008, l’émigration et l’économie libanaise ont été partiellement touchées par les effets de la crise économique et financière internationale : une perte d’emploi à l’étranger entraînant le retour d’un nombre limité d’émigrés libanais, un ralentissement des flux d’émigration à peine sensible et une diminution des transferts financiers. Mais, contrairement aux pronostics qui laissaient croire que la crise se traduirait, en 2009, par un ralentissement marqué de l’économie libanaise très fortement dépendante des remises des émigrés, cette dernière a défié ces pronostics en affichant un taux de croissance élevé (en 2008 de 9,3%). En outre, le système bancaire libanais n’a pas été affecté de façon négative par la crise internationale : au contraire, elle a considérablement accru ses dépôts en provenance de la diaspora et des investisseurs des pays pétroliers. D’autre part, le Liban a reçu un nombre élevé de touristes à la suite de cette crise : en 2009, le nombre de touristes était de 45% plus élevé par rapport à la même période au cours de l’année précédente. A noter qu’une bonne partie des touristes sont des émigrés libanais de retour pour visiter la famille et/ou le pays. Les liens que les émigrés libanais entretiennent avec leur famille demeurée au Liban sont très forts et se manifestent par des visites et envois fréquents d’aides financières, comme le révèlent les informations ressortant de l’enquête conduite par l’Université Saint-Joseph précitée : 47% des émigrés envoient des aides financières régulières (19%) ou occasionnelles (28%). Par ailleurs, 34% des émigrés rendent des visites fréquentes à la famille et 41% reviennent de temps à autre. Afin de mieux appréhender le phénomène migratoire des jeunes et mesurer son ampleur éventuelle dans l’avenir, de jeunes libanais âgés de 18 à 35 ans résidant au Liban (échantillon d’environ 10 000 jeunes) au moment de l’enquête - soit fin 2007 -, répertoriés dans les ménages enquêtés, ont été interrogés sur leurs projets d’avenir quant à l’émigration. D’après les résultats de cette enquête, 26% des jeunes déclarent vouloir émigrer ou quitter provisoirement le Liban. La propension et fréquence à émigrer ou à partir provisoirement sont sensiblement plus élevées parmi les jeunes hommes (33%) que parmi les jeunes filles (19,2%). Les 26% des jeunes qui ont l’intention de partir se répartissent entre ceux qui veulent émigrer (13%), ceux qui veulent partir de manière provisoire (5,5%) et ceux qui ont l’intention de partir, définitivement ou pas, mais pas dans l’immédiat ou plus tard (7,7%). 6 CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS Liban : La dimension démo-économique de la migration Tableau 7. Projets des jeunes quant à l’intention de quitter le pays par genre (en %) Intention de départ Hommes Femmes Ensemble A l’intention d’émigrer ou de quitter provisoirement 33,0 19,2 26,1 Emigrer 16,3 9,6 12,9 Quitter provisoirement 7,5 3,4 5,5 Emigrer mais plus tard 2,6 1,9 2,3 Quitter provisoirement mais plus tard 4,1 2,4 3,3 Emigrer ou quitter provisoirement 2,5 1,8 2,2 N’a pas l’intention mais souhaite 19,4 16,0 17,7 N’a pas l’intention de quitter le pays 47,7 64,8 56,2 100,0 100,0 100,0 Total Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009. A l’opposé, 56,2% des jeunes font état d’une absence d’intention de partir et, enfin 17,7% déclarent n’avoir pas l’intention de quitter le pays mais le souhaitent. Conclusion « Le double visage de l’émigration libanaise »3 est une réalité complexe. Départs, arrivées et retours affectent la société libanaise dans sa vie sociale, économique et politique. Les impacts de l’émigration sur le Liban sont multiples et considérés de différents angles, sont bénéfiques pour certains et néfastes pour d’autres. Ce qui paraît indéniable est la multiplicité et l’ambivalence des effets de cette mobilité sur l’économie et la société. Malgré l’importance de ces mouvements et de leur impact, « le Liban ne dispose ni de politique d’émigration ni de cadre institutionnel chargé de construire et de mettre en œuvre une telle politique ». Faut-il avoir une politique régulatrice ou réductrice de l’émigration, ou laisser la liberté aux familles et aux individus de décider de leur parcours ? Certains politologues et économistes libanais ont des points de vue différents, et même opposés, quant à l’élaboration de politique publique dans ce domaine. Mais, ce qui semble indispensable est de reconnaître à chacun la chance et l’opportunité de pouvoir vivre, donc de travailler dans son pays. En 2010, la demande des émigrés concernant le droit de vote représente certainement un premier pas pour que les autorités libanaises se penchent de manière plus précise sur les départs et sur leur recensement. Les immigrés, quant à eux, représentent une nécessité dans le fonctionnement de l’économie libanaise. En effet, la main d’œuvre étrangère, dans sa grande majorité, répond à un besoin du marché de l’emploi au Liban qui, paradoxalement, n’a pas la possibilité d’assurer des emplois adéquats pour les Libanais à la recherche d’emploi de nature différente. Actuellement, les Libanais initiés à l’émigration depuis très longtemps se retrouvent dans une tendance mondiale actuelle de globalisation. Les réseaux familiaux et sociaux dans les pays d’émigration sont à l’origine de la formation de chaînes migratoires et, dans le même temps, constituent un point d’ancrage dans les sociétés d’accueil. 3 L’émigration libanaise et son impact sur l’économie et le développement. CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS 7 Choghig Kasparian Etant donné l’importance de ces mouvements - en particulier dans un pays où le nombre de résidents libanais dépasse à peine les 4 millions d’individus, il semble important de bien connaître, reconnaître et recenser ces départs et arrivées. Pour connaître ces flux, leur évolution et leur impact démographique et économique à court et à long terme sur le développement du pays, il est indispensable de disposer de statistiques administratives régulières et mises à jour, et de compléter ces sources par des enquêtes ponctuelles représentatives. 8 CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS