Liban :
La dimension démo-économique
de la migration
Choghig Kasparian
CARIM Notes d’analyse et de synthèse 2011/66
Série - Migrations méditerranéennes et
subsahariennes : évolutions récentes
Module Démographic et économique
Co-financé par l’Institut universitaire européen et
l’Union européenne
CARIM
Consortium pour la recherche appliquée sur les migrations internationales
Notes d’analyse et de synthèse – Migrations méditerranéennes et subsahariennes:
évolutions récentes
module démographic et économique
CARIM-AS 2011/66
Liban : La dimension démo-économique de la migration
Choghig Kasparian
Professeur de statistiques, faculté des lettres et des sciences humaines,
université Saint Joseph de Beyrouth
L’ensemble des travaux de la série « Migrations méditerranéennes et subsahariennes: évolutions
récentes » est disponible à l’adresse suivante : http://www.carim.org/ql/MigrationEvolutions.
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européenne, DG AidCo, actuellement au titre du Programme thématique de coopération avec les pays
tiers en matière de migrations et d'asile.
Dans ce cadre, le CARIM a pour objectif, dans une perspective académique, l’observation, l’analyse et
la prévision des migrations dans les pays du sud et de l'est de la Méditerranée et d'Afrique subsaharienne (signifiée par « la région » dans le texte ci-dessous).
Le CARIM est composé d’une cellule de coordination établie au Robert Schuman Centre for
Advanced Studies (RSCAS) de l’Institut Universitaire Européen et d’un réseau de correspondants
scientifiques établis dans les 17 pays d’observation : Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye,
Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Palestine, Sénégal, Soudan, Syrie, Tchad, Tunisie et Turquie.
Tous sont étudiés aussi bien comme pays d’origine, de transit que d’immigration. Des experts externes
provenant des pays de l’Union européenne et des pays de la région contribuent également à ses
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Le CARIM conduit les activités suivantes:
- Base de données sur les migrations méditerranéennes et subsahariennes;
- Recherches et publications;
- Réunions d’experts et rencontres entre experts et décideurs politiques;
- Ecole d’été sur les migrations ;
- Information
Les activités du CARIM couvrent trois dimensions majeures des migrations internationales :
économique et démographique, juridique et sociopolitique.
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Résumé
L’émigration libanaise, essentiellement caractérisée par son ancienneté, s’inscrit de nos jours dans un
mouvement de mobilité à l’échelle mondiale. La crise financière internationale a impulsé un
mouvement de retour des émigrés, surtout actifs, ayant subi plus directement l’impact de la crise. Cette
migration de retour s’est soldée pour certains par un retour définitif, pour d’autres par un retour
provisoire. Cette mobilité - très difficile à cerner en soi - n’a pas été recensée par des sources
officielles et fiables. De nouvelles formes et caractéristiques liées à l’émigration se sont parallèlement
développés ; plusieurs entreprises étrangères ou nationales ont engagé des Libanais pour travailler à
partir du sol libanais pour l’étranger, soit par télétravail soit par de multiples missions en-dehors du
Liban. Cette pratique a conduit à une augmentation importante de la mobilité des personnes et surtout
des personnes qualifiées et instruites. Quant à l’immigration, il ressort de la période récente qu’elle
s’accentue de la même manière avec une tendance vers une croissance significative de l’immigration
de la main d’œuvre asiatique.
Abstract
Lebanese emigration characterized, above all, by its long history, is today woven into global mobility
patterns. The global financial crisis has triggered a movement of return migration, especially among
active migrants, who have suffered under the impact of the crisis more directly. In some cases, people
have returned for good, while in other cases their return is temporary. This kind of mobility – very
difficult to define in itself – has not been recorded by official and reliable sources. In parallel, new
forms and patterns of emigration have developed and several foreign and domestic firms have started
to employ Lebanese people abroad, both through telecommuting or with repetitive missions outside
Lebanon. This practice has led to a significant increase in the mobility of people especially among
highly-skilled and educated individuals. As to immigration patterns, as before, there has been, in the
last years, a rise in labor flows from Asia.
Introduction
L’émigration libanaise principalement caractérisée par son ancienneté, s’inscrit de nos jours dans un
mouvement de mobilité à l’échelle mondiale. Pour cadrer l’ampleur de cette émigration récente et
amplifiée que connait le Liban depuis 1975 - date du début de la période d’instabilité politique et de
guerres internes - jusqu’à nos jours, et étant donné l’absence d’un système national de mesure,
plusieurs tentatives de quantification ont été faites par des organismes privés, universitaires ou
internationaux. Cependant, les chiffres restent souvent approximatifs et les méthodes et sources
retenues pas toujours fiables ou suffisantes.
La crise financière mondiale, quant à elle, a généré une mobilité en sens inverse. En effet, le Liban
a été touché par un mouvement de retour des émigrés, surtout actifs, ayant subi plus directement
l’impact de la crise. Cette migration de retour s’est soldée pour certains par un retour définitif, pour
d’autres par un retour provisoire. Cette mobilité - très difficile à cerner en soi -, n’a pas été recensée
par des sources officielles et fiables.
Quant à l’immigration, durant ces dernières années, elle a continué de la même manière avec une
tendance vers une croissance de la main d’œuvre asiatique.
De nouvelles formes et modes d’émigration se sont parallèlement développés, plusieurs entreprises
étrangères ou nationales ont engagé des Libanais pour travailler à partir du Liban pour l’étranger, soit
par télétravail soit par de multiples missions en-dehors du Liban. Cette pratique a induit une
augmentation importante de la mobilité des personnes et surtout des personnes qualifiées et instruites.
Pour recenser de manière même approximative les phénomènes de l’émigration et de l’immigration
au Liban au titre de ces dernières années et, à défaut de chiffres exacts et d’estimations ressortant
d’enquêtes nationales, nous nous baserons sur une série de statistiques voisines régulières se
rapportant aux mouvements des voyageurs et à l’émission des permis de travail au titre des années
2008-2009. Il conviendra également de décrire les phénomènes des départs à partir des estimations
ressortant de l’enquête nationale sur « L’émigration des jeunes libanais et leurs projets d’avenir »
conduite fin 2007 et publiée en juin 2009 - enquête réalisée dans le cadre de l’OURSE (Observatoire
Universitaire de la Réalité Socio-Economique) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
1. L’immigration
Recenser l’immigration de manière quantitative est une opération presque impossible au Liban au
regard des multiples lacunes dans les données officielles et de l’existence d’une immigration
irrégulière. D’après les estimations établies par l’Administration centrale de la Statistique en 2004, le
taux d’étrangers résidant au Liban (après avoir ajouté les effectifs des résidants palestiniens dans les
camps estimés, en 1997, entre 150 000 et 200 000 individus) s’élèverait autour de 9%. Les étrangers
résidant temporairement au Liban, tels que les ouvriers saisonniers, ne sont pas recensés au titre de
cette estimation.
Il est à noter que, toutefois, au cours de ces dernières années, les mouvements d’immigration n’ont
pas enregistré des irrégularités, et la mobilité a continué dans le même sens sans l’apparition de
nouveaux phénomènes.
L’appréciation des mouvements migratoires par l’enregistrement des arrivées et des départs à
l’aéroport de Beyrouth, retenue par certains comme indicateur de la mesure de l’immigration, aboutit à
des contradictions importantes par comparaison avec les statistiques de la Sûreté Générale et, ceci, à
cause « de l’imprécision des statistiques libanaises » - comme le soulignait, en 2007, l’économiste et
l’actuel ministre Charbel Nahas.
CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS
Choghig Kasparian
D’autres sources administratives permettent de visualiser un ordre de grandeur de l’immigration
régulière sans pour autant pouvoir estimer l’immigration irrégulière dans sa globalité. En effet, le
Ministère du Travail, habilité à délivrer les permis de travail, publie régulièrement des statistiques sur
le nombre de permis délivrés sur une base mensuelle et annuelle. Ces chiffres permettent de dresser
une image de la présence de la main d’œuvre étrangère régulière, sans pour autant permettre de
mesurer les flux nouveaux. Depuis 2007, cette administration fait la distinction entre les permis
délivrés pour la première fois et ceux qui sont renouvelés, ce qui permet de mesurer les flux d’arrivée.
Tableau 1. Permis de travail délivrés, par année
Permis délivrés 1ère fois
Année
Permis renouvelés
Total Permis
2007
42 218
79 157
121 375
2008
36 716
94 398
131 114
2009
45 619
100 065
145 684
Source : Ministère du Travail
Ces chiffres révèlent une nette augmentation des nouvelles arrivées au titre de l’année 2009 et, de
manière globale, un accroissement dans les flux d’immigration régulière.
Les permis de travail délivrés et ventilés par nationalité permettent de dresser un ordre de grandeur,
bien que sous-estimé, de la présence des non-Libanais résidant au Liban suivant le pays d’origine. Il
convient, néanmoins, de ne pas oublier qu’en plus des résidants réguliers, un nombre important de ces
étrangers, malgré l’insistance du gouvernement libanais en vue de la régularisation de leur situation de
résidence, reste non déclaré et ne possède pas de permis de travail.
Tableau 2. Permis de travail délivrés, par nationalité, entre 2006-2009
Nationalité
2006
2007
2008
2009
16 505
17 055
16 725
17 900
5 618
3 263
4 108
3 709
22 123
20 318
20 833
21 609
Philippins
30 309
22 997
21 685
25 706
Sri Lankais
28 945
21 294
16 644
14 759
Indiens
5 321
5 294
5 399
5 562
Bengladesh
4 843
7 063
11 033
19 952
Népal
1 345
2 468
6 738
11 459
786
416
648
727
Total Asiatiques non arabes
71 549
59 532
62 147
78 165
Ethiopiens
12 924
36 859
42 947
36 755
2 965
4 666
5 187
9 155
15 889
41 525
48 134
45 910
109 561
121 375
131 114
145 684
Arabes
Egyptiens
Autres Arabes
Total Arabes
Asiatiques non arabes
Autres asiatiques
Autres nationalités
Total autres nationalités
Total Général
Source : Ministère du Travail
2
CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS
Liban : La dimension démo-économique de la migration
Ces sources administratives montrent que durant ces dernières années, les ressortissants asiatiques
constituent la communauté étrangère ayant obtenu un permis de travail au Liban la plus nombreuse.
Parmi eux, les Philippins viennent en premier, puis les ressortissants du Bengladesh et du Sri Lanka.
Un phénomène nouveau apparaît avec l’arrivée de plus en plus massive de Népalais, leur nombre
passant d’environ un millier en 2006 à plus de 11 000 immigrés recensés au titre de l’année 2009.
Les travailleurs asiatiques représentent les trois-quarts des travailleurs étrangers réguliers recensés
entre 2006 et 2009, suivis par les Ethiopiens dont les effectifs augmentent très sensiblement entre 2006
et 2009 (environ 13 000 en 2006, 43 000 en 2008 et 37 000 en 2009).
Les Egyptiens - qui constituent la grande majorité de travailleurs arabes (les Syriens n’étant pas
recensés) maintiennent un taux d’effectifs à peu près stable au cours de ces dernières années avec une
légère augmentation en 2009 (17 900).
Cette augmentation, certes réelle, peut aussi être justifiée par la régularisation d’une partie
importante de la main d’œuvre étrangère au cours de cette période, les services administratifs libanais
les ayant dispensés de s’acquitter des pénalités en vue de régulariser les retards.
Le Ministère du Travail distingue, depuis 2007, au sein de ses statistiques, entre les permis octroyés
pour une première entrée et le renouvellement du permis de travail. Cette répartition par nationalité, telle
que dressée dans le tableau suivant, fait apparaître une importante augmentation des premières arrivées
parmi les ressortissants originaires du Népal, du Bengladesh et des Philippines (leur nombre est passé, au
titre de l’année 2007, respectivement de 1374, 2908, 1924 à 5836, 11031, 9438 en 2009). Par contre, le
nombre des Ethiopiens nouvellement arrivés a diminué passant de 27321 en 2007 à 7456 en 2009.
Tableau 3. Permis de travail délivrés, par type et par nationalité, entre 2007-2009
Nationalité
2007
Renouve1er permis
lement
2008
Renouve1er permis
lement
2009
Renouve1er permis
lement
Arabes
Egyptiens
1 862
15 193
1 460
15 265
2 214
15 686
900
2 363
1 007
3 101
804
2 905
2 762
17 556
2 467
18 366
3 018
18 591
Philippins
1 924
21 073
5 915
15 770
9 438
16 268
Sri Lankais
3 903
17 391
2 520
14 124
3 116
11 643
529
4 765
597
4 802
580
4 982
Bengalis
2 908
4 155
4 994
6 039
11 031
8 921
Népalais
Autres Asiatiques non
arabes
1 374
1 094
4 756
1 982
5 836
5 623
40
376
168
480
175
552
Tot. asiatiques n. arb
10 678
48 854
18 950
43 197
30 176
47 989
Ethiopiens
27 321
9 538
13 225
29 722
7 456
29 299
1 457
3 209
2 074
3 113
4 969
4 186
Tot. autres national.
28 778
12 747
15 299
32 835
12 425
33 485
Total Général
42 218
79 157
36 716
94 398
45 619
100 065
Autres Arabes
Total Arabes
Asiatiques n. arabes
Indiens
Autres nationalités
Source : Ministère du Travail
CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS
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Choghig Kasparian
Par ailleurs, l’immigration irrégulière reste importante, les prisons dégorgent d’étrangers
incarcérés en raison de leur présence irrégulière, beaucoup d’entreprises emploient cette main d’œuvre
sans la déclarer et sans s’acquitter des frais sociaux. Cette immigration reste, en général, temporaire ou
de transit. Le cas des Irakiens est particulier : leur statut est reconnu comme réfugié par les
organismes internationaux mais pas encore par la loi libanaise. Les chiffres restent très approximatifs
s’agissant de cette communauté et affichent des contradictions suivant les sources. La main d’œuvre
syrienne reste comme dans les années précédentes, très présente au Liban : elle est concentrée
essentiellement dans le secteur du bâtiment et le secteur agricole. Ces mouvements sont par définition
provisoires, de courtes durées et répétitives. Il convient de soulever la persistante absence de
statistiques nécessaires pour recenser cette « migration économique ».
En définitive, l’immigration actuelle au Liban se réduit à des séjours de durée plus ou moins
longue. Mis à part le cas des réfugiés Palestiniens et Irakiens, les autres non-Libanais résidant
actuellement sur le territoire libanais sont définis comme des personnes qui viennent pour y
travailler et rarement pour y rester.
2. L’émigration des Libanais
Le recensement de l’émigration libanaise reste une tache difficile dans la mesure où, outre les
difficultés relevant de la rareté de statistiques officielles, cette estimation nécessite des définitions et
des concepts homogènes en vue de quantifier ce phénomène.
En 2009, d’après l’enquête nationale conduite par l’Université Saint-Joseph portant sur
« L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir », l’estimation des départs pour la période
1992-2007 variait essentiellement entre 460 000 et 650 000 Libanais - ceci, en plus des Libanais qui
avaient d’ores-et-déjà émigré au cours de la même période mais qui étaient revenus depuis. Ces
derniers représentent environ 7% des résidants libanais. Cette émigration provisoire a touché aussi
bien les hommes que les femmes, mais avec un taux sensiblement plus élevé parmi les hommes.
L’émigration a touché, selon la même étude, environ un ménage sur deux : ainsi, 46% des ménages
ont vu au moins un de leur membre quitter le pays entre 1992 et 2007. Cette importance du
phénomène migratoire a marqué, dans le même temps, des impacts négatifs et aussi a généré des effets
positifs dans la vie des Libanais. La désintégration familiale, le retard enregistré dans les mariages,
ainsi que l’augmentation des taux de célibat sont des effets socio-démographiques indéniables et qui
ont pu entraîner un net déséquilibre dans la société libanaise. D’autre part, ces départs ont entraîné une
baisse du taux de chômage et surtout une amélioration de la situation des familles au Liban, familles
qui ont profité de l’envoi des aides financières. Les communautés locales ont aussi été touchées
positivement par ces départs, les émigrés disposant de moyens financiers allouant souvent des dons à
leur village d’origine.
Ces départs essentiellement justifiés par une ouverture de l’économie libanaise vers les pays de la
région, le développement du secteur des services et touristique, et aussi la recherche de l’emploi, se
sont surtout développés à l’échelle des jeunes et des diplômés universitaires. Cette enquête dénote
aussi l’accroissement de l’émigration féminine au cours des dernières années.
En effet, 73% des émigrés enregistrés au cours de cette période sont des jeunes âgés de 18 à 35 ans.
En considérant les émigrés de tout âge, les taux de départ annuels moyens pour la période 1992-2007
sont de 10,2 pour mille pour les hommes et de 5,5 pour mille pour les femmes. S’agissant de cette
même période et en considérant seulement les émigrés âgés de 18 à 35 ans, ces taux atteignent
annuellement environ 23 pour mille pour les hommes et 11,5 pour mille pour les femmes.
La prédominance de l’émigration des jeunes universitaires est remarquable. En effet, 43,4% des
émigrés ayant émigré entre 18 et 35 ans disposent d’un diplôme universitaire. Ce taux particulièrement
fort est légèrement plus élevé parmi ceux qui ont actuellement entre 18-35 ans que parmi ceux qui ont
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CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS
Liban : La dimension démo-économique de la migration
dépassé les 35 ans (respectivement 45,4% et 38,9%). Il est donc à noter que les plus jeunes générations
qui émigrent sont de niveau d’instruction encore plus élevé et ce phénomène est plus sensible parmi
les filles émigrées où 50% parmi les 18-35 ans sont universitaires contre 40,4% parmi les plus âgées
(35 ans et plus). L’enquête révèle, par ailleurs, que parmi l’ensemble des jeunes résidant au Liban âgés
de 18 à 35 ans, la proportion de ceux qui disposent déjà d’un diplôme universitaire s’élève à 18,8%,
d’autres (21,2%) sont en cours d’études universitaires.
Au regard des taux globauxd’émigration1, cette même enquête fait ressortir des différences
régionales confirmées par les chiffres du tableau qui suit :
Tableau 4. Taux global d’émigrés (1992-2007), par Mohafazat et par genre (en %)2
Genre
Hommes
Femmes
Ensemble
Beyrouth
Banlieue Reste Mont Liban
18,8
11,3
15,0
11,6
6,5
9,1
13,8
8,4
11,2
Liban
Nord
Liban
Sud
11,1
6,0
8,7
Nabatieh
18,3
5,9
12,4
Béqaa Ensemble
18,6
6,5
12,9
9,7
5,0
7,4
13,5
7,0
10,3
Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009.
Les émigrés constituent également des effectifs importants parmi les deux grandes communautés
religieuses. En chiffres absolus, on estime que 60% de ceux qui ont émigré au cours de la période
1992-2007 sont issus de la communauté musulmane, et 40% de la communauté chrétienne. Ces
effectifs ramenés aux nombres de résidents permettent de calculer des taux globaux d’émigrés à
l’intérieur de chaque communauté.
Tableau 5. Taux global d’émigrés (1992-2007), par communauté religieuse et par genre (en %)
Genre
Hommes
Femmes
Ensemble
Musulmane
13,4
6,3
10,0
Chrétienne
Ensemble
13,6
8,1
10,9
13,5
7,0
10,3
Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009.
Ainsi, les taux globaux d’émigrés sont presque identiques à l’échelle des deux grandes
communautés, bien que des écarts restent à noter parmi les femmes où le taux est légèrement plus
élevé pour les Chrétiennes.
L’émigration libanaise récente accuse une augmentation relevée à l’échelle des jeunes, et se
caractérise essentiellement par une extension géographique. Les résultats de cette enquête indiquent
une diversification des destinations aussi bien à l’échelle des hommes que des femmes. Les pays
arabes restent la destination la plus importante suivis par l’Amérique du Nord et l’Europe.
1
Définitions :
Le taux global d’émigrés est le rapport de l’effectif des émigrés ayant quitté le pays de manière provisoire ou définitive
durant une période donnée sur le total des effectifs des résidents au moment de l’enquête et des effectifs des émigrés
ayant quitté dans la même période.
Le taux annuel d’émigration ou de départ est la fréquence des départs d’une année donnée par rapport à la population
résidente moyenne de l’année. Le taux annuel moyen de départ pour une période donnée est le nombre annuel moyen de
départs de la période sur la population moyenne entre le début et la fin de la période.
2
Ibid.
CARIM-AS No.2011/66 © 2011 EUI, RSCAS
5
Choghig Kasparian
Tableau 6. Emigrés entre 1992-2007, par période de départ et destination (en %)
Pays de destination
Bey- Banrouth lieue
Reste
Mont
Liban
Liban
Nord
Liban NabaEnsemBéqaa
Sud
tieh
ble
Pays arabes
44,2
31,5
43,3
32,8
31,2
30,0
24,2
34,9
Europe de l'Ouest
19,0
24,7
16,0
12,2
28,2
22,2
21,9
20,2
2,2
2,5
2,3
2,4
2,0
0,8
2,7
2,2
24,5
25,8
26,8
14,0
13,0
19,7
32,7
22,2
Amérique Centrale et Sud
2,9
1,0
1,9
3,0
3,3
7,3
9,0
3,2
Asie (sauf pays arabes)
1,0
0,7
0,6
0,3
0,6
0,4
0,6
Australie
2,6
7,9
3,8
28,2
2,4
6,1
8,9
3,5
6,0
100.0 100.0
5,4
100.0
7,2
100.0
19,3
100.0
15,1
3,1
100.0 100.0
7,9
100.0
Europe de l'Est
Amérique du Nord
Afrique
Total
5,0
Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009.
La concentration des flux migratoires est un phénomène qui apparaît surtout au cours de la période
2002-2007. A partir de 2008, et d’une manière générale et sans l’appui de chiffres données,
l’observation indique que l’émigration des Libanais a continué, parallèlement à un mouvement de
retour beaucoup moins élevé. En effet, au cours de la deuxième moitié de l’année 2008, l’émigration
et l’économie libanaise ont été partiellement touchées par les effets de la crise économique et
financière internationale : une perte d’emploi à l’étranger entraînant le retour d’un nombre limité
d’émigrés libanais, un ralentissement des flux d’émigration à peine sensible et une diminution des
transferts financiers. Mais, contrairement aux pronostics qui laissaient croire que la crise se traduirait,
en 2009, par un ralentissement marqué de l’économie libanaise très fortement dépendante des remises
des émigrés, cette dernière a défié ces pronostics en affichant un taux de croissance élevé (en 2008 de
9,3%). En outre, le système bancaire libanais n’a pas été affecté de façon négative par la crise
internationale : au contraire, elle a considérablement accru ses dépôts en provenance de la diaspora et
des investisseurs des pays pétroliers.
D’autre part, le Liban a reçu un nombre élevé de touristes à la suite de cette crise : en 2009, le
nombre de touristes était de 45% plus élevé par rapport à la même période au cours de l’année
précédente. A noter qu’une bonne partie des touristes sont des émigrés libanais de retour pour visiter
la famille et/ou le pays. Les liens que les émigrés libanais entretiennent avec leur famille demeurée au
Liban sont très forts et se manifestent par des visites et envois fréquents d’aides financières, comme le
révèlent les informations ressortant de l’enquête conduite par l’Université Saint-Joseph précitée : 47%
des émigrés envoient des aides financières régulières (19%) ou occasionnelles (28%). Par ailleurs,
34% des émigrés rendent des visites fréquentes à la famille et 41% reviennent de temps à autre.
Afin de mieux appréhender le phénomène migratoire des jeunes et mesurer son ampleur éventuelle
dans l’avenir, de jeunes libanais âgés de 18 à 35 ans résidant au Liban (échantillon d’environ 10 000
jeunes) au moment de l’enquête - soit fin 2007 -, répertoriés dans les ménages enquêtés, ont été
interrogés sur leurs projets d’avenir quant à l’émigration. D’après les résultats de cette enquête, 26%
des jeunes déclarent vouloir émigrer ou quitter provisoirement le Liban. La propension et fréquence à
émigrer ou à partir provisoirement sont sensiblement plus élevées parmi les jeunes hommes (33%) que
parmi les jeunes filles (19,2%). Les 26% des jeunes qui ont l’intention de partir se répartissent entre
ceux qui veulent émigrer (13%), ceux qui veulent partir de manière provisoire (5,5%) et ceux qui ont
l’intention de partir, définitivement ou pas, mais pas dans l’immédiat ou plus tard (7,7%).
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Liban : La dimension démo-économique de la migration
Tableau 7. Projets des jeunes quant à l’intention de quitter le pays par genre (en %)
Intention de départ
Hommes
Femmes
Ensemble
A l’intention d’émigrer ou de quitter provisoirement
33,0
19,2
26,1
Emigrer
16,3
9,6
12,9
Quitter provisoirement
7,5
3,4
5,5
Emigrer mais plus tard
2,6
1,9
2,3
Quitter provisoirement mais plus tard
4,1
2,4
3,3
Emigrer ou quitter provisoirement
2,5
1,8
2,2
N’a pas l’intention mais souhaite
19,4
16,0
17,7
N’a pas l’intention de quitter le pays
47,7
64,8
56,2
100,0
100,0
100,0
Total
Tableau tiré de la publication : L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir, OURSE, USJ, 2009.
A l’opposé, 56,2% des jeunes font état d’une absence d’intention de partir et, enfin 17,7% déclarent
n’avoir pas l’intention de quitter le pays mais le souhaitent.
Conclusion
« Le double visage de l’émigration libanaise »3 est une réalité complexe. Départs, arrivées et retours
affectent la société libanaise dans sa vie sociale, économique et politique. Les impacts de l’émigration
sur le Liban sont multiples et considérés de différents angles, sont bénéfiques pour certains et néfastes
pour d’autres. Ce qui paraît indéniable est la multiplicité et l’ambivalence des effets de cette mobilité
sur l’économie et la société.
Malgré l’importance de ces mouvements et de leur impact, « le Liban ne dispose ni de politique
d’émigration ni de cadre institutionnel chargé de construire et de mettre en œuvre une telle politique ».
Faut-il avoir une politique régulatrice ou réductrice de l’émigration, ou laisser la liberté aux familles et
aux individus de décider de leur parcours ? Certains politologues et économistes libanais ont des
points de vue différents, et même opposés, quant à l’élaboration de politique publique dans ce
domaine. Mais, ce qui semble indispensable est de reconnaître à chacun la chance et l’opportunité de
pouvoir vivre, donc de travailler dans son pays.
En 2010, la demande des émigrés concernant le droit de vote représente certainement un premier
pas pour que les autorités libanaises se penchent de manière plus précise sur les départs et sur leur
recensement.
Les immigrés, quant à eux, représentent une nécessité dans le fonctionnement de l’économie
libanaise. En effet, la main d’œuvre étrangère, dans sa grande majorité, répond à un besoin du marché
de l’emploi au Liban qui, paradoxalement, n’a pas la possibilité d’assurer des emplois adéquats pour
les Libanais à la recherche d’emploi de nature différente.
Actuellement, les Libanais initiés à l’émigration depuis très longtemps se retrouvent dans une
tendance mondiale actuelle de globalisation. Les réseaux familiaux et sociaux dans les pays
d’émigration sont à l’origine de la formation de chaînes migratoires et, dans le même temps,
constituent un point d’ancrage dans les sociétés d’accueil.
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L’émigration libanaise et son impact sur l’économie et le développement.
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Choghig Kasparian
Etant donné l’importance de ces mouvements - en particulier dans un pays où le nombre de
résidents libanais dépasse à peine les 4 millions d’individus, il semble important de bien connaître,
reconnaître et recenser ces départs et arrivées. Pour connaître ces flux, leur évolution et leur impact
démographique et économique à court et à long terme sur le développement du pays, il est
indispensable de disposer de statistiques administratives régulières et mises à jour, et de compléter ces
sources par des enquêtes ponctuelles représentatives.
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