Histoires
de prénoms
Corentin
Pierre-Yves Quémener
L’histoire de la diffusion du nom Corentin est particulièrement originale. Le nom est
typiquement breton, et plus précisément cornouaillais. Son référent indiscutable est saint
Corentin, fondateur présumé de l’évêché de Quimper au Ve ou VIe siècle. À ce titre, il
est honoré comme l’un des sept saints fondateurs bretons avec Samson, Malo, Patern,
Brieuc, Tugdual et Paul Aurélien. Du point de vue de la nomination, Corentin se distingue
pourtant très nettement de ses pairs puisque son nom va connaître une diffusion très
importante en Cornouaille tandis que les noms des autres saints fondateurs seront très
peu repris dans leurs territoires. On verra que la popularité du nom Corentin au XVIIe
siècle doit beaucoup à la stratégie missionnaire du père Maunoir. Cette popularité tardive
explique d’ailleurs pourquoi l’on ne rencontre quasiment jamais le nom Corentin comme
nom de famille.
2 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021
L’insaisissable saint Corentin
Saint de papier par excellence, le fondateur de
l’évêché de Quimper est un inconnu. Corentin
est pourtant mentionné vers 880 dans la Vie
de saint Guénolé : « Dirigeant tout le pays,
le sage Gradlon tenait alors les pouvoirs
terrestres ; Corentin tendait au peuple assoiffé
l’eau par lui puisée, dans l’ordre saint, brillant
de l’éclat sacré du corps du Christ : il mérita
par ses actes d’être appelé évêque éminent,
lui qui joignit à l’éminente dignité épiscopale
la rude vie d’ermite »1. Quoique sa fête soit
citée dès la fin du Xe siècle dans les litanies des
saints du psautier de Salisbury2, on s’étonne
que Corentin n’ait donné son nom à aucune
localité en Plou-, Lan-, Tré-, ni même à un Lok3.
Cette absence, tout à fait inhabituelle pour les
anciens saint bretons, laisse planer un doute
sur l’historicité du personnage. Il n’en demeure
pas moins que Corentin était considéré, dès
le début du Xe siècle, comme un « évêque
éminent » de l’église dont il était le patron.
Un acte du cartulaire de Landévennec, dont la
rédaction se situe entre 884 et 913, mentionne
en effet un certain Huarnuethen, désigné
comme évêque de Saint-Corentin4.
L’auteur de la Chanson d’Aiquin, composée
au tournant du XIIIe siècle, lui a consacré
les dernières pages de son roman5. Le roi
sarrazin Aiquin est poursuivi en Bretagne
par l’empereur Charlemagne. Chassé tour à
tour de Carhaix puis de son château du Mené
(Menez-Hom), l’émir Aiquin s’enfuit vers la
1 Stéphane Lebecq (dir.), Cartulaire de Saint-Guénolé de
Landévennec, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p.
139.
2 Bernard Tanguy, « Anciennes litanies bretonnes des Xe et XIe
siècles », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 131,
2002, p. 462. Courentine (ou Courentin, Chourentine), est également
mentionné dans les litanies des saints du psautier de Reims (Xe s.),
dans le recueil de l’abbaye Saint-Martial de Limoges (XIe s.) et dans
les litanies du Missel de Saint-Vougay (fin du XIe s.). Voir Bernard
Tanguy, « De l’origine des anciennes litanies bretonnes des Xe et XIe
siècles », Britannia Monastica, t. 10, 2006, p. 43-61.
3 R. Largillière, « Saint Corentin et ses vies latines. A propos
d’une publication récente », Bulletin de la Société archéologique du
Finistère, t. 52, 1925, p. 89.
4 Huaruuethen, episcopo Sancti Chourentini. Voir R.-F. Le Men et
E. Ernault (éd.), Cartulaire de Landévennec, Paris, 1886, p. 561, ch.
24 ; Bernard Tanguy, « Hagionomastique et histoire. Pabu Tugdual
alias Tudy et les origines du diocèse de Cornouaille », Bulletin de la
Société archéologique du Finistère, t. 115, 1986, p. 124.
5 Sur ce sujet, voir André-Yves Bourgès, La Chanson d’Aiquin et
saint Corentin, 2009, notule mise en ligne sur le site https://www.
academia.edu/6701203/La_Chanson_dAiquin_et_saint_Corentin,
consultée le 13 mars 2021 ; Jean-Christophe Cassard, « Propositions
pour une lecture historique croisée du Roman d’Aiquin », Cahiers de
civilisation médiévale, 2002, t. 45, p. 111-127.
forêt de Nevet. Il y découvre l’ermitage de
saint Corentin et le chasse de son sanctuaire.
À aucun moment, on ne dit que Corentin est
ou fut évêque de Quimper. Pour l’auteur de
la chanson, Corentin est un contemporain de
Charlemagne, à la différence de saint Samson,
fondateur de l’évêché de Dol, ou de saint Malo,
un « bienheureux venu d’Angleterre », dont on
présume qu’ils appartiennent à un passé déjà
lointain6.
Il existe en fait un flou permanent sur l’époque à
laquelle aurait vécu le saint ermite. Un document
du cartulaire de Landévennec fait aussi de
Corentin et de Guénolé deux contemporains
de Charlemagne. Le roi des Francs aurait envoyé
auprès du roi Gradlon une délégation pour le
prier de l’assister dans son combat contre les
païens7. Cette délégation était composée des
saints Florent, Médard et Philibert. La rencontre
simultanée de tous ces illustres personnages pose
un problème chronologique évident. On peut
penser que chacun d’entre eux représentait en
fait une entité spécifique : Corentin désignerait
l’évêque de Quimper ; Guénolé, l’abbé de
Landévennec ; Gradlon, le comte de Cornouaille,
et ainsi de suite. Marc Simon avait cependant émis
l’hypothèse que le « roi Gradlon » pouvait aussi
être Gradlon Plonéour, comte de Cornouaille au
début du IXe siècle, camouflé derrière la figure
du roi légendaire8.
Dans les litanies des saints bretons, Corentin
n’est jamais cité en même temps que les saints
les plus honorés. Il forme toujours un binôme
avec Guénolé mais, la plupart du temps, l’abbé
6 La Chanson d’Aiquin, traduit et présenté par Jean-Claude
Lozac’hmeur et Maud Ovazza, Paris, Picollec, 1985, p. 50, 100, 191193.
7 R.-F. Le Men et E. Ernault (éd.), Cartulaire de Landévennec,
Paris, 1886, p. 5598559, ch. 20. Texte traduit par Marc Simon dans
L’abbaye de Landévennec, de saint Guénolé à nos jours, OuestFrance, 1985, p. 43.
8 Marc Simon, « Les rapports entre les abbayes de Redon et de
Landévennec du IXe au XIIe siècle », Mémoires de la Société
d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 63, 1986, p. 123. Sur
le personnage de Gradlon Plonéour, voir aussi Bernard Tanguy,
« Hagionomastique et histoire. Pabu Tugdual alias Tudy et les
origines du diocèse de Cornouaille », art. cit., p. 133-139 ; Jean-Paul
Soubigou, « Recherches sur les origines du Kemenet de Cornouaille
(IXe – XIe siècles) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t.
115-1, 2008, p. 104 ; Joëlle Quaghebeur, La Cornouaille du IXe au XIIe
siècle, Quimper, Société archéologique du Finistère, 2001, p. 39-48.
Dans la Vie de saint Corentin, l’épisode de la visite impromptue du roi
Gradlon à l’ermitage de Corentin dans la forêt de Plomodiern offre un
écho remarquable au récit de la chanson d’Aiquin.
KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 3
Figure 1 : Saint Corentin – Église de Saint-Thuriau
à Landivisiau – Photo Thesupermat pour Wikimedia
Commons
de Landévennec précède l’évêque de Quimper9.
Finalement, on serait tenté de voir en Corentin
un ermite du début du IXe siècle, devenu évêque
de Quimper, proclamé tardivement saint patron
de la Cornouaille.
À la suite des invasions normandes des IXe et Xe
siècles, le clergé breton s’exila massivement en
territoire franc, emportant avec lui ce qu’il avait
de plus précieux, à savoir les reliques des saints
de ses monastères et de ses évêchés10. Ce fut le cas
notamment pour celles de Corentin qui furent
transférées à l’abbaye de Marmoutier, près de
Tours, sans doute au cours du Xe siècle11. Un
texte d’un passionnaire de Quimper rapporte le
récit de cette translation et de la grande tristesse
des Bretons « de se voir privés d’un joyau de si
grand prix »12. La Vie de saint Ronan, composée
9 C’est le cas dans les psautiers de Reims et de Salisbury, ainsi que
dans le recueil de Saint-Martial de Limoges. Chourentine précède
Guingualoee dans le Missel de Saint-Vougay.
10 Hubert Guillotel, « L’exode du clergé breton devant les invasions
scandinaves », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de
Bretagne, t. 59, 1982, p. 269-315.
11 Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, Minihi Levenez, 1999,
p. 25.
12 François Plaine, Vie inédite de saint Corentin, Extrait du Bulletin
de la Société archéologique du Finistère, 1886, p. 58-61.
4 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021
au début du XIIe siècle, rappelle pareillement
la douleur des Cornouaillais d’avoir perdu les
reliques de leurs saints fondateurs : « C’est un
fait qu’en ce temps-là, tu perdis le très saint
abbé Guénolé, précieux confesseur du Christ
[…]. Or, du fait de la méchante folie de ton
comte parricide, tu avais auparavant perdu ton
patron, le très sacré évêque Corentin, vénérable
archimandrite et confesseur du Christ […].
Il est long de faire connaître et surtout il est
douloureux de raconter combien à cette
époque, en raison des ignominies abominables
de tes habitants, tu perdis de précieuses reliques
de saints, desquelles, aucune, hélas, n’est
revenue vers toi »13. L’église de Quimper réussit
néanmoins à récupérer une partie des reliques
de son saint patron puisqu’un inventaire du
trésor de la cathédrale, daté de 1273, citait,
parmi diverses reliques, « une partie du bras de
saint Corentin, dans un bras de bois argenté »,
ainsi qu’une « dent de saint Corentin avec l’os
de son bras »14. Il y a tout lieu de croire que
Rainaud, évêque de Quimper de 1219 à 1245,
ait été l’instigateur du rapatriement du bras de
Corentin en Bretagne et il est vraisemblable que
la translation eut lieu la première année de son
accession à l’épiscopat15. Un acte du cartulaire
de l’église de Quimper, daté de l’année 1219,
rapporte en effet que le fils d’un certain Alain
prêta serment cette année-là « sur l’Evangile et
le bras de saint Corentin »16.
Les attributions du nom Corentin
comme nom de baptême
Au bas Moyen Âge, la ferveur dont bénéficiait
saint Corentin dans la piété cornouaillaise n’a
eu aucune incidence sur la diffusion de son
13 Traduction par André-Yves Bourgès dans « Mythes fondateurs
de la Cornouaille. La quaternité cornouaillaise, une construction
idéologique à l’époque carolingienne en Bretagne », dans André-Yves
Bourgès et Valéry Raydon (éd.), Hagiographie bretonne et mythologie
celtique, éditions du Cénacle et Terre de Promesse, 2016, p. 285.
14 R.-F. Le Men, Monographie de la cathédrale de Quimper (XIIIe
– XVe siècles), Quimper, Jacob – Lemercier, 1877, p. 349-351, avec
une notice sur l’histoire des reliques de saint Corentin (p. 351-359).
15 L’évêque Rainaud est également donné comme l’auteur de la Vie
de saint Corentin composée vers 1235. Voir André-Yves Bourgès,
« À propos de la vita de saint Corentin », Bulletin de la Société
archéologique du Finistère, t. 127, 1998, p. 291-303 et « Un saint de
papier. Corentin au travers de son dossier hagiographique », Bulletin
de la Société archéologique du Finistère, t. 140, 2012, p. 227-240 ;
Joseph-Claude Poulin, L’hagiographie bretonne du haut Moyen-Âge.
Répertoire raisonné, Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2009, p. 451.
16 P. Peyron (éd.), « Cartulaire de l’église de Quimper », Bulletin de
la Commission diocésaine d’architecture et d’archéologie du diocèse
de Quimper et de Léon, t. 1, 1901, p. 278-279 (doc. 28).
3,0%
2,5%
2,0%
nom comme nom de baptême. C’est d’ailleurs
la même chose pour tous les anciens saints
1,5%
bretons du haut Moyen
Âge, qu’ils aient été
fondateurs d’abbayes ou d’évêchés, ou simples
patrons de paroisse. Jusqu’au XVe siècle, la
vénération pour un saint
n’était pas un critère
1,0%
prioritaire lorsqu’il s’agissait de choisir un
nom de baptême pour un enfant. On donnait
de préférence les noms que l’on estimait
0,5%
être les plus bénéfiques
et les plus propices
à l’enfant, ceux qui lui porteraient chance et
lui assureraient longue vie et prospérité. On
pensait que l’enfant0,0% pouvait hériter d’une
1600
partie des qualités évoquées
par son1610nom.
On s’attendait également à ce que l’enfant
devienne ce que son nom signifiait. La reprise
du nom Corentin comme nom de baptême à
partir du XVe siècle s’inscrit dans une phase de
renouvellement des répertoires onomastiques,
favorable aux noms des anciens martyrs et
confesseurs. La diffusion restait encore tout à
fait confidentielle. J’ai relevé un seul porteur du
nom – Corentin Tremillec, de Loctudy – dans la
montre de la noblesse de Cornouaille, réunie à
Carhaix les 4 et 5 septembre 1481, sur un total
de mille trente-trois individus17.
Ce n’est guère mieux au siècle suivant, ni
même dans les quatre premières décennies du
XVIIe siècle18. Les registres de baptême sont
encore peu nombreux pour cette période. On
comptabilise seulement quatorze attributions
du nom Corentin dans la base des baptêmes
du CGHP, de 1540 à 1639, pour un total de
dix-huit mille quatre cent trente noms : un à
Spézet (1582), deux à Plouyé (1582, 1583), un
à Huelgoat (1614), un à Trégourez (1615), un à
Gourin (1615), un à Plounévez-Quintin (1630),
trois à Laz (1631, 1632, 1637), un à Scaër (1633),
deux à Châteauneuf-du-Faou (1633, 1634) et
un à Plonévez-du-Faou (1635). Dans quatre de
ces baptêmes, le parrain se nomme également
Corentin. C’est le cas pour les deux baptêmes
de Plouyé en 1582 et 1583, pour le baptême de
Plonévez-du-Faou en 1635 et pour le dernier
17 Antiquités de la Bretagne : Finistère, par le chevalier de
Fréminville, 1852, p. 316-378, 2002, en ligne sur le site Tudchentil.
org, consulté le 14 mars 2021.
18 J’ai relevé dans les rôles de l’inscription maritime de Bordeaux, à
l’année 1505, un maître de navire, originaire de Penmarc’h, qui disait
s’appeler Korentin Audierne. Voir Jacques Bernard, Navires et gens
de mer à Bordeaux (vers 1400 – vers 1550), Paris, SEVPEN, 1968,
vol. 3, p. 198. Le surnom étant aussi peu courant que le nom de
baptême, il est possible toutefois que l’homme se soit présenté par
un nom d’usage.
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Joseph
Joseph
Figure 2 : Fréquence des attributions des noms Joseph et Corentin
dans le Poher, au XVIIe siècle
baptême de Laz en 1637. La fréquence des
transmissions du nom du parrain à son filleul
est naturellement faible puisque très peu de
parrains portaient encore le nom.
Dans six autres nominations, le baptême a eu
lieu un 12 décembre, jour de la fête de saint
Corentin19. La pratique de la dation du nom
du saint du jour à l’enfant est généralement
assez exceptionnelle mais il s’agit néanmoins
d’un usage bien attesté. La proportion est ici
d’autant plus forte qu’il y avait encore peu de
porteurs du nom Corentin dans la population.
La popularité du nom Corentin se développe
véritablement dans le Poher à partir des années
1640. Dans les premières décennies, cette
popularité s’accroît parallèlement à celle du
nom Joseph comme on le voit sur le graphique
de la figure 2. Le père Maunoir a joué un rôle
majeur dans la diffusion de ces deux noms en
Cornouaille, au XVIIe siècle.
19 À l’origine, saint Corentin était fêté le 1er mai, en même temps
que saint Brieuc. Cf. Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, op cit,
p. 33-39. Cependant, à partir du XIIIe siècle, apparaît également la
fête de saint Corentin d’hiver ( festum sancti Chorentini hyemalis ),
célébrée au 12 décembre. La première attestation de cette fête date
de 1269 ( Cartulaire de Quimper, doc. 108 ). Il est possible qu’elle ait
été instituée pour commémorer la translation des reliques de saint
Corentin, au plus tard en 1219. Quelques années auparavant, en
1210, l’évêque de Saint-Brieuc avait institué au 18 octobre la fête
de la translation de saint Brieuc, après avoir obtenu de la part de
l’abbé de Saint-Serge d’Angers la restitution d’une partie des reliques
du saint ( l’un des bras, deux côtes et une parcelle de la tête ). Cf.
Jules Lamare, « Histoire de la ville de Saint-Brieuc », Mémoires de la
Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. 22, 1884, p. 25-28.
On notera que la fête primitive se plaçait à une date importante du
calendrier celtique ( la fête de Beltaine marquait le début de l’été ) et
que le 12 décembre correspondait à quelques jours près au solstice
d’hiver dans le calendrier julien à la fin du Moyen Âge.
KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 5
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1680
Saint Corentin, Catherine Danielou et
Julien Maunoir
Le succès du nom Corentin à partir des
années 1640 ne reflète pas une sympathie
soudaine des Cornouaillais pour l’ensemble
des noms des anciens saints bretons. Elle n’a
pas fonctionné en effet avec la même intensité
pour le nom de saint Guénolé : si Corentin
cumule sept cent trente-huit attributions dans
le Poher de 1540 à 1699, le nom du fondateur
de l’abbaye de Landévennec n’en rassemble
que quarante-quatre pour la même période.
Pour comprendre le succès de Corentin dans
les répertoires anthroponymiques, il nous faut
revisiter l’histoire mouvementée du culte du
saint patron de la Cornouaille.
Pour une raison que nous ignorons, les
reliques de saint Corentin avaient disparu de la
cathédrale au début du XVIIe siècle. En 1623,
Guillaume Le Prestre de Lezonnet, évêque
de Quimper depuis 1614, se rendit à l’abbaye
de Marmoutier où il sollicita les religieux de
bien vouloir lui octroyer « quelque parcelle
ou reliques du corps de saint Corentin »20. Il
obtint gain de cause et rentra en Bretagne avec
un nouveau bras de saint Corentin, l’humérus
plus précisément. Mais, au lieu d’organiser une
translation solennelle des précieuses reliques
à Quimper, l’évêque préféra les conserver à
titre privé dans son manoir de Scaër où elles
restèrent pendant dix-sept années.
Une jeune femme de Quimper, Catherine
Danielou, joua un rôle déterminant dans le
rétablissement du culte de saint Corentin.
Catherine était une enfant très pieuse et elle
eut, dès son plus jeune âge, de multiples visions
de la Vierge et d’autres saints. En 1625, alors
qu’elle n’avait encore que six ans, la Vierge
lui recommanda de prendre pour protecteur
et père spirituel saint Corentin, patron de
la cathédrale de Quimper21. Par la suite, elle
participa à de nombreuses missions organisées
par Julien Maunoir dans toute la Bretagne.
Après sa mort, en 1667, le père jésuite composa
en son honneur une Vie de Catherine Danielou.
20 R.-F. Le Men, Monographie de la cathédrale de Quimper…, op.
cit., p. 353.
21 Abbé Perrot, Histoire de Catherine Danielou, Saint-Brieuc,
Prudhomme, 1913, p. 8. Cet ouvrage est l’adaptation et l’édition de
la vie manuscrite de Catherine Danielou rédigée par Julien Maunoir.
6 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021
Il y évoquait la désuétude du culte de saint
Corentin au début du XVIIe siècle :
« Au temps où la petite Catherine commença
son noviciat du Calvaire, il n’y avait aucun,
ni en Bretagne, ni même à Quimper ou en
Cornouaille, qui eût souvenir des obligations
qu’on a eues en ces contrées à ce grand saint
apôtre et premier évêque de Cornouaille,
saint Corentin. On ne disait plus de messe
à son autel, on ne faisait aucun sermon le
jour de sa fête qui arrivait toujours en Avent,
à moins qu’elle ne tombât un dimanche. Si
c’était un jour ouvrier, les gens allaient à la
foire qui commençait ce jour-là et durait
toute l’octave, et même jusqu’à Noël ; la
nuit on allait au bal. Ce grand saint avait
été autrefois grandement honoré, même
des étrangers, mais les Normands vinrent
qui brûlaient tous les corps saints, ce qui
obligea Messieurs de Quimper à transporter
le corps de leur premier évêque au couvent
de Marmoutier, près de Tours. Depuis ce
temps, l’oubliance vint au point que les
habitants ne savaient plus même où était sa
statue »22.
En 1639, une peste éclata à Quimper. Julien
Maunoir y vit la conséquence d’un sacrilège
intervenu la même année à la fontaine SaintCorentin :
« Environ l’an 1639, un certain scélérat ayant
lapidé et décapité l’image de saint Corentin,
qui avait été mise depuis peu à une fontaine
qu’on avait faite au bout de la rue Neuve, ce
sacrilège fut suivi incontinent d’un fléau de
la justice divine. Au même lieu où le crime
avait été commis, une peste extraordinaire
moissonna la troisième partie de cette ville
qui, depuis plusieurs années, avait oublié
les obligations qu’elle avait à son premier
évêque. Il n’y avait, en tout l’évêché, que
deux personnes qui eussent des sentiments
de piété pour ce prélat. Catherine fut la
première qui porta le deuil de ce cruel
attentat, elle accourut à la fontaine ; y ayant
vu la statue de son saint protecteur renversée
et la tête brisée, elle se mit à pleurer avec
plus de douleurs que si son propre père
avait été égorgé. L’autre personne fut le
père Bernard, un des premiers pères de la
22 Id., p. 18
Compagnie de Jésus qui furent envoyés au
commencement du collège de Quimper »23.
Pierre Bernard fut le compagnon de Julien
Maunoir dès ses premières missions, en fin
d’année 1640, et jusqu’à sa mort en 1654. Le
2 février 1640, il eut une révélation : la peste
cesserait si l’on implorait saint Corentin. Il en
avisa les bourgeois de la ville qui firent illico
le vœu d’aménager dans la cathédrale un lieu
destiné à recevoir le bras du saint. L’épidémie
cessa immédiatement24. Mais la relique était
encore à Scaër, chez Guillaume Le Prestre.
Celui-ci mourut dans l’année et, le 7 novembre,
veille de sa mort, il stipula dans son testament
qu’il souhaitait que la relique de saint Corentin
fût « rendue en son église cathédrale de
Cornouailles »25. Le lendemain, une délégation
venue de Quimper rapporta sans attendre les
précieuses reliques pour les placer dans le trésor
de la cathédrale. La translation officielle eut lieu
le 3 mai 1643, trois mois après la consécration
de René du Louet à l’épiscopat de Quimper.
L’épisode marqua profondément le père
Bernard. Julien Maunoir nota dans son Journal
qu’il prit alors conscience que « chaque lieu
et chaque ordre religieux avaient leur saint
patron, qu’il fallait par exemple recourir à saint
Ignace quand il était question de la Compagnie
de Jésus, à saint Louis, roi de France, pour les
intérêts du royaume, et ainsi de suite »26. En
l’occurrence, les intérêts de la Cornouaille se
devaient d’être confiés à saint Corentin. Le
père Maunoir ne cessa de faire la promotion
de son culte et rédigea à cette intention une
Vie de saint Corentin / Buhez sant Caurintin,
placée en introduction à ses Canticou spirituel et
inspirée en partie par les visions de Catherine
Danielou27. La voyante avait en effet appris de
saint Joseph l’histoire de saint Corentin, « les
croix qu’il avait portées », comment « il avait
été dans les souffrances jusqu’à sa mort, qu’il
23 P. Peyron, « Catherine Danielou, une voyante à Quimper au
XVIIe siècle », Bulletin de la Commission diocésaine d’architecture et
d’archéologie du diocèse de Quimper et de Léon, t. 9, 1909, p. 170.
24 Éric Lebec, Miracles et sabbats. Journal du père Maunoir, Paris,
Editions de Paris, 1997, p. 55 ; Albert Le Grand, Les vies des saints
de la Bretagne Armorique, édition annotée par A.-M. Thomas, J.-M.
Abgrall et P. Peyron, Quimper, Vatar, 1901, p. 692.
25 R.-F. Le Men, Monographie de la cathédrale de Quimper…, op.
cit., p. 354.
26 Éric Lebec, Miracles et sabbats, op. cit., p. 55. Cf. pour la
protection de saint Corentin, p. 54, 63, 66.
27 Julian Maner, Canticou spirituel hac instructionou profitable vit
disqui an hent da vont d’ar Barados, Quemper, Perier, 1686, p. 5-24.
avait commencé à souffrir dès sa jeunesse ;
que, tâchant de convertir ceux de son pays, il
fut persécuté, appelé sorcier, voleur, perceur
de maison, affronteur, que quand on l’injuriait
il riait de joie et disait : « Dieu soit loué » !
Qu’il fut poursuivi de flèches et de fourches
de fer, qu’on le chercha à tuer, ce qui l’obligea
de venir en Cornouaille pour y gagner des
âmes. Qu’étant venu prêcher en ce pays, il
fut garrotté, qu’on lui jetait de la fange au
visage, que les paysans l’attendaient au bout
des champs pour le battre ; qu’il fut obligé de
se retirer dans les bois, où il fut persécuté des
démons ; qu’il retourna derechef dans son
pays, pour voir s’il pouvait gagner quelquesuns à Jésus-Christ ; que les méchants n’avaient
pu le supporter ; qu’il fut contraint d’aller à
Rome, à Jérusalem, en Egypte, où il vit saint
Antoine, qu’il retourna en Bretagne, où il fut
le père de plusieurs anachorètes »28. Il semble
bien que les déboires missionnaires de Julien
Maunoir aient quelque peu imprégné les
visions de Catherine Danielou.
La répartition du nom dans le Poher
Existe-il une concordance entre la situation
géographique des lieux de culte dédiés à saint
Corentin et la fréquence des attributions de
son nom comme nom de baptême ? Avant
d’analyser la diffusion du nom dans le Poher,
examinons la localisation des églises et chapelles
dans les anciens évêchés bretons.
Figure 3 : Carte de la répartition des lieux de culte de saint Corentin
en Bretagne - Source : Job an Irien, Vie et culte de saint Corentin
28 P. Peyron, « Catherine Danielou, une voyante à Quimper au XVIIe
siècle », art. cit., t. 10, 1910, p. 22.
KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 7
Les lieux de culte sont relativement peu
nombreux. On en compte deux dans le
Vannetais. Corentin était le patron de l’église
paroissiale de Billio au XVIe siècle. A SaintBarthélemy, la chapelle actuelle du XVIIe
siècle fut construite sur l’emplacement d’une
chapelle plus ancienne, dédiée également à saint
Corentin.
La majorité des lieux de culte se situe
naturellement en Cornouaille. Sur la carte de
la figure 3, Corentin est donné comme patron
de quatre églises paroissiales ( Quimper,
Trégornan, Saint-Connan et le Vieux-bourg de
Quintin ). En fait, Trégornan est une ancienne
trève de Glomel et Saint-Connan une ancienne
trève de Saint-Gilles-Pligeaux. Le culte du
saint est manifestement tardif car les églises
paroissiales avaient déjà leur titulaire quand il
a commencé à se répandre29. Le patronage de
l’église du Vieux-Bourg est cependant ancien
et remonte au moins au début du XIIIe siècle
puisque l’église Saint-Corentin est citée dans un
testament de 122530. Il n’est pas impossible que
l’évêque Rainaud, dont il a déjà été question
plus haut, soit à l’initiative de ce patronage.
Pour le reste, les chapelles dédiées à saint
Corentin se situent de part et d’autre de
l’ancien diocèse de Quimper. Six d’entre elles
appartiennent à la basse Cornouaille ( Le
Trévoux, Plonéour-Lanvern, Sein, Plogonnec,
Plomodiern et Briec ). La majorité des lieux de
culte se situe cependant en haute Cornouaille.
Les chapelles Saint-Corentin de Carnoët et de
Corlay datent du XVe siècle31. Celles de Scrignac
( Trénivel et Toul-ar-Groaz ), de Neuillac et
de saint-Connan sont du XVIe siècle32. L’église
paroissiale de Trégornan a été bâtie en 161933.
Tous les édifices placés sous le patronage de
saint Corentin l’ont été avant la résurgence du
culte, sous l’impulsion du père Maunoir, à partir
29 Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, op. cit., p. 93.
30 Bernard Tanguy, Dictionnaire des noms de communes, trèves
et paroisses des Côtes d’Armor, Douarnenez, ArMen – Le ChasseMarée, 1992, p. 357.
31 René Couffon, « Répertoire des églises et chapelles du diocèse
de Saint-Brieuc et Tréguier », Bulletins et mémoires de la Société
d’émulation des Côtes-du-Nord, t. 70, 1938, p. 73, 93.
32 René Couffon et Alfred Le Bars, Nouveau répertoire des églises
et chapelles. Diocèse de Quimper et de Léon, Association diocésaine
de Quimper, 1988, p. 414 ; René Couffon, « Répertoire des églises
et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier », op. cit., t. 71,
1939, p. 250 ; Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, op. cit., p. 99.
33 René Couffon, « Répertoire des églises et chapelles du diocèse
de Saint-Brieuc et Tréguier », op. cit., t. 70, 1938, p. 126.
8 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021
des années 1640. Il est assez surprenant de
relever autant de lieux de culte à saint Corentin
si loin de Quimper et des lieux où le saint
est censé avoir vécu. Il me semble que c’est
précisément cet éloignement qui a motivé leur
édification. L’implantation de chapelles dédiées
à saint Corentin, en haute Cornouaille, était un
moyen pour l’évêque de Quimper de marquer
son territoire. On notera d’ailleurs qu’elles se
situent presque toutes à la limite des évêchés
voisins34.
Examinons à présent les corrélations entre
les emplacements des lieux de culte à saint
Corentin et la localisation des attributions du
nom de baptême. La carte de la figure 4 présente
la fréquence des attributions du nom Corentin
dans les actes de baptême enregistrés dans la
base du CGHP de 1670 à 1699. Les attributions
étaient-elles plus fréquentes dans les paroisses
qui honoraient saint Corentin ? Pas vraiment.
L’impression dominante qui ressort de cette
carte est que la fréquence du nom est d’autant
plus forte que l’on se rapproche de Quimper.
Il y a un phénomène de polarisation. Le nom
semble se propager à partir du cœur de l’évêché
et l’intensité diminue au fur et à mesure que l’on
s’en éloigne35. La faiblesse des attributions dans
les paroisses du Poher est assez significative. Il
y a bien quelques attributions à Scrignac ( 9 cas
pour 524 baptêmes, soit 1,7% ) et à Trégornan
( 7 cas pour 440 baptêmes, soit 1,6% )36. Par
contre, on ne relève qu’une seule occurrence à
Saint-Connan ( un baptême un 13 décembre )
et pas une seule dans la trève de Saint-Corentin
en Carnoët ( 137 baptêmes ). Les paroisses
orientales du Vieux-Bourg, de Corlay et de
Neuillac se situent en dehors de l’aire d’étude
du CGHP. Elles ne figurent donc pas sur cette
carte. Les données recueillies auprès du Centre
généalogique des Côtes-d’Armor confirment
34 Il est remarquable de constater un procédé identique dans l’ancien
évêché de Vannes : les seules chapelles du pays vannetais dédiées
à saint Patern se situent dans le nord-ouest du diocèse, aux limites
de la Cornouaille. Cf. Jean-Paul Eludut, « Les hauteurs fortifiées de
l’Ellé au Blavet : une ligne de crête stratégique ? », Société d’histoire
et d’archéologie du pays de Lorient, t. 40, 2011-2012, p. 40. On peut
noter également l’existence de plusieurs toponymes « Saint-Malo »
tout au sud de l’ancien évêché de Saint-Malo (Saint-Malo-de Beignon,
Saint-Malo-des-Trois-Fontaines).
35 Pour la distribution du nom Corentin au XVIIIe siècle dans le
département actuel du Finistère, voir Pierre-Yves Quémener, « Histoire
des prénoms en Bretagne, du Moyen Âge à la Révolution », Kaier ar
Poher, n° 35, 2011, p.13.
36 Sur la carte de la figure 4, la couleur indiquée pour Trégornan
est en vert clair car les données de la trève ont été regroupées avec
celles de Glomel (3 cas pour 1374 baptêmes) et de la trève de SaintMichel (1 cas pour 312 baptêmes).
Pluzunet
Bégard
PlouégatMoysan
Le Ponthou
Trégrom
Guerlesquin
Plougonven
Le CloîtreSt-Thégonnec
Lohuec
Sizun
St-Rivoal
Botmeur
Locqueffret
Berrien
Huelgoat
La ChapelleNeuve
LocmariaBerrien
Carnoët
Duault
Landugen
StSt-Idunet Corentin
Plouyé
St-Tudec
Locarn
Plounévézel Trébrivan
Lannédern
Collorec
Ste-Catherine
MaëlTreffrin
Kergloff
Carhaix
Le-CloîtreCarhaixLandeleau
Pleyben PlonévezPlouguer Le Moustoir
Cléden-Poher
du-Faou
St-Quijeau
Poullaouen
St-Ségal
Ploumagoar
StSt-Péver
Adrien
Bourbriac
Bulat-Pestivien
(Pestivien)
St-Fiacre
Plésidy
SenvenLéhart
Maël- Kerien
Pestivien
St-Gildas
St Connan
Magoar
Kerpert St-GillesLe Loch
Le Vieux-Bourg
Pligeaux
St- PeumeritLanrivain
Nicodème Quintin
St-Servais
(Burthulet)
Brasparts
Lopérec
Gurunhuel
PontMelvez
Botmel
(Callac)
Plusquellec
Grâces
Coadout
Plougonver
Calanhel
Coatquéau
Brennilis
Moustéru
Bolazec
Scrignac
La
Feuillée
Tréglamus
LocEnvel
Plougras
Lannéanou
Plounéour-Ménez
Commana
LoguivyPlougras
Botsorhel
Plouisy
Plounévez- Belle-Isle
Moëdec en-Terre
Plouigneau
Évêché de Tréguier
Pédernec
Louargat
Plounérin
Trémargat
KergristMoëlou
PlounévezQuintin
St-Nicolas- Canihuel
Le Haut-Corlay
du-Pélem
(Bothoa)
Corlay
StSte- Ygeaux
Plussulien
Tréphine
Lennon
St-Coulitz
Le Quilliou
Laniscat
Rostrenen
Plévin
Paule
St-Mayeux
St-Hernin
Plouguer- Gouarec
ChâteauneufSt-Gelven
Motreff
Glomel Locmarianével (St-Gilles)
Lothey
du -Faou Le MoustoirRosquelfen
Gaudin
Spézet
Gouézec
Mûr-de-Bretagne
Ruelin
Tréogan
St-Michel Bonen
Plélauff
St Perret
Thois
Trégornan
St-Goazec
St-Aignan
La TrinitéSteMellionnec
Laz
LescouëtEdern
Langonnet
Brigitte
Gouarec
Gourin
Guellevain
Trégourez
Silfiac
Plouray
Briec
Locuon
Roudouallec
Leuhan
Cléguérec
Le Saint
Langonnet
StLangoëlan
Langolen
Séglien
Tugdual
Coray
Landudal
Ploërdut
Pt-Briand
GuémenéLe
Guiscriff
sur-Scorff
Malguénac
Le
Faouët
Priziac
Elliant
Croisty
Tourch
Scaër
Locmalo
Évêché de Quimper
St-CaradecLignol
Guern
Trégomel
Évêché de Vannes
Lanvénégen
Persquen
Kernascléden
Pleyben
Meslan
Rosporden
St-Thurien
Bannalec
Berné
Inguiniel
Querrien
Guilligomarch
Bubry
Plouay
Fréquence des attributions en % des noms masculins
De 5,5 % à 10,5 %
De 0,5 % à 0,9 %
De 3,0 % à 3,3 %
De 0,3 % à 0,4 %
De 2,0 % à 2,5 %
0,2 %
De 1,5 % à 1,9 %
0,1 %
De 1,0 % à 1,4 %
Moins de 0,1 %
Limites des anciens évêchés
Figure 4 : Fréquence des attributions du nom Corentin dans le Poher, de 1670 à 1699
néanmoins les résultats observés dans le Poher.
Au Vieux-Bourg, où saint Corentin était le
patron de la paroisse depuis le XIIIe siècle, on
relève un seul baptême de Corentin entre 1670
et 1699. À Corlay, pour la même période, nous
avons un Corentin Marie en 1684 et un Jan
Corentin en 168637.
Il n’existe donc pas de corrélation forte entre
la fréquence des attributions du nom Corentin
et l’existence d’une chapelle ou d’une église
37 Les attributions représentent 0,2 % au Vieux-Bourg ( pour 484
baptêmes de garçons de 1670 à 1699 ) et 0,7 % à Corlay ( pour 301
baptêmes ). Je remercie vivement Dominique Payen et Guy Mahé du
CG22 pour la communication de ces informations.
dédiée à saint Corentin dans la paroisse. Les
fréquences les plus importantes sont observées
dans des localités où le saint n’était pas honoré.
J’ai analysé plus en détail l’évolution des
attributions du nom dans quatre paroisses pour
lesquelles nous avons des registres de baptême
anciens et des attributions importantes :
Trégourez, Le Faouët, Plonévez-du-Faou et
Scaër (figure 5)38.
38 Trégourez : registres depuis 1607, 40 attributions du nom Corentin
pour 492 baptêmes de 1670 à 1699 (8,1 %) ; Le Faouët : registres
depuis 1643 soit 43 occurrences pour 1817 baptêmes de 1670
à 1699 (2,4 %) ; Plonévez-du-Faou : registres depuis 1634 soit 40
occurrences pour 1958 baptêmes de 1670 à 1699 (2 %) ; Scaër :
registres depuis 1632 soit 36 occurrences pour 2081 baptêmes de
1670 à 1699 (1,7 %).
KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 9
Il est possible d’affiner l’analyse par une étude
de la fréquence des transmissions du nom du
parrain à son filleul. Le graphique de la figure 6
présente les évolutions de ces fréquences dans les
quatre paroisses sélectionnées. Afin de pouvoir
comparer ces données avec les usages courants,
j’ai calculé le taux moyen des transmissions du
nom du parrain dans la paroisse de Scaër pour
quelques autres noms ( François, Guillaume,
Louis, Yvon, Etienne ) : dans la seconde moitié
du XVIIe siècle, ce taux avoisinait les 60 %.
16,0%
14,0%
12,0%
10,0%
8,0%
6,0%
4,0%
2,0%
0,0%
1600
1610
1620
1630
1640
1650
1660
1670
Plonévez du Faou
Scaër
1680
1690
-2,0%
Trégourez
Le Faouët
Figure 5 : Fréquences des attributions du nom Corentin à Trégourez,
Le Faouët, Plonévez-du-Faou et Scaër au XVIIe siècle
Les courbes confirment que le décollage du
nom s’est produit dans les années 1640.
À Trégourez, le nom est rarissime avant
1642 : une seule attribution en 1615 pour
un garçon baptisé un 12 décembre. A partir
de 1642, les dations du nom explosent, sans
qu’il y ait un seul parrain nommé Corentin
dans cette première décennie. On observe un
second accroissement brutal dans les années
1670. Cette seconde vague s’explique par le
parrainage intensif de Corentin Mahé, né dans
la paroisse en 1646, responsable de quinze
nominations de 1672 à 1698.
Dans les autres paroisses, les dations du nom
se développent également dans les années 1640
mais elles se stabilisent ensuite pour se fixer
autour de 2 % des attributions.
Les courbes de Trégourez et du Faouët
sont relativement similaires : il n’y a aucune
transmission du nom du parrain jusqu’aux
années 1660 parce qu’il n’y avait encore aucun
porteur du nom Corentin. Les transmissions
progressent d’un seul coup dans les années
1670, pour atteindre les taux habituels de
transmission à la décennie suivante, parce que
les enfants baptisés dans les années 1640-1650
étaient alors en âge d’être parrains.
À Plonévez-du-Faou, il y avait déjà quelques
porteurs du nom Corentin en âge d’être parrains
au moment où le nom est devenu populaire.
Ils ont été fortement sollicités dans les années
1640. On observe une seconde vague dans les
années 1670-1680 qui s’explique de la même
manière qu’à Trégourez et au Faouët.
À Scaër, le phénomène suit à peu près
l’évolution de Plonévez-du-Faou, mais avec un
décalage d’une décennie parce que les premiers
parrains porteurs du nom Corentin étaient
vraisemblablement nés dans les années 16201630.
80%
Conclusion
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
1600
1610
1620
1630
1640
1650
1660
1670
1680
1690
-10%
Trégourez
Le Faouët
Plonévez du Faou
Scaër
Figure 6 : Fréquences de la transmission du nom Corentin entre parrains et
filleuls à Trégourez, Le Faouët, Plonévez-du-Faou et Scaër, au XVIIe siècle
10 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021
L’histoire du prénom Corentin illustre
remarquablement
le
changement
des
motivations de la nomination au XVIIe siècle.
Au Moyen Âge et à la Renaissance, on choisissait
un nom pour ses connotations. Il fallait qu’elles
soient suffisamment positives pour que le nom
puisse être réellement propice à l’enfant. Ces
connotations étaient d’autant plus fortes si des
personnages prestigieux l’avaient déjà porté. La
dation du nom ne créait pas toutefois de lien
particulier entre les personnages référentiels
et les nouveaux porteurs. Si le référent était
un saint, il n’en devenait pas pour autant le
Chapelle Saint-Corentin à Carnoët – Photo de J.C Even
saint patron du baptisé. Le saint patron d’un
individu était le saint patron de sa communauté,
de sa corporation ou de sa confrérie. À la suite
des prescriptions du concile de Trente, les
promoteurs de la réforme catholique érigèrent
au XVIIe siècle le saint homonyme en saint
patron personnel et protecteur attitré. Le saint
dont on portait le nom devenait en quelque
sorte un parrain spirituel.
L’essor du nom Corentin s’explique par le
souhait des réformateurs catholiques d’utiliser
les noms de baptême comme outils de
propagation de la foi et de la piété. Le nom
se diffuse essentiellement à partir des années
1640, sous l’impulsion de Julien Maunoir,
ardent promoteur du culte de saint Corentin.
Paradoxalement, au XVIIe siècle, la diffusion
du nom est fondamentalement d’essence
religieuse mais il n’existe pas de corrélation
particulière avec les anciens lieux de culte
placés sous le patronage du saint. La fréquence
des attributions du nom reflète néanmoins
l’intensité de la dévotion au saint et celle-ci se
refroidit au fur et à mesure que l’on s’éloigne de
la basse Cornouaille. Ce manque d’intérêt des
populations de l’extrémité du diocèse pour le
saint quimpérois n’avait pas échappé à Julien
Maunoir. En 1646, à l’occasion d’une mission
à Mûr-de-Bretagne, il découvrit l’existence d’un
ancien culte à saint Elouan, appelé saint Luhan
par la population locale. La tradition le donnait
pour un ermite envoyé dans la région par saint
Tugdual pour y mener une vie solitaire. Le père
Maunoir voulut en restaurer le culte, compila
des notes sur la vie du saint et en fit l’un des
secrétaires et premier disciple de saint Tugdual,
l’apôtre de la Cornouaille occidentale. Les
premières attributions du nom du saint comme
nom de baptême se firent en 1650, l’année ou
Maunoir effectua sa seconde mission dans la
région.
Pierre-Yves Quémener
KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 11