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Histoire du prénom Corentin

2021, Kaier ar Poher, n° 73

Histoire de la diffusion du nom Corentin en Bretagne

Histoires de prénoms Corentin Pierre-Yves Quémener L’histoire de la diffusion du nom Corentin est particulièrement originale. Le nom est typiquement breton, et plus précisément cornouaillais. Son référent indiscutable est saint Corentin, fondateur présumé de l’évêché de Quimper au Ve ou VIe siècle. À ce titre, il est honoré comme l’un des sept saints fondateurs bretons avec Samson, Malo, Patern, Brieuc, Tugdual et Paul Aurélien. Du point de vue de la nomination, Corentin se distingue pourtant très nettement de ses pairs puisque son nom va connaître une diffusion très importante en Cornouaille tandis que les noms des autres saints fondateurs seront très peu repris dans leurs territoires. On verra que la popularité du nom Corentin au XVIIe siècle doit beaucoup à la stratégie missionnaire du père Maunoir. Cette popularité tardive explique d’ailleurs pourquoi l’on ne rencontre quasiment jamais le nom Corentin comme nom de famille. 2 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 L’insaisissable saint Corentin Saint de papier par excellence, le fondateur de l’évêché de Quimper est un inconnu. Corentin est pourtant mentionné vers 880 dans la Vie de saint Guénolé : « Dirigeant tout le pays, le sage Gradlon tenait alors les pouvoirs terrestres ; Corentin tendait au peuple assoiffé l’eau par lui puisée, dans l’ordre saint, brillant de l’éclat sacré du corps du Christ : il mérita par ses actes d’être appelé évêque éminent, lui qui joignit à l’éminente dignité épiscopale la rude vie d’ermite »1. Quoique sa fête soit citée dès la fin du Xe siècle dans les litanies des saints du psautier de Salisbury2, on s’étonne que Corentin n’ait donné son nom à aucune localité en Plou-, Lan-, Tré-, ni même à un Lok3. Cette absence, tout à fait inhabituelle pour les anciens saint bretons, laisse planer un doute sur l’historicité du personnage. Il n’en demeure pas moins que Corentin était considéré, dès le début du Xe siècle, comme un « évêque éminent » de l’église dont il était le patron. Un acte du cartulaire de Landévennec, dont la rédaction se situe entre 884 et 913, mentionne en effet un certain Huarnuethen, désigné comme évêque de Saint-Corentin4. L’auteur de la Chanson d’Aiquin, composée au tournant du XIIIe siècle, lui a consacré les dernières pages de son roman5. Le roi sarrazin Aiquin est poursuivi en Bretagne par l’empereur Charlemagne. Chassé tour à tour de Carhaix puis de son château du Mené (Menez-Hom), l’émir Aiquin s’enfuit vers la 1 Stéphane Lebecq (dir.), Cartulaire de Saint-Guénolé de Landévennec, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 139. 2 Bernard Tanguy, « Anciennes litanies bretonnes des Xe et XIe siècles », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 131, 2002, p. 462. Courentine (ou Courentin, Chourentine), est également mentionné dans les litanies des saints du psautier de Reims (Xe s.), dans le recueil de l’abbaye Saint-Martial de Limoges (XIe s.) et dans les litanies du Missel de Saint-Vougay (fin du XIe s.). Voir Bernard Tanguy, « De l’origine des anciennes litanies bretonnes des Xe et XIe siècles », Britannia Monastica, t. 10, 2006, p. 43-61. 3 R. Largillière, « Saint Corentin et ses vies latines. A propos d’une publication récente », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 52, 1925, p. 89. 4 Huaruuethen, episcopo Sancti Chourentini. Voir R.-F. Le Men et E. Ernault (éd.), Cartulaire de Landévennec, Paris, 1886, p. 561, ch. 24 ; Bernard Tanguy, « Hagionomastique et histoire. Pabu Tugdual alias Tudy et les origines du diocèse de Cornouaille », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 115, 1986, p. 124. 5 Sur ce sujet, voir André-Yves Bourgès, La Chanson d’Aiquin et saint Corentin, 2009, notule mise en ligne sur le site https://www. academia.edu/6701203/La_Chanson_dAiquin_et_saint_Corentin, consultée le 13 mars 2021 ; Jean-Christophe Cassard, « Propositions pour une lecture historique croisée du Roman d’Aiquin », Cahiers de civilisation médiévale, 2002, t. 45, p. 111-127. forêt de Nevet. Il y découvre l’ermitage de saint Corentin et le chasse de son sanctuaire. À aucun moment, on ne dit que Corentin est ou fut évêque de Quimper. Pour l’auteur de la chanson, Corentin est un contemporain de Charlemagne, à la différence de saint Samson, fondateur de l’évêché de Dol, ou de saint Malo, un « bienheureux venu d’Angleterre », dont on présume qu’ils appartiennent à un passé déjà lointain6. Il existe en fait un flou permanent sur l’époque à laquelle aurait vécu le saint ermite. Un document du cartulaire de Landévennec fait aussi de Corentin et de Guénolé deux contemporains de Charlemagne. Le roi des Francs aurait envoyé auprès du roi Gradlon une délégation pour le prier de l’assister dans son combat contre les païens7. Cette délégation était composée des saints Florent, Médard et Philibert. La rencontre simultanée de tous ces illustres personnages pose un problème chronologique évident. On peut penser que chacun d’entre eux représentait en fait une entité spécifique : Corentin désignerait l’évêque de Quimper ; Guénolé, l’abbé de Landévennec ; Gradlon, le comte de Cornouaille, et ainsi de suite. Marc Simon avait cependant émis l’hypothèse que le « roi Gradlon » pouvait aussi être Gradlon Plonéour, comte de Cornouaille au début du IXe siècle, camouflé derrière la figure du roi légendaire8. Dans les litanies des saints bretons, Corentin n’est jamais cité en même temps que les saints les plus honorés. Il forme toujours un binôme avec Guénolé mais, la plupart du temps, l’abbé 6 La Chanson d’Aiquin, traduit et présenté par Jean-Claude Lozac’hmeur et Maud Ovazza, Paris, Picollec, 1985, p. 50, 100, 191193. 7 R.-F. Le Men et E. Ernault (éd.), Cartulaire de Landévennec, Paris, 1886, p. 5598559, ch. 20. Texte traduit par Marc Simon dans L’abbaye de Landévennec, de saint Guénolé à nos jours, OuestFrance, 1985, p. 43. 8 Marc Simon, « Les rapports entre les abbayes de Redon et de Landévennec du IXe au XIIe siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 63, 1986, p. 123. Sur le personnage de Gradlon Plonéour, voir aussi Bernard Tanguy, « Hagionomastique et histoire. Pabu Tugdual alias Tudy et les origines du diocèse de Cornouaille », art. cit., p. 133-139 ; Jean-Paul Soubigou, « Recherches sur les origines du Kemenet de Cornouaille (IXe – XIe siècles) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 115-1, 2008, p. 104 ; Joëlle Quaghebeur, La Cornouaille du IXe au XIIe siècle, Quimper, Société archéologique du Finistère, 2001, p. 39-48. Dans la Vie de saint Corentin, l’épisode de la visite impromptue du roi Gradlon à l’ermitage de Corentin dans la forêt de Plomodiern offre un écho remarquable au récit de la chanson d’Aiquin. KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 3 Figure 1 : Saint Corentin – Église de Saint-Thuriau à Landivisiau – Photo Thesupermat pour Wikimedia Commons de Landévennec précède l’évêque de Quimper9. Finalement, on serait tenté de voir en Corentin un ermite du début du IXe siècle, devenu évêque de Quimper, proclamé tardivement saint patron de la Cornouaille. À la suite des invasions normandes des IXe et Xe siècles, le clergé breton s’exila massivement en territoire franc, emportant avec lui ce qu’il avait de plus précieux, à savoir les reliques des saints de ses monastères et de ses évêchés10. Ce fut le cas notamment pour celles de Corentin qui furent transférées à l’abbaye de Marmoutier, près de Tours, sans doute au cours du Xe siècle11. Un texte d’un passionnaire de Quimper rapporte le récit de cette translation et de la grande tristesse des Bretons « de se voir privés d’un joyau de si grand prix »12. La Vie de saint Ronan, composée 9 C’est le cas dans les psautiers de Reims et de Salisbury, ainsi que dans le recueil de Saint-Martial de Limoges. Chourentine précède Guingualoee dans le Missel de Saint-Vougay. 10 Hubert Guillotel, « L’exode du clergé breton devant les invasions scandinaves », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 59, 1982, p. 269-315. 11 Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, Minihi Levenez, 1999, p. 25. 12 François Plaine, Vie inédite de saint Corentin, Extrait du Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 1886, p. 58-61. 4 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 au début du XIIe siècle, rappelle pareillement la douleur des Cornouaillais d’avoir perdu les reliques de leurs saints fondateurs : « C’est un fait qu’en ce temps-là, tu perdis le très saint abbé Guénolé, précieux confesseur du Christ […]. Or, du fait de la méchante folie de ton comte parricide, tu avais auparavant perdu ton patron, le très sacré évêque Corentin, vénérable archimandrite et confesseur du Christ […]. Il est long de faire connaître et surtout il est douloureux de raconter combien à cette époque, en raison des ignominies abominables de tes habitants, tu perdis de précieuses reliques de saints, desquelles, aucune, hélas, n’est revenue vers toi »13. L’église de Quimper réussit néanmoins à récupérer une partie des reliques de son saint patron puisqu’un inventaire du trésor de la cathédrale, daté de 1273, citait, parmi diverses reliques, « une partie du bras de saint Corentin, dans un bras de bois argenté », ainsi qu’une « dent de saint Corentin avec l’os de son bras »14. Il y a tout lieu de croire que Rainaud, évêque de Quimper de 1219 à 1245, ait été l’instigateur du rapatriement du bras de Corentin en Bretagne et il est vraisemblable que la translation eut lieu la première année de son accession à l’épiscopat15. Un acte du cartulaire de l’église de Quimper, daté de l’année 1219, rapporte en effet que le fils d’un certain Alain prêta serment cette année-là « sur l’Evangile et le bras de saint Corentin »16. Les attributions du nom Corentin comme nom de baptême Au bas Moyen Âge, la ferveur dont bénéficiait saint Corentin dans la piété cornouaillaise n’a eu aucune incidence sur la diffusion de son 13 Traduction par André-Yves Bourgès dans « Mythes fondateurs de la Cornouaille. La quaternité cornouaillaise, une construction idéologique à l’époque carolingienne en Bretagne », dans André-Yves Bourgès et Valéry Raydon (éd.), Hagiographie bretonne et mythologie celtique, éditions du Cénacle et Terre de Promesse, 2016, p. 285. 14 R.-F. Le Men, Monographie de la cathédrale de Quimper (XIIIe – XVe siècles), Quimper, Jacob – Lemercier, 1877, p. 349-351, avec une notice sur l’histoire des reliques de saint Corentin (p. 351-359). 15 L’évêque Rainaud est également donné comme l’auteur de la Vie de saint Corentin composée vers 1235. Voir André-Yves Bourgès, « À propos de la vita de saint Corentin », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127, 1998, p. 291-303 et « Un saint de papier. Corentin au travers de son dossier hagiographique », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 140, 2012, p. 227-240 ; Joseph-Claude Poulin, L’hagiographie bretonne du haut Moyen-Âge. Répertoire raisonné, Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2009, p. 451. 16 P. Peyron (éd.), « Cartulaire de l’église de Quimper », Bulletin de la Commission diocésaine d’architecture et d’archéologie du diocèse de Quimper et de Léon, t. 1, 1901, p. 278-279 (doc. 28). 3,0% 2,5% 2,0% nom comme nom de baptême. C’est d’ailleurs la même chose pour tous les anciens saints 1,5% bretons du haut Moyen Âge, qu’ils aient été fondateurs d’abbayes ou d’évêchés, ou simples patrons de paroisse. Jusqu’au XVe siècle, la vénération pour un saint n’était pas un critère 1,0% prioritaire lorsqu’il s’agissait de choisir un nom de baptême pour un enfant. On donnait de préférence les noms que l’on estimait 0,5% être les plus bénéfiques et les plus propices à l’enfant, ceux qui lui porteraient chance et lui assureraient longue vie et prospérité. On pensait que l’enfant0,0% pouvait hériter d’une 1600 partie des qualités évoquées par son1610nom. On s’attendait également à ce que l’enfant devienne ce que son nom signifiait. La reprise du nom Corentin comme nom de baptême à partir du XVe siècle s’inscrit dans une phase de renouvellement des répertoires onomastiques, favorable aux noms des anciens martyrs et confesseurs. La diffusion restait encore tout à fait confidentielle. J’ai relevé un seul porteur du nom – Corentin Tremillec, de Loctudy – dans la montre de la noblesse de Cornouaille, réunie à Carhaix les 4 et 5 septembre 1481, sur un total de mille trente-trois individus17. Ce n’est guère mieux au siècle suivant, ni même dans les quatre premières décennies du XVIIe siècle18. Les registres de baptême sont encore peu nombreux pour cette période. On comptabilise seulement quatorze attributions du nom Corentin dans la base des baptêmes du CGHP, de 1540 à 1639, pour un total de dix-huit mille quatre cent trente noms : un à Spézet (1582), deux à Plouyé (1582, 1583), un à Huelgoat (1614), un à Trégourez (1615), un à Gourin (1615), un à Plounévez-Quintin (1630), trois à Laz (1631, 1632, 1637), un à Scaër (1633), deux à Châteauneuf-du-Faou (1633, 1634) et un à Plonévez-du-Faou (1635). Dans quatre de ces baptêmes, le parrain se nomme également Corentin. C’est le cas pour les deux baptêmes de Plouyé en 1582 et 1583, pour le baptême de Plonévez-du-Faou en 1635 et pour le dernier 17 Antiquités de la Bretagne : Finistère, par le chevalier de Fréminville, 1852, p. 316-378, 2002, en ligne sur le site Tudchentil. org, consulté le 14 mars 2021. 18 J’ai relevé dans les rôles de l’inscription maritime de Bordeaux, à l’année 1505, un maître de navire, originaire de Penmarc’h, qui disait s’appeler Korentin Audierne. Voir Jacques Bernard, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400 – vers 1550), Paris, SEVPEN, 1968, vol. 3, p. 198. Le surnom étant aussi peu courant que le nom de baptême, il est possible toutefois que l’homme se soit présenté par un nom d’usage. 3,5% 3,0% 2,5% 2,0% 1,5% 1,0% 0,5% 1620 0,0% 1600 1630 1610 1620 1640 1630 Corentin 1650 1650 1640 Corentin 1660 1660 1670 Joseph Joseph Figure 2 : Fréquence des attributions des noms Joseph et Corentin dans le Poher, au XVIIe siècle baptême de Laz en 1637. La fréquence des transmissions du nom du parrain à son filleul est naturellement faible puisque très peu de parrains portaient encore le nom. Dans six autres nominations, le baptême a eu lieu un 12 décembre, jour de la fête de saint Corentin19. La pratique de la dation du nom du saint du jour à l’enfant est généralement assez exceptionnelle mais il s’agit néanmoins d’un usage bien attesté. La proportion est ici d’autant plus forte qu’il y avait encore peu de porteurs du nom Corentin dans la population. La popularité du nom Corentin se développe véritablement dans le Poher à partir des années 1640. Dans les premières décennies, cette popularité s’accroît parallèlement à celle du nom Joseph comme on le voit sur le graphique de la figure 2. Le père Maunoir a joué un rôle majeur dans la diffusion de ces deux noms en Cornouaille, au XVIIe siècle. 19 À l’origine, saint Corentin était fêté le 1er mai, en même temps que saint Brieuc. Cf. Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, op cit, p. 33-39. Cependant, à partir du XIIIe siècle, apparaît également la fête de saint Corentin d’hiver ( festum sancti Chorentini hyemalis ), célébrée au 12 décembre. La première attestation de cette fête date de 1269 ( Cartulaire de Quimper, doc. 108 ). Il est possible qu’elle ait été instituée pour commémorer la translation des reliques de saint Corentin, au plus tard en 1219. Quelques années auparavant, en 1210, l’évêque de Saint-Brieuc avait institué au 18 octobre la fête de la translation de saint Brieuc, après avoir obtenu de la part de l’abbé de Saint-Serge d’Angers la restitution d’une partie des reliques du saint ( l’un des bras, deux côtes et une parcelle de la tête ). Cf. Jules Lamare, « Histoire de la ville de Saint-Brieuc », Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. 22, 1884, p. 25-28. On notera que la fête primitive se plaçait à une date importante du calendrier celtique ( la fête de Beltaine marquait le début de l’été ) et que le 12 décembre correspondait à quelques jours près au solstice d’hiver dans le calendrier julien à la fin du Moyen Âge. KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 5 1680 1670 1690 1680 Saint Corentin, Catherine Danielou et Julien Maunoir Le succès du nom Corentin à partir des années 1640 ne reflète pas une sympathie soudaine des Cornouaillais pour l’ensemble des noms des anciens saints bretons. Elle n’a pas fonctionné en effet avec la même intensité pour le nom de saint Guénolé : si Corentin cumule sept cent trente-huit attributions dans le Poher de 1540 à 1699, le nom du fondateur de l’abbaye de Landévennec n’en rassemble que quarante-quatre pour la même période. Pour comprendre le succès de Corentin dans les répertoires anthroponymiques, il nous faut revisiter l’histoire mouvementée du culte du saint patron de la Cornouaille. Pour une raison que nous ignorons, les reliques de saint Corentin avaient disparu de la cathédrale au début du XVIIe siècle. En 1623, Guillaume Le Prestre de Lezonnet, évêque de Quimper depuis 1614, se rendit à l’abbaye de Marmoutier où il sollicita les religieux de bien vouloir lui octroyer « quelque parcelle ou reliques du corps de saint Corentin »20. Il obtint gain de cause et rentra en Bretagne avec un nouveau bras de saint Corentin, l’humérus plus précisément. Mais, au lieu d’organiser une translation solennelle des précieuses reliques à Quimper, l’évêque préféra les conserver à titre privé dans son manoir de Scaër où elles restèrent pendant dix-sept années. Une jeune femme de Quimper, Catherine Danielou, joua un rôle déterminant dans le rétablissement du culte de saint Corentin. Catherine était une enfant très pieuse et elle eut, dès son plus jeune âge, de multiples visions de la Vierge et d’autres saints. En 1625, alors qu’elle n’avait encore que six ans, la Vierge lui recommanda de prendre pour protecteur et père spirituel saint Corentin, patron de la cathédrale de Quimper21. Par la suite, elle participa à de nombreuses missions organisées par Julien Maunoir dans toute la Bretagne. Après sa mort, en 1667, le père jésuite composa en son honneur une Vie de Catherine Danielou. 20 R.-F. Le Men, Monographie de la cathédrale de Quimper…, op. cit., p. 353. 21 Abbé Perrot, Histoire de Catherine Danielou, Saint-Brieuc, Prudhomme, 1913, p. 8. Cet ouvrage est l’adaptation et l’édition de la vie manuscrite de Catherine Danielou rédigée par Julien Maunoir. 6 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 Il y évoquait la désuétude du culte de saint Corentin au début du XVIIe siècle : « Au temps où la petite Catherine commença son noviciat du Calvaire, il n’y avait aucun, ni en Bretagne, ni même à Quimper ou en Cornouaille, qui eût souvenir des obligations qu’on a eues en ces contrées à ce grand saint apôtre et premier évêque de Cornouaille, saint Corentin. On ne disait plus de messe à son autel, on ne faisait aucun sermon le jour de sa fête qui arrivait toujours en Avent, à moins qu’elle ne tombât un dimanche. Si c’était un jour ouvrier, les gens allaient à la foire qui commençait ce jour-là et durait toute l’octave, et même jusqu’à Noël ; la nuit on allait au bal. Ce grand saint avait été autrefois grandement honoré, même des étrangers, mais les Normands vinrent qui brûlaient tous les corps saints, ce qui obligea Messieurs de Quimper à transporter le corps de leur premier évêque au couvent de Marmoutier, près de Tours. Depuis ce temps, l’oubliance vint au point que les habitants ne savaient plus même où était sa statue »22. En 1639, une peste éclata à Quimper. Julien Maunoir y vit la conséquence d’un sacrilège intervenu la même année à la fontaine SaintCorentin : « Environ l’an 1639, un certain scélérat ayant lapidé et décapité l’image de saint Corentin, qui avait été mise depuis peu à une fontaine qu’on avait faite au bout de la rue Neuve, ce sacrilège fut suivi incontinent d’un fléau de la justice divine. Au même lieu où le crime avait été commis, une peste extraordinaire moissonna la troisième partie de cette ville qui, depuis plusieurs années, avait oublié les obligations qu’elle avait à son premier évêque. Il n’y avait, en tout l’évêché, que deux personnes qui eussent des sentiments de piété pour ce prélat. Catherine fut la première qui porta le deuil de ce cruel attentat, elle accourut à la fontaine ; y ayant vu la statue de son saint protecteur renversée et la tête brisée, elle se mit à pleurer avec plus de douleurs que si son propre père avait été égorgé. L’autre personne fut le père Bernard, un des premiers pères de la 22 Id., p. 18 Compagnie de Jésus qui furent envoyés au commencement du collège de Quimper »23. Pierre Bernard fut le compagnon de Julien Maunoir dès ses premières missions, en fin d’année 1640, et jusqu’à sa mort en 1654. Le 2 février 1640, il eut une révélation : la peste cesserait si l’on implorait saint Corentin. Il en avisa les bourgeois de la ville qui firent illico le vœu d’aménager dans la cathédrale un lieu destiné à recevoir le bras du saint. L’épidémie cessa immédiatement24. Mais la relique était encore à Scaër, chez Guillaume Le Prestre. Celui-ci mourut dans l’année et, le 7 novembre, veille de sa mort, il stipula dans son testament qu’il souhaitait que la relique de saint Corentin fût « rendue en son église cathédrale de Cornouailles »25. Le lendemain, une délégation venue de Quimper rapporta sans attendre les précieuses reliques pour les placer dans le trésor de la cathédrale. La translation officielle eut lieu le 3 mai 1643, trois mois après la consécration de René du Louet à l’épiscopat de Quimper. L’épisode marqua profondément le père Bernard. Julien Maunoir nota dans son Journal qu’il prit alors conscience que « chaque lieu et chaque ordre religieux avaient leur saint patron, qu’il fallait par exemple recourir à saint Ignace quand il était question de la Compagnie de Jésus, à saint Louis, roi de France, pour les intérêts du royaume, et ainsi de suite »26. En l’occurrence, les intérêts de la Cornouaille se devaient d’être confiés à saint Corentin. Le père Maunoir ne cessa de faire la promotion de son culte et rédigea à cette intention une Vie de saint Corentin / Buhez sant Caurintin, placée en introduction à ses Canticou spirituel et inspirée en partie par les visions de Catherine Danielou27. La voyante avait en effet appris de saint Joseph l’histoire de saint Corentin, « les croix qu’il avait portées », comment « il avait été dans les souffrances jusqu’à sa mort, qu’il 23 P. Peyron, « Catherine Danielou, une voyante à Quimper au XVIIe siècle », Bulletin de la Commission diocésaine d’architecture et d’archéologie du diocèse de Quimper et de Léon, t. 9, 1909, p. 170. 24 Éric Lebec, Miracles et sabbats. Journal du père Maunoir, Paris, Editions de Paris, 1997, p. 55 ; Albert Le Grand, Les vies des saints de la Bretagne Armorique, édition annotée par A.-M. Thomas, J.-M. Abgrall et P. Peyron, Quimper, Vatar, 1901, p. 692. 25 R.-F. Le Men, Monographie de la cathédrale de Quimper…, op. cit., p. 354. 26 Éric Lebec, Miracles et sabbats, op. cit., p. 55. Cf. pour la protection de saint Corentin, p. 54, 63, 66. 27 Julian Maner, Canticou spirituel hac instructionou profitable vit disqui an hent da vont d’ar Barados, Quemper, Perier, 1686, p. 5-24. avait commencé à souffrir dès sa jeunesse ; que, tâchant de convertir ceux de son pays, il fut persécuté, appelé sorcier, voleur, perceur de maison, affronteur, que quand on l’injuriait il riait de joie et disait : « Dieu soit loué » ! Qu’il fut poursuivi de flèches et de fourches de fer, qu’on le chercha à tuer, ce qui l’obligea de venir en Cornouaille pour y gagner des âmes. Qu’étant venu prêcher en ce pays, il fut garrotté, qu’on lui jetait de la fange au visage, que les paysans l’attendaient au bout des champs pour le battre ; qu’il fut obligé de se retirer dans les bois, où il fut persécuté des démons ; qu’il retourna derechef dans son pays, pour voir s’il pouvait gagner quelquesuns à Jésus-Christ ; que les méchants n’avaient pu le supporter ; qu’il fut contraint d’aller à Rome, à Jérusalem, en Egypte, où il vit saint Antoine, qu’il retourna en Bretagne, où il fut le père de plusieurs anachorètes »28. Il semble bien que les déboires missionnaires de Julien Maunoir aient quelque peu imprégné les visions de Catherine Danielou. La répartition du nom dans le Poher Existe-il une concordance entre la situation géographique des lieux de culte dédiés à saint Corentin et la fréquence des attributions de son nom comme nom de baptême ? Avant d’analyser la diffusion du nom dans le Poher, examinons la localisation des églises et chapelles dans les anciens évêchés bretons. Figure 3 : Carte de la répartition des lieux de culte de saint Corentin en Bretagne - Source : Job an Irien, Vie et culte de saint Corentin 28 P. Peyron, « Catherine Danielou, une voyante à Quimper au XVIIe siècle », art. cit., t. 10, 1910, p. 22. KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 7 Les lieux de culte sont relativement peu nombreux. On en compte deux dans le Vannetais. Corentin était le patron de l’église paroissiale de Billio au XVIe siècle. A SaintBarthélemy, la chapelle actuelle du XVIIe siècle fut construite sur l’emplacement d’une chapelle plus ancienne, dédiée également à saint Corentin. La majorité des lieux de culte se situe naturellement en Cornouaille. Sur la carte de la figure 3, Corentin est donné comme patron de quatre églises paroissiales ( Quimper, Trégornan, Saint-Connan et le Vieux-bourg de Quintin ). En fait, Trégornan est une ancienne trève de Glomel et Saint-Connan une ancienne trève de Saint-Gilles-Pligeaux. Le culte du saint est manifestement tardif car les églises paroissiales avaient déjà leur titulaire quand il a commencé à se répandre29. Le patronage de l’église du Vieux-Bourg est cependant ancien et remonte au moins au début du XIIIe siècle puisque l’église Saint-Corentin est citée dans un testament de 122530. Il n’est pas impossible que l’évêque Rainaud, dont il a déjà été question plus haut, soit à l’initiative de ce patronage. Pour le reste, les chapelles dédiées à saint Corentin se situent de part et d’autre de l’ancien diocèse de Quimper. Six d’entre elles appartiennent à la basse Cornouaille ( Le Trévoux, Plonéour-Lanvern, Sein, Plogonnec, Plomodiern et Briec ). La majorité des lieux de culte se situe cependant en haute Cornouaille. Les chapelles Saint-Corentin de Carnoët et de Corlay datent du XVe siècle31. Celles de Scrignac ( Trénivel et Toul-ar-Groaz ), de Neuillac et de saint-Connan sont du XVIe siècle32. L’église paroissiale de Trégornan a été bâtie en 161933. Tous les édifices placés sous le patronage de saint Corentin l’ont été avant la résurgence du culte, sous l’impulsion du père Maunoir, à partir 29 Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, op. cit., p. 93. 30 Bernard Tanguy, Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses des Côtes d’Armor, Douarnenez, ArMen – Le ChasseMarée, 1992, p. 357. 31 René Couffon, « Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier », Bulletins et mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. 70, 1938, p. 73, 93. 32 René Couffon et Alfred Le Bars, Nouveau répertoire des églises et chapelles. Diocèse de Quimper et de Léon, Association diocésaine de Quimper, 1988, p. 414 ; René Couffon, « Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier », op. cit., t. 71, 1939, p. 250 ; Job an Irien, Saint Corentin, vie et culte, op. cit., p. 99. 33 René Couffon, « Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier », op. cit., t. 70, 1938, p. 126. 8 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 des années 1640. Il est assez surprenant de relever autant de lieux de culte à saint Corentin si loin de Quimper et des lieux où le saint est censé avoir vécu. Il me semble que c’est précisément cet éloignement qui a motivé leur édification. L’implantation de chapelles dédiées à saint Corentin, en haute Cornouaille, était un moyen pour l’évêque de Quimper de marquer son territoire. On notera d’ailleurs qu’elles se situent presque toutes à la limite des évêchés voisins34. Examinons à présent les corrélations entre les emplacements des lieux de culte à saint Corentin et la localisation des attributions du nom de baptême. La carte de la figure 4 présente la fréquence des attributions du nom Corentin dans les actes de baptême enregistrés dans la base du CGHP de 1670 à 1699. Les attributions étaient-elles plus fréquentes dans les paroisses qui honoraient saint Corentin ? Pas vraiment. L’impression dominante qui ressort de cette carte est que la fréquence du nom est d’autant plus forte que l’on se rapproche de Quimper. Il y a un phénomène de polarisation. Le nom semble se propager à partir du cœur de l’évêché et l’intensité diminue au fur et à mesure que l’on s’en éloigne35. La faiblesse des attributions dans les paroisses du Poher est assez significative. Il y a bien quelques attributions à Scrignac ( 9 cas pour 524 baptêmes, soit 1,7% ) et à Trégornan ( 7 cas pour 440 baptêmes, soit 1,6% )36. Par contre, on ne relève qu’une seule occurrence à Saint-Connan ( un baptême un 13 décembre ) et pas une seule dans la trève de Saint-Corentin en Carnoët ( 137 baptêmes ). Les paroisses orientales du Vieux-Bourg, de Corlay et de Neuillac se situent en dehors de l’aire d’étude du CGHP. Elles ne figurent donc pas sur cette carte. Les données recueillies auprès du Centre généalogique des Côtes-d’Armor confirment 34 Il est remarquable de constater un procédé identique dans l’ancien évêché de Vannes : les seules chapelles du pays vannetais dédiées à saint Patern se situent dans le nord-ouest du diocèse, aux limites de la Cornouaille. Cf. Jean-Paul Eludut, « Les hauteurs fortifiées de l’Ellé au Blavet : une ligne de crête stratégique ? », Société d’histoire et d’archéologie du pays de Lorient, t. 40, 2011-2012, p. 40. On peut noter également l’existence de plusieurs toponymes « Saint-Malo » tout au sud de l’ancien évêché de Saint-Malo (Saint-Malo-de Beignon, Saint-Malo-des-Trois-Fontaines). 35 Pour la distribution du nom Corentin au XVIIIe siècle dans le département actuel du Finistère, voir Pierre-Yves Quémener, « Histoire des prénoms en Bretagne, du Moyen Âge à la Révolution », Kaier ar Poher, n° 35, 2011, p.13. 36 Sur la carte de la figure 4, la couleur indiquée pour Trégornan est en vert clair car les données de la trève ont été regroupées avec celles de Glomel (3 cas pour 1374 baptêmes) et de la trève de SaintMichel (1 cas pour 312 baptêmes). Pluzunet Bégard PlouégatMoysan Le Ponthou Trégrom Guerlesquin Plougonven Le CloîtreSt-Thégonnec Lohuec Sizun St-Rivoal Botmeur Locqueffret Berrien Huelgoat La ChapelleNeuve LocmariaBerrien Carnoët Duault Landugen StSt-Idunet Corentin Plouyé St-Tudec Locarn Plounévézel Trébrivan Lannédern Collorec Ste-Catherine MaëlTreffrin Kergloff Carhaix Le-CloîtreCarhaixLandeleau Pleyben PlonévezPlouguer Le Moustoir Cléden-Poher du-Faou St-Quijeau Poullaouen St-Ségal Ploumagoar StSt-Péver Adrien Bourbriac Bulat-Pestivien (Pestivien) St-Fiacre Plésidy SenvenLéhart Maël- Kerien Pestivien St-Gildas St Connan Magoar Kerpert St-GillesLe Loch Le Vieux-Bourg Pligeaux St- PeumeritLanrivain Nicodème Quintin St-Servais (Burthulet) Brasparts Lopérec Gurunhuel PontMelvez Botmel (Callac) Plusquellec Grâces Coadout Plougonver Calanhel Coatquéau Brennilis Moustéru Bolazec Scrignac La Feuillée Tréglamus LocEnvel Plougras Lannéanou Plounéour-Ménez Commana LoguivyPlougras Botsorhel Plouisy Plounévez- Belle-Isle Moëdec en-Terre Plouigneau Évêché de Tréguier Pédernec Louargat Plounérin Trémargat KergristMoëlou PlounévezQuintin St-Nicolas- Canihuel Le Haut-Corlay du-Pélem (Bothoa) Corlay StSte- Ygeaux Plussulien Tréphine Lennon St-Coulitz Le Quilliou Laniscat Rostrenen Plévin Paule St-Mayeux St-Hernin Plouguer- Gouarec ChâteauneufSt-Gelven Motreff Glomel Locmarianével (St-Gilles) Lothey du -Faou Le MoustoirRosquelfen Gaudin Spézet Gouézec Mûr-de-Bretagne Ruelin Tréogan St-Michel Bonen Plélauff St Perret Thois Trégornan St-Goazec St-Aignan La TrinitéSteMellionnec Laz LescouëtEdern Langonnet Brigitte Gouarec Gourin Guellevain Trégourez Silfiac Plouray Briec Locuon Roudouallec Leuhan Cléguérec Le Saint Langonnet StLangoëlan Langolen Séglien Tugdual Coray Landudal Ploërdut Pt-Briand GuémenéLe Guiscriff sur-Scorff Malguénac Le Faouët Priziac Elliant Croisty Tourch Scaër Locmalo Évêché de Quimper St-CaradecLignol Guern Trégomel Évêché de Vannes Lanvénégen Persquen Kernascléden Pleyben Meslan Rosporden St-Thurien Bannalec Berné Inguiniel Querrien Guilligomarch Bubry Plouay Fréquence des attributions en % des noms masculins De 5,5 % à 10,5 % De 0,5 % à 0,9 % De 3,0 % à 3,3 % De 0,3 % à 0,4 % De 2,0 % à 2,5 % 0,2 % De 1,5 % à 1,9 % 0,1 % De 1,0 % à 1,4 % Moins de 0,1 % Limites des anciens évêchés Figure 4 : Fréquence des attributions du nom Corentin dans le Poher, de 1670 à 1699 néanmoins les résultats observés dans le Poher. Au Vieux-Bourg, où saint Corentin était le patron de la paroisse depuis le XIIIe siècle, on relève un seul baptême de Corentin entre 1670 et 1699. À Corlay, pour la même période, nous avons un Corentin Marie en 1684 et un Jan Corentin en 168637. Il n’existe donc pas de corrélation forte entre la fréquence des attributions du nom Corentin et l’existence d’une chapelle ou d’une église 37 Les attributions représentent 0,2 % au Vieux-Bourg ( pour 484 baptêmes de garçons de 1670 à 1699 ) et 0,7 % à Corlay ( pour 301 baptêmes ). Je remercie vivement Dominique Payen et Guy Mahé du CG22 pour la communication de ces informations. dédiée à saint Corentin dans la paroisse. Les fréquences les plus importantes sont observées dans des localités où le saint n’était pas honoré. J’ai analysé plus en détail l’évolution des attributions du nom dans quatre paroisses pour lesquelles nous avons des registres de baptême anciens et des attributions importantes : Trégourez, Le Faouët, Plonévez-du-Faou et Scaër (figure 5)38. 38 Trégourez : registres depuis 1607, 40 attributions du nom Corentin pour 492 baptêmes de 1670 à 1699 (8,1 %) ; Le Faouët : registres depuis 1643 soit 43 occurrences pour 1817 baptêmes de 1670 à 1699 (2,4 %) ; Plonévez-du-Faou : registres depuis 1634 soit 40 occurrences pour 1958 baptêmes de 1670 à 1699 (2 %) ; Scaër : registres depuis 1632 soit 36 occurrences pour 2081 baptêmes de 1670 à 1699 (1,7 %). KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 9 Il est possible d’affiner l’analyse par une étude de la fréquence des transmissions du nom du parrain à son filleul. Le graphique de la figure 6 présente les évolutions de ces fréquences dans les quatre paroisses sélectionnées. Afin de pouvoir comparer ces données avec les usages courants, j’ai calculé le taux moyen des transmissions du nom du parrain dans la paroisse de Scaër pour quelques autres noms ( François, Guillaume, Louis, Yvon, Etienne ) : dans la seconde moitié du XVIIe siècle, ce taux avoisinait les 60 %. 16,0% 14,0% 12,0% 10,0% 8,0% 6,0% 4,0% 2,0% 0,0% 1600 1610 1620 1630 1640 1650 1660 1670 Plonévez du Faou Scaër 1680 1690 -2,0% Trégourez Le Faouët Figure 5 : Fréquences des attributions du nom Corentin à Trégourez, Le Faouët, Plonévez-du-Faou et Scaër au XVIIe siècle Les courbes confirment que le décollage du nom s’est produit dans les années 1640. À Trégourez, le nom est rarissime avant 1642 : une seule attribution en 1615 pour un garçon baptisé un 12 décembre. A partir de 1642, les dations du nom explosent, sans qu’il y ait un seul parrain nommé Corentin dans cette première décennie. On observe un second accroissement brutal dans les années 1670. Cette seconde vague s’explique par le parrainage intensif de Corentin Mahé, né dans la paroisse en 1646, responsable de quinze nominations de 1672 à 1698. Dans les autres paroisses, les dations du nom se développent également dans les années 1640 mais elles se stabilisent ensuite pour se fixer autour de 2 % des attributions. Les courbes de Trégourez et du Faouët sont relativement similaires : il n’y a aucune transmission du nom du parrain jusqu’aux années 1660 parce qu’il n’y avait encore aucun porteur du nom Corentin. Les transmissions progressent d’un seul coup dans les années 1670, pour atteindre les taux habituels de transmission à la décennie suivante, parce que les enfants baptisés dans les années 1640-1650 étaient alors en âge d’être parrains. À Plonévez-du-Faou, il y avait déjà quelques porteurs du nom Corentin en âge d’être parrains au moment où le nom est devenu populaire. Ils ont été fortement sollicités dans les années 1640. On observe une seconde vague dans les années 1670-1680 qui s’explique de la même manière qu’à Trégourez et au Faouët. À Scaër, le phénomène suit à peu près l’évolution de Plonévez-du-Faou, mais avec un décalage d’une décennie parce que les premiers parrains porteurs du nom Corentin étaient vraisemblablement nés dans les années 16201630. 80% Conclusion 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 1600 1610 1620 1630 1640 1650 1660 1670 1680 1690 -10% Trégourez Le Faouët Plonévez du Faou Scaër Figure 6 : Fréquences de la transmission du nom Corentin entre parrains et filleuls à Trégourez, Le Faouët, Plonévez-du-Faou et Scaër, au XVIIe siècle 10 ■ KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 L’histoire du prénom Corentin illustre remarquablement le changement des motivations de la nomination au XVIIe siècle. Au Moyen Âge et à la Renaissance, on choisissait un nom pour ses connotations. Il fallait qu’elles soient suffisamment positives pour que le nom puisse être réellement propice à l’enfant. Ces connotations étaient d’autant plus fortes si des personnages prestigieux l’avaient déjà porté. La dation du nom ne créait pas toutefois de lien particulier entre les personnages référentiels et les nouveaux porteurs. Si le référent était un saint, il n’en devenait pas pour autant le Chapelle Saint-Corentin à Carnoët – Photo de J.C Even saint patron du baptisé. Le saint patron d’un individu était le saint patron de sa communauté, de sa corporation ou de sa confrérie. À la suite des prescriptions du concile de Trente, les promoteurs de la réforme catholique érigèrent au XVIIe siècle le saint homonyme en saint patron personnel et protecteur attitré. Le saint dont on portait le nom devenait en quelque sorte un parrain spirituel. L’essor du nom Corentin s’explique par le souhait des réformateurs catholiques d’utiliser les noms de baptême comme outils de propagation de la foi et de la piété. Le nom se diffuse essentiellement à partir des années 1640, sous l’impulsion de Julien Maunoir, ardent promoteur du culte de saint Corentin. Paradoxalement, au XVIIe siècle, la diffusion du nom est fondamentalement d’essence religieuse mais il n’existe pas de corrélation particulière avec les anciens lieux de culte placés sous le patronage du saint. La fréquence des attributions du nom reflète néanmoins l’intensité de la dévotion au saint et celle-ci se refroidit au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la basse Cornouaille. Ce manque d’intérêt des populations de l’extrémité du diocèse pour le saint quimpérois n’avait pas échappé à Julien Maunoir. En 1646, à l’occasion d’une mission à Mûr-de-Bretagne, il découvrit l’existence d’un ancien culte à saint Elouan, appelé saint Luhan par la population locale. La tradition le donnait pour un ermite envoyé dans la région par saint Tugdual pour y mener une vie solitaire. Le père Maunoir voulut en restaurer le culte, compila des notes sur la vie du saint et en fit l’un des secrétaires et premier disciple de saint Tugdual, l’apôtre de la Cornouaille occidentale. Les premières attributions du nom du saint comme nom de baptême se firent en 1650, l’année ou Maunoir effectua sa seconde mission dans la région. Pierre-Yves Quémener KAIER AR POHER N°73 - Juin 2021 ■ 11