EchoGéo
36 | 2016
avril 2016/ juin 2016
L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
Entretien avec Hélène Noizet et Sandrine Robert
Joelle Burnouf and Laurence Gillot
Electronic version
URL: http://journals.openedition.org/echogeo/14633
DOI: 10.4000/echogeo.14633
ISSN: 1963-1197
Publisher
Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (CNRS UMR 8586)
Electronic reference
Joelle Burnouf and Laurence Gillot, « L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ? », EchoGéo [Online],
36 | 2016, Online since 30 June 2016, connection on 30 April 2019. URL : http://
journals.openedition.org/echogeo/14633 ; DOI : 10.4000/echogeo.14633
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
L’archéogéographie : pourquoi ?
Comment ?
Entretien avec Hélène Noizet et Sandrine Robert
Joelle Burnouf and Laurence Gillot
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Cet entretien a été réalisé le 25 janvier 2016 avec de Hélène Noizet et Sandrine Robert.
Hélène de Noizet est Maître de conférences en histoire médiévale à l’Université de Paris 1
Panthéon-Sorbonne et membre de LAMOP UMR 85891. Sandrine Robert est Maître de
conférences à l’EHESS, Centre de Recherches Historiques, Groupe de Géographie et
d'Histoire des Territoires, des Ressources et des Sociétés GGh-Terres2.
2
- Joëlle Burnouf (JB) et Laurence Gillot (LG). Quel est votre « histinéraire » personnel ?
Avez-vous fait de la géographie ? De l’archéologie ? De l’histoire par la documentation
écrite ?
3
- Héléne Noizet (HN). J’ai suivi des études d’histoire avec l’envie au départ d’être
professeur d’histoire dans le secondaire. Avec la formation d’histoire, j’ai fait de la
géographie de façon très classique pour la préparation des concours du CAPES. L’exercice
du commentaire de carte, que j’aimais beaucoup, en était le point principal. Ensuite, en
maîtrise, j’ai rencontré un archéologue, Henri Galinié3, qui travaillait avec Joëlle Burnouf
à l’Université de Tours, et qui m’a proposé un sujet qui m’a plu, car il abordait un objet
historique classique, la ville au Moyen Âge, de manière différente, par un questionnement
spatial. J’ai continué en thèse avec lui - c’était donc une thèse d’histoire sous la direction
d’un archéologue - et noué des contacts assez importants avec les géographes qui étaient
présents à Tours, notamment Michel Lussault4. J’ai ainsi suivi, sur les conseils de mon
directeur de thèse, un DEA qui s’appelait « sciences de la ville »5 dans lequel il y avait des
géographes, des sociologues, des historiens, des archéologues. J’ai réalisé un mémoire en
géographie, sous la direction de Michel Lussault, qui portait sur l’analyse d’un espace
urbain (Tours au premier Moyen Âge) et qui interrogeait les sources écrites des historiens
avec un regard différent, c’est-à-dire un questionnement d’ordre spatial.
4
- Sandrine Robert (SR). J’ai une formation d’histoire de l’art et archéologie à Paris 1, où
l’on faisait également de la géographie. J’y ai donc fait de la géographie régionale et
physique, et j’ai suivi, notamment, les cours de géographie de l’aménagement de Pierre
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
Merlin. L’histoire était aussi extrêmement présente. J’étais essentiellement archéologue
de terrain, et pour financer mes études, j’ai commencé très tôt en archéologie
professionnelle. Je me suis spécialisée au début des années 1990 dans ce que l’on
n’appelait pas encore l’archéogéographie6 et que l’on désignait par les termes
d’archéomorphologie ou de morphologie dynamique7. Je me suis alors rapprochée de
Gérard Chouquer8, qui à ce moment a commencé à s’intéresser à l’archéologie préventive
et à travailler avec les archéologues de Marne-la-Vallée. Le chantier sur lequel j’étais (la
ville nouvelle de Sénart) et les archéologues, avec qui je travaillais, avaient une approche
territoriale : on essayait de comprendre globalement un territoire. Ces archéologues,
inspirés par l’école anglo-saxonne, avaient une véritable vision spatiale et voulaient
développer une archéologie inscrite dans l’espace et dans l’environnement. C’est donc
dans ce contexte que je me suis rapprochée de Gérard Chouquer et que j’ai commencé à
travailler avec lui. Je suis partie de Paris 1 pour m’inscrire à Tours, où j’ai fait le même
DEA « sciences de la ville » qu’Hélène. J’ai également réalisé un dossier en géographie qui
portait sur l’apport de l’archéomorphologie à l’aménagement du territoire, qui est le
thème de la thèse que j’ai soutenue en 2003. C’est dans ce contexte de bouillonnement de
la géographie à Tours, et après avoir assisté à l’HDR de Lussault que ces questions ont
commencé à m’interpeler.
5
- JB et LG. Quelles sont vos références en géographie ? Quels sont les géographes qui vous
ont donné envie de vous « géographiser » dans votre métier ?
6
- HN. Dans les générations plus anciennes, il y a eu Marcel Roncayolo 9 et puis, parmi les
chercheurs plus récents, le trio Michel Lussault, Jacques Lévy 10 et Christian Grataloup11,
Jacques Lévy étant le plus structurant pour moi. La lecture du Tournant géographique
m’avait marquée car je trouvais que chez les historiens, il y avait un usage très flou des
notions d’espace et de territoire. C’était un emballage qui n’était pas convaincant. J’ai
donc ressenti le besoin d’aller voir du côté des géographes, car je désirais aborder la
société par sa dimension spatiale. Parmi les géographes qui ont nourri mon travail
d’historienne, il y eut aussi, dans une moindre mesure, et avec plus de difficultés de
compréhension, Augustin Berque12, que j’ai découvert plus tard, par l’intermédiaire de
Gérard Chouquer.
7
- SR. J’ai lu des auteurs anciens comme Roger Dion13, Jean Bruhnes14, Camille Vallaux15
etc., qui m’ont beaucoup inspirée. J’ai également lu Marcel Poëte16, un historien qui a une
approche très géographique de l’espace. C’était leur vision dynamique de l’espace qui
m’intéressait. Ensuite, j’ai été marquée par Georges Bertrand17, un géographe qui s’est
rapproché de l’archéologie dans les années 1970 et qui a introduit la pensée systémique
en archéogéographie. Parmi les lectures déterminantes des années 1990, je citerais les
géographes qui ont travaillé avec les archéologues autour de l’auto-organisation et des
temporalités urbaines18 puis, tout le travail autour d’Archaeomedes 19, ce vaste
programme qui a associé des archéologues et des géographes. À la fin des années 1990, un
moment phare a été celui du transfert de l’auto-organisation en archéogéographie. Le
travail de Christina Aschan-Leygonie20, qui avait tenté le premier transfert de la notion de
résilience en géographie, m’a beaucoup marqué à l’époque et je m’en suis inspirée pour
ma thèse, où j’ai proposé un modèle d’articulation des échelles dans la résilience des
réseaux routiers. C’est un travail que je suis en train de reprendre maintenant autour du
concept de la résilience. Je me rends compte que ces travaux m’ont plus marquée que
ceux de Berque, même si Gérard Chouquer lui a emprunté une certaine conception de
l’espace. Toutefois, ces lectures sont arrivées plus tardivement.
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
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- HN. Ces ouvrages sont plus difficiles aussi, on ne commence pas par cela en début de
thèse.
9
- SR. Par ailleurs, je suis de plus en plus en train de retravailler ces notions avec les
visions des anthropologues, comme Tim Ingold21 dont je parlerai après.
10
- HN. Ce qui est intéressant chez Berque, c’est la critique de la rationalité moderne que
l’on peut faire sur la conception de l’espace. Le fait d’avoir un regard d’une société autre,
d’une société exotique, japonaise, qui fonctionne différemment, peut dès lors faire
prendre conscience des propres caractéristiques de la société dans laquelle on est. C’est
un décentrement du regard qui permet de sortir de la rationalité moderne qui prévaut
depuis le XVIIe siècle, et selon laquelle l’homme domine la nature, peut l’aménager et
intervenir dessus, en étant au centre et sans trop mesurer les héritages et les effets allerretour. C’est aussi la reconnaissance que les structures spatiales peuvent avoir un rôle
moteur, sans qu’il y ait de déterminisme. Elles font partie des éléments avec lesquels les
sociétés interagissent. L’environnement n’est pas neutre, il n’est pas la scène de théâtre,
le décor dans lequel l‘homme va pouvoir déployer son inventivité et pouvoir aménager
comme il le veut.
11
- JB et LG. Qu’est-ce que la géographie pour vous ? Un outil ? Une « boîte à outils de
concepts » ? Un moyen ? Quel dialogue entretenez-vous avec les géographes dans votre
métier ?
12
- HN. Pour moi, c’est d’abord un questionnement, qui vise à explorer la part spatiale du
social -c’est ce qui m’intéresse-, dans une temporalité longue, historique. Je travaille
plutôt sur le Moyen Âge mais sans aucune barrière, ce qui explique que j’ai pu écrire sur
l’époque moderne. Je ne travaille pas sur le passé coupé du présent. Peu d’historiens sont
conscients de cela et beaucoup découpent une portion du temps, l’isolent, et se
définissent professionnellement comme spécialistes du haut Moyen Âge, du XIVe siècle,
etc. Ce qui est passionnant c’est de voir que le passé en tant que tel n’existe pas, qu’il n’est
pas isolé. La façon dont on peut l’étudier est certes liée au fonctionnement d’une société à
un temps donné dans le passé, mais elle est aussi liée à la transmission jusque dans le
présent des documents produits par cette société. On ne peut pas aller directement de
1300 à aujourd’hui en faisant l’impasse sur ce qui s’est passé entre les deux. Il y a des
procédures de mise par écrit, pour les documents écrits, ou de sédimentation, pour les
documentations archéologiques, mais également des procédures de tri des documents, de
conservation et d’archivage. Tous ces éléments interagissent sur la compréhension que
l’on peut avoir d’une société à un moment donné. Il me semble donc important de ne pas
concevoir le passé comme coupé du présent, car c’est en réalité un continuum. Il faut
aussi être conscient des problèmes de rétrojection, c’est-à-dire que l’on a, aujourd’hui,
dans la société contemporaine, des notions, des concepts, des outils, des questions qui
nous agitent et que nous avons tendance à plaquer sur le passé. Il faut le faire, et je suis
d’une certaine manière pour l’anachronisme, mais le danger, c’est la téléologie, c’est-àdire de concevoir que l’évolution de la société ne pouvait parvenir qu’aux résultats
présents, actuels, comme s’il n’y avait pas eu d’autre évolution possible. Une vision
téléologique des choses me semble plus gênante qu’une vision anachronique. Regardez
par exemple le choix des études thématiques, le fait qu’il y ait des modes et des vagues
thématiques sur tel ou tel sujet. Par exemple en histoire médiévale, on a beaucoup
travaillé sur la reconstruction des campagnes après la guerre de Cent ans dans les
années 1950, parce qu’il y avait un rapport direct avec les préoccupations de la société
contemporaine. De même qu’aujourd’hui, le tournant spatial a un rapport évident avec
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
les questions que se pose l’humanité sur son existence possible sur l’espace terrestre.
Contrairement au contexte scientifique de la fin du XIXe siècle où prévalait une foi
exagérément optimiste sur la capacité des sciences à faire progresser le monde humain,
on a désormais conscience, sans doute de manière exagérément pessimiste, qu’une des
options possibles de l’évolution est l’extinction de l’occupation humaine, voire du vivant,
sur terre. De fait, nous nous intéressons à la façon dont des sociétés ont pu se déployer,
agir, faire avec l’espace parce que nous sommes nous-mêmes agités par ces questions-là.
Quand on regarde d’autres sociétés, qu’elles soient exotiques dans l’espace (et encore
existantes aujourd’hui), ou exotiques dans le temps (sociétés anciennes, antiques ou
médiévales par exemple), nous pouvons le faire de façon non téléologique en analysant
leurs propres manières d’être, sans nécessairement plaquer nos concepts. Par exemple, G.
Chouquer a très fortement critiqué, dans la géographie historique, l’idée qu’il existait des
cadres territoriaux plus ou moins pérennes, comme les provinces, les diocèses, les
paroisses. Les historiens ont commencé par les cartographier à partir de l’époque
moderne (XVII-XVIIIe siècles), puis ont recherché ces mêmes objets au Moyen Âge, voire
dans l’Antiquité. Mais, ce faisant, nous importons des conceptions connotées de notre
monde contemporain qui n’ont pas lieu d’être à certaines époques. Ce sont des objets de
la rationalité moderne, du type territorial, étatique, qui n’ont absolument aucun sens
pour des périodes antérieures. Une seigneurie du Moyen Âge n’est pas un département,
un territoire au sens d’espace continu, isotrope, homogène. Cela me semble dangereux
d’importer, sans s’en rendre compte, des notions qui nous apparaissent tellement
évidentes qu’on pense qu’elles existent depuis l’éternité. Or, le problème est que
beaucoup d’historiens rapatrient, sans en avoir conscience, des concepts de nos sociétés
contemporaines sans se poser la question : « jusqu’à quel point je peux l’utiliser », ce que
l’historien Bernard Chevalier appelait le « positivisme tranquille ».
13
Nous avons trouvé un point d’accord sur ce sujet avec certains géographes. Ma première
rencontre avec Jacques Lévy remonte à la soutenance d’une thèse d’une étudiante en
archéogéographie de Gérard Chouquer, Marie-Pierre Buscail22. Elle avait voulu que J. Lévy
soit dans son jury, où il y avait Joëlle Burnouf, Gérard Chouquer son directeur, une
historienne portugaise et moi. Ce jury de thèse a été l’occasion d’une vraie discussion. Elle
travaillait sur une prisée royale, c’est-à-dire un inventaire de droits que le roi percevait et
avait constitué en douaire pour son épouse. Cela aboutissait donc à une liste de tous les
droits qui constituent un ensemble, un enchevêtrement très complexe, une multitude de
petits droits qui vont porter, dans le Gâtinais, sur plein d’endroits différents. La thèse de
Marie-Pierre Buscail consistait à cartographier ces droits pour voir comment cela se
passait, et justement sortir de la conception territoriale, en l’occurrence des droits du roi
et de l’inventaire économique de la prisée. À l’occasion de cette thèse, Jacques Lévy a
découvert que des historiens s’intéressaient à ses travaux. Alors que lui travaillait, d’une
certaine manière, sur le déclin de l’État, du territoire et de la géopolitique dans les États
traditionnels, nous travaillions sur le versant antérieur, avant la genèse de l’État
moderne. Nous nous sommes rendus compte qu’au Moyen Âge, aux XIIIe et XIVe siècles, il
ne s’agissait pas encore d’un État moderne territorial et que la spatialité du pouvoir royal,
à cette époque-là, relevait plus du réseau que du territoire. Lévy voyait la fin de l’État,
nous le début. Après la soutenance de cette thèse, nous avons constitué un groupe de
travail d’une douzaine d’historiens, d’archéologues, de géographes qui partagent la
conviction de faire avant toute chose de la science du social, conviction perceptible dans
les articles du numéro spécial publié dans la revue en ligne EspacesTemps 23. On peut (et il
faut) avoir des métiers avec des compétences techniques précises (paléographie, latin,
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
géoarchéologie, céramologie, etc.) mais au-delà de ces compétences disciplinaires, il
existe un ensemble commun plus vaste qui consiste tout simplement à étudier le social.
Nous appartenons à un ensemble thématique commun, que l’on pourrait appeler la
science du social, au-delà de la géographie, de l’histoire, de la sociologie. Cela ne veut pas
dire qu’il ne faut pas de compétences disciplinaires, il ne s’agit pas de brandir
l’interdisciplinarité de façon incantatoire, uniquement pour obtenir des crédits, mais
simplement d’intégrer que l’on n’est pas qu’historien, sociologue, anthropologue,
géographe…
14
- SR. La géographie, pour moi, est un lieu où l’on échange des outils et des méthodes avec
les géographes, mais aussi où nous les co-construisons tout autant. Par exemple, les
archéologues comme Raymond Chevalier, ont autant contribué au développement de la
photo-inteprétation que les géographes dans les années 1960-1970. Même en ce qui
concerne les SIG, les archéologues n’ont pas attendu d’échanger avec les géographes pour
acquérir une certaine expertise dans ce domaine. De la même manière en ce qui concerne
l’analyse morphologique, nous sommes allés assez loin dans le développement d’outils,
comme dans le programme ANR « ALPAGe »24 qu’Hélène a développé, sans que pour
autant cela passe par un simple transfert des méthodes des géographes. Ce qui
m’intéresse le plus dans le dialogue avec la géographie, ce sont l’élaboration commune
des questionnements et la co-construction de concepts entre géographes et archéologues.
Cela est actuellement facilité par le fait que nous partageons certaines conceptions de
nature philosophique : par exemple la conception du temps ou de l’espace. Par la passé, il
y a eu une première période d’échanges possibles entre les archéologues et les
géographes, la période de la première géographie, où il y avait une pensée sur le temps,
un temps cyclique et dans lequel le présent n’était pas détaché du passé. Pour
comprendre le présent, nous avions besoin de comprendre une dynamique qui puise des
éléments dans le passé. C’est pour cela que j’aime bien lire des auteurs anciens car l’on y
trouve des conceptions d’un passé lié avec le présent. Ensuite, à partir des années 1970,
une forme de rupture s’est opérée en géographie, qui a adopté une approche plus
présentiste en s’intéressant davantage aux flux, aux approches économiques, etc. Dès
lors, les géographes n’ont plus eu besoin des spécialistes du passé pour expliquer le
présent. Heureusement, depuis les années 1990, un nouveau changement a permis, non
pas de revenir à une pensée cyclique sur le temps, mais d’introduire les temporalités non
linéaires. Ce travail conceptuel sur les temporalités non linéaires a permis de réassocier
archéologues et géographes dans une pensée qui ne sépare plus le passé du présent et qui
essaye de comprendre un présent enrichi de son passé. Les deux sont totalement associés.
Un autre exemple de cette co-construction est le concept de résilience, sur lequel je
travaille actuellement en essayant de comprendre comment il est arrivé en France,
notamment autour des questions spatiales. Quand on retrace la généalogie de ce concept,
le premier transfert en géographie est dû à Christina Aschan à la fin des années 1990,
dans le cadre d’un programme archéologique : le programme Archaeomedes. Ce n’est pas
anodin qu’elle ait fait sa thèse dans le cadre de ce programme européen et que cette
première tentative de transfert se soit faite dans un article paru en 2000 dans l’Espace
géographique (Aschan-Leygonie, 2000, p. 66-77) On voit le rôle que peuvent jouer ici les
interactions entre archéologues et géographes. Aujourd’hui la résilience est un concept
très important, mais aussi très critiqué parce qu’il a été ressaisi au milieu des années 2000
autour de la géographie des risques. L’enjeu actuel est de rassembler les chercheurs
autour d’une approche critique de la résilience, avec l’idée que la longue durée peut
permettre de faire avancer le concept, et de réévaluer un certain nombre de choses,
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
comme la question de la bifurcation. Les historiens, archéologues et géographes peuvent
travailler de manière commune, et dans quelque chose qui relève d’une co-construction.
Cela diffère des moments où, par exemple, l’on a beaucoup invité des géographes à faire
des préfaces ou des conclusions d’ouvrages d’histoire et d’archéologie. Je pense à Georges
Bertrand qui a fait le chapitre introductif dans l’Histoire de la France rurale (Bertrand, 1975,
p. 34-113), et la préface dans l’Archéologie agraire en 1991 (Bertrand, 1991, p. 11-17). Roger
Brunet, aussi, a fait la conclusion des Formes du paysage (Chouquer, 1997) Il ne s’agissait
alors pas d’une véritable interaction, mais plutôt du regard porté par le géographe sur ce
que faisait l’archéologue. Actuellement, je pense que l’on est de plus en plus dans une
dynamique de co-construction et c’est ce qui m’intéresse dans la relation avec les
géographes.
15
Par conséquent, je me suis beaucoup rapprochée de la géographie ces dernières années.
J’ai d’ailleurs été recrutée par un groupe pluridisciplinaire, le groupe du GGh-Terres, de
géographie et d’histoire des territoires de l’EHESS, issu du groupe d’études urbaines
qu’avait créé Marcel Roncayolo. C’est intéressant de voir que c’est plutôt du côté des
géographes que j’ai réussi à trouver un poste, probablement parce que plusieurs des
travaux que j’ai effectués ces dernières années étaient orientés vers la géographie. J’ai
notamment coordonné, en 2012, un numéro de l’Espace géographique sur géographie et
archéologie (Robert, 2012). Et depuis deux ou trois ans, je me suis replongée dans la
question de la résilience. Il y a donc beaucoup d’échanges entre les deux disciplines,
notamment autour du Labex Dynamite25, dans différents groupes de travail. Dans le
groupe traitant des dynamiques d’évolution dans la longue durée des systèmes de
peuplement26, animé par Léna Sanders, Marie-Vic Ozouf et Patrice Brun, nous travaillons
sur un lexique spatio-temporel en associant précisément les conceptions de l’archéologie
et de la géographie.
16
En définitive, mon lien avec la géographie, comme Hélène, se situe davantage au niveau
des concepts et des réflexions que cela peut amener qu’au niveau des outils et des
méthodes. C’est également un lien pensé dans une co-construction plutôt que dans un
simple transfert d’une discipline vers une autre.
17
- HN. Nous sommes effectivement assez proches dans les structures de recherche récentes
dont Sandrine vient de parler, dont le labex Dynamite (pour Dynamiques territoriales) qui
est principalement, mais pas uniquement, composé de géographes. Je relève d’un autre
groupe de travail qui s’appelle « la ville ordinaire »27, avec Renaud Le Goix et Antonine
Ribardière. J’ai parfois plus de plaisir à échanger avec eux qu’avec certains collègues
historiens médiévistes qui ne comprennent pas forcément l’ouverture vers la géographie.
Ils considèrent d’ailleurs que je suis archéologue ou géographe. Par exemple j’avais
présenté la façon dont les seigneurs au Moyen Âge pouvaient détenir et exploiter le sol
dans une ville comme Paris. Ce qui faisait écho, pour Renaud Le Goix, à certaines
pratiques socio-spatiales de villes américaines contemporaines dans un pays neuf, les
États-Unis, où les structures étatiques n’ont pas le même poids que dans la France
contemporaine, à l’instar finalement du Moyen Âge. Il ne s’agit pas de faire du
comparatisme facile, mais les discussions avec les géographes enrichissent la réflexion,
plus parfois qu’avec certains historiens. Le labex Dynamite m’avait aussi demandé
d’organiser une école d’été, qui s’est déroulée en septembre 2015 à Aix-en-Provence 28. Elle
était centrée sur les apports de la géomatique et leur utilisation pour un questionnement
scientifique, que ce soit en géographie, en histoire, en archéologie, en architecture, en
urbanisme, en sociologie. Le public était très varié.
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- SR. Dans le même ordre d’idées, j’organise, cette année, avec des géographes, Véronique
Dupont et Franck Lavigne, l’école thématique d’été du Labex Dynamite qui portera sur la
résilience, passée et présente29. L’objectif est de travailler la résilience avec les historiens
et les archéologues, qui envisagent le rapport avec la longue durée, afin d’avoir un certain
recul pour percevoir les dynamiques et les trajectoires urbaines et de croiser les
perspectives avec les géographes qui travaillent sur les catastrophes présentes et leurs
impacts dans la population, dans l’habitat, etc. À nouveau, cette manière de travailler, ce
bouillonnement, cet échange, où chacun amène ses propres références, est stimulant.
19
- JB et LG. Et la carte ? De Cassini à la chronochorématique et au SIG …
20
- HN. La carte est un élément important. Concernant les documents planimétriques des
sociétés d’Ancien Régime, les cartes historiques du XVIIIe ou du début du XIX e siècle
révèlent des héritages des sociétés médiévales ou modernes : ce sont des documents, des
sources dans le langage historien, au même titre que les textes, les coupes archéologiques.
21
Et puis il y a les cartes que les historiens et chercheurs produisent pour comprendre le
fonctionnement des sociétés qu’ils étudient. Je trouve qu’il y a un vrai tournant spatial,
un vrai changement. Ce n’est pas que de l’habillage même s’il faut bien reconnaître un
effet de mode puisque l’outil se démocratise, que ce soit au niveau des logiciels ou des
données accessibles : on peut maintenant faire tourner tout cela de façon simple, presque
seul, sur son ordinateur en local. Quand Archaeomedes a lancé son programme « Oppida
métropoles » (Archaeomedes, 1997) c’était encore le balbutiement des SIG dans le monde
de l’archéologie et de l’histoire, et par conséquent cela était techniquement plus
compliqué. Aujourd’hui, un étudiant en master peut traiter un sujet impliquant de
produire des données SIG : s’il est un peu débrouillard et si on l’a formé auparavant, il
peut s’en sortir.
22
Les SIG modifient radicalement le statut de la carte dans la production des discours
scientifiques, et notamment historiques. Je trouve que c’est capital, essentiel de pouvoir
cartographier, spatialiser des données, des documents, y compris du Moyen Âge, où il n’y
a quasiment pas de cartes avant le XIVe siècle car les sociétés ne cartographiaient pas leur
action comme nous le faisons aujourd’hui. Nous comprenons beaucoup de choses en
cartographiant, qu’il s’agisse de la pratique concrète du pouvoir ou des relations sociales.
Là où le SIG change vraiment la donne, c’est qu’auparavant la carte était toujours
produite par les historiens à la fin de leur étude. Ils avaient acquis une telle intimité avec
leurs documents, qu’ils avaient brassés et brassés dans tous les sens, qu’ils arrivaient à
sentir et deviner la pertinence de la répartition de tel objet, qui était intéressante à
cartographier. C’est donc après l’analyse historique qu’on produisait, à la fin de l’étude,
une carte. Actuellement, le SIG change le statut de la carte dans les études historiques
puisque c’est une base de données qui permet vraiment d’interroger la dimension spatiale
des objets que l’on étudie. Nous pouvons donc nous permettre de faire des hypothèses, de
tester la localisation des objets, de croiser des données les unes par rapport aux autres. En
définitive, nous pouvons nous permettre de faire des cartes pour rien et nous pouvons
tester des hypothèses d’ordre spatial. La production de la carte change ainsi de place et de
signification chez les historiens qui utilisent le SIG puisqu’ils construisent leurs bases de
données avant même de rédiger leur discours, de produire leur pensée finalisée. Ils font
des tests, des essais, se rendent compte qu’il y a des répartitions qui sont intéressantes :
certaines, avaient été pressenties, d’autres pas, certaines se révèlent signifiantes, d’autres
pas. Par conséquent, nous adaptons et rédigeons notre discours en fonction de cela alors
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
qu’auparavant la carte intervenait à la fin : elle était largement conçue hors analyse
géographique.
23
- SR. La carte est l’une de nos sources premières, en plus des sources historiques et
archéologiques. J’ai écrit avec Laurent Costa (Robert et Costa, 2010) sur la lecture des
cartes anciennes : nous avons brassé énormément de cartes, nous les avons comparées
avec les données archéologiques, nous avons comparé les cartes entre elles, ce qui nous a
permis d’acquérir une certaine expertise par rapport à ces cartes anciennes. De surcroît,
le rapport que nous entretenons avec la carte change en fonction de la manière dont nous
percevons l’espace. Je trouve que cela est assez marqué en archéologie du paysage et en
archéogéographie, mais aussi dans le monde anglo-saxon, dans le courant de la Landscape
archaeology qui se développe à partir des années 1990 (David et Thomas, 2008). Des deux
côtés est produite une critique des concepts modernes d’espace et du temps qui ne sont
pas adaptés pour étudier les sociétés anciennes. Cela aboutit, du côté de cette Landscape
Archaeology, à un rejet de la carte. Les archéologues ne veulent plus l’utiliser, car elle
représente une conception moderne de l’espace qui ne peut pas être appliquée pour
étudier les sociétés anciennes ou non occidentales. En archéogéographie en France, nous
sommes aussi passés par une forme de rejet de la notion moderne d’espace mais cela s’est
traduit par un détournement de la cartographie moderne et le développement à partir
des années 1990 de ce que l’on a appelé la carte compilée- que j’ai beaucoup contribué à
formaliser-. La carte compilée consiste à reporter sur un fond de plan contemporain, qui
est un espace géométrique, géoréférencé contemporain, des données de toutes périodes
et de toutes sortes : données archéologiques, historiques, etc. que l’on peut spatialiser.
Cela permet de raisonner sur un espace qui est géométrique et sur lequel nous pouvons
faire porter des analyses mathématiques, des recherches automatiques d’orientation, des
calculs de mesures de périodicité, mais dans un espace qui confond toutes les traces du
présent et du passé. Cela permet de dégager les grandes tendances d’orientation dans le
paysage et de comprendre les grandes dynamiques spatiales. C’est seulement dans un
deuxième temps que nous pourrons proposer des évaluations précises pour essayer de
comprendre quand ces tendances apparaissent. Étant donné qu’elles sont dans des
temporalités assez complexes, certaines formes actives à un moment, peuvent disparaitre
et être ensuite ressaisies. C’est pour cela que nous sommes obligés de travailler dans la
diachronie et la longue durée, afin de saisir des processus de longue durée. C’est ce
détournement de la carte initiale qui permet ce travail. Celui-ci est facilité aujourd’hui
avec les systèmes d’information géographique qui permettent de dissocier chaque objet
et de penser à des objets très divers. Les SIG offrent également une facilité d’échange de
données entre plusieurs disciplines. Cela facilite une conception où l’espace domine le
temps, peut-être d’ailleurs parce que les SIG ne sont pas des outils qui ont été faits à
l’origine pour gérer le temps, mais l’espace.
24
- JB et LG. Que pensez-vous du rapport entre petite échelle et longue durée ?
25
- HN. Sandrine et moi avons travaillé ensemble avec un étudiant, Laurent Mirlou, sur un
objet particulier, qui est le paléoméandre de la Seine à Paris (Noizet, Mirlou et Robert,
2013) qui a été transmis dans le parcellaire urbain contemporain. Nous avons travaillé
tous les trois sur cette forme semi-circulaire encore perceptible dans la structure urbaine
actuelle. C’est un ancien chenal qui n’est pas très bien daté, parce que l’on ne sait pas
exactement quand il a été abandonné au profit du bras court actuel, mais c’est
assurément pendant l’Holocène. Nous avons observé dans la longue durée, non pas la
permanence ou la durabilité de la forme de ce paléoméandre, mais sa résilience, c’est-à-
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
dire sa réactualisation permanente. C’est parce que ce bras mort, qui est devenu une zone
humide, n’a pas cessé d’être réapproprié et réutilisé par les sociétés qui se sont succédées
sur ce site, depuis l’époque antique jusqu’à aujourd’hui, que nous observons un rejeu de
cette forme et qu’encore aujourd’hui dans le réseau viaire contemporain, nous pouvons la
voir. Ce n’est pas du tout un déterminisme géographique : l’explication ne se limite pas à
dire que c’est parce qu’il y eut un paléoméandre depuis les époques glaciaires que cela a
conditionné la forme urbaine. Ce qui est vraiment intéressant c’est de croiser la longue
durée avec le fonctionnement des sociétés à des échelles de temps plus réduites, et de
voir comment il y a un rejeu incessant des formes spatiales dans le présent des sociétés.
Nous avons pu montrer comment cette zone humide héritée du paléoméandre a été
utilisée comme zone de pacage, de pâture commune pendant tout le Haut Moyen Âge
jusqu’au XIIe siècle. Ensuite le seigneur qui détenait cette zone humide de marécage a
voulu drainer cette zone pour faire pousser du blé. Ils ont essayé mais comme il y avait
trop d’eau, ils n’ont pas réussi. Du coup cet espace est devenu une zone potagère, la
grande ceinture verte de Paris qui a alimenté la ville en légumes verts du XIII e siècle
jusqu’au XVIIe siècle. Le fait d’avoir creusé des fossés de drainage a aussi incité à
développer un réseau d’égouts à la fin du Moyen Âge, dont le collecteur central
correspondait au paléochenal, qui fut repris et dont la matérialité a changé à l’époque
moderne. Au XVIIIe siècle, il fut maçonné, rigidifié et ensuite l’urbanisation à partir du
XVIIIe siècle a commencé à concurrencer l’usage maraîcher du sol et engendré
l’ouverture de nouvelles rues qui ont repris l’orientation de cette forme semi-circulaire.
En conclusion, si le tissu urbain actuel est marqué par cette forme, c’est parce qu’il y a eu
sans cesse modification des pratiques, des usages de cet espace-là. Les sociétés se le sont
approprié, elles ont en permanence transformé sa matérialité. Par conséquent, cette
transformation permanente a permis une transmission de la forme en plan. C’est la
longue durée, mais pas dans l’optique de la géographie historique qui développe une
approche très continuiste : on prend des cadres politiques qui existeraient de toute
antiquité, on force le trait en créant une continuité partiellement artificielle entre les
provinces romaines et les diocèses, puis avec les départements, et tous ces cadres
spatiaux seraient plus ou moins identiques géographiquement. En fait, ce qu’il me semble
intéressant d’étudier, ce sont les pratiques des sociétés qui font avec l’espace dont elles
ont hérité. Il y a donc en permanence ce double jeu : transformation des usages, des
pratiques et du coup une transmission possible.
26
- SR. C’est de la longue durée mais pas de l’inertie. Même par rapport au modèle de
Braudel30 qui s’appuie sur une forme d’inertie de l’échelle géologique, nous avons essayé
de travailler en archéogéographie ces dernières années l’articulation entre ces différentes
échelles. Et ce que nous montrons bien- je l’ai par exemple abordé à travers la question de
la résilience des réseaux routiers dans le temps-, c’est que les transformations incessantes
à l’échelle des tracés et des modelés ainsi que l’articulation entre ces différentes échelles
permettent le maintien de formes à petite échelle. Dans le cas des réseaux routiers, ce
sont les itinéraires qui par exemple vont se maintenir de l’Antiquité, parfois même avant,
jusqu’à aujourd’hui. Les hommes continuent à se déplacer entre des villes d’origine
antique, non pas en s’appuyant sur une route qui se serait maintenue telle qu’elle depuis
l’Antiquité mais parce que justement elle n’a cessé de se transformer dans ses tracés,
modelés, etc. C’est donc une articulation entre différents niveaux d’échelle qui permet la
transmission et la résilience dans le temps. Par rapport au modèle braudélien, que nous
avons complètement revisité, je pense que nous percevons davantage ces phénomènes
dans une dynamique que dans une inertie.
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
27
- HN. Pour moi le vocabulaire « inertie, pérennité », même « durabilité », « persistance »,
ne me convient pas. Je préfère résilience, réactualisation, rejeu, etc. Par ailleurs, le
modèle braudélien des trois temporalités étagées était en réalité une stratégie politique
des historiens pour affirmer leur domination sur les autres sciences sociales dans la
seconde moitié du XXe siècle, en proposant un modèle théorique alternatif à ceux de la
sociologie et de l’anthropologie. Même si on le cite tout le temps et qu’il a pu inspirer
certains chercheurs, Braudel déconnecte et propose trois récits à des échelles de temps
différentes, que le discours historien ne fait jamais interagir. Nous avons tout d’abord un
temps long ramené à de l’espace géographique qui est quasiment immuable, nous avons
ensuite des cycles économiques avec des durées de l’ordre de quelques décennies, et enfin
le temps court des événements politiques. Ces trois temporalités sont posées côte à côte
sur le papier mais concrètement, dans les travaux, elles ne sont jamais croisées. Elles
produisent des récits déconnectés, ce qui est une fausse bonne idée.
28
- SR. Si l’on se réfère aux premiers modèles et théories proposés pour expliquer la
pérennité des formes dans le temps, nous constatons qu’ils s’appuyaient sur une
conception linéaire de la transmission des formes. Elles étaient pensées comme
transmises soit par la mémoire, soit par la matérialité des formes que l’on pouvait
observer au sol. Il a fallu très longtemps, et notamment le croisement avec l’archéologie
de terrain, pour montrer que quelquefois on réutilisait des formes alors qu’il y avait eu
une rupture totale et que la forme avait été recouverte par des mètres de sédimentation.
Il n’y a donc pas une continuité directe, matérielle, mais il peut y avoir des phénomènes
de rejeu. Gérard Chouquer a proposé d’utiliser le terme d’uchronie par exemple, et les
écologues celui d’hysteresis, pour décrire ces temporalités non linéaires. Je pense que cela
renvoie bien à cette conception du temps. Par ailleurs, même si cette petite échelle rime
souvent avec longue durée, ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, Charles Redman et
Ann P. Kinzig ont écrit un article en 2003 sur la résilience et la longue durée (Redman et
Kinzig, 2003), en utilisant d’ailleurs le terme « longue durée » en français, en montrant en
quoi l’approche archéologique permettait de réfléchir à la résilience. La longue durée
permet de voir les bifurcations véritablement durables dans le temps alors que l’on ne
peut pas forcément les percevoir dans l’immédiat, sur des temporalités assez courtes. Ils
citent l’exemple de l’urbanisation comme un phénomène majeur mais que l’on n’arrive à
percevoir qu’à partir d’une certaine durée.
29
- JB et LG. Qu’attendez-vous des géographes aujourd’hui dans vos pratiques de l’espace
(horizontal et vertical) ? Comment envisagez-vous les perspectives futures de travail ?
30
- HN. Dans le groupe de travail DULAC réunissant certains historiens et géographes
(Jacques Lévy, Christian Grataloup, Géraldine Djament, Patrick Poncet, Joseph Morsel,
Igor Moullier…), nous avons un projet de rédaction de ce qui serait un manuel de science
du social. Car nous partageons ce sentiment d’appartenir à un ensemble scientifique qui
peut avoir une unité au-delà de spécificités disciplinaires. Concrètement, notre petit
groupe essaye de proposer des réflexions et des outils, des notions sur ce que cela peut
être que d’étudier le social indépendamment d’un contexte particulier (hier, aujourd’hui,
Moyen Âge, Papouasie, etc.). Il y a un vrai enjeu suite à la publication de la Traverse dans
la revue Espacestemps, qui était une collection d’articles indépendants. Nous avons envie
de dépasser cela parce que certains doctorants ne conçoivent pas leur étude comme
strictement fermée sur leur domaine, historique ou autre : cependant ils ne savent pas où
puiser les outils car, quand on fait une thèse, on ne peut pas non tout lire. Nous ne
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
voulons pas faire une synthèse des manuels disciplinaires mais constituer des outils
communs de réflexion, une science du social.
31
- SR. J’anticipe un peu sur d’autres questions car dans mon séminaire à l’EHESS je me suis
intéressée à d’autres courants, notamment par le biais de la question du paysage. Je pense
qu’aujourd’hui l’archéogéographie fait partie d’un mouvement qui est beaucoup plus
général et qui est même marqué aux échelles européenne et mondiale. Ce mouvement de
pensée sur la relation de l’homme à l’espace a beaucoup évolué à partir des années 1990,
en se rapprochant des questions environnementales. Aujourd’hui, la relation de l’homme
à l’espace est beaucoup plus pensée comme un mode d’être au monde, à travers la notion
de dwelling ou de l’habiter. L’archéogéographie a ainsi développé une critique des notions
modernes en se rapprochant des travaux d’Augustin Berque et d’autres. Cette critique est
également présente dans la Landscape Archaeology des années 1990, qui se développe
autour de l’archéologie post-moderne et postcoloniale, avec des archéologues qui
travaillent par exemple sur l’Australie ou l’Afrique sub-saharienne. On trouve aussi cette
pensée en écologie historique autour de la notion de Landesque Capital (Håkansson et
Widgren, 2014). Cette notion, qui a été proposée dans les années 1950, est remobilisée
depuis une dizaine d’années et repose sur l’idée que les ressources ne sont pas des
données naturelles. Ce sont des construits sociaux, marqués par le temps et l’espace, et
les sociétés du passé nous transmettent un capital pour le présent. Des archéologues,
comme Clark Erickson qui travaille en Amérique du Sud, et certains anthropologues qui
travaillent en Afrique, mobilisent beaucoup cette idée d’un espace qui est construit dans
le temps et qui associe le passé et le présent (Erickson et Walker, 2009). On pourrait
mentionner également les travaux qui ont été faits dans le cadre de la micro-histoire
italienne. Il y a toute une réflexion sur les ressources, et la carte y est critiquée comme
une source à part entière. Tout cela participe d’un mouvement général qui dépasse
largement l’école de pensée archéogéographique française. En France, malgré le fait que
nous sommes cloisonnés dans nos disciplines et qu’il y a peut-être même un repli
important du fait du resserrement des postes, je pense qu’il y a une pensée générale de
l’espace qui nous pousse à aller vers un décloisonnement des différentes disciplines. Pour
moi, l’archéogéographie se fait dans la recherche et dans l’enseignement, mais elle se fait
aussi beaucoup dans la société civile. Il y a des archéologues qui travaillent en archéologie
territoriale, il y a aussi des archéogéographes, comme Cédric Lavigne31, qui travaillent en
aménagement du territoire. Gérard Chouquer intervient aussi beaucoup dans le domaine
du foncier et sur la question des appropriations massives de la terre32. Cela correspond à
un besoin, une demande de la société d’aller vers des aménagements qui soient plus
cohérents, qui prennent plus en compte la relation de l’homme à l’espace. En définitive, je
suis assez optimiste concernant l’avenir de l’archéogéographie.
32
- SR. Les archéologues comme Isabelle Catteddu33, commissaire scientifique d’une
exposition grand public sur le Moyen Âge, qui aura lieu à la cité de la Villette à partir
d’octobre prochain, constatent pareillement un besoin croissant de sens spatial, de
respect des héritages des lieux, dans les opérations d’aménagement. Elle a expliqué
qu’elle avait bien vu l’évolution en archéologie préventive où les aménageurs étaient plus
sensibles aux connaissances historiques et archéologiques que l’on pouvait développer
sur le site qu’ils allaient occuper. Les fouilles archéologiques n’étaient plus seulement
vues comme un élément perturbateur qui ralentit le chantier, qui coûtent cher et qu’il
faut diminuer. Il peut y avoir une prise en compte de ce discours archéologique en amont,
pendant et après le chantier, avec l’intégration ou pas de certains éléments retrouvés en
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
fouilles ou qui apparaissent comme structurants d’après l’analyse archéogéographique.
Globalement elle trouvait que cela se passait mieux, les archéologues ne sont plus
uniquement vus comme des empêcheurs de tourner en rond. Il y a des héritages, et les
intégrer dans l’aménagement contemporain du lieu est désormais une option possible.
33
- SR. Pour compléter, on revient à une conception de l’aménagement qui était beaucoup
plus présente dans les années 1920, au moment où l’urbanisme se constituait et où les
historiens, les historiens de l’art, etc. étaient plus présents dans l’enseignement. C’est le
cas de Marcel Poëte, par exemple, à l’Institut d’urbanisme. Certains historiens ou
historiens de l’art avaient certes pour préoccupation de fournir des modèles (souvent
idéals ou utopiques) puisés dans le passé mais d’autres, comme M. Poëte, visaient plutôt à
comprendre l’espace comme préalable à tout aménagement. En tout cas, il y avait une
place plus importante des sciences historiques dans l’aménagement. C’est là aussi une
place à reconquérir.
34
- HN. Pour conclure, je serais même assez convaincue, pour l’avenir en matière de
recherche et d’enseignement, par l’idée de la création d’un enseignement en 1er cycle à
l’université en science du social. On a fait participer justement le groupe DULAC à un
MOOC (Massive Open Online Courses) de l’EPFL de Lausanne, patronné par Jacques Lévy sur
l’espace, avec une séance sur le temps. Par rapport aux sciences dures, je militerais pour
la création d’un tel enseignement en science du social. La difficulté serait d’articuler les
enseignements disciplinaires (archéologie, histoire, géographie, sociologie), avec une
réflexion globale sur ce qu’est le social. Je suis pour la création d’un enseignement
généraliste, « science du social », qui ne serait pas simplement une division des heures
entre géographes, historiens, sociologues, mais la construction d’un vrai discours
commun. Ce serait un atout face aux sciences dures. Il faudrait aussi maintenir des
compétences disciplinaires propres, mais ce n’est pas en se sclérosant uniquement sur la
défense de ces savoirs disciplinaires que l’on va s’en sortir. Il faut laisser la place à un
discours commun.
35
- SR. C’est l’esprit de l’enseignement que l’on fait en master à l’EHESS avec un tronc
commun donnant les grandes bases en sciences sociales aux étudiants qui vont ensuite se
spécialiser en histoire, urbanisme, sociologie, archéologie, anthropologie etc. C’est un
master pluridisciplinaire. Quand j’ai commencé mon séminaire j’avais surtout un public
d’archéologues qui m’avaient suivi de l’université et depuis deux ou trois ans, je
commence à avoir des archéologues, géographes, urbanistes, etc. C’est très enrichissant et
je constate qu’autour de questions comme la relation à l’espace ou la résilience, il y a une
association qui peut se faire entre plusieurs disciplines, y compris dans l’enseignement.
36
Hélène Noizet devant nous quitter, Sandrine Robert se prête aux conclusions de cet
entretien.
37
- JB et LG. Que pensez-vous de l’article d’Umberto Ecco : la carte à l’échelle 1 : 1 (Ecco,
1992) 34 ?
38
- SR. Le texte d’Umberto Ecco est une évocation poétique très belle, surtout quand il parle
de l’abandon de la carte et quand les animaux, les mendiants, viennent habiter dans les
ruines, les vestiges de la carte. Je voudrais surtout revenir sur la question du mouvement
dans la carte. C’est justement peut-être une incompréhension de Ecco par rapport à ce
qu’est la carte puisqu’il fait tout un développement sur l’anachronisme dans la carte, sur
le fait que la carte ne peut pas figurer l’espace, l’empire, le déplacement des gens, etc. en
temps réel. En fait, je pense que la carte n’est jamais destinée à représenter les éléments
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
en temps réel. La carte c’est surtout un modèle et une tentative de fixer un état. On essaye
de figer le temps. Par essence, il n’y a pas de mouvement dans la carte et d’ailleurs Borgès
le comprend bien car si on essaye de fixer le temps, on ne peut aller que vers la ruine, la
désagrégation de la carte. Le temps c’est du mouvement, c’est du changement et pour que
la carte puisse exister, il faut qu’elle fixe le temps. Je travaille beaucoup sur la question de
la circulation et du mouvement dans l’espace, justement parce que mon sujet de
prédilection, ce sont les réseaux routiers. Ces dernières années j’ai dirigé, avec Nicolas
Verdier, un programme de recherche « Dynamique et résilience des réseaux routiers en
Île-de-France » (Robert et Verdier, 2014). Nous sommes partis des traces archéologiques
qui avaient été découvertes ces dernières années, notamment en archéologie préventive,
en Île-de-France, et qui montrent un réseau routier extrêmement riche pour les sociétés
anciennes. Ce réseau se base surtout sur des circulations informelles, c’est-à-dire de
simples chemins de terre, des circulations qui ont laissé extrêmement peu de traces
construites dans l’espace. Elles s’opposent à la vision idéale de la route construite qui a
été proposée pour les voies romaines. Cela m’a amenée à m’intéresser à d’autres groupes
de recherche qui ont valorisé l’entrée par le mouvement et la circulation, plutôt que par
l’objet. Cela m’a amenée à connaître les écrits de Tim Ingold, un anthropologue écossais,
par le biais du « Landscape of movement » (Snead, Erickson et Darling, 2011) qui a été
proposé par un groupe d’archéologues et d’ethnologues américains ayant travaillé
notamment sur la circulation des populations indiennes en Amérique. Ils étudient la
manière dont on appréhende le territoire à travers la circulation et le mouvement. Les
populations indiennes n’ont pas du tout la même appréhension de l’espace que nous. Elle
ne passe pas par une appropriation des surfaces et par la mise en place d’un parcellaire,
mais plutôt par la circulation dans l’espace. Ingold fait la différence entre une pensée où
les lieux sont des pôles connectés a posteriori par des voies, et une autre où les lieux
naissent de l’enchevêtrement des circulations. Le rapport à l’espace passe par le
mouvement, par le « wayfaring » plus que par la connexion. Les lieux sont créés par
l’entrelacement entre ces différentes trajectoires. C’est une conception de l’espace
renouvelée, qui intéresse les géographes (Tim Ingold a été invité en 2013 à Lyon par
Michel Lussault). Il y a eu un ouvrage qui retrace l’échange entre Lussault, Ingold et
Philippe Descola (Descola et Ingold, 2014). Pour moi, Ingold décloisonne complètement les
catégories sur l’espace, la question de la nature, les relations nature/société. Il propose
une réflexion sur l’environnement qui nous oblige à repenser les catégories et qui rentre
dans cette nouvelle manière d’interroger l’espace. Les travaux d’Ingold ont aussi été
mobilisés par les archéologues de la Landscape Archaeology et ceux du Landesque Capital.
C’est une pensée de l’espace qui s’oriente vers l’habiter et qui est un dépassement de la
rupture nature/culture opérée dans la pensée sur l’Environnement.
39
Pour conclure, je pense que la problématique commune à l’archéologie et la géographie
est l’espace et le social. Parmi les méthodes communes, l’analyse morphologique. Je pense
que nous avons partagé dès le XIXe siècle avec les géographes la méthode qui nous a
permis aussi de nous distinguer de l’histoire. Il y a le rapport au terrain qui est très fort, à
l’observation, que nous partageons aussi depuis le début, et des sources communes
comme la cartographie, la photo-interprétation. Nous nous retrouvons aussi autour des
SIG. Je pense que nous partageons beaucoup de méthodes et d’outils en commun mais
c’est surtout cette réflexion croisée sur le rapport à l’espace. C’est la grande richesse de
travailler ensemble, de pouvoir croiser la vision présente et la vision passée.
L’anthropologie anglo-saxonne cloisonne beaucoup moins. Par exemple dans le courant
de la Landscape Archaeology, les archéologues et ethnologues s’associent et cela crée des
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
courants extrêmement riches. D’ailleurs Archaeomedes a été un peu conçu sur ce modèle
anglo-saxon. J’aimerais qu’en France on arrive à développer plus ce type de
pluridisciplinarité où chacun conserve ses spécificités. Les archéogéographes ont des
méthodes spécifiques, comme, par exemple, la carte compilée. Nous avons aussi nos
propres méthodes, nous analysons systématiquement les orientations, les alignements
remarquables, les périodicités, etc. Nous avons développé des outils pour cela, que nous
partageons quelques fois avec des géographes, des architectes et des urbanistes. Je pense
notamment aux échanges entre archéologues et urbanistes dans le programme d’une ANR
portée par des urbanistes, qui portait sur la ville : « De la trace à la trame » (Douady,
2014). Je pense que chacun doit garder ses spécificités mais nous avons aussi un travail
commun à développer. Aujourd’hui cette barrière entre passé et présent me semble plus
perméable. Je n’ai pas l’impression, comme le disait Hélène, d’être dans la reconstitution
du passé, mon objet c’est le présent, c’est la compréhension du présent. Les archéologues
l’oublient souvent. Pourtant les traces qu’ils observent, sont des traces dans le présent,
avec tous les phénomènes qui les ont transformées jusqu’à leur état actuel. Prenons
l’exemple de la photo-interprétation et des travaux de Raymond Chevallier35. Il a
commencé la photointerprétation pendant son service militaire et à partir de 1947, il a
été appelé auprès de l’lGN pour faire la cartographie de la Tunisie. C’est le moment où l’on
refait les cartes non pas à partir d’observations de terrain mais de photographies
aériennes. Or, les photographies aériennes révèlent de nombreuses traces de
centuriations, amenant de nouveaux questionnements autour de la représentation de ces
traces. Fallait-il les représenter sur la carte topographique ? Le choix a été fait de ne pas
les représenter et Chevallier a produit une cartographie spécifique, à savoir un atlas des
centuriations de Tunisie (Chevalier, 1958). La carte topographique n’a gardé que les objets
qui avaient conservé une fonction dans le présent. Si l’on compare la photographie à la
carte, nous constatons que c’est toujours nous qui faisons le tri alors que ces objets sont
présents dans le présent, ils font partie des contraintes environnementales, ils agissent
sur la pousse des plantes, sur la qualité des sols. Nous pouvons également citer le travail
d’un biologiste américain, John Weishampel - que j’ai invité plusieurs fois dans la
commission internationale sur le paysage que j’anime dans l’Union Internationale des
Sciences Préhistoriques et Protohistoriques- et qui travaille à partir des données du
LiDAR, qui est un laser qui scanne la surface du sol (Weishampel et al., 2013). Il travaille
sur le site de Caracol au Belize. Il analyse les données du sous-sol et du sur-sol, alors qu’en
archéologie, quand on utilise le LiDAR, c’est essentiellement pour analyser les données du
sous-sol. Il essaye de comprendre comment la dynamique de la canopée actuelle de la
forêt rentre en interaction avec les vestiges présents dans le sol et sous-sol et comment
ces vestiges agissent sur la végétation actuelle. Il montre notamment qu’aux endroits où
il y a d’anciens fossés d’irrigation ou de drainage, l’eau continue à circuler, ce qui a une
influence sur la poussée des plantes actuelles. J’aime beaucoup ce travail car il montre ce
que l’on peut faire aujourd’hui en associant les « sciences du passé » et les « sciences du
présent » (distinction que je n’aime pas du tout). C’est vers cette manière de travailler que
nous devons aller. La compréhension du présent doit passer par celle d’une dynamique
qui puise dans le passé, même si il y a aussi parfois des bifurcations. Comme Roger Brunet
le disait, les éléments du passé font partie du système actuel. Mais dans les années 1970,
un jugement de valeur s’est greffé sur les formes héritées et a faussé la manière de les
étudier. J’ai par exemple travaillé sur les échanges entre Maurice Le Lannou et Pierre
Georges, notamment autour du texte introductif dans le colloque sur l’archéologie du
paysage de Raymond Chevalier (Le Lannou, 1978). Il y a une sorte de petite joute écrite
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
entre Le Lannou, qui est plutôt pour « l’homme habitant », qui prend en compte les
éléments du passé dans sa manière d’appréhender l’espace, et Pierre George qui a un
jugement de valeur très dur sur les formes du passé, en disant que ce sont des formes qui
entravent le présent. Aujourd’hui, on peut revenir à quelque chose de beaucoup plus
objectif, en se disant que ces formes héritées sont dans nos paysages actuels, elles font
partie du système actuel, du système social. Nous n’avons plus à nous poser la question de
leur valeur. Il faut sortir de ce discours valorisé ou dévalorisant. J’espère que l’on va aller
vers cela !
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Snead J. E., Erickson C. L., Darling J.A., 2011. Landscape of Movement. Trails, Paths, and Roads in
Antrhopological Perpective. Pen Press.
Weishampel John F, Arlen F. Chase, Chase Diane Z. et Hightower Jessica N., 2013. Remote Sensing
of Below-Canopy Land Use Features from the Maya Polity of Caracol. In Djindjian F. and Robert S.
(dir.), 2013, Understanding Landscapes : from land discovery to spatial organization, Proceedings
of the sessions C19 and C22 of the XVI world congress (Florianópolis, 4-10 septembre 2011)”,
British Archeological Report, vol. X.
NOTES
1.
http://www.univ-paris1.fr/recherche/page-perso/page/?tx_oxcspagepersonnel_pi1
[page]=presentation&tx_oxcspagepersonnel_pi1[uid]=noizet
2. http://gghterres.ehess.fr/index.php?369
3. Spécialiste de l’archéologie urbaine médiévale, fondateur du Centre National d’Archéologie
Urbaine (CNAU) et directeur de recherche au CNRS, Henri Galinié a dirigé, entre autres, l’ouvrage
Tours antique et médiéval. Lieux de vie, temps de la ville. 40 ans d’archéologie urbaine, supplément à la
RACF, n°30, 2007. Il est également l’auteur de Ville, espace urbain et archéologie, Presses
universitaires François-Rabelais, 2013.
4. Géographe français, professeur des universités et spécialiste du fait urbain, Michel Lussault fut
d’abord professeur à l’université de Tours (dont il fut également le président de 2003 à 2008). En
2008, il devient professeur à l’ENS de Lyon et depuis 2012 il est président du Pres Université de
Lyon. Il a également mené des activités de conseil en aménagement et urbanisme. Il est l’auteur,
entre autres, de l’Homme spatial (2007) et de L’avènement du Monde (2013), où il pose les
fondements d’une théorie de l’espace et de la spatialité qui permet de repenser le fait urbain.
5. L’université François-Rabelais à Tours, à travers la Maison des sciences de l’homme fondée en
1989, a développé un axe de recherche « Villes et territoires » associant trois laboratoires
(URBAMA-Le Centre d’études et de Recherches sur l’urbanisation du monde arabe-, le LATlaboratoire Archéologie et Territoires, et le Centre de recherche VST- Ville/Société/territoire).
Depuis 2004, ces trois laboratoires sont réunis dans l’UMR CITERES (cités, territoires,
environnement et sociétés) qui se donne pour objectif d’étudier les dynamiques spatiales et
territoriales des sociétés, dans des aires culturelles et des périodes historiques variées.
6. Voir annexe de l’introduction du dossier.
7. Voir annexe de l’introduction du dossier.
8. Historien et archéogéographe spécialiste de l’étude de la dynamique des paysages, des
questions foncières et des problématiques agraires dans le monde, chercheur puis directeur de
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
recherche au CNRS, Gérard Chouquer a également soutenu son HDR à Tours en 1993 et enseigné
l’archéogéographie, qu’il a contribué à formaliser depuis 2000. En 2008, il publie La crise des récits
géohistoriques, conçu comme le premier tome de son traité d’archéogéographie. Il publie avec
Magali Watteaux en 2013 le second tome, L’archéologie des disciplines géo-historiques.
9. Urbaniste et géographe français, Marcel Roncayolo fut directeur d’études à l’EHESS, directeur
de l’Institut d’Urbanisme de Paris de 1991 à 1994, et est professeur émérite de l’Université Paris
X-Nanterre. Spécialiste de la ville de Marseille, il a fait la synthèse des principales théories anglosaxonnes et européennes de la ville, travaillant étroitement avec les historiens de la ville. Il est
l’auteur, notamment, de Lectures de villes : formes et temps, en 2002.
10. Géographe, spécialiste de la géographie politique, professeur à Reims, puis à l’Institut
d’études politiques de Paris, Jacques Lévy est depuis 2004 professeur à l’École polytechnique
fédérale de Lausanne. Il a notamment participé à la fondation de la revue EspaceTemps.net et il codirige la collection L’espace en société aux presses polytechniques et universitaires romandes. Ses
recherches, marquées par l’interdisciplinarité, portent sur les modèles urbains, les mobilités,
mais aussi sur l’épistémologie de la géographie qu’il définit comme l’étude de la dimension
spatiale du social. Il est l’auteur, entre autres, de Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le
monde, en 1999.
11. Géographe, il fut professeur à l’Université Paris Diderot jusqu’à 2014. Spécialiste de
géohistoire, de la modélisation des dynamiques spatiales et de l’épistémologie de la géographie
historique, il est notamment l’auteur de Lieux d’Histoire, Essai de géohistoire systématique en 1996 et
de Géohistoire de la mondialisation : le temps long du monde en 2007.
12. Géographe, orientaliste et philosophe, directeur de l’EHESS de 1979 à 2011. Les travaux
d’Augustin Berque portent sur ce qu’il nomme l’écoumène, définie comme la relation ontogéographique de l’humanité à l’étendue terrestre. Ses recherches sur le Japon vont
profondément marquer cette approche, formulée dans l’ouvrage Écoumène. Introduction à l’étude
des milieux humains (2000) et dans Histoire de l’habitat idéal, de l’Orient vers l’Occident (2010).
13. Géographe et historien (1896-1981), auteur, notamment, de La part de la géographie et celle de
l’histoire dans l’explication de l’habitat rural du Bassin parisien, en 1946.
14. Brunhes J., 1925. La géographie humaine. Felix Alcan. Vol. I. Paris.
15. Vallaux C., Brunhes J., 1921. La Géographie de l’histoire : géographie de la paix et de la guerre sur
terre et sur mer. Félix Alcan, Paris.
16. Archiviste-paléographe, bibliothécaire (1866-1950), historien de Paris et de l’urbanisme,
fondateur de l’Institut d’histoire, de géographie et d’économie urbaines de la Ville de Paris (futur
institut d’urbanisme), Marcel Poëte est l’auteur d’une oeuvre historique importante, dont
Comment s’est formé Paris (1925) et Introduction à l’urbanisme (1967)
17. Géographe, professeur des universités à l’Université de Toulouse II-Le Mirail, fondateur de la
méthode GTP (géosystème, territoire, paysage), Georges Bertrand est l’auteur d’une Géographie
traversière : l’environnement à travers territoires et temporalités en 2002.
18. Lepetit B. et Pumain D., 1999. Temporalités urbaines. Anthropos, Paris.
19. Programme européen lancé en 1992 et consacré à l’étude, depuis l’Antiquité, de la
désertification des régions méditerranéennes de l’Europe. Durand-Dastès F., Favory F.,
Fiches J. L., Mathian H., Pumain D., Raynaud C., Sanders L., et Sander van der Leeuw E.,
1998, Des oppida aux métropoles: Archéologues et géographes en vallée du Rhône, Anthropos,
Paris.
20. Géographe, Maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2, Christina Aschan-Leygonie a
soutenu une thèse en géographie en 1998 à Paris 1 intitulée Résilience d’un système spatial :
l’exemple du comtat. Une étude comparative de deux périodes de crises au XIXe et au XXe siècles.
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L’archéogéographie : pourquoi ? Comment ?
21. Anthropologue britannique, Tim Ingold enseigne l’anthropologie sociale à l’Université
d’Aberdeen depuis 1999. Il est l’auteur, notamment, de Lines, A Brief History (2007), et de Making :
Anthropology, Archaeology, Art and Architecture, en 2013.
22. Docteure en géographie de l’Université de Paris 1.
23. Le groupe auto-désigné DULAC a publié un recueil d’articles en 2014 sous la direction de
Jacques Lévy et Hélène Noizet dans la revue en ligne EspaceTemps (voir introduction du dossier).
http://www.espacestemps.net/articles/une-rencontre-spatio-temporelle/ .
24. http://alpage.huma-num.fr/fr/. ALPAGe (AnaLyse diachronique de l'espace urbain Parisien :
approche GEomatique) est une plateforme d’information géohistorique sur Paris.
25. Laboratoire d’excellence Dynamiques territoriales et spatiales, lancé en avril 2012, qui
s’intéresse aux effets de la globalisation sur les espaces et les sociétés, ainsi que sur les enjeux du
développement durable.
26. Le Groupe de Travail « Systèmes de peuplement sur le temps long » sous la responsabilité de
Patrice Brun, Marie-Vic Ozouf-Marignier et Léna Sanders, a pour objectif de croiser les
connaissances et savoir-faire des géographes, historiens, archéologues et mathématiciens pour
décrire, conceptualiser et modéliser dynamiques de peuplement sur le temps long.
27. Le groupe de travail « Produire la ville « ordinaire », sous la responsabilité de Renaud le Goix
et d’Antoine Ribardière, vise à développer une perspective comparative qui place les villes dans
le même champ analytique.
28. École d’été 2015 (21 au 25 septembre 2015, Château de la Pioline, Aix –en-Provence),
L’information géographique en SHS : gestion et modélisation des données.
29. École d’été 2016 (6 au 12 juillet 2016, Monastère des Bénédictins à l’Université de Catane,
Sicile), Des risques à la résilience, du passé au présent : perspectives critiques et approches comparatives.
Véronique Dupont est démographe, directeur de recherche à l’IRD et membre du CESSMA. Elle
travaille sur les dynamiques socio-spatiales des métropoles indiennes. Franck Lavigne est
géographe, membre du LGP et professeur à l’Université Paris 1. http://labex-dynamite.com/fr/
evenements-du-labex/ecoles-dete/ecole-dete-2016/
30. Fernand Braudel (1902-1985), historien français représentant de l’école des Annales, a
proposé une nouvelle approche de la temporalité historique en 3 parties : l’histoire presque
immobile (le temps géographique), l’histoire lentement agitée (le temps social) et l’histoire
événementielle (le temps individuel).
31. Archéologue spécialiste de l’histoire agraire du Moyen Âge, Cédric Lavigne est l’auteur de
l’ouvrage Essai sur la planification agraire au Moyen Âge : les paysages neufs de la Gascogne médiévale
(XIIIe-XIVe siècles), Bordeaux, Ausonius Publications, 2002.
32. Voir http://www.formesdufoncier.org/
33. Archéologue de l’INRAP (Institut National de Recherches en Archéologie Préventive), Isabelle
Catteddu est spécialiste du premier Moyen Âge rural. Ses travaux portent sur l’organisation des
habitats et de l’espace rural et plus largement sur les relations des sociétés à leur environnement.
34. Le texte se présente comme une exégèse du texte de Jorge Luis Borges qu’il prêtait lui-même
à un auteur fictif du XVIIe siècle.
35. Latiniste, historien et archéologue (1929-2004) spécialisé en topographie historique et
photointerprétation.
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