Leçons centre-européennes de la crise de l’euro
Jacques Rupnik
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Jacques Rupnik. Leçons centre-européennes de la crise de l’euro. Etudes du CERI, 2011, pp.11-15.
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Leçons centre-européennes de la crise de l’euro
par Jacques Rupnik
Il n’y a pas une Europe centrale face à la crise de l’euro : la crise financière et économique affecte
depuis 2008 les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie),
mais aussi la Slovénie ou les pays baltes, de manière différenciée. La Pologne a ainsi été le seul pays
de l’Union européenne à traverser la crise internationale sans connaître la récession, la République
tchèque et la Slovaquie ont limité les dégâts, la Hongrie continue de la subir de plein fouet, l’Estonie
a su s’adapter vite et rebondir, alors que la Lettonie s’administre une cure d’austérité sans précédent.
Parmi ceux qui ont adopté l’euro, la Slovénie et l’Estonie se plient aux nouvelles contraintes sans
broncher, tandis que la Slovaquie refuse de changer les règles au milieu de la partie pour une cause
discutable (la Grèce). Cette diversité des situations explique en partie des perceptions contrastées et
un grand éventail de réactions par rapport à la crise de l’euro, et plus généralement aux interrogations
sur l’avenir du projet européen. On peut aussi la présenter comme autant de leçons politiques que
les pays de la région tirent de la crise de la monnaie européenne.
République tchèque : leçon de suffisance
« L’euro n’a jamais été une bonne idée. Son échec devait arriver »1. Ainsi s’exprime en novembre 2011
le président de la République tchèque, et son propos s’accompagne d’un rappel : « je vous l’avais
bien dit… ». Il faut en effet accorder à Vaclav Klaus que son opposition à la monnaie unique date du
jour même de son lancement. Il dit s’identifier aux propos de l’ancien ministre des Finances britannique
Nigel Lawson, qui considère l’union monétaire comme « l’acte le plus irresponsable de l’après-guerre ».
Vaclav Klaus, économiste de formation, ajoute qu’il considèrerait préférable un délitement aux
tentatives de sauvetage actuelles : l’Europe fiscale ou de la redistribution n’est qu’une impasse qui
mène à l’économie administrée « comme l’avait tenté le communisme. Et nous savons que dans le
tunnel communiste il n’y avait pas de lumière au bout et qu’il a fallu quitter ce tunnel ». L’euro est un
échec financier, mais plus que cela, la crise révèle sa logique dangereuse qui menace l’Etat-nation et
la démocratie. A l’occasion de la sortie de son nouveau livre sur « l’Europe sans illusions », le président
tchèque a donné une interview en première page de Lidové Noviny : « Nous sommes gouvernés par
Sarkozy et Merkel »2.
Le président Klaus force le trait, mais donne aussi le ton aux médias tchèques qui ont tendance à
reprendre ses thèmes avec des articles sur l’« euro-esclavage » (à propos du plan de sauvetage européen
de la Grèce)3 ou sur les « membres de seconde catégorie »4. Autrement dit, on est satisfaits de ne pas en
être, mais frustrés de ne pas participer aux décisions qui concernent son avenir, qui est aussi celui de
l’Union européenne.
S’il donne, comme il est de coutume, le ton du débat européen à Prague, on note sur la scène
politique deux courants principaux. D’une part l’ODS, le parti de la droite conservatrice du
Premier ministre Petr Necas, adopte une posture souverainiste et préconise une dilution de l’intégration.
1
Vaclav Klaus, « Euro dobrou myslenkou nikdy nebylo. Ztroskotani muselo prijit », Parlamentni Listy, 14 novembre 2011.
2
Vaclav Klaus, « Vladne nam Sarkozy a Merkelova », Lidove Noviny, 26 novembre 2011. Le nouveau livre de Klaus
s’intitule Evropska integrace bez iluzi [L’integration européenne sans illusions], Knižní klub, Prague, 2011.
3
Petr Sourek, « Eurootroctvi » [Euroesclavage], Lidove Noviny, 5 novembre 2011.
4
Julie Hrstkova, « Clenove druhe kategorie », Hospodarske Noviny, 16 mars 2010.
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Selon Jana Cernochova, députée ODS, « l’Association européenne de libre-échange est exactement
l’association libre d’Etats qui nous convient »5. Le congrès de l’ODS a adopté à l’unanimité lors de
son congrès en octobre l’idée d’un référendum sur une éventuelle adoption de l’euro. Rappelons que
le référendum de juin 2003 sur l’adhésion à l’UE comportait en principe l’obligation de rejoindre la
monnaie européenne. L’argument invoqué concerne les modifications en cours dans la gouvernance
de la zone euro. Alexandr Vondra, ex-dissident devenu ministre de la Défense, a déclaré devant le
congrès que les causes de la crise actuelle étaient le résultat de « l’hétérogénéité permanente des
traditions nationales, des cultures, des économies en Europe sur lesquelles on a souvent greffé de la
fausse solidarité ». Dans la tempête actuelle, il préconise la cohésion nationale :
« Les concepts de multiculturalisme ne sont bons à rien aujourd’hui. Au contraire le mot patrie
ne doit pas devenir un gros mot, mais une valeur qu’il vaut la peine de défendre et pour laquelle il
faut être prêt à souffrir »6.
L’autre position, plus européenne, est défendue par l’opposition social-démocrate, mais aussi, au
sein de la coalition gouvernementale, par le parti TOP (Tradition, responsabilité, prospérité) du prince
Karel Schwarzenberg. En tant que ministre des Affaires étrangères, celui-ci a déclaré qu’annoncer un
référendum sur l’euro revenait à montrer son postérieur aux partenaires européens. Son collègue et
ministre des Finances Miroslav Kalousek a développé l’argument de fond : une Europe à deux vitesses
est en train de se mettre en place, ce qui dit-il est « contraire aux intérêts de la République tchèque »
qui, à la différence de la Grande-Bretagne avec sa plaque tournante de la finance internationale, de
la Suisse avec ses banques ou la Norvège avec son gaz, ne peut se permettre de rester à l’écart du
principal processus d’intégration européenne. Cela ne signifierait que subir les décisions prises par
les autres.
La question européenne divise ainsi les partis au gouvernement et il n’est pas exclu (si la crise devait
se prolonger) que ce clivage permette d’envisager l’éclatement d’une coalition déjà minée par des
affaires de corruption7 et le rapprochement entre « pro-européens » sociaux-démocrates et TOP.
La Slovaquie : leçon de comptabilité
La Slovaquie qui, il y a moins de vingt ans, avait participé avec la République tchèque à la dissolution
de leur monnaie commune, a adhéré à l’Union monétaire européenne en 2008, à la veille du
déclenchement de la crise de l’euro. C’était sous le gouvernement de Robert Fico et de son parti SMER
(de gauche). La crise grecque a coïncidé avec les élections en Slovaquie au printemps 2010 et l’arrivée
au pouvoir d’une coalition de la droite libérale conservatrice dont la plupart des leaders avaient promis
pendant la campagne de ne pas renflouer des pays en faillite avec l’argent du contribuable slovaque.
L’argument de Iveta Radocova, sociologue de formation devenue Premier ministre au début de
l’été 2010, était le suivant : la Slovaquie est un pays plus pauvre que la Grèce. Le salaire moyen
(780 euros) y est l’équivalent du salaire minimum en Grèce. La Slovaquie a depuis une décennie
entrepris une série de réformes courageuses et impopulaires (marché du travail, retraites, santé) de
5
Jana Cernochova « Jsem hrda na korunu ceskou » [je suis fière de la couronne tchèque], Respekt, 31 octobre 2011.
6
Jan Machacek, « Z Vondry vlatenec, z Kalouska Evropan », Respekt, 25 octobre 2011.
7
La captation des ressources publiques par les partis au pouvoir s’est aggravée ces dernières années comme le montrent
plusieurs études de l’université Charles à Prague et le déclassement de la République tchèque par Transparency International
au rang de l’Arabie Saoudite et de l’Afrique du Sud. The Economist du 2 novembre 2011 parle de « rotting partitocracy » dans
un article documenté et féroce intitulé simplement « State capture » .
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maîtrise de la dépense publique pour remplir les critères d’adhésion à l’euro. Tout cela pour découvrir
qu’elle devrait, selon l’accord du 21 juillet 2011, contribuer pour des sommes considérables à son
échelle (près de 8 milliards d’euros, soit la moitié des recettes dans son budget) dans le cadre du
sauvetage d’un pays grand bénéficiaire de fonds européens depuis trente ans, qui avait décidé d’ignorer
ces critères et de truquer ses comptes publics.
Il n’a pas été aisé dans ces conditions pour les partis au gouvernement en Slovaquie de renier
complètement ce qu’ils avaient répété pendant la campagne. Pris entre la pression européenne et une
opinion très majoritairement hostile, le gouvernement de Mme Radicova a fini par se diviser entre,
selon ses mots, les adeptes du « pas de fonds européen, pas de garanties, pas d’aide, laisser la crise
se résorber d’elle-même » versus l’autre position : « nous avons des obligations, nous appartenons à
la zone euro, nous avons une responsabilité, nous ne pouvons pas accepter les avantages sans partager
les problèmes »8. La première position (« nous ne donnerons plus un centime ») était défendue par
Richard Sulik, fondateur quelques mois avant les élections de 2010 du parti libéral conservateur Liberté
et solidarité (SaS) – avec visiblement une préférence pour le premier des deux termes. Son parti a
refusé d’approuver la contribution slovaque au Fonds de stabilité financière européen, provoquant la
chute du gouvernement et l’annonce des élections anticipées (l’opposition SMER a alors voté la
contribution slovaque au fonds européen). Le gouvernement slovaque a ainsi été l’une des nombreuses
victimes de la crise de l’euro. Celle-ci a servi de révélateur : la Grèce avait été admise dans l’euro
pour des raisons politiques (le soutien de la France) sans être prête sur le plan économique, financier
et surtout institutionnel9. La Slovaquie au contraire a montré qu’elle s’était bien préparée sur le plan
économique et financier, mais n’était pas prête politiquement.
Hongrie : leçon d’humilité
Lorsqu’il est arrivé au pouvoir au printemps 2010 après la victoire écrasante de son parti Fidesz
(deux tiers des sièges au Parlement), Viktor Orban a annoncé d’emblée son intention de débarrasser
le pays de sa dépendance financière envers l’étranger, à savoir le Fonds monétaire international et
l’Union européenne (« Le FMI ni les dirigeants financiers de l’UE ne sont nos chefs et nous ne sommes
pas leurs subordonnés »). En effet, dès le début de la crise en 2008, le gouvernement précédent
(socialiste) avait obtenu du FMI un prêt de 20 milliards de dollars et un soutien européen. Pour se
désengager, le gouvernement Orban a pris toute une série de mesures radicales en s’attaquant
ouvertement aux intérêts des banquiers et des investisseurs étrangers. Il a refusé la dernière tranche
du prêt du FMI et décidé de renationaliser les fonds de pension privés et de taxer les banques et
certaines multinationales. Il a aussi promis de fixer le taux de change entre le forint et le franc suisse
(1 franc suisse équivaut à 180 florints) pour le remboursement des prêts immobiliers des citoyens
hongrois10. En 2008 le taux se situait à 140 florints pour 1 franc suisse, il est aujourd’hui à 263 pour 1.
La différence entre le taux préconisé par Orban et celui du marché devait être à la charge des banques
concernées (principalement autrichiennes). Le gouvernement s’est également engagé à mener des
investigations sur l’origine des prêts en devises étrangères. Cet interventionnisme brutal a suscité des
protestations autrichiennes et allemandes et plus généralement la méfiance des milieux financiers.
8
Iveta Radicova, interview dans MFDnes (Prague), 22 octobre 2011.
9
Sur les raison profondes de cet échec annoncé, voir Georges Prévélakis, « Grèce : les raisons historiques de la faillite »,
in Esprit, novembre 2011, pp. 18-29.
10
Spencer Jakab, « Risk of Swiss franc loans loom large over Hungary », Financial Times, 20 mai 2011. Les trois quarts
des prêts immobiliers en Hongrie (mais aussi une bonne partie en Pologne) sont en devises étrangères, pour 95 % en
francs suisses. Environ 120 000 ménages hongrois sont en cessation de remboursement de ces prêts.
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Dans le même temps, alors que la Hongrie exerçait au premier semestre de 2011 la présidence de
l’Union européenne, elle a été critiquée par la Commission pour sa loi liberticide sur les médias.
Celle-ci a été amendée et finalement adoptée le 1er juillet 2011, et pose surtout un problème pour les
médias de service public. Si l’on ajoute à cela la mise au pas des instances politiquement « neutres »
(la Banque centrale et la Cour constitutionnelle dont les anciens juges se disent inquiets de la nouvelle
Constitution adoptée en avril 2011, qui vise à renforcer le pouvoir de l’exécutif) et le nationalisme de
rigueur dans la culture subventionnée, on a le tableau d’un gouvernement qui dans la crise joue
ouvertement la polarisation intérieure et la défiance envers les institutions financières extérieures11.
Or celles-ci sont en train de savourer leur revanche. Celui qui refusait la dépendance envers la
finance internationale se voit aujourd’hui contraint par la détérioration de la situation de faire un
virage à 180 degrés et d’appeler le FMI à l’aide. Alors que la note attribuée au pays par l’agence
Standard & Poors vient de passer en novembre 2011 à BBA-12 et que la dette hongroise se vend avec
un taux d’intérêt de 9,4 % (le plus élevé après celui de la Grèce), Orban a dû proposer au FMI un
« nouveau type de coopération » et cherche à rassurer les investisseurs. Une leçon d’humilité pour
celui qui préconisait une reconquête de la souveraineté hongroise.
Pologne : leçon d’européanité
La Pologne fait figure d’exception en Europe du Centre-Est tant par la bonne tenue de son économie
que par son ambition de devenir, dans un contexte dominé par la crise de l’euro, un acteur européen
d’importance. Première spécificité polonaise : la croissance forte maintenue pendant la crise (3,8 %
en 2010 et autant prévus en 2011). Deuxième spécificité : la réélection du gouvernement de la
Plateforme civique (PO) lors des élections d’octobre 2011, alors que partout ailleurs il s’agissait de
« sortir les sortants » jugés responsables de la crise. Le gouvernement libéral de Donald Tusk, sans
vraie opposition à gauche, a bien résisté à la campagne de la droite nationaliste et populiste du parti
Droit et justice (PiS) de Kaczynski. Le pays s’est modernisé au cours des vingt dernières années, il
figure parmi les pays « hautement développés » dans le Human Development Index de l’ONU, a gagné
dix places entre 2007 et 2011 dans le Global Competitiveness Index de la Banque mondiale, et se
positionne comme un acteur majeur sur la scène européenne en proie au doute.
La double exception polonaise explique en grande partie la position du pays face à la crise de l’euro.
Les dirigeants polonais ont bien compris que dans l’intérêt d’un pays qui fait les trois quarts de son
commerce avec l’Union européenne, et dont 40 % du PIB sont tirés par les exportations vers
l’Allemagne, il était essentiel d’assurer la survie de l’euro et plus généralement du projet européen.
Même si pendant la présidence polonaise de l’UE on a pu entendre des réserves sur la façon dont les
grands pays de la zone euro prenaient des décisions en dehors des instances européennes, il n’y a eu
dans les réactions des responsables polonais ni Schadenfreude (version Vaclav Klaus), ni attentisme
(« qu’ils se débrouillent »), ni encore tentation de profiter de l’occasion pour faire avancer la
déconstruction (version Cameron).
La meilleure illustration de la façon dont la Pologne pense la crise de l’euro et son rôle par rapport
à ses enjeux est contenue dans l’allocution, à Berlin fin novembre 2011, du ministre des Affaires
étrangères Radek Sikorski. C’est certainement le discours le plus important prononcé par un ministre
des Affaires étrangères d’Europe du Centre-Est depuis vingt ans. Après avoir rappelé que l’élargissement
de l’Union européenne n’y était pour rien (certes !), le ministre polonais s’est concentré sur l’essentiel :
11
Voir « Orban warfare », Financial Times, 5 aout 2011.
12
Joelle Stolz, « La Hongrie se résout à appeler le FMI à l’aide », Le Monde, 19 novembre 2011. L’agence Moody’s
qualifie les obligations d’Etat hongrois de « déchets » (junk bonds).
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« Nous avons une Europe avec une monnaie dominante, mais pas de ministère des Finance pour
la gérer. Nous avons des frontières communes, mais pas de politique de migration commune. On
est censés avoir une politique étrangère commune, mais elle est divorcée des instruments réels
de la puissance et souvent affaiblie par les actions d’Etats membres agissant pour leur propre
compte. »13
L’éclatement de l’euro déclencherait « une crise de proportion apocalyptique » qui entraînerait le
marché unique et les fondements même de l’Union. Si l’on refuse un démantèlement partiel de
l’Union, c’est le choix fédéral qui s’impose à nous : « l’intégration plus profonde ou l’effondrement ».
La Banque centrale européenne doit devenir un prêteur de dernier ressort, il faut plus de pouvoir à
la Commission et moins de commissaires. Et de rappeler aux Anglais (ancien modèle européen des
gouvernements polonais des années 1990) que leur dette cumulée (Etat, entreprises, particuliers)
dépasse les 400 % du PNB et qu’ils n’ont ni leçons à donner ni raisons valables d’empêcher la poursuite
de l’intégration : « if you can’t join us, please allow us to forge ahead ». Le ministre polonais s’est
finalement adressé à l’Allemagne qu’il appelle « le plus grand bénéficiaire des arrangements actuels »
et qui a donc la plus grande obligation de les rendre viables. Et de conclure : « La plus grande menace
pour la sécurité et la prospérité de la Pologne serait l’effondrement de la zone euro ». Et encore ceci,
extraordinaire de la part d’un homme politique polonais :
« Je crains moins la puissance de l’Allemagne que je ne commence à craindre l’inaction allemande.
Vous êtes devenus la nation indispensable de l’Europe. Vous ne pouvez pas éviter le leadership.
Pas pour la dominer, mais la réformer. »
*
*
*
La crise économique et financière depuis 2008 a montré qu’il n’y avait pas de réponse commune
des pays d’Europe centrale. Celle que traverse l’euro aujourd’hui avec ses enjeux politiques explicites
pour l’avenir de la construction européenne révèle des perceptions contrastées qui renvoient à
différentes façons de penser l’Etat-nation et le projet européen. L’issue de la crise européenne devient
non seulement un clivage de politique intérieur, mais aussi de divergences parmi les nouveaux
membres de l’Union entre un pôle « souverainiste » et un pôle « européiste ». La Slovaquie, avec un
gouvernement libéral, est dans l’euro, semble le regretter, mais se voit contrainte de suivre le
mouvement. La Hongrie de Viktor Orban affiche sa volonté de « reconquête de souveraineté » pour
en découvrir rapidement les limites : elle n’est pas dans l’euro, mais s’est endettée dans cette monnaie
et subit la dure loi des marchés financiers. Le contraste le plus saisissant est celui entre la République
tchèque et la Pologne : la première est visiblement soulagée de ne pas être dans l’euro au risque de
manquer le train de la nouvelle grande avancée de l’intégration européenne pour se retrouver dans
le second cercle de l’Union. La Pologne au contraire, bien qu’attachée plus que tout autre Etat de
l’Union à sa souveraineté et n’étant pas membre de l’euro, se comporte comme si elle en était et
préconise même le « grand bond en avant » dans le fédéralisme. Car elle a compris que l’intérêt de
l’Europe centrale était de tout faire pour sauver le projet européen, ce qui implique de se comporter
non comme un Etat périphérique et spectateur de la crise, mais comme un acteur appartenant au
noyau dur de la construction européenne.
13
Radek Sikorski, « Poland and the future of the European Union », Berlin, 28 novembre 2011.
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