Academia.eduAcademia.edu

Autisme et Psychomotricité Revue Développements

2014

Mention : Meilleure synthèse théorique, clinique et thérapeutique à ce jour. Une publication remarquablement riche, qui lie sciences et pratiques thérapeutiques, dans une démarche intégrative qui intéressera en tout premier lieux les psychomotriciens, les orthophonistes mais aussi les médecins, au profit des personnes avec un trouble du spectre autistique.

Revue Développements Recension de J.A. Lapasset http://superieur.deboeck.com/revues/120645_7_123033/developpements www.cairn.info/revue-developpements-2013-2-page-44.htm. DOI : 10.3917/devel.015.0044 AUTISME ET PSYCHOMOTRICITÉ Julien PERRIN & Thierry MAFFRE (sous la direction de) BRUXELLES : De Boeck / Solal 2013, 510 pages IQBN 13 : 978-235327-234-1 IQBN 10 : 2353272347 Mention : Meilleure synthèse théorique, clinique et thérapeutique à ce jour. Une publication remarquablement riche, qui lie sciences et pratiques thérapeutiques, dans une démarche intégrative qui intéressera en tout premier lieux les psychomotriciens, les orthophonistes mais aussi les médecins, au profit des personnes avec un trouble du spectre autistique. Au cours des trois dernières décennies, nous avons assisté, notamment en France (bien qu’avec une certaine inertie), à une refonte complète de la vision que l’on avait de l’autisme aussi bien du point de vue médical, social, politique que thérapeutique, pour ne pas dire tout simplement humain. Cela à la fois sous le coup des revendications légitimes des familles, des données issues de la recherche, et surtout de la prise de conscience de la nature même de ce trouble : Depuis les premières descriptions indépendantes de Léo Kanner en 1943 et de Hans Asperger en 1944 son statut a connu bien des avatars. Oubliant la finesse des descriptions des deux médecins ou les interprétants à la lumière des seules théories psychodynamiques, certains se sont empressés d’en donner une lecture singulière, souvent détachée des faits les plus élémentaires de ce que l’on connaît du développement de l’enfant ou tout au long de la vie, pour finalement ne s’intéresser qu’à la dynamique familiale ou à la fantasmatique inconsciente au nom d’une perspective prétendument « globale » de l’enfant. La publication d’ « Autisme et psychomotricité » constitue un événement sans précédent à plusieurs égards : • pour la cause de l’autisme, en le replaçant dans sa nature neurodéveloppementale qui dure tout au long de la vie, et en approfondissant la connaissance des réalités cliniques. Les trajectoires de développement (Speranza & Valeri, 2010) se caractérisent par des difficultés non seulement comportementales, mais aussi cognitives perceptives et motrices, dont les manifestations symptomatologiques varient considérablement dans leurs formes, leur domaine d’actualisation comme dans leur intensité ; • • celle de la psychomotricité, en précisant les moyens, les méthodes et techniques de remédiation des troubles psycho-perceptivo-moteurs, de la communication ou des relations sociales, et les spécificités qui justifient sa place dans les divers dispositifs de soin ; et enfin pour les acteurs du champ du médico-social et de la recherche, en témoignant de la complémentarité des différents intervenants dans un cadre cohérent qui prend finement en compte les différents éléments identifiés et les mécanismes (y compris relationnels et affectifs) mis en jeu dans les difficultés de réalisation des personnes avec un trouble du spectre autistique (TSA). « Autisme et psychomotricité », sous la direction de Julien Perrin (psychomotricien au CRA Midi-Pyrénées) et Thierry Maffre (pédopsychiatre au CHU de Toulouse), rassemble 26 auteurs principaux (professeurs d’université, psychologues, neuropédiatres, neuropsychologue, neurophysiologistes, directeurs de recherche, pédopsychiatres, orthophoniste et surtout des psychomotriciens) profondément engagés et reconnus dans la cause de l’autisme. Ils témoignent de ce que la prise en compte des spécificités de chacun, dans la considération constructive réciproque, est la seule façon d’œuvrer pour une compréhension et une aide, globales, justes et concrètes, des personnes avec un trouble aussi complexe. « Quand on bloque la différenciation, l’intégration ne peut pas survenir. Sans le mouvement vers l’intégration, le système entier s’écarte de la complexité – s’éloigne de l’harmonie – choit dans la rigidité »1, rappelait récemment D. J. Siegel (2011, p. 66). Les données probantes sont suffisamment nombreuses aujourd’hui pour proposer une autre vision que celles qui ont prédominées (notamment en France) au cours du XXième siècle, sans en négliger certains apports. Cet ouvrage considérable, de haute qualité et de haute tenue, fait le point sur les connaissances les plus actuelles dans le domaine de l’autisme et les met en rapport avec les réalités concrètes des personnes avec ce type de difficultés. Il garde constamment en ligne de mire en quoi celles-ci nous permettent de mieux comprendre et aider les personnes avec un trouble du spectre autistique. Il ne se complet pas dans l’énumération de statistiques issues du traitement de données d’études rigoureuses, mais : • nourrie la réflexion clinique et thérapeutique ; • éclaire les observations et les conduites singulières éprouvées par les patients eux-mêmes, les défis cliniques auxquels sont confrontés les divers thérapeutes engagés, et responsables d’un mieux être, de l’accession à un devenir optimum de ces personnes et de leur famille; • détaille les caractéristiques du développement de la personne avec autisme, y compris au plan neuropsychologique ; • illustre et spécifie la place et le rôle du psychomotricien dans les différents modèles d’interventions qui ont fait leurs preuves en termes d’amélioration plus que significative de cette condition, et même dans le cadre d’un exercice privé. 1 Traduction personnelle. Ce véritable manuel est tellement riche qu’il est difficile d’en résumer la teneur, mais il est crucial de tenter d’en rendre compte au-delà de sa passionnante lecture, pour témoigner de son immense intérêt : Le premier chapitre dresse l’état des connaissances dans le domaine de l’autisme. Comme il se doit, l’entame porte sur la définition et les évolutions des concepts comme des classifications, dans une perspective historique. Thierry Maffre y résume de manière claire, concise mais néanmoins complète toutes les dimensions et les préventions à prendre en compte pour parvenir ou non à un diagnostique clinique, y compris précoce, d’autisme. Patrice Gillet nous introduit de façon très synthétique aux divers modèles de compréhension neuropsychologiques de l’autisme en nous permettant d’en comprendre la logique des conceptions et d’analyse jusqu’à la considération du cerveau sociale en développement. Différents types d’altérations neuropsychologiques dans l’autisme et dans les TSA, plutôt qu’un déficit unique primaire, seraient en cause (Valeri, Speranza, 2009), mais la question n’est pas définitivement résolue. P. Gillet discute les différents modèles et leurs limites de manière lucide et non dogmatique, propose des perspectives d’exploration très riches et fournit un cadre conceptuel clair qui prend toute sa valeur notamment lors de la lecture du volet VI du second chapitre. Caroline Karsenty et Yves Chaix abordent les bases neurobiologiques de l’autisme principalement sur le versant génétique dont l’implication est confirmée bien que marquée par une hétérogénéité significative ; plusieurs gènes peuvent être impliqués, interagir entre eux mais aussi toujours avec d’autres facteurs épigénétiques et environnementaux. Seuls quelques rares syndromes présentent une signature monogénétique bien identifiée. On mesure à la lecture de leur état des lieux combien le domaine est subtile en lien aussi bien avec des anomalies anatomiques, métaboliques que fonctionnelles qui sont détaillées. Enfin, en guise de clôture de ce premier chapitre, Olivier Masson et ses collaborateurs (CRA du Nord-Pas-de-Calais) esquissent l’évolution générale de l’enfance à l’âge adulte de personnes avec un trouble envahissant du développement (TED), terme préféré en ce qu’il rendrait mieux compte du devenir de celles-ci. Après avoir résumé les facteurs influençant le développement (endogènes : nature et sévérité du TED, sexe, degré d’efficience intellectuelle, syndromes génétiques, comorbidités, etc ; exogènes : détection et intervention précoces, acquisition de compétences, intégration scolaires, traitements médicamenteux, etc), ils abordent les autres âges de l’adolescence à la personne adulte vieillissante en quête d’une qualité de vie optimale. Le deuxième chapitre (Développement de la personne avec autisme) s’ouvre par la section V consacrée au développement de la sphère sociocommunicative. Céline Garrigou (orthophoniste) y présente de manière détaillée les différentes phases du développement de la capacité à communiquer (dès la naissance) et à interagir avec autrui dans ses dimensions aussi bien pragmatique que formelle, verbale que non verbale. Son exposé couvre depuis les premières manifestations d’un autisme éventuel jusqu’aux manifestations les plus typiques dans le contexte d’un TSA avéré, avec ou sans déficience intellectuelle. Cette synthèse, particulièrement soignée, est passionnante à plusieurs égards : il correspond spécifiquement à l’une des trois catégories de critères associés aux TSA ; il met en exergue les implications des ingrédients inhérents à l’usage du langage – réceptif, expressif - dans les interactions sociales, le développement des capacités cognitives et les habiletés conversationnelles ; enfin, il éclaire grandement des particularités sur lesquelles les psychomotriciens peuvent s’appuyer ou que leur prise en charge peut contribuer à réduire. Patrice Gillet2, neuropsychologue, présente au fil de la section VI, de façon extrêmement claire et explicite le développement cognitif particulier dans l’autisme, les singularités du traitement de l’information (notamment visuospatiale, l’identification des visages, etc) et les styles cognitifs (i.e., local versus global). Il nous donne à jauger à la fois ce que les études scientifiques ont pu objectiver, tout en les comparant avec d’autres troubles du développement, et leurs effets comportementaux et relationnels (engagement et désengagement attentionnel ; défaut de cohérence centrale ; stéréotypies, recherche d’immuabilité, exploration et lecture des expressions des visages, etc) à travers des illustrations de la clinique quotidienne. En final, il ouvre sur le domaine thérapeutique et de prises en charge, notamment sur des protocoles de remédiation spécifiques sur lesquels nous sommes un certain nombre à travailler, pour les aider à développer des aptitudes adaptatives plus adéquates. La section VII est consacrée au développement psychomoteur de la personne avec autisme. A°- Jacques Corraze, avec finesse et acuité, pose la question des interfaces multiples entre la psychomotricité et le spectre de l’autisme par le biais des capacités motrices, ou plus généralement de l’action. B°- Julien Perrin expose le tableau le plus complet et précis, à ce jour, du développement moteur dans les TSA, et ce depuis les étapes les plus précoces : réflexes, adaptations posturales, motricité globale et fine, latéralité et dextérité manuelle, dyspraxie et trouble d’acquisition des coordinations, stéréotypies motrices, facteurs de variabilité, intentionnalité, programmation exécution et contrôle moteurs, place des troubles moteurs dans les TSA, autres entités morbides et, last but not least, les implications thérapeutiques en termes d’enjeux praxique et social, de stratégies thérapeutiques et de hiérarchisation des objectifs, de stratégies d’apprentissage et du développement des capacités d’autocontrôle et d’autorégulation. C°- Céline Laranjeira et J. Perrin (psychomotriciens) détaillent le développement sensoriel dans le cadre de l’autisme. Ils précisent les particularités développementales chez ces enfants et les illustrent de nombreux témoignages saisissants. Ils montrent comment les modalités de traitements des sensations et des perceptions et, in fine d’intégration sont en lien avec « des perturbations significatives dans le quotidien […] sur les plans émotionnel, attentionnel et comportemental et constituent en ce sens un facteur de risque supplémentaire de difficultés d’adaptation. » Mais ils vont plus loin en ce qu’ils abordent la question de l’évaluation des troubles sensoriels et celle des interventions spécifiques qui permettent dans un cadre épistémologique et éthique de respecter et d’améliorer les particularités de fonctionnement de ces personnes. D°- Magali J . Rochat aborde la cognition motrice dans son rapport à la cognition sociale en tant qu’expérience partagée avec autrui. Elle montre l’implication du mécanisme des neurones miroirs qui peut sous-tendre les phénomènes de résonnances motrices, la compréhension des intentions et des buts d’autrui. Puis, elle propose de lier la cognition Gillet, P., Neuropsychologie de l’autisme chez l’enfant, BRUXELLES : De Boeck / Solal, 2013, 200 pages. 2 motrice, la cognition sociale, les stratégies de contrôle de la motricité et les habiletés sociales, justifiant alors pleinement les approches psychomotrices, notamment par l’entraînement aux habiletés sociales. E°- Jacqueline Nadel se penche sur la question de l’imitation, une psychomotricité partagée vue comme une forme de voie royale de la rencontre de l’autre et de soi-même. Elle permet de comprendre en quoi sa prise en compte et son intégration dans les processus thérapeutiques permet la mise en place d’un processus relationnel autant que de compétences nouvelles. F°- Marie-Hélène Plumet dresse un panorama très complet sur les fonctions exécutives dans le cadre de l’autisme. Ces fonctions, souvent subtiles et fluctuantes, regroupent l’ensemble des processus mentaux qui permettent de mener à bien des activités orientées vers un but, déterminent les capacités d’adaptation, de régulation et d’autocontrôle du comportement au sens large mais non automatique (Inhibition – motrice/cognitive ; Flexibilité attentionnelle, comportementale et conceptuelle ; Mémoire de travail ; planification ; capacités génératives). Je recommande tout particulièrement la discussion et la conclusion, extrêmement bien documentées, notamment en regard des implications pour l’évaluation et la prise en charge, intégrant particulièrement l’approche développementale. Le troisième chapitre porte sur la Place de la psychomotricité au sein de différents modèles d’intervention. Thierry Maffre et Julien Perrin concatènent les conclusions de différents rapports gouvernementaux (plans autisme, recommandations de la Haute Autorité de Santé) et présentent les mutations subséquentes des soins en France et les contraintes organisationnelles. Cela justifie pleinement la sélection des modèles présentés, mais également la place essentielle du psychomotricien dans la mise en œuvre d’un projet d’accompagnement des personnes autistes. Bernadette Rogé nous présente le modèle de Denver pour la prise en charge des jeunes enfants atteints d’autisme, et en particulier le Early Start Denver Model (ESDM, Rogers, Dawson, 2010/2013). Celui-ci s’adresse à des enfants de 12 à 48 mois. La base de travail clinique est le jeu et une gestion de la relation de façon à favoriser l’engagement de l’enfant dans le cursus et faciliter la communication sociale en prenant appui sur des schémas de développement des capacités cognitives, perceptives et motrices, largement partagés par les pairs dudit enfant. L’objectif est de prévenir ou de corriger les déficits initiaux dans les domaines de l’imitation, du partage émotionnel et du développement de l’intersubjectivité. Initialement conçu en relation duelle, il se révèle également porteur sous forme groupale. Cindy Le Menn-Tipi (psychomotricienne) et ses collègues de l’équipe de Catherine Barthélémy et Frédérique Bonnet-Brilhaut3 à Tours, présente, à la section IX, la thérapie d’échange et de développement dans son rapport à la psychomotricité. Le Menn-Tipi illustre son expérience au sein d’un groupe de jeunes enfants avec autisme suivant cette thérapie, décrite initialement par G. Lelord en 1978, en individuel. Élise Miquel-Grenier, section X, détaille finement et avec acuité le rôle de la psychomotricité dans le cadre de l’éducation structurée (TEACCH, ABA, autres méthodes) dans une relation interféconde, avec le souci constant de la généralisation des acquis. Brathélémy, C., Bonnet-Brilhaut, F. (sous la direction de), L’autisme : de l’enfance à l’âge adulte, PARIS : Lavoisier S.A.S., 2012, 205 pages. 3 Le quatrième chapitre porte sur l’évaluation psychomotrice qui est essentiel pour comprendre les réalités vécues de l’enfant et de l’adulte. Elle s’associe à une démarche diagnostique et fonctionnelle, permet de définir des objectifs et les meilleures stratégies, méthodes et moyens permettant de favoriser ou de restaurer la meilleure adaptation possible et de parvenir à une qualité de vie optimale des personnes dans le contexte familial et social : Section XI. Évaluation psychomotrice de l’enfant avec un trouble du spectre autistique (C. Le Menn-Tripi). Section XII. Évaluation psychomotrice chez la personne adulte avec un TSA (J.-P. Pourrageau et J. Perrin). Le cinquième chapitre propose une série d’illustrations pratiques, en étroite relation de collaboration avec tous les intervenants (à commencer par la personne avec un TSA et sa famille) pour « remettre régulièrement en question la pertinence des objectifs poursuivis aux regard des besoins de la personne » à la recherche du « juste point d’équilibre entre la volonté d’intervention voire de normalisation et le respect de ce qui fait la singularité de la personne avec autisme » (Perrin et Maffre, p. 379) : Section XIII : Prise en charge des difficultés motrices des personnes avec TSA sans déficience intellectuelle : adaptation et utilisation de la méthode CO-OP (Emmanuel Madieu et Sabrina Ruiz). Section XIV. Intégration sensorielle : concept et application en psychomotricité auprès de l’enfant avec autisme ou TED (Olivier Gorgy). Section XV. Expérience de prise en charge de l’autonomie d’enfants avec un TSA en SESSAD (Coralie Réveillé). Section XVI. Groupe à médiation psychomotrice : expérience pratique en CAMPS (Fanny Bruandet). Section XVII. Rééducation psychomotrice d’enfants avec autisme dans le contexte d’un suivi libéral (Sabrina Guitard). Section XVIII. Intervention psychomotrice auprès d’adultes avec un trouble du spectre autistique (TSA) et un retard mental associé en FAM (Nathalie Batard). J’espère avoir rendu honneur à cet ouvrage exceptionnel qui place à la fois la psychomotricité au centre des différentes approches de l’autisme et un maillon nécessaires dans la recherche et la prise en charge thérapeutique des personnes avec un trouble du spectre autistique. Gillet, P., Neuropsychologie de l’autisme chez l’enfant, BRUXELLES : De Boeck / Solal, 2013, 200 pages. Rogers, S. J., Dawson, G., L’intervention précoce en autisme, Le modèle de Denver pour jeunes enfants, PARIS : Dunod, 2013, 432 pages. Siegel, D., J., Mindsight. NEW YORK : Bantam Books Trade Paperback Edition, 2011, 314 pages. Speranza, M., & Valeri, G., Trajectoires développementales en psychopathologie : apprentissages et construction de soi chez l’enfant et l’adolescent. Développements, 2010/3, n° 6, 5-15. Valeri, G. & Speranza M., « Modèles neuropsychologiques dans l'autisme et les troubles envahissants du développement », Développements, 2009/1, n° 1, p. 34-48.