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L I V I E R
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H É V E N I N
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS
ET MÉLANGES DES GENRES
L
es éléments insolites plus
ou moins avérés de la carrière d’Ed Wood ainsi que
les légendes qui accompagnent les films (peu de monde connaît exhaustivement
le cinéma d’Ed Wood en
France malgré la reparution
de quelques-uns de ses films
suite à la sortie du film de
Tim Burton1) constituent
une représentation associant
« l’homme et l’œuvre 2 » dans
laquelle la part de fiction
et la dimension réaliste de
la biographie d’Ed Wood se
dissocient malaisément et tendent à s’interpénétrer.
Les comportements corporels de l’artiste Ed Wood varient
selon la légende et le processus de mythification dont il bénéficie
de nos jours. Travesti invétéré dans la vie comme à l’écran,
l’identité sexuelle d’Ed Wood intrigue. Dans une fiction comme
Glen or Glenda, elle se manifeste par l’incorporation de valeurs
et leur retraduction par les usages sociaux des attitudes ou des
habits qui font d’un corps de femme ou d’homme un corps
féminin ou viril. Les productions artistiques contemporaines
témoignent parfois crûment d’une volonté de libérer le corps de
son aspect sacré mais dans le cas d’Ed Wood3, pour qui l’adéquation entre sexe et genre ne semble pas automatique, il s’agit
(tout du moins dans sa première fiction) d’une méditation
presque naïve sur le changement d’identité sociale à travers les
vêtements. Le mélange des genres ne concerne pas seulement
une représentation cinématographique mais également la dénomination générique, et c’est ce parallèle entre les figures du corps
d’Ed Wood et les identités génériques plurielles de son œuvre
qui nous permettra d’appréhender une construction sociale de
l’œuvre et de la vie d’Ed Wood où se croisent et se rencontrent
65
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
des usages du cinéma, des perspectives idéologiques, des types
de lectures variées.
ED WOOD, UNE
CARRIÈRE ET UN
R
A
T
A
G
E
A R T I S T I Q U E
E
d Wood incarne une présence corporelle
singulière aussi bien dans ses films que dans sa biographie qui est
riche d’un certain nombre d’hypothèses romanesques. Vétéran de
la Seconde Guerre mondiale et travesti passionné par les pulls
angoras, Ed Wood signe le scénario, réalise et interprète les personnages principaux de Glen et de Glenda dans ce qui devient
dès la sortie du film en salle en 1953 le premier d’une série
d’échecs commerciaux et critiques. Glen or Glenda 4 est un conte
mêlant le fantastique, le récit policier et autobiographique sur la
condition de travesti et le désir qui pousse certains hommes à
vouloir changer de sexe. Ce qui surprend dans ce film très personnel, « c’est le refus d’assumer cette déviance comme un vice et
le besoin de la justifier rationnellement (les vêtements de femme
sont plus confortables pour un homme) et de la légitimer socialement. Ce qui déconcerte également, c’est la construction du film
et les interventions récurrentes de Bela Lugosi5 en démiurge suprahumain, proférant d’obscures incantations : “Attention au gros
dragon vert devant votre porte. Il mange les petits garçons…” »
(Ostria, 1995). Le sujet et cette présence singulière d’Ed Wood à
l’écran évoquent la question du travestissement et de l’ambivalence sexuelle. Malgré une sincérité attachante6, le film déstabilise,
tant l’approche non maîtrisée, les invraisemblances, la grandiloquence candide et le mélange des genres semblent décalés.
La caractéristique majeure de ce film et des suivants ne passera
pas par le discrédit mais par un quasi-silence. Ed Wood est néanmoins prolixe. Il tourne dans la foulée plusieurs films : Jailbait
(1954), Bride of the Monster (ou Bride of the Atom – 1955), et en
1956, Plan 9 Outer Space, son dernier film avec Bela Lugosi qui
décède pendant le tournage. Ce film, considéré comme le plus
abouti du cinéaste, disposera d’une vie sur le petit écran avec de
multiples rediffusions sur les chaînes spécialisées (dès 1961, WPIX-11
une chaîne de télévision indépendante de New York, acheta les
droits de Bride of the Monster et Plan 9 Outer Space. Elle diffusa
les films pendant cinq ans toutes les sept semaines) et trouvera
un écho chez les téléspectateurs et les amateurs de films fantastiques et de science-fiction. La suite de la carrière d’Ed Wood est
beaucoup plus erratique et ressemble inexorablement à une descente aux enfers7. Inclassable, marginal et d’un dynamisme fort
communicatif, Ed Wood jouit d’un itinéraire aux confluences d’une
66
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
époque particulière : la fin de l’âge d’or du cinéma des grands
studios hollywoodiens et l’émergence des industries des médias
audiovisuels américains. Compte tenu de ses échecs, de l’absence
d’un intérêt de la critique et d’une déficience de notoriété, Ed
Wood était voué à l’oubli. Pourtant le basculement entre échec et
reconnaissance s’instaure dans le temps où peu à peu une réception se constitue. Pour ce faire, beaucoup d’éléments vont contribuer à sa réhabilitation.
Ed Wood transposé dans un autre contexte devient un précurseur et sa démarche trouve une justification a posteriori dans
le champ du cinéma contemporain où la transformation des
conventions rend les films d’Ed Wood conformes à une écriture
cinématographique intelligible. La présence des faux raccords
devient, par exemple, un signe de la modernité du langage cinématographique. De nos jours d’autres éléments rendent acceptable l’expressivité du réalisateur Ed Wood, notamment les
associations de fragments documentaires à la fiction qui s’apparente à un travail sur la texture de l’image et le non-respect d’une
continuité narrative qui s’interprète éventuellement comme une
subtilité de la construction dramaturgique. L’esthétique des films
d’Ed Wood renvoie également à des conditions de production qui
prennent une autre dimension avec le temps. Remis dans son
contexte, le mode de production8 du film Glen or Glenda, avec
son esthétique dépouillée et ses artifices invraisemblables, devient
un document sur ce que pouvait être un film de série Z. La quasiautoproduction des autres films d’Ed Wood pourrait être comparée de surcroît à la démarche des cinéastes de la « nouvelle
vague9 » et même aujourd’hui aux conditions de production de
cinéastes de fiction réalisant leur film avec des caméras vidéo10.
Enfin la dimension mythique d’Ed Wood prend une dimension
particulière avec l’évocation de sujets sulfureux pour les mœurs
de l’époque dans les États-Unis des années du maccarthysme.
À travers le recours au fantastique et à la science-fiction, Ed Wood
contournait les conventions morales en abordant le thème du travestissement et en filigrane de l’homosexualité au cinéma. Bien
qu’il se contente de proposer une figure d’un corps androgyne en
se mettant en scène aussi bien dans certains de ses films comme
Glen or Glenda ou dans la vie notamment pendant les tournages
qu’il effectuait derrière la caméra en se travestissant en femme, ce
qui finit par ressortir dans le feuilleté d’interprétations. C’est également un mélange de genres entre une représentation d’un corps
de fiction mi-homme mi-femme et une réputation d’artiste insolite
et sulfureux.
67
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
U N C I N É A S T E CULTE : L’ÉPOPÉE
CALIFORNIENNE
L
a fabuleuse fortune posthume dont Ed
Wood bénéficie dépend au départ d’un regain d’intérêt qui s’exprime par la dénégation et la dérision. L’indifférence et le silence
qui ont régné durant toute la carrière d’Ed Wood se trouvent
modifiés par un processus assez long et confus de réhabilitation
du cinéaste dans un contexte historique différent où l’ironie, le
second degré, le culte de l’étrangeté et parfois du mauvais goût
deviennent des valeurs à la mode. En complément du cercle très
restreint des amateurs de films fantastiques qui ont gardé en
mémoire certains films d’Ed Wood, Harry et Michael Medved
publient dans un livre iconoclaste un palmarès des cinquante
plus mauvais films de tous les temps qui est délibérément hostile
à une histoire du cinéma savante. Dans ce panorama dédié au
pire, Ed Wood côtoie des cinéastes reconnus tels que Peckinpah,
Eisenstein, Godard, Resnais, etc. Mais il est le seul à être affublé
d’un jugement définitif : « Ed Wood est le réalisateur le plus nul de
tous les temps11. » Cette marque de déni deviendra avec le film de
Tim Burton un slogan qui distillera une accroche publicitaire
autour du parallèle entre le sujet du film, « une fiction sur un
mauvais réalisateur », par un des cinéastes hollywoodiens les plus
adulés. L’entreprise des frères Medved est au départ bien différente puisqu’il s’agit de se moquer de l’absurdité du cinéma d’Ed
Wood et de sa néanmoins très longue obstination à tenter de faire
valoir la singularité de son regard.
De ce fait, et bien malgré eux, les frères Medved contribuent à
attirer l’attention et réussissent à susciter un intérêt marginal mais
croissant. Il y avait bien quelques traces du travail d’Ed Wood,
notamment un commentaire d’Aline Mosby, correspondante pour
United Press Hollywood, qui compare Ed Wood à « une sorte de
Orson Welles de films à petit budget12 ». La revue Cult Movie13,
spécialisée dans la science-fiction, consacrera deux numéros spéciaux (nos 11 et 12) et dressera également un tableau comparatif
entre les deux carrières d’Ed Wood et d’Orson Welles en proposant un certain nombre de rapprochements, dont la précocité, la
singularité et l’incompréhension de leurs compatriotes. Les mésaventures à court et à moyen terme ne furent pourtant pas préjudiciables à Orson Welles qui bien au contraire bénéficia d’une
reconnaissance planétaire pour sa capacité à faire accepter de
nouveaux standards qui tranchaient avec le cinéma américain des
années 1940 et 1950, et pour sa conception de ce que doit être le
cinéma et de ce que doit être un cinéaste. Dans le cas d’Ed Wood,
l’échec ne fut pas seulement lié au fait d’être accusé d’être un
mauvais cinéaste mais la dénégation fut associée à l’idée même
que, compte tenu de sa maladresse (et cela malgré sa lointaine
68
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
parenté avec une démarche « d’auteur » comme celle d’Orson
Welles), il n’était pas digne d’être considéré comme un cinéaste à
part entière.
Néanmoins les regards, les lectures, les interprétations successives et discordantes viennent déposer sur la vie et l’art d’Ed
Wood de multiples attributions de significations. Ce qui ressort à
travers différents éclairages, c’est une distinction entre les effets
des contraintes qui ont pesé sur la réalisation de chaque film, le
produit des ressources mobilisées pour faire aboutir les projets,
l’expression de l’univers du cinéaste, la réception de l’œuvre d’Ed
Wood du vivant du cinéaste 14 et les différents espaces d’interprétation postérieurs qui ont abouti à une reconsidération de la place
– somme toute modeste – accordée à Ed Wood dans l’histoire du
cinéma. Ce qui advient à une œuvre et à la réputation d’un artiste
est postérieur, et se trouve affecté « comme peut être affectée une
chose complètement formée quand elle est précipitée dans les
turbulences de son destin temporel » (Menger, 2001 : 75).
Le parcours singulier d’Ed Wood est décrit dans la biographie
de Rudolph Grey à travers les témoignages de ses proches et de
ses différents collaborateurs. La démarche du biographe est singulière puisqu’il s’agissait de recenser ce qui restait de souvenir
d’un personnage quasi inconnu qui finalement marqua avant
tout par sa persévérance à explorer son univers par des créations bricolées et ignorées du plus grand nombre. L’entreprise
fut périlleuse et il lui aura fallu dix ans et des centaines d’entretiens pour restituer cet ensemble de fragments d’interviews qui
élabore un portrait contrasté et parfois contradictoire du cinéaste. L’appréhension de la vie et de l’art d’Ed Wood se trouve
modifiée par cette biographie qui trouve un écho auprès de Tim
Burton lorsque ce dernier achète les droits du livre et l’adapte au
cinéma 15.
E D W O O D , U N
B I O P I C
D E
T I M
B U R T O N
P
armi les processus de construction d’une
notoriété artistique, celui qui relève d’une reconnaissance qu’un
artiste accorde à un autre artiste16 suscite une curiosité immédiate,
surtout lorsqu’il s’agit d’un artiste de renommée internationale,
excellent dans le domaine du cinéma fantastique et du box-office.
Le film Ed Wood de Tim Burton produit ainsi un effet dont la portée
transforme l’histoire inconnue d’Ed Wood au profit d’une image
hollywoodienne et son incarnation à l’écran par Johnny Depp. La
réhabilitation partielle « du plus mauvais réalisateur de tous les
temps » apporte une nouvelle figure du mythe de l’artiste maudit
affublé des caractéristiques les plus flatteuses : un dynamisme à
69
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
toute épreuve, une sincérité fascinante, une roublardise bien sympathique, un cercle d’amis aussi étranges que dévoués. La fiction
de Tim Burton retrace un itinéraire du cinéaste depuis ses premières tentatives – dans le film il s’agit d’une pièce de théâtre,
The Casual Compagny (Le Détachement détaché) – jusqu’à la première projection publique de son film Plan 9 Outer Space.
Les points de vue positifs et parfois parodiques sur trois films
d’Ed Wood, Glen or Glenda, Bride of the Monster, Plan 9 Outer
Space, les fragments réalistes librement inspirés de la biographie du
cinéaste et un goût pour les personnages inclassables restituent
une vision de la carrière fictive du cinéaste. Tim Burton intègre de
surcroît des éléments inventés comme la rencontre avec Orson
Welles auquel Ed Wood s’identifie en tant qu’acteur, auteur, producteur, réalisateur de Hollywood. Excédé par les financeurs de
son film (deux révérends baptistes), Ed Wood est en proie au
doute au moment où il rencontre par hasard son mentor Orson
Welles : « Monsieur Welles… Est-ce que ça vaut la peine ? ». Réponse d’Orson Welles (interprété dans le film par Vincent d’Onofrio) : « Oui. Quand ça marche. Il y a un seul film dont j’ai gardé
le contrôle : Kane. Les producteurs le détestaient, mais ils n’ont
pas touché une image. Ed, il faut se battre pour imposer sa vision.
À quoi bon réaliser les rêves d’un autre ? » Malgré l’écart de situation entre une légende et un inconnu, les points communs mis en
avant comme le désir intense de pouvoir imposer une vision à
l’écran sans aucun compromis provoque la fiction d’un Ed Wood,
créateur singulier, jouissant autant par imprégnation de l’aura
d’Orson Welles que de l’identification à un double de Tim Burton.
Le film s’achève sur une note optimiste. La salle semble
conquise, l’équipe du film au grand complet est enchantée.
À l’écran, Martin Landau interprète le rôle de Bela Lugosi dans
une reconstitution de la première séquence de Plan 9 Outer Space
tandis que Johnny Depp contemple le film et mime le commentaire en voix off du vrai Ed Wood (il s’agit de la bande sonore originale de Plan 9 Outer Space). À l’issue de la projection, le public
est enthousiaste. Dans l’euphorie, Ed Wood propose à Kathy (sa
nouvelle compagne) de partir immédiatement se marier malgré la
pluie et une voiture à bout de souffle. Suite à ce « happy end »,
des portraits de l’ensemble des personnages principaux viennent
conclure le film et nuancent l’impression finale. Celui dévolu à Ed
Wood en particulier : « Edward D. Wood Jr continua le combat à
Hollywood mais le succès ne cessa de lui échapper. Après un lent
naufrage dans l’alcool et des films “dénudés”, il mourut en 1978, à
cinquante-quatre ans. Deux ans après, il fut sacré “plus mauvais
réalisateur de tous les temps”, ce qui lui valut la reconnaissance
internationale17. »
Dans cet épilogue, on retrouve l’argument des frères Medved
(« le plus mauvais réalisateur de tous les temps ») et la logique biographique du film. En langage hollywoodien, Ed Wood correspond
70
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
d’ailleurs à un genre : le biopic (biographical pictures) qu’on peut
traduire par « biographie filmée ». Il s’inscrit également dans une
série de films sur le cinéma18 mais il diffère par le choix du
registre de référence. En effet, si l’époque convoquée correspond
aux années 1950 à Hollywood, l’univers cinéphilique est celui du
cinéma muet, du fantastique balbutiant et des émissions de télévision spécialisées dans la science-fiction. Dans l’histoire du
cinéma – Histoires du cinéma américain de Martin Scorsese par
exemple –, ces deux éléments sont peu valorisés au détriment
des films de genre comme le western, le film policier, la comédie
musicale et parfois même la série B. L’ensemble des films de Tim
Burton précédant Ed Wood 19 introduit une forme de culture du
cinéma jusqu’alors peu légitime. Il explicite avec Ed Wood un
regard et le rend acceptable puisqu’il s’est imposé comme l’un
des cinéastes hollywoodiens les plus doués de sa génération. Il
contribue à donner un droit de cité au cinéma « fantastique »,
légitime des pratiques culturelles éclectiques des spécialistes des
films inclassables, redéfinit l’identité de la cinéphilie et transforme
par extension une définition déjà multiple du cinéma.
À défaut de succès public 20, le film de Tim Burton jouit d’une
reconnaissance de ses pairs et propage une définition de la création au cinéma qui est l’aboutissement d’un processus artistique
qui s’inscrit dans un long processus historique. La légende d’Ed
Wood dispose de son côté d’une notoriété posthume qui est
le résultat d’une construction également constituée par « un
monde de l’art » attaché à la valorisation d’une idéologie de la
contre-culture et de la transgression. L’émergence d’une réaction
critique, l’intérêt biographique, le film de Tim Burton et son institutionnalisation à travers des sélections dans des festivals et des
prix prestigieux renforcent par procuration une réputation de
« cinéaste-culte ». Incapable d’avoir été l’auteur de sa propre histoire, la présence corporelle d’Ed Wood s’est autonomisée par
l’effet conjoint d’une légende naissante et de recompositions
subtiles. Cette figure d’artiste réinventé bénéficie du statut
d’icône autant à l’écran que dans le panthéon mythologique des
« cinéastes-cultes ».
L ’ A N D R O G Y N E
E T L E VA M P I R E
I
ndépendamment de sa contribution à la reconnaissance d’un genre et d’une cinéphilie encore méprisée, l’une
des préoccupations de Tim Burton renvoie à un questionnement
à propos de la création et de l’identité artistique. Dans les fragments d’entretiens extraits du livre de Mark Salisbury Tim Burton
par Tim Burton, Tim Burton explicite le parallèle entre Ed Wood
et sa conception de ce qu’est un créateur ainsi que son choix de
71
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
parler d’une démarche d’artiste même lorsqu’il s’agit d’un ratage :
« On a trouvé surprenant que je m’intéresse à ce projet, parce que
j’ai eu beaucoup de succès et qu’il n’en a jamais eu. Mais c’est
oublier que la frontière entre la réussite et l’échec est extrêmement ténue. Qui sait si demain je ne deviendrai pas Ed Wood ?
Aucun responsable des studios n’était en mesure de prédire le
succès de mes films. […] Ed était consumé par sa passion ; et je
le suis aussi. C’est comme une drogue. Quand tu tournes un film,
tu as toujours l’impression que tu réalises un chef-d’œuvre absolu
– et il faut penser ainsi. Mais le croire ne suffit pas ; en tout cas
pour que les spectateurs en soient convaincus, eux aussi. Si j’admire Ed Wood, c’est parce que c’est un créateur. J’admire tous les
créateurs, qu’ils soient peintres, réalisateurs, sculpteurs empilant
des carcasses de voitures dans le désert ou je ne sais quoi d’autre.
Peu m’importe si j’aime ou non leur œuvre. Ce qui compte à mes
yeux, c’est qu’ils créent alors que les autres ne créent pas […]. »
(Salisbury, 2000.)
Une autre façon de projeter sur Ed Wood une démarche d’artiste et des éléments de l’univers de Tim Burton est de constituer
des rapprochements biographiques qui lui sont propres. Tim
Burton confie que lorsque, adolescent, il a découvert à la télévision Plan 9 Outer Space, il a eu l’impression que l’action se déroulait près de l’aéroport et du cimetière de Burbank, sa ville natale.
D’autre part, la relation entre Ed Wood et Bela Lugosi s’apparente
au soutien puis à la complicité dont Tim Burton bénéficia avec
Vincent Price21 : « J’ai grandi avec lui en allant voir ses films au
cinéma, et le jour où j’ai pu le rencontrer a été mémorable car
l’homme était à la hauteur de tous mes espoirs. J’avais envoyé à
Vincent Price les story-boards de Vincent, mon premier court
métrage, pour lui demander d’en assurer la narration. Il a réagi de
manière formidable, et ce fut certainement l’un des moments les
plus décisifs de mon existence. […] Le rapprochement entre Ed
Wood et moi d’une part, et Bela Lugosi et Vincent Price d’autre
part est évident, mais il y a une grande différence : Vincent n’était
pas un homme aussi sombre que Bela Lugosi. Il ne prenait pas de
morphine, ne buvait pas, avait toujours un état d’esprit très
positif. » (Blumenfeld, 1995.)
L’incarnation à l’écran du duo Ed Wood / Bela Lugosi avec les
interprétations de Johnny Depp et de Martin Landau relève également d’une relation particulière avec les acteurs. Depuis Édouard
aux mains d’argent, il existe une complicité fusionnelle entre
l’univers d’acteur de Johnny Depp et celui de cinéaste de Tim Burton tout comme chez Nicholas Ray et James Dean (dans La Fureur
de vivre par exemple) ou chez Martin Scorcese et Robert de Niro.
Le lien avec Martin Landau renvoie à une autre modalité puisque
cet acteur sur le retour22 retrouve le devant de la scène avec ce
rôle d’acteur déchu à la fois pathétique et drôle. Sa carrière inégale
l’a certainement aidé à habiter l’acteur hongrois Bela Lugosi
72
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
dans Ed Wood, ce qui lui vaudra en 1995 une reconnaissance de
la profession avec l’Oscar du meilleur acteur dans un second
rôle23. Plusieurs séquences du film montrent à quel niveau de
perversité se jouent les relations entre Ed Wood et Bela Lugosi.
À la fois sincère et manipulateur, Ed Wood incorpore de manière
artificielle et pour des raisons totalement commerciales une scène
avec Bela Lugosi au début du film Plan 9 Outer Space (un acteur
dans la continuité du film aura la tâche de jouer la silhouette du
personnage à moitié masqué sous une cape). Le film de Tim
Burton défend la thèse que, même si les motivations d’Ed Wood
étaient intéressées, les deux hommes étaient liés par une admiration réciproque.
Tim Burton tire de cette situation un merveilleux support de
mise en fiction en composant deux figures : l’androgyne et le
vampire. Le travestissement d’Ed Wood est révélé au cours d’une
séquence avec sa première compagne à qui il annonce son penchant par l’intermédiaire du scénario de Glen or Glenda. Dolorès
Fuller, stupéfaite à l’issue de sa lecture, découvre Ed Wood travesti en femme avec l’un de ses pulls angoras. Le goût d’Ed Wood
pour le travestissement n’est pas amené comme la revendication
d’une homosexualité refoulée (il n’était pas homosexuel au
demeurant) ou même comme une perversion mais comme une
chose normale qui petit à petit devient perçue dans le film de
manière tout à fait naturelle par son entourage. Bela Lugosi apparaît à l’écran dans un cercueil et s’éveille comme Dracula pour
protester contre la qualité de cet accessoire auprès du marchand.
À cette occasion les deux personnages se rencontrent et leur
amitié débute. Lorsque Eddie raccompagne Bela, ce dernier lui
confie que les femmes préfèrent les monstres traditionnels
comme Dracula et les vampires : « L’horreur pure les attire et les
repousse à la fois. Parce que dans leur inconscient collectif, il y a
l’angoisse de l’enfantement. Le sang. Le sang, c’est l’horreur. »
Bela Lugosi prend congé de son admirateur en faisant une allusion énigmatique « mais pour l’instant, les enfants de la nuit m’appellent » pour masquer son rendez-vous avec un autre rêve
éveillé, celui de la drogue.
Dans la surenchère à l’horreur ordinaire, Ed Wood n’est pas en
reste et surpassera le soir de Halloween son idole dans le registre
du vampire. Bela Lugosi revêt sa cape et chausse des canines
pour effrayer les enfants qui viennent réclamer des friandises.
Face à un enfant incrédule, Ed Wood sort à son tour et ôte son
dentier pour montrer qu’il possède vraiment des dents de
vampire (il avait perdu ses dents de devant lors de combats dans
la guerre du Pacifique). L’enfant terrorisé s’enfuit face à deux
monstres si différents et tellement complémentaires. Les présences corporelles de l’androgyne et du vampire se rejoindront
lors de la soirée de fin de tournage de Bride of the Monster. Ed
Wood déguisé en danseuse orientale fait une chorégraphie de
73
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
strip-teaseur en compagnie de Bela et ses amis puis enlève son
voile à l’apogée de la scène, laissant apparaître, en l’absence de
son dentier, ses dents de vampire. Pour Bill Krohn « ce gros plan
très dérangeant dévoile l’unité de deux images obsédantes qui
définissent la vocation artistique de Wood : le séducteur portant
dans son corps la marque de l’objet de son désir (les dents de
vampire comme symbole de castration), et l’objet féminisé de
tous les regards » (Krohn, 1994). Quelles que soient les interprétations plausibles de ces situations fictives, les présences corporelles d’Ed Wood et Bela Lugosi ne sont pas des représentations
extraites directement des films d’Ed Wood et maîtrisées par le
cinéaste. Les mises en signification de la construction de mythes
préposés à la postérité sont liées aux interprétations développées
à partir d’hypothèses biographiques et artistiques dans une configuration différente du contexte hollywoodien des années 1950.
Entre le déni et l’adulation24, les regards portés sur les films
d’Ed Wood ont changé des années 1950 à nos jours. Pour autant
la reconstitution des pactes de réception autour de l’œuvre et la
carrière d’Ed Wood reste partielle. Nous pouvons néanmoins avancer l’idée que c’est la somme des communautés d’interprétations,
produites à partir d’Ed Wood, dans différents contextes et à différentes périodes, autour de plusieurs consensus, que les modalités
de réception se sont inventées. La dynamique de cette participation générée par l’émotion esthétique des films s’accompagne de
multiples processus d’identification à un corps mais également à
une figure d’artiste qui vient rejoindre dans une moindre mesure
le panthéon moderne des monstres inclassables – Dracula, Frankenstein, Dr Jekyll et Mr Hyde, Dorian Grey, etc. – et le martyrologue des grands singuliers du cinéma – Stroheim, Welles,
Eisenstein.
C O N C L U S I O N
N
ous avons cherché à montrer que l’un
des maillons de la reconstruction de la réputation d’un artiste
passe par des processus variés. Le film de Tim Burton introduit
dans la réception du phénomène « Ed Wood » une dimension
réflexive sur le cinéma et fonctionne comme une formidable
analyse du processus de création en choisissant un contre-exemple
de réussite cinématographique. À travers ce qui peut sembler un
échec, Tim Burton contribue à inventer un regard qui porte sur la
démarche plutôt que sur la création et recompose une présence
corporelle composite de « l’androgyne, du vampire et du cinéasteculte ». Il concourt dans cette mise à distance réflexive de l’imaginaire collectif du monde artistique à produire du sens et une identité
à un acte créateur inclassable. Ainsi la reconstruction du passé
de « l’homme et l’œuvre » Ed Wood à partir des préoccupations de
74
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
Tim Burton peut se définir également comme un point de vue sur
les frontières entre différents genres ou médias – le fantastique,
les séries B et Z, la télévision, le film muet, le documentaire, le
film d’animation, etc. – ainsi que sur la mémoire collective du
cinéma25. Ce point de vue dépendant lui-même de la place qu’occupe Tim Burton dans le cinéma et des relations qu’il entretient
avec le domaine du fantastique et de la science-fiction.
Nous mentionnerons une dernière déclinaison de la notoriété
acquise de la figure de l’artiste Ed Wood dans un autre registre
que celui des fans de cinéma Z, des amateurs de films fantastiques, des critiques, des cinéastes, des spécialistes des cinémathèques, des chercheurs, des enseignants ou des professionnels
du cinéma. L’exposition Cultura Porqueria organisée par le
« Centre de Cultura Contemporània de Barcelona » (CCCB) du 20 mai
au 31 juillet 2003, nous semble en effet un exemple représentatif
de la reconnaissance du monde de l’art contemporain. Dans ce
dispositif muséal, un espace et plusieurs installations étaient consacrés à Ed Wood pour retracer son œuvre, son parcours et sa
carrière dans l’une des déclinaisons d’une archéologie du « goût
pauvre ». Ed Wood n’est donc aujourd’hui plus seulement un
cinéaste mais un artiste parmi d’autres artistes dans une extension
du cadre de réception du monde du cinéma. Il est considéré dans
un contexte contemporain comme l’incarnation d’une légende et
d’un mythe. La présence multiforme de la figure de l’artiste Ed
Wood dans des registres d’interprétation multiples démontre ainsi
que la réputation d’une œuvre et d’un artiste ne se réduit ni aux
films ni à sa biographie, ni même à une communauté spécifique de
spectateurs mais à un processus complexe où des êtres humains,
des objets, des pratiques, des discours, et des représentations
construisent une configuration d’un monde de l’art perpétuellement imprévisible et inédit.
O. T.
Université de Franche-Comté
75
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
NOTES
de Rudolph Grey le crédite également de nombreux scénarios (le
plus souvent non réalisés) pour le
cinéma et la télévision et d’un nombre impressionnant de livres érotiques ou pornographiques. Entre
1963 et 1978, Ed Wood semble se
réfugier dans l’écriture et dans l’alcool, il vit d’expédients, travaille
épisodiquement pour des chaînes
de télévision comme KTTV (1964) et
contribue assidûment à d’obscures
revues telles que Pendulum, Calga,
Gallery Press où il écrit des centaines d’histoires courtes en signant
parfois sous des pseudonymes. Ed
Wood meurt d’une crise cardiaque
à l’âge de cinquante-quatre ans à
Los Angeles en regardant un match
de football américain. Sans domicile, sans un sou, et dans l’indifférence générale, sa disparition ne
suscite aucun écho dans la presse,
même pas une nécrologie.
8. Glen or Glenda a été financé par
un producteur spécialisé dans des
films très bon marché pour les
salles de cinéma de troisième catégorie (cela correspondrait aujourd’hui aux productions de fictions
audiovisuelles à bas prix à destination des multiples chaînes de télévision) en misant sur la présence
d’une ancienne star du muet, Bela
Lugosi. On peut d’ailleurs soupçonner Ed Wood d’avoir en partie
tiré profit de Bela Lugosi dans la
perspective de trouver des moyens
de production sans pour autant
avoir abouti son projet artistique.
La priorité étant de convaincre le
producteur George Weiss de financer un produit bas de gamme pour
amorcer une carrière.
9. Le premier film de Claude Chabrol,
Le Beau Serge a été par exemple
intégralement autoproduit.
10. On pense notamment à certains
cinéastes du Dogme.
11. Malgré nos recherches et la lecture
de The Fifty Worst Movies of all
Time de Harry Medved et de Randy Dreyfus (Angus and Robertson,
1978) nous n’avons pas pu identifier
1. Plusieurs films d’Ed Wood étaient
disponibles en 1995 chez Vogue
Cinéma, Glen or Glenda, The Violent Years, Jailbait et The Sinister
Urge. Plan 9 Outer Space, et Night
of The Gouls étaient édités, toujours
en 1995, chez Panda Films.
2. À propos de cette notion « homme
et œuvre » : Foucault, 1994 : 804.
3. Edward D. Wood Jr est né en 1924
à Poughkeepsie, près de New York.
4. Ed Wood a réalisé deux courts
métrages, The Street of Laredo (1948)
et The Sun was Setting (1951) et
écrit le scénario du film The Lawless Rider de Yakima Canutt avant
Glen or Glenda, son premier long
métrage.
5. Immigré hongrois, Bela Lugosi a été
en 1930 la vedette du Dracula de
Tod Browning. Pendant les deux
décennies qui suivent le film de
Tod Browning, Lugosi sombre, peu
à peu, dans l’anonymat et devient
dépendant à la morphine, un
médicament qu’on lui a initialement prescrit pour soigner une
blessure de guerre. Ed Wood désire
relancer la carrière de Lugosi en le
faisant jouer dans ses films, ce qu’il
tente de faire avec Glen or Glenda.
6. Le film débute par cet avertissement :
« In the making of this film, which
deals with a strange and curious
subject, no punches have been pulled - no easy way out has been
taken. Many of the smaller parts are
portrayed by persons who actually
are, in real life, the character they
portray on the screen. This is a
picture of stark realism… Taking
no sides… But giving you the
facts… All the facts… As they are
today… You are society--- JUDGE YE
NOT... »
7. Son métier de cinéaste évolue au
tournant des années 1960 au profit
de fictions « érotico-documentaires »
comme The Sinister Urge (1960) puis
peu à peu vers le pornographique
fantastique qu’il réalise, scénarise
ou produit parfois. La biographie
76
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
la référence précise concernant cette
affirmation. Nous sommes donc
obligé d’utiliser des sources de seconde main, notamment plusieurs
articles de presse ainsi que la présentation du livre en question (sans
doute la seconde version de The
Fifty Worst Movies of all Time) à
l’exposition Cultura Porqueria organisée du 20 mai au 31 juillet 2003
par le Centre de Cultura Contemporània de Barcelona (CCCB).
12. « Director Wood a sort of Orson
Welles of low-budget pictures, wrote,
directed and starred in the movie »
(Mosby, 1995).
13. Documents présentés à l’exposition Cultura Porqueria.
14. Pour plus de précisions à propos
de l’économie symbolique d’un film,
on peut consulter l’introduction du
livre de Jean-Pierre Esquénazi (2004).
15. Tim Burton a découvert un documentaire (réalisé par Jonathan
Ross) qui était consacré à Ed Wood
et il s’est ensuite procuré le livre de
Rudolph Grey. « Les scénaristes
Larry Karaszewski et Scott Alexander sont à l’origine du projet. Le
traitement d’une dizaine de pages
est arrivé sur le bureau de Denise
Di Novi, la productrice de Tim Burton (via Michael Lehman, vieux
copain de l’University of South California et réalisateur de Fatal Games
produit également par Di Novi).
Un accord prévoit que Lehman réalisera le film, tandis que Tim Burton
et Di Novi le produiront. Finalement évincé de Mary Reilly par les
responsables de Columbia Pictures,
Tim Burton entrevoit la possibilité
de réaliser Ed Wood lui-même si le
film peut se monter très vite. Karaszewski et Alexander écrivent alors
en six semaines le scénario. Tim
Burton lit la première ébauche et
donne immédiatement son accord
sans demander ni changements ni
réécritures. »
16. Dans la littérature, les meilleurs
médiateurs d’une œuvre se trouvent
souvent être des écrivains comme
par exemple Baudelaire introduisant
Edgar Poe en France. La reconnaissance joue également un rôle
particulier auprès du public, on
apprend, par exemple, dans les
articles consacrés à Ed Wood dans
les années 1990, que Glen or Glenda
est l’un des films préférés de David
Lynch. Cela donne évidemment du
crédit à la réhabilitation des films
d’Ed Wood.
17. Les portraits des principaux protagonistes se succèdent : Kathy Wood
fut sa femme pendant plus de vingt
ans pour le meilleur et pour le pire.
Après sa mort, elle ne s’est jamais
remariée. Bela Lugosi n’est plus
jamais sorti de sa tombe. Après cent
trois films, il est plus célèbre que
jamais. Aujourd’hui sa filmographie
l’emporte sur celle de Boris Karloff, etc.
18. On peut citer entre autres The Bad
and the Beautiful, de Vicente Minelli, La Comtesse aux pieds nus de
Joseph Mankiewicz, 8 1/2 de Federico
Fellini, Le Mépris de Jean-Luc Godard, La Nuit américaine de François Truffaut, Close Up d’Abbas
Kiarostami, etc.
19. Vincent (1982), Frankenweenie
(1982), Hansel and Gretel (1982),
Aladin and his Wonderful lamp,
(1984), Pee-Wee’s Big Adventure (1985),
Beetlejuice (1988), Batman (1989),
Édouard aux mains d’argent
(1991), Batman le défi (1992),
L’Étrange Noël de Mr Jack (1993).
20. Ed Wood est le premier échec au
box-office de la carrière de Tim Burton mais il reçoit un accueil critique
unanime. Le film est notamment
sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes, lauréat
au Golden Globe, il obtient deux
nominations et deux Oscar en 1995.
21. Vincent Price a participé à plusieurs films de Tim Burton, notamment Édouard aux mains d’argent.
Il lui a également consacré un documentaire. Vincent Price meurt peu
avant le tournage d’Ed Wood, ce
qui produit un rapprochement supplémentaire et donne également au
film un autre lien biographique sous
77
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
forme d’hommage au second degré
à Vincent Price à travers l’hommage
fictif d’Ed Wood à Bela Lugosi.
22. Élève de l’Actor’s Studio, interprète
d’un second rôle dans La Mort aux
trousses d’Alfred Hitchcock, il est
le héros de séries telles que Mission
impossible et Cosmos 1999. Après
un passage à vide, il retrouve des
rôles plus prestigieux en collaborant à des films de Raoul Ruiz,
Woody Allen, Francis Coppola et
évidemment Tim Burton.
23. Grâce à son travail sur le personnage de Bela Lugosi, Rick Baker
obtient également un Oscar pour le
meilleur maquillage.
24. Vincent Ostria fait par exemple
l’éloge d’un de ces films, The Sinister
Urge : « Wood a poussé jusqu’à la
poésie l’aspect naturellement épuré
de la série B. […] Il a tout simplement inventé le cinéma homéopathique : les turpitudes promises
n’apparaissent pas à l’image, mais
sont juste suggérées par un geste,
un détail infinitésimal. Comme dans
les films modernes les plus épurés
(Bresson, Ozu, Straub), le film s’élabore directement dans le cerveau
du spectateur. » (Ostria, 1995.)
25. En dépit du caractère social de la
mémoire, remarque Jean-Hugues Déchaux, « d’importantes différences
existent entre les individus selon la
biographie de chacun et les relations qui sont ou ont été les siennes » (Déchaux, 1997 : 12).
RÉFÉRENCES
Blumenfeld (Samuel). 1995. « Entretien
avec Tim Burton ». Les Inrockuptibles, 15, p. 18.
Déchaux (Jean-Hugues). 1997. Le Souvenir des morts. Paris : Presses universitaires de France.
Esquénazi (Jean-Pierre). 2004. Godard
et la société française des années
1960. Paris : Armand Colin.
Foucault (Michel). 1994 [1969]. « Qu’estce qu’un auteur ? », p. 789-821 in
Dits et Écrits : 1954-1969, t. I, sous
la direction de Daniel Defert et
François Ewald. Paris : Gallimard.
Krohn (Bill). 1994. « Ed Wood », Cahiers
du cinéma, 486, p. 37.
Menger (Pierre-Michel). 2001. « Les
profils de l’inachèvement : L’œuvre
de Rodin et la pluralité de ses incomplétudes », p. 75 in Vers une
sociologie des œuvres, t. I, sous la
direction de Jean-Olivier Majastre
et Alain Pessin. Paris : Éd. de
L’Harmattan.
Mosby (Aline). 1995 [1994]. « How a
man changes his sex soon will be
rushed on the screen », in Nightmare of Extasy, The Life and Art of
Edward D. Wood, Jr., sous la direction de Rudolph Grey. Londres :
Faber and Faber.
Ostria (Vincent). 1995. « Ed le cinéaste
discount ». Les Inrockuptibles, 15,
p. 17.
Salisbury (Mark). 2000. Tim Burton
par Tim Burton. Paris : Éd. le Cinéphage.
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ED WOOD :
BIBLIOGRAPHIQUES
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
RÉSUMÉS
T
ravesti invétéré dans la vie comme à l’écran,
Ed Wood intrigue par son identité sexuelle et artistique. Personnage trouble, figure au corps multiforme, sa présence corporelle
déborde l’interprétation des personnages de ses films et incarne
une légende : celle d’un cinéaste-culte. Cette présence à l’écran
ainsi que la notoriété d’une œuvre et d’un artiste ne suffisent pas
à expliquer une légende – un cinéaste de films fantastiques, une
biographie romanesque – mais s’appréhendent à travers un dispositif complexe où des êtres humains, des objets, des pratiques,
des discours, et des représentations constituent les éléments réactifs d’un processus inédit de création. Entre le déni et l’adulation,
les regards portés sur Ed Wood ont changé et la reconstitution
des pactes de réception autour de l’œuvre et de la carrière d’Ed
Wood reste partielle. Néanmoins, sa figure compose d’ores et déjà
un portrait ayant, dans une moindre mesure, droit de cité dans le
panthéon moderne des personnages inclassables et des artistes
bénéficiant d’une singularité remarquable.
A
deep-rooted transvestite in real life as well
as on the screen, Ed Wood puzzles by his sexual and artistic identity. A troubling character, a muti-faceted figure, his bodily presence goes far beyond the interpretation of his films’ characters
and embodies a legend : that of a « cult » film-director. Such a presence on the screen, as well as the artist’s fame and that of his
work, are not enough to explain the legend – a « fantasy » film
maker, a fabulous biography – but can be grasped through a complicated device where human beings, objects, pratical experiences,
speeches and performances are the reactive elements of an original creating process. Between denial and adulation, judgements
on Ed Wood have changed and the reconstruction of reception
mechanisms acting upon Ed Wood’s work and career stay partial.
Still, his figure already composes an established portrait joining in
– in a minor way – the modern Pantheon of unclassifiable characters and of artists blessed with a remarkable uniqueness.
T
ravestí inveterado en la vida come en la
pantalla, Ed Wood intriga por su identidad sexual y artística.
Personaje turbio, al cuerpo multiforme, su presencia corporal
escapa a los personajes de sus películas y incarnan une leyenda :
la de un cineasta culto. Esta presencia en la pantalla, así como la
notoriedad de la obra y del artista, no son suficientes par explicar
la leyenda – un cineasta de películas fantásticas, una biografía
novelesca. Se pueden comprender a través de una disposición
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ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
CULTURE & MUSÉES N° 7
compleja en la cual los seres humanos, los objectos, las prácticas,
los discursos y las representaciones son todos elementos de un
proceso de creación único.
Entre denegación y adulación, los comentarios en cuento a Ed
Wood han cambiado, y la reconstitución del pacto de recepción
de su obra queda muy parcial. Sin embargo, el retrato que a creado
su figura ya le coloca en el panteón moderno de los personajes
inclasificables y de los artistas de extraordinaria singularidad.
80
ED WOOD :
FIGURES D’UN CORPS…
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