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Alan Moore - Métro, boulot, super héros

2010, Les Moutons électriques

Article published in the collective book "Alan Moore - tisser l'invisible" (edited by Julien Bétan), published in 2010 by Les Moutons électriques (in the collection "La Bibliothèque des miroirs"). This article deals with the way Alan Moore approached the theme of superheroes in "Top Ten". Article publié dans l'ouvrage collectif "Alan Moore - tisser l'invisible" (sous la direction de Julien Bétan), publié en 2010 par Les Moutons électriques (dans la collection "La Bibliothèque des miroirs"). Cet article traite de la manière dont Alan Moore a abordé la thématique des super-héros dans "Top Ten".

MOORE 10. Métro, boulot, super-héros Banalité du super-héros dans TOP 10 ? « We should salute the officers of Precinct Ten. Admire them, may be. But not envy. Life is too tough for that. No matter which way you prefer your cape to drape. » (Alan Moore, Top 10.) © America’s Best comics. 184 Top 10 est une série mettant en scène la vie quotidienne d’un commissariat de super-héros dans une ville, Neopolis, dont tous les habitants, sans exception (ou presque ?), sont des super-héros. Cette série a été publiée au cours des années 20002001, par America’s Best Comics, le propre label d’Alan Moore au sein de Wildstorm, qui est lui-même un imprint de DC Comics. La série d’origine, créée par Alan Moore et Gene Ha, compte douze volumes, auxquels il faut ajouter plusieurs autres séries : Top 10: The Forty Niners, qui est une sorte de préquelle, et dont l’action se déroule (comme le titre l’indique) en 1949 ; Top 10: Smax, dessinée par Zander Cannon et qui narre les aventures de Jeff Smax, l’un des principaux personnages de Top 10 ; et Top 10: Beyond the Farthest Precinct, avec Paul Di Filippo au scénario et Jerry Ordway au dessin. Signalons, pour finir, Top 10: Season Two, une série en quatre volumes (plus un cinquième, spécial), écrite par Zander et Kevin Cannon, et dessinée par Gene Ha et Daxiong (pour le cinquième). Cela étant, en dépit — ou à cause — de la richesse de ce cadre, je me limiterai dans cet article à n’étudier que la série originelle, ses personnages, son univers et son style. Contrairement aux autres séries lancées par Alan Moore au tout début d’ABC, Top 10 ne raconte pas les aventures d’un super-héros (Tom Strong) ou d’une super-héroïne (Promethea). Top 10 nous raconte l’histoire — ou plutôt, les histoires — d’une multitude de personnages travaillant pour la police. Qu’ils soient sergent, lieutenant, capitaine, standardiste, jeune recrue, médecin légiste, télépathe, etc., tous les « héros » de Top 10 travaillent au commissariat du dixième district de Neopolis, une ville fondée juste après la Seconde Guerre mondiale par un comité comprenant aussi bien des scientifiques nazis que Ray Bradbury, Fritz Lang ou Zeus ! La particularité de cette ville, qui par bien des aspects ressemble à nos mégapoles, c’est que tous ses habitants sont dotés de pouvoirs, plus délirants les uns que les autres. Tous ? Peut-être pas. Il semblerait, justement, que le personnage par lequel 186 cette histoire commence — la jeune Robyn « Toy Box » Slinger, qui vient d’être affectée au Top 10 — en soit, comme nous, dénué : l’unique pouvoir de Toy Box semble résider dans sa capacité à se servir d’une série de jouets extraordinaires, qui sortent d’une boîte dont elle ne se sépare jamais. De son propre aveu, ces jouets ont été conçus par son père, dans les années 1960. Alors ? Que penser ? Super pouvoirs ou pas ? La réponse n’est jamais donnée. Il n’empêche, c’est avec Toy Box que l’histoire commence, de la façon la plus banale qui soit : lorsqu’elle prend le métro pour se rendre à son travail. Une scène qui aurait pu être parfaitement inintéressante si l’on n’y voyait pas une foule de personnages en costumes colorés, parler de choses aussi banales que d’une sorte de partie de football, de vêtements ou d’un lieu de rendez-vous. Mais certains détails nous frappent d’emblée : les vêtements ne sont pas que de simples vêtements : il s’agit de « capes translucides avec l’effet prismatique ». Et puis, il y a ces noms : « Warhead », « Red Ray », « Stargil », « Leveret », etc. Non, décidément, ce n’est pas si banal que ça — ou plutôt si, ça l’est. C’est du « banal », mais « pas de chez nous » ! Les affiches publicitaires de l’intérieur de la rame sont là pour finir de nous en convaincre. L’une vante les mérites d’une « Légion de Super-Avocats » (« Injured ? Call… Legion of Super-Lawyers »), tandis MOORE 187 qu’une autre fait de la retape pour un magasin de vêtements appelé « Phone Booth » (« Time for a change of outfit ? Shop in at the Phone Booth ! ») — ça ne vous rappelle rien ? D’emblée, nous voici avertis : c’est à la fois banal et pas banal, c’est drôle et c’est bourré de clins d’œil. Ce que nous, lecteurs, trouvons extraordinaire, est affreusement ordinaire pour les habitants de Neopolis. Il s’agit du « quotidien », et ce n’est sans doute pas un hasard si l’épisode — car on peut effectivement parler « d’épisode », tant le rythme et le traitement de cette série rappellent celui des séries télévisées — commence par nous donner la date du jour : « Lundi 5 octobre, 1999. » Un peu comme dans Hill Street Blues — je ne cite pas par hasard cette série des années 1980, créée par Steven Bochco — chacun des douze volumes de cette première « saison » se déroulera sur (plus ou moins) une journée. qui lui permet de marcher sur ses pattes arrière, comme un humain. Plutôt sympathique, il accueille notre jeune héroïne avec ces mots : « J’autorise tous ceux qui sentent bon à m’appeler Kemlo. C’est mon prénom. »1 C’est lui qui s’occupe du briefing matinal (du même type que dans Hill Street Blues), durant lequel les affaires en cours sont passées en revue et attribuées aux différents policiers. C’est ainsi que nous faisons la connaissance de toute une galerie de personnages incroyables, surprenants, qui semblent tous provenir de différents types de séries de bandes-dessinées — policières, évidemment, mais aussi de fantasy, de science-fiction, de western, fantastiques, et bien sûr, de super-héros. C’est ce mélange de tons, et de personnages, qui donne à la série son charme si particulier, sa densité, son humour si décalé. Parmi les personnages les plus emblématiques de Top 10, citons ceux qui sont représentés sur la superbe couverture dessinée par Alex Ross (et reprise dans l’édition française, parue chez Semic) : Robyn « Toy Box » Slinger et Kemlo Caesar, déjà évoqués, mais aussi Duane « Dust Devil » Bodine, un cow-boy équipé de deux étonnants « 12 coups », et son coéquipier Peter Cheney, capable d’envoyer des décharges électriques autour de lui ; Jeff Smax, l’indestructible, originaire d’un monde de fantasy (décrit dans Top 10: Smax), et qui fera équipe avec Toy Box ; Irma Geddon, une femme ressemblant à un char d’assaut, et dont l’équipière, Girl One, est habillée de Le quotidien, donc. Avec ses levers et ses couchers de personnages, à la fois si semblables et si différents de ceux auxquels nous ont habitué des séries policières comme Hill Street Blues ou NYPD Blue. Prenons, par exemple, le sergent Caesar, l’Hyperchien, l’un des tous premiers personnages auxquels est présentée Toy Box : il s’agit d’un doberman équipé d’une sorte de prothèse mécanique 1 « I let anybody who smells nice call me KEMLO. That’s my FIRST name. » (Traduit par : « Les gens qui sentent bon m’appellent par mon PRÉNOM : KEMLO. » dans l’édition française.) façon étonnante — elle manipule les pigments de sa peau de façon à paraître habillée, ce qui donnera lieu à une bagarre suivie d’une explication hilarante dans le n°2, lorsqu’elle s’apercevra que le sergent Caesar ne voit pas les couleurs, et donc qu’il se rince les yeux en la regardant depuis le début… L’un de mes personnages préférés est Jackie Kowalski, une homosexuelle surnommée « Phantom » parce qu’elle est capable de se déphaser — autrement dit, de passer à travers la matière. Ce qui lui vaut cette particularité : ses dialogues sont imprimés dans une encre plus pâle que celle des autres personnages2. Enfin, parmi les nombreux super-héros évoqués sur cette couverture, apparaissent la capitaine Peregrine, une femme munie d’ailes, ainsi que Corbeau, le Roi Paon (« King Peacock »), un détective adorateur de Malik Tous — autrement dit du diable ! Mais en même temps que ces « différences », nous retrouvons tous les stéréotypes, pour ne pas dire les « clichés », propres aux séries télé policières : le téléphone n’arrête pas de sonner — ce qui oblige le flic chargé d’accueillir le public à l’entrée du commissariat à réclamer : « Et que quelqu’un décroche ce téléphone ! » ; plusieurs histoires se déroulent en même temps (parfois dans une même case) ; les personna2 Cette particularité n’apparaît malheureusement pas dans l’édition française. MOORE MétRO, bOulOt, supER-héROs ges se donnent rendez-vous dans les « vestiaires » pour leurs conversations privées ; les suspects sont interrogés dans des « salles d’interrogatoire » ; le budget du commissariat est contrôlé par « Grand Central » ; les suspects sont souvent bourrés, ils chient ou vomissent par terre ; le flictaciturne-à-qui-on-ne-la-fait-pas-etqui-vient-de-perdre-son-coéquipier se retrouve avec comme partenaire la jeune-recrue-ingénue-qui-ne-demande-qu’à-bien-faire ; et les crimes les plus graves (tueur en série, affaires de drogues) se mêlent aux affaires les plus banales : ainsi, par exemple, une mystérieuse entité nommée « L’Oie Fantôme » (« The Ghostly Goose ») s’amuse à mettre les mains aux fesses à toutes les femmes de Neopolis. Ou bien, nos héros policiers doivent intervenir pour mettre fin à une dispute conjugale, chasser des souris d’un appartement ou secourir deux des leurs pris à partie par un gang des rues. Enfin, le commissariat est situé à proximité de certains quartiers chauds (« South Green »), où des gangs (les « Fabulous Five ») font régner leur loi. La tâche des héros de Top 10, déjà pas facile à la base, se voit encore compliquée par le fait que certains des personnages auxquels ils vont avoir à faire sont aussi « hauts en couleurs » qu’eux-mêmes : monstre de la taille d’un gratte-ciel venant ré- Invisibles ? © America’s Best comics. 188 189 190 clamer la libération de son fils en vomissant partout sur son passage et en écrasant des immeubles ; soi-disant père Noël doté de terrifiants pouvoirs psychokinétiques ; dieux nordiques s’amusant à s’entretuer dans un bar réservé à leurs semblables (« Gods members only ») ; ancienne pornstar extra-terrestre (ressemblant à la reine-mère d’Alien !) hantant les égouts de Neopolis ; etc. Sans compter que ces « villains » sont parfois défendus par un avocat — un requin répondant au doux nom de Larry « Frénésie » Fischmann, du cabinet Metavac, Fischmann et Goebbels. MOORE L’évolution de cette multitude de personnages et d’intrigues se fait de manière naturelle, en passant d’un lieu à l’autre, d’une enquête à l’autre, d’un personnage à l’autre. Les situations s’enchaînent sans heurts, les personnages se croisent, s’appellent entre eux, se rendent des coups de main, collaborent parfois sur une même enquête. Surtout, rien n’est gratuit. Tel personnage (apparemment) secondaire qui apparait une première fois dans telle scène (apparemment) sans importance finit généralement par réapparaître un peu plus tard, pour jouer un rôle plus important. Ainsi, la jeune prostituée (« Immune Girl ») prise en flagrant délit de racolage et qu’on retrouve tuée, décapitée. Ou son client, un agent d’assurance que le stress fait gonfler, et qui apprendra plus tard, à son grand désespoir, qu’il est atteint de « M.O.R.T. » (« S.T.O.R.M » en anglais), variante locale du S.I.D.A… Ou encore ce fabuleux chauffeur de taxi aveugle, Bob « Blindshot » Booker, qui conduit en se fiant à ses « sens Zen » : « C’est le tacot qui me conduit, vous comprenez ? Où nous arrivons, c’est là où il fallait qu’on aille. » On le voit brièvement au tout début de la série, puis il revient un peu plus tard pour permet- MétRO, bOulOt, supER-héROs tre à l’intrigue d’évoluer considérablement. Le monde de Top 10 est d’une richesse incroyable — due autant aux personnages qu’aux décors, extrêmement détaillé (il faut saluer ici le talent de Gene Ha). Les références et les allusions disséminées sur chaque planche sont trop nombreuses pour être toutes citées, mais il est amusant de repérer, dans telle case, Wallace et Gromit roulant dans leur side-car au milieu des autres véhicules de Neopolis, Astro Boy ou Green Lantern évoluant dans ses cieux, les héros de Star Gate attendant de partir pour un autre monde, Astérix et Obélix assis sur les gradins d’une arène... Parmi les autres petits détails rigolos, j’ai repéré une publicité pour une boisson appelée « Red K Cola », dont le slogan est : « His secret weakness ! » Ailleurs, c’est une publicité pour la vodka « Absolut Kirby », ou une bijouterie appelée « Power Ring O N Things ». L’un des personnages lit un comics appelé « Businessman » (« You Will Believe That a Man Can’t Fly »). Un panneau publicitaire vante les mérites d’un pantalon indestructible : « Gamma Pants » (« You Wouldn’t Like Me When I’m Naked »), porté par un personnage ressemblant beaucoup à Hulk. On croise des schtroumpfs fumant le cigare, un graffiti demandant « Who Watches the Simpsons ? », un certain Mr Lomax, ami de l’ex porn-star extra-terrestre emprisonnée pour meurtres, ou bien 191 encore un tableau cubiste représentant Les Quatre Fantastiques. Les affaires sont florissantes, et il n’est pas rare d’apercevoir le camion d’une société de transport garantissant à ses clients une livraison pour « le jour précédent » (« Temporal Express — Previous Day Delivery Guaranteed »), une banque proposant à ses clients d’investir dans « hier » (« T2 Bank, Invest in Yesterday »), ou une agence de voyages offrant à ses clients la possibilité de choisir parmi une infinité de Terres (« Vacation on Infinite Earths ») celle où, enfin, vous serez quelqu’un (« Somewhere you’re Tops ! ») ! L’univers de Top 10 est d’une richesse incroyable, encore plus riche et fou que celui des Watchmen. Tout cela, ajouté au fait que les intrigues s’entrecroisent, contribue à nous immerger dans ce monde hallucinant, étonnamment vraisemblable. MOORE MétRO, bOulOt, supER-héROs la première journée de toy box © America’s Best comics. 192 Car Top 10 réussit en effet l’exploit de paraître réaliste. L’utilisation par Alan Moore de codes ultra-connus (ceux des séries télé policières et des bandes dessinées de super-héros) permet une immersion rare, dans un monde qui est à la fois proche et très différent du nôtre. Par moment, on pourrait se croire dans une de ces séries policières où la caméra est embarquée à l’intérieur de la voiture de patrouille, et où le téléspectateur est invité à découvrir l’intimité, le quotidien des flics. Ce n’est probablement pas un hasard, d’ailleurs, si Top 10 regorge nettement moins de poursuites en voiture ou de fusillades que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Il y en a, bien sûr — mais ni plus ni moins que dans la « vraie vie ». La série préfère mettre l’accent sur l’émotion, et présente plusieurs superbes scènes et portraits de personnages : Toy Box et son père, souffrant de la maladie d’Alzheimer, ce qui nous donne une magnifique dernière page à la fin du n°1, lorsque Toy Box répond ellemême aux questions qu’elle aurait aimé que son père lui pose ; ou les morts particulièrement émouvantes de Mr Nebula et de Kapela, le cavalier blanc d’un immense jeu d’échec intergalactique, après qu’ils sont entrés en collision dans un système de téléportation... Au final, Top 10 est un mélange d’un peu tout — comme Hill Street Blues en son temps. Son rythme, la variété des thèmes qu’elle aborde, son 193 mauvais goût assumé, son humour (noir), ses innombrables références, son mélange des genres, en font une série à nulle autre pareille, qui se paye en plus le luxe — pour une bande dessinée — d’aborder des thèmes tels que la drogue, la pédophilie, la corruption, le chômage, la violence conjugale, la politique, l’Histoire, la religion, le racisme (y compris à l’égard des Ferro-américains, que d’aucuns verront comme le pendant des Afro-américains, qui ont leur propre façon de parler et donc leur propre police de caractère)… Tous ces thèmes, et bien d’autres, sont abordés au cours des douze épisodes de cette « première saison », de telle manière qu’ils permettent à chaque fois de renforcer l’intensité dramatique de la série, de mieux en présenter les personnages, sans jamais tomber dans le discours idéologique. Mais Top 10 n’est pas une excellente série parce qu’elle ressemble à Hill Street Blues ou à NYPD Blue. C’est une excellente série parce qu’elle nous immerge dans un univers d’une originalité et d’une richesse étonnantes, où les dieux grecs se mêlent aux extra-terrestres qui se mêlent aux démons, qui se mêlent aux robots et à tout ce qui fait notre quotidien, à nous. Le métro, la fatigue, les fins de mois difficiles, les accidents de circulation, le chômage… Un monde où se dessine en creux ce à quoi notre univers ressemble de plus en plus : un monde de plus en plus judiciarisé, où chaque individu aura son propre « avocat de famille » en plus de son « médecin de famille ». L’art de Top 10 réside dans sa manière de toujours nous surprendre, nous tenir en haleine. C’est une série policière, où il est question de sentiments humains et de condition humaine. C’est une série dramatique, parfois « mélodramatique », où l’on se surprend néanmoins souvent à sourire et à rire. C’est, surtout, une série où tout est possible. Une série extrêmement riche, où les intrigues et les thématiques se superposent les unes aux autres. Ce mélange aurait pu donner une sorte de magma infâme, où tout viendrait contredire tout. Ce n’est pas le cas. Cette série est la preuve qu’Alan Moore est un conteur de génie. Ainsi, il est fini le temps des comics à la papa (dans les années 1960), où l’extraordinaire était « extraordinaire » et où un super héros se contentait de combattre le mal, fini le temps des comics de mon enfance (années 1970), où l’extraordi- MOORE naire était « admis » et où un super héros se contentait de combattre le mal et de boire et de se demander s’il devait épouser ou non sa petite amie, fini le temps des comics de mon adolescence (années 1980), où l’extraordinaire était « relativement commun », et où nous suivions — non plus un seul super héros, mais toute une tripotée, dont les divers problèmes inter-agissaient entre eux et préparaient la continuité des épisodes à venir — ce que Dennis O’Neil appelait le « Levitz Paradigm ». Alan Moore lui-même (avec The Watchmen) et surtout Kurt Busiek (avec Astro City) sont passés par là. Alors qu’à la fin des années 1930, et même dans l’après guerre, les super-héros étaient les dieux d’un panthéon moderne venus sauver la Terre, aujourd’hui on peut avoir des super pouvoirs et vivre dans une H.L.M. ! Notre rapport à la bande dessinée a évolué, certes. La bande dessinée a évolué elle-aussi, certes. Mais nous aussi nous avons évolué. Top 10 est l’illustration de l’évolution de notre rapport à la transcendance et au fait MétRO, bOulOt, supER-héROs religieux, de notre appétit de pouvoir. J’y vois surtout l’illustration du fait qu’aujourd’hui nous voulons tous, nous croyons tous, pouvoir être exceptionnels. Et sans doute le sommes-nous, chacun à notre mesure. Aujourd’hui, nous voulons tous être des super-héros. Ou du moins, nous voulons tous être traités comme tel. L’héroïsme s’est banalisé — il est à la portée de tout le monde, et nous trouverions anormal de ne pas pouvoir être un héros — fût-ce pendant un quart d’heure… Notre credo pourrait être : « Si Superman le fait, alors j’exige de le faire aussi ! » La société de consommation est passée par là, et les enfants gâtés que nous sommes n’accepteraient pas d’être privés de ce qu’il y a de © America’s Best comics. 194 195 mieux. Surtout quand la pub, les médias, et même les hommes politiques, veulent nous faire croire que nous pouvons tout avoir. Et si le principal message d’Alan Moore n’était pas, tout simplement, de nous dire que super pouvoirs ou pas, le vrai super héros est, comme toujours, celui qui viendra vous sauver quand vous serez dans la mouise, quoi qu’il arrive ? Ce n’est pas parce que tout le monde a des super pouvoirs que tout le monde est un super héros. Et contrairement aux apparences, il n’y a pas tant de super-héros que ça dans Top 10… — David Camus