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Désir

Résister au désir ?

Désir Résister au désir ? « J’en ai assez ! C’est fini tout cela ! J’en ai ma claque. Allez, rembarrez, fermez les écoutilles, on arrête tout et on ne recommence pas ! » Claudie récitait son mantra et s’ingéniait à y croire. Comme à chaque fois. Elle se débattait dans la démesure, dans l’absurdité de tout faire, de tout contrôler, elle s’épuisait dans un combat sans fin qu’elle choisissait à chaque fois. Elle ne savait pas elle-même ce qui la poussait à se fondre, à créer les conditions de sa propre asphyxie, à construire le mur qu’elle viendrait heurter. Elle aimait les conseils comme autant de murmures qui lui étaient personnellement adressés. Elle se lovait doucement attentive aux paroles, en appréciait le ton, avalait goulûment ces moments d’attention où elle se sentait revivre dans le souci des autres. Ces petits instants volés, comme arrachés aux consciences, mais qui la recouvrait, dont elle cherchait la chaleur – se persuadant aussi de leur total dévouement comme si l’absence d’intérêt en faisait aussi la saveur -. Etre l’objet d’attention sans pourtant être touchée, être dans l’inclinaison en évitant la rupture, un équilibre des brumes où elle se reposait. Claudie délicieusement alanguie sous les assauts complices s’étirait en soupirant. Ah ! Qu’il était bon de recevoir ces marques, ces signes d’attention, ces salves de banalités qui la faisaient revivre. Elle répondait par des résolutions, par des accords, par une série d’acquiescements, par des « plus jamais, tu as raison » doublement satisfaisant puisqu’ils renforçaient la valeur des conseils et son propre abandon. Nul besoin de dire qu’elle recommençait, que le souvenir de ses plaisirs la replongeait dans son travail, qu’elle poursuivait une fois encore l’attraction de sa perte, son seul ami et son unique ennemi. Elle renforçait sa pente aux contacts des oppositions. Des petits chefs toujours crétins voyaient en elle une proie. Ils s’ingéniaient à poursuivre ses lacunes, à en augmenter l’importance. Ils revivaient dans l’extase de la chasse, la poussaient dans des retranchements qui n’existaient pas mais où ils croyaient la suivre. Elle-même, déjà soumise, se débattait pourtant dans les absurdités des pièges, relevait la tête en imagination, se poussait du menton dans des monologues criés, comme si le son de sa propre voix pouvait à la fois façonner le héros de l’attente et faire disparaître les idiots. C’est dans ces instants qu’on la savait prisonnière. Cela se voyait, elle perdait du poids. Elle diminuait dans tous ses faux combats. On la repêchait à tour de rôle, on lui parlait, on lui disait ce qu’il ne fallait pas faire, on s’inventait des mots pour la tirer du bas. De cette longue cordée, elle retirait toujours l’obscur plaisir de se savoir aimée, s’accrochait un instant mais pour mieux dévaler. Une passion du vide, un désir de la chute, non pas pour se perdre mais pour se voir hisser. Pour le plaisir des attentions qui la bouleversait sans qu’elle n’ose le paraître. Elle aimait se savoir perdue, comme la petite fille des contes, attendant sans douter l’instant délicieux où l’on viendrait la prendre. Christophe de Beauvais 1 Claudie inconsciemment cherchait l’entrée de la vie, mais prise à ses frontières elle ne pouvait se dégager. Elle serait toujours ce conte, toujours tendue vers l’avant, toujours attentive à la perte, toujours fascinée par la main au-dessus des flots. Elle récita son mantra. Elle s’inventa un futur. Et recommença une nouvelle fois. Nous fumes nombreux à la hisser. Au-dessus de ses vagues, l’on comprit son plaisir, l’on s’accrocha. Elle fut sauvée. Nous sûmes aussi, comme elle, que son seul désir était de replonger. Christophe de Beauvais 2