Academia.eduAcademia.edu

"La part du fils" pour les nuls

2019, Agoravox. Le média citoyen.

Abstract

"La part du fils", récit de Jean-Luc Coatalem publié par les éditions Stock fin août 2019, se veut la quête d’un grand-père Résistant déporté. Or le grand-père Coatalem n’a pas été le Résistant décrit dans le livre. Le fond et la forme de cet ouvrage ambigu offrent matière à discussion. La forme est bizarre : roman familial écrit à la manière d’un récit biographique mâtiné de séquences autobiographiques. Quel est ce genre littéraire que l’on peine à circonscrire ? : un mythorécit ! Le fond est contestable car l’auteur brouille à dessein les traces historiques. Il dénature la juste histoire de la Résistance. Plus largement, ce cas interroge sur la manière dont le faux peut être validé et diffusé par les médias et les institutions. Alors, contre les faits alternatifs et la post-vérité : le devoir d'Histoire, le devoir de vérité, le devoir de mémoire ! La suite de l'article est une Lettre ouverte adressée au Président de la République Française. Ces deux articles ont été publiés par Agoravox en octobre, et en novembre 2019.

L'arrestation violente et les interrogatoires sous torture : entièrement inventés

Le chapitre 3 détaille une arrestation violente « … du sang coulait de sa bouche, du nez, imbibait sa chemise /…/ et l'autre type de lui refiler un dernier coup de poing, salopard de terroriste, c'est qu'il finirait par lui dégueulasser sa voiture de fonction ! » (p.19).

Certes, l'auteur précise « j'imagine » mais une scène qui a réellement existé peut être imaginée, « recomposée », comme c'est écrit dans la postface. Inventée de toutes pièces est plus juste ici.

Page 254, à la fin du livre, l'auteur décrit autrement l'arrestation, telle qu'un témoin âgé de 82 ans la lui a racontée, c'est-à-dire telle que la mère de celui-ci « lui avait racontée durant son adolescence » : « ni violence, ni précipitation, juste cette détermination froide des inspecteurs ». N.B. : le grand-père n'ayant reçu aucune médaille pour le conflit 39/45, la mention « mort pour la France » est présentée comme particulièrement honorifique, soulignée ici, et de nouveau à la toute fin du récit p.259. Rappelons que si, instituée par la loi du 2 juillet 1915, la mention « Mort pour la France » signifiait alors généralement « mort au champ d'honneur », témoignage de reconnaissance de la Nation à tous ceux qui mouraient sur les champs de bataille ou faits prisonniers, ses conditions d'attribution ont été plusieurs fois élargies à partir du décret de mars 1922. Entre autres exemples, elle peut être attribuée à des civils morts lors d'un bombardement. Cette mention, qui est relative à l'état civil (notée sur l'acte de décès) ne sous-entend pas une mort consécutive à une action honorifique mais une mort survenue du fait d'une guerre.

Le motif et le contexte de la déportation

Tout au long du récit, on nous assène les mots : « résistant, déporté », « résistance puis déportation ».

Page 197, on apprend enfin le contexte de la déportation du grand-père grâce aux Archives d'Arolsen : « Il était précisé que Paol avait été incarcéré puis déporté lors de l'opération « Meerschaum », soit « Ecume de mer ». Là, l'auteur écrit : « -c'est -Le nom de code pour la déportation de Français placés en détention de sûreté pour faits de résistance contre l'occupation allemande », créant volontairement une immédiate confusion dans son texte avec la directive NN (Nuit et Brouillard) qui concernait, elle, les prisonniers représentant « un danger pour la sécurité de l'armée allemande » (saboteurs, résistants, opposants ou réfractaires à la politique ou aux méthodes du Troisième Reich).

Curieusement, la définition de l'Aktion Meerschaum donnée par les historiens est différente de celle de Coatalem, à savoir : nom de code d'une opération de « recrutement » en Europe de l'ouest d'une main d'oeuvre apte à travailler pour le Reich. Plusieurs milliers d'hommes furent ainsi arrêtés dans toute la France pour s'être rendus coupables de délits politiques mineurs ou plus vaguement soupçonnés de sentiments anti-allemands et considérés comme simplement « douteux » par les autorités d'Occupation.

Cf. :

Pascale Mottura -article 1: https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-part-du-fils-pour-les-nuls-218855

article 2 : https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/affaire-coatalem-la-part-du-fils-218999

Quant au motif de l'arrestation : « inconnu », sur laquelle bute tant l'auteur, c'est la raison -ou plutôt l'absence de raison -indiquée le plus souvent sur les fiches des déportés de l'opération Meerschaum. P.S. : Concernant ma « part de fille », je signale avoir écrit une chronique publiée par la revue L'Inactuelle le 28 septembre dernier, titrée « La Résistance à l'oubli ». Ce texte a pour but d'attirer l'attention de la troisième génération (et de la quatrième…) sur le fait que, grâce aux archives, il est possible de s'armer afin de mieux résister à tous ceux qui tenteraient de biaiser, voire d'occulter l'Histoire. J'y développe un point de vue critique sur La part du fils, mais sans entrer dans les détails, ce que j'ai pris la peine de faire ici.

L'homologation FFI et le rejet du statut de Déporté Résistant

Cf. : https://linactuelle.fr/index.php/2019/09/28/resistance-oubli-pascale-mottura/ "D'où je parle", et pourquoi ? : mon grand-père maternel, Alfred Sabatier, est un Résistant mort en déportation à 37 ans. La Croix de Guerre 39/45 avec palme, la Médaille de la Résistance et la Légion d'Honneur lui ont été décernées à titre posthume. Ma grand-mère maternelle, Marthe Darmet-Sabatier, ainsi que mon père, Jean Edgard Pierre Mottura, furent eux-aussi des Résistants, et reconnus comme tels officiellement.

Ce texte est une riposte à la réponse masquée, sous la plume de Jérome Garcin, à mon article « La part du fils pour les nuls », lequel Garcin écrit : « l'écrivain impose à l'Histoire la loi de la littérature ». Où j'interroge le Président de la République sur les outils législatifs dont dispose l'Etat pour sanctionner une publication préjudiciable au devoir de mémoire et de vérité. Le grand-père de Jean-Luc Coatalem, mort en déportation en 1944, y est décrit comme un Résistant valeureux, « terroriste », traité comme tel par la Gestapo, ce qui est loin d'être la vérité, cet homme n'ayant même pas eu droit au titre de déporté Résistant.