Academia.eduAcademia.edu

Discours de la science et modernité

La science introduit un changement radical et absolu de la position du sujet parlant dans son rapport au cosmos et à la nature. La position du sujet est modifiée et déplacée constamment par l'immixtion de la science dans sa vie de tous les jours. La science renforce de plus en plus cette position, la quête extrême de la science a tracé une ligne de démarcation pour le sujet de son expérience qui porte en soi un rapport à l’anéantissement, comme nous l'avons vu dans ce siècle de massacres que fut le XXe siècle.

Discours de la science et modernité Eugenia Varela* Le discours de la science, au sens de la modernité est pris par Lacan, à partir de Newton et de la naissance de la physique au XVIIe siècle, dans cette leçon inaugurale, La Science et la Vérité, tenue à l’École Normale Supérieure Lacan Jacques. "La Science et la Vérité", Écrits, Éditions du Seuil, Paris, p.855.. La science introduit un changement radical et absolu de la position du sujet parlant dans son rapport au cosmos et à la nature. La position du sujet est modifiée et déplacée constamment par l'immixtion de la science dans sa vie de tous les jours. La science renforce de plus en plus cette position, la quête extrême de la science a tracé une ligne de démarcation pour le sujet de son expérience qui porte en soi un rapport à l’anéantissement, comme nous l'avons vu dans ce siècle de massacres que fut le XXe siècle. La physique mathématique introduit un savoir à la place du sens. C’est un savoir qui s’écrit, qui ne cesse pas de s’écrire, c'est à dire qui ne parle pas. L’opération de la science est l’annulation du sens en faveur d’un savoir dans le réel, Pascal le définit ainsi :"le silence éternel des espaces infinis m’effraie". Nous allons voir les raisons et les conséquences que les constructions de Jacques Lacan apportent dans cette tentative de rencontrer une mutation décisive du sujet de l'expérience analytique et sa démarcation de la science. Dans l'histoire de la Science, sa référence à ce propos est Alexandre Koyré. Dans ses études sur la science mathématique de la nature, Alexandre Koyré voit, dans la naissance de la physique moderne au XVIIe siècle, une "révolution scientifique". L’introduction à son livre "Du Monde clos à l’Univers infini" Koyré Alexandre. "Du monde clos à l’Univers infini", Avant-Propos, collection Tel Gallimard, 1973, Paris, p.9. nous livre sa réflexion sur "la révolution profonde de l’esprit humain" dans cette période du XVIe au XVIIe siècle. Les changements qui vont du monde clos des Anciens à la modernité d'un Univers infini sont l'objet de sa réflexion, à partir des textes de ceux qui ont été les protagonistes de ce débat dans le surgissement de la science moderne. L’histoire philosophique et scientifique des XVIe et XVIIe siècles est tellement entremêlée, que lui est impossible de les séparer sans en rendre la matière à travailler incompréhensible. Cette révolution spirituelle a modifié le cadre de la pensée et de ses fondements. L'historienne Frances A. Yates nous apporte une lecture inédite sur les savants magiciens du XVIe siècle et la tradition hermétique, qui vient enrichir les travaux et les réflexions d'Alexandre Koyré. Je la cite : " Il serait peut-être éclairant de distinguer deux phases dans la révolution scientifique: la première correspondant à un univers animiste sur lequel on agit par des opérations magiques, la seconde à un univers mathématique, sur lequel on agit par des procédés mécaniques. Enquêter sur ces deux phases, et sur leur interaction, constituerait peut-être une approche plus fructueuse des problèmes dont traite la science d'aujourd'hui que celle qui se concentre uniquement sur le triomphe du XVIIe siècle " Yates Frances A. "La Tradition hermétique dans la Science de la Renaissance", Science et Tradition hermétique, Éditions Allia, 2009, Paris, p.50. . Plusieurs lectures s’ouvrent devant la question de la science moderne : Qu'elle est la nature de l'espace et du temps ? Qu'est-ce que la matière quand elle n'est plus ordonnée par Dieu ou par les lois de la Nature ? Quelle est la structure de l'action et de la pensée pour le sujet de la science ? Quel est le rôle de la causalité et le rapport à la vérité dans la magie, la religion et la science ? Quel est le rapport entre la religion et la science ? Comment avance dans l'histoire de la pensée l’idée de Nature et sa transformation, par les effets du discours de la science ? De quelle manière et comment la science va-t-elle changer la conception du monde au XVIIe ? Quel rapport nouveau à la Loi, à Dieu et à la Nature introduit la science ? Une nouvelle cosmologie vient à la place du monde géocentrique grec Ptolémée, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ptolémée, 9 mai 2012. dont les systèmes d'Aristote et de Ptolémée sont les plus connus. La science antique était fondée sur l'observation des astres, les nombres, le calcul et la mesure. L'œuvre majeure de Ptolémée, l’Almageste, reprend des principes chers à Aristote, comme la terre centre de l'Univers, l'immobilité de la terre, mais apporte des modifications dans les calculs qui ont permis de prédire les éclipses du soleil, à une époque où le réel et la Nature étaient de la même étoffe, le retour à la même place dans la Nature était le réel Miller Jacques-Alain. "El Desorden de lo Real en el siglo XXI", Présentation du IX Congrès de l'AMP, Buenos Aires, Vidéo You Tube, Avril 27, 2012. . L'Almageste a été admis jusqu'au XVIe siècle par l'Église car ce texte s’appuie sur l'idée que Dieu a créé l'homme à son image et l'a placé au centre de l'Univers sur terre. L'homme est fait à l'image de Dieu selon sa Nature. Le monde anthropocentrique du Moyen Âge a été remplacé par l'astronomie moderne qui a irréversiblement décentré l'Univers. L’illustre représentant du Moyen Âge, Thomas d'Aquin, nous parle dans ses Proèmes Philosophiques de la manière d'appréhender le réel à partir de son commentaire d'Aristote. Dans Les Seconds Analytiques, "l'Art et le raisonnement humain sont la base de la conduite du genre humain" D’Aquin Thomas. Proèmes Philosophiques, Les Presses Universitaires de L'IPC, Éditions Parole et Silence, Paris, p.53. Thomas d'Aquin écrit que les actes de la raison sont semblables sur certains points aux actes de la Nature et c'est dans ce sens que l'Art imite la Nature. Il y a des cas où l'acte de la Nature est infaillible car l'ordre divin est incarné dans la Nature, mais on trouve aussi des cas où l'acte de la Nature est défaillant. Donc, pour Thomas d'Aquin, il y a l'acte de la nature où elle est infaillible, "lorsque l'animal par sa semence, engendre un autre animal complet" et il y a les cas où la nature défaille, "elle ne réalise pas ce qui devrait arriver, la loi de la nature défaille comme lorsqu'elle engendre un monstre par suite d'une anomalie, d'une corruption d'un de ses principes". La loi naturelle est un concept chez Thomas d'Aquin, s'il y a déviation de cette loi c'est par bestialité ou corruption. Le réel est incarné dans la Nature, il s'agit d'un ordre divin Miller Jacques-Alain. "El Desorden de lo real en el siglo XXI", Présentation du IX Congrès de l'AMP, Buenos Aires, Vidéo You tube, avril 27,2012.. "Dans la Métaphysique et dans Le anima le mot qualis est associé à l'expression modus, qui peut signifier manière d'être et indique l'orientation que prend la Métaphysique, la façon dont l'intelligence doit aborder son objet afin d'être vraiment adéquate à la Nature" Echivard Jean-Baptiste. Qu'est ce qu'un Proème? , Proèmes Philosophiques, Thomas d’Aquin, Éditions Les Presses Universitaires de l'IPC, 2008, Paris.p.43. Un exemple de sa conception de la matière et de la nature est pris de son commentaire De l'âme d'Aristote, où le corps affecté par la colère avec l'irruption du sang rouge est du domaine de la physique et de la science de la Nature. La matière est ce qui est naturel selon la loi de la Nature. Mais une passion pourrait être abordée aussi par la dialectique, comme la colère dans sa version de désir de vengeance. Une définition précise doit contenir la cause finale dans sa définition, par exemple "les passions de l’âme, comme l'amour, la crainte, et d'autres encore ne sont pas séparables, en tant que telles, de la matière physique des animaux, c'est à dire qu'elles ne peuvent être séparées par la raison de la matière naturelle. S'il est ainsi donc, il revient à la science naturelle de les considérer" Echivard Jean-Baptiste. op.cit. .p.133.. Et la définition parfaite selon l'interprétation d'Aristote c'est l'inclusion de la cause finale dans l'examen de la matière, le "pour ceci", le "ce en vue de quoi" Le changement de perspective où l'Univers est décentré par l'astronomie moderne, ouvre la porte aux réflexions et aux inventions dans la manière de regarder et de prendre possession de la Nature. La sécularisation de la conscience individuelle abandonne ses préoccupations transcendantales au regard du monde de l'au-delà pour s’intéresser aux buts terrestres. Il n’y a plus d’appel à la Divine Providence pour expliquer le mouvement des astres. La causalité mécaniste remplace l’explication hermétique, magique et religieuse de la pensée. La subjectivité de l’homme moderne est une découverte, produit de cette "révolution scientifique". L’homme issu de cette révolution a perdu son monde, le monde disparaît car l’univers est infini. Il y a là, à ce moment de coupure d'avec l'Antiquité et le Moyen Âge, la destruction du cosmos : la destruction d’un monde conçu comme un Tout fini dont l’espace était hiérarchisé selon la valeur et la perfection. La science arrache le réel d'un ciel où se promenaient les astres lumineux et incorruptibles qui étaient au-dessus de la terre, séparé d’un monde sublunaire et de corruption. Vient donc l’Univers infini sans aucune hiérarchie naturelle, ni divine, indéfini et uni selon des lois qui le régissent dans toutes ses parties, selon Descartes. La géométrisation de l’espace : la conception aristotélicienne de l’espace, ensemble différencié des lieux intramondains a été remplacé par l’espace de la géométrie euclidienne, espace homogène infini, considéré comme identique dans sa structure avec l’espace réel de l’Univers. Le cadre de l’existence et l’objet du savoir sont remplacés par les nouvelles conceptions : la pensée scientifique rejette les notions fondées sur les valeurs, la perfection, l'harmonie, le sens, la fin. La dévalorisation complète de l’être implique un partage des eaux entre le monde des valeurs et les faits. Dans le texte sur Galilée Koyré Alexandre. "Galilée et Descartes", Du monde Clos à l'Univers infini, chap. IV, Edition Tel Gallimard.pag.139 de Alexandre Koyré, nous trouvons que les sens ne seront plus accordés au savoir scientifique qui de cette manière commence à se détacher de la Nature. Galilée propose aux regards et à la réflexion une invention étonnante, le Perspicillum, un instrument qui introduit les mathématiques dans son observation de l'Univers. Cependant, Galilée attribue sa découverte à une "Illumination de son esprit par la grâce divine" Koyré Alexandre. op.cit. , p.121.. Au XVIIe siècle, la discussion sur l'Univers et les Etoiles est influencée en grande partie par la Philosophie et à Florence, principalement par les Néo -Platoniciens et la Tradition Hermétique. L’invisible pour l'Œil humain, découvert par Galilée à propos des étoiles fixes, pouvait avoir deux hypothèses : a) soit parce qu'elles étaient très petites. b) soit parce qu'elles sont trop éloignées de nous pour que nous puissions les voir. Le Perspicillum, l'instrument de Galilée, agit dans le premier cas comme un grand microscope qui en agrandissant rend perceptibles les étoiles. Dans le deuxième cas, l'instrument agit comme un télescope qui rapproche les étoiles de nous, jusqu'à une distance où elles deviennent visibles. La fonction de la distance est privilégiée Koyré Alexandre. op.cit. , p.121. par Galilée dans un moment où "les étoiles plus hautes sont réservées à l'habitation de substances les plus pures et les plus parfaites". La discussion sur l'infinitude de l'Univers s'orientait vers les arguments philosophiques et non pas scientifiques. Galilée ne croit pas comme Copernic que l'Univers soit enfermé dans une sphère réelle "Stellarum fixarum, spheare immobilis" selon la conception religieuse, magique et mystique qui a précédé à la découverte héliocentrique. "Quoi qu'il en soit, soutient Alexandre Koyré, ce fut Descartes (et non pas Bruno ou Galilée) qui formula clairement et distinctement les principes de la science nouvelle et de la nouvelle cosmologie mathématique, le rêve de "reductione scientiae ad geometriam» Ibid. p.127.. Le monde de Descartes est un monde où la géométrie est au premier plan, principe organisateur mathématique. Selon lui, matière et étendue sont identifiées dans sa conception de l'Univers. Le vide de Lucrèce et de Démocrite est rejeté dans le néant et fruit d'une pensée confuse. Il conçoit une exception à l'absence de rapport entre Dieu et son monde : l'âme qui pense l'idée de Dieu donc de l'infini. Le Dieu de Descartes est à la place d'un réel impossible à aborder, ni par la Physique, ni par la mathématique. C'est le lieu où se déploie l'existence d'un être infini Ibid. p.128.. Donc, c'est par la supposition d'un Autre infini que tous les savoirs sont rejetés par le "cogito ergo sum" et que l'analyse de la nature de l'homme peut être définie. *AP de l’École de la Cause Freudienne à Paris, et de l’Association Mondiale de Psychanalyse Paris, été, 2012. PAGE 1