Master I recherche droit privé JUDICIARE sciences criminelles
D.I.F – J.S.F
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP
DE DAKAR
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FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES
ET POLITIQUES
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PHILOSOPHIE DU DROIT
CHARGES DE COURS : M. Mohamed Bachir Niang
ANNEE SCOLAIRE 2015/2016
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Master I recherche droit privé JUDICIARE sciences criminelles
D.I.F – J.S.F
PHILOSOPHIE DU DROIT
Introduction
Une introduction à la philosophie du droit peut nécessiter que trois questions soient résolues :
celle de l’identité même de la philosophie du droit, celle relative à la juridicité et celle relative
aux finalités du droit.
I)
L’identité de la philosophie du droit
Tout peut partir d’une séparation d’une distinction entre philosophie du droit et science du
droit. La première recherche une compréhension métajuridique du droit. La science du droit
par contre poursuit la compréhension de l’ensemble des lois positives définies comme le droit.
Les philosophes du droit se particularisent par leur volonté à remettre en cause l’inutilité de
la simple connaissance des lois positives car selon eux cette démarche ne permet pas de
critiquer les lois elles-mêmes. La philosophie du droit essaie ainsi de faire parcourir le droit
par d’autres acteurs que les techniciens, juristes et professionnels du droit. Sous l’angle de la
philosophie du droit, dire si une loi est bonne ou juste est l’affaire d’une raison qui se
préoccupe de la nature des lois, de leur justification, les fondements du droit etc. En réalité
toute réflexion sur les phénomènes de pouvoir et de légitimité contraint à inclure un certain
nombre de concepts comme la légalité, la justice, l’Etat de droit etc. Toute personne qui se
destine donc à participer de près ou de loin à la création de la norme juridique doit savoir
intégrer dans son raisonnement une logique philosophique du droit. Cela intéresse
particulièrement des étudiants en option judiciaire.
La philosophie du droit apparait cependant beaucoup plus comme une branche du droit que
de la philosophie. Elle a pour objet une réflexion critique sur la chose juridique.
Il est important de distinguer la philosophie du droit d’autres branches qui lui sont voisines.
Elle n’est pas la théorie générale du droit. Celle-ci tente, à partir du contenu des sciences
juridiques particulières, à donner une définition des concepts communs à des ordres
juridiques différents alors que la philosophie du droit se place au-dessus des droits positifs et
recherche quelle est l’orientation du droit par rapport à telle ou telle échelle de valeur.
La philosophie du droit est aussi différente de la sociologie juridique. Celle-ci se fonde sur une
recherche empirique : elle utilise l’enquête de terrain et l’expérimentation pour détecter
l’existence du droit dans sa réalité physique alors que la philosophie du droit recherche
l’essence du droit. Le sociologue du droit observe une attitude d’objectivité à l’égard du droit
sans porter de jugement de valeur.
II)
La question de la juridicité
Le droit renvoie à un univers complexe où se côtoie les prescriptions de la morale, de la
religion, de la philosophie et du sens commun. On constate donc que le droit est une œuvre
de médiation, un « mixeur ». Il faut cependant se questionner sur la nature du critère qui
permet d’identifier une norme comme juridique. Selon certains, ce critère est sociabilité. La
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règle de droit est une règle nécessaire à l’organisation de la vie sociale. On découvre très vite
les limites de ce critère car, sous ce prisme, les règles morales et religieuses seraient des règles
de droit or la compréhension actuelle du système juridique contredit cette proposition.
Peut-on penser que le critère de la juridicité soit la justiciabilité ? Dans ce sens les règles ne
seraient juridiques, pourtant elles peuvent donner lieu à un jugement. Cette approche est
séduisante mais conduirait à exclure du système juridique une catégorie importante des règles
(des Droits de l’Homme, Droits fondamentaux).
Pour d’autres auteurs le caractère obligatoire est le critère de la juridicité et se manifeste par
la prévision d’une sanction en cas de violation de la règle. Cette proposition peut poser
problème car le caractère obligatoire doit plus être compris comme un effet une implication
de la juridicité et non un critère. Selon d’autres auteurs encore, le critère de la juridicité c’est
la conformité à une procédure d’efficient : seule une autorité compétente pour poser une
norme peut créer une règle juridique à condition de respecter la procédure prédéfinie.
Les difficultés à établir les critères de la juridicité débouchent sur des difficultés à comprendre
le droit comme un système cohérent. L’idée d’ordre ou de système juridique renvoie à une
logique d’unité et de cohérence. La question de l’existence d’un tel système est aujourd’hui
posée car les frontières du droit sont aujourd’hui incertaines (hypothèse du non droit,
autolimitation du droit, résistance du fait au droit etc.)
III)
La question des finalités du droit
Comme celle de la juridicité, cette question divise la doctrine et les réponses qui y sont
apportées considèrent tantôt que le droit a pour finalité la justice, les intérêts individuels ou
les intérêts collectifs.
La justice semble en effet être la finalité la plus probable et la plus partagée du droit. Le
consensus autour du rôle de la justice comme moteur du droit s’estompe rapidement dès qu’il
s’agit de visiter le contenu de la notion. Les philosophes grecs estimaient que la justice
consistaient à donner à chacun le sien mais toujours selon une proportion adaptée à notre
état social réel. Plus tard l’apparition du courant de pensée individualiste et rationaliste
conduit à prôner une justice libérale : la justice-égalité.
La notion de justice elle-même ne fait pas l’unanimité. Certains auteurs la récusent
notamment les scientistes du droit qui la considèrent comme une notion idéologique
permettant à ses utilisateurs de poursuivre des intérêts personnels sous son couvert.
Le droit aurait des fins individuelles à poursuivre. La tradition individualiste du droit lui assigne
comme objectif ultime la protection de l’individu, elle considère l’homme comme antérieur à
la société et cette dernière comme instrument au service de l’homme de l’individu et non le
contraire. Cette logique rejette toute idée de droit naturelle et fonde la toute-puissance des
droits subjectifs individuels. Selon John Locke « la fin essentielle de poursuivre des hommes
qui s’unissent pour former une république et qui se soumettent à une propriété, c’est la
préservation de leur autorité. »
Une troisième orientation de la finalité du droit conduit à considérer les intérêts collectifs
comme les fins du droit. Les philosophes qui vont dans ce sens soulignent l’insuffisance des
approches individualistes du droit comme ne pouvant épuiser les missions du droit. La
primauté de l’intérêt public sur les intérêts particuliers est relevée. La notion de bien commun
figure en bonne place dans cette logique. Hegel estime que la fin du droit n’est pas le profit
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de l’individu mais le service de la communauté. Mais l’Etat serait un dépassement de l’individu
sur lui-même avec des déclinaisons politiques et économiques développées plus tard par Karl
Max. Certains philosophes français comme les doyens Duguit et Hauriou développeront ces
idées de manière plus contemporaine. Selon BENTHAN « l’objet des lois est de produire, au
plus haut degré possible le bonheur du plus grand nombre ».
On note en définitive une extrême diversité des fins du droit qui illustrent en même temps
l’ambivalence du droit. Le droit tend en effet à satisfaire divers objectifs en étant un
instrument de médiation. Il s’agit d’un compromis, parfois un arbitrage entre le politique et
l’éthique, entre le juste et le raisonnable, entre l’individuel et le social, entre le consensus et
le conflit.
Les philosophes du droit se répartissent au sein de deux grandes familles : celles des
positivistes et celles des idéalistes. Leur influence réciproque sur le droit est indéniable. La
question essentielle qui divise ces deux courants est celle de savoir si le droit est antérieur à
la loi ? Les lois présupposent-elles le droit ou au contraire produisent-elles elles-mêmes le
droit ?
Les philosophes du droit naturel ou juste naturaliste considèrent que la loi positive ne peut
être juste que lorsque le droit naturel en est le fondement. Pour les positivistes, il n’y de droit
que par la loi.
Chapitre I : LE POSITIVISME JURIDIQUE ET SON INFLUENCE
Il existe plusieurs courants positivistes, certains s’inspirant des autres. Ces courants partagent
la croyance en l’inexistence d’un droit naturel. Le positivisme juridique apparait ainsi comme
une négation d’un lien qui existerait entre le droit et la philosophie. Le positivisme rejette la
séparation entre le réel et la métaphysique, les faits et la morale. Le seul objet digne d’étude
est le droit effectivement posé et appliqué. Deux étapes les logiques positivistes (S1) et
l’influence du positiviste(S2)
Section I : Les logiques positivistes
Elles sont innombrables mais en synthétisant nous pouvons retenir les plus prégnantes : le
positivisme formaliste, le positivisme factualiste et le transpositivisme.
I)
Le positivisme formaliste
La logique des positivismes formaliste ne va jamais au-delà des règles de droit existante qui,
ensemble, forment le droit positif.
Le positivisme légaliste propose une doctrine axée sur la complétude de l’ordre juridique
positif cela veut dire que le corps de règles composant le droit positif est complet et contient
par essence toutes les solutions toute décision judiciaire doit donc être rattachée à la loi et
déduite d’un texte et ne sont des règles de droit au sens exact du terme que celle qui sont
sanctionnées par l’autorité publique. Selon Paul Roubier le droit est un ordre de contrainte.
La logique formaliste du droit débouche par ailleurs sur des constructions de système, de
concepts généraux du droit à partir des droits positifs. La technique de la jurisprudence des
concepts est issue de cette démarche et même la théorie générale du droit. Le droit apparait
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donc comme une réalité autonome et autocentrée en fonction des seules normes posées à
l’exclusion de toute autre considération.
Le normatisme juridique va dans le même sens avec plus de raffinement. Cependant Hans
Kelsen, de par sa théorie pure du droit analyse les normes juridiques d’un point de vue externe
en les déconnectant de tout rapport à la morale et aux idéologies. La notion d’obligation
juridique n’implique alors aucune référence au contenu de la norme car seule importe la
régularité de son édiction. Selon Kelsen la validité de la norme dépend non de son contenu
mais de sa place dans la hiérarchie des normes. La logique de Hans Kelsen trouve des limites
dans sa neutralité axiologique et permet de s’accommoder de régimes totalitaires et
dictatoriaux.
II)
Le positivisme factualiste
La démarche des positivistes factualistes se différencient de celles des normativistes par le fait
que les premiers accordent une certaine importance aux faits contrairement aux seconds. Le
milieu social occupe une place de choix dans la logique factualiste à un triple point de vue :
d’abord comme lieu de génération de certaines normes (coutume, usage), ensuite en tant que
source d’inspiration du législateur (religion, morale) et enfin en tant que lieu de vérification
de l’effectivité de l’application du droit formel. Les positivistes factualistes critiquent le
caractère très artificiel du droit formel car étant toujours ou presque l’expression d’une
volonté générale qui n’est en réalité que l’œuvre de groupe de pression, de la technocratie ou
de contingence politique et électorale.
Montesquieu qui est un précurseur du factualisme estime que les lois sont des rapports
nécessaires résultant de la nature des choses. Il s’agit d’une nature des choses différentes d’un
pays à un autre et d’une époque à une autre. La très grande variété des facteurs sociaux y
compris le climat et la géographie, débouchent sur une très grande relativité des systèmes
juridiques. Il y a ainsi un relativisme juridique qui précède un déterminisme juridique car les
étapes d’une société présentant les mêmes causes objectives auront des systèmes juridiques
similaires.
Le positivisme sociologique va plus loin en remettant en cause la logique traditionnelle des
sources du droit, les sources présentées par Kelsen son trop théoriques et impertinentes
puisque les sources réelles du droit sont dans la société elle-même. Le droit naît de groupes
sociaux car la norme juridique est insusceptible d’apparaître si elle n’existe déjà dans le corps
social. Le Doyen Léon Duguit précise à ce propos que la loi positive ne crée pas le droit mais
se contente, se borne de le constater.
La logique sociologique débouche sur une sociologie normative qui permet l’abandon du droit
formel par une intégration des résultats de la pratique dans le contenu du droit objectif.
L’empirisme juridique est alors prôné en permettant de fabriquer du droit à partir des faits.
III)
Les doctrines nord-américaines
Les auteurs américains sont connus pour leur positivisme. Ils peuvent diverger dans le contenu
de leur démarche mais partagent un très commun : le pragmatisme de leur théorie. Les plus
célèbres sont Holmes, Cardozo, Pound Posner.
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Les pensées les plus intéressantes sont celles de Pound et Posner. Le premier définit le droit
comme un social ingeriery mis en œuvre empiriquement et non prédéterminé par des valeurs
universelles. Le droit est l’instrument moderne de régulation des sociétés. Les valeurs ne sont
pas tout à fait exclues dans la pensée de pound mais ne devrait être retenue que celle ayant
une certaine utilité. L’auteur ne renie pas totalement la présence d’un ensemble de préceptes
juridiques universels tirés de l’expérience du passé.
Posner est le fondateur de l’école réaliste du droit qui installe l’analyse économique du droit.
Cette doctrine fournie au juge une méthode pour évaluer les conséquences pratiques et le
coût économique de l’application concrète des règles de droit. Elle vise aussi à provoquer des
changements législatifs pour mieux harmoniser la règle et leur objectif. L’analyse économique
du droit s’intéresse toujours à l’efficacité des règles de droit en leur assignant l’atteinte d’un
résultat social optimal. Il y a de toute façon un abandon de la logique formaliste du droit.
Pound et Posner proposent des doctrines suffisamment éloignées des logiques européennes
de la philosophie du droit. Des philosophes américains plus tempérés dans leur position
tentent une médiation entre logique européenne et logique américaine. John Rawles
professeur à Harvard est une figure de cette pensée. L’auteur étudie le droit sous l’angle de
sa modernité et estime que le droit a comme objectif de concilier liberté individuelle et justice
sociale. Pour lui le régime le plus justice est celui qui intègre le mieux les valeurs de liberté et
d’égalité. L’attachement de Rawles à des valeurs fondamentales et incontournables rappelle
la démarche idéaliste du droit. L’auteur ne demeure pas moins positiviste par la proposition
d’un principe de différence qui conduit à affirmer que les inégalités sociales et économiques
doivent être aménagées dans le sens de leur réduction et que les charges supportées par les
plus nanties, la logique de l’égalité des chances apparaitra ainsi comme du positivisme puisant
ses racines dans des notions purement idéalistes comme celle de justice et d’égalité.
Ronald DORKWIN professeur aux universités Oxford et de New York, est positiviste mais
établit un raisonnement en partant du critique du positivisme. Il estime que le positivisme
donne une image infidèle du phénomène juridique car laissant penser que le droit se résume
à un système de règles tout à fait séparé de la morale. Selon lui, les citoyens disposent de
droits moraux contre l’Etat. Sa logique, sa doctrine entend promouvoir la liberté et l’égalité
politique comme fondement de tout système juridique. DORKWIN est quasiment un
transpositiviste.
IV)
Le transpositivisme
Les transpositivistes se démarquent des positivismes formalistes comme factualistes. Ils ne
considèrent pas le droit comme un système fermé sur lui-même mais estiment plutôt qu’il
doit être recherché en dehors et au-dessus du fait social contrairement à la logique factualiste.
Les transpositivistes intègrent dans leur raisonnement des éléments issus de l’idéalisme
juridique. Selon Paul Roubier « l’ordre juridique n’est pas un ordre légal comme dans un
système formaliste ni un ordre moral comme dans un système idéaliste. Il est au sens plein un
ordre social dominé par l’idée de justice et de sécurité juridique ».
Georges Ripert apparaît comme le fer de lance de cette doctrine (la règle de moral dans les
obligations civile 1925, le régime démocratique et le droit civil moderne 1925, aspects
juridiques du capitalisme moderne 1946, les forces créatrices du droit 1955, le déclin du droit
1946). Ripert admet la séparation entre droit et morale mais la relativise aussitôt. Selon lui la
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distinction du droit et de la morale est la condition même de la liberté politique. Elle permet
de dépouiller l’autorité de son caractère sacré sans autoriser les sujets à la méconnaître.
L’auteur estime cependant qu’il n’est pas possible d’affirmer la plénitude de l’ordre juridique
positif qui ne pourrait se suffire de lui-même car les lois ne pourraient trouver leur fondement
dans l’autorité publique. Selon Ripert « la question est de savoir si le droit peut vivre coupé de
sa racine par la seule force de sa technique ou si au contraire il ne peut se développer que par
une montée continue de la sève morale. »
Jean DABIN va dans le même sens en estimant que le fondement du droit se situe en dehors
du droit étatique : il est transpositif. C’est la morale naturelle il se trouve à la base de toute
norme, la loi civile ne faisant que conférer son efficacité à la loi naturelle en la concrétisant.
Section II : L’influence du positivisme au Sénégal
Le positivisme occupe une place prépondérante et exerce une influence déterminante sur les
règles et méthodes de création du droit. L’idée est retenue que la logique positiviste est la
seule en adéquation avec la modernité en posant des règles dans les conditions de rapidité
d’adaptabilité et de sécurité.
L’influence du positivisme dans notre droit se manifeste à plusieurs points de vue.
1) Le rayonnement de la constitution
Notre système juridique est caractérisé par une construction par degré de l’ordre juridique.
Au Sénégal, la loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution.
L’autorité de la constitution est assurée par un contrôle de constitutionalité des lois et des
engagements internationaux assurés par le conseil constitutionnel. Le normativisme juridique
est en relation avec le concept d’Etat de droit qui traduit l’idée que l’Etat lui-même est soumis
au droit même si la complexité du fonctionnement des sources du droit doit permettre de
relativiser l’affirmation (modification fréquente des constitutions en Afrique, non prévisibilité
des interprétations du conseil constitutionnel, prolifération des textes, apparition d’une
société du droit où la quasi-totalité des activités humaines devrait être soumises au droit). On
retiendra que parmi les méfaits du positivisme juridique, le caractère artificiel des textes,
l’installation d’une société pan-juriste qui entretient l’illusion que n’importe quel problème,
qu’il soit éthique, social ou économique peut recevoir des solutions juridiques alors que seules
des réponses éthiques, sociales ou économiques pourraient les régler. Selon Carcassonne
«tout assujettir au droit c‘est bientôt ne plus rien lui soumettre.»
I)
La législation sociologique
La démarche sociologique tente d’éviter une discordance trop grave entre le fait et le droit.
Au Sénégal le code de la famille peut apparaître comme une illustration de cette recherche.
Les multiples enquêtes sociologiques qui ont précédé son adoption en 1972 attestent de cette
inclinaison de notre droit à se réconcilier avec les faits. Cette dynamique positiviste du droit
de la famille doit susciter une analyse plus approfondie car si l’option du législateur est de
construire un droit en adéquation avec les mœurs, il est surprenant que ce code de la famille
n’est pas connu d’évolution majeure depuis son adoption, à croire que la société sénégalaise
n’aurait pas évolué en 40ans. Le positivisme sociologique tend à traduire dans la loi ce qui
peut paraître comme des valeurs nouvelles au sein de la société. Cet état de fait amène à
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considérer que la démarche du législateur sénégalais sur la question est emprunte d’un
positivisme mélangé à un certain idéalisme du fait de la place de la religion comme source
d’inspiration du droit de la famille. On note en tout état de cause l’ambigüité et l’ambivalence
de la démarche du législateur qui tente de prendre en compte des coutumes et en même
temps de les abroger sans doute le double objectif d’unification du droit civil sénégalais et
d’attachement aux faits explique cette ambivalence.
II)
La législation économique
Il existe un phénomène contemporain de soumission de la science à l’économie. Le droit
n’échappe pas à ce mouvement. La science du droit, y compris au Sénégal, est de plus en plus
tournée vers l’économie par la création de nouvelles matières en rapport avec ce domaine
(droit bancaire, droit financier droit des assurances, droit du crédit etc.). Au-delà beaucoup de
ces matières développent un raisonnement propre axé sur l’abandon des concepts juridiques
pour des concepts purement économiques. Le discours juridique traditionnel reposant sur une
logique conceptuelle fait place à un raisonnement factualiste et une appréciation de pure
opportunité. Le droit de la concurrence ou la législation sur la concurrence en a beaucoup
d’exemple par la floraison de nouveaux concepts : accès au marché, refus des concentrations,
interdiction des ententes, interdiction des aides publiques etc.
Cette nouvelle orientation de notre droit est encore perceptible en procédures collectives en
droit et historiquement, on s’est engagé parce qu’on l’a voulu. En cas d’inexécution on
s’expose à l’exécution forcée sur son patrimoine ou sur sa personne, les sûretés affectées en
garanties sont mises en œuvre. Cette logique est contredite par le droit des procédures
collectives qui met en avant des considérations d’opportunités économiques et financières.
L’objectif est désormais de sauver l’entreprise d’abord en apurement éventuellement ses
dettes. Des concepts et notions nouveaux apparaissent : cessation des paiements, suspension
des poursuites individuelles, négociation d’un concordat, extension du concordat,
dessaisissement du débiteur, assistance du débiteur etc.
Le droit bancaire comme le droit des assurances ne cesse de manifester ce positivisme à
l’outrance. L’implication des organes communautaires de contrôle (commission bancaire et
BCEAO, organe de la CIMA) font penser de plus en plus à une logique de droit administratif et
de tutelle à l’intérieur du droit privé. Le positivisme dans ces matières du droit privé s’illustre
aussi par la fréquence des modifications et révision du dispositif normatif.
L’excès de positivisme juridique peut très bien se manifester encore à travers le nouveau droit
des sûretés OHADA. Les explications et la doctrine qui accompagnent le nouveau droit des
sûretés annoncent de nouveaux concepts : « attractivité du droit des sûretés, développement
et croissance des entreprises nationales, amélioration de l’environnement des affaires,
réduction du coût des crédits, sécurisation du portefeuille de prêt des établissements de crédit
etc. » les publications concernant le droit des sûretés intègrent désormais des références aux
statistiques de la Banque Mondiale et du FMI. Une nouvelle doctrine en droit des sûretés
adopte une démarche d’analyse économique du droit en s’affranchissant des barrières
purement juridiques. On se demande pourtant si l’excroissance du lien entre droit des sûretés
et volume des crédits ne conduit pas à un corps de règles tourné vers la satisfaction des
intérêts des créanciers institutionnels dispensateurs de crédits c’est-à-dire les établissement
de crédits.
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Chapitre I : L’IDEALISME JURIDIQUE
Comme le positivisme juridique, l’idéalisme juridique présente plusieurs figurent. Il convient
de présenter avant d’envisager son influence sur notre droit.
Section I : Les figures de l’idéalisme juridique
I)
La philosophie grecque et l’idée de justice
Chez les grecs, l’idée de justice semble bénéficier d’une antériorité et d’une supériorité sur le
droit. La justice y correspond à un idéal que l’homme découvre en lui-même dans le seul
rapport avec sa conscience et sans intervention du rapport avec autrui. Selon Platon, l’âme
perçoit la justice dans sa propre contemplation et non dans l’observation des réalités
sensibles.
Aristote fait une distinction entre la notion morale de justice que tout homme possède et la
notion de justice particulière qui consiste à attribuer à chacun ce qui lui revient. Cette seconde
approche ne s’intéresse pas aux rapports entre l’homme et sa conscience, ce qui est l’objet de
la morale, mais aux relations des hommes entre eux ou avec les biens qui possèdent et
échangent. Le droit donc, selon l’auteur, doit être strictement distingué de la morale.
Les stoïciens comme Zénon, Cléanthe et Chrysite, croient en l’existence d’une loi naturelle et
universelle, œuvre des sages qui se traduit par un droit rationnel, idéal et supérieur aux lois
positives. Cette loi est plus proche de la morale que du droit.
II)
Le droit romain et la philosophie chrétienne
La figure la plus emblématique du droit romain est Cicéron qui a beaucoup subi l’influence de
la philosophie stoïcienne. Selon lui, le droit a un fondement dans la nature même et présente
un caractère universel « Il existe une loi vraie, c’est la droite raison conforme à la nature
répandue dans tous les êtres. C’est une seule et même loi éternelle et immuable qui régit
toutes les nations et en tout temps ».
La religion entretient un lien intrinsèque avec l’idéalisme juridique. Saint Augustin est le
précurseur de l’augustinisme. Selon lui, les lois profanes sont injustes car il n’y a pas de justice
sans adhésion à Dieu. Saint Thomas d’Aquin fait une distinction entre quatre (4) types de lois :
au sommet, se trouve la loi éternelle qui est la raison divine gouvernant le monde et que nulle
ne peut connaître sauf Dieu et ceux qu’Il a choisis. Viennent ensuite la loi divine révélée par
les écritures (Anciens et Nouveaux Testaments) et la loi naturelle accessible à l’homme par sa
raison. Enfin, la loi humaine vient en degré inférieur. Cette hiérarchie selon Saint Thomas
permet de désobéir aux lois humaines contraires à la loi divine. Cette logique centrée sur
l’homme a conduit à proclamer les droits subjectifs intrinsèquement liés à l’individu par sa
naissance et qui sont supérieurs aux lois positives.
Comme toutes les pensées idéalistes, la philosophie chrétienne est essentialiste, car elle
présente le droit comme objectivement indépendant des volontés et donc antérieur à
l’individu et à l’Etat. La philosophie chrétienne connue par la suite un certain recul. Le droit
chrétien, à partir du 12ème siècle, ne correspond plus exactement aux aspirations des peuples
européens. De plus en plus, on considérera que la loi évangélique n’inclut pas de préceptes
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juridiques et a comme unique domaine, les rapports entre l’homme et Dieu. Cette nouvelle
vision des choses facilite le passage au droit naturel moderne.
III)
Le droit naturel moderne
Il apparaît véritablement à partir du 17ème siècle surtout avec Grotius et Pufendorf. Le premier
estime que c’est la nature de l’homme qui devient le principe fondamental du droit naturel et
l’homme se caractérise par sa sociabilité. Grotius laïcise l’idée de droit naturel en le détachant
de la théologie catholique et de la philosophie morale. Il affirme cependant l’idée
fondamentale des idéalistes en estimant que le droit naturel est un droit supérieur d’où le
droit positif tire sa validité. La rupture de la logique avec les idéalistes anciens intervient et est
saisissant. Contrairement aux anciens qui cherchaient un équilibre harmonieux, Grotius part
du droit subjectif de la personne. Cette vision du droit bénéficie d’un rayonnement sans
précédent à partir du 18ème siècle, le Code civil ayant été lui-même perçu comme la mise en
forme de préceptes permanents et universels imposés par la raison et non comme un
commandement du législateur universel de Dieu. La déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 illustre cette vision des choses en invoquant « les droits naturels inaliénables
et sacrés de l’homme ».
Léo Strauss estime qu’il existe un étalon du juste et de l’injuste, ce qui est indépendant du
droit positif et qui lui est supérieur. Selon l’auteur, cet étalon n’est pas variable selon les
besoins et valeurs des différentes sociétés humaines. Cet étalon est au-dessus des valeurs
sociétales, car devant permettre de juger l’idéal de notre société comme de toute autre.
Emmanuel Kant retient que le droit est composé de règles générales dont le caractère peut
être reconnu a priori par la raison, même en l’absence de toute législation extérieure. Le droit
naturel serait alors immanent à l’homme et non plus transcendant ; c’est-à-dire qu’il serait
créé et voulu par l’homme.
L’école du droit naturel moderne a connu par la suite un certain nombre de critiques. On a pu
estimer que le droit de cette école visée n’en n’était pas vraiment un. Il s’agirait d’un droit
sans efficacité car étant un droit évasif, fuyant et désarmé (absence de justiciabilité). La
critique va plus loin en se focalisant sur l’imprécision de la notion de nature qui fonde le droit
naturel. L’Etat de nature serait-il un Etat de guerre comme le préconise Hobbes ou un Etat de
paix comme l’affirme Pufendorf ou Rousseau ? L’instinct naturel fondamental est-il favorable
ou contraire à la société ? Le contenu que l’on peut assigner au droit naturel serait évolutif
d’un auteur à un autre.
Section II : L’influence de l’idéalisme juridique
Elle prend aussi plusieurs figures.
I)
Le rayonnement des droits fondamentaux
L’article 7 de la Constitution du Sénégal cite un certain nombre de droits qu’il présente comme
ayant un fondement presque naturel pour le citoyen : droit à la vie, à la liberté, au libre
développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle etc. Cet article 7 dispose que « Le
peuple sénégalais reconnaît l’existence de droits de l’homme inviolables et inaliénables
comme base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice sociale ». Par ailleurs,
le préambule de la Constitution fait référence à la Déclaration des Droits de l’Homme et du
citoyen de 1789 ainsi qu’à la Déclaration Universelle de Droits de l’Homme. Dans le même
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sens, la référence en droit sénégalais à certains principes moraux quasi-universels atteste
d’une certaine inclinaison vers l’idéalisme juridique (bonne foi, bonne mœurs, équité etc.).
Exemple : article 76 du COCC « Le contrat est nul pour cause immorale ou illicite lorsque le
motif déterminant de la volonté des parties est contraire à l’ordre public et aux bonnes
mœurs ».
Le droit naturelle de par sa diversité réduite ses controverses et ambigüité a ouvert la voie aux
droits naturels. Par là même il semble s’être condamné en préparant la consécration d’une
technique juridique qui aborde la tradition et la préoccupation philosophique en les rendant
inutiles. Cependant et en même temps la consécration d’une certaine autorité reconnue aux
droits fondamentaux par les juridictions suprêmes leur confèrent une certaine justiciabilité et
donc une certaine juridicité.
II)
Le rayonnement de l’équité
Notion morale, l’équité se voit reconnaître de plus en plus une fonction correctrice,
modératrice voire supplétive du droit. On constate de ce point de vue une certaine
juridicisation de l’équité les juges se fondent de plus en plus sur les textes faisant référence à
l’équité pour procéder à une révision des contrats pour cause d’imprévision ou de
bouleversement de leur base juridiciable. Le COCC ne prévoit-il pas de ce point de vue que le
contrat oblige à toutes les suites que la loi, l’usage et l’équité donne à l’obligation. La nouvelle
doctrine du solidarisme contractuelle trouve un fondement dans cette notion d’équité même
si elle peine à s’installer (voire cependant ordonnance française de 2016 sur le droit des
contrats).
Le rayonnement de l’équité se constate par ailleurs de plus en plus en droit international car
selon la cour internationale de justice, « la notion d’équité est un principe général directement
applicable en tant que droit.»
Le droit judiciaire privé est aussi l’une des matières spécifiques de par l’équité. Le concept de
procès équitable en droit national comme communautaire atteste que cette inclinaison contre
l’équité processuelle tend à garantir l’existence et le respect des garanties fondamentales
d’une bonne justice. Il s’agit d’installer un procès équilibré et loyale à travers une égalité des
armes, une durée raisonnable etc. on constate de ce point de vue la transformation successive
d’une notion purement morale en règle juridique. Le commerce international est
traditionnellement présenté comme étant inéquitable et injuste car fondé sur des rapports de
force. Le référentiel de l’équité ne cesse pourtant de le pénétrer de plus en plus et l’apparition
de nouveau concept comme celui de commerce équitable renseigne sur cette nouvelle place
de l’équité. Au-delà la mise en place des principes éthiques emprunte de plus en plus la voie
de la soft Law ou droit mou qui rejette l’idée d’un droit rigide et contraignant. L’équité devient
de plus en plus présente dans le monde des affaires par des mécanismes d’adhésion volontaire
qui semble dire ce n’est plus apte à garantir l’effectivité du droit. On notera cependant que ce
mouvement de soft Law axé sur l’idée de responsabilité sociale des entreprises (RSE) n’est
qu’un instrument pour atteindre l’objectif de dérèglementation tant recherché par les
multinationales. Cet objectif est bien de retourner à des techniques contractualisées de la
normativité juridique et le recul des droits étatiques.
III)
La conservation d’un idéalisme religieux
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Master I recherche droit privé JUDICIARE sciences criminelles
D.I.F – J.S.F
Dans certains pays (y compris le Sénégal), la pénétration d’un droit naturel religieux est
constatée sans pour autant que l’Etat en tant que tel ne soit religieux. Au Sénégal si une
logique positiviste a été constatée, il n’en demeure pas moins que les grandes options du code
de la famille ont une assise religieuse et donc idéaliste (l’homme chef de famille, polygamie
jusqu’à 4 épouses, notion de puissance paternelle) cette assise idéaliste n’est pas seulement
historique car la revendication, par certains groupes sociaux, d’un plus grand attachement au
princeps islamique témoigne d’un sentiment de retour vers l’idéalisme juridique. Cet
idéalisme juridique est d’ailleurs de plus en plus invoqué pour freiner des excès de la
biotechnologie dans ces manifestations comme le clonage humain ou les manipulations
génétiques. La théorie générale du contrat a elle-même un soubassement idéaliste car fondé
sur l’autonomie de la volonté c’est-à-dire la liberté en tant que droit fondamental. La notion
de propriété qui fonde l’intégralité du droit des biens a aussi une assise idéaliste car le droit
de propriété est cité parmi les droits naturels sacrés et inaliénables. On retrouve un certain
idéalisme juridique même en droit de la responsabilité civile car celui qui, par sa faute cause
un dommage à autrui est tenu de le réparer. La notion de faute évoque la séparation entre le
bien et le mal, l’acceptable et inacceptable. On y décèle l’idée de transgression. Ce qui destine
aussi cette responsabilité à une fonction inutile. On constate ainsi que ce droit de la
responsabilité civile manifeste un certain positivisme juridique (responsabilité sans faute,
responsabilité fondée sur l’idée de garantie ou de risque). Il n’en demeure pas moins que l’idée
de base est de faire supporter à l’être humain les conséquences dommageables de son acte
répréhensible.
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