THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LA COMMUNAUTE UNIVERSITE
GRENOBLE ALPES
Spécialité : Droit International
Arrêté ministériel : 25 mai 2016
Présentée par
Philippe FLORY
Thèse dirigée par Karine BANNELIER-CHRISTAKIS, MCF,
université Grenoble Alpes,
préparée au sein du Centre d’Étude sur la Sécurité
Internationale et les Coopérations Européennes
dans l'École Doctorale Sciences Juridiques
L’action de l’ONU dans le
domaine de la justice
transitionnelle
Thèse soutenue publiquement le 11 octobre 2018,
devant le jury composé de :
Mme. Karine BANNELIER-CHRISTAKIS
MCF, Université Grenoble Alpes, Directrice de thèse
M. Thierry GARCIA
Professeur, Université Grenoble Alpes, Président
M. Frédéric MEGRET
Professeur, Université McGill, Faculté de droit, Examinateur
M. Xavier PHILIPPE
Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Rapporteur
M. Damien SCALIA
Professeur, Université libre de Bruxelles, Rapporteur
3
Tous mes remerciements vont à celles et ceux qui m’ont accompagné,
soutenu, aidé et relu. Ils et elles se reconnaîtront. Je leur suis reconnaissant de
m’avoir permis de conserver de ces années de thèse un souvenir des plus
agréables.
5
SOMMAIRE
PARTIE 1 :
LE DEVELOPPEMENT D’UN CADRE COHERENT POUR
LA JUSTICE TRANSITIONNELLE ONUSIENNE ..........................................45
TITRE 1: L’ELABORATION D’UNE APPROCHE ONUSIENNE DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE FONDEE SUR LA CONSOLIDATION DE LA PAIX ................ 49
Chapitre 1. La justice transitionnelle au service de la mission onusienne de
reconstruction de l’État .................................................................................................... 51
Chapitre 2. La construction d’un modèle holiste de justice transitionnelle .................... 83
TITRE 2: L’ELABORATION PAR L’ONU D’UN CADRE NORMATIF DE LA
JUSTICE TRANSITIONNELLE ...................................................................................... 115
Chapitre 1. L’engagement limité de l’ONU en faveur de l’encadrement normatif des
politiques de justice transitionnelle ................................................................................ 119
Chapitre 2. L’encadrement incomplet des mécanismes de justice transitionnelle ....... 161
PARTIE 2 :
L’APPLICATION DESORDONNEE DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE PAR L’ONU ................................................................. 199
TITRE 1: L’ADAPTATION LABORIEUSE DE L’ACTION ONUSIENNE AUX
OBJECTIFS DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE .................................................... 203
Chapitre 1. L’incertitude quant au degré d’internationalisation de l’action onusienne 205
Chapitre 2. Le recours maladroit à la justice internationale pénale comme mécanisme de
justice transitionnelle...................................................................................................... 245
TITRE 2: L’ADAPTATION DEFAILLANTE DE L’ONU FACE AU
DEVELOPPEMENT DE SON ACTION DANS LE DOMAINE DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE....................................................................................................... 283
Chapitre 1. L’institutionnalisation lacunaire de la justice transitionnelle onusienne ... 285
Chapitre 2. L’extériorité injustifiée de l’ONU vis-à-vis de la justice transitionnelle ... 321
Conclusion générale ....................................................................................................... 373
7
Sigles et abréviations
Mécanismes de justice transitionnelle
CAE
Chambres africaines extraordinaires
CAVR
Commission pour le dialogue, la réception et la réconciliation
CETC
Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens
CPI
Cour pénale internationale
CPS
Cour pénale spéciale pour la Centrafrique
CVJR
Commission vérité, justice et réconciliation
CVR
Commission vérité et réconciliation
DDR
Désarmement, démobilisation et réintégration
RSS
Réforme du secteur de la sécurité
TPIR
Tribunal pénal international pour le Rwanda
TPIY
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
TSL
Tribunal spécial pour le Liban
TSSL
Tribunal spécial pour la Sierra Léone
Opérations de paix
ATNUTO
Administration transitoire des Nations Unies au Timor
oriental
APRONUC
Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge
BANUGBIS
Bureau d’appui de Nations Unies pour la consolidation de la
paix en Guinée-Bissau
8
BANUL
Bureau d’appui des Nations Unies pour la consolidation de la
paix au Libéria
BINUB
Bureau intégré des Nations Unies au Burundi
BINUCA
Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la
paix en République centrafricaine
BINUCSIL
Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la
paix en Sierra Leone
BINUSIL
Bureau intégré de Nations Unies en Sierra Léone
BNUB
Bureau des Nations Unies au Burundi
BONUCA
Bureau des Nations Unies pour la consolidation de la paix en
République centrafricaine
BUNUTIL
Bureau des Nations Unies au Timor Leste
KFOR
Kosovo Force/ Force de paix au Kosovo
MANUA
Mission des Nations Unies en Afghanistan
MANUL
Mission d’appui des Nations Unies en Libye
MANUTO
Mission d’appui des Nations Unies au Timor oriental
MICIVIH
Mission civile internationale en Haïti
MINUAD
Mission hybride des Nations Unies et de l’Union Africaine au
Darfour
MINUAR
Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
MINUBH
Mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine
MINUCI
Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire
MINUGUA
Mission de vérification des Nations Unies au Guatemala
MINUK
Mission des Nations Unies au Kosovo
9
MINUL
Mission des Nations Unies au Libéria
MINUN
Mission des Nations Unies au Népal
MINURCA
Mission des Nations Unies en République centrafricaine
MINURCAT
Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au
Tchad
MINUSCA
Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour
la stabilisation en République centrafricaine
MINUSIL
Mission des Nations Unies en Sierra Léone
MINUSMA
Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour
la stabilisation au Mali
MINUSTAH
Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti
MINUT
Mission intégrée des Nations Unies au Timor oriental
MONUC
Mission des Nations Unies au Congo
MONUSCO
Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la
stabilisation en République démocratique du Congo
ONUB
Opération des Nations Unies au Burundi
ONUC
Opération des Nations Unies au Congo
ONUCI
Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire
ONUSAL
Mission d’observation des Nations Unies au El Salvador
ONUSOM
Opération des Nations Unies en Somalie
UNOWA
United Nations Office for West Africa / Bureau des Nations
Unies pour l’Afrique de l’Ouest
10
Organes, programmes, fonds et départements onusiens
AGNU
Assemblée générale des Nations Unies
BACP
Bureau d’appui à la consolidation de la paix
BSCI
Bureau des services de contrôle interne des Nations Unies
CCP
Commission de consolidation de la paix
CDI
Commission du droit international
CIJ
Cour internationale de justice
CSNU
Conseil de sécurité des Nations Unies
DAM
Département d’appui aux missions
DAP
Département des affaires politiques
DOMP
Département des opérations de maintien de la paix
ECOSOC
Conseil économique et social des Nations Unies
FCP
Fonds de consolidation de la paix
HCDH
Haut commissaire aux droits de l’homme
HCR
Haut commissaire aux réfugiés
ONUDC
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime
PNUD
Programme des Nations Unies pour le développement
SGNU
Secrétaire général des Nations Unies
TANU
Tribunal d’appel des Nations Unies
TCANU
Tribunal du Contentieux administratif des Nations Unies
UNICEF
Fonds des Nations Unies pour l’enfance
11
Revues, ONG et sociétés savantes
AFDI
Annuaire français de droit international
AJIL
American journal of international law
ASIL
American society of international law
CICR
Comité international de la croix rouge
EJIL
European journal of international law
ICTJ
International centre for transitional justice
IJTJ
International journal of transitional justice
JICJ
Journal of international criminal justice
LGDJ
Librairie générale de droit et de jurisprudence
RBDI
Revue belge de droit international
RCADI
Recueil des cours de l’Académie du droit international
RGDIP
Revue générale de droit international public
RICR
Revue internationale de la croix rouge
SFDI
Société française pour le droit international
USIP
United States institute of peace
13
INTRODUCTION
1.
Si l’on en croit Ruti Teitel, la justice transitionnelle serait entrée dans une phase de
normalisation1. Il est vrai que le domaine fait aujourd’hui l’objet de très nombreux ouvrages
et articles de doctrine. Même les juristes français, longtemps réticents devant cet objet, se sont
saisis des multiples questions que pose la justice transitionnelle2. Si la notion apparaît mieux
acceptée par les cercles académiques, son sens n’est pas beaucoup plus déterminé que lorsque
Fabrice Hourquebie posait la question de son existence3 et que Sandrine Lefranc refusait à la
justice transitionnelle la qualité de concept4.
Cette indétermination n’a pas empêché l’accroissement continu du recours à la justice
transitionnelle par les États sortant de conflits. La Tunisie et l’Egypte ont créé des ministères
de la justice transitionnelle à la suite de leur révolution, des programmes de justice
transitionnelle sont prévus au Mali et en République centrafricaine (RCA)5, alors même que
les conflits dans ces pays ne sont pas terminés, et l’accord de paix colombien a intégré un
système complexe construit autour de cette même justice6. Malgré son imprécision, la justice
transitionnelle jouit donc d’une popularité certaine auprès des États principalement concernés.
2.
L’ONU a commencé à soutenir des mécanismes de justice transitionnelle dès le début
des années quatre-vingt-dix. La proportion des opérations de paix7 conduisant des tâches dans
le domaine de la justice transitionnelle a depuis plus que doublé8. Au jour de l’écriture,
1
TEITEL (R.), « The law and politics of contemporary transitional justice », Cornell International Law Journal,
vol. 38, 2005, p. 840.
2
L’intégration d’une section portant sur la justice transitionnelle dans la deuxième édition du manuel de droit
international pénal dirigé par les professeurs Ascensio, Decaux et Pellet reflète bien cette évolution de la
recherche française. Voir EUDES (M.), « La justice transitionnelle », in ASCENSIO (H.), DECAUX (E.),
PELLET (A.), dir., Droit international pénal, 2e éd., Pedone, Paris, 2012, pp. 593-601. De même, le site theses.fr
recense soixante-quatre thèses juridiques, dont trente-trois en préparation, portant sur la justice transitionnelle.
3
HOURQUEBIE (F.), « La notion de ‘justice transitionnelle’ a-t-elle un sens ? », VIIème Congrès français de
droit
constitutionnel,
septembre
2008,
http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC5/HourquebieTXT.pdf. Le professeur Hourquebie a
répondu positivement à sa propre interrogation quelques années plus tard : HOURQUEBIE (F.), « La justice
transitionnelle a bien un sens », Afrique contemporaine, vol. 250, n° 2, 2014, pp. 86-87.
4
LEFRANC (S.), « La justice transitionnelle n’est pas un concept », Mouvements, 2008/1, n° 53, pp. 61-69.
5
Voir les tâches des opérations de maintien de la paix (OMP) déployées dans ces deux pays in Annexe II,
Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
6
Voir UN Doc. S/2017/272, « Final agreement for ending the conflict and building a stable and lasting peace »,
Bogota, 24 novembre 2016, section 5.
7
L’expression « opérations de paix » est utilisée à l’ONU pour désigner l’ensemble des opérations de maintien
de la paix et des missions politiques spéciales.
8
Voir Annexe IV, Synthèse de l’action des opérations de paix dans le domaine de la justice transitionnelle.
14
l’ONU prête son assistance à la conduite de politiques de justice transitionnelle dans une
douzaine de pays9. Le Conseil de sécurité considère pour sa part que « l’accès à la justice et à
la justice transitionnelle » est une condition de la « pérennisation de la paix »10, confirmant
l’intégration de la justice transitionnelle au sein des outils du maintien et de la consolidation
de la paix. La multiplication des opérations de maintien de la paix (OMP) conduisant des
tâches dans le domaine de cette justice confirme cet engagement. Ce dernier est par ailleurs
partagé par les principaux organes intergouvernementaux de l’ONU. Alors que l’Assemblée
générale considère que la justice transitionnelle participe à la restauration de la confiance dans
l’état de droit11, le Conseil des droits de l’homme12 appelle les États sortant de conflit à
développer des « stratégies globales de justice de transition »13. Si l’on ajoute à ces organes
l’activité des institutions intégrées – c'est-à-dire celles dont les agents ne sont pas soumis à
l’autorité de leur État d’origine14 – tels que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme
(HCDH) et l’ensemble des départements composant le secrétariat, c’est une part importante
de l’Organisation qui est désormais active tant dans les aspects théoriques que dans la mise en
œuvre de la justice transitionnelle.
3.
Au vu de cet engagement transversal des acteurs onusiens dans la justice transitionnelle,
et conscients de la persistance d’une relative indétermination de ce domaine, la question qui
se pose est alors celle de la cohérence de ces divers engagements. L’ONU présente-t-elle un
front commun dans le domaine de la justice transitionnelle ou son action est-elle plutôt
9
Voir les actions présentées dans les annexes II à IV.
S/RES/2282 (2016), préambule, § 13.
11
A/RES/71/148 (2016), § 19. Le concept d’ « état de droit » auquel il est fait référence ici correspond à sa
signification anglo-saxonne, en vigueur aux Nations Unies. Celle-ci diffère du concept d’ « État de droit » utilisé
par les juristes français. Afin de différencier les deux concepts, nous utiliserons l’écriture « état de droit » pour
désigner le concept anglo-saxon de « rule of law » et « État de droit » pour désigner le concept français. Le
Secrétaire général définit l’état de droit comme : « un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des
individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre de
l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de
manière indépendante, et compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme.
Il implique, d’autre part, des mesures propres à assurer le respect des principes de la primauté du droit, de
l’égalité devant la loi, de la responsabilité au regard de la loi, de l’équité dans l’application de la loi, de la
séparation des pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique, du refus de l’arbitraire
et de la transparence des procédures et des processus législatifs. » SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement
de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un
conflit ou sortant d’un conflit, 23 août 2004, § 6. Sur les différentes approches du concept d’État de droit, voir :
CHEVALLIER (J.), L’État de droit, 6e éd., LGDJ, Paris, 2017, notamment pp. 14-48 et 17-20.
12
Dans le langage onusien, les droits de l’Homme sont toujours désignés avec un « h » minuscule (« droits de
l’homme »). Cette écriture sera conservée à chaque fois qu’elle est utilisée par l’ONU. Les convictions de
l’auteur impliquent en revanche que l’écriture « droits de l’Homme » sera utilisée en dehors des cas susvisés.
13
UN Doc. A/HRC/RES/33/19, Les droits de l’homme et la justice de transition, 5 octobre 2016.
14
Pour de plus amples développements sur la distinction entre les organes intergouvernementaux et les organes
intégrés, voir : VIRALLY (M.), L’Organisation mondiale, Armand Collin, Paris, 1972, pp. 55-146, notamment
pp. 55-60 pour la classification de ces organes.
10
15
caractérisée par une superposition d’approches différenciées ? C’est cette question qui soustendra l’effort d’analyse de l’action des Nations Unies15 dans le domaine de la justice
transitionnelle.
4.
Afin de poser les bases de cette étude, on s’attachera dans un premier temps à décrypter
ce qu’il faut entendre par la justice transitionnelle « onusienne » (Section I). Il s’agira ensuite
de présenter les instruments mobilisés pour procéder à l’analyse de cette justice (Section II),
pour finalement préciser les limites et la portée de cette analyse (Section III).
Section I
5.
Une justice transitionnelle « onusienne »
La popularité de la justice transitionnelle, tant comme politique appliquée par les États
que comme objet de recherche académique, peut laisser sceptique devant un travail
potentiellement constitutif d’une énième étude sur un domaine dont l’attention dont il fait
l’objet n’a d’égale que l’indétermination qui le caractérise. Il est pourtant des pans majeurs de
la justice transitionnelle demeurant presque vierges de toute analyse. L’action de l’ONU dans
ce domaine en fait partie. C’est pourquoi l’analyse de cette action apparaît comme une
nécessité (§ 1). L’attention portée par cette étude sur l’action des Nations Unies implique qu’il
est impossible d’éviter le traditionnel exercice de définition de la justice transitionnelle.
L’avantage de cette étude est que, placée du point de vue onusien, elle ne cherchera pas à
trancher les différents débats doctrinaux entourant la définition de la justice transitionnelle, se
contentant d’analyser la position adoptée par l’Organisation (§ 2).
§1/La nécessité d’une analyse de l’action de l’ONU dans le domaine de la
justice transitionnelle
6.
Si l’analyse de l’action de l’ONU dans le domaine de la justice transitionnelle est
essentielle, c’est tout d’abord en raison du rôle majeur que joue l’Organisation dans le
développement de cette justice (A). Étrangement, l’analyse de ce rôle a échappé à la
multiplication des études portant sur la justice transitionnelle. Il en résulte que l’action de
l’ONU dans ce domaine demeure méconnue (B).
15
Les expressions « Nations Unies » et « ONU » désignent traditionnellement des objets sensiblement différents,
la première représentant une approche élargie par rapport à la seconde, qui ne concerne que les institutions
explicitement nommées au sein de la Charte de Nations Unies. En vue d’éviter des lourdeurs rédactionnelles,
elles seront toutefois utilisées ici de façon indifférenciée, désignant l’ensemble des institutions, départements,
fonds et programmes faisant partie de la « famille » des Nations Unies.
16
A) L’ONU, un acteur majeur du développement de la justice transitionnelle
7.
Les Nations Unies ont été impliquées, à divers degrés, dans les processus de justice
transitionnelle mis en œuvre dans plus de trente-cinq États16. Elle est l’organisation
internationale la « most involved in issues relevant to justice and conflict situations »17 et l’un
des principaux promoteurs des commissions vérité18. Engagée dans la justice transitionnelle
depuis le début des années quatre-vingt-dix, avec son implication dans le processus
salvadorien19, l’Organisation a acquis une expérience dans le domaine qui n’est égalée que
par le Centre international pour la justice transitionnelle (International center for transitional
justice – ICTJ), ONG avec laquelle les acteurs onusiens travaillent en étroite collaboration20.
Cette expérience permet à l’ONU de mobiliser rapidement des experts apportant aux
gouvernements des informations basées sur les leçons apprises au cours des expériences
passées.
8.
L’ONU bénéficie également d’un réseau dense d’institutions, groupes, fonds, experts et
programmes œuvrant dans le domaine de la justice transitionnelle. Le Programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD), le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’homme (HCDH), la Commission et le Fonds de consolidation de la paix (CCP et FCP) ne
sont qu’une partie de ces nombreux acteurs onusiens actifs dans ce domaine. L’implication du
Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et du Conseil des droits de l’homme a également
permis l’entrée de la justice transitionnelle dans la sphère intergouvernementale. Cette entrée
a favorisé le développement normatif de cette justice, en facilitant l’adoption de positions
communes par les États au travers de résolutions adoptées au sein de ces enceintes, permettant
16
Les processus pris en compte sont ceux compris dans des accords des paix auxquels l’ONU a participé en tant
que médiateur et a signé en tant que témoin, et ceux ayant fait l’objet d’une implication onusienne sous la forme
d’une opération de maintien de la paix, d’une mission politique spéciale ou d’un bureau pays du HautCommissariat aux droits de l’homme. Voir la méthode d’analyse de la pratique onusienne présentée infra,
section II.
17
UNGER (T.), WIERDA (M.), « Pursuing justice in ongoing conflict : a discussion of current practice », in
AMBOS (K.), LARGE (J.), WIERDA (M.), Building a future on peace and justice : studies on transitional
justice, peace and development : the Nuremberg declaration on peace and justice, Springer, Berlin, 2009, p. 280.
18
Megan McKenzie et Mohamed Sesay considèrent que « [nowhere] is the endorsement of truth commissions
more obvious than by the United Nations ». MACKENZIE (M.), SESAY (M.), « No amnesty from/for the
international : the production and promotion of TRCs as an international norm in Sierra Leone », International
studies perspectives, vol. 13, n° 2, mai 2012, p. 150. Voir également les réflexions de Patricia Naftali concernant
l’implication de l’ONU dans la construction et la juridicisation du droit à la vérité, notamment à travers son
invocation comme fondement des commissions vérité. NAFTALI (P.), La construction du ‘droit à la vérité’ en
droit international, thèse de doctorat, Bruylant, Bruxelles, 2017, pp. 326-367.
19
PHILIPPE (X.), « Les Nations Unies et la justice transitionnelle : bilan et perspectives », L’Observateur des
Nations Unies, n° 20/21, 2006, p. 171.
20
Voir les liens entre ces deux organisations décrits par Patricia Naftali : NAFTALI (P.), La construction du
‘droit à la vérité’ en droit international, op. cit., pp. 326-334.
17
l’émergence de normes internationales liées à la justice transitionnelle. Le pouvoir du Conseil
de sécurité a également permis, bien que de façon exceptionnelle, le dépassement des
réticences étatiques à l’instauration de mécanismes de justice transitionnelle. Enfin, le
caractère quasi-universel de l’ONU et de son personnel lui permet de faire appel à des experts
de cultures diverses et d’adapter ainsi son soutien aux contextes dans lesquels il est requis.
9.
Il résulte des remarques présentées ci-dessus que l’approche de la justice transitionnelle
adoptée par les Nations Unies a nécessairement un impact sur le développement général de
cette justice. La centralité de l’Organisation dans la mise en œuvre des mécanismes de cette
justice favorise l’exportation des standards onusiens qui peuvent ainsi rapidement dépasser le
cadre de l’ONU. L’étude de cette approche et de cette pratique est donc fondamentale pour la
connaissance de la justice transitionnelle.
B) La méconnaissance de l’action de l’ONU dans le domaine de la justice
transitionnelle
10.
À notre connaissance, seules deux publications abordent la question de l’ONU et de la
justice transitionnelle de façon globale. La première est l’article publié par le Professeur
Xavier Philippe dans l’Observateur des Nations Unies en 200621. Cette étude est par ailleurs
la seule à avoir été effectuée par un auteur extérieur à l’Organisation. En effet, bien que ne
constituant pas un document onusien, la deuxième publication est un chapitre rédigé par
Alison Davidian et Emily Kenney au sein du Research handbook on transitional justice,
publié en 201722. Or, les deux auteures travaillent comme consultantes pour l’Entité des
Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation de la femme (ONU-Femmes).
Malgré le grand intérêt que présentent ces travaux, leur format limite nécessairement leur
capacité à appréhender une action aussi vaste que celle des Nations Unies.
11.
Dans la doctrine, l’action de l’ONU dans le domaine de la justice transitionnelle est très
majoritairement abordée de façon fragmentée, à l’aune d’un contexte géographique
spécifique23, d’une institution onusienne24, d’un mécanisme particulier de justice
21
PHILIPPE (X.), « Les Nations Unies et la justice transitionnelle », op. cit., pp. 169-191.
DAVIDIAN (A.), KENNEY (E.), « The United Nations and transitional justice », in JACOBS (D.),
LAWTHER (C.) MOFFETT (L.), dir., Research handbook on transitional justice, Edward Elgar Publishing,
Cheltenham, 2017, pp. 185-201.
23
Voir par exemple les travaux portant sur le Timor Leste : BURGESS (P.), « Justice and reconciliation in East
Timor. The relationship between the commission for reception, truth and reconciliation and the courts »,
Criminal Law Forum, vol. 15, n° 1-2, 2004, pp. 135-158 ; BOWMAN (H. D.), « Letting the big fish get away :
22
18
transitionnelle25 ou d’une combinaison de ces aspects26. Cette action est également évoquée
dans le cadre d’études envisageant la justice transitionnelle d’une façon plus générale. Il s’agit
alors souvent de noter l’influence des Nations Unies sur le développement de cette justice ou
de l’un de ses aspects27. ou encore de critiquer la mise en œuvre, par l’ONU, de la justice
transitionnelle28. Or, ces critiques et ces remarques ne peuvent se baser que sur des analyses
partielles de l’action onusienne dans ce domaine.
12.
De l’absence d’étude globale sur l’action de l’ONU dans le domaine de la justice
transitionnelle résulte une certaine méconnaissance de cette action. Les programmes les plus
importants – notamment en termes de financement et de degré d’implication onusienne – sont
souvent surreprésentés et le discours onusien est parfois tronqué par une trop grande attention
portée à certains organes. Il est également important de maintenir à l’esprit la spécificité de
l’acteur onusien, dont l’action est fortement influencée par son intergouvernementalité.
Cette étude se propose ainsi d’entamer29 le travail d’identification des éléments
constitutifs d’une approche et d’une pratique onusiennes de la justice transitionnelle.
The United Nations justice effort in East Timor », Emory International Law Review, vol. 18, 2004, pp. 371-400,
ou encore ceux portant sur la Sierra Léone : SCHABAS (W.), « Conjoined twins of transitional justice ? The
Sierra Leone Truth and Reconciliation Commission and the Special Court », JICJ, vol. 2, n° 4, 2004, pp. 10821099 ; Human Rights Watch, « The interrelationship between the Sierra Leone Special Court and Truth and
Reconciliation Commission », 18 mai 2002 (en ligne).
24
Voir par exemple ICTJ, « Transitional justice in the United Nations Human Rights Council », juin 2011, 11 p.
et THALLINGER (G), « The UN Peacebuilding Commission and transitional justice », German Law Journal,
vol. 8, n° 7, 2007, pp. 681-710.
25
Voir par exemple : STAHN (C.), « United Nations peace-building, amnesties and alternative forms of justice :
A change in practice? », RICR, vol. 84, n° 845, mars 2002, pp. 191-205 ; HAYNER (P.), Unspeakable Truths,
Transitional Justice and the Challenge of Truth Commissions, 2e éd., Routledge, New York et Londres, 2011,
356 p. Voir également les très nombreuses études portant sur les juridictions pénales internationales et
internationalisées. Par exemple : ASCENSIO (H.), dir., Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge,
Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de législation comparée, Paris, 2006, 383 p. ; MARTINEAU (A.C.), Les juridictions pénales internationalisées, un nouveau modèle de justice hybride ?, Pedone, Paris, 2007,
300 p.
26
Voir par exemple : BUERGENTHAL (T.), « The United Nations truth commission for El Salvador »,
Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 27, n° 3, octobre 1994, pp. 497-544.
27
Voir par exemple les développements liés à l’ONU dans la thèse de Noémie Turgis sur « la justice
transitionnelle en droit international ». TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, thèse de
doctorat, Bruylant, Bruxelles, 2014, pp. 44-84. Voir également la présentation de certaines spécificités de la
justice transitionnelle onusienne in OLSEN (T. D.), PAYNE (L. A.), REITER (A. G.), Transitional justice in
balance. Comparing processes, weighing efficacy, United States Institute of Peace, Washington, 2010, 213 p.
28
Voir par exemple MACKENZIE (M.), SESAY (M.), « No amnesty from/for the international », op. cit.,
pp. 146-163 ; International Peace Academy, « Rule of law programs in peace operations », par Agnès Hurwitz et
Kaysie Studdard, Policy paper, août 2005, 19 p. ; POULIGNY (B.), « Civil society and post-conflict
peacebuilding : ambiguities of international programmes aimed at building ‘new’ societies », Security Dialogue,
vol. 35, n° 4, décembre 2005, pp. 495-510.
29
Du fait de plusieurs facteurs présentés infra (section II), on se gardera de prétendre à une quelconque
exhaustivité dans l’étude, notamment, de la pratique onusienne dans le domaine de la justice transitionnelle.
19
§2/La définition onusienne de la justice transitionnelle
13.
Malgré l’engouement qu’elle suscite, la justice transitionnelle ne connaît toujours pas de
définition faisant consensus entre les auteurs. À cet égard, on compte presque autant
d’approches que de travaux sur la justice transitionnelle. La définition proposée par le
Secrétaire général dans son rapport de 2004 sur l’état de droit et la justice transitionnelle30
représente cependant l’approche la plus largement acceptée et reprise au sein de la doctrine.
Elle a, de plus, été unanimement adoptée au sein de l’ONU et constituera en conséquence la
référence pour la présente étude. Selon elle :
« [le] concept d’ ‘administration de la justice pendant la période de transition’
qui est examiné dans le présent rapport englobe l’éventail complet des divers
processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à
des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les
responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation. Peuvent
figurer au nombre de ces processus des mécanismes tant judiciaires que non
judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la
communauté internationale, et des poursuites engagées contre des individus, des
indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des
institutions, des contrôles et des révocations, ou une combinaison de ces
mesures. »31
Notons tout d’abord que le terme de « transition » a été exclu de la définition onusienne
de la justice transitionnelle. On ne peut que s’en réjouir tant ce terme était, d’une part,
inadapté à une justice régulièrement mise en œuvre en dehors de tout changement de régime32
et, d’autre part, mal défini quant à la nature – transition vers la démocratie, vers la paix ou
encore vers l’état de droit – et la temporalité – qui peut dire à quel moment elle prend fin ? –
de cette transition. Le contexte étant exclu, cette définition apporte trois éléments
complémentaires de définition. La justice transitionnelle est ainsi identifiée par son objet (A),
sa finalité (B) et ses mécanismes (C).
30
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit.
Ibid., § 8.
32
Le cas de la commission vérité marocaine est souvent cité comme exemple d’une telle application de la justice
transitionnelle.
31
20
A) L’objet de la justice transitionnelle
14.
L’objet de la justice transitionnelle est intimement lié au contexte du développement de
cette justice. Celle-ci est née des réflexions portant sur les mesures que pouvaient adopter,
dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les gouvernements latino-américains pour
faire face aux crimes commis sous les régimes dictatoriaux qui les ont précédés. Le caractère
exceptionnel du contexte de la transition vers la démocratie et de l’ampleur des crimes
commis par les régimes successeurs ont donc eu un effet structurant sur l’émergence de la
notion de justice transitionnelle. Celle-ci n’a pas été pensée pour faire face à une criminalité
classique et actuelle mais pour traiter des « exactions massives » commises dans le passé. La
version anglaise du rapport est encore plus éloquente dans la mesure où elle use de la notion
de « legacy of large-scale past abuses », traduisant l’impact de ces violations sur la société.
15.
Trois éléments sont à relever ici. Il faut tout d’abord noter que les violations dont est
saisie la justice transitionnelle ont un caractère exceptionnel. Pablo de Greiff considère à cet
égard que « transitional justice articulates the requirements of a general understanding of
justice when applied to the peculiar circumstances of a very imperfect world »33. Le monde
imparfait dont il est question étant celui qui a permis la commission de ces « exactions
massives ». Plus qu’une justice exceptionnelle34, la justice transitionnelle est ainsi plutôt une
justice de l’exceptionnel.
16.
Le deuxième élément vient éclairer ce qu’il faut entendre par cette notion
d’exceptionnel.
L’expression
« exactions
massives »
concentre
souvent
l’attention.
L’exceptionnel serait alors à chercher dans l’ampleur des crimes. Cette approche conduit à
prêter une attention disproportionnée aux crimes internationaux tels le crime contre
l’humanité, le génocide ou les crimes de guerre. L’ONU a d’ailleurs souvent suivi cette voie.
Il semble pourtant que la justice transitionnelle, y compris lorsqu’elle est mise en œuvre par
ou avec le soutien des Nations Unies, dépasse cette approche quantitative de l’importance des
violations commises. Le terme de « legacy », présent dans la version anglaise du rapport, est
fondamental à cet égard. Il tend à remettre au centre de la justice transitionnelle l’impact des
violations sur la société. Or, de nature subjective, cet impact peut être significatif y compris
en présence d’un nombre relativement faible de victimes. On peut penser ici à la commission
vérité établie dans la ville de Greensboro, aux États-Unis, pour traiter de violences raciales
33
DE GREIFF (P.), « Theorizing transitional justice », in ELSTER (J.), NAGY (R.), WILLIAMS (M. E.), dir.,
Transitional justice, New York University Press, New York, 2012, p. 34.
34
Approche que rejette d’ailleurs Pablo de Greiff. Voir ibid.
21
ayant eu lieu à l’occasion d’une manifestation et dont le bilan s’élève à cinq morts et onze
blessés. Au-delà du bilan des violences c’est bien leur contexte – la manifestation avait pour
objet la défense des droits économiques et des droits des populations afro-américaines et le
Ku Klux Klan était impliqué dans la fusillade – et les divisions sociales qu’elles exposent qui
justifient le recours à la justice transitionnelle35.
17.
Il faut ensuite préciser que les violations dont traite la justice transitionnelle sont
passées. Les mécanismes de cette justice n’ont ainsi pas vocation à connaître d’infractions
commises après leur création. Comme l’exprime Luis-Miguel Gutierrez Ramirez, la justice
transitionnelle est appelée à « faire face à certaines infractions commises dans une période
déterminée antérieure, à partir de la promulgation de normes ad hoc qui sont appliquées à ces
infractions de manière rétroactive. »36 Bien qu’elle soit encore très limitée, une tendance à
dépasser cette caractéristique de la justice transitionnelle peut être observée. Le seul élément
qui en témoigne, à notre connaissance, est la création conjointe entre le Guatemala et l’ONU
de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG). Cette commission
a pour mandat de lutter contre les groupes illégaux de sécurité (« illegal security groups ») en
recueillant des informations les concernant et en participant aux mesures de poursuites
judiciaires et de sanctions administratives37. Sans rentrer ici dans les détails du
fonctionnement de cette commission38, il faut signaler qu’elle a été considérée par certains
auteurs comme un « non-traditional transitional justice effort »39. Tove Nyberg reconnaît
cependant que cette commission « is not a transitional justice mechanism per se since it
focuses on present day crime. »40 De plus, l’ONU ne considère pas la CICIG comme un
mécanisme de justice transitionnelle41. Le critère de l’antériorité n’est donc pas (encore)
dépassé.
35
Voir sur ce sujet HAYNER (P.), Unspeakable Truths, op. cit., p. 62. Voir aussi le site internet de la
commission vérité de Greensboro : http://www.greensborotrc.org/.
36
GUTIERREZ RAMIREZ (L.-M.), Justice transitionnelle et constitution, thèse de doctorat, Université
Toulouse Capitole, soutenue le 26 juin 2017, p. 18.
37
Voir Agreement between the United Nations and the state of Guatemala on the establishment of an
International commission against impunity in Guatemala (CICIG), New York, 12 décembre 2006, RTNU,
vol. 2472, p. 47, art. 2.
38
Pour une analyse du fonctionnement de la CICIG, voir notamment : HUDSON (A.), TAYLOR (A. W), « The
international commission against impunity in Guatemala », JICJ, vol. 8, 2010, pp. 53-74.
39
NYBERG (T.), « International commission against impunity in Guatemala : a non-traditional transitional
justice effort », Revue Québécoise de Droit International, vol. 28, n° 1, pp. 157-184.
40
Ibid., p. 165.
41
La CICIG n’est en effet pas traitée au sein de la section dédiée à la justice transitionnelle dans les rapports du
Secrétaire général. Voir par exemple UN Doc. A/66/133, Strengthening and coordinating Unite Nations rule of
22
18.
L’objet de la justice transitionnelle pose en réalité peu de problèmes. On a vu cependant
que le caractère subjectif de la notion d’héritage en étend considérablement le spectre. En
conséquence, la seule limite réelle à cet objet réside dans l’antériorité des violations
concernées. Il est évident que ce critère est très insuffisant pour délimiter le domaine de la
justice transitionnelle. La notion d’héritage est alors le premier indicateur du deuxième
élément d’identification de cette justice, résidant dans sa finalité.
B) La finalité de la justice transitionnelle
19.
Si l’héritage que constituent les violations traitées par la justice transitionnelle constitue
un élément de détermination de l’objet de cette dernière, il est également un élément de sa
finalité. En effet, cette justice vise à accompagner « a society’s attempts to come to terms with
a legacy of large-scale past abuses »42. L’expression « come to terms » est particulièrement
intéressante ici. Sa reprise dans la directive du Secrétaire général exposant l’approche
onusienne de la justice transitionnelle43 montre que son utilisation n’est pas fortuite. On
remarque une sensible différence entre les versions anglaise et française du rapport, cette
dernière ayant recours à l’expression « faire face ». La version anglaise de « come to terms »
se rapprocherait en réalité plutôt de la notion française d’acceptation, alors que la version
française semble se rapprocher du terme anglais de « confront », par ailleurs régulièrement
utilisé dans les définitions doctrinales de la justice transitionnelle44. En tout état de cause,
qu’il s’agisse d’accepter le passé ou de s’y confronter, c’est bien à la suppression des entraves
que ce passé peut représenter à la construction d’une société réconciliée qu’aspire la justice
transitionnelle. Car cette suppression n’est qu’un moyen, une finalité intermédiaire permettant
d’atteindre les objectifs ultimes auxquels la justice transitionnelle est censée concourir.
law activities, 8 août 2011. La CICIG y est traitée au § 31 alors que la section portant sur la justice
transitionnelle ne comprend que les §§ 32 à 36.
42
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 8.
43
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », mars
2010, pp. 1 et 3.
44
Voir par exemple TEITEL (R.), « Transitional justice genealogy », Harvard Human Rights Journal, vol. 16,
2003, p. 1 ; ROHT-ARRIAZA (N.), « The new landscape of transitional justice », in MARIEZCURRENA (J.),
ROHT-ARRIAZA (N.), Transitional justice in the twenty first century, beyond truth versus justice, Cambridge
University Press, New York, 2006, p. 1. Anne-Marie La Rosa et Xavier Philippe ont également recours à cette
notion lorsqu’ils définissent la justice transitionnelle comme visant « à confronter l’héritage d’un passé violent ».
Voir LA ROSA (A.-M.), PHILIPPE (X.), « Justice transitionnelle » in CHÉTAIL (V.), dir., Lexique de la
consolidation de la paix, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 257
23
20.
Dans la définition du Secrétaire général, le traitement du passé a pour but « d’établir les
responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation »45. Les objectifs ainsi
présentés apparaissent extrêmement flous. Rien n’est dit sur le type de justice dont il est
question. Dans la mesure où la justice transitionnelle s’écarte de la simple approche punitive,
s’agit-il ici d’une justice restauratrice, réparatrice, sociale46 ? La même indétermination
caractérise l’objectif de réconciliation, qualifié par Valérie Rosoux de « piège »47 de la justice
transitionnelle. Cherche-t-on à réconcilier les victimes et les bourreaux, la population et les
autorités étatiques, l’ensemble de la société ou encore une combinaison de ces schémas ?
Impossible également de déterminer ce qui caractérise une société réconciliée sans tomber
dans une vision idéalisée et irréalisable.
21.
Outre les problèmes liés à l’imprécision des objectifs attribués à la justice
transitionnelle, l’approche finaliste pose la question des moyens propres à atteindre ces buts.
Limitée à son objet et à ses finalités, la justice transitionnelle pourrait être poursuivie par un
spectre illimité de mesures. On pourrait alors considérer que « the assassination or exile of
individuals implicated in the violations »48 constitue une mesure de justice transitionnelle. En
sus de son objet et de ses buts, ce sont donc les mécanismes de la justice transitionnelle qui
doivent être délimités.
C) Les mécanismes de la justice transitionnelle
22.
Définir la justice transitionnelle par ses mécanismes paraît de prime abord
contreproductif. En effet, la nécessité d’adaptation de cette justice aux spécificités des
contextes dans lesquels elle est déployée semble interdire que les formes qu’elle peut adopter
45
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 8.
Dans sa tentative de théorisation des réparations au sein de la justice transitionnelle d’un point de vue des
théories de la justice, Lisa J. Laplante construit un continuum des types de justice (« justice continuum »)
auxquels participent ces réparations. Ce continuum comporte la justice réparatrice (« reparative justice »), la
justice restauratrice (« restorative justice »), la justice civique ou citoyenne (« civic justice ») et enfin la justice
sociale et économique (« socioeconomic justice »). Voir LAPLANTE (L. J.), « The plural justice aim of
reparations », in BUCKLEY-ZISTEL (S.) et al., dir., Transitional justice theories, Routledge, Abingdon, New
York, 2014, pp. 68-79.
47
ROSOUX (V.), « Réconcilier : ambition et piège de la justice transitionnelle. Le cas du Rwanda », Droit et
Société, vol. 73, 2009, pp. 613-633. Dans le même sens, voir MENDEZ (J. E.), « National reconciliation,
transnational justice, and the International Criminal Court », Ethics and International Affairs, vol. 15, n° 1, mars
2001, pp. 25-44 et BALINT (J. L.), « The place of law in addressing internal regime conflicts », Law and
Contemporary Problems, vol. 59, n° 4, 1996, p. 122.
48
BACKER (D.), « Cross-National Comparative Analysis », in Baxter (V.), R. Chapman (A. R.), Van der
Merwe (H.), dir., Assessing the impact of transitional justice. Challenges for empirical research, USIP,
Washington D.C., 2009, p. 28 et note 1.
46
24
soient limitées. C’est la raison pour laquelle l’approche « opérationnelle » est parfois rejetée
par la doctrine49. En l’absence de définition satisfaisante, le recours à cette approche de la
justice transitionnelle par ses mécanismes est pourtant récurrent50. Ceux-ci sont même au
cœur de cette justice. En effet, la justice transitionnelle n’est pas un concept qui peut être
défini de façon abstraite, comme peut l’être la justice. La justice transitionnelle s’est
construite à partir de pratiques auxquelles les définitions adoptées renvoient de façon presque
systématique51. C’est par ce même renvoi que débute la définition du Secrétaire général
lorsqu’il note que la justice transitionnelle « englobe l’éventail complet des divers processus
et mécanismes »52 créés par les sociétés concernées. Le réel problème de l’approche
opérationnelle survient lorsque celle-ci ambitionne de définir de façon limitative les
mécanismes pouvant être compris dans le champ de la justice transitionnelle. C’est pourquoi
la liste établie par le Secrétaire général, et comprenant « des mécanismes tant judiciaires que
non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la
communauté internationale, et des poursuites engagées contre des individus, des
indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des
contrôles et des révocations »53, n’est qu’indicative54.
23.
L’identification des mécanismes de la justice transitionnelle révèle que l’approche
opérationnelle n’est pas détachée de toute assise théorique. Les poursuites pénales, les
réparations, la recherche de la vérité et les lustrations font écho aux droits identifiés par Louis
Joinet dans son rapport de 1997 sur la lutte contre l’impunité55. La construction de la lutte
contre l’impunité autour de quatre piliers constitués du droit à la vérité, du droit à la justice,
49
Voir par exemple GUTIERREZ RAMIREZ (L.-M.), Justice transitionnelle et constitution, op. cit., pp. 10-15.
Voir par exemple les définitions fournies par Kora Andrieu (ANDRIEU (K.), « Transitional justice ; a new
discipline in human rights », Online Encyclopedia of Mass Violence, 18 janvier 2010, p. 3), Paul Van Zyl (VAN
ZYL (P.), « Promoting transitional justice in post-conflict societies » in BRYDEN (A.), HÄNGGI (H.), Security
governance in post-conflict peacebuilding, 2e éd., DCAF, Genève, 2005, p. 209) ou encore Jon Elster (ELSTER
(J.), Closing the books. Transitional justice in historical perspective, Cambridge University Press, Cambridge,
2004, p. 1).
51
Ainsi, bien que rejetant l’approche opérationnelle, Luis-Miguel GUTIERREZ Ramirez retient que la justice
transitionnelle constitue « à la fois un régime juridique et un ensemble de processus » (nous soulignons).
GUTIERREZ RAMIREZ (L.-M.), Justice transitionnelle et constitution, op. cit., p. 8.
52
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 8.
53
Ibid.
54
Koffi Annan précise bien que « [peuvent] figurer au nombre de ces processus », l’un ou plusieurs éléments de
la liste présentée, ce qui semble indiquer que d’autres mesures peuvent être concernées.
55
ECOSOC, UN Doc. E/CN.4/Sub. 2/1997/20/Rev.1, L’administration de la justice et les droits de l’homme des
détenus. Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme (civils et politiques). Rapport
final révisé établi par M. L. Joinet, en application de la décision 1996/119 de la Sous-Commission, 2 octobre
1997, (« principes Joinet »).
50
25
du droit à réparation et du droit aux garanties de non-répétition a structuré l’approche
onusienne de la justice transitionnelle.
24.
Si l’approche opérationnelle peut paraître insatisfaisante dans le cadre de l’élaboration
d’une théorie de la justice transitionnelle, il faut rappeler que l’on se trouve ici dans le cadre
particulier de l’ONU. Une telle approche est nécessaire pour l’Organisation, dans la mesure
où, de cette définition, découle un ensemble de conséquences, tels l’implication de certains
acteurs au détriment d’autres, des modes de financement particuliers et l’application de
certains standards visant spécifiquement la justice transitionnelle. Le fait que, pour les
Nations Unies, la justice transitionnelle soit une activité, et non un champ de recherche,
justifie qu’elles en adoptent une approche opérationnelle.
Section II Les instruments de l’analyse de l’action de l’ONU
dans le domaine de la justice transitionnelle
25.
L’action des Nations Unies dans le domaine de la justice transitionnelle prend deux
formes. La première tient au discours porté par les divers acteurs onusiens relativement à cette
justice (§ 1) et la deuxième concerne la pratique de l’Organisation dans ce domaine, c'est-àdire l’implication des acteurs onusiens dans la mise en œuvre des politiques de justice
transitionnelle dans les États sortant de conflit (§ 2). Il faut toutefois préciser que la frontière
entre ces deux volets est poreuse. La dimension normative de certains discours implique que
ces derniers impactent de façon importante la pratique, qui elle-même nourrit l’approche
onusienne exprimée au travers de ces discours. La distinction sera tout de même maintenue ici
dans un souci pédagogique, en tenant compte des limites précitées.
§1/L’analyse du discours onusien
26.
Il faut tout d’abord préciser ce que l’on entend par le discours onusien, notamment par
opposition à la pratique onusienne. Le premier concernera ici l’ensemble des positions,
régulations et standards exprimés par les acteurs onusiens et applicables de façon
indifférenciée à l’ensemble des contextes susceptibles d’être concernés par la justice
transitionnelle onusienne. L’analyse du discours onusien se focalise sur ce que les acteurs de
l’Organisation présentent comme constituant le cadre et la teneur de cette action,
indifféremment de ce qui est mis en œuvre sur le terrain.
26
27.
La popularité de la définition de la justice transitionnelle proposée par le Secrétaire
général montre à quel point certains discours onusiens sont importants dans la compréhension
générale de cette justice. S’il est vrai que l’ONU a été un acteur de la justice transitionnelle
avant d’en être un promoteur, elle a depuis largement développé ce dernier rôle. Dans le
même temps, les actions de l’Organisation dans le domaine de la justice transitionnelle se sont
multipliées, permettant aux Nations Unies d’accumuler une expérience peu égalée. La volonté
de prodiguer une assistance plus efficace et d’étendre l’œuvre de promotion de la justice
transitionnelle a conduit l’ONU à affiner son approche de cette justice. Cette opération donne
lieu à l’adoption de nombreux rapports, lignes directrices, publications, déclarations et
résolutions portant sur la justice transitionnelle.
La diversité des sources onusiennes liées à la justice transitionnelle, représentant la
diversité des acteurs les ayant adoptées, ne permet pas d’identifier a priori une approche de
cette justice partagée par l’ensemble de ces acteurs. Un effort de regroupement et de synthèse
est donc nécessaire pour faire ressortir les convergences et les divergences de ces éléments
épars, dans l’espoir qu’émergent les bases d’une approche onusienne de la justice
transitionnelle.
§2/Une analyse systématique de la pratique onusienne
28.
Afin de pouvoir être analysée de façon systématique, la pratique onusienne doit au
préalable faire l’objet d’une délimitation. Celle-ci concerne les mécanismes auxquels
l’Organisation à recours dans le cadre de son action dans le domaine de la justice
transitionnelle (A) ainsi que les moyens au travers desquels l’Organisation agit pour mettre en
œuvre ces mécanismes (B).
A) La délimitation nécessaire des mécanismes pris en compte
29.
Il faut souligner que la liste de mécanismes présentée ci-après n’est pas exhaustive. Il
s’agit des mécanismes qui, d’une part, sont les plus couramment intégrés à l’action onusienne
dans le domaine de la justice transitionnelle et qui sont, d’autre part, suffisamment
documentés pour faire l’objet d’une analyse systématique. Cela étant précisé, il ressort de
l’approche et de la pratique de l’ONU que cinq mécanismes peuvent être considérés comme
intégrés à la justice transitionnelle. Il s’agit des commissions vérité (1), des procès pénaux (2),
des programmes de réparation (3), des programmes de lustration (4) et des mécanismes
27
traditionnels de justice et de réconciliation (5). Dans la mesure où ces mécanismes souffrent
du même manque de définition que la justice transitionnelle, il est nécessaire de préciser –
sans prétendre présenter des définitions définitives – les critères retenus pour permettre leur
identification.
1. Les commissions vérité
30.
Définir les commissions vérité n’est pas chose aisée. Elles sont pourtant le mécanisme
emblématique de la justice transitionnelle. Les acteurs onusiens n’ont pas adopté de définition
claire de ces commissions, bien que ce mécanisme fasse l’objet de standards56 et de rapports57
établissant des bonnes pratiques pour leur création et leur opération. Il faut donc s’en remettre
à la doctrine pour identifier les traits caractéristiques de ce mécanisme. La définition
originellement donnée par Priscilla Hayner58, la principale experte en matière de commissions
vérité59, a été jugée imprécise par Mark Freeman60. Priscilla Hayner a donc adopté une
version révisée de sa définition en prenant en compte les critiques lui ayant été faites61. Ainsi,
une commission vérité :
« (1) is focused on the past, rather than ongoing, events ; (2) investigates a
pattern of events that took place over a period of time ; (3) engages directly and
broadly with the affected population, gathering information on their experiences ;
(4) is a temporary body, with the aim of concluding a final report ; and (5) is
officially authorized or empowered by the state under review »62.
56
Une publication du Haut-Commissariat aux droits de l’homme leur est consacrée dans la série des
« instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit ». Voir HCDH, HR/PUB/06/1, « Les
instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Les commissions de vérité », 2006, 46 p.
57
Voir notamment le rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et
des garanties de non-répétition (« Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle ») : UN Doc. A/HRC/24/42,
Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de
non-répétition, Pablo de Greiff, 28 août 2013.
58
HAYNER (P.), « Fifteen truth commissions – 1974 to 1994 : A comparative study », Human Rights Quarterly,
vol. 16, n°4, 1994, p. 604.
59
Cette reconnaissance lui a valu de se voir confier la rédaction de la publication susmentionnée du HCDH sur
les commissions vérité.
60
FREEMAN (M.), Truth commissions and procedural fairness, Cambridge University Press, New York, 2006,
pp. 12-17.
61
Il serait superflu ici de revenir sur cette controverse doctrinale, par ailleurs bien exposée dans d’autres travaux.
Voir par exemple HAYNER (P. ), Unspeakable Truths, op. cit., pp. 10-11 et TURGIS (N.), La justice
transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 484-486.
62
HAYNER (P. ), Unspeakable Truths, op. cit., pp. 11-12.
28
Bien que cela n’apparaisse qu’en filigrane dans cette définition, il est intéressant de
noter que Priscilla Hayner note que l’un des traits caractéristiques des commissions vérité est
« their intention of affecting the social understanding and acceptance of the country’s past,
not just to resolve specific facts. »63 On retrouve ici les principaux éléments de la définition
onusienne de la justice transitionnelle exposée plus haut.
Cette définition des commissions permet d’exclure du champ de cette étude plusieurs
mécanismes ou procédures entrant dans le domaine de la recherche de la vérité mais dont
l’intégration dans le domaine de la justice transitionnelle est, au mieux, discutable. Mark
Freeman identifie onze de ces « other human rights investigations »64. Sans en restituer ici la
liste complète, on notera qu’il s’agit essentiellement de commissions d’enquête, nationales ou
internationales, d’initiative gouvernementale ou non gouvernementale, ainsi que des
commissions nationales des droits de l’Homme. Leur distinction des commissions vérité
provient notamment de leur traitement d’évènements, plutôt que de périodes spécifiques, de
leur création en dehors de toute approbation étatique formelle ou encore de leur compétence
sur des violations survenant postérieurement à leur création.
L’ONU joue un rôle important dans la création de nombreuses institutions et procédures
d’établissement des faits. Elle participe régulièrement à la création de commissions nationales
des droits de l’Homme ou institutions assimilées, tels les ombudsperson. Elle est également
très active dans la création de commissions internationales d’enquête et met en place de
nombreuses procédures spéciales visant à l’établissement des faits65. Le monitoring des droits
de l’Homme fait également partie des tâches habituellement dévolues aux représentants du
HCDH. Considérer ces mécanismes et procédures comme étant extérieurs à la justice
transitionnelle ne signifie toutefois pas que leur rôle vis-à-vis de ce domaine soit inexistant.
Isabelle Lassée a parfaitement démontré le rôle incitatif des commissions internationales
d’enquête créées par l’ONU dans la création de mécanismes de justice transitionnelle, qu’il
s’agisse du Timor Leste66 ou du Sri Lanka67. La difficulté que représente l’identification de
63
Ibid., p. 11.
FREEMAN (M.), Truth commissions and procedural fairness, op. cit., p. 41.
65
Sur ces questions voir notamment LASSÉE (I.), Les missions d’établissement des faits des Nations Unies sur
les violations graves et massives du droit international des droits de l’homme et du droit international
humanitaire : entre uniformité et diversité, thèse de doctorat, Université Panthéon-Assas, soutenue le 8 avril
2016, pp. 16-20.
66
Ibid., p. 101.
67
Ibid., pp. 107-109.
64
29
cet impact et son évaluation en rapport à la multitude d’autres facteurs incite cependant à ne
pas inclure ces mécanismes dans l’analyse de la justice transitionnelle onusienne.
2. Les procès pénaux
31.
L’identification des procès pénaux ne pose pas de difficulté en tant que telle. En
revanche, leur qualification comme mécanisme de justice transitionnelle peut s’avérer
délicate. Le cas des juridictions spéciales, qu’elles soient nationales ou présentant un degré
variable d’internationalisation, est le plus aisé. Créées spécifiquement pour traiter des
violations graves commises durant une période délimitée et antérieure à leur création, ces
juridictions peuvent de façon naturelle être assimilées à des mécanismes de justice
transitionnelle. Le cas des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo est
problématique à cet égard. Si l’on se limite aux critères évoqués ci-dessus, ils doivent être
considérés comme des mécanismes de justice transitionnelle. Le peu d’attention que ces
juridictions ont accordé aux victimes, et aux populations de façon plus générale, les rend peu
compatibles avec les finalités préalablement identifiées de la justice transitionnelle. Cette
carence incite donc à les exclure de cette justice. La question se pose également vis-à-vis des
Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, qui n’ont prêté qu’une
attention très limitée aux victimes. Il faut toutefois préciser qu’ils sont régulièrement
considérés, tant par la doctrine que par l’ONU, comme des mécanismes de justice
transitionnelle. De plus, ces juridictions se sont vues attribuer des objectifs directement liés à
la justice transitionnelle, telle la réconciliation nationale68. Il faut enfin préciser que le
fonctionnement des TPI a été adapté au fil du temps dans le but de les rendre plus à même de
s’adresser aux populations et aux victimes69. Ces raisons incitent donc à inclure les TPI dans
l’étude de la justice transitionnelle onusienne.
32.
Les cas les plus compliqués à identifier sont ceux où des procès liés aux violations
couvertes par la justice transitionnelle sont conduits devant des juridictions ordinaires. Outre
les cas où ces violations sont portées devant les juridictions pénales de l’État directement
concerné, on pense essentiellement aux procès conduits dans des États tiers sur le fondement
des compétences universelle ou personnelle. Ici encore, l’attention minimale portée à
« l’héritage » de ces violations permettrait éventuellement de remettre en question la
qualification de ces procès en mécanismes de justice transitionnelle. Sans chercher à apporter
68
69
Voir infra, Partie 2, Titre 1, chapitre 2.
On peut citer ici la création de sections de sensibilisation au sein des deux TPI. Ibid.
30
une réponse définitive à cette question, on se contentera de remarquer que l’ONU ne traite pas
de ce type de procès sous l’angle de son action liée à la justice transitionnelle, les excluant en
conséquence de cette étude.
3. Les programmes de réparation
33.
Le programmes de réparations peuvent également apparaître comme aisément
identifiables en tant que mécanisme de justice transitionnelle. Il importe pourtant de souligner
que les procédures de réparation ouvertes pour chaque individu devant les juridictions civiles
ne sont pas comprises dans cette qualification. En effet, dans la mesure où ces programmes
« sont censés réparer (en partie) des violations flagrantes et systématiques des droits de
l’homme, non celles qui sont sporadiques ou exceptionnelles »70, les juridictions civiles
paraissent peu adaptées. Il faut également rajouter que les réparations limitées à une
indemnisation des victimes ne sont pas considérées par l’ONU comme des mécanismes de
justice transitionnelle. L’objectif est ici de disqualifier les mesures pouvant « être perçues plus
comme un paiement en échange du silence ou de l’acquiescement des victimes et de leurs
familles »71. En conséquence, pour être identifié comme un mécanisme de justice
transitionnelle, un programme de réparations « doit s’accompagner d’une reconnaissance de
la responsabilité des auteurs des violations et être [lié] aux démarches relatives à la vérité, à la
justice et aux garanties de non-répétition. »72 C’est donc au regard du contenu des
programmes et du contexte de leur création – c'est-à-dire de leur inclusion dans un
programme plus vaste de justice transitionnelle – que s’effectue leur identification en tant que
mécanisme de justice transitionnelle. En ce qui concerne l’action des Nations Unies en faveur
des réparations, il est dès lors possible d’exclure la Commission et le Fonds de compensation
créés pour permettre la réparation par l’Irak des dommages causés à l’occasion de la première
guerre du Golfe73.
70
HCDH, HR/PUB/08/1, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Programmes
de réparation », 2008, p. 12.
71
Ibid., p. 35.
72
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/69/518, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 14 octobre 2014, § 11.
73
Si la Commission de compensation a bien distribué d’importantes réparations aux personnes, morales et
physiques, ayant subi des dommages du fait de l’invasion du Koweït par l’Irak, elle n’a pas été intégrée dans un
effort plus global de justice. Sur cette commission, voir D’ARGENT (P. ), « Le Fonds et la Commission de
compensation des Nations Unies », RBDI, 1992/2, pp. 485-518.
31
4. Les programmes de lustration
34.
Les programmes de lustration sont définis comme des mécanismes procédant à « une
évaluation de l’intégrité des personnes afin de déterminer leur aptitude à travailler dans la
fonction publique »74. Cette approche est conforme à celle retenue par le Secrétaire général
dans son rapport de 2004, disposant que : « [l]’assainissement de la fonction publique
implique habituellement un processus formel visant à identifier et révoquer les fonctionnaires
responsables d’exactions, en particulier dans les services de police, les services pénitentiaires,
l’armée et la magistrature. »75 Cette définition implique que les purges effectuées sur le seul
fondement d’une appartenance à un groupe ne sont pas considérées comme des mesures de
lustration76. Il faut également préciser que cette approche exclut les mesures visant
simplement à garantir un niveau de qualification suffisant des agents publics, sans procéder de
façon plus spécifique à des enquêtes concernant leur implication potentielle dans des
violations des droits de l’Homme commises au cours de la période considérée par les
politiques de justice transitionnelle.
35.
Si l’identification des lustrations en tant que mécanisme de justice transitionnelle est
relativement simple, c’est le choix de ne retenir que ce mécanisme au détriment d’autres
mesures de réformes institutionnelles qui doit être expliqué. En effet, dans son rapport sur la
lutte contre l’impunité, Louis Joinet intégrait dans les garanties de non-renouvellement la
dissolution des groupes armés para-étatiques, l’abrogation des lois d’exception et la lustration
des hauts-fonctionnaires77. De même, les réformes institutionnelles sont intégrées, aux côtés
des lustrations, dans la définition que le Secrétaire général a donné de la justice
transitionnelle78. Cet aspect doit pourtant être exclu de l’analyse pour plusieurs raisons.
36.
La réforme des institutions n’est jamais définie par les Nations Unies. Il est impossible
de savoir quelles institutions sont concernées ou à partir de quel moment cette réforme peut
être considérée comme aboutie. Or, cette délimitation est indispensable à toute tentative
d’analyse. Si l’on se fie au rapport de Louis Joinet, la réforme des institutions pourrait se
limiter à la démobilisation des groupes militaires para-étatiques – dans la mesure où les lois
74
HCDH, HR/PUB/06/5, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit.
Assainissement : cadre opérationnel », 2006, p. 4.
75
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 52.
76
Voir dans ce sens DUTHIE (R.), « Introduction », in DE GREIFF (P.), MAYER-RIECKH (A.), dir., Justice as
prevention : vetting public employees in transitional societies, ICTJ, Social Science Research Council, New
York, 2007, p. 18. L’auteur disqualifie en conséquence le processus de débaathification conduit en Irak.
77
« Principes Joinet », op. cit., § 43.
78
UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 8.
32
d’exception peuvent difficilement être qualifiées d’institutions. Or, si l’ONU est bien
impliquée dans les programmes de démobilisation – dénommés programmes de désarmement,
démobilisation, réintégration (DDR) et, depuis peu, réhabilitation ou rapatriement (DDRR) –
ceux-ci ne sont jamais abordés comme partie intégrante de l’action de l’Organisation dans le
domaine de la justice transitionnelle. Menés par le DOMP, ces programmes ne font d’ailleurs
pas l’objet d’une implication du HCDH, responsable de la justice transitionnelle au sein de
l’ONU. La même remarque s’applique partiellement aux programmes de réforme du secteur
de la sécurité (RSS). Ces programmes sont généralement conduits par une section spécifique
au sein des OMP qui leur est entièrement dédiée et qui opère en parallèle des sections justice
transitionnelle. Il est toutefois courant qu’il soit fait appel au HCDH pour conseiller la section
RSS, notamment en ce qui concerne les programmes de lustration.
5. Les mécanismes traditionnels de justice et de réconciliation
37.
L’intégration des mécanismes traditionnels dans le prisme de la justice transitionnelle
onusienne relève de l’observation de la pratique de l’Organisation. Ces mécanismes ne sont
en effet pas compris dans la définition du Secrétaire général. Ils ne sont évoqués dans son
rapport de 2004 que relativement aux efforts de l’ONU vis-à-vis du renforcement des
systèmes nationaux d’administration de la justice79. Ces mécanismes n’ont pas fait l’objet
d’une publication du HCDH dans sa série des instruments de l’état de droit80, ni d’un rapport
du Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle81. La pratique des opérations de maintien
de la paix montre pourtant un recours régulier aux mécanismes traditionnels de
réconciliation82.
38.
La principale difficulté présentée par ces mécanismes est terminologique. Si
l’expression « justice traditionnelle » est souvent utilisée, c’est, de l’aveu même de ceux qui
en font usage, à défaut d’autres termes plus adéquats83. Il faut noter que la difficulté est
79
Ibid., § 36.
Une publication du HCDH traite toutefois du rôle des mécanismes traditionnels dans la protection des droits
de l’Homme. Voir HCDH, HR/PUB/16/2, « Human rights and traditional justice systems in Africa », 2016, 79 p.
81
Seuls les mécanismes de justice traditionnelle sont très brièvement évoqués dans le premier rapport annuel du
Rapporteur spécial. Voir Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/21/46, Rapport du
Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de nonrépétition, Pablo de Greiff, 9 août 2012, § 54.
82
Voir Annexe II, opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
83
Voir par exemple HCDH, HR/PUB/16/2, « Human rights and traditional justice systems in Africa », op. cit.,
pp. 13-15. Luc Huyse évoque à propos de ces mécanismes une « terminologie épineuse ». Voir HUYSE (L.),
« Introduction : les approches fondées sur les traditions dans les politiques d’apaisement, de justice traditionnelle
80
33
souvent placée sur le terme « traditionnel »84, or, il semble que le problème ne soit pas –
seulement – là. Si le terme en lui-même n’est effectivement pas clair, il semble qu’il n’y ait
pas de réelle controverse quant aux mécanismes visés ou non. En revanche, le terme
« justice » n’est pas toujours opportun dans la mesure ou de nombreux mécanismes
traditionnels n’ambitionnent pas de rendre la justice, quel que soit le degré de formalisme, ou
d’absence de formalisme, que l’on soit prêt à accorder à cette tâche. Luc Huyse révèle
d’ailleurs l’écueil de la formule en évoquant de façon alternative la « justice traditionnelle » et
les « pratiques traditionnelles »85. En ce qui concerne l’ONU, la quasi-totalité de son action
dans ce domaine concerne des pratiques traditionnelles tournées vers la réconciliation et non
vers la justice.86 On se contentera ici d’user de l’expression de « mécanismes traditionnels »
en précisant, à titre indicatif, s’ils poursuivent un objectif de justice ou de réconciliation.
B) La délimitation des moyens d’action
39.
Les moyens auxquels l’ONU a recours pour mener des actions dans le domaine de la
justice transitionnelle sont divers. Pourtant, tous ne se prêtent pas à une étude systématique.
La simple coopération technique, effectuée sous la forme des bons offices ou par
l’intermédiaire des envoyés spéciaux, est extrêmement complexe à analyser dans la mesure où
elle ne fait pas toujours l’objet de rapports et que, lorsque c’est le cas, ceux-ci ne présentent
que de façon très partielle les actions menées. C’est pourquoi certains moyens utilisés par
l’ONU ont dû être exclus de l’analyse (2). Leur présentation suivra celle des moyens qui ont
effectivement pu être analysés (1).
1. Les moyens retenus
Les moyens retenus sont : les accords de paix (a), les opérations de maintien de la paix
(b), les missions politiques spéciales (c) et les bureaux-pays du HCDH (d).
et de réconciliation » in HUYSE (L.), SALTER (M.), dir., Justice traditionnelle et réconciliation après un conflit
violent. La richesse des expériences africaines, International Institute for Democracy and Electoral Assistance,
Stockholm, 2009, p. 9.
84
Ibid.
85
HUYSE (L.), « Introduction », op. cit., pp. 12-13.
86
Voir les actions menées dans ce domaine par les OMP, les missions politiques spéciales et les bureaux pays du
HCDH, présentées dans les Annexes II, III et V.
34
a. Les accords de paix
40.
En ce qu’ils représentent souvent le premier acte des politiques de justice
transitionnelle, les accords de paix sont incontournables dans l’analyse de la justice
transitionnelle. L’ONU participe régulièrement à ces accords et des institutions onusiennes tel
que le HCDH ont pour tâche de promouvoir l’intégration de programmes de justice
transitionnelle en leur sein. Il était donc naturel de s’intéresser tant à la fréquence de cette
intégration qu’à sa forme, c’est-à-dire aux types de mécanismes prévus dans ces accords. La
difficulté de cette analyse provient de l’incertitude régulière quant au rôle des acteurs
onusiens dans l’élaboration de l’accord. Le premier critère choisi a été la signature apposée
par le Secrétaire général ou son représentant, faisant de l’ONU un témoin de l’accord. On peut
en effet raisonnablement affirmer qu’à défaut d’avoir eu un rôle dans l’élaboration du texte, la
signature témoigne de l’approbation, par le Secrétaire général, au nom des Nations Unies, de
son contenu. On remarque d’ailleurs que, conformément à sa politique, l’Organisation ne
soutient pas d’accord de paix intégrant une amnistie couvrant les crimes internationaux. Un
faible nombre d’accords a été intégré malgré l’absence de signature de la part de l’ONU, en
raison d’une implication particulièrement importante des acteurs de l’Organisation dans les
négociations, associée à une attitude subséquente favorable vis-à-vis de l’accord87.
b. Les opérations de maintien de la paix
41.
Dans la mesure où la justice transitionnelle est intégrée aux efforts onusiens en vue du
maintien et de la consolidation de la paix, il est naturel que l’action de l’Organisation soit
partiellement conduite au travers des opérations de maintien de la paix (OMP) autorisées par
le Conseil de sécurité et gérées par le département des opérations de maintien de la paix
(DOMP). La diversification des mandats de ces opérations et leur déploiement de plus en plus
fréquent dans les contextes de conflits internes les ont menées à conduire des actions dans le
domaine de la justice transitionnelle.
42.
Les opérations ont toutes été analysées au travers des résolutions procédant à leur
création, des rapports du Secrétaire général transmis au Conseil de sécurité ainsi que ceux du
chef de la section droits de l’homme transmis au Conseil des droits de l’homme. Ces sources
onusiennes ont été complétées par les sources doctrinales ainsi que par les rapports d’ONG et
87
Il s’agit de l’Accord de Mexico (1991) concernant El Salvador, de l’Accord de Governor’s Island (1993)
concernant Haïti, de l’Accord de Pretoria (2002) concernant la RDC, de l’Accord de Linas-Marcoussis (2003)
concernant la Côte d’Ivoire et de l’accord concluant le dialogue de Kampala (2013) concernant la RDC. Voir
Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
35
de think tanks. Il est ressorti de cette analyse dix-huit opérations ayant mené des tâches dans
le domaine de la justice transitionnelle88.
L’absence de mention de la présence de tâches de justice transitionnelle dans le mandat
des OMP s’explique par le caractère souvent vague de ces mandats. Les missions de lustration
ne sont, par exemple, presque jamais mentionnées. De même, le Conseil de sécurité se
contente régulièrement de mandater les opérations à faciliter le rétablissement de l’état de
droit ou encore la lutte contre l’impunité. Les observations notent les cas où les mandats se
révèlent plus précis. Les résolutions créant les opérations ainsi que celles modifiant leur
mandat de façon substantielle, notamment dans les volets intéressant la justice transitionnelle,
sont mentionnées.
c. Les missions politiques spéciales
43.
Suivant l’idée du Secrétaire général Boutros-Ghali89, l’ONU a développé son action
dans le domaine de la consolidation de la paix. Bien que la justice transitionnelle ne soit pas
évoquée dans l’Agenda pour la paix et dans son supplément90, les approches de la
consolidation de la paix évoquées dans ces deux rapports rappellent les finalités de cette
justice. Dans son Agenda de 1992, le Secrétaire général évoque la nécessité de « susciter
confiance et tranquillité dans la population »91, objectif proche de la réconciliation identifiée
comme finalité de la justice transitionnelle. Dans le Supplément à l’agenda pour la paix,
publié en 1995, les mesures liées à la consolidation de la paix sont estimées servir à « effacer
les séquelles des affrontements que l’on n’a pas pu empêcher »92. On ne peut alors
s’empêcher de rapprocher cet objectif à la confrontation (ou l’acceptation) de l’héritage des
violences dont il est question dans le cadre de la justice transitionnelle.
44.
Bien que les OMP soient parfois chargées de tâches liées à la consolidation de la paix,
ce domaine est essentiellement dévolu au département des affaires politiques (DAP) de
l’ONU, qui gère les missions politiques spéciales. L’expression « missions politiques
88
Voir Annexe II, Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
Voir SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix. Diplomatie préventive, rétablissement de la
paix, maintien de la paix, 17 juin 1992 §§ 55-59.
90
SGNU, UN Doc. A/50/60-S/1995/1, Supplément à l’agenda pour la paix : rapport de situation présenté par le
Secrétaire général à l’occasion du cinquantenaire de l’Organisation des Nations Unies, 25 janvier 1995.
91
SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix, op. cit., § 55.
92
SGNU, UN Doc. A/50/60-S/1995/1, Supplément à l’agenda pour la paix, op. cit., § 47.
89
36
spéciales » regroupe, par une « anomaly of UN budgeting »93, les missions déployées sur le
terrain, les envoyés et conseillers spéciaux, les groupes d’experts et de surveillance
(« monitoring ») ainsi que divers comités spéciaux94. Mises à part les missions déployées sur
le terrain, les actions menées par ces acteurs sont soit trop mal documentées pour faire l’objet
d’une analyse systématique, soit trop éloignées de l’objet de la justice transitionnelle pour
présenter un intérêt dans son analyse. En conséquence, seules les missions déployées sur le
terrain ont été retenues et seront désignées par l’expression de missions politiques spéciales.
Suivant une méthode identique à celle utilisée pour les OMP, dix-huit missions ont été
identifiées comme ayant mené des actions ou ayant eu un mandat dans le domaine de la
justice transitionnelle95.
45.
Les missions politiques spéciales peuvent être créées par l’Assemblée générale ou le
Conseil de sécurité suivant des modalités diverses. Dans la mesure où les organes
intergouvernementaux se contentent souvent d’approuver le mandat proposé par le Secrétaire
général, les mandats des missions politiques spéciales jouissent régulièrement d’une plus
grande précision que les OMP. C’est la raison pour laquelle des dispositions concernant des
tâches spécifiques liées à la justice transitionnelle peuvent y apparaître. Ces dispositions ont
donc été intégrées dans la présentation de l’analyse des missions.
d. Les bureaux-pays du Haut-Commissariat aux droits de l’homme
46.
Désigné par le Secrétaire général comme chef de file de l’action onusienne en matière
de justice transitionnelle96, le HCDH joue un rôle fondamental dans ce domaine. Son action
est conduite sous plusieurs formes. Le Haut-Commissaire se prononce, parfois publiquement,
sur les politiques de justice transitionnelle adoptées par les États et leur conformité aux
standards fixés par l’ONU. Cette activité ressort toutefois essentiellement du discours et sera
analysée comme telle. Le HCDH conduit également des missions sur le terrain. Celles-ci sont
effectuées par le biais des composantes droits de l’homme au sein des opérations de maintien
de la paix et des missions politiques spéciales, des conseillers spéciaux, des bureaux
93
Teresa Whitfield, « Political missions, mediation and good offices », in Center on international cooperation,
« Review of political missions 2010 », 2010, p. 27.
94
Voir la liste de ces missions sur le site du DAP : https://www.un.org/undpa/en. Pour un aperçu de la diversité
de ces missions, voir également le rapport annuel présenté par le Secrétaire général à l’Assemblée générale sous
le titre : Estimates in respect of special political missions, good offices and other political initiatives authorized
by the General Assembly and/or the Security Council.
95
Voir Annexe III : Missions politiques spéciales et justice transitionnelle
96
Voir SGNU, décision n° 2005/24, « Human rights in integrated missions », 26 octobre 2005 et UN Doc.
A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces : renforcement de l’action de l’ONU en faveur de l’état de droit, 14
décembre 2006, § 13.
37
régionaux et des bureaux-pays du Haut-Commissariat97. Les composantes droits de l’homme
des opérations de paix98 seront traitées comme parties intégrantes des opérations auxquelles
elles sont rattachées. Les activités des bureaux régionaux et des conseillers spéciaux sont trop
floues et mal documentées pour faire l’objet d’une analyse systématique. Cette étude se
limitera donc aux actions menées par les bureaux-pays, qui font l’objet de rapports réguliers
auprès du Conseil des droits de l’homme. L’analyse systématique de ces rapports ainsi que, de
façon complémentaire, de sources secondaires, notamment provenant d’ONG, a servi à
recueillir les informations portant sur les activités de ces bureaux. Il faut toutefois signaler que
les informations disponibles sont rarement exhaustives, ne permettant de conférer à leur
analyse qu’une valeur indicative.
47.
Dans la mesure où l’essentiel de l’activité des bureaux-pays du HCDH consiste en la
fourniture d’une assistance technique, la division des tâches par type de mécanisme – telle
qu’établie pour les accords de paix, les OMP et les missions politiques spéciales – se révèle
souvent superficielle. Elle est tout de même conservée à titre indicatif ainsi que pour souligner
le caractère limité des activités de certains bureaux.
2. Les moyens exclus
48.
Certains moyens exclus de cette analyse ont déjà été évoqués. Il s’agit des activités
menées par le département des affaires politiques et du HCDH autrement que par les missions
politiques spéciales et les bureaux-pays du Haut-Commissariat. D’autres éléments n’ont
cependant pas pu être pris en considération pour une étude systématique, notamment en ce qui
concerne les fonds, programmes et institutions spécialisées de l’ONU. Deux acteurs onusiens
particulièrement actifs dans le domaine de la justice transitionnelle ont notamment dû être
exclus de l’analyse : le PNUD et ONU-Femmes.
49.
Le PNUD est probablement l’acteur onusien impliqué dans le plus grand nombre de
mécanismes de justice transitionnelle. On peut retrouver des traces des projets qu’il porte au
travers du multi-partner trust fund office (MPTF), regroupant la majeure partie des activités
financées par les divers fonds gérés par le Programme. On aura recours à ces sources à titre
d’exemple. Il n’existe toutefois pas de sources fiables et complètes concernant les activités du
97
Voir à cet égard le site internet du Haut-Commissariat : www.ohchr.org.
Dans le vocabulaire onusien, l’expression « opérations de paix » regroupe les OMP et les missions politiques
spéciales telles que définies supra, c’est-à-dire limitées aux missions déployées sur le terrain. Cette expression
sera utilisée de la même façon dans cette étude.
98
38
PNUD. Toute étude systématique de ces activités dans le domaine de la justice transitionnelle
s’avère donc exclue. Les mêmes remarques s’appliquent à ONU-Femmes.
D’une façon générale, les activités menées par les équipes pays99 de l’ONU en dehors
du cadre d’une mission de paix ou d’un bureau n’ont pas pu être prises en compte, mis à part
à titre d’exemple. Le manque d’information et la superficialité des rares rapports disponibles
ne permettant pas de tirer des conclusions générales de leur analyse.
Section III Limites et portée de l’analyse de la justice
transitionnelle onusienne
50.
L’ONU est un objet d’étude d’une extrême complexité. Malgré une apparente
uniformité, l’Organisation des Nations Unies constitue un agrégat d’institutions, de fonds, de
programmes et de départements aux objectifs, aux modes de fonctionnements et aux
hiérarchies diverses. De plus, une approche simplement structurelle de l’Organisation échoue
à en saisir les logiques de fonctionnement – ou de dysfonctionnement100. L’action des Nations
Unies dans le domaine de la justice transitionnelle n’échappe pas à cette complexité. C’est
pourquoi l’analyse de la justice transitionnelle onusienne présente certaines limites qu’il
importe de reconnaître (§ 1). Qu’une analyse soit limitée ne signifie toutefois pas qu’elle soit
vaine. Les failles identifiées n’empêcheront pas de procéder à une étude qui, sans prétendre à
l’exhaustivité, participera à clarifier les liens entre l’ONU et la justice transitionnelle (§ 2).
§1/Les limites à l’analyse de la justice transitionnelle onusienne
L’analyse de la justice transitionnelle onusienne se heurte à deux limites principales.
Celles-ci sont liées à l’ampleur (A) et à la nature (B) de l’action de l’ONU dans ce domaine.
A) Les limites liées à l’ampleur de l’action onusienne
51.
Le nombre important d’États faisant l’objet d’une action onusienne en matière de justice
transitionnelle ne permet pas d’analyser de façon approfondie chaque contexte. Une telle
99
Les équipes pays regroupent l’ensemble des entités de la famille onusienne présentes dans un État sous
l’autorité du Coordinateur résident. Voir la fiche d’information du United Nations Development Group (UNDG)
sur les équipes pays : https://undg.org/leadership/un-country-teams/.
100
Voir à ce sujet DE SEYNES (P.), « Plaisirs et périls de la réforme. L’utopie de l’organigramme », in
BARDONNET (D.), dir., L’adaptation de la structure et des méthodes des Nations Unies, colloque de
l’Académie du droit international de la Haye, 4-5 novembre 1985, notamment p. 69.
39
analyse nécessiterait par ailleurs de recourir à bien d’autres instruments que l’analyse
juridique. Des études sociologiques seraient par exemple nécessaires pour attester de l’impact
des mécanismes de justice transitionnelle mis en œuvre avec le soutien de l’ONU sur les
populations. De telles études ont été utilisées pour ce travail lorsqu’elles étaient disponibles.
Elles sont cependant loin de couvrir l’intégralité des contextes d’activité des Nations Unies.
Les mêmes instruments méthodologiques pourraient être utilisés pour procéder à une
évaluation de l’efficacité, en termes organisationnels, des actions menées par les missions et
bureaux pris en compte en interrogeant les agents onusiens eux-mêmes. Si de tels entretiens
ont été conduits au cours de cette étude, leur caractère partiel ne permet pas leur utilisation en
tant que source pour une étude aspirant à la systématicité.
Dans la mesure où ce travail repose sur une volonté de généralisation à partir de
l’analyse des activités menées par l’ONU sur le terrain, il eut été contreproductif
d’approfondir certains contextes au détriment d’autres. Le choix a donc été fait d’exclure
toutes considérations non systématisables ou de ne les incorporer qu’à titre illustratif.
52.
Il demeure que certains aspects de la justice transitionnelle onusienne ne peuvent faire
l’objet d’une économie. L’exclusion de toutes considérations liées à l’impact des mécanismes
représenteraient, par exemple, une carence coupable. Dans la mesure où les études de terrain
se multiplient, elles ont été utilisées pour en présenter les conclusions. Il faut cependant
reconnaître la prudence avec laquelle ces informations doivent être traitées. À bien des égards,
la justice transitionnelle est un objet soumis à une forte dose de subjectivité, relativisant
nécessairement toute tentative de généralisation.
B) Les limites liées à la nature de l’action onusienne
53.
La limite la plus importante à une étude de l’action de l’ONU dans le domaine de la
justice transitionnelle provient du fait que cette action revêt un volet diplomatique non
négligeable. On a vu que les accords de paix figurent parmi les instruments privilégiés de
l’application de cette action. De même, le conseil technique prodigué aux autorité nationales,
parfois assimilable à du lobbying, constitue une méthode à laquelle le HCDH, comme le
Secrétaire général – souvent par le biais de ses représentants – ont régulièrement recours pour
inciter ces autorités à adopter des politiques de justice transitionnelle et assurer la conformité
de ces dernières aux standards onusiens. Michel Virally considérait justement que, « en raison
même de sa nature, l'action politique du Secrétaire général est soustraite, au moins
40
partiellement, à la publicité »101. La même remarque s’applique aux actions précitées. Cette
limite n’empêche certes pas la publication de (rares) études portant sur le rôle politique du
Secrétaire général102. On remarque toutefois que de nombreux travaux portant sur cette
question sont l’œuvre d’auteurs ayant « respiré l'atmosphère (…) du ‘38e étage’ »103 ou ayant
effectué de nombreuses missions de consultance conseil pour les institutions onusiennes dont
le travail est analysé104.
54.
Les motifs sous-jacents des choix effectués par l’ONU en faveur de certains
mécanismes et au détriment d’autres, sont souvent multiples et difficilement identifiables.
L’influence des donateurs internationaux est régulièrement dénoncée mais reste une donnée
difficile à évaluer. D’autres facteurs liés aux agents eux-mêmes et aux relations qu’ils
entretiennent entre eux échappent en grande partie à l’analyse. Concernant les aspects
institutionnels de l’action onusienne, une concurrence et une certaine inimitié est parfois
soulignée entre le DOMP, le DAP, ainsi que, dans une moindre mesure, le HCDH. Il est
cependant très compliqué de distinguer les facteurs humains des facteurs institutionnels dans
l’échec de processus de coopération inter-institutionnels.
55.
Enfin, l’analyse effectuée ici se base nécessairement en partie sur les rapports des
missions ainsi que sur les divers documents onusiens de planification. La fidélité de ces
documents à la réalité du terrain est, de façon évidente, sujette à caution. Si les retours
d’expériences, rapports d’ONG et études académiques menées sur le terrain permettent de
compléter et de recouper certaines informations, l’écart avec la réalité ne peut jamais être
complètement comblé. On se contentera donc d’en restituer une image la plus fidèle possible.
101
VIRALLY (M.), « Le rôle politique du Secrétaire Général des Nations Unies », AFDI, vol. 4, 1958, p. 364.
Voir notamment CHESTERMAN (S.), dir., Secretary or general ? The UN Secretary-general in world
politics, Cambridge University Press, 2007, 280 p. Simon Chesterman remarque dans l’introduction de cet
ouvrage que la fonction de Secrétaire général n’a fait l’objet que d’un nombre très réduit de travaux
académiques. Ibid., pp. 3-4.
103
VIRALLY (M.), « Le rôle politique du Secrétaire Général », op. cit. p. 364. Le 38ème étage désigne ici celui
réservé, dans le bâtiment du siège New Yorkais de l’ONU, au Secrétaire général et à ses plus proches
collaborateurs. On remarque ainsi que les contributeurs de l’ouvrage de Simon Chesterman précité ont presque
tous travaillé de nombreuses années au sein du Secrétariat. Voir les biographies de ces contributeurs in
CHESTERMAN (S.), dir., Secretary or general ?, op. cit., pp. vii-x.
104
Voir par exemple l’étude du professeur Hurst Hannum sur le HCDH : HANNUM (H.), « Human rights in
conflict resolution : the role of the Office of the High Commissioner for human rights UN peacemaking and
peacebuilding », Human Rights Quarterly, vol. 28, n° 1, 2006, pp. 1-85. Hurst Hannum a effectué plusieurs
missions auprès du HCDH et du DAP.
102
41
§2/La portée de l’analyse de la justice transitionnelle onusienne
56.
Il pourrait être tentant d’observer les concordances et discordances existant entre la
justice transitionnelle onusienne et la justice transitionnelle appliquée hors de toute
implication de l’Organisation. Cela supposerait toutefois l’existence de ce qui pourrait être
considéré comme un régime commun de la justice transitionnelle, vis-à-vis duquel l’action
onusienne serait un régime dérogatoire ou particulier. Or, ce régime commun n’existe pas.
Tenter de le comparer avec la pratique onusienne ou essayer d’apprécier l’influence de celleci sur celui-là se révèle donc impossible. La justice transitionnelle se révèle toujours aussi
imperméable aux tentatives d’identification d’une pratique ou d’une théorie généralisées.
C’est d’ailleurs là toute sa force, celle de maintenir une capacité d’adaptation aux évolutions
des conceptions de la paix et de la sécurité d’une part, et à la diversité des contextes d’autre
part.
57.
Il reste que, comme il a été dit, l’ONU exerce une influence importante sur les choix
effectués par les acteurs nationaux en matière de justice transitionnelle. Le développement de
l’action des organisations régionales dans ce domaine pourrait même étendre l’influence de
l’ONU à ces nouveaux acteurs. La consolidation de leur doctrine et de leur pratique de la
justice transitionnelle pourra alors donner lieu à de futures études comparatives portant sur les
justices transitionnelles des différents acteurs internationaux.
58.
L’inexistence d’une justice transitionnelle « générale » n’implique pas pour autant
l’existence d’approches et de pratiques cohérentes de cette justice à des niveaux plus
spécifiques, tel que celui de l’ONU. Si les études fragmentaires de l’action onusienne dans le
domaine de la justice transitionnelle ont montré l’influence de l’Organisation au niveau de
chaque contexte pris individuellement, la question d’une cohérence de cette influence reste en
suspens. Autrement dit, rien n’atteste qu’il existe bel et bien une justice transitionnelle
onusienne. C’est à cette identification que tentera de procéder la présente étude.
59.
Il faut distinguer entre l’approche que l’ONU a adopté de la justice transitionnelle et la
façon dont cette approche est mise en œuvre. Il faut d’ores et déjà préciser que le dichotomie
proposée entre l’approche et la mise en œuvre diffère de celle évoquée plus haut entre le
discours et l’action. L’approche onusienne de la justice transitionnelle se révèle tout autant au
travers des discours tenus par les acteurs qu’au travers des actions menés sur le terrain. La
préférence pour tel ou tel mécanisme, observée à l’aide de l’étude de l’ensemble des
mécanismes créés ou soutenus par l’Organisation, est un indicateur de cette approche. Cette
42
dernière est donc définie tant par l’action que par le discours. Il s’agit plutôt ici de distinguer
le quoi du comment. Autrement dit, de déterminer quelle justice transitionnelle est soutenue
par l’ONU puis d’observer par quelles procédures, techniques et selon quelles modalités
l’Organisation concrétise l’approche ainsi définie.
La question du comment induit nécessairement, outre les réflexions strictement
opérationnelles, des interrogations quant à l’efficacité de l’action. Les méthodes auxquelles
l’Organisation a recours pour mettre en œuvre son approche de la justice transitionnelle
fonctionnent-elles ? Bien que cette question soit tout à fait légitime, la présente étude ne
saurait y apporter une réponse. Outre la complexité d’attribuer des objectifs évaluables à la
justice transitionnelle, son efficacité ne peut s’estimer qu’à l’aune de sa réception par les
populations concernées. Une telle entreprise, envisagée à l’échelle onusienne, impliquerait
une multitude d’études auprès des nombreuses sociétés ayant fait l’objet d’une action de la
part de l’ONU en matière de justice transitionnelle. Cela dépasserait naturellement les moyens
pouvant être mobilisés pour le présent travail.
60.
L’analyse des deux éléments susmentionnés donnera lieu à un bilan nuancé. D’une part
l’adoption d’une approche cohérente de la justice transitionnelle par l’ONU est rendue plus
difficile par l’évolution constante de ce domaine ainsi que par le flou qui caractérise sa
définition. La multiplication des acteurs onusiens impliqués dans cette justice aurait
également pu représenter un facteur de fragmentation de la justice transitionnelle onusienne.
Comme nous le verrons, l’Organisation est parvenue, en grande partie, à surmonter ces
obstacles, voire à en tirer parti pour construire une approche globalement cohérente de la
justice transitionnelle (Partie 1). D’autre part, les conséquences des particularités de la justice
transitionnelle sur la mise en œuvre de cette dernière semblent avoir été mal appréhendées par
les Nations Unies. Les notions de responsabilité (« accountability »)105 et d’appropriation
locale, par exemple, impactent directement sur les aspects opérationnels de la justice
transitionnelle onusienne. Elles impliquent la prise en compte d’acteurs diversifiés et souvent
difficiles à identifier ainsi qu’une certaine prévalence de la lutte contre l’impunité sur l’action
diplomatique, historiquement centrale au sein de l’Organisation. Au-delà de la réforme de ses
modalités d’action, c’est à une modification en profondeur de ses institutions que l’ONU fait
face à la suite de son implication dans le domaine de la justice transitionnelle. Á cet égard, et
105
Il est compliqué de traduire en français la notion d’accountability en vogue dans le vocabulaire anglophone
de la justice transitionnelle. La préférence a été accordée ici à la notion de responsabilité, tout en soulignant que
celle-ci est à entendre au sens large, incluant ses aspects légaux, politiques et moraux.
43
malgré l’importance des efforts fournis, le bilan est décevant et l’application de cette justice
demeure désordonnée (Partie 2).
45
PARTIE 1 : Le développement d’un cadre cohérent pour
la justice transitionnelle onusienne
61.
La justice transitionnelle s’est construite de façon empirique, autour de l’observation
des pratiques mises en place par les États et leur population pour faire face à un passé violent.
Il découle de cette construction que l’étude de la justice transitionnelle reposait
essentiellement sur l’étude de mécanismes instaurés durant les périodes de transition, et
sortant du cadre classique de la justice pénale106. Cet empirisme n’a pas favorisé la
construction d’une théorie cohérente de ce domaine. Ainsi guidée par des considérations
pratiques, telles que la conciliation de préoccupations liées au traitement des crimes du passé
et d’autres liées à la stabilité politique, la justice transitionnelle n’a eu besoin d’un nom que
pour encadrer les discussions des experts portant sur les meilleures pratiques à adopter dans le
cadre de ces préoccupations107.
62.
L’analyse des pratiques des États issus de la troisième vague de démocratisation a
donné naissance au champ de la transitologie, qui a profondément marqué les premiers efforts
de construction théorique de la justice transitionnelle108. En cherchant à modéliser les
différents types de transitions pour en déduire les meilleures méthodes à appliquer en termes,
entre autres, de traitement des crimes passés109, la transitologie incarne une approche de la
justice transitionnelle ancrée dans le paradigme de la transition, essentiellement abordée sous
l’angle du passage de régimes dictatoriaux à des régimes démocratiques.
106
Paige Arthur analyse dans ses travaux l’émergence et le développement de la justice transitionnelle comme
discipline académique à travers plusieurs conférences organisées par l’Aspen Institute et financée par la
Fondation Ford, lors desquelles sont apparues les principales questions liées à la justice transitionnelle et
auxquelles ont participé ses principaux acteurs académiques, dont certains ont ensuite pris part à la CVR sud
africaine ou ont été engagés au sein du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ou encore au Centre
international pour la justice transitionnelle. Voir ARTHUR (P.), « How ‘transitions’ reshaped human rights : a
conceptual history of transitional justice », Human Rights Quarterly, vol. 31, 2009, pp. 324-326.
107
Sandrine Lefranc qualifie d’ailleurs la justice transitionnelle de champ professionnel. Voir LEFRANC (S.),
« La professionnalisation d’un militantisme réformateur du droit : l’intervention de la justice transitionnelle »,
Droit et Société, 2009/73, pp. 561-589
108
Voir TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op cit., pp. 12-115 et GUTIERREZ
RAMIREZ (L.-M.), Justice transitionnelle et constitution, op. cit., pp. 7-10.
109
Voir par exemple les recommandations formulées par Samuel Huntington en direction des « democratizers »,
fondées sur les configurations de la transition. HUNTINGTON (S.), The third wave, op. cit., pp. 211-231. Voir
aussi la synthèse des conclusions des transitologues présentées in OLSEN (T. D.), PAYNE (L. A.), REITER (A.
G.), Transitional justice in balance, op. cit., pp. 43-48.
46
63.
Les transitions de la dictature vers la démocratie représentent pourtant un contexte
particulier. Les défis rencontrés par ces transitions se présentaient essentiellement en termes
institutionnels et législatifs, dans la mesure où il s’agissait de recréer un lien entre la
population et les autorités publiques. Ce contexte justifiait par exemple des commissions
vérités essentiellement concentrées sur la révélation de la vérité, et non sur la
réconciliation110, ainsi que l’instauration d’institutions de suivi et de contrôle de l’application
des droits de l’Homme par les autorités, tels que les commissions nationales des droits de
l’Homme ou les ombudsman. Les contextes de guerre civile et de transition vers la paix
présentent des défis distincts tels que le partage du pouvoir, la souveraineté sur les richesses,
l’économie de rente ou encore la démobilisation et la réintégration111. Ainsi, « [those] who
have to live with their neighbors in contexts of chronic insecurity do not necessarily share the
priorities, memory projects, and speech practices of transitional justice mechanisms that
developed to address the aftermath of political repression in other places »112. Ces
spécificités des contextes ont été à la fois soulignées par la doctrine et partiellement ignorés
par elle au profit d’un effort d’abstraction nécessaire à la standardisation113, elle-même induite
par la professionnalisation du domaine de la justice transitionnelle et par son accession au
rang de discipline académique114.
64.
L’émancipation de la justice transitionnelle des contextes de transition de la dictature à
la démocratie a été suivie de l’émancipation de cette justice du contexte de transition d’une
façon générale. La transitologie n’a alors plus pu représenter un cadre cohérent pour son
étude115. Or, l’effort onusien de définition de son approche de la justice transitionnelle s’est
110
Marcos Ancelovici et Jane Jenson notent que sur quinze commissions vérité établies entre 1974 et 1994, seule
la commission chilienne (la « Commission Nationale sur la vérité et la réconciliation ») visait explicitement
l’objectif de réconciliation, les autres ayant eu un fonctionnement plus proche de commissions d’enquête.
ANCELOVICI (M.), JENSON (J.), « La standardisation et les mécanismes du transfert transnational »,
Gouvernement et Action Publique, vol. 1, n° 1, 2012, p. 42. Il est notable que les commissions vérité en question
ont toutes eu trait aux abus commis par des régimes autoritaires et non à des guerres civiles. Voir HAYNER (P.
B.), Unspeakable truths, op. cit.
111
HUGON (P.), « Les conflits armés en Afrique : Apports, mythes et limites de l’analyse économique », Tiers
Monde, vol. 176, n° 4, 2003, pp. 829-856 ; ARTHUR (P.), « How ‘transitions’ reshaped human rights », op. cit.,
p. 360.
112
SHAW (R.), WALDORF (L.), « Introduction: localizing transitional justice », op. cit., p. 11.
113
ANCELOVICI (M.), JENSON (J.), « La standardisation et les mécanismes du transfert transnational », op.
cit., pp. 39-40.
114
Voir ARTHUR (P.), « How ‘transitions’ reshaped human rights », op. cit.,
115
Il faut toutefois reconnaître que la transitologie connaissait d’importantes limites quant aux conclusions
auxquelles elle parvenait vis-à-vis de la justice transitionnelle, y compris lorsque celle-ci est appréhendée du
point de vue de la transition. Voir ainsi la contestation des conclusion des études transitologiques in OLSEN (T.
D.), PAYNE (L. A.), REITER (A. G.), Transitional justice in balance, op. cit., pp. 53-59. Notons tout de même
que si cette étude réfute les conclusions de la transitologie, elle en consacre les méthodes et ne représente ainsi
aucunement une contestation de la transitologie en tant que méthode d’analyse de la justice transitionnelle.
47
essentiellement déployé à partir du rapport du Secrétaire général de 2004, alors que la
transitologie n’était déjà plus considérée comme pertinente. L’ambition de Koffi Annan
d’éviter les « solutions toutes faites »116 peut à cet égard s’analyser comme une volonté de
s’écarter des recommandations – issues de la transitologie – concernant la forme des
politiques de justice transitionnelle fondées sur des modèles de transition117.
65.
Sans minimiser l’impact de l’abandon de la transitologie sur le développement de la
justice transitionnelle onusienne, il faut souligner le caractère déterminant de l’intégration de
cette justice au sein de l’action des Nations Unies. Comme le dit Michel Virally :
« l’organisation est un instrument »118. C’est donc à l’aune des objectifs poursuivis par cet
instrument qu’a été construite la justice transitionnelle onusienne. L’article premier de la
Charte des Nations Unies est éclairant à cet égard. Il dispose que :
« [les] buts des Nations Unies sont les suivants :
1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des
mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la
paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la
justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de
situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la
paix ;
2. développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du
principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’euxmêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ;
3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes
internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en
développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinctions de race, ce sexe, de langue ou de
religion ;
116
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., p. 1.
Voir TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op cit., p. 114.
118
VIRALLY (M.), L’Organisation mondiale, op. cit., p. 26.
117
48
4. Être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins
communes. »119
Si tous les éléments de cet article ne sont pas pertinents pour la justice transitionnelle,
deux peuvent retenir notre attention. Il s’agit de l’objectif premier de l’ONU qui est de
« maintenir la paix et la sécurité internationales » ainsi que du moyen principalement envisagé
pour y parvenir, c’est-à-dire la garantie et le développement des normes internationales, qu’il
s’agisse des « principes du droit international », du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
ou encore des droits de l’homme. On retrouve ces deux éléments dans la cadre développé par
l’ONU concernant la justice transitionnelle. Dans la mesure où, au moment de l’élaboration
de ce cadre, le maintien de la paix a déjà évolué pour comprendre la consolidation de la paix,
c’est à partir de ce concept qu’a été construite l’approche onusienne de la justice
transitionnelle (Titre 1). Conformément aux moyens envisagés par l’article premier de la
Charte, l’application de cette approche a été soutenue par l’élaboration d’un cadre normatif de
cette justice (Titre 2).
119
Charte de Nations Unies, San Francisco, 26 juin 1945, art. 1.
49
Titre 1: L’élaboration d’une approche onusienne
de la justice transitionnelle fondée sur la
consolidation de la paix
66.
Privées de cadre théorique, les Nations Unies ont construit leur approche de la justice
transitionnelle en se basant sur leurs propres concepts, majoritairement issus de leur approche
de la paix et de la sécurité. Dans la mesure où l’action de l’ONU dans le domaine de la justice
transitionnelle s’est initialement déployée dans le cadre des opérations de maintien de la paix,
cet ancrage n’a rien d’étonnant. Deux événements ont profondément marqué la conception
onusienne de la paix et de la sécurité internationales. Il s’agit de la fin de la guerre froide –
qui a permis le déblocage du Conseil de sécurité et permis l’implication de l’ONU dans les
troubles internes – et de l’Agenda pour la paix, qui a fortement étendu la compréhension des
notions de paix et de sécurité au sein des Nations Unies en y introduisant le concept de
consolidation de la paix.
67.
Le concept de consolidation de la paix est fondamental pour la construction de
l’approche onusienne de la justice transitionnelle. Il a été le premier à intégrer la notion de
réconciliation nationale dans l’arsenal théorique onusien lié au domaine du maintien de la
paix et de la sécurité internationales. Il est également la consécration d’une approche positive
de la paix, dépassant la simple absence de conflit armé. Cette extension de la notion de paix
n’est d’ailleurs pas achevée, et la consolidation de la paix est progressivement remplacée par
la pérennisation de la paix (« sustaining peace »)120. Il faut également rapprocher le
renouvellement de la notion de paix avec l’émergence, à la même époque, de celle de sécurité
humaine. Celle-ci invite à envisager de façon globale l’ensemble des menaces pesant sur les
individus, qu’elles soient physiques, économiques ou sociales et implique l’interdépendance
des réponses envisagées.121 Ces deux éléments ont des conséquences sur les approches
opérationnelles et théoriques de la justice transitionnelle. D’un point de vue opérationnel, la
justice transitionnelle est ainsi intégrée à la mission onusienne de reconstruction de l’État, au
cœur du concept de consolidation de la paix (Chapitre 1). D’un point de vue théorique, la
transposition de l’interdépendance envisagée dans le domaine de la sécurité à celui de la
120
Voir UN Doc. A/72/707-S/2018/43, Peacebuilding and sustaining peace. Report of the Secretary-General, 18
janvier 2018.
121
Voir PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 1994, pp. 3-4 et 23-30. On remarque d’ailleurs
que la justice transitionnelle est envisagée comme l’un des instruments au service de cette vision élargie de la
sécurité dans les situations de post-conflit. Voir Bureau de la coordination des affaires humanitaires et Fonds des
Nations Unies pour la sécurité humaine, « La sécurité humaine en théorie et en pratique. Application du concept
de sécurité humaine et fonds des Nations Unies pour la sécurité humaine », 2009, pp. 39-40.
50
justice transitionnelle a mené à l’adoption d’une approche holiste de cette justice (Chapitre
2).
51
Chapitre 1. La justice transitionnelle au service
de la mission onusienne de reconstruction de
l’État
68.
Dans sa conception initiale, la justice transitionnelle avait un rôle d’accompagnement
des transitions vers la démocratie. En traitant les crimes du passé, cette justice symbolisait la
rupture avec le régime prédécesseur et permettait d’affirmer les principes dont le nouveau
régime se revendiquait. Il s’agissait donc moins de reconstruire l’État que de consacrer sa
reconstruction et de la consolider. L’approche et l’usage onusiens de la justice transitionnelle
ont divergé de cette approche initiale. D’une part, la justice transitionnelle a été déconnectée
des transitions de la dictature vers la démocratie pour être appliquée à des contextes de
conflits civils. L’échelle dévastatrice de certains de ces conflits sur les États est telle qu’il ne
s’agit plus de renouveler un mode de gouvernance, mais bien de reconstruire un État et une
société presque intégralement détruits. Le changement de régime n’est d’ailleurs pas une
constante dans ces transitions de la guerre à la paix. En Sierra Léone, en RDC ou encore au
Soudan, les programmes de justice transitionnelle ont été adoptés par des gouvernements pour
juger des crimes commis alors qu’ils étaient déjà au pouvoir. D’autre part, la justice
transitionnelle intervient de plus en plus tôt dans la transition, la précédant même dans
certains cas. Le TPIY fut ainsi créé avant la fin du conflit yougoslave. La justice
transitionnelle n’a plus pour seul rôle de consolider la transition, mais en devient l’un des
moteurs. Elle ne confirme plus, elle impulse.
69.
Les évolutions évoquées ci-dessus sont liées au mode d’intervention de l’ONU. Bien
que la justice transitionnelle soit plutôt considérée comme un élément de consolidation de la
paix, le Secrétaire général a rappelé l’extrême porosité existant entre ce domaine et celui du
maintien de la paix122. La justice transitionnelle intervient donc dans des contextes encore
instables, où l’État peut se trouver en état de défaillance. Ce cas de figure s’observe
particulièrement bien lorsque les programmes de justice transitionnelle sont créés par les
administrations transitoires des Nations Unies, comme au Timor Leste ou au Kosovo.
Envisagée comme élément de reconstruction de l’État, la justice transitionnelle a
naturellement suivi l’évolution de l’ONU quant aux moyens mobilisés pour accomplir cette
122
SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix, op. cit., § 58.
52
tâche. Elle a ainsi été mise au service de l’objectif onusien de démocratisation de l’État
(Section I), puis de celui de restauration de l’état de droit (Section II).
Section I
La justice transitionnelle au service de la
démocratisation de l’État
70.
Née de considérations empiriques plutôt que d’une réflexion théorique123, la justice
transitionnelle a été profondément marquée par le contexte de sa création. Son application
initiale par les États d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale a ainsi défini l’objet de la
transition comme celui du passage de régimes autoritaires à celui de régimes démocratiques.
L’ouvrage de Neil Kritz, l’un des premiers efforts de théorisation de la justice transitionnelle,
consacre cette approche en adoptant pour titre : « Transitional justice. How emerging
democracies reckon with former regimes »124. Il a même été considéré que l’objectif
démocratique représentait l’essence de la justice transitionnelle, dans la mesure où « [si] les
mesures aujourd’hui associées à la justice transitionnelle (…) existent depuis bien longtemps,
c’est en effet leur justification par référence à des droits humains universels et au telos
démocratique qui, elle, est nouvelle »125. Cette affirmation mérite d’être nuancée, notamment
suite au développement des instruments de la justice transitionnelle en dehors de cas de
transition, telles les commissions vérité créées au Maroc126 et aux États-Unis127. Il demeure
que ces cas font figure d’exceptions et ne remettent pas en cause les origines du
développement de la justice transitionnelle et la centralité de la transition vers la démocratie
dans sa construction (§ 1).
71.
Confrontée aux mêmes contextes et partageant les mêmes ambitions, en termes de
démocratisation, que la justice transitionnelle, l’ONU s’est naturellement saisie de cet outil.
La conception relativement étroite que les Nations Unies avaient de l’action en faveur du
rétablissement de la démocratie – focalisée sur les aspects institutionnels de ce mode de
gouvernance – commençait alors à démontrer ses limites. Tournée vers les individus et les
123
ARTHUR (P.), « How ‘transitions’ reshaped human rights », op. cit., pp. 322-326.
KRITZ (N.), Transitional justice. How emerging democracies reckon with former regimes, USIP,
Washington, 1995, 3 volumes. Voir également à ce sujet ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle. De l’Afrique
du Sud au Rwanda, Gallimard, Paris, 2012, p. 480.
125
Ibid.
126
L’Instance équité et réconciliation a été créée en 2004 par le Roi Mohammed VI pour traiter de la répression
violente des opposants politiques conduites sous le règne de son père, le Roi Hassan II. Voir HAYNER (P.),
Unspeakable truths, op. cit., pp. 42-44.
127
Sur la commission vérité de Greensboro, voir ibid., p. 62 et supra, introduction.
124
53
droits de l’Homme, la justice transitionnelle a ainsi participé à substantialiser l’approche
onusienne de la démocratie (§ 2).
§1/Une justice ancrée dans la transition démocratique
72.
La fin de la guerre froide a marqué l’avènement de la démocratie et « la fin du principe
de l’équivalence des régimes politiques »128 qui avait, jusqu’alors, été affirmé de façon
constante129. Issue de la « troisième vague » de démocratisations130, la justice transitionnelle
est intimement liée à ce mode de gouvernance, dont elle est censée favoriser la consolidation.
Dans la mesure où ce dernier a été considéré comme un instrument de paix, l’objectif
démocratique a également été rapidement intégré aux efforts onusiens de maintien et de
consolidation de la paix, d’autant que la fin de l’opposition des blocs a libéré le Conseil de
sécurité et permis l’expansion quantitative et qualitative de son action. L’ancrage
démocratique de la justice transitionnelle onusienne s’explique ainsi par le développement, au
sein de l’Organisation, d’un objectif de démocratisation des États (A) qui a mené les Nations
Unies à tirer profit des vertus démocratisantes souvent attribuées à la justice transitionnelle
(B).
128
DUPUY (R.-J.), « Le Conseil de sécurité en recherche de paix », in DAUDET (Y.), dir., Les Nations Unies et
la restauration de l’État, colloque de la SFDI, 16-17 décembre 1994, Pedone, Paris, p. 16.
129
La CIJ rappelait en 1986 à propos de l’affaire opposant le Nicaragua aux États-Unis que « [chaque] Etat
possède le droit fondamental de choisir et de mettre en œuvre comme il l’entend son système politique,
économique et social. ». CIJ, Activités militaires et paramilitaire au Nicaragua et contre celui-ci, (Nicaragua c.
États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, CIJ, Recueil 1986, § 258. Pour les résolutions de l’Assemblée générale
confirmant le principe de liberté de choix du régime politique, voir l’analyse effectuée par Linos-Alexandre
Sicilianos : SICILIANOS (L.-A.), L’ONU et la démocratisation de l’État : systèmes régionaux et ordre juridique
universel, Pedone, Paris, 2000, pp. 28-30.
130
Selon l’expression de Samuel Huntington. Voir : HUNTINGTON (S.), The third wave. Democratization in
the late twentieth century, University of Oklahoma Press, Norman et Londres, 1991, 366 p.
54
A) L’objectif onusien de la démocratisation des États
73.
L’assistance électorale fournie par l’ONU à de nombreux États131 dès 1989 est un
premier signe de l’engagement de l’Organisation en faveur de la démocratie. Il faut toutefois
rappeler que cette assistance est censée respecter « le droit souverain qu’a chaque État de
choisir et d’élaborer librement ses systèmes politique, social, économique et culturel »132. De
plus, l’importance d’élections libres avait déjà été soulignée, dans le cadre de l’accession à
l’indépendance de la Namibie, par une résolution du Conseil de sécurité datant de 1978133,
bien avant que l’ONU ne montre une préférence pour les régimes démocratiques.
74.
C’est essentiellement à partir du début des années quatre-vingt-dix que l’Organisation
s’est réellement exprimée en faveur de la démocratie. L’influence du Secrétaire général
Boutros Boutros-Ghali a été décisive à cet égard. Dès 1992, il déclarait dans son Agenda pour
la paix que « [la] démocratie à tous les niveaux est essentielle à l’instauration de la paix pour
une ère nouvelle de prospérité et de justice. »134 Si cette affirmation représente probablement
la première formulation explicite de la préférence démocratique onusienne, elle est intervenue
quelques mois après que le Conseil de sécurité a procédé à la création de l’Autorité provisoire
des Nations Unies au Cambodge (APRONUC / UNTAC), première opération de maintien de
la paix à recevoir pour mandat non pas d’assister, mais d’organiser elle-même le processus
électoral. Cette OMP représente ainsi le premier effort global de la part de l’ONU en vue de
restaurer la démocratie. En 1993, la communauté internationale exprimait à l’occasion de la
conférence de Vienne sur les droits de l’Homme que « [la] démocratie, le développement et le
respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales sont interdépendants et se
renforcent mutuellement. »135 À la suite de cette reconnaissance internationale sans ambiguïté
des bienfaits de la démocratie, la question de l’appui « du système des Nations Unies aux
efforts déployés par les gouvernements pour promouvoir et consolider les démocraties
nouvelles ou rétablies » fut inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale136. Enfin, le
131
Il serait question de près de quarante États ayant bénéficié d’une assistance électorale entre 1989 et 1992. Les
cas les plus connus et les plus communément cités sont la Namibie, le Salvador, le Guatemala, le Mozambique,
Haïti, l’Angola et le Cambodge. Voir BARBIER (S.), Cambodge (1991-1993). MIPRENUC, APRONUC,
Montchrestien, Paris, 1999, pp. 75-76 ; SICILIANOS (L.-A.), L’ONU et la démocratisation de l’État, op. cit.,
pp. 172-181.
132
A/RES/44/146 (1989), § 4.
133
S/RES/435 (1978), § 3.
134
SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix, op. cit., § 82.
135
UN Doc. A/CON.57/23, Déclaration et programme d’action de Vienne, 12 juillet 1993, I, § 8.
136
A/RES/49/30 (1994).
55
Secrétaire général publia, de sa propre initiative, un « agenda pour la démocratisation »137 en
1996, point culminant des multiples rapports publiés sur la question de l’assistance onusienne
à la démocratie et aux liens unissant la démocratie, la paix et le développement138. Il y
présente non plus la simple valeur ajoutée de la démocratie, mais son caractère indérogeable.
Ainsi, « [chaque] pays doit être libre de le faire lui-même de façon à assurer le bien-être de
son peuple. Il ne doit toutefois s'en tenir à cet ordre de priorité que pendant une courte période
et ne peut s'en servir comme prétexte pour négliger l'un quelconque des trois objectifs – paix,
développement et démocratie. »139
75.
Le développement onusien d’une exigence démocratique a eu plusieurs répercussions
sur l’action de l’Organisation. Son rôle en matière d’assistance électorale a été renforcé à
travers la création, au sein du département des affaires politiques, d’un point focal et d’une
division spéciale sur l’assistance électorale140. L’ONU s’est également attachée, nous y
reviendrons, à renforcer ou créer des institutions étatiques fortes, stables et représentatives.
Enfin, son attachement à la démocratie a aussi mené l’Organisation à condamner de plus en
plus fermement les coups d’États, passant d’une condamnation « molle »141 du coup d’État
mené au Burundi en 1993 à une condamnation extrêmement ferme de celui mené par la junte
militaire en Sierra Léone, en 1997, contre un gouvernement dont l’élection avait fait l’objet
d’une assistance onusienne142. En adoptant, dans ces deux cas, des résolutions sur le
fondement du Chapitre 7, le Conseil a clairement établi que la rupture de l’ordre démocratique
représentait, à ses yeux, une menace contre la paix et la sécurité internationales143. Cette
évolution est extrêmement importante dans la mesure où elle offre à l’effort onusien de
démocratisation un outil de sanction. La démocratie s’éloigne d’un modèle conseillé, à
l’établissement duquel l’ONU peut, sur demande, prêter assistance. Elle devient une exigence
dont la violation peut, selon sa gravité et ses conséquences, faire l’objet de sanctions
similaires à celles envisagées pour mettre fin à un acte d’agression. La démocratie est alors un
élément du maintien de la paix.
137
SGNU, UN Doc. A/51/761, annexe, Supplément aux rapports sur la démocratisation, 20 décembre 1996.
Voir UN Doc. A/48/935, Agenda pour le développement, 6 mai 1994 ; UN Doc. A/50/332, Support by the
United Nations system of the efforts of governments to promote and consolidate new or restored democracies.
Report of the Secretary general, 7 août 1995 ; UN Doc. A/51/512, Support by the United Nations system of the
efforts of governments to promote ad consolidate new or restored democracies. Report of the Secretary general,
18 octobre 1996.
139
SGNU, UN Doc. A/51/761, annexe, Supplément aux rapports sur la démocratisation, op. cit., § 123.
140
Ibid., § 38.
141
SICILIANOS (L.-A.), L’ONU et la démocratisation de l’État, op. cit., p. 183.
142
Ibid., pp. 201-213.
143
Voir pour Haïti la résolution S/RES/841 (1993), et pour la Sierra Léone, la résolution S/RES/1132 (1997).
138
56
76.
L’idée selon laquelle la démocratisation fait partie des outils onusiens du maintien de la
paix reflète l’évolution de ce dernier. La démocratisation est l’emblème du passage du
maintien à la consolidation de la paix. L’émergence simultanée de la notion de consolidation
de la paix et de l’idée d’une démocratie nécessaire à la paix au sein de l’Agenda pour la paix
de Boutros Boutros-Ghali annonçait un lien qui n’a fait que se renforcer par la suite, jusqu’à
faire de la démocratie le modèle exclusif vers lequel tendent tous les efforts onusiens de
reconstruction de l’État144, et pour lesquels la justice transitionnelle constitue un instrument
privilégié, du fait des vertus démocratisantes qui lui sont attribuées.
B) Les vertus démocratisantes de la justice transitionnelle
77.
Dans sa tentative de théorisation de la justice transitionnelle, Pablo De Greiff attribue à
cette dernière l’objectif final de la restauration de la réconciliation et de la démocratie145. Bien
que reconnaissant le caractère controversé de cette approche, notamment en ce qui concerne
la démocratie146, l’auteur se fait en réalité l’écho d’une position relativement répandue au sein
de la doctrine. S’il n’est pas certain que la justice transitionnelle ait pour finalité de restaurer
la démocratie, il est en revanche courant de considérer qu’elle contribue à sa restauration ou
sa consolidation au sein des États en transition.
78.
La justice transitionnelle participe tout d’abord à la démocratisation des États en
agissant sur les institutions étatiques. Les réformes institutionnelles promues sous l’angle des
garanties de non répétition147, sont l’aspect le plus visible de cette action. Il s’agit de
construire, à travers la justice transitionnelle, des institutions tout à la fois fortes et
respectueuses des droits de l’Homme, permettant ainsi l’expression démocratique des
citoyens. Les mécanismes de lustration et les procès pénaux sont les mécanismes de justice
transitionnelle les plus actifs à cet égard. En excluant de l’administration les personnels
144
La question de la systématicité du recours au modèle de la démocratie libérale dans les efforts onusiens de
reconstruction de l’État fait désormais l’objet d’une littérature abondante. Si certains des aspects de cette
tendance font l’objet de développements plus loin (voir infra, § 2), son étude approfondie dépasse très nettement
le cas de la justice transitionnelle pour englober l’ensemble des mesures, y compris économiques, promues et
mises en œuvre dans le cadre du statebuilding onusien. Pour ces questions, voir notamment : PARIS (R.), At
war’s end. Building peace after civil conflict, Cambridge University Press, New York, 2004, pp. 40-54 ;
CAMPBELL (S.), CHANDLER (D.), SABARATNAM (M.), dir., A liberal peace ? The problems and practices
of peacebuilding, Zed Books, Londres, New York, 2011, 272 p.
145
DE GREIFF (P.), « Theorizing transitional justice », in ELSTER (J.), NAGY (R.), WILLIAMS (M. E.), dir.,
Transitional justice, New York University Press, New York, 2012, pp. 48-58.
146
Ibid., p. 52.
147
Voir infra, chapitre 2.
57
responsables de violations des droits de l’Homme, les lustrations conduisent une tâche
préventive148. Elles limitent les risques que pourraient poser à la démocratie des pratiques
institutionnelles discriminantes ou criminelles et visent également à restaurer la confiance des
populations en leurs institutions149.
79.
Les procès internationalisés servent également à renforcer l’appareil judiciaire national.
Ce rôle a fait partie des arguments présentés en faveur de la création sur les territoires des
États concernés des juridictions hybrides telles que le Tribunal spécial pour la Sierra Léone
(TSSL), les Panels spéciaux pour crimes graves au Timor Leste ou encore les Chambres
extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) ainsi que de l’assistance
internationale fournie au sein des Panels 64 établis au Kosovo et de la Chambre spéciale pour
crimes de guerre établie en Bosnie Herzégovine150. Ce renforcement passerait par la formation
des professionnels locaux – en les faisant participer, aux côtés de personnels internationaux
qualifiés, aux procédures ; l’appareil judiciaire national serait également renforcé par les
infrastructures que ces juridictions internationales laissent derrière elles151.
80.
De façon plus indirecte que les programmes de lustration et les juridictions
internationalisées, les commissions vérité jouent également un rôle dans la restructuration ou
la consolidation d’institutions démocratiques. À travers leur rapport, ces commissions peuvent
mettre à jour des dysfonctionnements institutionnels, telles qu’une corruption généralisée, des
pratiques discriminatoires ou criminelles de la part de certaines institutions qui peuvent avoir
contribué, directement ou indirectement, aux violations des droits de l’Homme152.
148
Voir MAYER-RIECKH (A.), « On preventing abuse : vetting and other transitional reforms », in DE GREIFF
(P.), MAYER-RIECKH (A.), dir., Justice as prevention : vetting public employees in transitional societies,
ICTJ, Social Science Research Council, New York, 2007, pp. 482-521 ; Rapporteur spécial sur la justice
transitionnelle, UN Doc. A/70/438, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de
la réparation et des garanties de non-répétition, 21 octobre 2015, §§ 19-23.
149
Ibid.
150
Voir STENSRUD (E. E.), « New dilemmas in transitional justice : lessons from the mixed courts in Sierra
Leone and Cambodia », Journal of Peace Research, vol. 46, 2009, pp. 6-10 ; CAHIN (G.), « L’impact des
Tribunaux pénaux internationalisés sur la reconstruction de l’Etat », in ASCENSIO (H.), dir., Les juridictions
pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de législation comparée,
2006, pp. 265-306 ; PAZARTZIS (P.), « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la
justice (inter)nationale ? », AFDI, vol. 49, 2003, pp. 648-649.
151
Voir infra, partie 2, titre I, chapitre 2.
152
Pour exemple, la Commission vérité et réconciliation de Sierra Léone a noté dans son rapport que « [the]
Commission found that a factor that contributed to causing the conflict was the suppression of political
expression and dissent. The Commission in its recommendations emphasises that freedom of expression is the
lifeblood of a democracy. » CVR Sierra Léone, « Witness to truth : report of the Truth and Reconciliation
Commission for Sierra Leone », vol. 2, 27 octobre 2004, p. 122. Priscilla Hayner souligne également le rôle qu’a
eu la commission vérité salvadorienne dans la réforme de la procédure pénale, dont les défauts avaient été
identifiés comme ayant facilité la politique répressive de la dictature. Voir HAYNER (P.), Unspeakable Truths,
op. cit., pp. 190-193.
58
81.
Outre la consolidation ou la réforme institutionnelle, ce sont les effets pédagogiques de
la justice transitionnelle, orientés vers les individus et la société, qui constitueraient un de ses
apports principaux vis-à-vis de la (re)construction démocratique. C’est ici à la dimension
symbolique de cette justice qu’il est fait appel. En libérant la parole des victimes et des
bourreaux au sein d’une même enceinte – une commission vérité ou un tribunal pénal – la
justice transitionnelle cherche à réunir « dramatiquement victimes et bourreaux dans une sorte
de catharsis collective. »153 À travers les audiences publiques et les rituels de réconciliation,
les commissions vérité visent la réconciliation et, au travers de cette dernière, la constitution
d’un nouveau « contrat social »154 entre les individus. Cet objectif est poursuivi à la fois par la
mise en scène des discours, mais également par la recherche d’une vérité commune,
constitutive d’un nouveau « mythe national »155. Cette mise en scène des sentiments serait
ainsi l’occasion de « ré-inaugurer la démocratie »156.
82.
La mise en scène des procès ou des audiences des commissions vérité ne vise pas que la
catharsis et la constitution d’une sorte d’union sacrée autour d’une mémoire commune. En
organisant la parole des anciens ennemis par le biais de procédures, la justice transitionnelle
viserait à réguler le dissensus, à encadrer l’expression des opinions divergentes et à générer
une « solidarité discursive »157 représentative d’une approche procédurale – et non
substantielle – de la démocratie158.
83.
Une certaine incompatibilité apparaît entre la recherche d’un passé commun unissant la
nation et l’organisation du pluralisme des opinions, constitutif des démocraties libérales. Or,
aucune des deux finalités n’est suffisante en elle-même. Dans sa version pénale, la recherche
d’un récit unique départageant le bien du mal risque de transformer le procès en « show
trial »159 incompatible avec les valeurs démocratiques liées à l’égalité devant la justice et au
respect des opinions divergentes. D’un autre côté, la simple « solidarité discursive » ouvre la
possibilité de contester le déroulé et même la réalité des crimes de masse. La mise hors la loi
du négationnisme montre que cette option est également inconfortable. Il en ressort que la
153
ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle. op. cit., p. 37.
HAZAN (P.), Juger la guerre, juger l’histoire, du bon usage des commissions vérité et de la justice
internationale, PUF, Paris, 2007, p. 54.
155
Ibid., p. 52.
156
GARAPON (A.), Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 231.
157
OSIEL (M.), Juger les crimes de masse. La mémoire collective et le droit, ( titre original : Mass atrocity,
collective memory, and the law), Seuil, Paris, 2006, pp. 69-98.
158
ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle, op. cit., p. 41.
159
KOSKENNIEMI (M.), « Between impunity and show trials », Maw Planck Yearbook of United Nations Law,
vol. 6, 2002, pp. 1-35.
154
59
justice transitionnelle « oscille entre une mise en scène de l’éthique libérale et de la rationalité
délibérative, et un désir d’éveiller des affects communs de rejet des crimes par une éducation
sentimentale. »160
Il demeure que, malgré ses paradoxes et l’ambition probablement démesurée des vertus
qui lui sont attribuées, la justice transitionnelle replace l’individu au centre des efforts de
reconstruction de l’État, participant ainsi à une approche plus substantielle de la démocratie.
§2/La substantialisation par la justice transitionnelle de l’action
onusienne de démocratisation
84.
L’action de l’ONU pour la démocratisation des États a débuté par l’assistance fournie
par l’Organisation en matière électorale. Il est ainsi régulièrement considéré que la
supervision des élections en Namibie, conduite par le Groupe d’assistance des Nations Unies
pour la période de transition (GANUPT ; United Nations transition assistance group UNTAG)161, représente le premier engagement onusien dans une mission d’assistance
électorale et, par extension, de démocratisation162. Par la suite, l’Organisation a créé une
multitude d’autres missions d’organisation, de vérification ou de supervision163 de processus
électoraux. Ce fût tout d’abord le cas en Amérique centrale, où l’assistance des Nations Unies
en matière électorale, prévue par l’accord d’Esquipulas II164, débuta avec la création de la
Mission d’observation des Nations Unies pour la vérification du processus électoral au
160
SAADA (J.), « De la fumée et des miroirs, justice d’après guerre, dramaturgie et dissensus politique »,
Raisons Politiques, vol. 45, n° 1, 2012, p. 133.
161
S/RES/632 (1989).
162
LUDWIG (R.), « The UN’s electoral assistance : challenges, accomplishments, prospects », in NEWMAN
(E.), RICH (R.), dir., The UN role in promoting democracy : between ideals and reality, New York University
Press, New York, 2004, p. 170 ; PARIS (R.), At war’s end, op. cit., pp. 22-23.
163
Linos-Alexandre Sicilianos distingue trois modes d’assistance électorale fournie par les Nations Unies.
L’organisation et le contrôle du processus électoral, où le processus est entièrement placé sous l’autorité de
l’ONU ; la supervision du processus électoral, où les élections sont conduites par les autorités nationales avec un
contrôle des Nations Unies sur l’intégralité du processus, y compris législatif et la vérification du processus
électoral, consistant en une observation plus limitée du caractère libre et équitable de l’ensemble du processus.
Voir SICILIANOS (L.-A.), « Les Nations Unies et la démocratisation de l’État – nouvelles tendances », in
MEHDI (R.), dir., La contribution des Nations Unies à la démocratisation de l’État, SFDI, colloque d’Aix-enProvence, Pedone, Paris, 2002, pp. 35-36.
164
Cet accord, conclu entre les gouvernements du Costa Rica, du Guatemala, du Nicaragua, d’El Salvador et du
Honduras, visait à rétablir la paix, la démocratie et la réconciliation dans chacun de ces pays et appelait à des
élections libres tenues « sous l’œil d’observateurs internationaux » dont l’OEA et l’ONU. Voir « Processus à
suivre pour instaurer une paix stable et durable en Amérique centrale » (Accord d’Esquipulas II), Guatemala,
Guatemala, 7 août 1987, UN Doc. A/42/521 - S/19085, 31 août 1987, art. 4, al. 6.
60
Nicaragua (ONUVEN) en juillet 1989165. Dans la première moitié des années quatre-vingtdix, d’importantes missions d’assistance électorale furent ensuite menées, notamment, en
Haïti166, au Salvador167, en Angola168, au Cambodge169 et au Mozambique170.
85.
Si l’engouement de l’ONU pour l’organisation d’élections libres témoigne de son intérêt
nouveau pour la promotion de la démocratie, il montre également l’approche restrictive que
l’Organisation avait de ce mode de gouvernance. Aux premiers temps de son implication dans
le domaine de l’assistance électorale, l’ONU « believed that the successful conduct of an
election would establish the basis for the growth of a viable democracy »171. Les missions de
vérification au Nicaragua, en Haïti et en Angola, construites sur le même modèle172, sont
représentatives de cette vision relativement limitée. Toutes trois n’ont compris que des tâches
d’observation et considéraient les élections comme le point d’achèvement de leur mission173.
Il faut noter que les dangers de la transition démocratique n’ont été identifiés que tardivement
par la doctrine, initialement focalisée sur la notion de paix démocratique174. En Angola, les
hostilités reprirent à l’issue du premier tour de scrutin, démontrant le manque d’attention
porté aux risques que l’instabilité sécuritaire faisaient peser sur ces élections175. En Haïti, les
élections de 1991 ont été suivies d’un coup d’État176. À travers ses échecs, l’ONU a pu se
rendre compte que si la démocratie favorise la paix, la transition vers la démocratie est une
période comportant un risque d’émergence ou de reprise des conflits particulièrement
165
FRANCK (T. M.), « Legitimacy and the democratic entitlement », in FOX (G. H.), ROTH (B. R.), dir.,
Democratic governance and international law, Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni, 2000,
pp. 76-77.
166
Groupe d’observateurs des Nations Unies pour la vérification des élections en Haïti (ONUVEH). Voir
A/RES/45/2 (1990).
167
Mission d’observation des Nations Unies au Salvador (ONUSAL). Voir S/RES/693 (1991).
168
Mission de vérification des Nations Unies en Angola (UNAVEM II). Voir S/RES/696 (1991).
169
Autorité Provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC). Voir S/RES/745 (1992).
170
Opération des Nations Unies au Mozambique (ONUMOZ). Voir S/RES/782 (1992). Voir globalement,
LUDWIG (R.), « The UN’s electoral assistance », op. cit., p. 170.
171
Ibid., p. 179.
172
UN Doc. S/23671, Nouveau rapport du Secrétaire général sur la Mission de vérification des Nations Unies
en Angola (UNAVEM II), 3 mars 1992, § 19.
173
Voir pour l’UNAVEM II : UN Doc. S/22627, Report of the Secretary-general on the United Nations Angola
verification mission, 20 mai 1991 et pour l’ONUVEH : A/RES/45/2 (1990).
174
PARIS (R.), At war’s end. op. cit., pp. 43-44.
175
Voir : DIBAS-FRANCK (E.), Les Nations Unies en Afrique : le cas de l’Angola, Publisud, Paris, 2000,
pp. 63-65.
176
Voir SICILIANOS (L.-A.), « L’ONU, la consolidation de la paix et l’édification de la démocratie », in
DUPUY (R.-J.), dir., Droit et justice. Mélanges en l’honneur de Nicolas Valticos, Pedone, Paris, 1999, p. 221.
61
élevé177. Ainsi, en Haïti, l’ONU a opéré le retrait de sa mission tout de suite après les
élections de décembre 1990 et janvier 1991178. Le caractère prématuré de ce retrait et la
fragilité de la démocratie ainsi restaurée ont été, malheureusement, mis en lumière par le
renversement du gouvernement nouvellement élu par le coup d’État du 30 septembre 1991.
Comme le remarquait le Secrétaire général, « [à] l’époque, l’assistance au renforcement des
institutions n’est pas jugée prioritaire. Son importance, dans un pays sans tradition
démocratique et sans administration solide ne sera comprise que plus tard »179.
86.
La nécessité d’aller au-delà de l’organisation d’élections libres et équitables a
rapidement été comprise par l’ONU et intégrée à son arsenal conceptuel et opérationnel de la
démocratisation des États. La multiplication des tâches confiées aux opérations de maintien de
la paix comportant un volet démocratisation illustre bien la perception selon laquelle des
élections ne peuvent être bénéfiques que lorsqu’elles sont conduites dans des contextes
sécuritaire et institutionnel suffisamment stables. Les opérations au Salvador, au Cambodge,
au Mozambique, au Guatemala180 et en Haïti (à partir de 1993 avec la création de la Mission
civile internationale en Haïti (MICIVIH)181, de la Mission des Nations Unies en Haïti
(MINUHA)182 et de la Mission d’appui des Nations Unies en Haïti (MANUH)183) ont toutes
comporté un volet droits de l’Homme et ont intégré des tâches de sécurisation militaire, de
police et de réformes institutionnelles184. D’un point de vue opérationnel, l’élargissement des
considérations liées à la démocratisation s’est donc illustré par une multiplication des tâches
dévolues aux opérations de paix et par l’idée que ces tâches sont interdépendantes185. Ce
dernier point est particulièrement visible au sein de la résolution 814 du Conseil de sécurité,
177
Ibid., p. 45. Voir également CAHIN (G.), « Les Nations Unies et la construction d’une paix durable en
Afrique », in MEHDI (R.), dir., La contribution des Nations Unies à la démocratisation de l’État, op. cit.,
pp. 137-142.
178
Voir SICILIANOS (L.-A.), « L’ONU, la consolidation de la paix et l’édification de la démocratie », op. cit.,
p. 221. Voir également le rapport du Secrétaire général notant, en février 1991, que le « mandat de l’ONUVEH a
pris fin à l’achèvement du deuxième tour de scrutin » et que le Groupe d’observateur s’était donc « acquitté de la
tâche qui lui avait été confiée » par l’Assemblée générale. UN Doc. A/45/870/Add.1, Assistance électorale à
Haïti. Note du Secrétaire général, 22 février 1991, §§ 3 et 4.
179
Cité in SICILIANOS (L.-A.), « L’ONU, la consolidation de la paix et l’édification de la démocratie », op.
cit., p. 221.
180
S/RES/1094 (1997).
181
UN Doc. A/47/908, Rapport du Secrétaire général sur la situation des droits de l’homme en Haïti, annexe 3,
27 mars 1993.
182
S/RES/867 (1993).
183
S/RES/1063 (1996).
184
Voir globalement sur ces missions et leur rôle dans la reconstruction démocratique SICILIANOS (L.-A.),
L’ONU et la démocratisation de l’État, op. cit., pp. 221-223.
185
Ibid., pp. 225-229.
62
créant l’Opération des Nations Unies en Somalie II (ONUSOM II)186. Le mandat de cette
mission incluait le maintien de l’ordre, la reconstruction d’institutions démocratiques, la
fourniture d’aide humanitaire, le désarmement, le relèvement économique et la réconciliation
politique et sociale187. En acceptant l’établissement sans précédent de ce vaste mandat, le
Conseil remarquait d’une part que « le rétablissement de l’ordre dans toute la Somalie
faciliterait les opérations d’aide humanitaire, la réconciliation et un règlement politique, ainsi
que le rétablissement des institutions politiques de la Somalie et le redressement de son
économie »188, et d’autre part que « le rétablissement d’institutions administratives locales et
régionales est indispensable pour que le calme puisse de nouveau régner dans le pays »189,
consacrant l’interdépendance des différentes composantes de la mission.
87.
Conceptuellement, l’évolution de l’approche des Nations Unies s’observe à travers
l’élargissement de l’objet de la résolution adoptée annuellement, depuis 1989, par
l’Assemblée générale sur le thème du « renforcement de l’efficacité du principe d’élections
périodiques et honnêtes »190. La résolution, adoptée en 1994, notait pour la première fois
l’importance d’assurer « la poursuite et la consolidation du processus de démocratisation »191
en apportant « une assistance avant et après la tenue d’élections »192. La résolution suivante
verra son titre modifié, visant dorénavant « [l’affermissement] du rôle de l’Organisation des
Nations Unies aux fins du renforcement de l’efficacité du principe d’élections périodiques et
honnêtes et de l’action en faveur de la démocratisation »193.
88.
Malgré l’élargissement des préoccupations onusiennes liées à la démocratisation et la
volonté de favoriser, à travers son action, une « culture politique démocratique »194, l’action
de l’ONU s’est essentiellement focalisée sur les aspects institutionnels de la gouvernance.
Bien que l’objectif de réconciliation nationale soit apparu très tôt dans le mandat d’opérations
de paix, notamment, comme nous l’avons vu, en Somalie195, les implications opérationnelles
de cet objectif sont restées floues. Il est d’ailleurs significatif que dans le cas de la Somalie, la
186
S/RES/814 (1993).
Ibid.
188
Ibid., préambule.
189
Ibid.
190
A/RES/44/146 (1989).
191
A/RES/48/131 (1994) § 4.
192
Ibid.
193
A/RES/50/185 (1996).
194
BARBIER (S.), Cambodge (1991-1993), op. cit., p. 169.
195
Voir S/RES/814 (1993).
187
63
notion de réconciliation nationale était essentiellement abordée d’un point de vue politique et
non d’un point de vue individuel, social et intersubjectif196. La Conférence sur la
réconciliation nationale en Somalie, organisée sous l’égide des Nations Unies en mars 1993 à
Addis Abeba, regroupait essentiellement des leaders politiques somaliens197. L’engagement
auquel ils ont souscrit à cette occasion concernait, dans sa majeure partie, des mesures de
désarmement, de partage de pouvoir et de cessez-le-feu198.
89.
La justice transitionnelle représente le glissement de la notion de réconciliation du
politique vers l’individu. Christian Tomuschat considérait que « [si] la démocratie ne
s’enracine pas dans la conscience collective, dans les têtes et dans les cœurs des êtres humains
concernés, elle sera une création artificielle et partant assez fragile »199. Alors que les
missions de reconstruction de l’État du début des années quatre-vingt-dix ont effectivement
cherché à éduquer les populations au sujet des bienfaits et de la supériorité du modèle
démocratique200, ce n’est qu’avec le développement de la lutte contre l’impunité et de la
justice transitionnelle que l’action internationale a fini par intégrer les individus et les
relations qu’ils entretiennent comme facteur de démocratisation.
90.
L’apparition de la justice transitionnelle dans les opérations de paix, aux côtés de la
démocratisation, s’est effectuée progressivement. L’implication de l’ONUSAL dans le travail
de la Commission pour la vérité au Salvador201 pourrait sembler être une manifestation
précoce d’un engagement dans la justice transitionnelle que l’ONU n’aurait développé que
postérieurement, au tout début des années deux-mille202. Cette opération n’est en réalité que le
début tonitruant d’une intégration progressive de la justice transitionnelle au sein des
opérations de paix onusiennes. Bien que leur engagement ait été plus discret, voire
196
Le rapport du Secrétaire général sur la création de l’ONUSOM II n’évoque la réconciliation nationale que
dans le contexte du volet lié à la « political reconciliation ». UN Doc. S/25354, Further report of the Secretarygeneral submitted in pursuance of paragraphs 18 and 19 of resolution 794 (1992), 3 mars 1993, §§ 41-45.
197
Ibid., §§ 10-18.
198
« Addis Ababa agreement of the first session on the Conference on national reconciliation in Somalia », Adis
Abeba, Éthiopie, 27 mars 1993 (disponible sur le site de l’Uppsala conflict data program : www.ucdp.uu.se)
199
TOMUSCHAT (C.), « L’intervention structurelle des Nations Unies », in MEHDI (R.), dir., La contribution
des Nations Unies à la démocratisation de l’État, op. cit., p. 111.
200
Voir par exemple les efforts fournis par l’APRONUC dans ce domaine. BARBIER (S.), Cambodge (19911993), op. cit., pp. 160-161.
201
Voir supra, introduction et BUERGENTHAL (T.), « The United Nations truth commission for El Salvador »,
Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 27, n° 3, octobre 1994, pp. 497-544.
202
Outre le Salvador, les premières actions d’envergure de l’ONU dans le domaine de la justice transitionnelle
ont été, comme nous le verrons, les actions en Sierra Léone, au Kosovo et au Timor-Leste. Voir infra, partie 2,
titre 1, chapitre 1.
64
récalcitrant203, la MICIVIH et la MINUGUA ont été impliquées dans le fonctionnement de
commissions vérité nationales, la Commission nationale de vérité et de justice (CNVJ) en
Haïti, et la Commission pour la clarification historique (CEH) au Guatemala204. Cette tâche
n’a finalement pas abouti. Il demeure que l’équipe d’experts des droits de l’Homme dépêchée
par le Secrétaire général en Haïti notait, en 1993, que le mandat de la MICIVIH permettait à
cette dernière de réunir les éléments concernant les crimes commis avant son déploiement et
qu’une proposition du chef de la mission pour le traitement de ces crimes devrait être
transmise au Secrétaire général205. Il faut également noter que la MINUGUA a vérifié
l’application des dispositions de l’Accord général relatif aux droits de l’Homme206 liées à
l’indemnisation des victimes du conflit. Il y a donc bien une certaine continuité dans
l’implication de l’ONU dans le domaine de la justice transitionnelle au cours des années
quatre-vingt-dix.
91.
Ce sont la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK - UNMIK)207,
l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor-Leste (ATNUTO - UNTAET)208 et la
Mission des Nations Unies en Sierra Léone (MINUSIL - UNAMSIL)209, bien que de façon
plus indirecte pour cette dernière210, qui ont le plus développé le lien entre la démocratisation
et la justice transitionnelle. Si le rôle de la MINUK a été, initialement du moins, plus modéré
dans le domaine de la justice transitionnelle, la lutte contre l’impunité a rapidement fait partie
de ses objectifs. Cette préoccupation s’est notamment illustrée à travers la création des Panels
64, juridiction internationalisée mise en place afin de participer à la reconstruction de
203
Bien qu’impliquée dans la mise en œuvre de la Commission nationale de vérité et de justice (CNVJ), la
MICIVIH a régulièrement refusé de lui apporter son assistance, considérant que cette tâche dépassait son
mandat. Voir QUINN (J. R.), « Haiti’s failed truth commission : lessons in transitional justice », Journal of
Human Rights, vol. 8, n° 3, 2009, p. 275.
204
Voir TOMUSCHAT (C.), « Clarification commission in Guatemala », Human Rights Quarterly, vol. 23, n° 2,
2001, pp. 233-258. Voir également le rapport final du Secrétaire général sur la MINUGUA, UN Doc. A/59/746,
Report of the Secretary-general on the United Nations verification mission in Guatemala, 18 mars 2005, § 18.
Les modalités de l’implication onusienne dans ces commissions vérité fait l’objet de plus amples
développements infra, partie 2, titre 1, chapitre 1.
205
Il est notable que la section du rapport concernant ces éléments ait été intitulée « [the] past ». Voir UN Doc.
A/47/908, Report of the Secretary-general on the situation of democracy and human rights in Haïti, Annexe III,
Report submitted to the Secretary-General by the team of human right experts on the International Civilian
Mission to monitor respect for human rights in Haïti, 24 mars 1993, §§ 48-49.
206
Voir Annexe I, « Accords de paix et justice transitionnelle ».
207
S/RES/1244 (1999).
208
S/RES/1272 (1999).
209
S/RES/1270 (1999).
210
Le mandat de la MINUSIL n’a pas intégré de considérations liées au rétablissement de la démocratie.
Toutefois, l’accord de paix de Lomé, dont elle était l’un des garants, mettait en lien la réconciliation et la
démocratisation de la Sierra Léone. Voir « Peace agreement between the Government of Sierra Leone and the
Revolutionary United Front (Lome peace agreement) », Lomé, Togo, 7 juillet 1999, préambule.
65
l’appareil judiciaire en luttant contre les pratiques discriminatoires et la corruption211.
L’ATNUTO et la MINUSIL ont pour leur part été directement impliquées dans les
mécanismes de réconciliation nationale que représentaient les commissions vérité et les
juridictions internationalisées créées dans leur État d’accueil respectif.
L’ATNUTO est particulièrement intéressante dans la mesure où ses objectifs ont mêlé
pour la première fois dans une opération de maintien de la paix le rétablissement de la
démocratie et celui de l’état de droit (rule of law), annonçant un glissement de la première
notion vers la deuxième dans les objectifs des opérations de maintien de la paix et de l’ONU
ainsi que dans l’approche onusienne de la justice transitionnelle.
Section II La justice transitionnelle au service de la
restauration de l’état de droit
92.
Au cours des années quatre-vingt-dix, l’état de droit a progressivement supplanté la
démocratie comme objectif final poursuivi par les efforts onusiens de consolidation de la paix.
Aussi vaste que floue, la notion d’état de droit a permis d’englober les tâches de plus en plus
nombreuses et diversifiées conduites par l’ONU dans les États sortant de conflit, tout en
conservant une image politiquement neutre, basée sur l’idée, volontairement entretenue par
l’ONU, que la restauration de l’état de droit est une opération avant tout technique. Présentée
ainsi, la restauration de l’état de droit semble peu compatible avec la justice transitionnelle.
La pratique initiale de cette dernière dénote en effet une matière fortement influencée par les
contingences politiques tels l’adoption ou non de lois d’amnisties, le type de transition en
cours et le type de violations commises dans le passé. L’ambition même de la justice
transitionnelle telle qu’elle a été présentée ci-dessus, c’est-à-dire la démocratisation, est
éminemment politique.
93.
Les différences présentées ci-dessus expliquent peut-être la relative lenteur de
l’intégration de la justice transitionnelle au sein de l’approche onusienne de l’état de droit,
dans ses volets conceptuel et opérationnel. Cette intégration était pourtant inéluctable. La
justice transitionnelle et la restauration de l’état de droit sont tous deux des outils ayant pour
objectif la consolidation de la paix. Or, l’état de droit, comme il a été remarqué, tend à inclure
l’ensemble des actions et concepts poursuivant cet objectif. En exclure la justice
211
Voir UNMIK/REG/2000/64, on assignment of international judges/prosecutors and/or change of venue, 15
décembre 2000. Cette juridiction est traitée de façon approfondie infra, partie 2, titre 1, chapitre 1.
66
transitionnelle aurait donc paru étrange. Malgré cette situation paradoxale, la justice
transitionnelle a été intégrée à l’action onusienne pour la restauration de l’état de droit (§ 1). Il
n’est dès lors pas étonnant que ces deux notions entretiennent des relations ambiguës (§ 2).
§1/L’intégration de la justice transitionnelle au sein de l’action pour la
restauration de l’état de droit
94.
Bien que les actions de l’ONU dans les domaines de l’état de droit et de la justice
transitionnelle se soient développées de façon concomitante, les deux notions sont longtemps
demeurées séparées. Il est vrai que l’expression « justice transitionnelle » est elle-même
apparue tardivement dans le langage onusien. Le rapport publié en 2004 par le Secrétaire
général et portant sur l’état de droit et la justice transitionnelle représente le point de départ de
l’intégration de cette notion au sein de la terminologie onusienne d’une part, et de l’action de
l’Organisation pour l’état de droit d’autre part. Cet acte d’intégration n’est pas anodin pour
l’approche onusienne de cette justice. Tout d’abord, il consacre le caractère complémentaire
de cette justice et de l’état de droit (A). Ensuite, il tend à inclure la justice transitionnelle dans
l’approche technocratique de l’état de droit. Il s’agira alors de vérifier si cette inclusion n’est
qu’une perception ou bien une réalité (B).
A) L’affirmation de la complémentarité de la justice transitionnelle et de
l’état de droit
95.
Alors que l’entrée de la notion d’état de droit dans le langage onusien date du début des
années quatre-vingt-dix, ses liens avec la justice transitionnelle n’ont été affirmés que
plusieurs années plus tard. Les résolutions de l’Assemblée générale portant sur le
« renforcement de l’état de droit »212, adoptées annuellement de 1994 à 2003 ne font aucune
référence à la justice transitionnelle. La lutte contre l’impunité n’en est pourtant pas absente,
ces résolutions soulignant « que les États doivent, dans le cadre de leur propre système
législatif et judiciaire, prendre les mesures de caractère civil, pénal et administratif qui
conviennent pour remédier aux violations des droits de l’homme »213. Il faut attendre 2012
pour que l’Assemblée générale intègre la justice transitionnelle de manière explicite dans ses
212
Voir la première de ces résolutions : A/RES/48/132 (1994).
Cette formulation est présente dans toutes les résolutions adoptées par l’Assemblée générale sur ce point de
l’ordre du jour. Ibid., préambule, ainsi que la dernière en date de ces résolutions : A/RES/57/221 (2003)
préambule.
213
67
résolutions portant désormais sur « l’état de droit aux niveaux national et international ». Dans
ces résolutions, l’organe plénier « [considère] que restaurer la confiance dans l’état de droit
est un élément clef de la justice transitionnelle »214.
96.
C’est du Secrétaire général qu’est venue l’initiative, d’une part, d’inclure la justice
transitionnelle dans l’arsenal conceptuel onusien et, d’autre part, de placer ce concept au sein
de celui, bien plus vaste, d’état de droit. Le rapport de 2004, portant sur le « [rétablissement]
de l’état de droit et [l’]administration de la justice pendant la période de transition dans les
sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit »215, est le premier document officiel
onusien liant ces deux concepts. Le Conseil de sécurité, à qui le rapport était destiné, a été
plus rapide que l’Assemblée générale à intégrer ce nouveau langage, aidé par l’outil des
déclarations du Président, bien moins formelles que les résolutions. Le long débat qui a suivi
la présentation du rapport216 a donné lieu à une telle déclaration, dans laquelle le Conseil :
« appelle l’attention sur l’ensemble des mécanismes de justice à envisager pour
les périodes de transition, dont les tribunaux pénaux nationaux, internationaux et
“mixtes” et les commissions vérité et réconciliation, et souligne que ces
mécanismes devraient avoir pour vocation non seulement d’établir la
responsabilité individuelle des auteurs de crimes graves, mais aussi de rechercher
la paix, la vérité et la réconciliation nationale. »217
Sans faire usage de l’expression « justice transitionnelle » en elle-même, le Conseil a
par la suite confirmé le lien unissant les mécanismes qu’elle désigne et le rétablissement de
l’état de droit à travers plusieurs déclarations du Président portant sur ce dernier218.
97.
C’est par une approche différente de celles adoptées par l’Assemblée générale et le
Conseil de sécurité que la Commission puis le Conseil des droits de l’homme ont choisi
d’aborder les liens entre la justice transitionnelle et l’état de droit. En effet, les résolutions de
ces organes portant sur l’état de droit se concentrent sur les liens existant entre ce dernier, les
214
Voir A/RES/66/102 (2012), § 10 et les résolutions suivantes sur le même sujet.
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit.
216
Voir UN Doc. S/PV.5052, 6 octobre 2004.
217
Voir UN Doc. S/PRST/2004/34, 6 octobre 2004.
218
Voir UN Doc. S/PRST/2006/28, Strengthening international law : rule of law and maintenance of
international peace and security, 22 juin 2006, § 4 ; UN Doc. S/PRST/2010/11, The promotion and
strengthening of the rule of law in the maintenance of international peace and security, 29 juin 2010, §§ 7-8 ;
UN Doc. S/PRST/2012/1, The promotion and strengthening of the rule of law in the maintenance of
international peace and security, 19 janvier 2012, §§ 12-13.
215
68
droits de l’Homme et la démocratie sans mentionner la justice transitionnelle219. Celle-ci n’est
pourtant pas absente des résolutions de l’organe de protection des droits de l’Homme. Dès
2005, c’est-à-dire moins d’un an après la présentation du rapport du Secrétaire général sur
l’état de droit et la justice transitionnelle, la Commission des droits de l’homme adoptait une
résolution portant sur les « droits de l’homme et [la] justice de transition »220, résolution
régulièrement reprise par le Conseil des droits de l’homme221. Le fait de rapprocher la justice
transitionnelle des droits de l’Homme, eux-mêmes associés à l’état de droit et à la démocratie,
représente une première méthode de reconnaissance du lien entre cette justice et l’état de
droit. Ce rapprochement est ensuite confirmé par les nombreuses références que les
résolutions sur les droits de l’Homme et la justice transitionnelle font à l’état de droit222.
Enfin, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la justice transitionnelle a largement confirmé
l’approche des organes intergouvernementaux en consacrant tout un rapport aux liens unissant
l’état de droit et la justice transitionnelle, soulignant les contributions apportées par cette
dernière à l’état de droit223.
98.
Si les résolutions des principaux organes intergouvernementaux onusiens confirment le
lien perçu par l’ONU entre l’état de droit et la justice transitionnelle, elles n’éclairent en
revanche pas la nature de ce lien. Les titres de ces résolutions, tout comme celui du rapport du
Secrétaire général, semblent placer les deux concepts sur un même niveau – état de droit et
justice transitionnelle – sans préciser si cette dernière, dont l’objet est a priori plus restreint,
est une composante du premier. Il serait également envisageable que la justice transitionnelle
soit la quatrième pièce du triptyque, devenant alors polyptyque, que composent la démocratie,
les droits de l’Homme et l’état de droit. Les résolutions évoquées ci-dessus ne soulignent
pourtant pas le lien d’interdépendance qui est systématiquement rappelé en ce qui concerne la
démocratie, les droits de l’Homme et l’état de droit. À cet égard, le quatrième élément du
polyptyque serait plutôt le développement224. Il apparaît donc que la justice transitionnelle ne
se place pas sur le même plan que ces concepts.
219
Voir UN Doc. A/HRC/RES/19/36, 19 avril 2012 ; UN Doc. A/HRC/RES/28/14, 9 avril 2015 ; UN Doc.
A/HRC/RES/34/41, 6 avril 2017.
220
UN Doc. E/CN.4/RES/2005/70, 20 avril 2005.
221
Voir par exemple UN Doc. A/HRC/RES/12/11, 12 octobre 2009 ; UN Doc. A/HRC/RES/21/15, 11 octobre
2012 ; UN Doc. A/HRC/RES/33/19, 5 octobre 2016.
222
Ibid.
223
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/67/368, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 13 septembre 2012.
224
Voir dans ce sens la résolution 21/15 du Conseil des droits de l’homme, soulignant que « justice, peace,
democracy and development are mutually reinforcing imperatives ». UN Doc. A/HRC/RES/21/15, op. cit., § 11.
69
99.
C’est encore une fois le Secrétaire général qui a tenté, parfois maladroitement,
d’éclaircir la relation entre la justice transitionnelle et l’état de droit. La première tentative
dans ce sens provient du rapport « Uniting our strength : enhancing United Nations support
for the rule of law », présenté à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité le 14 décembre
2006225. Dans ce rapport, le Secrétaire général divise les activités de l’Organisation en matière
de renforcement de l’état de droit en trois catégories. La première vise l’état de droit au
niveau international, la deuxième, concerne l’état de droit dans les contextes de conflit et de
post-conflit et la troisième s’attache au développement sur le long terme. Au sein de cette
division, la justice transitionnelle constitue l’un des deux éléments composant la deuxième
catégorie, aux côtés du « renforcement des systèmes et des institutions de justice
nationaux »226. Cette division n’est cependant pas totalement satisfaisante et ne correspond
qu’approximativement à la pratique de l’Organisation. Le volet justice transitionnelle inclut
ainsi les institutions de droits de l’Homme (comprendre les commissions nationales des droits
de l’Homme ou autres Ombudsman) et les commissions d’enquête, éléments qu’on ne
retrouve habituellement pas dans les politiques de justice transitionnelle227. On retrouve en
revanche dans le volet lié au renforcement des institutions nationales de justice le recours aux
« pratiques de droit coutumier, traditionnel et communautaire et [aux] mécanismes de
règlement des différends »228, activité souvent associée à la justice transitionnelle, notamment
en lien avec les commissions vérité229.
100. La deuxième tentative provient de la note d’orientation (« guidance note ») adoptée par
le Secrétaire général sur le thème de la « UN approach to rule of law assistance »230. Dans ce
document, la justice transitionnelle est présentée comme l’un des six éléments composant le
« framework for strengthening the rule of law », aux côtés de l’élaboration ou la révision de la
constitution, de l’élaboration d’un cadre législatif respectueux des droits de l’Homme, de
l’établissement d’un système électoral efficace et équitable, du renforcement des institutions
de justice, de sécurité, de gouvernance et des droits de l’Homme et, enfin, du renforcement de
la société civile231. On notera la contradiction avec le rapport de 2006 concernant les
institutions des droits de l’Homme, sorties ici de la justice transitionnelle. C’est surtout le
225
SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit.
Ibid., § 41.
227
Voir supra, introduction.
228
SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit., § 42.
229
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1, section II, § 1.
230
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. UN approach to rule of law assistance », avril 2008, 8 p.
231
Ibid. pp. 4-7.
226
70
caractère extrêmement vaste des activités dans le domaine de l’état de droit qui frappe dans
cette note du Secrétaire général. Cette matière ne semble plus être placée sur le même plan
que la démocratie, avec laquelle elle serait interdépendante, mais paraît plutôt l’englober aux
côtés d’autres efforts qui contribueraient ainsi à qualifier l’état de droit.
101. Il faut nuancer les défauts qui ont été identifiés dans les efforts fournis par le Secrétaire
général pour définir les liens unissant la justice transitionnelle et l’état de droit. Tant le
rapport uniting our strengths que la guidance note témoignent de l’adoption par le Secrétaire
général d’une approche résolument opérationnelle. Il serait erroné d’y chercher une ambition
de définir de façon conceptuelle et exhaustive les liens en question. Il faut ensuite reconnaître
à ces deux documents qu’ils répondent à la question éludée par les résolutions des organes
intergouvernementaux. La justice transitionnelle est l’une des composantes d’un état de droit
dont l’approche « globalisante »232 tend à incorporer en son sein la quasi-totalité des actions
de l’ONU dans le domaine de la reconstruction de l’État.
B) Une technocratisation de la justice transitionnelle au nom de l’état de
droit ?
102. Bien que les définitions de l’état de droit diffèrent, et que l’ONU se soit souvent
attachée à maintenir un certain flou autour de ce concept233, l’approche adoptée par le
Secrétaire général dans son rapport de 2004 sur l’état de droit et la justice transitionnelle peut
être considérée comme représentant le plus large consensus onusien en la matière. Le concept
désignerait selon lui :
« un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus, des
institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à
répondre de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon
identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec
les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme. Il implique,
d’autre part, des mesures propres à assurer le respect des principes de la
primauté du droit, de l’égalité devant la loi, de la responsabilité au regard de la
loi, de l’équité dans l’application de la loi, de la séparation des pouvoirs, de la
232
233
SICILIANOS (L.-A.), L’ONU et la démocratisation de l’État, op. cit., p. 251.
Ibid., p. 250.
71
participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique, du refus de
l’arbitraire et de la transparence des procédures et des processus législatifs.»234
Trois points peuvent être retenus de cette définition. Tout d’abord, l’état de droit
suppose un État – voire une société, dans la mesure où les individus et les institutions sont
visés de façon indifférenciée – régi par la loi. Il implique ensuite que le respect des lois soit
sanctionné, afin d’assurer leur application égalitaire, équitable, transparente et prévisible.
Enfin, l’ensemble des règles et procédures doivent être conformes au droit international des
droits de l’Homme et aux standards – on imagine onusiens – qui le complètent. Les deux
premiers aspects marquent une approche formelle, ou minimaliste, de l’état de droit,
caractérisée par l’établissement d’une hiérarchie juridique préservant la population de
l’arbitraire étatique et permettant un règlement des différends entre l’État et les citoyens par le
biais de procédures préétablies. Le troisième aspect de la définition proposée par le Secrétaire
général, relatif au respect des droits de l’Homme, révèle une substantialisation de cette
approche en délimitant un cadre au sein duquel la hiérarchie juridique peut être déployée235.
103. Ainsi défini, l’état de droit incarne un ensemble extrêmement dense de réformes à
mettre en œuvre dans les États sortant de conflit. Son caractère substantiel laisse peu de marge
de manœuvre pour l’adapter aux contextes locaux, et les liens inextricables établis par l’ONU
entre la consolidation de la paix et l’état de droit impliquent que ce dernier fasse l’objet d’une
incorporation systématique dans les efforts visant cette consolidation. Cette densité et cette
systématicité ont nourri les critiques dénonçant une approche technocratique de la
consolidation de la paix, notamment dans son volet état de droit et, par extension, dans son
volet lié à la justice transitionnelle.236 Il est en effet intéressant de remarquer qu’en intégrant
la justice transitionnelle au sein du cadre global de la restauration de l’état de droit, l’ONU a,
234
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 6.
Voir sur les approches formelle / minimaliste et substantielle / maximaliste : SICILIANOS (L.-A.), L’ONU et
la démocratisation de l’État, op. cit., pp. 250-253 ; BROOKS (R.), STROMSETH (J.), WIPPMAN (D.), Can
might make rights ? Building the rule of law after military interventions. Cambridge University Press, New
York, 2006, pp. 69-73.
236
Voir par exemple : HURWITZ (A.), « Rule of law programs in multidimensional peace operations :
legitimacy and ownership », in EBNÖTHER (A. H.), FLURI (P. H.), After intervention : public security
management in post-conflict societies, Center for the democratic control of armed forces, Genève, 2005, p. 343 ;
SHARP (D. N.), « Beyond the post-conflict checklist : linking peacebuilding and transitional justice through the
lens of critique », Chicago Journal of International Law, vol. 14, n° 1, 2013, pp. 169-181 ; SHARP (D. N),
« Interrogating the peripheries : the preoccupations of fourth generation transitional justice », Harvard Human
Rights Journal, vol. 26, 2013, pp. 150-158 ; VIEILLE (S.), « Transitional justice : a colonizing field ? », op. cit.,
pp. 58-68 ; DAUDET (Y.), « La restauration de l’État, nouvelle mission des Nations Unies ? », in DAUDET
(Y.), dir., Les Nations Unies et la restauration de l’État, colloque de la SFDI, 16-17 décembre 1994, Pedone,
Paris, pp. 17-29 ; BROOKS (R.), STROMSETH (J.), WIPPMAN (D.), Can might make rights ?, op. cit., p. 74 ;
TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 68-70.
235
72
presque mécaniquement, rendu les critiques tournées contre ce dernier applicables à cette
justice.
104. La première de ces critiques vise la focalisation de l’ONU, tant dans le domaine de
l’état de droit que dans celui de la justice transitionnelle, sur les droits civils et politiques, au
détriment des droits économiques, sociaux et culturels, témoignant d’une approche encore
marquée par le modèle de la démocratie libérale237. La deuxième critique vise le caractère
apolitique, ou du moins présenté comme tel, de l’état de droit. Noémie Turgis note à cet égard
que l’état de droit représente une approche plus neutre politiquement que la reconstruction
démocratique et, en conséquence, moins soumise aux soupçons d’instrumentalisation à visée
impérialiste de cet outil par les grandes puissances238. Cette plus grande neutralité politique de
l’état de droit serait ainsi à l’origine du consensus dont ce concept fait l’objet et aurait justifié
sa substitution à la démocratisation – sans pour autant causer la disparition de celle-ci –
comme idéal de transition239. Enfin, le légalisme impliqué par l’ancrage de la justice
transitionnelle au sein de l’état de droit marginaliserait l’attention portée aux besoins locaux,
au profit d’une action standardisée240.
105. Bien que les critiques présentées ci-dessus ne soient pas dénuées de fondements, la mise
en cause de l’action des Nations Unies qu’elles emportent est à nuancer. Tout d’abord, il
apparaît que les Nations Unies ont été, et sont toujours, parmi les principaux promoteurs de
l’inclusion des droits économiques, sociaux et culturels au sein des mécanismes de justice
transitionnelle241. Il demeure que cette inclusion présente des risques, et que le bilan de
l’ONU dans ce domaine est très mitigé242.
106. Ensuite, il faut reconnaître que la critique du caractère apolitique de la justice
transitionnelle onusienne est en partie justifiée. Le langage même de cette justice et de
l’action de l’ONU dans les sociétés post-conflit indique une approche technique. Les termes
237
HURWITZ (A.), « Rule of law programs in multidimensional peace operations », op. cit., pp. 345-346 ;
ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle, op. cit., p. 437 ; SHARP (D. N.), « Interrogating the peripheries »,
op. cit., p. 157.
238
Ibid.
239
Ibid.
240
MAC EVOY (K.), « Beyond legalism : towards a thicker understanding of transitional justice », Journal of
Law and Society, vol. 34, n° 4, décembre 2007, pp. 411-440 ; ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle, op. cit.,
p. 437 ; VIEILLE (S.), « Transitional justice : a colonizing field ? », op. cit., p. 58 ; NASSAR (H.),
« Transitional justice in the wake of the Arab uprisings : between complexity and standardisation » in FISHER
(K. J.), STEWART (R.), dir., Transitional justice and the arab spring, Routledge, Londres, New York, 2015,
pp. 54-75.
241
Voir infra, chapitre 2, section 2.
242
Ibid.
73
« reconstruction » (de l’État), « consolidation » (de la paix) et l’expression « boîte à outils »
(pour désigner les mécanismes de justice transitionnelle) sont tous empruntés au domaine de
la construction, comme s’il s’agissait de bâtir une société comme on le ferait un immeuble.
Comme le note Kora Andrieu, l’approche holiste de la justice transitionnelle, telle que
théorisée par Pablo de Greiff243 et consacrée par le Secrétaire général244, présente un domaine
constitué d’un ensemble de mécanismes fonctionnant en synergie. Tels des rouages, l’un ne
peut fonctionner sans les autres, sous peine de dysfonctionnement de l’ensemble245. L’aspect
technique de cette approche apparaît de façon évidente. Il faut toutefois noter que cette
technicité répond, en partie, aux appels de plus en plus pressants à une évaluation de la justice
transitionnelle. Des méthodes d’évaluation, basées sur des analyses empiriques et chiffrées,
ont récemment vu le jour, témoignant d’un attachement de certains acteurs – chercheurs et
think tanks notamment – à vouloir déterminer si, et comment, la justice transitionnelle
« marche »246. Dans la même perspective, l’ONU s’est dotée d’indicateurs de l’état de droit
(« rue of law indicators »)247. Ces cent trente-cinq indicateurs se concentrent sur les structures
de la police, du système judiciaire et de l’administration pénitentiaire pour présenter les
éléments concrets témoignant du degré d’état de droit dans un État donné248. L’objectif
affiché de ces indicateurs montre bien la logique qui sous-tend le mouvement d’évaluation de
l’état de droit et de la justice transitionnelle.
« The instrument will also provide and summarize accurate information which the
United Nations, donors and development partners will be able to use to plan and
monitor the impact of their efforts to build the capacity of criminal justice
institutions and, more generally, strengthen the rule of law. Additionally, the
process of implementing the indicators will strengthen relationships between the
243
DE GREIFF (P.), « Theorizing transitional justice », op. cit. ; Voir également infra chapitre 2.
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit. et infra
chapitre 2.
245
ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle, op. cit., pp. 90-91, où l’auteure note que la théorisation de Pablo
de Greiff « s’apparente bien souvent à une recette ». Voir également les développements infra sur l’approche
holiste de la justice transitionnelle par l’ONU. Infra chapitre 2.
246
Ibid., p. 491. Pour des exemples de telles études, voir OLSEN (T. D.), PAYNE (L. A.), REITER (A. G.),
Transitional justice in balance. Comparing processes, weighing efficacy, United States Institute of Peace,
Washington, 2010, 213 p. ; HAZAN (P.), « Measuring the impact of punishment and forgiveness : a framework
for evaluating transitional justice », RICR, vol. 88, n° 861, mars 2006, pp. 19-47 ; BAXTER (V.), CHAPMAN
(A. R.), VAN DER MERWE (H.), dir., Assessing the impact of transitional justice. Challenges for empirical
research, United States Institute of Peace Press, Washington D. C., 2009, 344 p.
247
Voir « The United Nations rule of law indicators. Implementation guide and project tools », publication
conjointe du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et du Département des opérations de maintien de la paix,
2011, 128 p.
248
Ibid., pp. 4-10.
244
74
United Nations and participating national Governments, relationships that are
crucial to the Organization’s objectives of promoting peace and security in
conflict and post-conflict situations and building sustainable criminal justice
institutions that provide equal access to justice for all individuals. »249
107. L’approche technique, incarnée ici par les indicateurs, vise ainsi à garantir une certaine
prévisibilité de l’action de l’ONU. Celle-ci permet, d’une part, de rassurer les donateurs et de
rendre possible un certain suivi de leur investissement250 et, d’autre part, de présenter une
action articulée, cohérente, évaluable et surtout encadrée aux décideurs politiques accueillant
un programme onusien de rétablissement de l’état de droit. Le besoin d’évaluation est donc lié
au mode de financement des actions onusiennes, dépendant pour une large partie des
donations volontaires, et à leur mode d’opération, basé sur le consentement de l’État. Plus
qu’un biais conceptuel ou opérationnel de l’ONU, la technocratisation de l’état de droit et de
la justice transitionnelle apparaît surtout comme une conséquence de la structure de
l’Organisation.
108. Enfin, les précautions prises par l’ONU dans la présentation des indicateurs de l’état de
droit permettent en partie de répondre à la dernière critique liée à la standardisation de son
action dans les domaines de l’état de droit et de la justice transitionnelle ainsi qu’a son
éloignement des préoccupations locales. « The usefulness of indicators lies in their
simplicity ; however, this is also a potential danger. Indicators can simplify complex
information to the point where it loses context and in fact masks important differences. »251
Les Nations Unies reconnaissent ici les limites de leur approche. De même, le Secrétaire
général notait dès 2004 que les Nations Unies doivent « apprendre aussi à éviter les solutions
toutes faites et l’importation de modèles étrangers, et à appuyer plutôt[leur] action sur des
évaluations nationales, la participation des acteurs nationaux et les besoins et aspirations
locaux. »252 Dans ce domaine également, le biais ne paraît donc pas être conceptuel. Un des
éléments d’explication se trouve probablement dans des défaillances opérationnelles. Le
Groupe de haut niveau chargé d’étudier les opérations de paix des Nations Unies a relevé en
2015 que, souvent, l’Organisation « est trop souvent à l’origine de mandats et de missions
249
Ibid., p. V.
ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle, op. cit., p. 493.
251
« The United Nations rule of law indicators », op. cit., p. 1.
252
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., p. 3.
250
75
standard plutôt que de stratégies politiques adaptées à chaque situation »253. Le problème de la
standardisation dépasse donc très largement la justice transitionnelle ou même l’état de droit
et concerne l’intégralité des efforts onusiens de maintien et de consolidation de la paix. L’une
des causes en serait la réflexion à court terme des représentants des États à l’ONU, incitant les
agents du maintien de la paix à fournir des résultats tangibles et rapides254.
109. L’autre cause de la standardisation de l’action onusienne est à chercher dans l’approche
légaliste que l’Organisation a adoptée de la justice transitionnelle, représentée notamment par
l’intégration de cette matière au sein de l’action pour l’état de droit. Plusieurs auteurs ont ainsi
noté que les attentes des populations locales étaient partiellement ignorées au profit de la
promotion indifférenciée des droits de l’Homme et des standards onusiens y relatifs255. Il est
certain que l’ONU, en théorie du moins, fait du respect des droits de l’Homme et des
standards qu’elle a développés la limite de son action. Le Secrétaire général affirme dans ce
sens que les mécanismes traditionnels ou/et informels de règlement des conflits doivent être
conformes aux standards internationaux256. Il faut tout de même reconnaître que l’ONU a fait
un effort d’intégration des mécanismes traditionnels de réconciliation et de justice dans son
action dans le domaine de la justice transitionnelle et que son recours régulier aux
consultations nationales257 vise à traduire de façon opérationnelle son rejet des formules trop
standardisées et éloignées des préoccupations locales. Une part importante des tâches
accomplies par les opérations de paix consiste d’ailleurs à favoriser le dialogue entre chefs
traditionnels et, à travers eux, au sein des différentes communautés258. À cet égard, le respect
253
AGNU, UN Doc. A/70/95-S/2015/446, Rapport du Groupe indépendant de haut niveau chargé d’étudier les
opérations de paix des Nations Unies intitulé « Unissons nos forces pour la paix : privilégions la politique, les
partenariats et l’action en faveur des populations », 17 juin 2015, § 35.
254
Voir CAPLAN (R.), POULIGNY (B), « Histoire et contradictions du state building », Critique
Internationale, vol. 28, n° 3, pp. 134-138. Vincent Chapaux et Nina Wilén identifient ce même facteur dans les
problèmes liés à la coopération entre les agents onusiens et les populations locales. Les délais trop courts des
mandats et leurs objectifs trop ambitieux, notamment compte tenu des moyens limités des missions, mènent les
agents onusiens à privilégier les contacts avec les élites de formation occidentale, plus habituées au
fonctionnement et au langage de ces agents. Voir CHAPAUX (V.), WILEN (N.), « Problems of local
participation and collaboration with the UN in a post-conflict environment : who are the ‘locals’ ? », Global
Society, vol. 25, n° 4, octobre 2011, pp. 531-548.
255
Voir par exemple SHAW (R.), WALDORF (L.), « Introduction : localizing transitional justice », in SHAW
(R.), WALDORF (L), dir., Localizing transitional justice. Interventions and priorities after mass violence,
Stanford University Press, Stanford, Californie, 2010, pp. 3-26 ; MAC EVOY (K.), « Beyond legalism », op. cit.,
p. 21.
256
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 36.
Voir également la critique de cette limitation in VIEILLE (S.), « Transitional justice : a colonizing field ? »,
op. cit., pp. 66-67.
257
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1, section 2.
258
Voir les actions de la Mission conjointe des Nations Unies et de l’Union Africaine au Darfour (MINUAD), de
la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT), de la Mission de
76
des standards onusiens par les mécanismes traditionnels s’applique essentiellement lorsque
ceux-ci développent ou mettent en œuvre des compétences de type juridictionnel. La position
du HCDH vis-à-vis des juridictions Gacaca au Rwanda est parfaitement représentative de
cette approche259. Enfin, il paraît étrange de reprocher à l’ONU de conditionner son assistance
au respect des standards qu’elle a elle-même adoptés. Bien que le légalisme de l’approche
onusienne de la justice transitionnelle puisse être critiquable, notamment en ce qu’elle limite
l’adaptabilité de cette justice aux demandes locales, le respect des droits de l’Homme qu’elle
implique représente une garantie importante de l’intégrité des politiques de justice
transitionnelle. Elle réduit en effet le risque que ces politiques soient détournées dans le but de
consacrer l’impunité au nom de la réconciliation, ou encore de mener des politiques de
purges, de discriminations ou de mise à l’écart d’opposants politiques sous couvert de la lutte
contre l’impunité.
§2/La relation ambiguë de la justice transitionnelle à la restauration de
l’état de droit
110. La justice transitionnelle entretient une relation ambiguë avec l’état de droit. Censée
participer à son rétablissement en réaffirmant ses principes, elle en constitue souvent une
entorse, en contournant certains de ces mêmes principes, tels que la non rétroactivité de la loi
pénale, le principe de légalité des délits et des peines ou encore le droit d’accès à la justice.
Ces éléments sont tous inhérents à la justice transitionnelle et représentent une ambiguïté qui
peut être qualifiée de fondamentale entre cette justice et l’état de droit (A). Une autre forme
d’ambiguïté est propre à l’implication onusienne dans la justice transitionnelle. En effet, cette
dernière s’est en partie construite à l’initiative de la société civile et contre les autorités
étatiques. Pensons aux grands-mères de la Place de mai, en Argentine, qui ont longtemps
dénoncé l’inertie des gouvernements successifs dans la recherche des personnes victimes de
disparitions forcées. Ce contrôle de la société civile sur la justice transitionnelle est
également, dans une certaine mesure, inhérent à cette justice. Or, l’ONU, en tant
qu’organisation intergouvernementale agissant sur consentement de l’État, paraît peu adaptée
à une action nécessitant parfois de s’appuyer sur la société civile pour contourner des
l’Organisation des Nations Unies en RDC (MONUSCO), de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud
(MINUSS) et de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies au Mali (MINUSMA), répertoriées
en Annexe II, opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
259
Sur la position vis-à-vis des mécanismes traditionnels et des Gacaca plus particulièrement, voir infra, partie 2,
titre 1, chapitre 1, section II, § 1.
77
réticences étatiques. C’est pourtant bien ce que font les acteurs onusiens, révélant une
ambiguïté propre à l’Organisation (B).
A) Une ambiguïté fondamentale : l’état de droit et la transition
111. La justice transitionnelle traite de crimes exceptionnels. Elle s’instaure également dans
des périodes tout aussi exceptionnelles, en sortie de conflit ou de gouvernance autoritaire.
« La justice transitionnelle constitue à elle seule un compromis dans la mesure où elle part du
constat que la justice ordinaire (pénale et civile) est impossible à mettre en œuvre »260. La
question qui se pose alors est celle de la compatibilité de la justice transitionnelle et de l’état
de droit, alors que ce dernier est censé représenter la stabilité de l’État et le respect scrupuleux
à la fois du principe de légalité et d’un certain nombre de droits261.
112. La question a été posée par plusieurs auteurs, et deux conceptions émergent des
réflexions qu’ils ont conduites. Une première approche consiste à considérer que la justice
transitionnelle se développe dans un état de droit lui-même transitionnel262. Les nécessités de
la transition – qu’elles soient envisagées du point de vue de la recherche de la paix ou de celui
d’une nécessaire lutte contre l’impunité263 – justifieraient ainsi un certain assouplissement des
normes de l’état de droit, tels la non rétroactivité de la loi pénale, le droit au recours
(notamment en cas d’adoption d’amnisties), l’inamovibilité des juges ou encore le principe de
légalité des délits et des peines (nullum crimen nulla poena sine lege). La défaillance parfois
absolue des institutions judiciaires et pénitentiaires nationales peut ne pas permettre le
jugement de tous les individus ayant commis des délits ou des crimes durant la période de
crise ou de conflit. De même, l’exigence de ne pas laisser à des postes sensibles (police,
armée ou magistrature par exemple) des individus dont le comportement durant la période de
crise note une éthique non conforme aux normes du nouvel état de droit peut justifier des
programmes de lustration dont les procédures ne respecteraient que de façon approximative la
présomption d’innocence. Une deuxième approche rejette ce qu’on pourrait appeler
260
PHILIPPE (X.), « La justice transitionnelle est-elle compatible avec les principes constitutionnels reconnus
dans un nouvel État de droit ? », 8e Congrès mondial de l’association international de droit constitutionnel,
Mexico, décembre 2010, en ligne, p. 4.
261
Voir supra, § 1.
262
Voir notamment TEITEL (R.), Transitional justice, op. cit., pp. 11-26 ; TURGIS (N.), La justice
transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 222-309 ; McAULIFFE (P.), Transitional justice and rule of
law reconstruction. A contentious relationship, Routledge, Londres, New York, 2013, pp. 99-107.
263
Dans son rapport final sur la [question] de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme (civils
et politiques), Louis Joinet répertorie les « [mesures] restrictives justifiées par la lutte contre l’impunité ». Voir
« Principes Joinet », op. cit., p. 8.
78
l’exception d’exceptionnalité de la justice transitionnelle. Eric Posner et Adrian Vermeule
envisagent la justice transitionnelle comme une justice ordinaire (« ordinary justice ») dont la
seule particularité serait l’échelle des crimes commis264. Partant, elle se doit de respecter les
règles de l’état de droit comme n’importe quel mécanisme de justice.
113. L’ONU emprunte à ces deux approches. Le Secrétaire général, à l’instar du HCDH,
reconnaît le caractère exceptionnel de la justice transitionnelle265 et semble l’envisager
comme un moyen de rétablir l’état de droit. Il y a là une nuance importante, dans la mesure où
la justice transitionnelle n’évolue donc pas dans un contexte d’état de droit rétabli, mais bien
en construction. Si les mécanismes de cette justice sont censés favoriser le rétablissement de
l’état de droit, il n’est pas dit que l’exemplarité soit leur meilleure arme ou qu’elle représente
une limite absolue à leur fonctionnement. Un tel discours serait d’ailleurs, de façon flagrante,
en porte-à-faux avec bon nombre de modalités d’action de l’ONU, telles les administrations
transitoires qui, dans un but de restauration de l’état de droit, opèrent une confusion des
pouvoirs entre les mains du Représentant spécial du Secrétaire général266. La réalité de cette
approche relativement souple de l’application de l’état de droit à la justice transitionnelle est
pourtant rejetée par le Rapporteur spécial de l’ONU sur la justice transitionnelle. Celui-ci
considère que « [pour] contribuer au renforcement de l’état de droit, toutes les mesures de
justice transitionnelle doivent être conçues, mises en place et exécutées dans le respect de
l’état de droit et de tous ses principes, à commencer par les garanties du procès équitable »267.
114. La position onusienne telle qu’envisagée par le Rapporteur spécial présente en réalité un
certain degré de superficialité que le Rapporteur masque en n’envisageant que les aspects
procéduraux de l’état de droit. Il est en effet envisageable de s’assurer que les mécanismes de
justice transitionnelle respectent les principes fondamentaux de l’état de droit tels le droit au
recours (pour les procès et les programmes de lustration notamment), la présomption
d’innocence, le principe de légalité, etc.268 Il faut tout de même noter que même cette version
procédurale de l’état de droit présente parfois des difficultés extrêmes, notamment lorsque la
264
POSNER (E. A.), VERMEULE (A.), « Transitional justice as ordinary justice », Harvard Law Review,
vol. 117, 2004, pp. 762-825.
265
Pour la position du Secrétaire général, voir SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations
approach to transitional justice », mars 2010, p. 6. Pour celle du HCDH, voir HCDH, « “UN Approach to
Transitional Justice” Dialogue with Member States on rule of law at the international level organized by the Rule
of Law Unit. Address by Ms. Navanethem Pillay United Nations High Commissioner for Human Rights », 2
décembre 2009, pp. 2-3.
266
Sur ce point, voir infra, partie 2, titre II, chapitre 2, section I.
267
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/67/368, op. cit., § 68.
268
Pour une analyse des principes fondamentaux de l’état de droit tels qu’envisagés par l’ONU, voir MORIN (J.Y.), « L’État de droit : émergence d’un principe du droit international », RCADI, vol. 254, 1995, pp. 364-433.
79
détermination même du droit interne applicable s’avère quasi-impossible, du fait notamment
de l’indisponibilité des textes. Au Timor, l’ATNUTO a dû appliquer le droit indonésien,
c’est-à-dire celui établi par une puissance lors de son occupation illégale du territoire timorais,
y compris contre l’avis de certains magistrats des Panels spéciaux269. Afin de résoudre les
problèmes liés aux carences du droit interne pré-transitionnel, notamment en matière de
garanties procédurales ou encore d’absence de certaines incriminations, le Rapporteur spécial
fait appel au droit international, chargé d’incarner une certaine continuité de l’état de droit,
malgré sa violation par les gouvernements antérieurs270. Cette méthode peut s’avérer efficace,
certains comportements non visés par les droits pénaux internes pouvant en effet faire l’objet
d’une qualification en droit international271, qui serait dès lors applicable à l’État. Elle ne
résout pourtant pas le problème. Dans le cas d’un État connaissant un régime moniste, le droit
international serait effectivement applicable et aucun problème de qualification des crimes
internationaux ne se poserait, sous réserve que les agissements soient survenus après la
ratification des actes conventionnels ou la cristallisation coutumière de l’incrimination. Dans
le cas d’un État connaissant un système dualiste, soit la transposition en droit interne a été
effectuée et aucun problème ne se pose, soit elle n’a pas été effectuée et faire appel au droit
international représente une entorse à l’état de droit. Il faut également noter que tous les
systèmes judiciaires, y compris au sein des systèmes monistes, n’appliquent pas de façon
directe les normes internationales coutumières. Dans ce cas, le respect scrupuleux de l’état de
droit signifierait d’accepter de se limiter à l’engagement de la responsabilité internationale de
l’État pour défaut de transposition.
115. Quand bien même les complexités liées au volet procédural de l’état de droit ne se
matérialiseraient pas, les mécanismes de justice transitionnelle ne sauraient respecter de façon
absolue son volet substantiel. Comme il a déjà été dit, c’est pourtant bien une approche
substantielle de l’état de droit qui est promue par l’ONU272. Cette approche impliquerait que
tous ceux qui ont été victimes de violations des droits de l’Homme puissent avoir accès à la
justice et obtenir réparation. Or, en dehors du cas spécifique des crimes internationaux,
269
Voir sur cette question le commentaire de André Klip à propos de l’arrêt de la chambre d’appel des Panels
spéciaux, dans l’affaire Le procureur c. Armando dos Santos, rendu le 15 juillet 2003. KLIP (A.), SLUITER
(G.), dir., Annotated leading cases of international criminal tribunals. Timor Leste, the Special Panels for
serious crimes. 2003-2005, Intersentia, Cambridge, 2009, pp. 103-115 et pp. 172-176. Pour les difficultés
éprouvées par l’ATNUTO en ce qui concerne le droit applicable, voir STROHMEYER (H.), « Collapse and
reconstruction of a judicial system : the United Nations missions in Kosovo and East Timor », AJIL, vol. 95,
2001, pp. 50-60.
270
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/67/368, op. cit., § 69.
271
Le rapporteur spécial évoque les engagements internationaux de l’État et le jus cogens. Ibid.
272
Voir supra, § 1.
80
l’ONU soutient les amnisties, qui représentent le mécanisme de justice transitionnelle auquel
elle est le plus souvent associée au sein des accords de paix273. Une étude tendrait même à
montrer que l’implication de l’ONU dans une transition favoriserait l’adoption d’amnisties274.
Il serait de même illusoire d’envisager que chaque victime puisse obtenir une juste réparation
du préjudice qu’elle a subi durant des conflits parfois extrêmement longs.
116. Au vu des considérations développées ci-dessus, il semble que si la justice
transitionnelle peut être considérée comme favorisant le rétablissement de l’état de droit,
celui-ci ne peut lui être appliqué de façon absolue. Il ne faut cependant pas nécessairement
voir dans cette particularité un paradoxe. Si l’état de droit était suffisamment développé pour
se voir appliquer dans sa globalité à la justice transitionnelle, celle-ci n’aurait plus de raison
d’être, ou deviendrait effectivement la justice ordinaire envisagée par Eric Posner et Adrian
Vermeule. Nier le particularisme de la justice transitionnelle présenterait également le risque
de la faire sombrer dans le technocratisme, dont le caractère inapproprié a déjà été soulevé. Il
est toutefois justifié de chercher à limiter autant que possible les écarts entre les normes que la
justice transitionnelle vise à rétablir ou renforcer et celles qui lui sont applicables.
B) Une ambiguïté onusienne : l’encadrement de l’État par la société civile
117. La reconstruction de l’état de droit ne se limite pas à une reconstruction institutionnelle.
De même que la démocratisation suppose un effort pédagogique mené auprès des populations,
l’établissement de l’état de droit implique, dans l’approche onusienne tout du moins, une
capacité de la population à exercer un contrôle populaire sur le bon fonctionnement des
institutions. Ce contrôle nécessite l’existence d’une société civile organisée, capable
d’exprimer des revendications communes et de peser sur les institutions étatiques. La forme
même de l’action onusienne rend cette organisation de la société civile nécessaire, dans la
mesure où l’Organisation cherche à fonder son action sur les demandes locales. Si
l’organisation de consultations nationales sert cet objectif, les Nations Unies ont également
l’habitude de procéder par l’intermédiaire de conférences sur la justice transitionnelle,
auxquelles sont conviées les organisations de la société civile275. La formation de cette société
civile est donc un préalable nécessaire à la création de mécanismes de justice transitionnelle.
273
Voir Annexe I, accords de paix et justice transitionnelle et le graphique l’accompagnant.
Voir OLSEN (T. D.), PAYNE (L. A.), REITER (A. G.), Transitional justice in balance, op. cit., pp. 124-126.
275
Voir à ce sujet les actions des bureaux-pays du HCDH en Bosnie-Herzégovine, au Guatemala, au Kosovo, au
Népal et en Tunisie, Annexe V, Bureaux-pays du HCDH et justice transitionnelle. Voir également les actions des
274
81
118. Comme il vient d’être dit, les ONG ont, du point de vue de l’ONU, un double objectif.
En permettant d’articuler les demandes de la population, elles jouent un rôle d’incitation
auprès des acteurs chargés de la création des mécanismes de justice transitionnelle276. Une
fois ces mécanismes mis en œuvre, elles représentent une autorité de contrôle de leur bon
fonctionnement et du respect par les autorités étatiques de leurs engagements vis-à-vis de
l’opération de ces mécanismes277. Plusieurs problèmes émergent toutefois de l’application de
ces tâches des ONG, en lien avec l’action de l’ONU.
119. Il apparaît tout d’abord que les ONG soutenues par l’ONU peuvent ne refléter que de
façon imparfaite les aspirations de la population. En Sierra Léone, l’initiative de la
Commission vérité et réconciliation revient essentiellement à un groupe d’ONG agissant avec
le soutien de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mary Robinson278. Or, il a été noté
que cette initiative ne rencontrait qu’un soutien limité de la population, plus favorable à
l’oubli et au pardon qu’à une réconciliation basée sur la parole279. Le projet de commission
vérité n’aurait ainsi été que l’expression d’une minorité active. Bien qu’il soit difficile
d’évaluer la réalité et la fréquence de ce type de pratique par les acteurs onusiens, la
perception d’un biais dans la pratique onusienne a alimenté les critiques liées à une certaine
instrumentalisation des ONG par ces acteurs280.
missions politiques spéciales en Afghanistan, en Irak, au Népal, au Burundi et en Libye, Annexe III, Missions
politiques spéciales et justice transitionnelle. Enfin, voir les actions menées par les OMP au Kosovo et en RCA,
Annexe I, Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
276
Ce rôle existe d’ailleurs aussi bien auprès des autorités nationales qu’auprès de l’ONU lorsque cette dernière
prend en charge la création des mécanismes de justice transitionnelle. Il est ainsi connu que la commission vérité
timoraise, créée par l’ATNUTO, a été instituée sur la demande d’ONG locales. Voir HARPER (E.), « Delivering
justice in the wake of mass violence : new approaches to transitional justice », Journal of Conflict and Security
Law, vol. 10, n° 2, 2005, p. 156 ; BURGESS (P.), « Justice and reconciliation in East Timor. The relationship
between the commission for reception, truth and reconciliation and the courts », Criminal Law Forum, vol. 15,
n° 1-2, 2004, p. 143.
277
Le suivi de l’application des recommandations des commissions vérité est probablement l’aspect le plus
représentatif de cette tâche.
278
Cette initiative a été exprimée au sein d’un manifeste rédigé conjointement par des ONG locales et par la
HCDH, le « Human rights manifesto ». Voir CVR Sierra Léone, « Witness to truth », op. cit., vol. 2, p. 49.
279
Sur ce point, voir United States Institute for Peace, « Rethinking truth and reconciliation Commissions –
Lessons from Sierra Leone », Rapport spécial par Rosalind Shaw, février 2005, p. 4.
280
Sandrine Lefranc note le rôle des acteurs internationaux de construction de la paix dans le développement
d’ONG « opportunes » destinées à « faire face à la demande des bailleurs ». Voir LEFRANC (S.), « La
production de nouvelles techniques de pacification : la normalisation internationale des causes locales », in
EBERWEIN (W.-D.), SCHEMEIL (Y.), Normer le monde, L’Harmattan, Paris, 2009, p. 66. Béatrice Pouligny
évoque pour sa part une société civile réorganisée sur un modèle occidental et dont les préoccupations sont
parfois déconnectées des réalités locales. Voir POULIGNY (B.), « Civil society and post-conflict peacebuilding :
ambiguities of international programmes aimed at building ‘new’ societies », Security Dialogue, vol. 35, n° 4,
décembre 2005, pp. 498-500.
82
Il arrive ensuite que les ONG représentent un levier utilisé par l’ONU pour influencer
les choix des autorités étatiques. Ce fut le cas au Népal, où les autorités souhaitaient conférer
aux commissions vérité sur le point d’être créées le pouvoir de proposer des amnisties, y
compris pour des actes constitutifs de crimes internationaux281. L’équipe pays des Nations
Unies a rompu le dialogue avec le gouvernement pour se tourner intégralement vers la société
civile et les associations de victimes, soutenant l’abandon du pouvoir d’amnistie des
commissions282. Dans ce cas, les acteurs onusiens ont recours à la fonction de contrôle des
ONG pour assurer la conformité des choix étatiques aux standards onusiens. Ce mode
d’action peut toutefois paraître contestable de la part d’une organisation dont l’intervention se
fonde sur le consentement étatique. S’il est légitime pour l’ONU de ne pas conduire son
action avec les autorités étatiques comme seules interlocutrices, il est bien plus contestable de
les exclure complètement. Les critiques évoquées précédemment quant à la représentativité
discutable des ONG soutenues par les acteurs onusiens se trouvent renforcées lorsque ces
ONG deviennent les relais exclusifs de l’action onusienne dans un pays.
281
Voir ICTJ, « Navigating amnesty and reconciliation in Nepal’s Truth and Reconciliation Commission bill »,
novembre 2011, 7 p.
282
Voir DAVIDIAN (A.), KENNEY (E.), « The United Nations and transitional justice », op. cit., p. 199.
83
Chapitre 2. La construction d’un modèle holiste
de justice transitionnelle
120. Les notions de consolidation de la paix, d’état de droit et de sécurité humaine renvoient
toutes à une approche positive de la paix incarnée par l’interdépendance déjà décrite de la
paix, de la démocratie, de l’état de droit et du développement. Pour atteindre son objectif du
maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’ONU doit donc adopter une approche
holiste de la paix, c’est-à-dire intégrant tous les facteurs susceptibles de déstabiliser cette
dernière283. Cette vision holiste de la paix a été transposée à la justice transitionnelle. Ainsi le
Secrétaire général considérait dans son rapport 2004 que « [lorsqu’il] est nécessaire de mettre
en place des mécanismes transitoires, il convient d’adopter une démarche intégrée menant de
front les procès en matière pénale, les réparations, la recherche de la vérité, la réforme des
institutions, la sélection ou la révocation des fonctionnaires, ou combinant judicieusement ces
différents éléments. »284 Le Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle soutenait quant à
lui la nécessité d’une « mise en œuvre concomitante des quatre types de mesures relevant du
mandat »285 – ces quatre éléments étant la vérité, la justice, les réparations et les garanties de
non-répétition. Certains auteurs ont également vu dans la série de publications du HCDH sur
les instruments de l’état de droit une adhésion à une « holistic or integral approach to
transitional justice that includes prosecutions, truth commissions, and vetting »286.
121. Les approches évoquées ci-dessus abordent la justice transitionnelle du point de vue de
ses quatre composantes que sont la vérité, la justice, les réparations et les garanties de nonrépétition, envisagées soit comme des droits, soit au travers des mécanismes visant à les
garantir287. S’il est vrai que l’approche holiste se caractérise par l’affirmation d’une
interdépendance des composantes de la justice transitionnelle (Section I), elle ne s’y limite
pas.
283
ANDRIEU (K.), « Political liberalism after mass violence. John Rawls and a ‘theory’ of transitional justice »,
in BUCKLEY-ZISTEL (S.) et al., dir., Transitional justice theories, Routledge, Abingdon, New York, 2014,
p. 88.
284
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 26. Il
convient de souligner que la notion d’intégration est exprimée dans la version anglaise par le terme « holistic ».
285
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/21/46, op. cit., § 22.
286
SUBOTIĆ (J.), « Bargaining justice. A theory of transitional justice compliance », in BUCKLEY-ZISTEL
(S.) et al., dir., Transitional justice theories, Routledge, Abingdon, New York, 2014, p. 134.
287
Voir dans le même sens BORAINE (A. L.), « Transitional justice : a holistic interpretation », Journal of
International Affairs, vol. 60, n° 1, 2006, pp. 17-27.
84
122. L’approche holiste de la justice transitionnelle dépasse en effet l’interdépendance de la
vérité, de la justice, des réparations et des garanties de non-répétition pour aborder la portée
de chacun de ces piliers. Il s’agit alors d’aborder de façon globale, non plus la réponse
apportée aux conséquences des conflits, mais les causes des conflits elles-mêmes. Cette
approche de la justice transitionnelle vise alors à reconnaître « the underlying importance of
structural violence to any project of transition »288, impliquant que cette justice « expand to
incoporate social justice »289 dans le but de répondre a « a much broader range of harms »290.
Là où l’interdépendance évoquée plus tôt implique une systématisation de la justice
transitionnelle dans sa forme, cette dernière approche implique une expansion de son objet. La
question qui se pose alors est celle de la limite à cette expansion. En effet, « broadening the
scope of what we mean by transitional justice to encompass the building of a just as well as
peaceful society may make the effort so broad as to become meaningless »291. L’expansion de
la justice transitionnelle apparaît donc comme risquée (Section II).
Section I
L’interdépendance des composantes de la justice
transitionnelle
123. La justice transitionnelle s’est initialement déployée dans des contextes caractérisés par
l’adoption d’amnisties générales. Cette justice est alors considérée comme un palliatif à
l’indisponibilité de la justice pénale, et sa mise en œuvre est marquée par la perception d’une
opposition entre la paix et la justice292. L’évolution de la réflexion sur la justice transitionnelle
et de la pratique des organisations internationales a modifié cet état de fait. Le rejet des
amnisties couvrant les crimes internationaux par l’ONU en 1999, à l’occasion de la signature
de l’accord de paix de Lomé293, suivi de l’invalidation générale des amnisties par la Cour
288
TURNER (C.), « Transitional justice and critique », in BUCKLEY-ZISTEL (S.) et al., dir., Transitional
justice theories, Routledge, Abingdon, New York, 2014, p. 61.
289
Ibid.
290
Ibid.
291
ROHT-ARRIAZA (N.), « The new landscape of transitional justice », in MARIEZCURRENA (J.), ROHTARRIAZA (N.), Transitional justice in the twenty first century, beyond truth versus justice, Cambridge
University Press, New York, 2006, p. 2.
292
Voir HAZAN (P. ), « Les dilemmes de la justice transitionnelle », Mouvements, 2008/1, n° 53, pp. 41-47.
293
Voir la mention rajoutée par le Représentant spécial du Secrétaire général à sa signature de l’accord de Lomé,
précisant que l’ONU ne s’estime pas liée par l’amnistie en ce qu’elle recouvre les crimes internationaux. « Peace
agreement between the Government of Sierra Leone and the Revolutionary United Front (Lome peace
agreement) », Lomé, Togo, 7 juillet 1999.
85
interaméricaine des droits de l’homme294 ont permis le retour de la justice pénale dans les
contexte de post-conflit et sa réintégration à la justice transitionnelle.
Ce retour de la justice pénale dans les contextes de post-conflit a ainsi permis de
concrétiser l’approche déjà adoptée par Louis Joinet dans son rapport de 1997, et qui envisage
la lutte contre l’impunité de façon globale. Comme l’a exprimé quelques années plus tard le
Secrétaire général dans son rapport de 2004 : « [la] justice et la paix ne sont pas des objectifs
antagonistes; au contraire, convenablement mises en œuvre, elles se renforcent l’une l’autre.
La question n’est donc en aucun cas de savoir s’il convient de promouvoir la justice et
d’établir les responsabilités, mais bien de décider quand et comment le faire. »295
124. Le dépassement du dilemme paix contre justice a eu un double impact sur la justice
transitionnelle. D’un point de vue théorique, il a réhabilité l’approche fondée sur une
interdépendance des piliers de la justice transitionnelle (§ 1). De cette interdépendance a
rapidement émergé l’idée que les mécanismes de justice transitionnelle ne pouvaient,
individuellement, avoir qu’une « portée limitée »296. Il en découle, d’un point de vue
opérationnel, l’interdépendance des mécanismes de justice transitionnelle (§ 2).
§1/L’interdépendance des piliers de la justice transitionnelle
125. L’arrêt Velasquez Rodriguez de la Cour interaméricaine des droits de l’homme est
considéré comme présentant la première formulation des principes de la justice
transitionnelle. La Cour y affirme que
« [the] State has a legal duty to take reasonable steps to prevent human rights
violations and to use the means at its disposal to carry out a serious investigation
of violations committed within its jurisdiction, to identify those responsible, to
impose the appropriate punishment and to ensure the victim adequate
compensation. »297
294
Dans sa décision Barrios Altos c. Pérou, la CIADH a considéré que les amnisties étaient contraires à la
convention américaine relative aux droits de l’homme, position systématiquement réaffirmée depuis. Voir
CIADH, Barrios Altos v. Peru, séries C No. 83, 3 septembre 2001, §§ 41-44. Voir également l’une des plus
célèbre application de cette interdiction, car appliquée à une amnistie adoptée par référendum : CIADH, Gelman
c. Uruguay, fond et réparations, séries C No. 221, 24 février 2011.
295
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, § 21
296
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, A/HRC/21/46, op. cit., § 22.
297
CIADH, Velasquez-Rodriguez v. Honduras, séries C No.4, 29 juillet 1988, § 174. Voir également TURGIS
(N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 317-319.
86
De cette phrase ont été déduits les quatre piliers de la justice transitionnelle que Louis
Joinet a systématisé dans son rapport sur la « Question de l'impunité des auteurs des
violations des droits de l'homme »298. Ces piliers représentent le fondement théorique de la
justice transitionnelle onusienne. Bien qu’ayant chacun leur sens propre, ces quatre piliers – le
droit à la vérité (A), le droit à la justice (B), le droit à réparation (C) et les garanties de nonrépétition (D) – apparaissent fortement imbriqués.
A) Le droit à la vérité
126. Le droit à la vérité s’est initialement développé dans le contexte assez spécifique des
disparitions forcées. Ainsi, les résolutions adoptées par l’Assemblée générale entre 1978 et
1993 concernant cette pratique299 fondent, selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme,
la « base légale »300 de ce droit. Lui-même issu du droit international humanitaire301, le
principe selon lequel les familles des disparus possèdent un droit d’obtenir des informations
sur le sort de ces derniers a fait l’objet d’une grande attention de la part de l’ONU et des
ONG. Cet activisme a abouti à l’adoption de la déclaration, puis de la convention relatives à
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées302. Ces textes reflètent
l’intégration du droit à la vérité en droit international, puisque absent de la déclaration de
1992, il est expressément reconnu par la convention de 2006303. Cette origine du droit à la
vérité explique en partie la position adoptée par les acteurs onusiens quant à ce droit. En effet,
l’action pour la protection des personnes contre les disparitions forcées s’est développée
presque exclusivement dans les contextes latino-américain. La pratique étendue des
disparitions forcées par les dictatures latino-américaine a incité les institutions
interaméricaines de protection des droits de l’Homme à adopter une approche de précurseur
298
« Principes Joinet », op. cit.
Voir A/RES/33/173 (1978) ; A/RES/45/165 (1990) et A/RES/47/132 (1993).
300
HCDH, UN Doc. E/CN.4/2006/91, Étude sur le droit à la vérité. Rapport du Haut-Commissariat des Nations
Unies aux droits de l’homme, 8 février 2006 (ci-après HCDH, « étude sur le droit à la vérité »).
301
Le protocole additionnel aux Conventions de Genève sur la protection des victimes de conflits armés
internationaux s’attache ainsi, dans son article 32 au « droit qu'ont les familles de connaître le sort de leurs
membres ». Voir Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des
victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, art. 32.
302
A/RES/47/133 (1993), Déclaration pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, entrée en
vigueur le 23 décembre 2010, A/RES/61/177 (2006). Sur cette question voir notamment NAFTALI (P. ), La
construction du ‘droit à la vérité’ en droit international, thèse de doctorat, Bruylant, Bruxelles, 2017, pp. 285298.
303
Ibid., préambule et art. 24 (2) reconnaissant le droit des victimes « de savoir la vérité » sur le sort de leurs
parents.
299
87
dans ce domaine, s’écartant du droit international général pour créer un régime adapté au
contexte régional. Le rapprochement onusien de cette position s’explique en partie par
l’influence exercée par l’expert français Louis Joinet sur le développement du droit à la vérité
onusien. Cette position s’est en effet largement fondée sur le rapport de M. Joinet pour la lutte
contre l’impunité, lui-même inspiré de son expérience dans le domaine des disparitions
forcées, notamment en tant qu’expert ayant joué un rôle majeur dans l’adoption de la
déclaration de 1992304.
127. Le droit à la vérité s’est vu étendu à toutes les violations des droits de l’Homme à
travers les principes Joinet305, confirmés lors de leur mise à jour par l’experte Diane
Orentlicher306. Ce droit fait désormais partie intégrante du droit au recours pour les victimes
de violations des droits de l’Homme, correspondant, dans l’approche onusienne, à une
obligation de l’État d’enquêter sur les violations commises et de rendre publics les résultats de
ces enquêtes307. L’ONU a également intégré dans le droit à la vérité des obligations que l’on
pourrait qualifier de mémorielles et qui lient ce droit aux obligations des États en termes de
réparations et de garanties de non-répétition. Il comprendrait ainsi pour l’État une obligation
de préserver les archives liées aux violations commises et d’assurer que le public puisse y
avoir accès. Or, ces types de mesures rejoignent celles qui sont ordonnées par les institutions
interaméricaines de protection des droits de l’Homme au titre des garanties de non-répétition
que l’État se doit d’offrir aux victimes et à la société308.
128. Le droit à la vérité, ou en tout cas l’obligation pour l’État de déployer tous les moyens
en sa possession pour que la vérité sur les violations passées soit établie et diffusée, est
considéré comme constituant une réparation en soi. Il est abordé comme un moyen de
304
Voir DE FROUVILLE (O.), « La convention des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées : les enjeux juridiques d’une négociation exemplaire – Première partie : les
dispositions substantielles », Droits fondamentaux, n° 6, 2006, 92 p.
305
La Commission interaméricaine a suivi de près cette évolution en la consacrant dès l’affaire Ignacio Ellacuria
et al. c. Salvador. Voir Com inter-Am. D.H., Ignacio Ellacuria et al. c. Salvador, affaire 10.488, rapport
n°136/99, 22 décembre 1999, § 221.
306
ECOSOC, UN Doc. E/CN.4/2005/102/Add.1, 8 février 2005, Rapport de l’experte indépendante chargée de
mettre à jour l’Ensemble de principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher. Ensemble de principes
actualisé pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité, (ci-après
« principes Orentlicher »).
307
UN Doc. A/HRC/5/7, « Application de la résolution 60/251 de l’Assemblée générale du 15 mars intitulée
‘Conseil des droits de l’homme’. Le droit à la vérité. Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme », 7 juin 2007 (ci-après « rapport du HCDH sur le droit à la vérité, 2007 ») et « principes
Orentlicher », op. cit. Il faut noter ici que la Commission interaméricaine va plus loin que cette approche en
intégrant dans le droit à la vérité l’obligation d’identifier les responsables et de rendre les noms publics. Voir
Com.Inter-am.D.H., Carmelo Soria Espinoza c. Chili, affaire 11.725, rapport n°133/99, 19 novembre 1999,
§ 103.
308
Voir CIADH, Gelman c. Uruguay, fond et réparations, séries C No. 221, 24 février 2011, §§ 250-282.
88
soulager les familles et les victimes directes de l’oppression que représente pour eux
l’ignorance du sort de leurs proches et la négation des souffrances endurées, c'est-à-dire de
leurs statut même de victime.
129. Par le biais du droit à la vérité vu comme réparation, on voit poindre une des questions
majeures de la nature de ce droit, à savoir s’il constitue un droit individuel ou collectif. Si les
cas de disparitions forcées concernaient initialement essentiellement les familles des disparus,
elles-mêmes victimes directes du crime de disparition forcée309, leur commission dans le
cadre de politiques étatiques, aux côtés de nombreuses autres violations des droits de
l’Homme a incité les organes interaméricains et l’ONU à envisager le tort causé par ces
crimes à la société dans son ensemble, dont n’importe lequel de ses membres pourrait
demander réparation. Le HCDH, en accord avec la CIADH, reconnaît ainsi la dualité du droit
à la vérité, tout à la fois droit individuel et collectif310. L’approche collective de ce droit
dépasse cependant la définition classique de cette expression, dans la mesure où l’approche
transformatrice de la justice transitionnelle s’y trouve ancrée, visant à ce qu’une société ai le
droit de vivre dans un état de droit.
B) Le droit à la justice
130. Étant donné l’ancrage de la justice transitionnelle au sein de la lutte contre l’impunité et
son caractère victimo-centré, il était naturel que le droit à la justice en constitue un fondement.
Intimement lié au droit des victimes à réparation311, le droit à la justice onusien s’est
principalement développé au travers de deux séries de principes adoptés par les organes de
l‘Organisation. Développés et adoptés de façon parallèle, les « Principes fondamentaux et
directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes
du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international
humanitaire »312, finalisés par Cherif Bassiouni, et « l’Ensemble de principes pour la protection
309
Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, op. cit., art. 24 (1).
Voir HCDH, « étude sur le droit à la vérité » et « principes Orentlicher », op. cit.
311
AMBOS (K.), « The legal framework of transitional justice », op. cit., p. 30 ; TURGIS (N.), La justice
transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 323-325.
312
A/RES/60/147 (2006), « Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation
des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit
international humanitaire. Pour une analyse approfondie de ces principes et de l’historique de leur création voir :
D’ARGENT (P. ), « Le droit de la responsabilité internationale complété ? Examen des Principes fondamentaux
et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit
international des droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire », AFDI, vol. 51,
2005, pp. 27-55.
310
89
et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité » de Louis Joinet, incarnent
aujourd’hui la position onusienne vis-à-vis du droit à la justice. Il faut d’ores et déjà noter que ces
principes n’ont de valeur obligatoire qu’en ce qu’ils reprennent des normes coutumières.
131. Cette position reflète parfaitement la dualité du droit à la justice, comportant
l’obligation pour les États de poursuivre les violations des droits de l’Homme et le droit au
recours des victimes313. Elle reflète également l’attachement de la justice transitionnelle
onusienne, à travers la lutte contre l’impunité, à la place des victimes et à la centralité de la
justice dans la réconciliation et la transition vers l’état de droit314. Il en découle que ces
principes, au-delà de la confirmation des règles de droit international concernant le droit au
recours, adoptent une position résolument novatrice, relevant le plus souvent de la lege
feranda315. Ainsi si le droit des victimes à un recours effectif est bien ancré en droit
international316, la possibilité pour celles-ci de participer au procès, notamment en se
constituant partie civile, relève plus de la recommandation que du droit317. Il faut toutefois
noter à cet égard que la justice internationale pénale s’achemine progressivement vers une
plus grande implication des victimes dans le procès318. D’autres mesures telles que la
possibilité de procès in abstentia, l’inamovibilité des juges, l’encadrement strict des mesures
de repentir ainsi que de l’asile ou encore la limitation du recours aux tribunaux militaires
montrent que le droit à la justice onusien concerne non seulement l’accès des victimes à la
justice mais également la bonne administration de la justice. On retrouve ainsi à travers le
droit à la justice le caractère global de l’approche onusienne et sa tendance transformatrice,
présente dans tous les aspects de la justice transitionnelle.
313
L’obligation pour les États de poursuivre les violations des droits de l’Homme et le droit au recours des
victimes constituent respectivement les premier et deuxième alinéas du principe général sur le droit à la justice
tel que présenté par Louis Joinet et Diane Orentlicher. Voir « principes Orentlicher », op. cit., principe 19.
314
Louis Joinet écrivait ainsi « qu’il n’est pas de réconciliation juste et durable sans que soit apportée une
réponse effective au besoin de justice ». Voir « principes Joinet », op. cit., § 26.
315
Les remarques de Pierre D’Argent sont, à cet égard, applicables aux principes de Louis Joinet et de Diane
Orentlicher. Voir D’ARGENT (P.), « Le droit de la responsabilité internationale complété ? », op. cit., pp. 34-36.
316
C’est ce dont témoigne la formulation affirmative, représentant la formulation d’une obligation préexistante
en droit international, adoptée par les principes fondamentaux sur le droit au recours sur ce sujet. Ibidem, p. 36 et
A/RES/60/147, op. cit., principe VII. 12.
317
« Principes Joinet », op. cit., principe 18 al. 2. et « principes Orentlicher », op. cit., principe 19 al. 2.
318
Les CETC permettent ainsi la constitution de partie civile pour les victimes concernées. Le TSL reprend pour
sa part la formulation du statut de Rome concernant la participation des victimes, à savoir que « [lorsque] les
intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées
et examinées, à des stades de la procédure qu’elle estime appropriés et d’une manière qui n'est ni préjudiciable ni
contraire aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial. ». Statut de Rome, op. cit.,
art. 68. 3. Cette dernière reste cependant l’unique juridiction pénale internationale à prévoir des réparations pour
les victimes. Voir également CETC, règlement intérieur, règles 23 et s. ; S/RES/1757 (2007), annexe, Statut du
Tribunal Spécial pour le Liban, art. 17 (ci-après « statut du TSL »).
90
C) Le droit à réparation
132. Le droit à réparation occupe une place particulière au sein de la justice transitionnelle
onusienne. Comme le note le Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, les réparations
sont « les seules [mesures] destinées à profiter directement aux victimes »319. La délimitation
du droit à réparation est toutefois extrêmement complexe, tant il est changeant. Son principe
fondateur est pourtant d’une grande simplicité. Louis Joinet le résume ainsi : « [toute]
violation d'un droit de l'homme fait naître un droit à réparation en faveur de la victime ou de
ses ayants droit qui implique, à la charge de l'Etat, le devoir de réparer et la faculté de se
retourner contre l’auteur. »320 La complexité d’assurer l’effectivité de ce droit dans les
contextes de transition, du fait du nombre élevé de victimes, de la nature des crimes commis
et des capacités souvent limitées des États concernés, a mené à une extension quasi-illimitée
du droit à réparation au travers de ses modalités d’application.
133. Dans leurs rapports, Theo Van Boven et Louis Joinet ont divisé ces modalités en deux
catégories, la première attachée aux réparations individuelles et la deuxième aux réparations
collectives. Les modalités prévues pour la dimension individuelle des réparations sont
l’indemnisation, la restitution et la réadaptation321. Les réparations collectives s’effectuent,
pour leur part, essentiellement sous les formes de la satisfaction et des garanties de nonrépétition322. Il faut toutefois noter que Louis Joinet entretient une ambiguïté concernant les
garanties de non-répétition, dans la mesure où celles-ci sont traitées, dans les principes, à part
des réparations mais y sont intégrées dans le rapport précédant les principes en eux-mêmes323.
Enfin, les « principes fondamentaux » adoptés par l’Assemblée générale abandonnent
formellement la distinction entre réparations individuelles et collectives, tout en conservant
les cinq modes prévus par les principes Van Boven et Joinet324.
319
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/69/518, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 14 octobre 2014, § 10.
320
« Principes Joinet, op. cit., principe 33.
321
Voir ECOSOC, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1996/17, L'administration de la justice et les droits de l'homme des
détenus. Ensemble révisé de principes fondamentaux et de directives concernant le droit à réparation des
victimes de violations flagrantes des droits de l'homme et du droit humanitaire, établi par M. Theo van Boven en
application de la décision 1995/117 de la Sous-Commission, 24 mai 1996 (principes Van Boven), §§ 12-14 ;
« principes Joinet », op. cit., § 41.
322
Ibid., respectivement § 15 et §§ 42-43 et principe 36.
323
Ibid.
324
A/RES/60/147 (2006), op. cit., §§ 18-23.
91
134. Même si l’on excepte les garanties de non-répétition – généralement considérées de
façon autonomes dans le cadre de la justice transitionnelle onusienne325 –les réparations telles
qu’envisagées par les « principes fondamentaux » « recoupent le principe général [(« holistic
notion »)] de justice transitionnelle qui a été adopté par le système des Nations unies »326. Les
modalités de réparation dépassent en effet très largement le droit international de la
responsabilité dont elles sont inspirées327. Si l’ajout de la réadaptation est sans grande
conséquence, tant cette modalité s’apparente « à une forme particulière de restitution »328, la
notion de satisfaction connaît une évolution conséquente. Tout d’abord, elle est considérée
comme un mode de réparation par défaut dans le droit international de la responsabilité329,
approche abandonnée tant par les « principes fondamentaux »330 que par les acteurs onusiens.
Le HCDH considère même qu’il « est obligatoire de prévoir ces cinq types de mesures »331
(c’est-à-dire l’indemnisation, la restitution, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de
non-répétition). Ensuite, la transposition de la satisfaction du droit international de la
responsabilité au droit international des droits de l’Homme – impliquant en l’occurrence la
substitution, comme récipiendaire, de l’individu à l’État – a élargi le spectre des mesures que
ce mode de réparation comprend. En y incluant des mesures telles que la « [vérification] des
faits et [la] divulgation complète et publique de la vérité »332, les « [décisions] de justice
rétablissant la victime et les personnes qui ont un lien étroit avec elle dans leur dignité, leur
réputation et leurs droits »333 ou encore les « [sanctions] judiciaires et administratives à
l’encontre des personnes responsables des violations »334, les « principes fondamentaux »
créent un lien évident entre le droit à réparation, le droit à la vérité et le droit à la justice. Le
rapprochement de la satisfaction et des garanties de non-répétition rend d’ailleurs
325
Voir infra, D).
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/69/518, op. cit., § 20. Le même constat est
effectué dans la publication du HCDH portant sur les réparations. Ceci est toutefois naturel dans la mesure où la
publication en question a été rédigée par Pablo de Greiff avant qu’il ne soit nommé Rapporteur spécial sur la
justice transitionnelle. Voir HCDH, HR/PUB/08/1, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant
d’un conflit. Programmes de réparation », 2008, p. 11.
327
Voir infra, titre 2, chapitre 1.
328
D’ARGENT (P. ), « Le droit de la responsabilité internationale complété ? », op. cit., p. 52.
329
La Commission du droit international (CDI) précise dans son projet d’article sur la responsabilité des États
qu’un dommage peut être réparé par la satisfaction « dans la mesure où il ne peut pas être réparé par la restitution
ou l’indemnisation ». CDI, UN Doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), Projet d’articles sur la responsabilité
de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, 2001, art. 37. 1.
330
A/RES/60/147 (2006), op. cit.,§ 18.
331
HCDH, HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit., p. 11.
332
A/RES/60/147 (2006), op. cit., § 22 b).
333
Ibid., § 22 d).
334
Ibid. § 22 f).
326
92
l’autonomisation de ces dernières au sein de la justice transitionnelle onusienne en grande
partie illusoire335.
135. L’étendue du droit à réparation tel qu’envisagé par les « principes fondamentaux »
consacre une approche des réparations au diapason de l’approche onusienne de la justice
transitionnelle. Le droit à réparation incarne même, à lui seul, la vision holiste de cette justice.
Cette particularité présente toutefois des problèmes d’un point de vue opérationnel. Notant
que « the five categories go well beyond the mandate of any reparation programme to
date »336, le Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle a préféré adopter une approche
plus restrictive des réparations, ne désignant que « the set of measures that can be
implemented in order to provide benefits to victims directly. »337 On devine derrière cette
délimitation relativement floue un retour aux trois modalités de réparation initialement
envisagées pour les réparations individuelles.
D) Les garanties de non-répétition
136. Les garanties de non-répétition font partie de ce que l’on pourrait appeler « la structure
normative de la justice transitionnelle »338. Leur place au sein de cette structure est pourtant
variable, étant considérée alternativement comme une obligation à part entière ou comme une
forme de réparation. Cette dernière approche est celle qui a été choisie pour les « Principes
fondamentaux »339. Ce choix est tout à la fois contestable et révélateur de la visée
transformatrice des réparations comprises au sein de la justice transitionnelle onusienne.
137. Le placement des garanties de non-répétition en tant que réparation est contestable en ce
qu’elles ne visent pas à « effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui
aurait vraisemblablement existé si [l’acte] n’avait pas été commis », selon la célèbre
expression de la Cour permanente de justice internationale (CPJI)340. En effet, constituées par
335
Voir D’ARGENT (P. ), « Le droit de la responsabilité internationale complété ? », op. cit., p. 52.
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/69/518, op. cit., § 21.
337
Ibid.
338
Expression empruntée à TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., p. 317. On
retrouve d’ailleurs ces garanties de non-répétition dans la dénomination officielle du rapporteur spécial de
l’ONU sur la justice transitionnelle aux côtés de la vérité, de la justice et des réparations. Voir A/HRC/RES/18/7,
Special Rapporteur on the promotion of truth, justice, reparation and guarantees of non-recurrence, 13 octobre
2011. Ces garanties sont également inclues dans les piliers Joinet, fondement essentiel de cette structure
normative. Voir « principes Joinet », op. cit., § 43.
339
A/RES/60/147, op. cit., § 18.
336
340
CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt, Série A, n° 17, 13 septembre 1928, p. 47.
93
des mesures telles que le contrôle des forces armées, l’indépendance du pouvoir judiciaire ou
encore la résolution des conflits sociaux341, les garanties de non-répétition présentent un
caractère préventif, c’est-à-dire tourné vers l’avenir et non vers la réparation d’une violation
passée342. La pratique onusienne de la justice transitionnelle tend à envisager ces garanties de
façon autonome. Le mandat du Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle confirme cette
approche dans la mesure où il inclut les réparations et les garanties de non-répétition,
indiquant que celles-ci sont distinctes de celles-là.
138. Les garanties de non-répétition sont également révélatrices du caractère transformateur
des réparations telles qu’envisagées par la justice transitionnelle343. Le parallèle avec leur
visée dans le régime de la responsabilité internationale des États est parlant à cet égard. Elles
ambitionnent dans ce cas à « rétablir la confiance dans une relation continue »344 par la
fourniture d’assurances du respect futur des obligations liant l’État responsable et l’État lésé.
La notion de « confiance » est d’une particulière importance ici dans la mesure où, si elle
implique dans le cadre de la responsabilité internationale de l’État la simple assurance du
respect futur des obligations internationales liant l’État responsable et l’État lésé, sa portée
s’accroit lorsque transposée dans le cadre interne. En effet, évoquer la confiance entre un
peuple et son État, c'est-à-dire ses institutions étatiques, revient à lier la question des
réparations avec celles de la bonne gouvernance. On retrouve ici le discours lié à la
réconciliation nationale envisagée comme la réconciliation de la population avec l’appareil
étatique345. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme aborde d’ailleurs les réparations
341
A/RES/60/147, op. cit., § 23. Notons à cet égard que le contenu des garanties de non-répétition est légèrement
différent dans la définition adoptée dans le cadre des Principes pour la protection et la promotion des droits de
l’homme par la lutte contre l’impunité de L. Joinet et D. Orentlicher. Ceux-ci incluent dans ces garanties la
réforme des institutions de l’État, la dissolution et la réintégration des groupes armés ainsi que la réforme des
lois et institutions contribuant à l’impunité. Voir « principes Orentlicher », op. cit., principes 36 à 38.
342
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les garanties de non-répétition ont été exclues des formes de réparation
dans la version finale du projet d’article de la CDI sur la responsabilité internationale de l’État. Voir
D’ARGENT (P. ), « Les réparations de guerre en droit international public. », op. cit., pp. 677-680. Le Secrétaire
général de l’ONU a également adopté cette approche en rattachant les garanties de non-répétition à une « duty of
prevention ». Voir SGNU, « Guidance note of the Secretary-General. United Nations approach to transitional
justice », op. cit., p. 4. Le commentaire de la CDI sur ce point révèle cette particularité en notant que, concernant
les garanties de non-répétition « l’accent est mis sur le respect futur d’une obligation et non pas sur sa violation
passée ». CDI, UN Doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), Projet d’articles sur la responsabilité de l’État
pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, 2001, op. cit., § 11.
343
Voir à cet égard GUTTIERREZ RAMIREZ (L.-M.), « Les réparations ‘transformatrices’ – Une nouvelle
approche des réparations dans la justice transitionnelle », Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 98,
2014, pp. 430-434.
344
Ibidem, p. 237.
345
Diane Orentlicher parle à cet égard « de rétablir ou instaurer la confiance de la population dans ses
institutions publiques » par le biais des garanties de non-répétition. Voir « principes Orentlicher », op. cit.,
principe 35.
94
comme constituant « a call for the state to be moral, integrative and human. Politics and
legality is necessary but healing, recovering, humanizing and reconciliation is at the heart of
a reparations program and policy. »346
139. À travers leur caractère transformateur et leur absence de délimitation claire, les
garanties de non-répétition représentent une ouverture quasi-illimitée de la justice
transitionnelle. L’ambition transformatrice des droits à la justice, à la vérité et à réparation est
tournée vers le passé. Par l’application de ces droits, les autorités de la transition ou de la
post-transition montrent qu’elles souhaitent rompre avec les pratiques passées en
reconnaissant leurs effets et en effaçant, tant que faire se peut, les préjudices qu’elles ont
causé. Les garanties de non-répétition dépassent cet aspect symbolique en concrétisant
l’engagement des autorités par le biais de changements structurels au sein de l’État. L’étendue
de ces changements n’est alors plus fonction des violations passées mais plutôt des aspirations
politiques en termes de bonne gouvernance.
140. Les piliers de la justice transitionnelle présentent bien une interdépendance théorique. Il
peut être considéré que les interconnexions entre ces droits confèrent à la justice
transitionnelle une certaine cohérence. Toutefois, cette cohérence peut être mise en danger par
une extension parfois illimitée de la portée de ces piliers. C’est alors par le biais de ses
mécanismes que la justice transitionnelle peut retrouver une délimitation nécessaire. Leur
interdépendance représente alors la continuité de celle des piliers et joue le même rôle en
faveur d’une approche cohérente et holiste de la justice transitionnelle.
346
Fonds de consolidation de la paix (FCP), Projet PBF-NPL-E-1, « Fairness and efficiency in reparations to
conflict affected persons », tous les projets du FCP sont disponible sur le site qui lui est dédié :
http://www.unpbf.org.
95
§2/L’interdépendance des mécanismes de justice transitionnelle
141. Les prémices de l’action onusienne dans le domaine de la justice transitionnelle sont
moins marquées par une volonté d’appliquer une doctrine de cette justice, d’ailleurs encore
inexistante, que de réagir au mieux aux défis novateurs proposés par la sortie de conflits
internes. Dans le même temps, la réflexion sur les transitions347 et la « troisième vague »348 de
démocratisations se développent et des « recettes »349 de transition réussie commencent à voir
le jour, au sein desquelles les mécanismes de justice transitionnelle occupent une place
importante. C’est dans ce contexte que l’ONU a entamé une réflexion sur la réforme du
maintien de la paix, à l’initiative de son Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali. Cette
réforme connaîtra son apogée, en termes de justice transitionnelle, sous l’administration de
Kofi Annan dans les années 2000. C’est ainsi que l’action de l’ONU, initialement focalisée
sur la réponse, par le biais de mécanismes créés de façon ponctuelle pour répondre à des
problèmes d’ordre pratique (A), a progressivement évolué vers l’application de stratégies
globales de justice transitionnelle (B).
A) La vision initiale de mécanismes ponctuels
L’absence de doctrine concernant la justice transitionnelle ainsi que de recul suffisant
quant aux expériences passées a fortement impacté les débuts de l’action de l’ONU dans ce
domaine. Il en est résulté une implication profondément conditionnée par les contraintes
contextuelles (1). De l’adaptation à ces contraintes a émergé une action bien plus réactive que
proactive (2).
347
Voir ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle. op. cit., pp. 24-29. L’ouvrage référence de Neil Kritz est
ainsi publié en 1995. Voir KRITZ (N.), Transitional justice. op. cit.
348
HUNTINGTON (S.), The third wave, op. cit. Cet ouvrage traite d’ailleurs des choix effectués par les sociétés
en transition concernant le traitement des crimes du passé, en opposant celui de « prosecute and punish » à celui
de « forgive and forget ». Ibid. pp. 211-231.
349
ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle, op. cit., p. 28.
96
1. Les contraintes contextuelles de l’action initiale onusienne
142. Durant la décennie quatre-vingt-dix, la justice transitionnelle a essentiellement été
considérée comme une solution « par défaut »350, c'est-à-dire comme palliatif à la défaillance
du système judiciaire. Cette défaillance pouvait être due au trop grand nombre de victimes et
d’inculpés potentiels, comme dans le cas de la Sierra Léone, ou encore au contexte politique
et militaire, rendant des procès trop risqués pour la sécurité nationale, comme ce fut le cas au
Salvador et au Guatemala. Moins définie dans ses modalités de fonctionnement et moins
contraignante dans ses sanctions, la justice transitionnelle représentait alors une « boîte à
outil »351 plus adaptable aux contextes nationaux que l’organisation de procès pénaux. En ce
sens, elle apparaissait comme assurant l’équilibre entre le réalisme politique et le traitement
des crimes passés.
143. Cette caractéristique de la justice transitionnelle s’oppose, initialement du moins, à la
construction d’une idéologie globalisée de la transition et du traitement des crimes passés.
Puisque « [what] is fair and just in extraordinary political circumstances was to be
determined from the transitional position itself »352 et que les piliers de la justice
transitionnelle n’étaient fixés ni normativement, ni idéologiquement, la création de
mécanismes de justice transitionnelle ne pouvait pas s’inscrire dans une stratégie globale.
Cette justice était alors maniée de façon plus réactive que proactive. La nouvelle « doxa »353
initiée par l’immense influence de la Commission vérité et réconciliation sud africaine et
recréant autour de ces commissions un idéal de justice, a pu nuancer ce constat au cours de la
deuxième moitié des années quatre-vingt-dix. Les commissions vérité sont alors
progressivement apparues non comme une réaction à l’impossibilité ou la non pertinence de
procès pénaux mais comme une forme alternative de justice, construite sur le modèle de la
justice restauratrice.
350
HAZAN (P.), Juger la guerre juger l’histoire, op. cit., p. 49.
BRISSET-FOUCAULT (F.), GANDAIS-RIOLLET (N.), LIPIETZ (A.) et NICOLAÏDIS (D.), « Vérité,
justice, réconciliation ou comment concilier l’inconciliable », Mouvements, 2008/1, n° 53, p. 11.
352
TEITEL (R.), « Transitional justice genealogy », Harvard Human Rights Journal, vol. 16, 2003, p. 76.
353
HAZAN (P.), Juger la guerre, juger l’histoire, op. cit., pp. 57-60.
351
97
2. Le caractère réactif de la justice transitionnelle onusienne
144. La fin de la guerre froide et du blocage du Conseil de sécurité a permis aux Nations
Unies de s’impliquer progressivement dans les conflits internes et de promouvoir au sein des
États sortant de conflit une vision désormais unifiée des droits de l’Homme. C’est ainsi que
les négociateurs onusiens ont abordé les négociations de paix au Salvador. Si la focalisation
du premier accord entre le gouvernement salvadorien et le Front du mouvement national
libération (FMNL) sur les droits de l’Homme reflétait les préoccupations principales de
l’Organisation, c’est le second accord, signé à Mexico le 27 avril 1991354, qui a marqué sa
première implication dans un mécanisme de justice transitionnelle. L’article IV de l’accord
prévoit en effet la création d’une « Commission de la vérité », dont les commissaires seraient
désignés par le Secrétaire général de l’ONU et qui bénéficierait de l’appui de l’Opération des
Nations Unies au Salvador (ONUSAL), opération de maintien de la paix chargée de vérifier
l’application des accords355. Le choix d’une commission vérité comme premier mécanisme de
justice transitionnelle prévu dans les accords de paix salvadoriens montre l’ancrage contextuel
des choix de ces mécanismes. En effet, l’ONU n’a soutenu que peu de commissions vérités
durant la décennie quatre-vingt-dix. Seuls le Salvador, le Guatemala et Haïti ont vu
l’Organisation soutenir ou participer au travail de telles commissions356. La concentration
géographique de ces États n’est pas un hasard. L’Amérique latine a en effet été marquée par
l’expérience de la commission vérité argentine (CONADEP) et les commissions vérité étaient
alors considérées comme un particularisme latino-américain357.
145. Durant la décennie quatre-vingt-dix, l’action de l’ONU a été partagée entre une lutte
naissante contre l’impunité et un recours encore très régulier aux amnisties. Celles-ci étaient
alors le mécanisme de traitement des crimes passés le plus souvent inséré dans les accords de
paix358. Du côté de la lutte contre l’impunité, l’action de l’ONU s’est essentiellement limitée à
l’instauration des deux TPI pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR). Les actions
menées par les opérations de maintien de la paix et les missions politiques spéciales
354
« Mexico agreements », entre le Gouvernement de El Salvador et le FMLN, Mexico City, Mexique, 27 avril
1991. Voir annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
355
Voir S/RES/693 (1991).
356
Le statut de la Commission vérité et réconciliation de Sierra Léone, prévue par l’accord de Lomé du 7 juillet
1999 n’a été adopté que le 20 février 2000.
357
Ce particularisme s’efface à partir de la CVR d’Afrique du Sud dans la pratique de la justice transitionnelle. Il
a toutefois perduré jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix en ce qui concerne l’action de l’ONU dans ce
domaine.
358
Voir Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle et le graphique l’accompagnant.
98
concernant la lutte contre l’impunité ont consisté à appuyer ces tribunaux359. Il est notable que
la lutte contre l’impunité était alors perçue de façon exclusivement punitive et judiciaire.
Aucun mécanisme extrajudiciaire de justice transitionnelle n’a été prévu en parallèle des TPI.
146. Il faut également se garder de voir en ces tribunaux une nouvelle idéologie de lutte
contre l’impunité de la part de l’ONU. On remarque ainsi que, parallèlement à leur
instauration, l’ONU a soutenu le processus de transition salvadorien, marqué par la
commission vérité et l’adoption d’une amnistie générale. Il ressort de ces remarques que
durant ses prémices, l’action onusienne en matière de justice transitionnelle était orientée vers
le traitement des criminels – qu’il s’agisse de les juger ou de les amnistier – plutôt que des
victimes. La recherche de la vérité et les programmes de réparations ont été minoritaires et
une part plus conséquente a été accordée au jugement, à l’amnistie ou à l’exclusion des
anciens criminels de la fonction publique, via les programmes de lustration.
147. Tout en notant que l’ONU semblait traiter la lutte contre l’impunité de façon parcellaire
et dans une optique plus respectueuse de la realpolitik que d’une idéologie de la transition, il
faut garder à l’esprit que l’Organisation avançait en terrain inconnu. L’Agenda pour la paix de
Boutros Boutros-Ghali l’avait mise sur la voie de l’approche globale du maintien de la paix en
insérant le concept de consolidation de la paix360, les principes Joinet n’étaient qu’en cours de
développement et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme venait tout juste d’être créé361.
Les actions en termes de justice transitionnelle étaient encore très minoritaires au sein de
l’action globale des Nations Unies pour le maintien de la paix362.
359
voir Annexes II, opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle et Annexe III, Missions politiques
spéciales et justice transitionnelle.
360
SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix, op. cit., §§ 55-59.
361
AGNU, UN Doc. A/RES/48/141 (1994), Haut-Commissaire chargé de promouvoir et de protéger tous les
droits de l’homme.
362
Voir Annexe IV, Synthèse de l’action des opérations de paix dans le domaine de la justice transitionnelle.
99
B) Le développement de stratégies globales de justice transitionnelle
148. Ruti Teitel considère qu’à partir des années deux-mille, la justice transitionnelle s’est
normalisée et s’est étendue, passant de la « periphery to the centre »363. Cette remarque vaut
en partie pour l’ONU, bien que cette stabilisation de la justice transitionnelle ait été le fruit
d’une évolution et non d’un passage instantané. Notons que la décennie deux-mille a marqué
l’entrée officielle de la justice transitionnelle dans le discours onusien à travers, notamment, le
rapport du Secrétaire général sur « l’état de droit et administration de la justice pendant la
période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit»364. On peut
remarquer que l’expression même de « justice transitionnelle » n’était pas encore consacrée
dans la version française, alors que la version anglaise du rapport visait bien la « transitional
justice »365.
149. L’expansion de la justice transitionnelle onusienne s’est matérialisée par deux aspects,
l’un quantitatif, l’autre qualitatif. Quantitativement, l’ONU a recouru de plus en plus souvent
à la justice transitionnelle. L’étude des actions des opérations onusiennes montre qu’à partir
des années deux-mille, la majorité d’entre elles a conduit une ou plusieurs actions entrant dans
le champ de la justice transitionnelle366. Qualitativement, la justice transitionnelle s’est
complexifiée et densifiée. Durant les années quatre-vingt-dix, les seuls mécanismes coexistant
fonctionnaient sans réelle interaction. Ainsi en allait-il du programme de lustration et de la
Commission vérité au Salvador, ou encore de l’amnistie partielle et des mesures de lutte
contre l’impunité en Croatie367. Les expériences Sierra léonaise, Timoraise et Burundaise ont
bousculé ce schéma, sans réelle préparation de la part de l’Organisation.
150. En Sierra Léone, l’accord de paix de Lomé prévoyait une Commission vérité, une
amnistie et un programme de réparation368. L’ONU, après avoir précisé qu’elle ne se
363
TEITEL (R.), « Transitional justice genealogy », op. cit., p. 89.
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit.
365
Il faudra attendre le deuxième rapport sur ce sujet, en 2011, pour que la version française s’aligne sur la
version anglophone en utilisant l’expression d’ « état de droit et justice transitionnelle ». Voir SGNU, UN Doc.
S/2011/634, État de droit et justice transitionnelle dans les sociétés en situation de conflit ou d’après conflit, 12
octobre 2011 [nous soulignons].
366
Voir le graphique présenté en Annexe V.
367
Voir Annexe II, Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
368
Voir « Peace agreement between the Government of Sierra Leone and the Revolutionary United Front (Lome
peace agreement) », Lomé, Togo, 7 juillet 1999 et Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
364
100
considérait pas tenue par l’amnistie en ce qu’elle concernait les crimes internationaux369, a
rajouté à cette liste déjà longue le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone (TSSL). Le
fonctionnement conjoint de ces mécanismes, tout particulièrement la Commission vérité et
réconciliation et le TSSL, n’avait pas réellement été réfléchi370. A l’inverse, l’Administration
transitoire des Nations Unies au Timor Oriental (ATNUTO) avait bien prévu la création des
Panels spéciaux – la juridiction internationalisée chargée de juger les crimes internationaux
commis au Timor371 –mais n’a créé la Commission pour la réception, la vérité et la
réconciliation (CAVR) que sous la pression de la population, réclamant un mécanisme
s’intéressant de plus près aux victimes372. Seule l’expérience du Burundi a fait preuve d’une
planification préalable, en intégrant dans l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation
un ensemble étonnamment dense de mesures de justice transitionnelle, dont une commission
vérité373, un tribunal spécial374, des réparations matérielles375 et symboliques376 et une
amnistie partielle377.
151. D’un point de vue qualitatif, l’ONU a progressivement développé son approche de la
justice transitionnelle. En 2006, Kofi Annan estimait que l’Organisation « intègre
systématiquement les questions d’état de droit et de justice transitionnelle dans la
planification stratégique et opérationnelle des nouvelles opérations de paix. »378 En réalité, si
l’Organisation a bien développé l’action de ses opérations en matière de soutien ou de moteur
de mécanismes de justice transitionnelle dans la première moitié des années deux-mille,
notamment en Sierra Léone, au Timor Leste ou encore au Kosovo, ce n’est qu’à partir de
2006 que la justice transitionnelle en tant que champ à part entière est apparue dans ces
369
Le représentant du Secrétaire général a émis une réserve à l’accord, au moment de sa signature, précisant
que : « l’Organisation des Nations Unies entend la notion d’amnistie et de pardon consignée à l’article IX de
l’accord de façon telle qu’elle ne s’applique pas au crime de génocide, aux crimes contre l’humanité, aux crimes
de guerre et autres violations graves du droit international humanitaire ». Voir UN Doc. S/1999/836, 30 juillet
1999, Septième rapport du Secrétaire général sur la Mission d’observation des Nations Unies en Sierra Leone,
§ 7.
370
EVENSON (E. M.), « Truth and Justice in Sierra Leone : coordination between commission and court »,
Columbia Law Review association, avril 2004, vol. 104, n° 3, pp. 739-747. Voir infra, partie 1, titre 2, chapitre 2,
section 2.
371
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1.
372
HARPER (E.), « Delivering justice in the wake of mass violence : new approaches to transitional justice »,
Journal of Conflict and Security Law, vol. 10, n°2, 2005, p. 156.
373
« Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation », op. cit., Protocole I, chapitre II, art. 8.
374
Ibid., Protocole I, chapitre II, art. 6.
375
Ibid., Protocole I, chapitre II, art. 7.
376
Ibid., Protocole I, chapitre II, art. 6.
377
Ibid., Protocole III, chapitre III, art. 26. Pour l’ensemble des mécanismes précités, voir Annexe I Accords de
paix et justice transitionnelle.
378
SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit., § 7.
101
opérations. Cette année là, le BINUB a été la première opération onusienne à se voir confier
comme mandat de soutenir « la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle »379.
La même année, la première section « droits de l’homme et justice transitionnelle » a été créée
au sein de la Mission intégrée des Nations Unies au Timor-Leste (MINUT)380. C’est
également à cette période que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a commencé, au
sein de ses bureaux-pays, à sensibiliser les populations et les gouvernements à la justice
transitionnelle et à accompagner la création de ses mécanismes381.
152. L’émergence de l’expression « justice transitionnelle » au sein des mandats et structures
des opérations onusiennes peut paraître anodine. Elle témoigne pourtant de l’évolution de
l’approche de l’Organisation. Il n’est plus question d’adopter des mécanismes épars, sans
réelle cohérence et choisis en fonction du contexte politique local. Il s’agit à partir de ce
moment de construire, en concertation avec les acteurs locaux, une stratégie globale de
traitement des crimes passés382. L’Assemblée générale rappelle ainsi « l’importance d’une
approche globale de la justice transitionnelle, qui intègre toute la gamme de mesures
judiciaires et non judiciaire propres à garantir la responsabilité et à promouvoir la
réconciliation »383.
153. Chronologiquement, il faut replacer ces évolutions dans le contexte de la grande
réforme du maintien de la paix opérée par Koffi Annan. Les rapports Rétablissement de l’état
de droit et administration de la justice 384 en 2004, Dans une liberté plus grande385 en 2005 et
Unissons nos forces386 en 2006 et les nouvelles structures qu’ils initient, tels que la
Commission et le Fonds de consolidation de la paix, ont permis le développement d’une « UN
approach to transitional justice »387 que l’Organisation exporte par le biais de ses missions et
de ses projets. Cette approche consiste en la reconnaissance de la complémentarité des
379
S/RES/1719 (2006), § 2 (j).
SGNU, UN Doc. S/2006/628, Rapport sur le Timor-Leste présenté par le Secrétaire général en application
de la résolution 1690 (2006) du Conseil de sécurité, 8 août 2006, §§ 73 et s.
381
Le HCDH conduit cette action notamment en fournissant des commentaires aux statuts et textes de loi portant
sur la justice transitionnelle et les mécanismes ainsi qu’en formant les acteurs de ces derniers.
382
La Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) a ainsi comme mandat d'aider les autorités
libyennes « à arrêter et mettre en œuvre une stratégie globale de justice transitionnelle ». Voir S/RES/2040
(2012), § 6 b.
383
A/RES/69/195 (2015), L’état de droit, la prévention du crime et la justice pénale dans le programme de
développement des Nations Unies pour l’après-2015, § 5.
384
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit.
385
SGNU, UN Doc. A/59/2005/Add.2, Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des
droits de l’homme pour tous. Rapport du Secrétaire général, 23 mai 2005.
386
SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit.
387
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.
380
102
principaux éléments constitutifs de la justice transitionnelle, nommément la recherche de la
vérité, la condamnation – principalement pénale – des responsables de violences passées,
l’octroi de réparations aux victimes ainsi que toutes autres mesures permettant de garantir la
non-répétition des violences388. L’établissement du lien entre ces composantes vise à palier les
carences de la justice pénale (punitive) dans les contextes de transition. Une fois le dilemme
paix contre justice résolu, les arguments pour l’abandon de poursuites pénales au profit
d’autres mécanismes de justice transitionnelle – tels les commissions vérité, les programmes
de réparation et les programmes de lustration (vetting) – n’ont plus de fondement et ne font
plus qu’entraver l’action de l’ONU dans la lutte contre l’impunité. Le contexte spécifique de
la transition et l’importance, quantitative, des violations à traiter, rendent inadéquates les
juridictions pénales classiques. Pourtant, les programmes de réparation, les politiques de
mémoire, de lustration et les mécanismes de recherche de la vérité présentent également des
carences. En agissant seuls, les mécanismes de réparation peuvent être perçus comme une
monétarisation de la douleur des victimes, les mécanismes de recherche de la vérité comme
une reconnaissance de l’impunité et les procès ainsi que les lustrations comme des actes de
rétribution partielle, prenant alors le risque d’être assimilés à de la vengeance politique389.
154. L’approche holiste de la justice transitionnelle implique que tous les volets de cette
justice doivent être traités. L’adjonction de nouveaux volets a donc un impact direct sur les
mécanismes de justice transitionnelle, conduisant à une expansion risquée de cette dernière.
388
Voir par exemple Yasmine Sooka, prônant l’adoption d’un « holistic transitional justice package » et
Alexandre Borraine, appelant de ses vœux une interprétation holistique de la justice transitionnelle : SOOKA
(Y.), « Dealing with the past and transitional justice : building peace through accountability », RICR, vol. 88,
n° 862, juin 2006, p. 320 ; BORAINE (A. L.), « Transitional justice : a holistic interpretation », Journal of
International Affairs, vol. 60, n° 1, 2006, pp. 17-27. En ce qui concerne les institutions onusiennes, voir par
exemple A/RES/68/188 (2013), L’état de droit, la prévention du crime et la justice pénale dans le programme de
développement des Nations Unies pour l’après-2015, §10, soulignant « l’importance d’une approche globale de
la justice transitionnelle, qui intègre toute la gamme des mesures judiciaires et non judiciaires propres à garantir
la responsabilité et à promouvoir la réconciliation tout en protégeant les droits des victimes de la criminalité et
des abus de pouvoir ».
389
Commission de consolidation de la paix, groupe de travail sur les leçons apprises, « What is Transitional
justice ? A backgrounder », 20 février 2008, p. 4.
103
Section II L’expansion risquée de la justice transitionnelle
155. Si le flou de la définition de la justice transitionnelle permet son adaptation aux divers
contextes dans lesquels elle est mise en œuvre, il implique également une absence de limites
claires du champ d’application de cette justice. De plus, les finalités qui lui sont attribuées la
rendent particulièrement sujette à une expansion illimitée. La réconciliation nationale – vis-àvis de laquelle l’ONU entretient une position ambigüe – en est l’expression la plus flagrante
(§ 1).
Intégrée à l’effort de consolidation de la paix, la justice transitionnelle évolue en
fonction des facteurs perçus comme nécessaires à cette consolidation. Or, cette perception
connaît une tendance à l’expansion, caractérisée par l’adoption de la notion de paix positive, à
laquelle le dépassement du dilemme entre la paix et la justice fait écho. La diversification de
ces facteurs entraîne alors une diversification de l’objet de la justice transitionnelle (§ 2).
§1/L’ambiguïté onusienne vis-à-vis de l’objectif de réconciliation
nationale
156. Les acteurs du rétablissement de la paix ont depuis toujours souligné la nécessité d’une
réconciliation entre anciens ennemis pour garantir le retour à une paix stable. Cet objectif se
retrouve ainsi soit littéralement, soit en substance, dès les efforts de paix initiés par les
Athéniens en 403 av. J-C390. L’Agenda pour la paix du Secrétaire général Boutros BoutrosGhali a intégré cet objectif dans le cadre théorique des opérations de l’ONU. La consolidation
de la paix était vue, en 1992, comme tâche ayant pour objectif de « susciter confiance et
tranquillité dans la population »391. Dans son « Supplément à l’agenda pour la paix », publié
trois ans plus tard, le Secrétaire général a été plus explicite en considérant que « l’intervention
de la communauté internationale doit (…) comprendre aussi la promotion de la réconciliation
nationale »392.
390
Jon Elster observe ainsi l’instauration de politiques assimilables à la justice transitionnelle contemporaine
chez les Athéniens à la chute de la deuxième oligarchie, en 403 av. J-C. Le relatif échec de l’approche punitive
adoptée dans le traitement des responsables de la première oligarchie, en 411 av. J-C, impliquant des exécutions,
confiscations et exils, aurait incité les Athéniens à adopter une approche plus orientée vers l’unité et la
réconciliation. Ils ont ainsi cherché à réintégrer les oligarques dans la société, en accordant des amnisties et en
leur permettant de maintenir un rôle politique dans la cité. Voir ELSTER (J.), Closing the books, op. cit., pp. 323.
391
SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix, op. cit., § 55.
392
SGNU, UN Doc. A/50/60-S/1995/1, Supplément à l’agenda pour la paix, op. cit., § 13.
104
157. La réconciliation nationale comptait déjà parmi les objectifs affichés des divers
mécanismes de justice transitionnelle établis en Amérique latine au début des années quatrevingt-dix393. Il faut toutefois noter que les expériences antérieures à l’Afrique du Sud
n’attribuaient pas l’objectif de réconciliation nationale aux mécanismes de justice
transitionnelle directement. Ceux-ci connaissaient des attributions plus ciblées, participant à
un objectif plus global, et quelque peu idéalisé, d’unité et de réconciliation nationale394.
L’Afrique du Sud a constitué un tournant dans l’approche de la justice transitionnelle, en y
attachant directement des vertus liées à cette réconciliation. Ainsi le slogan de la CVR sud
africaine « revealing is healing » témoigne des hautes attentes attribuées à ce mécanisme.
Alors que les commissions vérité précédentes se cantonnaient à rechercher la vérité sur les
violences passées, la CVR sud africaine se targuait de guérir les victimes et de les réconcilier
avec leurs bourreaux, dans le but de prévenir la résurgence des conflits.
158. Le Secrétaire général a entériné cette approche dans son rapport de 2004, en y précisant
que la justice transitionnelle est censée « établir les responsabilités, (…) rendre la justice et
(…) permettre la réconciliation »395. Cette expression a depuis été intégrée à la définition
onusienne de la justice transitionnelle, reprise par l’ensemble des acteurs de l’Organisation396.
Le problème que pose l’attribution de cet objectif à la justice transitionnelle réside dans
l’impossibilité de l’atteindre. Certains auteurs ont cherché à théoriser les conditions du pardon
et, par extension, de la réconciliation nationale397. Pourtant, la conclusion inévitable est que
393
On peut citer, par exemple, le décret n° 355 du 25 avril 1990 instituant la Commission sur la vérité et la
réconciliation au Chili, affirmant que « only upon a foundation of truth will it be possible to meet the basic
demands of justice and create the necessary conditions for achieving true national reconciliation ». Dans
l’accord de paix conclu entre le gouvernement d’El Salvador et le Frente Farabundo Marti para la Liberacion
Nacional (FMLN) à Mexico le 27 avril 1991, les parties affirment également « leur intention de progresser vers
le rétablissement de la paix, de la réconciliation nationale et de la réunification de la société salvadorienne ».
L’accord prévoit dans cette optique la création de la Commission de la vérité. Voir Accords de Mexico,
reproduits en annexe de UN Doc. A/46/553-S/23130, 9 octobre 1991.
394
Ibid. En Argentine, la commission vérité établie en décembre 1983, était axée sur le sort des disparus, comme
l’indique son nom : la Comision Nacional Sobre la Desaparicion de Personas (CONADEP), alors que la
commission guatémaltèque dite de « clarification historique » (CEH) se nommait la Commission to clarify past
human rights violations and acts of violence that have caused the Guatemalan population to suffer.
395
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 8.
396
Voir par exemple la résolution 2005/70 de la Commission des droits de l’homme, UN Doc.
E/CN.4/RES/2005/70, Droits de l’homme et justice de transition, 20 avril 2005, préambule § 7 ; HCDH,
« Guidance note on national human rights institutions and transitional justice », 27 septembre 2008, § 6 ;
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/21/46, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, Pablo de Greiff, 9 août
2012, § 20 ; UN Doc. S/PRST/2012/1, 19 janvier 2012, p. 3.
397
Si plusieurs auteurs ont identifié diverses étapes ou conditions nécessaires au pardon, il est nécessaire de
replacer ces écrits dans leur contexte, marqué par une vision très religieuse du pardon ainsi garanti. Voir
ASSEFA (H.), « La réconciliation » in PAFFENHOLZ (T.), REYCHLER (L.), Construire la paix sur le terrain.
op. cit., pp. 290-297 ; Père JAVIER GERALDO, « Les cinq conditions du pardon », in Guerre, génocide,
105
cette réconciliation ne peut être ni imposée, ni garantie. De plus, tant son caractère subjectif398
que son caractère interpersonnel la rendent impossible à instaurer sur le plan national. La
justice transitionnelle envisagée au travers de cette finalité est donc vouée à l’échec.
159. Le flou et l’ambition démesurée de l’objectif de réconciliation nationale ont conduit une
partie de la doctrine à rejeter son attribution aux mécanismes de justice transitionnelle399. Ce
scepticisme est également très présent au sein du HCDH. Tout en adhérant à l’approche du
Secrétaire général, le Haut-Commissariat reste extrêmement mesuré sur le rôle des
mécanismes de justice transitionnelle dans cette réconciliation. Concernant les tribunaux
hybrides, le HCDH note que « [de] l’avis de certains, à la sortie d’un conflit, les procès
devraient contribuer à la réconciliation. Le présent outil ne creuse pas davantage ce point qui
fait l’objet d’un vaste débat. »400 La même prudence est adoptée pour les commissions vérité.
Le HCDH reconnaît que « [les] espoirs placés dans une commission de vérité sont
fréquemment exagérés dans l’esprit de la population »401 et conseille en conséquence de
« prendre soin de ne pas susciter parmi les victimes l’espoir injustifié et abusif qu’ellesmêmes ou le pays dans son ensemble éprouveront ou devraient éprouver rapidement un
sentiment de réconciliation par la connaissance de la vérité sur des atrocités passées
indescriptibles »402. Seuls les mécanismes de justice traditionnelle sont vus comme
explicitement dirigés vers la réconciliation403. Il faut toutefois noter que celle-ci n’est jamais
abordée à l’échelle nationale, mais plutôt au niveau communautaire404.
torture : la réconciliation à quel prix ?, Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de
la Torture (FIACAT), Desclée de Brouwer, 1997, Paris, pp. 153-155. Philippe Moreau Defarges offre une vision
plus scientifique et historique de ces questions, en notant que le phénomène de repentance et de réconciliation
s’inscrit « au centre de quatre évolutions : la fin de la raison d’État, l’impact de l’idée démocratique sur les
victoires, l’émergence des vaincus [et] le besoin d’aveu ». Voir MOREAU DEFARGES (P.), Repentance et
réconciliation, Presses de Science Po, Paris, 1999, p. 17.
398
Valérie Rosoux note que le sens même de réconciliation diverge selon les personnes interrogées. Voir
ROSOUX (V.), « Réconcilier : ambition et piège de la justice transitionnelle. Le cas du Rwanda », Droit et
Société, vol. 73, 2009, pp. 613-633.
399
Voir par exemple MENDEZ (J. E.), « National reconciliation, transnational justice, and the International
Criminal Court », Ethics and International Affairs, vol. 15, n° 1, mars 2001, p. 28 ; BALINT (J. L.), « The place
of law in addressing internal regime conflicts », Law and Contemporary Problems, vol. 59, n° 4, 1996, p. 122.
400
HCDH, HR/PUB/08/2, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Valorisation
des enseignements tirés de l’expérience des tribunaux mixtes », 2008, p. 7.
401
HCDH, HR/PUB/06/1, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Les
commissions de vérité », op. cit., p. 2.
402
Ibid.
403
Il est ainsi affirmé que « [reconciliation] and maintaining harmony in the community are the guiding
principles of traditional dispute resolution ». HCDH, HR/PUB/16/2, « Human rights and traditional justice
systems in Africa », op cit., p. 27.
404
Ibid.
106
160. D’autres acteurs onusiens de la justice transitionnelle n’ont pas adopté la même
prudence que le HCDH vis-à-vis de l’objectif de réconciliation nationale. Le PNUD affiche
sur son site internet, dans la rubrique dédiée à la justice transitionnelle, que « [enabling]
reparations for victims of grave human rights abuses, especially for those often identified as
vulnerable (e.g. women, minority groups, or impoverished communities) can aid the
reconciliation process by acknowledging the sufferings of victims and making amends for past
mistakes ». Pour sa part, le Rapporteur spécial pour la justice transitionnelle attribue
régulièrement cet objectif à la justice transitionnelle405. Les acteurs onusiens apparaissent
donc divisés sur cette question.
§2/La diversification de l’objet de la justice transitionnelle
161. Deux évolutions majeures ont marqué la justice transitionnelle onusienne. La première
est liée à la volonté d’aborder les conflits de façon plus complète que par le seul biais des
violences physiques et psychologiques, regroupées sous la catégorie des violations des droits
civils et politiques. Afin de mieux rendre compte des causes des conflits et de l’ensemble des
souffrances des victimes, il est progressivement procédé à l’incorporation des violations des
droits économiques, sociaux et culturels (A). La seconde est liée à la première dans la mesure
où l’incorporation de ces droits permet une meilleure visibilité des violations subies par les
femmes du fait, notamment, des discriminations dont elles sont victimes. Dans la prolongation
de l’engagement onusien en faveur des femmes406, une approche sexo-spécifique a été
intégrée à la justice transitionnelle (B).
405
Voir Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/24/42, Rapport du Rapporteur spécial
sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, Pablo de Greiff,
28 août 2013, § 20 ; UN Doc. A/HRC/27/56, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la
justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, Pablo de Greiff, 27 août 2014, § 19 ; UN Doc.
A/69/518, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des
garanties de non-répétition, 14 octobre 2014, § 9 ; UN Doc. A/71/567, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 25 octobre 2016, § 75 et
UN Doc. A/HRC/34/62, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la
réparation et des garanties de non-répétition, 27 décembre 2016, § 56.
406
Voir notamment les résolutions du Conseil de sécurité portant sur les femmes, la paix et la sécurité.
S/RES/1325 (2000) et suivantes.
107
A) L’incorporation des violations des droits économiques, sociaux et
culturels dans la justice transitionnelle
162. L’ONU a été l’un des précurseurs en termes d’inclusion des considérations liées aux
droits économiques, sociaux et culturels dans la justice transitionnelle. Si le rapport du
Secrétaire général d’août 2004 ne fait pas expressément mention de cette approche, elle est
affirmée dès le mois d’avril 2005 par la Commission des droits de l’homme407 et théorisée
l’année suivante par Louise Arbour, alors Haut-Commissaire aux droits de l’homme, dans un
célèbre discours prononcé à la New York University School of Law408. La position exprimée
par ces acteurs onusiens confirme et développe ainsi une pratique déjà partiellement mise en
œuvre par l’Organisation au sein des commissions vérité de Sierra Léone409, du Timor
Leste410, du Libéria411 et, dans une moindre mesure, du Pérou412. Ces commissions
représentent en effet la première forme qu’a adoptée la prise en compte des droits
économiques, sociaux et culturels par la justice transitionnelle. Celle-ci s’attachait alors à
souligner l’impact que la violation de ces droits, abordés sous l’angle de facteurs plutôt que
comme droits invocables, avait eu sur le déclenchement du conflit. Les droits économiques,
sociaux et culturels ont donc fait leur entrée dans la justice transitionnelle sous l’angle de la
recherche des « root causes »413 des conflits.
163. L’approche développée par Louise Arbour à l’occasion de son discours s’éloigne de
cette conception pour considérer les aspects économiques, sociaux et culturels des périodes
407
La Commission des droits de l’homme reconnaît à cette occasion « qu’il faut prendre en considération tout
l’éventail des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux dans tout contexte de justice de
transition, ». Voir Commission des droits de l’homme, E/CN.4/RES/2005/70, Droits de l’homme et justice de
transition, 20 avril 2005. Cette position a ensuite été confirmée par le Conseil des droits de l’homme. Voir :
A/HRC/RES/12/11, Droits de l’homme et justice de transition, 12 octobre 2009 et A/HRC/RES/21/15, Droits de
l’homme et justice de transition, 11 octobre 2012.
408
ARBOUR (L.), « Economic and social justice for societies in transition » New York University Journal of
International Law and Politics, vol. 40, 2007, pp. 1-28.
409
CVR Sierra Léone, « Witness to truth », op. cit. volume 3 A, chapitre I, pp. 3-36 et volume 3 B, p. 370 ;
SCHABAS (W.), « La relation entre les commissions vérité et les poursuites pénales : le cas de la Sierra
Léone », in ASCENSIO (H.), dir., Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone,
Timor Leste), Société de législation comparée, 2006, pp. 215-216.
410
HCDH, HR/PUB/13/5, Transitional justice and economical, social and cultural rights, op. cit., pp. 17-20.
411
Le mandat de la CVR Libéria conférait une compétence à la commission pour enquêter sur les « economic
crimes ». Voir CVR Libéria : « An act to establish the Truth and reconciliation commission of Liberia »,
Monrovia, 12 mai 2005, section 4. a.
412
LAPLANTE (L. J.), « Transitional justice and peace building : diagnosing and addressing the socioeconomic
roots of violence through a human rights framework », IJTJ, vol. 2, 2008, pp. 331-355 ; NOLAN (A.),
SCHMIDT (E.), « ‘Do no harm’ ? », op. cit., pp. 69-70.
413
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
p. 7.
108
traitées par la justice transitionnelle comme des droits à part entière, fondés sur les
conventions pertinentes414, et dont la violation doit entrainer la responsabilité de l’État415.
Cette approche éloigne ainsi la justice transitionnelle de son assise fondée sur la responsabilité
pénale des individus416 pour se déplacer vers celle de la responsabilité de l’État pour violation
des droits de l’Homme.
164. L’inclusion des droits économiques, sociaux et culturels vise à permettre à la justice
transitionnelle d’appréhender les conflits dans toute leur complexité et à ne pas éluder
certaines de leurs causes structurelles. Il apparaît en effet que bon nombre de conflits
trouvent, pour partie, leur source dans des facteurs économiques et/ou culturels et sociaux. La
commission vérité sierra léonaise a ainsi identifié la faillite du système éducatif et la pratique
des châtiments corporels sur les enfants comme facteurs ayant nourris la dynamique du
conflit417. Ce lien entre les aspects civils et politiques et les aspects économiques, sociaux et
culturels a été souligné par le Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle dès son premier
rapport annuel au Conseil des droits de l’homme. Il y déclarait que :
« [souvent], les violations flagrantes des droits de l’homme et les violations
graves du droit international humanitaire découlent et sont aussi la cause de
profonds problèmes de développement. En outre, il ne s’agit pas simplement de
violations de droits civils et politiques, mais aussi de violations de droits
économiques, sociaux et culturels.»418
165. L’attention portée par l’ONU à ces droits s’insère également dans la lutte que mène
l’Organisation contre la criminalité transnationale et la corruption qui l’accompagne souvent.
Le rapport de 2011 du Secrétaire général sur l’état de droit et la justice transitionnelle reflète
414
Au premier rang de ces conventions se trouvent le Pacte international des droits économiques, sociaux et
culturels, New York, 16 décembre 1966, RTNU, vol. 993, p. 3 ; la Convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, New York, 7 mars 1966, RTNU, vol. 660, p. 195 ; la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, New York, 18 décembre 1979,
RTNU, vol. 1249, p. 13 et la Convention relative aux droits de l’enfant, New York, 20 novembre 1989, RTNU,
vol. 1577, p. 3. Voir HCDH, HR/PUB/13/5, Transitional justice and economical, social and cultural rights, op.
cit., pp. 7-9.
415
ARBOUR (L.), « Economic and social justice », op. cit.
416
Ibidem, p. 5.
417
Sur la question des enfants en Sierra Léone voir CVR Sierra Léone, « Witness to truth », op. cit., vol. 3 B,
pp. 238-242. Sur l’impact de la faillite du système éducatif (ainsi que de la fonction publique d’une façon plus
générale), voir ibid., vol. 2, p. 95. La CAVR du Timor Leste a également identifié les violations des droits
économiques, culturels et sociaux comme facteur des violences. Voir CAVR Timor Leste, « Chega ! Report of
the Commission for reception, truth and reconciliation in Timor Leste », janvier 2006, vol. III, pp. 2237-2251.
Voir plus généralement LAPLANTE (L. J.), « Transitional justice and peace building », op. cit., pp. 335-341.
418
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/21/46, op. cit., § 50.
109
l’évolution de la position de l’ONU à cet égard. Alors que ces problématiques étaient peu
présentes dans le rapport de 2004, elles sont récurrentes dans celui de 2011. Le Secrétaire
général y lie de façon bien plus étroite la justice transitionnelle et l’état de droit, tous deux
tournés, pour partie, vers la lutte contre cette criminalité419. Il est significatif d’observer que
l’établissement de ce lien va de paire avec la consécration, dans le rapport de 2011, de la
promotion des droits économiques, sociaux et culturels par les mécanismes de justice
transitionnelle420.
L’inclusion des droits économiques, sociaux et culturels a également été envisagée
comme moyen pour permettre une meilleure prise en compte, par la justice transitionnelle, de
la situation des femmes dans les situations de conflit et de post-conflit.
B) L’adoption d’une approche sexo-spécifique de la justice transitionnelle
166. La résolution 1325, adoptée par le Conseil de sécurité en 2000421, représente le début de
l’engagement de l’ONU en faveur d’une meilleure prise en compte de la situation des femmes
dans les périodes de conflit et de post-conflit. S’il n’y est pas fait référence à la justice
transitionnelle, les aspects sexo-spécifiques de la lutte contre l’impunité y sont bien
mentionnés422. Développant cet engagement du Conseil de sécurité, les acteurs onusiens ont
rapidement intégré les questions liées aux femmes dans les mécanismes de justice
transitionnelle auxquels ils ont apporté leur soutien. Le premier d’entre eux à avoir mis en
application cette nouvelle approche est la Commission vérité et réconciliation péruvienne
(CVR - Pérou). Soutenus, entre autres, par le PNUD et le HCDH423, les commissaires de la
CVR- Pérou ont créé, alors même que le mandat de la commission était muet sur ce point, une
unité spécifique au sein de cette dernière afin de traiter des crimes ayant été subis par les
femmes424. Les commissions vérité établies en Sierra Léone, au Timor Leste et au Libéria, qui
419
SGNU, UN Doc. S/2011/634, État de droit et justice transitionnelle, op. cit., §§ 47-54.
Ibid., § 52.
421
S/RES/1325 (2000), Les femmes, la paix et la sécurité.
422
Ibid., § 11. La justice transitionnelle a été plus directement visée dans les résolutions adoptées sur le thème
des femmes, de la paix et de la sécurité en 2009 et 2010. Voir S/RES/1888 (2009), préambule et S/RES/1960
(2010), préambule.
423
ONU-Femmes, « Gender and transitional justice programming : a review of Peru, Sierra Leone and
Rwanda », août 2010, p. 7.
424
ONU-Femmes, « Gender and transitional justice programming », op. cit., pp. 4-8 ; Rapporteur spécial sur la
justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/24/42, op. cit., § 36.
420
110
ont toutes bénéficié d’un important soutien de la part de l’ONU425, ont approfondi cette
approche en intégrant les questions liées au genre dans leur mandat426.
167. La nécessité pour la justice transitionnelle de mieux appréhender les questions liées au
genre ainsi que la capacité de ce domaine à constituer un instrument central de transformation
des sociétés sur ces questions fait l’objet d’un large consensus au sein de l’ONU.
L’Organisation est d’ailleurs l’un des principaux promoteurs de cette approche427. La création
de « l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation de la femme »
(ONU-Femmes) en 2010428 reflète parfaitement cet engagement. Le mandat du Rapporteur
spécial sur la justice transitionnelle, invitant ce dernier à « [intégrer] une perspective
sexospécifique dans l’ensemble des travaux menés au titre de son mandat »429, témoigne de
l’intégration de ces questions au sein du domaine spécifique de la justice transitionnelle. Cette
intégration est par ailleurs confirmée par une référence systématique à la nécessité d’adopter
une approche sexo-spécifique de la justice transitionnelle dans tous les documents de
politique onusienne traitant de ce domaine430. Le Conseil des droits de l’homme a également
relevé le rôle particulier joué par la justice transitionnelle dans ces questions, en commandant
au HCDH un rapport sur « la violence sexuelle et sexiste dans le contexte de la justice de
transition dans les situations de conflit ou d’après conflit »431.
425
Ces commissions vérité font partie des mécanismes hybrides de justice transitionnelle. Voir infra, partie 2,
titre 1, chapitre 1.
426
Voir CVR Sierra Léone : « Truth and reconciliation commission Act 2000 », 10 février 2000, art. 10 (2) ;
CAVR Timor Leste : UNTAET/REG/2001/10, « Regulation n° 2001/10 on the establishment of a Commission
for reception, truth and reconciliation in East Timor », 13 juillet 2001, sections 3.4 c), 4.1, 4.3 g), 11.1, 11.4,
12.1, 16.4, 26.1 ; CVR Libéria : « An act to establish the Truth and reconciliation commission of Liberia », op.
cit., sections 4. e., 7, 24 et 26.
427
Voir O’ROURKE (C.), « Transitional justice and gender », in JACOBS (D.), LAWTHER (C.) MOFFETT
(L.), dir., Research handbook on transitional justice, Edward Elgar Publishing, Cheltenham, 2017, pp. 119-123.
428
A/RES/64/289 (2010). Voir les développements sur le rôle de cette entité dans le domaine de la justice
transitionnelle infra, partie 2, titre 2, chapitre 1.
429
UN Doc. A/HRC/RES/18/7, 29 septembre 2011, § 1 (j).
430
Voir SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit.,
§ 64 ; SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op.
cit., point 4 ; SGNU, UN Doc. S/2011/634, État de droit et justice transitionnelle, op. cit., notamment §§ 22, 27
et 41-46. Voir également l’approche sexospécifique adoptée par le Secrétaire général vis-à-vis des réparations :
SGNU, « Guidance note of the Secretary-General. Reparations for conflict-related sexual violence », juin 2014.
La même approche est adoptée par le HCDH à travers sa série de publications sur les instruments de l’état de
droit. Voir HCDH, HR/PUB/09/2, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit.
Consultations nationales sur la justice en période de transition », 2009, p. 20 ; HCDH, HR/PUB/08/2,
« tribunaux mixtes » op. cit., p. 24 ; HCDH, HR/PUB/06/5, « Assainissement : cadre opérationnel », op. cit.,
p. 15 ; HCDH, HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit, pp. 41-42 ; HCDH, HR/PUB/06/1, « Les
commissions de vérité », op. cit., p. 23.
431
UN Doc. A/HRC/RES/21/15, 11 octobre 2012, § 32. Voir également le rapport du HCDH publié en réponse à
cette requête : UN Doc. A/HRC/27/21, Étude analytique centrée sur la violence sexuelle et sexiste dans le
contexte de la justice de transition, 30 juin 2014.
111
168. L’inclusion d’une approche sexo-spécifique dans la justice transitionnelle impacte deux
aspects de cette dernière. Le premier concerne la composition de ses mécanismes et consiste à
assurer une représentativité des femmes en leur sein. Les commissions vérité établies au
Timor Leste et au Libéria ont ainsi imposé un quota de femmes pour leur personnel432. Le
deuxième volet concerne la prise en compte par la justice transitionnelle des caractéristiques
spécifiques des violations subies par les femmes. Notons que ce deuxième volet est lié au
premier dans la mesure où la représentativité des femmes au sein des mécanismes de justice
transitionnelle est censée faciliter la prise en compte par ces mécanismes des violations
qu’elles ont subi. Les plus évidentes de ces violations sont celles qui concernent les crimes et
délits à caractère sexuel. Elles font l’objet de mesures spécifiques, notamment en termes
d’accompagnement des victimes et de réparations433. C’est pourtant la tendance de la justice
transitionnelle à se focaliser sur ces violations qui a justifié des critiques quant à sa capacité à
appréhender la situation particulière des femmes.
169. Dans son observation générale n° 30, adoptée en 2013434, le Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes (Committee on the elimination of discrimination
against women - CEDAW) notait que :
« [les] mécanismes de justice transitionnels n’ont pas réussi à répondre
pleinement à l’impact du conflit sur les femmes et à tenir compte de
l’interdépendance et des liens entre toutes les violations des droits fondamentaux
qui se produisent en période de conflit. Pour la plupart des femmes, les priorités
en matière de justice après conflit ne doivent pas se limiter à mettre fin aux
violations des droits civils et politiques mais doivent inclure les violations de tous
les droits économiques, sociaux et culturels.»435
Le Comité souligne ici un élément dont les acteurs de la justice transitionnelle
commencent à prendre conscience : alors que les hommes sont plus touchés que les femmes
par certains crimes, telles les disparitions forcées, les discriminations dont elles font l’objet –
notamment en termes de dépendance économique envers les hommes – les exposent à
432
CAVR Timor Leste : UNTAET/REG/2001/10, « Regulation n° 2001/10 on the establishment of a
Commission for reception, truth and reconciliation in East Timor », op. cit., sections 4.1 et 11.1 ; CVR Libéria :
« An act to establish the Truth and reconciliation commission of Liberia », op. cit., section 7.
433
Voir HCDH, HR/PUB/06/1, « Les commissions de vérité », op. cit., p. 23 ; SGNU, « Guidance note of the
Secretary-General. Reparations for conflict-related sexual violence », op. cit.
434
CEDAW, UN Doc. CEDAW/C/GC/30, « Recommandation générale n° 30 sur les femmes dans la prévention
des conflits, les conflits et les situations d’après conflit », 18 octobre 2013.
435
Ibid., § 76. Voir également O’ROURKE (C.), « Transitional justice and gender », op. cit., pp. 120-121.
112
« exacerbated social and economic discrimination as a result of, or aggravated by, the loss of
a male family member »436. C’est ainsi que la vocation transformatrice de la justice
transitionnelle et son rôle potentiel dans le traitement des violations des droits économiques,
sociaux et culturels la placent au cœur des efforts onusiens pour la promotion des droits des
femmes. Comme le souligne le CEDAW dans son observation générale :
« les mécanismes de justice de transition peuvent apporter aux femmes un
changement profond dans leur vie. Du fait du rôle important qu’ils jouent dans
l’établissement des bases d’une nouvelle société, ces mécanismes offrent une
occasion unique aux États parties de préparer le terrain pour l’instauration d’une
véritable égalité des sexes en combattant la discrimination préexistante et
profondément ancrée qui empêchent les femmes de jouir des droits que leur
reconnaît la Convention. »437
170. Le Conseil de sécurité a entériné cette approche en affirmant que « des efforts plus
énergiques s’imposent pour que la justice transitionnelle couvre toutes les violations des
droits de l’homme dont les femmes sont victimes et tienne compte des effets différents que
ces violations ont pour les femmes et les filles, de même que les déplacements forcés, les
disparitions forcées et la destruction des infrastructures civiles »438.
436
ONU-Femmes, « Preventing conflict, transforming justice, securing
Nations Security Council resolution 1325 », 2015, p. 110.
437
CEDAW, UN Doc. CEDAW/C/GC/30, « Recommandation générale
sens, on remarque que ONU-Femmes lie la prise en compte de la
transitionnelle à un « transformative agenda » de cette dernière. Voir
transforming justice, securing the peace », op. cit., p. 109.
438
S/RES/2122 (2013), préambule, § 8.
the peace. A global study of United
n° 30», op. cit., § 77. Dans le même
situation des femmes par la justice
ONU-Femmes, « Preventing conflict,
113
Conclusion du Titre I
171. La justice transitionnelle a été résolument intégrée aux instruments onusiens du
maintien et de la consolidation de la paix. L’Organisation a su mettre la dimension
transformatrice de cette justice au service d’une action de plus en plus étendue de restauration
de l’État et de construction d’une paix positive. Bien que la formalisation de cette intégration
ait été tardive, l’apparition des finalités et des principes de la justice transitionnelle dans les
actions menées et les concepts élaborés dès le début des années quatre-vingt-dix montre que
l’ONU, tel monsieur Jourdain, a longtemps « fait » de la justice sans le savoir, ou en tout cas,
sans le reconnaître explicitement.
172. Une fois la justice transitionnelle formellement intégrée aux concepts opérationnels des
Nations Unies, celles-ci se sont attachées à en construire une approche théorique, dont le
caractère holiste est représentatif des approches contemporaines de la paix et de la justice.
L’approche onusienne de la justice transitionnelle témoigne à cet égard de la capacité de
l’Organisation à se placer aux avant-postes de la réflexion sur le champ du maintien de la paix
et de la sécurité internationales. Malgré les critiques qui la visent, il faut reconnaître que
l’ONU a su en très peu de temps à la fois imposer et faire évoluer son approche de la justice
transitionnelle, tout en préservant une étonnante cohérence de cette dernière.
173. La cohérence de l’approche onusienne de la justice transitionnelle est en effet étonnante,
étant donné la multiplicité des acteurs onusiens concernés. On remarque pourtant peu de
points de dissension. L’influence majeure de certains de ces acteurs, au premier rang desquels
se trouve le Secrétaire général, n’y est pas étrangère. Cette cohérence est également étonnante
si l’on considère la persistance d’une définition très évasive de la justice transitionnelle. Plus
qu’un concept unifié, cette justice apparaît ainsi comme un ensemble d’objectifs – faire face
aux violations passées, consolider et pérenniser la paix – et de valeurs – l’égalité entre les
hommes et les femmes, le respect des droits de l’Homme sous tous leurs aspects, y compris
économiques, sociaux et culturels – autour desquels sont fédérées les diverses entités
onusiennes.
174. On peut alors appliquer à la notion de justice transitionnelle la remarque formulée à
propos de la notion d’état de droit, son caractère fédérateur est à la fois une cause et une
conséquence de son indétermination. Le risque de cette indétermination étant finalement de
114
laisser s’étendre une notion de façon incontrôlée, aux dépens d’une efficacité opérationnelle
qui, elle, est matériellement limitée.
115
Titre 2: L’élaboration par l’ONU d’un cadre
normatif de la justice transitionnelle
175. L’intégration de la justice transitionnelle au sein de l’action onusienne pour le
rétablissement de l’état de droit ne pouvait qu’aboutir à l’encadrement juridique de celle-là.
Ainsi, le Secrétaire général rappelait dans son rapport de 2004 sur l’état de droit et la justice
transitionnelle, que l’ONU devait fonder son assistance dans ces domaines « sur les normes
internationales »439. Notons également que l’un des objectifs de l’ONU, assigné par la Charte
à l’Assemblée générale, consiste à « encourager le développement progressif du droit
international »440. Cette remarque d’apparence anodine explique qu’au-delà de la conduite
d’une action respectueuse du droit international existant, l’ONU s’est attachée à développer le
cadre juridique de la justice transitionnelle. Or, l’approche holiste de la justice transitionnelle
implique une quantité pléthorique de normes et de domaines potentiellement concernés par
cette justice.
176. La justice transitionnelle se trouve à la « confluence des droits »441. La matière se fonde
sur « les quatre piliers du système juridique international moderne : la législation
internationale en matière de droits de l’homme ; le droit international humanitaire; le droit
pénal international ; et le droit international des réfugiés. »442 Cet ensemble dense de normes
permet de couvrir les diverses facettes de ce domaine et de la lutte contre l’impunité.
L’extrême diversité du DIDH permet également de relativiser la centralité des crimes
internationaux dans la construction normative de la justice transitionnelle443. Par exemple, les
Processus de réconciliation communautaire (« Community Reconciliation Process » CRP),
mis en place au sein de la commission vérité timoraise444, excluaient justement les crimes
439
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 9. On
peut noter que la version anglaise évoque les normes internationales et les standards.
440
Charte des Nations Unies, op. cit., art. 13. (1). a..
441
TAXIL (B.), « À la confluence des droits : la convention internationale pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées », AFDI, vol. 53, 2007, pp. 129-156.
442
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 9. Si
Kofi Annan évoque ici les fondements de l’action de l’ONU pour le rétablissement de l’état de droit, on retrouve
le même corpus pour le domaine plus spécifique de la justice transitionnelle, voir HCDH, « “UN Approach to
Transitional Justice” », op. cit., p. 5. On peut cependant relever que le droit international des réfugiés y occupe
sans doute une place moins importante. Noémie Turgis, par exemple, n’inclut dans le « socle normatif de la
justice transitionnelle » que le DIDH, le DIH et le droit international pénal. TURGIS (N.), La justice
transitionnelle en droit international, op. cit., p. 140.
443
Noémie Turgis évoque à cet égard le caractère de « champ matériel prioritaire de la justice transitionnelle »
des crimes internationaux. Ibid., pp. 145 et s.
444
Voir infra partie 2, titre 1, chapitre 1.
116
internationaux pour ne traiter que les violations les moins « sérieuses »445. L’intégration de
plus en plus fréquente des violations de droits de l’Homme à caractères économiques et
sociaux dans le mandat des mécanismes de justice transitionnelle446 montre bien l’importance
de ce volet de la justice transitionnelle. Il est significatif d’observer que les programmes de
lustration et les commissions vérité traitent généralement des violations des droits de
l’Homme, sans préciser la gravité de ces violations, qui peuvent ainsi comprendre, par
exemple, les violences physiques ne constituant pas des crimes graves, ainsi que les atteintes
aux biens447 et les actes de corruption448. Il faut également ajouter à ces développements
l’intégration dans la justice transitionnelle des considérations liées aux droits de la femme,
qu’il s’agisse de leur protection contre certains crimes dits sexo-spécifiques (« gender based
crimes ») ou simplement contre les discriminations. Ces normes trouvent alors à s’appliquer
tant dans la compétence des mécanismes de justice transitionnelle que dans leur
fonctionnement, en termes, par exemple, d’inclusion des femmes au sein de leurs membres449.
177. On voit poindre ici les deux volets du cadre normatif de la justice transitionnelle
correspondant aux deux éléments de l’approche telle que précédemment définie. Se trouve
alors, d’une part, l’encadrement des politiques de justice transitionnelle, correspondant à la
vision téléologique, fondée sur les finalités, de cette dernière450. Il s’agit de fonder les
politiques de justice transitionnelle sur des normes universelles. Le problème déjà évoqué de
cette approche réside dans son imprécision. De plus, son adaptabilité et son ancrage
contextuel lui confère une dimension politique s’accommodant mal d’un corset juridique.
Visiblement conscient de ces problèmes, l’ONU ne fait preuve d’un engagement que limité en
faveur de l’encadrement normatif des politiques de justice transitionnelle (Chapitre 1).
445
L’exclusion allait même au-delà des crimes internationaux puisqu’elle s’appliquait à tous les crimes
considérés comme « serious », c’est-à-dire le génocide, les crimes de guerre, le crime contre l’humanité, le
meurtre, les crimes sexuels et la torture. Voir ATNUTO, UNTAET/REG/2001/10, 13 juillet 2001, art. 22. 2 et
ATNUTO, UNTAET/REG/2000/11, 6 mars 2000, art. 10. 1.
446
Voir supra, titre 1, chapitre 2, section II.
447
Les atteintes aux biens ont été incluses dans la compétence matérielle des CETC, bien que sur le fondement
des conventions de Genève. Voir : Loi relative à la création des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux
du Cambodge pour la poursuite des crimes commis durant la période du Kampuchéa démocratique,
NS/RKM/0801/12 KRAM, 27 octobre 2004, art. 7 (ci-après, « loi portant statut des CETC »).
448
La corruption fait partie des crimes soumis à la compétence de l’Instance vérité et dignité tunisienne. Voir
« Loi organique 2013-53 du 24 décembre 2013, relative à l’instauration de la justice transitionnelle et à son
organisation », 24 décembre 2013, article 45.
449
Voir supra, titre 1, chapitre 2, section II.
450
Voir supra, introduction.
117
178. D’autre part, on trouve l’approche opérationnelle451, qui concerne les mécanismes de la
justice transitionnelle, et dont l’exigence de respect de l’état de droit implique l’encadrement
par des normes procédurales. Bien que cet aspect du droit de la justice transitionnelle soit
politiquement moins problématique pour l’ONU, son faible développement en droit
international, essentiellement dû à une trop faible intégration de la société internationale et au
maintien de traditions juridiques variées, rend son encadrement encore très incomplet
(Chapitre 2).
451
Ibid.
119
Chapitre 1. L’engagement limité de l’ONU en
faveur de l’encadrement normatif des politiques
de justice transitionnelle
179. Comme il a été dit, l’ONU fonde son action en matière de justice transitionnelle sur un
droit international qu’elle a fortement contribué à développer. La multiplicité des conventions
internationales, à vocation universelle, adoptées sous ses auspices dans le domaine des droits
de l’Homme, l’atteste. Dans la mesure où la justice transitionnelle s’épanouit dans les droits
de l’Homme, le DIH et le droit international pénal, il serait naturel de considérer que le cadre
juridique de cette justice lui préexistait et qu’il ne manquait plus qu’à affirmer l’application de
cet ensemble de normes à ce nouveau domaine. Si cette conception n’est pas dénuée de vérité,
elle omet tout de même deux points cruciaux. D’une part, tous les éléments de la justice
transitionnelle ne sont pas compris dans les normes régissant les trois domaines précités. Il
suffit de penser au développement du droit à la vérité pour le comprendre452. Une création
normative a donc bien été nécessaire. D’autre part, cette approche semble sous-estimer
l’impact pour la justice transitionnelle de lui voir appliquer un ensemble aussi dense de
normes. Le glissement du politique vers le juridique n’est jamais chose anodine et peut
présenter le risque de faire perdre en latitude ce que l’on gagne en certitude453. La question
qui s’impose alors est celle des limites à fixer à cette juridicisation. La réponse de l’ONU se
construit autour de deux axes, que nous aurons soin de suivre.
180. Tout d’abord, l’Organisation ne paraît pas mettre de frein à la juridicisation de la justice
transitionnelle. Elle en serait même le principal promoteur et acteur (Section I). Il ne reste
donc plus comme limite possible que celle de la consécration d’un droit non plus de la justice
transitionnelle mais bien d’un droit à la justice transitionnelle. Alors qu’une partie de la
doctrine semble prête à sauter le pas454, l’ONU, elle, s’y refuse encore (Section II).
452
Voir supra chapitre 2.
Mireille Delmas Marty relève ce dilemme dans sa tentative de conciliation du relatif et de l’universel. Elle
voit alors dans le concept de marge d’appréciation des États, une possible solution. Voir DELMAS MARTY
(M.), Le relatif et l’universel, les forces imaginantes du droit, Seuil, Paris, 2004, pp. 68-69. Ce concept, présenté
dans son analyse dans le cadre de la distinction faite par la CEDH entre la compatibilité et la conformité,
s’inscrit toutefois dans un domaine nécessairement déjà juridicisé.
454
Noémie Turgis parle ainsi de l’émergence d’une « obligation générale de justice transitionnelle » qui
émergerait d’un « droit des victimes au non-retour de la violence ». Voir TURGIS (N.), La justice transitionnelle
en droit international, op. cit., pp. 345-346.
453
120
Section I
Le développement onusien d’une justice
transitionnelle juridicisée
181. Le Secrétaire général a affirmé souhaiter fonder l’action de l’ONU dans le domaine de
la justice transitionnelle sur les normes internationales455. Sa note d’orientation sur l’approche
onusienne de la justice transitionnelle souligne l’existence de telles normes et de standards
onusiens, sans d’ailleurs opérer de réelle distinction entre les premières et les seconds456. Il
apparaît pourtant que la justice transitionnelle s’est initialement développée en dehors du
droit457. Afin de fonder son action sur des normes internationales, l’ONU a ainsi dû
préalablement s’attacher à ramener la justice transitionnelle dans le giron du droit
international.
182. La juridicisation de la justice transitionnelle n’a pas été motivée par une obsession
onusienne pour le droit international. Elle répond à un mouvement généralisé au sein des
acteurs de la justice transitionnelle458. Devant la réticence de certains États à se confronter aux
crimes du passé, le droit international représente, pour les victimes notamment, un argument
décisif pour tenter d’obtenir des réparations, des mesures de justice et la vérité sur les
violations qu’elles ont subies. Placer la justice transitionnelle sous le régime du droit
international sert ainsi l’objectif de mettre fin à l’impunité459.
183. Deux méthodes ont été utilisées pour opérer cette juridicisation de la justice
transitionnelle. Plutôt que de réinventer ex nihilo un ensemble de normes applicables à la
justice transitionnelle, il a été procédé à un effort de réinterprétation de la justice
transitionnelle et de normes existantes dans l’objectif de faire correspondre celle-là à celles-ci
(§ 1). Il faut noter que cette méthode avait l’avantage de considérer la justice transitionnelle
comme fondée sur des droits lui préexistant, ce qui implique leur applicabilité aux régimes
pré-transitionnels460. Afin de compléter les lacunes du droit international existant, un effort de
création normative a également été mené au service de la justice transitionnelle (§ 2).
455
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 9.
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
pp. 3-4.
457
Voir ARTHUR (P.), « How ‘transitions’ reshaped human rights », op. cit., p. 336.
458
Voir NAFTALI (P.), La construction du ‘droit à la vérité’ en droit international, op. cit., pp. 336-339.
459
C’est d’ailleurs cet objectif qui sous-tend les principes Joinet. L’approche choisie par cet expert, présentant
ces principes sous l’angle de « droits » est révélatrice du mouvement évoqué précédemment. Voir d’une façon
générale « principes Joinet », op. cit.
460
Particia Naftali qualifie cette méthode de « refondation ex post » des pratiques de justice transitionnelle. Voir
NAFTALI (P.), La construction du ‘droit à la vérité’ en droit international, op. cit., p. 338.
456
121
§1/Un effort de réinterprétation au service de la juridicisation de la
justice transitionnelle
184. Les origines ajuridiques de la justice transitionnelle ainsi que l’exceptionnalité qui
caractérise les contextes de sa mise en œuvre rendaient son expression en termes de droit
international difficile. D’une part, les violences soumises aux commissions vérité n’étaient
pas nécessairement qualifiées juridiquement et d’autre part, les normes de droit international,
notamment celles relatives aux droits de l’Homme, étaient peu adaptées aux contextes des
transitions post-conflit ou post-dictature. Un double effort a donc dû être mené, visant d’une
part à réinterpréter les normes internationales à l’aune de la justice transitionnelle (A) et,
d’autre part, à réinterpréter la justice transitionnelle à l’aune des normes internationales (B).
A) La réinterprétation des normes internationales à l’aune de la justice
transitionnelle
Deux normes retiendront notre attention ici. Il s’agit du droit à la justice, dont
l’appropriation par la justice transitionnelle a mené à sa réinterprétation (1) et du droit à
réparation, partiellement reconstruit pour correspondre aux exigences de cette justice (2).
1. L’appropriation du droit à la justice par la justice transitionnelle
185. Le droit à la justice présente deux composantes essentielles que sont le droit au recours
des victimes et l’obligation des États de poursuivre les auteurs de certains crimes graves. Or,
si le droit des victimes de violations des droits de l’Homme à avoir un accès au juge est
reconnu de façon incontestable en droit international461, celui-ci n’est pas plus illimité qu’il ne
pose d’obligations claires pour les États de poursuivre eux-mêmes les responsables de ces
violations462. Quant à l’obligation de poursuivre, sa portée est limitée à un nombre restreint de
461
A/RES/217 (III) A, Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948, art. 8 (ci-après
« DUDH ») ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New York, 16 décembre 1966, RTNU, vol.
999, p. 171, art. 2 (ci après « PIDCP »). Voir également à ce sujet SGNU, « Guidance note of the Secretary
General. United Nations approach to transitional justice », op. cit., p. 3.
462
Les limites du PIDCP à cet égard sont représentatives. Voir SEIBERT-FOHR (A.), « The fight against
impunity under the International Covenant on Civil and Political Rights », Max Planck Yearbook of United
Nations Law, vol. 6, 2002, pp. 301-344.
122
crimes prévus conventionnellement463 et son existence coutumière pour les crimes
internationaux est, au mieux, contestée464.
186. Les limites à ces droits liées aux amnisties, aux immunités, à la prescription ou à
l’absence de réelle volonté de l’État de poursuivre les responsables ont inspiré l’adoption de
plusieurs instruments internationaux instaurant l’obligation pour les États parties de
poursuivre les auteurs de ces crimes, notamment en supprimant certains obstacles aux
poursuites465. Ces instruments ne couvrent cependant qu’un spectre limité des crimes466 et le
faible nombre d’États parties à certains d’entre eux réduit grandement l’étendue matérielle de
l’obligation de poursuivre qu’ils prévoient467. Enfin, certains obstacles internes aux
poursuites, tels que les amnisties et les immunités, ne peuvent encore être surmontés que par
certaines juridictions internationales468, limitant là aussi l’étendue de l’obligation.
463
Il s’agit de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, New York, 9 décembre
1948, UN Doc. A/RES/3/260, art. 3 et 5 ; de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, New York, 10 décembre 1984, UN Doc. A/RES/39/46, art. 7 ; de la
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, New York,
20 décembre 2006, UN Doc. A/RES/61/177, art. 6, de la Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort
des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949, art. 49, ainsi que des trois autres
conventions l’accompagnant. Pour une analyse des crimes internationaux pour lesquels existe une obligation
conventionnelle de poursuivre leurs auteurs, voir : AMBOS (K.), « The legal framework of transitional justice : a
systematic study with a special focus on the role of the ICC », in AMBOS (K.), LARGE (J.), WIERDA (M.),
Building a future on peace and justice : studies on transitional justice, peace and development : the Nuremberg
declaration on peace and justice, Springer, Berlin, 2009, pp. 30-35 ; SCHARF (M. P.), « The letter of the law :
the scope of the international legal obligation to prosecute human rights crimes », Law and Contemporary
Problems, vol. 54, n° 4, 1996, pp. 41-61 ; RODLEY (N.), SCHARF (M. P.), « International law principles on
accountability », in BASSIOUNI (C.), Post-conflict justice, Transnational Publishers Inc., New York, 2002,
pp. 92-94 ; TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 160-162.
464
La seule exception serait le crime contre l’humanité, pour lequel une obligation coutumière de poursuivre est
généralement considérée comme existante. Voir RODLEY (N.), SCHARF (M. P.), « International law principles
on accountability », op. cit., pp. 94-95 ; AMBOS (K.), « The legal framework of transitional justice », op. cit.,
pp. 30-35 ; TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 162-165.
465
C’est ainsi le cas pour des crimes tels que la torture, le génocide, les disparitions forcées ou pour certains
principes tel que celui de l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Voir
respectivement : Convention contre la torture op. cit. ; Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, op. cit. ; Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées, op. cit. ; Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, New
York, 26 novembre 1968, RTNU, vol. 754, p. 73.
466
Seuls les crimes les plus graves sont ainsi concernés par ces conventions. Le crime contre l’humanité ne fait
également pas partie des crimes pour lesquels une obligation conventionnelle de poursuivre, le statut de Rome de
la CPI mis à part, existe. Voir à ce propos le travail de la CDI sur l’élaboration d’une convention contre le crime
contre l’humanité : CDI, UN Doc. A/CN.4/680, Premier rapport sur les crimes contre l’humanité par Sean D.
Murphy, Rapporteur spécial, 17 février 2015, §§10-15.
467
La Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité concerne ainsi 55
États parties alors que celle pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées n’en compte
que 46.
468
Tel que l’a rappelé la Cour internationale de justice dans son arrêt Yerodia en relevant qu’une personne
bénéficiant d’une immunité « peut faire l'objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales
internationales dès lors que celles-ci sont compétentes. ». Voir CIJ, Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République
Démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, CIJ, Recueil 2002, p. 3, § 61.
123
187. Il faut souligner que dans le cadre de la justice transitionnelle, et dans celui de l’action
onusienne pour la lutte contre l’impunité, le droit à la justice est essentiellement restreint aux
violations les plus graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Ainsi
les « Principes fondamentaux » sur le droit au recours ne concernent que les « violations
flagrantes du droit international des droits de l’homme et les violations graves du droit
international humanitaire »469. En ce qui concerne les principes pour la lutte contre l’impunité,
ils concernent essentiellement les « crimes graves selon le droit international »470, de
nombreuses dispositions étant limitées à ces crimes471. Bien que les textes en question ne
dissipent pas le flou de ces notions, il apparaît que les violations concentrant l’attention
onusienne ne couvrent que les plus graves atteintes aux droits de l’Homme et au droit
humanitaire472.
188. L’intégration du droit à la justice dans le cadre de la justice transitionnelle et de la lutte
contre l’impunité a motivé certaines adaptations de ce droit, notamment quant aux limites
dont il est l’objet. Louis Joinet envisageait déjà, dans son rapport sur la lutte contre
l’impunité, certaines « mesures restrictives justifiées par la lutte conte l’impunité ». Ces
mesures concernaient notamment l’interdiction de la prescription et des amnisties, le refus
d’accorder l’asile aux responsables des violations concernées, l’inapplicabilité des limites à
l’extradition, la non opposabilité de la règle de l’obéissance due et l’exclusion de la
compétence des tribunaux militaires pour les violations des droits de l’Homme473. Toutes ces
mesures n’ont pas été intégrée à l’approche onusienne du droit à la justice. On peut toutefois
469
A/RES/60/147, op. cit., nous soulignons. Pierre D’Argent soutient toutefois que les principes trouvent bien à
s’appliquer à l’ensemble des violations des droit de l’homme et du droit humanitaire et ne recourent aux
qualificatifs « flagrantes » et « graves » que pour souligner la particulière « indignation » que certaines violations
suscitent. L’absence de définition des violations « flagrantes » des droits de l’Homme dans le texte des principes
irait dans le sens de cette argumentation. Voir D’ARGENT (P. ), « Le droit de la responsabilité internationale
complété ? », op. cit., pp. 38-39.
470
Selon la définition de Louis Joinet, « cette qualification s'entend des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité, y compris le génocide, et des infractions graves au droit international humanitaire », « principes
Joinet », op. cit., p. 14 ; Diane Orentlicher a repris et précisé cette définition en 2005. Voir « principes
Orentlicher », op. cit., p. 6.
471
Comme par exemple l’exclusion de certaines amnisties. Voir « principes Orentlicher », op. cit., principe 24
(a).
472
Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme précise ce qu’il entend par ces expressions en précisant
notamment qu’il s’agit de « types de violations qui, systématiquement perpétrés, portent atteinte en termes
qualitatifs et quantitatifs aux droits les plus fondamentaux des êtres humains, notamment le droit de la personne
humaine à la vie et à l’intégrité physique et morale » et que les violations graves du droit international
humanitaire sont globalement celles constituant, selon le statut de Rome, des crimes de guerre. Voir HCDH,
HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit., note 5, p. 2.
473
Voir « principes Joinet », §§ 30-39.
124
noter que l’interdiction des amnisties, y compris pour les violations des droits de l’Homme ne
constituant pas des crimes internationaux, est soutenue par le HCDH474.
2. La reconstruction incomplète d’un droit à réparation des victimes
189. L’intégration du droit à réparation au sein de la justice transitionnelle a nécessité une
adaptation de ce droit aux particularités de cette justice. Les partisans de l’existence d’un droit
à réparation d’origine conventionnelle s’appuient sur de nombreux textes supposés prévoir
une obligation des États envers les particuliers de réparer les dommages survenus à l’occasion
d’une violation d’une obligation découlant de ces conventions. Sont ainsi invoqués
notamment, « le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 2), la Convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 6), la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(art. 14) et la Convention relative aux droits de l’enfant (art. 39) »475. Il faut noter ici que ces
conventions, outre l’absence de caractère général qui les caractérise, ne permettent pas aux
victimes de se prévaloir d’un droit, en droit international, à réparation de leurs préjudice mais
mettent à la charge des États parties une obligation de prévoir de telles dispositions en droit
interne476. En cas d’absence de réparations, les victimes peuvent alors se prévaloir, en droit
international, non pas d’une violation de l’obligation de réparer, mais seulement de celle de
prévoir en droit interne des moyens de réparation.
190. Le caractère incomplet et dispersé de ce droit à réparation a mené à une tentative
d’homogénéisation et de clarification de son régime et de ses modalités, en même temps que
d’une extension de sa portée. Cette opération s’est effectuée au travers de l’adoption en 2005,
par l’Assemblée générale, des « Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un
recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de
l’homme et de violations graves du droit international humanitaire » par la résolution
60/147477. La marque du droit international de la responsabilité est claire dans ces principes.
474
Voir, HCDH, HR/PUB/09/1, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit.
Amnisties. », 2009, pp. 1-20.
475
HCDH, HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit., p. 6. D’autres textes tels que la déclaration
universelle des droits de l’homme, les conventions régionales de protection des droits de l’homme, le droit
international humanitaire et le statut de Rome de la CPI sont également invoqués. Voir, TURGIS (N.), La justice
transitionnelle en droit international, op. cit., p. 332 et note 1207.
476
D’ARGENT (P. ), Les réparations de guerre en droit international public. La responsabilité internationale
des États à l’épreuve de la guerre, thèse de doctorat, LGDJ, Paris, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 781.
477
A/RES/60/147, op. cit.
125
Ainsi la réparation peut-elle se faire sous les formes de restitution, d’indemnisation, de
réadaptation, de satisfaction et de garanties de non-répétition478. La réadaptation, seule réelle
innovation vis-à-vis du droit de la responsabilité internationale479, est « censée effacer autant
que possible les séquelles psychologiques et médicales dont souffrent les victimes »480.
191. Incarnant en partie la position onusienne vis-à-vis des réparations, les Principes
fondamentaux ne reflètent en revanche que partiellement le droit international positif en la
matière, adoptant régulièrement une position ouvertement prospective481. En extrapolant à
partir de conventions spécifiques et en ayant recours à une logique d’effectivité du droit
international des droits de l’Homme et du droit humanitaire482, les principes fondamentaux
construisent ainsi un droit des victimes à réparation dont l’existence en droit positif est niée
par certains auteurs483. Louable dans l’intention, cette opération génère toutefois plusieurs
complications et crée un certain trouble quant à la portée du droit ainsi consacré.
192. Si les Principes fondamentaux prévoient bien la réparation comme conséquence de la
violation d’une obligation, l’obligation en question demeure en l’occurrence assez floue. Les
violations envisagées ici sont « les violations flagrantes au droit international de l’homme et
les violations graves du droit international humanitaire ». Il faut tout d’abord noter ici que la
réparation liée aux violations du droit humanitaire est affirmée de lege feranda. Les articles 3
de la Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et 91 du
Protocole I de 1977, invoqués pour justifier ce droit des victimes à réparation484, ne prévoient
en réalité rien de tel, limitant cette possibilité d’action en réparation aux seuls États parties au
478
Ibid. § 18.
L’inclusion des garanties de non-répétition représente également une innovation dans la mesure où, dans le
projet d’article de la CDI, celles-ci, bien que présentes, ne sont pas considérées comme une forme de réparation,
mais comme une obligation à part. Voir CDI, UN Doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), Projet d’articles
sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, art. 30 et
commentaire § 11, p. 238.
480
D’ARGENT (P. ), « Le droit de la responsabilité internationale complété ? », op. cit., p. 52. Les « Principes
fondamentaux » prévoient ainsi que la réadaptation « devrait comporter une prise en charge médicale et
psychologique ainsi que l’accès à des services juridiques et sociaux ». A/RES/60/147, op. cit., § 21.
481
Cette position prospective est reflétée par le recours au conditionnel, assez largement majoritaire en termes de
réparations. Voir. D’ARGENT (P. ), « Le droit de la responsabilité internationale complété ? », op. cit., pp. 36 et
47.
482
Ibidem.
483
AMBOS (K.), « The legal framework of transitional justice », op. cit., p. 39 ; TOMUSCHAT (C.),
« Reparations for victims of grave human rights violations », Tulane Journal of International Law, 2002, p. 183.
Contra, voir PHILIPPE (X.), « Les Nations Unies et la justice transitionnelle : bilan et perspectives »,
L’observateur des Nations Unies, n° 20/21, 2006, p. 178.
484
A/RES/60/147, op. cit., préambule ; HCDH, HR/PUB/08/1, op. cit., p. 6.
479
126
conflit485. Il est ensuite troublant que la notion de « violations flagrantes des droits de
l’homme » ne soit pas définie. La volonté de limiter les violations entrainant pour l’État
l’obligation de réparer peut certes se justifier par les moyens limités dont les États ayant
connu des violations massives des droits de l’Homme disposent et par le nombre important de
victimes. L’absence de définition des violations concernées tend tout de même à amenuiser le
lien entre la violation de l’obligation et la réparation.
193. Ce lien est d’autant plus ténu que l’identification des victimes des violations massives
est extrêmement compliquée et que les réparations sont envisagées non seulement
individuellement mais également collectivement. Il découle du type même des violations
concernées que le nombre de victimes est très important. Ce nombre justifie d’ailleurs le
recours extensif aux réparations symboliques, non pécuniaires et collectives, telles que les
excuses publiques486. Malgré l’effort de définition de la victime par les Principes
fondamentaux487, il demeure que certaines violations sont subies par l’ensemble de la société,
particulièrement au regard de la tendance à l’inclusion des droit économiques, sociaux et
culturels dans les préoccupations de la justice transitionnelle488. Or, cette globalisation de la
notion de victime, associée à l’absence de définition de la violation semble éloigner le droit à
réparation ainsi envisagé de l’approche habituelle de la responsabilité. En effet, la réparation
ne constitue plus une obligation de réparer un dommage identifié, survenu à l’occasion de la
violation d’une obligation précise, mais se présente comme une obligation découlant
directement de l’existence d’un préjudice. La réparation passerait ainsi d’obligation
secondaire, découlant de la violation d’une obligation primaire, au statut d’obligation
primaire.
485
Voir sur ce point l’analyse de Pierre D’Argent dans D’ARGENT (P. ), « Les réparations de guerre en droit
international public. », op. cit., pp. 784-788. La possibilité du développement d’un droit coutumier à réparation
pour les violations graves du droit international humanitaire est toutefois envisagée par cet auteur, notamment au
regard de la pratique et des résolutions onusiennes, en particulier l’adoption de la résolution 60/147. Ibid.
pp. 788-791.
486
A/RES/60/147, op. cit., § 22 (e). On retrouve dans les réparations symboliques le lien fort existant entre le
droit à la justice, le droit à la vérité et le droit à réparation dans la mesure où la décision de justice peut constituer
en elle-même une forme de réparation, tel que précisé au paragraphe 22 (d), en conformité avec la jurisprudence
constante de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Voir par exemple CIADH, Gomes-Lund et al.
(Guerrilha do Araguaia) v. Brazil, séries C No.219, 24 novembre 2010, § 310 et CIADH, Gelman c. Uruguay,
op. cit., § 312 point 8, dans lequel la Cour déclare que « [this] Judgment constitutes per se a form of
reparation. »
487
Le paragraphe 8 des principes fondamentaux précise que sont considérées comme victimes « les personnes
qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique
ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en
raison d’actes ou d’omissions constituant des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme
ou des violations graves du droit international humanitaire. »
488
Voir supra titre 1, chapitre 2, section II.
127
194. Cette approche de la réparation s’illustre particulièrement au travers de l’aspect collectif
de ces dernières. Cet aspect dépasse, par le nombre des victimes et l’étendue des préjudices, la
capacité des tribunaux, qu’ils soient civils ou pénaux. Conscients de cette importante limite,
les « Principes fondamentaux », et l’ONU d’une façon plus générale, préconisent le recours à
des programmes de réparation détachés du processus judiciaire489. Il apparaîtrait alors que
l’État se voit attribué une obligation de réparer les préjudices au sujet desquels sa
responsabilité ne saurait être engagée. Bien que les « Principes fondamentaux » usent à ce
sujet du conditionnel, dénotant une position de lege feranda490, le détachement de l’obligation
de l’État de réparer les préjudices subis par sa population de la détermination de la violation
d’une obligation, qu’elle soit interne ou internationale, équivaudrait à insérer les réparations
comprises au sens de la justice transitionnelle non plus dans le régime juridique de la
responsabilité mais bien dans celui, politique, du renouvellement du contrat social491.
B) La réinterprétation de la justice transitionnelle à l’aune des normes
internationales
195. Les mandats des commissions vérité sont orientés vers le traitement des violations des
droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Ce langage n’est pas anodin. Il relève
d’une qualification juridique des violences commises. Or, cette qualification ne va pas de soi
en ce qui concerne la justice transitionnelle. L’objectif de réconciliation nationale, de même
que la recherche des causes profondes des conflits, paraissent peu propices à un traitement
juridique des violations passées. On observe pourtant bien une volonté de juridiciser les
réponses apportées par ces mécanismes aux violences qu’ils sont chargés de traiter.
196. On observe à cet égard un glissement progressif vers cette juridicisation au niveau du
mandat des commissions vérité. La commission salvadorienne, créée en 1991, avait pour
tâche d’enquêter sur les « serious acts of violence (…) whose impact on society urgently
489
Les Principes fondamentaux recommandent ainsi que les États mettent en place des « programmes nationaux
pour fournir réparation et toute autre assistance aux victimes, lorsque la partie responsable du préjudice subi
n’est pas en mesure ou n’accepte pas de s’acquitter de ses obligations. ». A/RES/60/147, op. cit., § 16. La
disposition limitant ces programmes aux préjudices n’étant pas liés aux actions ou omissions de l’État est en fait
illusoire, dans la mesure où ces programmes de réparation ont justement comme objectif d’éviter les lourdeurs
du système judiciaire et concernent donc des réparations attribuées sur le fondement du préjudice et non du
responsable du dommage. Si les types de violations ainsi que les préjudices peuvent être des critères d’attribution
des réparations, cette détermination ne peut s’apparenter à une enquête ayant pour but d’attribuer une
responsabilité au sens juridique du terme. Dans le sens du dépassement du cadre judiciaire, voir également
HCDH, HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit., p. 7.
490
Ibid. « Les États devraient s’efforcer de créer… », (nous soulignons).
491
Voir dans ce sens D’ARGENT (P. ), « Le droit de la responsabilité internationale complété ? », op. cit., p. 52.
128
demands that the public should know the truth »492. La CEH guatémaltèque, datant de 1994,
devait pour sa part « clarify (…) the human rights violations and acts of violence that have
caused the Guatemalan population to suffer »493. Enfin, la CVR sierra léonaise a été mandatée
en 2000 « to create an impartial historical record of violations and abuses of human rights
and international humanitarian law related to the armed conflict in Sierra Leone »494. On voit
bien à travers ces trois exemples l’intégration progressive des droits de l’Homme au sein des
mandats des commissions vérité. Les commissions établies, avec l’aide de l’ONU, au Timor
Leste495, au Libéria496, en RDC497, en Côte d’Ivoire498 et aux Îles Salomon499 ont repris ce
vocabulaire dans leur mandat. On s’écarte alors d’une approche historique et sociologique des
violences pour se rapprocher d’une vision juridique. L’idée d’héritage d’un passé violent
laisse la place à celle de violations massives des droits de l’Homme500. Ce glissement a fait la
preuve de son efficacité, dans la mesure où l’on observe aujourd’hui un « lien indéfectible
entre justice transitionnelle et crimes de droit international »501.
197. La même tendance est visible dans l’approche onusienne des réparations. Le Rapporteur
spécial pour la justice transitionnelle et le HCDH insistent sur le fait que celles-ci doivent
avoir pour but « de reconnaître la gravité de la violation des droits égaux des concitoyens et
de montrer que le régime successeur est fermement résolu à respecter ces droits »502. On ne
s’intéresse donc plus simplement aux dommages matériels ou moraux subis par les victimes
mais bien à une violation d’une obligation définie juridiquement.
492
« Accord de Mexico », annexe, op. cit., art. 2.
« Statut de la CEH », op. cit., p. 13.
494
« Truth and reconciliation commission Act 2000 », 10 février 2000, art. 6. (1).
495
UNTAET/REG/2001/10, « Regulation n° 2001/10 on the establishment of a Commission for reception, truth
and reconciliation in East Timor », 13 juillet 2001, section 3. 1. a).
496
CVR Libéria, « An act to establish the Truth and reconciliation commission of Liberia », Monrovia, 12 mai
2005, art. 4 a).
497
« Loi n° /04/018 du 30 juillet 2004 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission
vérité et réconciliation » [créant la commission vérité de RDC], art. 6.
498
« Ordonnance n° 2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de
la Commission dialogue, vérité et réconciliation », Abidjan, 13 juillet 2011 [instituant la commissions vérité de
Côte d’Ivoire], art. 5.
499
« Truth and reconciliation commission act 2008 », 28 août 2008, [établissant la Commission vérité et
réconciliation des Îles Salomon], art. 5 b).
500
Voir supra, introduction.
501
TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., p. 150.
502
HCDH, HR/PUB/08/1, op. cit., p. 35. Le rapporteur spécial utilise pour sa part l’expression de « rights
holders » pour désigner le statut que les réparations sont censées accorder aux victimes. Voir Rapporteur spécial
sur la justice transitionnelle, UN Doc., A/69/518, op. cit., p. 4.
493
129
198. La construction du droit à la vérité par les acteurs de la justice transitionnelle est un
exemple particulièrement représentatif de cette volonté de « juridiciser le non-droit »503 qui
caractérisait l’émergence initiale de cette justice. Patricia Naftali explique que la construction
de ce droit provient en grande partie d’une « volonté d’abstraire les commissions de vérité de
leur contexte politique d’origine et de les institutionnaliser aux Nations unies comme pratique
de pacification internationale au nom d’obligations étatiques de faire la lumière sur des
événements du passé. »504 La position du HCDH concernant le droit à la vérité vient
confirmer cette position. Dans son étude sur le droit à la vérité, transmise à la Commission
des droits de l’homme en 2006, la Haut-Commissaire exprimait la position suivante :
« le droit à la vérité au sujet des violations flagrantes des droits de l’homme et
des violations graves du droit relatif aux droits de l’homme est un droit
inaliénable et autonome, lié au devoir et à l’obligation qui incombe à l’État de
protéger et de garantir les droits de l’homme, de mener des enquêtes efficaces et
de garantir un recours utile et une réparation appropriée. Ce droit, qui est
étroitement lié à d’autres droits et qui a une dimension à la fois individuelle et
sociétale, devrait être considéré comme un droit intangible et ne devrait faire
l’objet d’aucune limitation. »505
La suite de l’étude listait les mécanismes permettant de garantir l’effectivité du droit à la
vérité, parmi lesquels on trouvait les commissions vérité, les tribunaux pénaux, les
commissions d’enquête, les commissions nationales des droit de l’Homme et les mesures
d’ouverture des archives au public506. Ces mécanismes se trouvent ainsi légitimés par leur rôle
quant à l’effectivité d’un droit garanti par le droit international.
503
NAFTALI (P.), La construction du ‘droit à la vérité’ en droit international, op. cit., p. 336.
Ibid., p. 337.
505
HCDH, « étude sur le droit à la vérité », op. cit., p. 1.
506
Ibid., §§ 47-54. L’étude publiée l’année suivante par le HCDH parvenait à des conclusions globalement
identiques. Voir HCDH, « étude sur le droit à la vérité » 2007, op. cit., §§ 8-18 et 40-71.
504
130
§2/L’effort de création normative au service de la justice transitionnelle
199. Les remarques précédentes ont montré que si la réinterprétation des normes
internationales et de la justice transitionnelle a permis à cette dernière d’être dorénavant
exprimée en des termes juridiques et non plus simplement moraux ou politiques, certains des
droits intégrés à ce langage n’avaient qu’une valeur normative limitée. Les acteurs onusiens
se sont donc attachés à consolider cette normativité. La participation de l’ONU à l’élaboration
du droit conventionnel est une tâche classique pour l’Organisation, il n’est pas étonnant
qu’elle ait été active dans le développement de telles normes dans le domaine de la justice
transitionnelle (A). Le rôle de l’Organisation dans le développement des normes coutumières
a toujours été plus polémique507. On verra toutefois que la justice transitionnelle pourrait bien
représenter un terreau d’expansion de ce rôle (B). Enfin, les acteurs onusiens ont largement
participé à l’adaptation du jus cogens aux objectifs de la justice transitionnelle (C).
A) La création par l’ONU d’un droit conventionnel de la justice
transitionnelle
200. L’ONU occupe une place centrale dans le développement du droit international
conventionnel. L’universalisme de l’Organisation en fait un forum idéal pour l’élaboration de
traités aspirant à ce même universalisme, tels ceux entrant dans le domaine du droit
international des droits de l’Homme. Les principales conventions invoquées dans le domaine
de la justice transitionnelle ont ainsi été adoptées sous les auspices de l’ONU508.
201. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette centralité. Tout d’abord, l’ONU, grâce à son
quasi-universalisme, joue un rôle de légitimation des normes discutées, élaborées et adoptées
en son sein. À cet égard, les choix de l’instrument et de la structure se rejoignent. La forme
conventionnelle assure la légitimité de la norme vis-à-vis des États en représentant une
expression de leur souveraineté. Cette légitimité est cruciale dans la mesure où ce sont les
507
Sur les débats ayant entourant le rôle de l’ONU dans la formation coutumière, voir infra B).
Parmi celles-ci, citons : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, op. cit. ; la
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, New York, 7 mars
1966, RTNU, vol. 660, p. 195 ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, op. cit. ; le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, New York, 16 décembre 1966, RTNU,
vol. 993, p. 3 ; la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, New
York, 26 novembre 1968, RTNU, vol. 754, p. 73 ; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes, New York, 18 décembre 1979, RTNU, vol. 1249, p. 13 ; la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, op. cit. ; la Convention relative
aux droits de l’enfant, New York, 20 novembre 1989, RTNU, vol. 1577, p. 3 et bien sûr la Convention
internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, op. cit.
508
131
États qui seront les principaux responsables de la mise en œuvre des normes ainsi adoptées.
La structure onusienne permet également de donner une assise mondiale à ces normes, en
permettant aux États les moins puissants sur la scène internationale de participer aux
négociations et d’influer sur leur issue. Les traités issus de ces négociations peuvent ainsi plus
facilement s’élever au rang de « normes d’application universelle »509 bénéficiant d’une
« légitimité dont on ne saurait dire qu’elle caractérise les modèles nationaux exportés »510.
L’universalisme onusien et la légitimité qui l’accompagne se transforment ainsi en instrument
de légitimation de la mission des mécanismes de justice transitionnelle.
202. Ensuite, la place accordée aux ONG par la Charte des Nations Unies favorise le choix
de cette enceinte pour le développement de certaines normes conventionnelles. Si l’attention
portée par la Charte à ces acteurs se limite à autoriser le Conseil économique et social à
« prendre toutes dispositions utiles pour [les] consulter »511, la pratique a montré l’importance,
si ce n’est la centralité, de leur rôle dans l’initiative et l’élaboration de certaines conventions
internationales, y compris dans le domaine de la justice transitionnelle512. La Convention pour
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, dont l’initiative revient à
ces organisations et à la rédaction de laquelle elles ont activement participé, témoigne de la
place importante qu’elles occupent dans ce processus513.
203. Cette ouverture de l’ONU ainsi que son propre engagement dans les domaines de la
justice transitionnelle et de la lutte contre l’impunité expliquent également en partie
l’intégration des considérations propres à ces domaines au sein de son travail de
conventionnalisation. C’est ce qu’on a pu observer au travers de la consécration du droit à la
vérité dans la Convention contre les disparitions forcées, reprenant ainsi une notion
509
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 9.
Ibid., § 10. Hurst Hannum note à cet égard que « [without] the international standards developed by the
United Nations, the linkage of foreign policy to human rights conditions in other countries would be open to
devastating charges of ‘cultural imperialism’ or interference in ‘domestic affairs’ ». HANNUM (H.), « Human
Rights », in JOYNER (C. C.), dir., The United Nations and international law, Cambridge University Press, NewYork, 1997, p. 153.
511
Charte des Nations Unies, op. cit., art. 71.
512
Sur le rôle croissant des ONG au sein des processus décisionnels onusiens, voir KAUFMANN (J.),
« Developments in decision making in the United Nations », in BARDONNET (D.) dir., L’adaptation de la
structure et des méthodes des Nations Unies, Colloque de l’Académie du droit international de la Haye, 4-5
novembre 1985, pp. 171-185 ; RANJEVA (R.), « Les organisations non gouvernementales et la mise en œuvre
du droit international », RCADI, vol. 270, 1997, pp. 9-106.
513
Pour une description détaillée de l’élaboration et de l’adoption de cette convention, voir DE FROUVILLE
(O.), « La convention des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées : les enjeux d’une négociation exemplaire. », Droits fondamentaux, n° 6, 2007, 92 p.
510
132
directement issue de la justice transitionnelle514. Ce mouvement est également présent au sein
des sujets actuellement traités par la Commission du droit international, telle que la question
de « l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État »515 ou encore celle
du projet de convention concernant les crimes contre l’humanité516.. Les travaux portant sur
ce dernier sujet montrent d’ailleurs la convergence progressive du droit international, en
l’occurrence pénal, et de la justice transitionnelle.
204. S’interrogeant sur la place à octroyer aux victimes au sein du projet d’articles sur le
crime contre l’humanité, le Rapporteur spécial, Sean D. Murphy, note que les «[les] normes
internationales relatives aux droits des victimes sont assez récentes; elles remontent pour
l’essentiel aux années 1980 »517, période correspondant à la naissance de la justice
transitionnelle en Amérique latine. En s’appuyant notamment sur les dispositions pertinentes
de la Convention contre les disparitions forcées ainsi que sur les « principes
fondamentaux »518, le Rapporteur spécial propose un article 14 dédié à la question des
victimes et témoins comprenant la possibilité pour les victimes de participer aux poursuites
ainsi que l’obligation pour les États de réparer les dommages occasionnés, en retenant de
façon significative les cinq types de réparation envisagés par les « principes fondamentaux »
précités519. Bien que la question des amnisties semble être définitivement écartée du projet
d’articles, ce dernier témoigne tout de même de l’influence grandissante des préoccupations
liées à la justice transitionnelle dans le développement du droit international conventionnel.
514
Voir supra § 1.
Voir A/RES/62/66 (2008), § 7.
516
Voir A/RES/69/118 (2014), § 7.
517
CDI, UN Doc. A/CN.4/704, Troisième rapport sur le crime contre l’humanité, Sean D. Murphy, Rapporteur
spécial, 23 janvier 2017, p. 78.
518
A/RES/60/147, op. cit.
519
Il s’agit de la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition.
CDI, UN Doc. A/CN.4/704, Troisième rapport sur le crime contre l’humanité, op. cit., pp. 93-94.
515
133
B) La justice transitionnelle : un terreau de l’expansion du rôle de l’ONU
dans la formation coutumière ?
205. La vocation universelle de la justice transitionnelle ainsi que son ancrage au sein des
droits de l’Homme rendent ce domaine particulièrement propice à la qualification coutumière
des normes qui le composent520. Ceci est d’autant plus vrai que, à l’instar des droits de
l’Homme, la justice transitionnelle participe d’une approche spécifique, au formalisme réduit,
de la formation des normes coutumières (1). Ces normes étant par définition dématérialisées,
le processus de leur identification et de leur formulation revêt une importance parfois aussi
grande que celui de leur formation. Nous verrons ainsi que, en multipliant les organes
d’identification et d’interprétation de ces normes, l’ONU s’est placée au cœur de ce processus
(2). Au-delà de ce rôle, l’étendue et la forme de l’activisme des organes onusiens
intergouvernementaux et, surtout, intégrés incitent à envisager une évolution de leur rôle dans
la formation même des normes coutumières de la justice transitionnelle (3).
1. La justice transitionnelle face à la formation coutumière
206. Pour la justice transitionnelle, la coutume internationale représente plusieurs avantages.
La valeur coutumière des principaux crimes de droit international permet de contourner
l’absence de ratification par certains États des conventions encadrant ces crimes, telles les
conventions contre le génocide et contre la torture, ainsi que les crimes de guerre définis par
les conventions de Genève, ou encore l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité. La particularité des crimes internationaux, qui touchent l'ensemble de la
communauté internationale, a justifié une approche plus souple de la formation coutumière.
Suivant d’une certaine façon l’approche graduée de la formation de la coutume – développée
par Frédéric Kirgis à propos de l’arrêt de la CIJ dans l’affaire Nicaragua521 – les juges de la
chambre d’instance du TPIY ont déclaré que :
« les principes du droit international humanitaire peuvent, par processus
coutumier, naître de la pression des exigences de l’humanité ou de celles de la
conscience publique, même lorsque la pratique des États est rare ou
contradictoire. L’autre élément, l’opinio necessitatis, qui se cristallise sous l’effet
520
Voir TOMUSCHAT (C.), « Obligations for states without or against their will », RCADI, vol. 241, 1993,
pp. 275-309.
521
KIRGIS (F. L.), « Custom on a sliding scale », AJIL, vol. 81, 1987, pp. 146-151.
134
des impératifs de l’humanité ou de la conscience publique, pourrait bien se
révéler être l’élément décisif annonciateur de l’émergence d’une règle ou d’un
principe général du droit humanitaire. »522
Si les juges évoquent ici le seul droit international humanitaire et fondent en partie leur
raisonnement sur l’application par les États de la clause de Martens, il paraît tout de même
que les crimes internationaux représentent un terrain particulièrement favorable à cette
approche de la coutume.
207. Ce sont des considérations analogues qui ont mené, sans être explicitement nommées, à
une tendance à faire prévaloir l’opinio juris sur la pratique des États. L’élément subjectif de la
coutume a été réinterprété pour pouvoir être identifié sur le fondement quasi-unique des textes
émanant de l’Assemblée générale de l’ONU. La notion d’opinio juris a fait l’objet de
nombreuses polémiques doctrinales qu’il ne nous revient évidemment pas de chercher à
trancher ici523. Il est en revanche intéressant de noter que certaines des déclarations et
résolutions adoptées par cet organe ont pu, de façon quasi-autonomes, être vues comme
témoignant d’une opinio juris sur certaines questions. La CIJ s’est très largement fondée sur
la résolution 2625 (1970) de l’Assemble générale524 pour identifier une opinio juris quant à
l’interdiction de l’usage de la force entre États525. Un raisonnement similaire a été tenu par le
TPIY concernant le caractère coutumier de la définition de la torture, fondé en grande partie
sur les diverses déclarations, résolutions et conventions adoptées au sein de l’ONU sur ce
sujet526.
522
TPIY, Le Procureur c. Kupreskic, Affaire IT-95-16-T, 14 janvier 2000, § 527, cité in, ARAJÄRVI (N.),
« The role of the international criminal judge in the formation of customary international law », European
Journal of Legal Studies, vol. 1, n° 2, 2007, p. 106.
523
À commencer par la critique kelsénienne de l’opinio juris vue comme la croyance des États en la conformité
de leur pratique avec une norme existante. Voir KELSEN (H.), « Théorie du droit international coutumier »,
Revue internationale de la théorie du droit, vol. X, 1939, pp. 153 et ss. De nombreux auteurs se sont opposés à
cette critique. Voir par exemple DE VISSCHER (P.), « Cours général de droit international public », RCADI,
vol. 136, 1972, pp. 70-77 ou encore COMBACAU (J.), SUR (S.), Droit International Public, LGDJ, Paris, 12e
éd., 2016, p. 61.
524
Il s’agit de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, adoptée le 24 octobre 1970.
525
Activités militaires et paramilitaire au Nicaragua et contre celui-ci, (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, CIJ, Recueil 1986, p. 14, §§ 188 et s. Voir à ce sujet MENDELSON (M.), « The formation of
customary international law », RCADI, vol. 272, 1998, pp. 378-381 ; PELLET (A.), « La formation du droit
international dans le cadre des Nations Unies », op. cit., p. 416. Il est notable à cet égard que la place de l’opinio
juris, fondée sur le consensus exprimé en faveur de certaines résolutions de l’Assemblée générale, a pu être
considérée comme pouvant suffire à la cristallisation d’une norme coutumière, y compris en l’absence d’une
large pratique de la part des États. Voir KIRGIS (F. L.), « Custom on a sliding scale », op. cit.
526
TPIY, Le Procureur c. Anto Furundzija, Affaire n° IT-95-17/1-T, 10 décembre 1998, §§ 160-161. Voir sur ce
sujet, ARAJÄRVI (N.), « The role of the international criminal judge », op. cit., pp. 101-102.
135
208. Outre le jus cogens, dont il sera question plus tard527, la coutume est la principale
concernée par l’évolution du droit international qu’aurait initié le DIDH528. De
l’inopposabilité de l’objection persistante aux normes erga omnes529 à la considération des
pratiques étatiques non conformes comme des violations de la coutume et non comme des
preuves de sa non existence530, il apparaît en effet que les normes du DIDH, tout du moins
celles considérées comme les plus fondamentales, participent à une « humanization » du
« new jus gentium of the twenty-first century »531. La même remarque s’applique au droit
international humanitaire, dont certains des principes les plus fondamentaux ont même été
qualifiés de « considérations élémentaires d’humanité » par la CIJ532. La lutte contre
l’impunité et, par extension, la justice transitionnelle constituent ainsi un terreau
particulièrement
533
« sauvages »
527
fertile
pour
le
développement
d’une
coutume
aux
apparences
.
Voir infra C).
Jean-François Flauss qualifie les droits de l’Homme comme « terre d’élection du ‘renouvellement’ (voire de
l’aggiornamento) du processus coutumier ». Voir FLAUSS (J.-F.), « Rapport général » in SFDI, La protection
des droits de l’homme et l’évolution du droit international, colloque de Strasbourg, Pedone, Paris, 1998, p. 64.
529
SICILIANOS (L.-A.), « L’influence des droits de l’Homme sur la structure du droit international », RGDIP,
vol. 116, n° 1, 2012, p. 19.
530
Voir notamment SCHACHTER (O.), « International law in theory and practice : general course in public
international law », RCADI, vol. 178, 1982, pp. 335-336.
531
TRINDADE (C.), « International law for humankind : towards a new jus gentium (I) : general course on
public international law », RCADI, vol. 316, 2005, p. 336.
532
CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, CIJ, Recueil 1996, p. 226, § 79.
Sur le recours par la CIJ aux considérations élémentaire d’humanité, voir DUPUY (P.-M.), « Les ‘considérations
élémentaires d’humanité’ dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice », in DUPUY (R.-J.), dir.,
Droit et justice. Mélanges en l’honneur de Nicolas Valticos, Pedone, Paris, 1999, pp. 117-130.
533
DUPUY (R.-J.), « Coutume sage et coutume sauvage », in La communauté internationale. Mélanges offerts à
Charles Rousseau, Pedone, Paris, 1974, pp. 75-87. Pour une critique de cette transformation de l’opinio juris au
service des droits de l’Homme, voir ALSTON (P.), SIMMA (B.), « The sources of human rights law : custom,
jus cogens, and general principles », Australian Yearbook of International Law, vol. 12, 1988-1989, pp. 88-89 et
98-100, ainsi que MERON (T.), « International law in the age of human rights : general course on public
international law », RCADI, vol. 301, 2003, pp. 409-413.
528
136
2. La centralité des organes onusiens dans l’identification des normes coutumières de la
justice transitionnelle
209. Du fait de son invisibilité534, la coutume laisse un rôle particulièrement important aux
organes procédant à son identification. La CIJ, chargée par son statut d’appliquer la coutume
internationale, se voit bien souvent obligée de procéder à son identification préalable. La CDI
en tant qu’organe chargé, entre autre, d’assurer la codification du droit international535,
participe également à l’identification de ces normes. Le rôle de celle-ci est toutefois plus
nuancé que celui de la CIJ, dans la mesure où la CDI ne fait que proposer son interprétation
des normes coutumières qu’elle identifie, alors que la Cour internationale applique les normes
identifiées à un litige présenté devant elle. Le rôle du juge est d’autant plus central dans
l’identification de la norme coutumière que la frontière entre l’identification et la formation de
la coutume est ténue. Les juges peuvent, sous couvert d’identifier une coutume existante,
contribuer parfois à sa formation.
210. Il apparaît que, dans le domaine de la justice transitionnelle, l’ONU a multiplié ces
autorités d’identification en créant les juridictions pénales internationales. Les TPI et le TSSL,
notamment, ont fait un travail considérable d’identification des normes coutumières dans les
domaines du droit international pénal et du DIH536. La jurisprudence du TPIY est
particulièrement riche en la matière.
211. L’apport des juridictions pénales internationales au développement des normes
coutumières de la justice transitionnelle ne se limite pourtant pas à l’identification de ces
normes au travers de leur jurisprudence. Ce développement est également observable dans la
définition des crimes telle qu’adoptée dans les statuts de ces juridictions. Ce point met alors
en lumière le rôle du Conseil de sécurité dans ce développement. Celui-ci est visible au
travers de l’évolution de la définition des crimes contre l’humanité entre les statuts du TPIY et
du TPIR, le cantonnement de ces crimes aux contextes de conflits armés dans le cadre du
534
Serge Sur qualifiait la coutume de norme « invisible » qui « se reflète dans tous les miroirs ». COMBACAU
(J.), SUR (S.), Droit international public, Montchrestien, Paris, 12e éd., 2016, p. 59.
535
La résolution 174 (II) de l’Assemblée générale, créant la CDI, confère à cet organe la tâche de « promouvoir
le développement progressif du droit international et sa codification », dans le but de donner effet à l’article 13
de la Charte des Nations Unies. Voir A/RES/174 (II) (1947), annexe, article 1. al. 1.
536
Voir d’une façon générale : ARAJÄRVI (N.), « The role of the international criminal judge in the formation
of customary international law », op. cit. ; CASSESE (A.), International criminal law, op. cit., pp. 17-20 ;
TOMUSCHAT (C.), « La cristallisation coutumière », in ASCENSIO (H.), DECAUX (E.), PELLET (A.), dir.,
Droit international pénal, 2e éd., Pedone, Paris, 2012, pp. 37-49.
137
TPIY disparaissant dans celui du TPIR537. Un autre exemple peut être tiré du TSSL.
L’incorporation dans le statut de ce Tribunal du crime du recrutement ou de l’enrôlement
d’enfants âgés de moins de 15 ans dans des forces ou groupes armés en vue de les faire
participer activement aux hostilités538 comme violation du droit international humanitaire ne
correspondait probablement pas à l’état du droit coutumier au moment des faits. Les mises en
garde du Secrétaire général, qui avait relevé cet écart et proposait en conséquence de limiter
ce crime à « [l’enlèvement] et [le] recrutement forcé d’enfants de moins de 15 ans dans les
forces ou groupes armés, aux fins de les faire participer activement à des hostilités »539, ont
été ignorées et la définition du Conseil de sécurité a été adoptée540. Saisis de cette question au
titre de la non rétroactivité de la loi pénale, les juges du TSSL ont confirmé la position du
Conseil de sécurité dans une décision critiquée541. Il ne s’agit certes pas ici du développement
d’un nouvelle norme coutumière à proprement parler, dans la mesure où le crime tel que
décrit dans le statut du Tribunal avait connu une cristallisation coutumière au moment de son
inclusion, comme l’atteste son insertion dans le statut de la CPI542. Il demeure que le Conseil
de sécurité a considérablement étendu le champ d’application temporel du crime de
recrutement d’enfants soldats.
537
Alors que l’article 5 du statut du TPIY définit les crimes contre l’humanité comme des actes « commis au
cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle
qu’elle soit », l’article 3 du statut du TPIR les envisage comme des actes « commis dans le cadre d’une attaque
généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance
nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse ».
538
« Conscripting or enlisting children under the age of 15 years into armed forces or groups or using them to
participate actively in hostilities ») Statut du TSSL, op. cit., art. 4. c, (nous soulignons).
539
(« Abduction and forced recruitment of children under the age of 15 years into armed forces or groups for the
purpose of using them to participate actively in hostilities »), SGNU, UN Doc. S/2000/915, Rapport du
Secrétaire général sur l’établissement d’un Tribunal spécial pour la Sierra Léone, 4 octobre 2000, § 15, nous
soulignons).
540
Sur cette question, voir ASCENSIO (H.), « L’apport des tribunaux pénaux internationalisés à la définition des
crimes internationaux » in ASCENSIO (H.), dir., Les juridictions pénales internationalisées, op. cit., p. 91 ;
SMITH (A.), « Child Recruitment and the Special Court for Sierra Leone », JICJ, vol. 2, n° 4, 2004, pp. 11411153.
541
TSSL, Appel, Affaire No.SCSL-2004-14-AR72(E), Prosecutor Against Sam Hinga Norman, Decision on
preliminary motion on lack of jurisdiction (child recruitment), 31 mai 2004.
542
Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 8. 2. e) vii.
138
3. Une contribution de l’ONU à la formation de normes coutumières ?
212. Le rôle des organes onusiens dans la formation, la cristallisation et la consolidation des
normes coutumières a été abordé par de nombreux auteurs. Sans prétendre à l’exhaustivité, on
ne fera que rappeler certains des points les plus importants de cette question, en interrogeant
la possibilité d’une évolution du rôle de certains organes dans la formation coutumière.
213. Le principal élément du débat concerne la possibilité pour les résolutions des organes
intergouvernementaux – ou même supranationaux – de participer à la formation, voire de
former en elles-mêmes, des normes coutumières. Précisons que les coutumes internes à
l’Organisation ne sont pas envisagées ici, mais uniquement celles qui, intégrées au droit
international général, s’appliquent aux relations entre États. Bien que la capacité du Conseil
de sécurité à édicter des normes coutumières ait fait l’objet de débats, le manque de
représentativité de cet organe incite à rejeter cette éventualité543. Le faible nombre de
membres siégeant au Conseil ne permettrait pas de cristalliser ou de développer une norme
coutumière pouvant prétendre à son intégration au droit international général. Ceci ne fait
cependant pas obstacle à la création de coutumes internes à cet organe, telle la modification
de la signification de l’abstention d’un membre permanent544. Cette pratique, d’ailleurs
exceptionnelle, s’assimilerait toutefois à la création d’une coutume « constitutionnelle »545,
exclue de cette analyse. C’est donc sur la question du rôle de l’Assemblée générale qu’il faut
se concentrer.
214. L’Assemblée générale agit comme un facteur d’accélération de la formation
coutumière546. Gérard Cahin note ainsi qu’en réunissant la quasi-totalité des États en une
assemblée déségrégationnée, l’organe plénier permet une « sédimentation »547 de la pratique
étatique. Plus encore, elle peut, par une attitude incitatrice, participer activement à la
naissance d’une telle pratique dans un but programmé d’élaboration normative548. Si ce rôle
de l’Assemblée générale n’est certes pas négligeable, il ne modifie pourtant en rien la logique
543
Voir l’article d’Olivier Corten sur ce sujet, rappelant les termes du débat et excluant définitivement toute
capacité du Conseil dans ce sens : CORTEN (O.), « La participation du Conseil de sécurité à l’élaboration, à la
cristallisation ou à la consolidation de règles coutumières », RBDI, vol. XXXVII, n° 2, pp. 552-567.
544
Voir à cet égard les remarques de la CIJ in CIJ, « Conséquences juridiques pour les États de la présence
continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud Ouest Africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil
de sécurité », avis consultatif, CIJ, Recueil 1971, p. 16, §§ 21-22.
545
Voir CAHIN (G.), La coutume internationale et les organisations internationales, thèse de doctorat, Pedone,
Paris, 2001, pp. 16-19.
546
VIRALLY (M.), L’Organisation mondiale, op. cit., pp. 322-330.
547
CAHIN (G.), La coutume internationale et les organisations internationales, op. cit., pp. 149-155.
548
Ibid., pp. 155-162.
139
même de la formation coutumière. Au contraire, en cherchant à provoquer une pratique
étatique, que l’on imagine uniforme, elle démontre son attachement à une approche classique
des deux éléments de la coutume, au contraire de la position plus dynamique se développant
dans le domaine des droits de l’Homme, comme évoqué précédemment. Ce rôle est d’autant
plus classique que l’Assemblée générale est un organe intergouvernemental, ce qui implique
que l’incitation provient in fine des États eux-mêmes.
215. Il ressort qu’en dehors des cas évoqués précédemment, les résolutions de l’Assemblée
générale n’ont pas un impact significatif sur les modes de formation de la coutume. La
doctrine relève ainsi que même dans les cas où les juges se fondent essentiellement sur ces
textes pour identifier l’existence d’une norme coutumière, c’est bien plus en tant que
témoignages de l’existence d’une telle norme que ces résolutions doivent être appréciées
qu’en tant qu’élément de formation. Jorge Castañeda note à cet égard que « le fondement
ultime du caractère obligatoire des règles ou des principes ‘déclarés’, ‘reconnus’ ou
‘confirmés’ par une résolution, réside finalement dans le fait que ce sont des règles
coutumières ou des principes généraux de droit »549, et non que ces textes leur confèrent, par
eux-mêmes, cette qualité. Il est vrai que lorsqu’un consensus existe au sein de la communauté
des États autour d’une norme, la formalisation de ce consensus par l’intermédiaire d’une
résolution ne confère pas à cette dernière, qui n’est finalement qu’un média, de valeur
créatrice. Il convient toutefois de nuancer ce propos dans la mesure où, si la formalisation du
consensus ainsi effectuée suffit à l’identification d’une norme coutumière, en l’absence même
de pratique concordante, c’est bien en raison du média qui a été choisi et de l’importance que
les juges lui confèrent.
216. Un autre rôle de l’ONU dans la formation des normes coutumières de la justice
transitionnelle existe cependant. À l’instar de l’Assemblée générale, les organes intégrés, tels
que le Secrétaire général et le HCDH, participent à la sédimentation de la pratique des États.
Or, ce rôle semble généralement sous-évalué, voire totalement ignoré par la doctrine550.
Pourtant, un rapprochement avec l’idée développée par Jean Charpentier concernant le rôle
des individus paraît possible.
549
CASTAÑEDA (J.), « Valeur juridique des résolutions des Nations Unies », RCADI, vol. 129, 1970, p. 318.
Gérard Cahin envisage l’implication des organes non gouvernementaux dans la formation de la coutume
essentiellement dans le cadre des normes internes à l’Organisation. CAHIN (G.), La coutume internationale et
les organisations internationales, op. cit., pp. 61-69.
550
140
217. Ce rôle incitatif a en effet été envisagé, concernant les individus, par Jean
Charpentier551. Il reconnaissait toutefois qu’il ne pouvait constituer « qu’une source matérielle
de la coutume, pas une source formelle »552 dans la mesure où la position, ou la législation,
adoptée suite à cette incitation revenait toujours à l’État. Il en ressort que « l’initiative
individuelle peut être l’occasion mais n’est jamais le fait générateur de la formation de la
coutume »553. Le même auteur accordait un rôle plus important à ces mêmes individus lorsque
la pratique ainsi considérée était relative à la protection des droits de l’Homme. Les droits
revendiqués nationalement par des individus dans une multitude d’États distincts pourraient
alors, s’ils sont reconnus par ces États, finir par être érigés en droits coutumiers. Le
raisonnement butte cependant sur l’opinio juris dans la mesure où « il est rien moins que sûr
que les États, en accordant par des textes législatifs, de nouvelles libertés publiques aux
individus, aient entendu mettre en œuvre des droits internationaux »554, incitant alors l’auteur
à se tourner vers les principes généraux du droit. Or, cette opinio juris, qui fait défaut lorsque
l’État répond à une revendication populaire interne, peut sans doute être retrouvée lorsque ce
même État se plie à une politique onusienne exprimée par l’intermédiaire du Secrétariat ou du
Haut-Commissariat aux droits de l’homme, entre autres. Cela est d’autant plus vrai que ces
organes ont tendance à présenter ces politiques non pas pour ce qu’elles sont, mais bien en
termes d’obligations. L’exemple des amnisties pour crimes internationaux est à cet égard très
parlant.
218. Le rejet des amnisties couvrant les crimes internationaux est une politique des Nations
Unies. Le Secrétaire général déclarait en 2004 que « les accords de paix entérinés par l’ONU
ne peuvent en aucun cas promettre l’amnistie pour les actes de génocide, les crimes de guerre,
les crimes contre l’humanité ou les atteintes graves aux droits de l’homme »555. Or, le
Secrétaire général des Nations Unies jouit d’un poids considérable lors des négociations de
paix, contribuant ainsi à l’émergence d’une tendance à limiter les amnisties incluses dans les
accords de paix aux actes ne constituant pas des crimes internationaux556. De plus, cette
551
CHARPENTIER (J.), « Tendances à l’élaboration du droit international public », op. cit., pp. 124-127.
Ibid., p. 125.
553
Ibid.
554
Ibid., p. 126.
555
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 10.
556
Cette tendance semble se généraliser. Les accords de paix endossés par l’ONU excluent désormais de façon
systématique les amnisties générales. Si l’on en croit la base de donnée de l’Uppsala conflict data project, très
peu d’accords incluent encore ce type de mesure. Le projet Negociating justice du Center for humanitarian
dialogue identifie 22 amnisties totales entre 1980 et 2006, les dates précises ne sont pas disponibles. La base de
donnée de l’Uppsala conflict data program, qui n’identifie que 57 cas d’amnistie entre 1957 et 2011, ne présente
que deux États ayant adopté des amnisties complètes depuis 2002. Il s’agit du Tchad et de l’Angola. Voir Center
552
141
interdiction des amnisties est régulièrement présentée par les acteurs onusiens, notamment le
HCDH comme relevant du droit international soit conventionnel, soit coutumier557. Ici encore,
il faut rappeler que le HCDH, soit par le biais de ses bureaux-pays soit par celui des
composantes droits de l’homme des opérations de maintien de la paix, est chargé d’assister les
États dans la rédaction des politiques de justice transitionnelle. Son opinion juridique sur la
légalité d’une amnistie envisagée par les autorités nationales exerce sur ces dernières une
influence certaine.
219. Contrairement au cas imaginé par Jean Charpentier concernant les individus, le rejet des
amnisties par les organes onusiens provient donc d’acteurs internationaux et est présenté
comme étant fondé sur une obligation internationale de poursuivre les auteurs de crimes
internationaux. Il paraît alors tout à fait plausible d’interpréter l’absence d’inclusion, par un
État, d’une amnistie générale au sein d’un accord de paix ou même au sein de son droit
interne, comme reflétant une opinio juris de l’interdiction des amnisties couvrant les crimes
internationaux558. Il faut également noter que le rôle incitatif de l’ONU est ici
particulièrement fort, dans la mesure où le soutien de l’Organisation peut parfois s’avérer
crucial pour l’aboutissement d’un processus de paix ou pour le financement de la
consolidation de la paix et peut ainsi laisser une marge d’action limitée aux États les plus
dépendants de l’aide onusienne. Il est ainsi certain que l’ONU joue un rôle central dans le
développement de la coutume émergente de l’interdiction de ces amnisties. Le propos se
nuance toutefois de lui-même, dans la mesure où cette règle ne suscite pas une adhésion assez
large et fait face à une pratique encore trop disparate de la part des États, pour prétendre à son
élévation au rang de coutume internationale559.
for Humanitarian Dialogue, « Accountability and peace agreements, mapping trends from 1980 to 2006 »,
septembre 2007, pp. 16-19. Voir aussi la base de donnée de l’Upssala conflict data program sur www.ucdp.uu.se.
557
HCDH, HR/PUB/09/1, « Amnisties.», op. cit., p. 11.
558
Il faut toutefois préciser qu’aucune position officielle d’État se trouvant dans cette situation n’a pu être
trouvée.
559
C’est ce qu’a pu constater la CEDH dans l’affaire Margus c. Croatie. Dans cette affaire, après avoir constaté
que de nombreux instruments et jurisprudences internationaux tendaient à démontrer la valeur coutumière de
cette interdiction, la Cour prend en compte les remarques du tiers intervenant concernant l’absence de pratique
uniforme de la part des États pour conclure que « [à] supposer que les amnisties soient possibles lorsqu’elles
s’accompagnent de circonstances particulières telles qu’un processus de réconciliation et/ou une forme de
réparation pour les victimes, l’amnistie octroyée au requérant en l’espèce n’en resterait pas moins inacceptable
puisque rien n’indique la présence de telles circonstances en l’espèce ». Voir CEDH, Grande chambre, Margus c.
Croatie, requête 4455/10, 27 mai 2014, § 139.
142
C) L’adaptation du jus cogens aux objectifs de la justice transitionnelle
220. Le jus cogens n’est pas toujours, ou de façon très marginale, pris en compte dans
l’analyse du cadre normatif de la justice transitionnelle. Noémie Turgis note ainsi que « la
controverse entourant l’existence de ce droit impératif et l’incertitude quant aux conséquences
à attacher à cette qualification pousse à la mise à l’écart de ce concept dans le cadre de
l’identification du domaine matériel de la justice transitionnelle »560. Cette affirmation ne peut
pourtant pas être transposée dans le cadre de l’étude du rôle spécifique de l’ONU dans le
développement de ce cadre normatif. Comme il sera démontré ci-après, l’Organisation est
motrice dans l’identification des normes relevant du jus cogens ainsi que dans l’évolution des
effets de ce dernier. La question de savoir si les observations établies par les organes
procédant à ce travail peuvent être considérées comme intégrées au droit international positif
nous paraît, dans ce contexte, distincte.
221. Une observation superficielle du jus cogens et de la justice transitionnelle suffit à
constater que ces domaines se recoupent assez largement. En effet, si les normes impératives
ne sont pas limitées aux droits de l’Homme et aux crimes internationaux561, ces champs en
constituent sans aucun doute la part la plus importante562. De plus, la nature du jus cogens le
prédispose à occuper une place particulière au sein de la justice transitionnelle et de la lutte
contre l’impunité. Il a déjà été noté que cette lutte se distingue par sa prétention universelle,
corollaire nécessaire à l’objectif de prévention des crimes et d’éradication des actes
considérés comme les plus graves. Or, le jus cogens apparaît comme la seule catégorie de
normes563 de droit international intrinsèquement universelle564. Ce caractère lui est en effet
attribuable par le dépassement du volontarisme étatique qu’elle opère en étant insensible tant
560
TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., note 190, p. 146.
Ainsi, « l’interdiction de l’emploi agressif de la force [et] le droit de légitime défense » se sont vus attribuer
cette qualité. Voir CDI, UN Doc. A/CN.4/L.682, Fragmentation du droit international : difficultés découlant de
la diversification et de l’expansion du droit international, Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit
international établi sous sa forme définitive par Martti Koskenniemi, 13 avril 2006, § 374.
562
Voir BIANCHI (A.), « Human rights and the magic of jus cogens », EJIL, vol. 19, n° 3, 2008, pp. 491-492.
563
Nous reprenons ici la théorie la plus répandue concernant la nature du jus cogens. Il faut toutefois noter que
certains auteurs, minoritaires de leur propre aveu, considèrent le jus cogens non comme une catégorie de norme
mais une technique juridique. Voir notamment KOLB (R.), « La détermination du concept de jus cogens »,
RGDIP, vol. 118, n° 1, 2014, pp. 5-29.
564
Notons que Robert Kolb envisage la possibilité de normes impératives régionales, idée apparemment acceptée
également par Mathias Forteau. Voir respectivement ibid., pp. 14-16 et FORTEAU (M.), « Regional
international law », in WOLFRUM (R.) dir, Max Planck Encyclopaedia of Public International Law, 2006,
édition électronique, § 21. Dire Tladi considère toutefois cette approche comme ayant un fondement « quelque
peu obscure ». CDI, A/CN.4/693, Premier rapport sur le jus cogens présenté par Dire Tladi, Rapporteur spécial,
8 mars 2016, § 68.
561
143
à l’objection persistante565 qu’aux dérogations établies par les États par voies conventionnelle
ou unilatérale566.
222. Il demeure que les effets du jus cogens dans le domaine de la justice transitionnelle sont
extrêmement flous et controversés. Formalisées dans le cadre du droit des traités, les normes
impératives paraissent peu adaptées à la responsabilité pénale individuelle qui caractérise la
justice transitionnelle567. L’article 53 de la Convention de Vienne, disposant qu’est « nul tout
traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit
international général »568 interroge sur la pertinence de cet effet dans le domaine des crimes
internationaux. En effet « [imagine-t-on] un traité par lequel des Etats s’autoriseraient
mutuellement à pratiquer la torture ? »569. Dans son opinion dissidente sous l’arrêt de la CIJ
relatif à l’obligation de poursuivre ou d’extrader, Serge Sur adopte une position très dure visà-vis du recours au jus cogens dans le domaine des crimes internationaux lorsqu’il considère
que :
« [c’est] bien plutôt par des actes matériels que l’obligation [d’interdiction de la
torture] se trouve violée. En toute hypothèse elle vise des comportements
physiques ou psychologiques, voire des ordres donnés, des instructions, des
planifications suivies des comportements en cause, plus que des traités
internationaux. Cela résulte en particulier des termes mêmes de l’article 2 de la
convention. C’est une répression pénale individuelle qu’appellent de tels actes et
l’ascension normative internationale de leur condamnation de principe n’offre
d’autre conséquence concrète que la satisfaction morale de ceux qui la
prononcent. »570
565
Voir dans ce sens : CDI, UN Doc. A/CN.4/714, Troisième rapport sur les normes impératives du droit
international général (jus cogens), Dire Tladi, Rapporteur spécial, 12 février 2018, §§ 142-145.
566
Ibid., §§ 146-149. Il faut préciser que le dépassement du volontarisme exprimé ici ne concerne que
l’application universelle des normes de jus cogens préalablement identifiées comme telles et ne présuppose en
aucun cas de la justification volontariste ou jus naturaliste de la formation de ces normes. Il va sans dire que le
débat sur l’origine théorique du jus cogens dépasse très largement le cadre du présent travail.
567
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 2.
568
Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, RTNU, vol. 1155, p. 331, art. 53
569
Opinion dissidente de Serge Sur sous C.I.J, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader,
Belgique c. Sénégal, arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 422. Voir dans le même sens BIANCHI (A.), « Human rights
and the magic of jus cogens », op. cit., p. 496, relevant que « [it] is indeed highly unlikely that two or more states
would make a treaty to commit an act of genocide or to subject certain individuals to torture. »
570
Opinion dissidente de Serge Sur, op. cit., § 33.
144
223. Cette position est tout à fait valable dans un contexte où le jus cogens serait limité à la
définition et aux effets fixés par la Convention de Vienne. Or, ces effets ont, du point de vue
onusien, évolué de façon importante. C’est d’ailleurs probablement dans le développement
des effets du jus cogens que l’ONU, notamment au travers du TPIY et de la CDI, est la plus
active. Il est en effet généralement admis que l’application du jus cogens dépasse aujourd’hui
le droit des traités571. Il ne nous appartient pas ici d’élaborer une théorie du jus cogens dans
les divers domaines du droit international où il pourrait trouver à s’appliquer, mais plutôt de
souligner quelques effets en développement, sous influence onusienne et liés au domaine de la
justice transitionnelle. Ces développements ont tous pour objectif de supprimer les limites aux
poursuites pénales visant les crimes dont l’interdiction a valeur de jus cogens. Cherif
Bassiouni a été jusqu’à affirmer que
« recognizing certain international crimes as jus cogens carries with it the duty to
prosecute or extradite, the non-applicability of statutes of limitation for such
crimes, and universality of jurisdiction over such crimes irrespective of where
they were committed, by whom (including Heads of State), against what category
of victims, and irrespective of the context of their occurrence (peace or war).
Above all, the characterization of certain crimes as jus cogens places upon states
the obligatio erga omnes not to grant impunity to the violators of such crimes. »572
Si, de l’aveu même de cet auteur, le droit international pénal positif « does not contain
such an explicit norm as to the effect of characterizing a certain crime as part of jus
cogens »573, on peut remarquer que les travaux et jugements de certains organes et tribunaux
onusiens vont dans ce sens.
224. La Chambre de première instance du TPIY, dans son célèbre arrêt Furundzija a
considéré qu’il « serait absurde d’affirmer d’une part que, vu la valeur de jus cogens de
l’interdiction de la torture, les traités ou règles coutumières prévoyant la torture sont nuls et
non avenus ab initio et de laisser faire, d’autre part, les États qui, par exemple, prennent des
mesures nationales autorisant ou tolérant la pratique de la torture ou amnistiant les
571
Les normes impératives ont ainsi été intégrées au droit de la responsabilité des États. Voir CDI, UN Doc.
A/RES/56/83, annexe, Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, 28 janvier 2002, chapitre 3.
572
BASSIOUNI (C.), « International crimes : jus cogens and obligatio erga omnes », Law and Contemporary
Problems, vol. 54, n° 4, 1996, pp. 65-66.
573
Ibid.
145
tortionnaires »574. Il s’en suivrait que la qualité de normes impératives des crimes
internationaux rendrait les amnisties nationales inopposables aux États tiers ainsi qu’aux
juridictions internationales. Ce raisonnement, également suivi par le TSSL575, tend ainsi non
seulement à limiter la portée des amnisties, mais également à reconnaître une compétence
universelle aux États pour les jugements de ces crimes, liée à la nature de ces derniers576.
225. D’autres effets ont été ou sont actuellement discutés au sein de la CDI. La question des
immunités pénales des représentants de l’État a accordé une place importante au jus cogens
dans les discussions concernant les motifs d’inapplicabilité de ces immunités devant les
juridictions pénales étrangères. Si la valeur de norme impérative n’est pas directement
invoquée comme élément justifiant l’inapplicabilité des immunités, elle justifie en partie,
d’une part, l’intégration des crimes internationaux comme exceptions à l’application des
immunités577 et, d’autre part, l’inclusion de la torture, en tant que crime indépendant, dans la
liste des crimes internationaux578. De façon plus accessoire, il peut aussi être noté que la
valeur de jus cogens de l’interdiction des crimes internationaux a été envisagée comme
fondement de l’obligation de poursuivre ou d’extrader les personnes responsables de ces
crimes579.
226. Les développements décrits ci-dessus sont loin d’être intégrés au droit international
positif. En ce qui concerne les immunités, le travail de la CDI est actuellement en porte-à-faux
vis-à-vis de la position de la CIJ telle qu’exprimée dans l’affaire du mandat d’arrêt entre la
574
TPIY, Le Procureur c. Anto Furundzija, op. cit., § 155.
575
TSSL, Chambre d’appels, No SCSL-2004-15-AR72(E) et SCSL-2004-16-AR72(E), Procureur c. Morris Kallon et
Brima Buzzy Kamara, Decision on Challenge to Jurisdiction : Lome Accord, Amnesty, 13 mars 2004.
576
Ibid., §§ 71-72. Sur cette décision, voir MEISENBERG (S. M.), « Legality of amnesties in international
humanitarian law The Lomé Amnesty Decision of the Special Court for Sierra Leone », RICR, décembre 2004,
vol. 86, n° 856, pp. 837-851 ; BOYLE (D.), « L’apport des TPI quant au régime du crime », in ASCENSIO (H.),
dir., Les juridictions pénales internationalisées, op. cit., pp. 136-139.
577
CDI, UN Doc. A/CN.4/701, Cinquième rapport sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des
représentants de l’État, établi par Concepción Escobar Hernández, rapporteuse spéciale, 14 juin 2016, §§ 191205.
578
La rapporteuse spéciale indique à propos de la torture que « compte tenu de la gravité de ce crime et du fait
que son interdiction a de multiples fois été considérée comme une norme de jus cogens, il semble raisonnable
d’inclure expressément la torture dans les crimes internationaux constituant une limite ou une exception à
l’immunité des représentants de l’État de la juridiction pénale étrangère. » Ibid., § 224. Notons que la
rapporteuse estime de façon curieuse que le « même raisonnement s’applique aux disparitions forcées ».
579
Le quatrième rapport du rapporteur spécial sur la question de l’obligation de poursuivre ou d’extrader étudiait
effectivement cette possibilité. CDI UN Doc. A/CN.4/648, Quatrième rapport sur l’obligation d’extrader ou de
poursuivre (aut dedere aut judicare), Zdzislaw Galicki, Special Rapporteur, 31 mai 2011, §§ 92-94. Le
rapporteur a en conséquence proposé un article 4 al. 3 disposant : « [l’obligation] d’extrader ou de poursuivre
découle de la norme impérative du droit international général acceptée et reconnue par la communauté
internationale des États (jus cogens) sous forme soit de traité international soit de coutume internationale,
érigeant en crimes les actes énumérés au paragraphe 2 ». Cette option n’a toutefois pas connu de suite, la
question ayant été abandonnée dans son ensemble par la CDI.
146
Belgique et le Sénégal, et qui considérait, sans toutefois se prononcer sur la valeur de jus
cogens des crimes concernés, que les immunités des représentants de l’État étaient valables
même en ce qui concerne les crimes internationaux580. En ce qui concerne les effets du jus
cogens, la doctrine est encore partagée et les décisions de justice sont encore trop peu
nombreuses pour témoigner d’un consensus entre les divers systèmes judiciaires nationaux ou
régionaux581. Cet écart entre la position des organes onusiens et le droit positif ne fait que
souligner le caractère militant de leurs efforts, résolument inscrits, en ce qui concerne le jus
cogens, dans la lex ferenda.
227. Les divers organes onusiens ont ainsi fait preuve d’un certain volontarisme dans le
développement du droit de la justice transitionnelle, qu’il soit conventionnel, coutumier ou
ayant valeur de jus cogens. Ce rôle s’est pourtant limité au cadre de la justice transitionnelle,
les acteurs onusiens refusant d’aller jusqu’à consacrer un droit à la justice transitionnelle.
Section II Le refus de consécration d’un droit à la justice
transitionnelle
228. La justice transitionnelle est devenue une méthode employée de façon quasisystématique par l’ONU dans ses efforts de consolidation de la paix. Ses principes ont
également pénétré, bien que de façon inégale, les systèmes régionaux de protection des droits
de l’Homme et connaissent une consolidation progressive en droit international général.
Parallèlement, la lutte contre l’impunité s’est également développée. Les tribunaux
internationaux et hybrides se sont multipliés, la CPI a été créée et les amnisties, tout du moins
celles concernant les crimes internationaux, sont régulièrement dénoncées, délégitimées, voire
considérées comme illégales.
229. Ces développements impliquent qu’il est aujourd’hui de plus en plus compliqué pour les
États d’ignorer les crimes du passé ou de soutenir une option consistant à « tourner la page »
sur les violences subies par leur population. Il paraît légitime de se demander si on assiste à
l’émergence d’un droit à la justice transitionnelle. Á cet égard, les développements du droit
580
CIJ, « Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 », op. cit., § 59. La CEDH s’est prononcée dans le même sens
concernant l’immunité de juridiction d’un État pour le crime de jus cogens de torture et pour l’immunité de
juridiction des Nations Unies, pour le crime de génocide. Voir respectivement CEDH, Grande Chambre, Affaire
Al-Adsani c. Royaume-Uni, requête n° 35763/97, 21 novembre 2001 et CEDH Affaire Stichting mothers of
Srebenica and others against the Netherlands, requête n° 65542/12, 6 juin 2013.
581
Voir tout de même les décisions des cours des États-Unis et de la Suisse citées in CDI, UN Doc. A/CN.4/714,
Troisième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens), op. cit., § 144 pour ce
qui concerne l’objecteur persistant.
147
international pénal, du droit à la vérité et du droit à réparation ne doivent pas être surestimés.
La justice transitionnelle va plus loin que la simple lutte contre l’impunité pénale. Elle
dépasse également les considérations liées à la valeur normative de ses piliers pris
individuellement. La vision holiste de la justice transitionnelle, dont on a dit qu’elle la
menaçait d’éparpillement, paraît peu compatible avec la consécration d’un droit à la justice
transitionnelle. Finalement, c’est l’adaptabilité qui constitue le cœur même de cette justice qui
fait barrière à son élévation au rang de droit (§ 1). Ceci ne signifie toutefois pas que les États
soient totalement exempts de toute obligation de mener des politiques de justice
transitionnelle. Si celle-ci ne fait pas l’objet d’un droit pouvant être revendiqué en tant que tel,
elle représente tout de même une exigence portée, parfois vigoureusement, par la
communauté internationale et l’ONU (§ 2).
§1/L’absence de droit à la justice transitionnelle
230. Le premier problème que pose la détermination d’un droit à la justice transitionnelle
tient dans l’absence de définition précise de cette justice. La consécration d’un droit à la
justice transitionnelle se heurte ainsi à son impossible circonscription (A). Forts d’une
approche cohérente de la justice transitionnelle, les organes intergouvernementaux de l’ONU
auraient pu chercher à créer, ou en tout cas initier, la création d’une obligation de justice
transitionnelle à la charge des États. On observe toutefois qu’une telle obligation n’est
appliquée que de façon variable (B).
A) L’impossible circonscription d’un droit à la justice transitionnelle
231. La tentative d’identification d’un droit à la justice transitionnelle se heurte au flou de la
définition et de la circonscription de cette dernière. Quelle serait alors la substance d’un tel
droit ? S’agit-il d’un droit des populations fondé sur les quatre piliers de la justice
transitionnelle ? Si tel était le cas, le supposé droit à la justice transitionnelle ne serait qu’une
expression à valeur pratique, réunissant sous une même terminologie des droits disparates,
limitant fortement l’intérêt de la question. De plus, on a déjà pu observer que la portée
normative des piliers était, au mieux, incertaine582. Le regroupement de ces quasi-droits au
sein d’une catégorie plus large désignée par l’expression justice transitionnelle ne modifierait
582
Supra, chapitre 2.
148
pas cet état de fait. S’il peut être envisageable d’établir l’existence de droits rentrant dans le
champ de la justice transitionnelle au profit des individus, il faut préciser que ces droits sont
essentiellement développés dans le cadre d’instruments régionaux de protection des droits de
l’Homme et ne peuvent, à ce stade, être intégrés au droit international général.
232. On retrouve à la lumière de ces éléments les problèmes déjà rencontrés lors de la
définition de la notion de justice transitionnelle. Fondé sur les instruments généraux des droits
de l’Homme, du DIH et du DIP, selon l’articulation posée par les piliers, ce droit peine à se
distinguer de ceux reconnus par ces instruments, notamment en termes de droits de l’Homme,
à tout citoyen d’un État partie aux conventions en question. La justice transitionnelle perd
alors sa spécificité pour rejoindre le droit commun des droits à la justice, à la vérité, à
réparation et, éventuellement, aux garanties de non-répétition. Or, questionner l’existence
d’un droit à la justice transitionnelle n’a d’intérêt que si cette qualification dépasse, ou en tous
cas s’écarte, de la reconnaissance de ces droits pris individuellement. C’est donc en prenant
en compte les spécificités de ce champ qu’il faut rechercher si un droit à la justice
transitionnelle peut être reconnu.
233. C’est alors l’adaptabilité et le caractère polymorphe de la justice transitionnelle qui
semblent s’opposer à la reconnaissance de ce droit. En effet, il suffit de constater l’absence
d’interdiction claire, en droit international général, des amnisties, y compris pour crimes
graves, pour écarter l’idée d’un droit à une justice transitionnelle abordée d’un point de vue
pénale. Deux possibilités se profilent. Le droit à la justice transitionnelle pourrait comporter
une obligation de garantir l’effectivité de chacun des piliers, correspondant à une vision
holiste de cette justice. On se trouve toutefois confrontés à la faible normativité de ces piliers
et donc du droit à la justice transitionnelle. Ce droit pourrait également dépasser cette
structure en piliers pour intégrer le polymorphisme de la justice transitionnelle. Il se limiterait
alors à reconnaître un droit à ce que quelque chose soit fait après des violations de masse,
quand bien même il s’agirait de simplement amnistier les responsables et mener une politique
de réconciliation nationale. Le droit à la justice transitionnelle ne serait qu’une liste non
exhaustive de choix ouverts aux dirigeants pour faire face aux crimes de masse. Ces deux
options paraissent alors également insatisfaisantes.
234. En tout état de cause, une étude des organes intergouvernementaux de l’ONU, ceux les
plus enclins à influencer le développement d’un droit à la justice transitionnelle, révèle une
certaine réticence à en reconnaître l’existence. Ces organes se contentent de se positionner sur
le plan d’une obligation, d’ailleurs variable, de justice transitionnelle.
149
B) L’application variable d’une obligation de justice transitionnelle
235. Deux moyens s’offrent à l’ONU pour créer des obligations à la charge des États. Le
premier se fonde sur le caractère obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité et le
second, plus controversé, sur la capacité de ce dernier ainsi que de l’Assemblée générale de
« légiférer » par le biais de l’adoption de résolutions thématiques. L’analyse du recours à ces
moyens par ces organes dans un éventuel objectif de création d’une obligation de justice
transitionnelle démontre que le Conseil de sécurité ne crée de telles obligations que de façon
ponctuelle et limitée (1), et que les deux organes intergouvernementaux se refusent à
consacrer une obligation générale de justice transitionnelle (2).
1. La création limitée d’obligations ponctuelles de justice transitionnelle
236. Envisagée comme instrument de maintien et de consolidation de la paix, la justice
transitionnelle est susceptible de voir ses mécanismes imposés par le Conseil de sécurité
comme mesure de maintien de la paix. Cette éventualité verrait alors naître à la charge de
l’État concerné, sur le fondement du caractère obligatoire des résolutions du Conseil, une
obligation de justice transitionnelle. On pourrait même imaginer que le Conseil, sans définir
les mécanismes précis à adopter, enjoigne certains États à mettre en œuvre une stratégie de
justice transitionnelle. Une telle obligation irait à l’encontre des principes de consentement de
l’État et, dans le cas d’imposition d’un mécanisme spécifique, d’appropriation nationale583.
237. Le Conseil de sécurité ne crée que très exceptionnellement une telle obligation de
justice transitionnelle. La quasi-totalité des actions menées ou appuyées par les Nations Unies
dans le domaine de la justice transitionnelle sont conduites avec le consentement ou sur la
demande des États concernés584. Il faut noter à cet égard que les cas d’imposition de
poursuites pénales, que ce soit par le biais de la création des TPI ou par le déferrement d’une
situation à la CPI, ne créent pas à proprement parler d’obligation de justice transitionnelle.
Ces décisions créent bien des obligations à la charge des États, telles la coopération avec les
tribunaux ainsi créés ou saisis, elles n’obligent cependant pas les États à mettre en œuvre une
quelconque politique de lutte contre l’impunité. Le cas des administrations transitoires est
également ambiguë dans la mesure où les États n’ont pas de réel choix dans la création par ces
administrations de mécanismes de justice transitionnelle, tels la CAVR et les panels spéciaux
583
584
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1.
Ibid.
150
au Timor, ou encore les panels 64 au Kosovo. Il demeure que les décisions de création de ces
mécanismes sont prises par les administrations transitoires au nom de l’État, et non en
application d’une obligation qui pèserait sur ce dernier.
238. Les cas où le Conseil de sécurité enjoint les États à créer des mécanismes prévus dans
des accords de paix signés entre les factions en conflit sont plus complexes. Tel est le cas de
la Sierra Léone, où le Conseil, par sa résolution 1370 (2001), engageait « le Gouvernement
sierra-léonais, agissant avec le Secrétaire général, le Haut-Commissaire des Nations Unies
aux droits de l’homme et les autres intervenants internationaux concernés, à procéder sans
délai à la création de la Commission vérité et réconciliation et du tribunal spécial prévus dans
la résolution 1315 (2000) du 14 août 2000 »585. Tel est également le cas du Burundi, où le
Conseil, après avoir demandé au BINUB, par la résolution 1719 (2006), de « [soutenir] les
efforts entrepris pour lutter contre l’impunité, en particulier grâce à la mise en place de
mécanismes de justice transitionnelle, notamment une commission vérité et réconciliation et
un tribunal spécial »586, a, par sa résolution 2027 (2011), « [invité] le Gouvernement
burundais à mettre en place, avec l’aide de ses partenaires internationaux et du BNUB, selon
qu’il conviendra, des mécanismes de justice transitionnelle, notamment une commission
vérité et réconciliation »587. Notons tout d’abord que l’absence de recours au Chapitre 7 pour
ces résolutions n’enlève rien à leur caractère obligatoire, fondé sur l’article 25 de la Charte
des Nations Unies588. Il apparaîtrait alors que, par ces décisions, le Conseil crée une obligation
à la charge de l’État de mettre en œuvre certains mécanismes de justice transitionnelle, en
l’occurrence des commissions vérité. Une telle réflexion ignorerait toutefois le fait que ces
mécanismes se trouvent déjà intégrés à des accords de paix signés par les gouvernements
concernés, nommément l’accord de Lomé pour la Sierra Léone589 et l’Accord d’Arusha pour
la paix et la réconciliation pour le Burundi590. Cette particularité rapproche ainsi ces
résolutions de celles où le Conseil, sans créer à proprement parler d’obligations, rappelle aux
585
S/RES/1370 (2001), § 17.
S/RES/1719 (2006), § 2 (j).
587
S/RES/2027 (2011), § 12.
588
Voir à ce sujet ANGELET (N.), SUY (E.), « Article 25 », in COT (J.-P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.),
dir., La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Economica, Paris, 3e éd., 2005, pp. 909-918.
589
« Peace agreement between the Government of Sierra Leone and the Revolutionary United Front (Lome
peace agreement) », op. cit., art. XXVI.
590
« Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi », op. cit., Protocole I, chapitre II, art. 8. Ce
point est d’ailleurs rappelé par le Conseil dans sa résolution 2027, dans laquelle il est précisé que la création de
la commission vérité burundaise est demandée « conformément aux résultats des travaux du Comité technique,
aux consultations nationales de 2009, à sa résolution 1606 (2005) et aux Accords d’Arusha de 2000 ». Voir
S/RES/2027, op. cit., § 12.
586
151
États les obligations qui leur incombent de poursuivre les personnes responsables de crimes
internationaux, conformément aux règles de droit international auxquelles ils sont soumis.
239. Deux cas attirent toutefois l’attention. Les résolutions 2190 (2014) et 2301 (2016),
concernant respectivement le Libéria et la République centrafricaine, ont toutes deux été
adoptées sur le fondement du Chapitre 7. Dans la première, le Conseil
« souligne qu’il importe d’appliquer une stratégie de réconciliation nationale et
de cohésion sociale au moyen de mesures concrètes propres à promouvoir un
apaisement national, la justice et la réconciliation à tous les niveaux et avec la
participation de toutes les forces libériennes et demande au Gouvernement
libérien de continuer à appuyer la participation des femmes à la prévention des
conflits, au règlement des conflits et à la consolidation de la paix, notamment en
tant que décideuses dans les organes de gouvernance créés au sortir du conflit,
ainsi qu’aux diverses entreprises de réforme »591.
Dans la seconde, il
« [demande] aux autorités centrafricaines de prendre sans délai et à titre
prioritaire des mesures concrètes visant à renforcer les institutions judiciaires et
à lutter contre l’impunité, afin de contribuer à la stabilisation et la réconciliation,
notamment en rétablissant l’administration de l’appareil judiciaire, du système de
justice pénale et du système pénitentiaire dans tout le pays, en démilitarisant les
prisons et en remplaçant progressivement les Forces armées centrafricaines
grâce au recrutement de personnel pénitentiaire civil, et en veillant à permettre à
tous d’accéder à une justice impartiale et équitable, et de rendre la Cour pénale
spéciale opérationnelle dans les meilleurs délais »592.
Si ces deux résolutions n’imposent pas explicitement d’obligation de justice
transitionnelle, elles semblent tout de même obliger les États à adopter des mesures de
réconciliation et de lutte contre l’impunité. Ceci est particulièrement visible dans le cas
libérien. Hors le cas de la Cour pénale spéciale centrafricaine, les États semblent ici rester
maîtres dans le choix des mécanismes à mettre en place, dans la mesure où ceux-ci sont
propres à atteindre les objectifs fixés par ces résolutions. Les obligations créées par le Conseil
591
592
S/RES/2190 (2014), § 2.
S/RES/2301 (2016), § 10.
152
de sécurité seraient alors de l’ordre de l’obligation de moyens plus que de création de
mécanismes spécifiques. Il pourrait s’agir ici d’une obligation de justice transitionnelle au
sens le plus large de cette notion, fondé sur ses finalités593.
240. Le caractère exceptionnel de ces résolutions ainsi que le langage utilisé par le Conseil
incitent toutefois à modérer ce constat. Dans le cas du Libéria, le plus explicite en la matière,
le Conseil ne fait que « souligner l’importance » de la mise en œuvre d’une stratégie de
réconciliation nationale. Il peut alors être argué que si cet organe avait souhaité obliger le
Libéria, il aurait pu demander aux autorités de cet État ou encore exiger d’elles de mettre en
œuvre une telle stratégie. Dans le cas de la RCA le caractère obligatoire des mesures
envisagées est plus net, dans la mesure où le Conseil « demande » aux autorités de prendre
certaines dispositions. Cependant, les mesures concernées concernent une multitude de
domaines, allant de la réforme des institutions judiciaires et pénales, au désarmement et à la
lutte contre l’impunité. Les obligations créées ne concernent donc que de façon très éloignée
la justice transitionnelle pour se situer plutôt dans le rétablissement de l’état de droit. S’il est
constant que la justice transitionnelle est considérée comme un élément de rétablissement de
cet état de droit, il serait erroné de confondre les deux notions dans la mesure où, si toute
politique de justice transitionnelle s’intègre dans l’effort de rétablissement de l’état de droit,
celui-ci n’implique pas nécessairement l’adoption de mesures dans le domaine de celle-là594.
Il n’en demeure pas moins que les références à la réconciliation, à la lutte contre l’impunité et
à la Cour pénale spéciale pointent vers la justice transitionnelle sans oser, encore, la citer
comme obligation à la charge de la RCA.
241. On comprend que le Conseil de sécurité développe, de façon encore exceptionnelle et
limitée, des obligations ponctuelles de justice transitionnelle à la charge de certains États
sortant de conflit. Le développement de ce champ et l’intégration dorénavant quasisystématique de cette justice dans les stratégies de maintien et de consolidation de la paix
dans les contextes de post-conflit, annonce une probable multiplication des résolutions
enjoignant aux États de mettre en place des politiques, ou des mécanismes spécifiques, de
justice transitionnelle. Il convient cependant de se demander si ces obligations ponctuelles
s’accompagnent du développement d’une obligation plus générale à la charge de tous les
États, en tous cas de ceux membres des Nations Unies.
593
594
Voir supra, introduction.
Sur l’articulation des deux notions, voir supra, titre 1, chapitre 1
153
2. L’absence de volonté onusienne de développement d’une obligation générale de
justice transitionnelle
242. La compétence des principaux organes intergouvernementaux des Nations Unies pour
créer des règles générales de droit international est fortement contestée dans la doctrine595.
L’existence de ce débat, qu’il ne nous appartient pas de trancher, ne masque pas, au contraire,
la pratique de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité d’adopter des résolutions
thématiques présentant un caractère législatif. La résolution 2625 (1970) de l’Assemblée
générale concernant les « principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre États »596 et les résolutions du Conseil de sécurité touchant à la lutte contre
le terrorisme597 en sont les exemples les plus représentatifs. Étant donné cette activité et la
place centrale de l’Organisation dans le développement de la justice transitionnelle, il paraît
naturel de chercher dans les textes de ces organes le fondement d’une obligation de justice
transitionnelle.
243. Une étude des résolutions thématiques598 de l’Assemblée générale et du Conseil de
sécurité permet pourtant d’affirmer que la justice transitionnelle y occupe une place très
marginale. Aucune résolution de l’organe plénier ne laisse supposer l’affirmation d’une
obligation générale de justice transitionnelle. En ce qui concerne le Conseil de sécurité, la
situation est presque analogue. Bien que ce domaine apparaisse dans moins de résolutions
thématiques du Conseil que de l’Assemblée générale (en partie du fait de leur plus faible
nombre de façon générale) elle y occupe une place plus importante. Il demeure qu’aucune de
ces résolutions ne peut être considérée comme créant ou cherchant à créer une obligation
générale de justice transitionnelle.
244. La résolution 1379 (2001), portant sur « les enfants et les conflits armés » aurait pu
créer le doute. Celle-ci dispose, dans son paragraphe 9 que le Conseil :
595
Voir par exemple SORENSEN (M.), « Principes de droit international public : cours général », RCADI,
vol. 101, 1960, pp. 91-108 et ARANGIO-RUIZ (G.), « The normative role of the General Assembly of the
United nations and the Declaration of Principles of Friendly Relations », RCADI, vol. 137, 1972, notamment
pp. 434-437.
596
ARANGIO-RUIZ (G.), « The normative role of the General Assembly of the United nations and the
Declaration of Principles of Friendly Relations », op. cit., pp. 419-742.
597
Il s’agit notamment des résolutions 1373 (2001), 1540 (2004) et 1566 (2004). Voir TERCINET (J.), « Le
pouvoir normatif du Conseil de sécurité : le Conseil de sécurité peut-il légiférer ? », RBDI, 2004/2, pp. 528-551
et plus largement sur la question DENIS (C.), Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité : portée et limites,
thèse de doctorat, Bruylant, Bruxelles, 2004, surtout pp. 134-162.
598
Seules les résolutions thématiques sont susceptibles d’établir des règles générales, contrairement aux
résolutions s’intéressant à une situation spécifique, dont les règles ne concerneraient que le ou les États visés.
154
« Demande aux États Membres :
a) De mettre fin à l’impunité et de poursuivre les responsables de génocide, de
crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et autres crimes abominables
commis contre des enfants, d’exclure autant que possible ces crimes des mesures
d’amnistie et des actes législatifs du même ordre, et de veiller à ce que les
mécanismes de recherche de la vérité et de réconciliation mis en place après les
conflits s’occupent des abus graves dont les enfants ont été victimes »599.
L’analyse confirme pourtant qu’il n’y a ici aucune obligation de justice transitionnelle
créée à la charge des États sortant de conflit. Concernant les amnisties, le Conseil demande
d’en « exclure autant que possible » les crimes internationaux, révélant une large marge de
manœuvre laissée aux États. Enfin, la dernière partie de cette disposition n’inciterait les États
qu’à inclure les « abus graves dont les enfants ont été victimes » dans le mandat des
mécanismes de justice transitionnelle, dans le cas où de tels mécanismes seraient créés. Si
cette disposition peut représenter un encadrement des mandats de ces mécanismes, elle ne
peut être considérée comme imposant une obligation de les créer.
245. Il ressort des remarques présentées ci-dessus que les organes politiques onusiens n’ont
pas souhaité créer une obligation générale de justice transitionnelle. On ne peut cependant pas
s’en tenir à ce constat. Ce n’est pas parce que la justice transitionnelle ne fait pas l’objet d’une
obligation, au sens juridique du terme, qu’une obligation, dans un sens plus large, n’existe
pas. Une telle affirmation ferait peu de cas de l’influence exercée par l’ONU et l’ensemble de
la communauté internationale sur les sociétés sortant de conflit. De même qu’il existe des
degrés entre le droit et le non droit, il existe des nuances entre une obligation légale et
l’absence totale d’obligation600.
599
S/RES/1379 (2001), § 9.
Sans retracer le vaste débat entourant la normativité du droit international, on se contentera de noter la
tendance à apprécier cette normativité de façon souple. Sur cette question, voir notamment : BAXTER (R. R.),
« International law in ‘her infinite variety’ », International an Comparative Law Quarterly, vol. 29, n° 4, 1980,
pp. 549-566 ; PELLET (A.), « Les raisons du développement du soft law en droit international : choix ou
nécessité ? », in DEUMIER (P.), SOREL (J.-M.), dir., Regards croisés sur la soft law en droit interne, européen
et international, LGDJ / Lextenso, Paris, 2018, pp. 177-192. Bien que reconnaissant cette tendance, Prosper
Weil s’est attaché à en souligner les limites. Voir WEIL (P. ), « Vers une normativité relative du droit
international ? », RGDIP, 1982, n° 1, pp. 5-47 ; WEIL (P.), « Le droit international en quête de son identité :
cours général de droit international public », RCADI, vol. 237, 1992, pp. 227-313.
600
155
§2/L’émergence d’une exigence de justice transitionnelle
246. Le développement impressionnant qu’a connu la justice transitionnelle durant les trente
dernières années ne s’est pas effectué de façon spontanée, les États prenant tout à coup
conscience des effets des violences de masse sur leurs populations et décidant l’un après
l’autre d’y remédier par l’application d’un ensemble de mesures ayant pour objectif la
réconciliation nationale. La justice transitionnelle est un projet. Nous avons déjà eu l’occasion
de décrire son émergence au sein du monde académique et de celui de la société civile, qui en
ont fait une intensive promotion. Celle-ci est aujourd’hui relayée par l’ONU, dont l’autorité et
l’universalité permettent de transformer une pratique conseillée en réelle exigence.
247. Ce glissement du conseil vers l’exigence s’opère alors tout d’abord par le biais de
l’intense promotion de la justice transitionnelle effectuée auprès des États par les organes
intégrés de l’ONU (A). Elle s’intensifie lorsque les organes intergouvernementaux décident
d’intégrer cette justice comme élément incontournable du maintien de la paix (B).
A) L’activisme des organes intégrés onusiens dans la promotion de la justice
transitionnelle
248. Les organes intégrés, au premier rang desquels se trouvent le secrétariat et le HautCommissariat aux droits l’homme, ont été les premiers acteurs onusiens de la justice
transitionnelle et en demeurent les principaux promoteurs. Leur action représente le double
ancrage de la justice transitionnelle dans l’action de l’Organisation, à la fois dans le domaine
du maintien et de la consolidation de la paix et dans celui des droits de l’Homme. Le rôle et
l’influence exacts de ces acteurs sont pourtant difficiles à évaluer, en raison notamment de la
nature de leurs pouvoirs. Du fait de leur caractère intégré, ces deux organes agissent
essentiellement au travers des États, dans un rôle d’impulsion, de suggestion. En l’absence
d’un
pouvoir de contrainte et
de la légitimité politique propre aux
organes
intergouvernementaux, le Secrétaire général et le Haut-Commissaire dépendent de leur
autorité morale601 et de la neutralité que leur statut d’organes intégrés, détachés des intérêts
nationaux, leur confère. Le principal moyen d’action du Secrétaire général, dans le domaine
601
Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme a ainsi été qualifié de « conscience for the world ».
BROECKER (C. L.), GAER (F. D.), dir., The United Nations High Commissioner for human rights : conscience
for the world, Martinus Nijhoff Publishers, Leyde, 2013, 420 p.
156
qui nous intéresse, ressort de la diplomatie « privée »602, dont le caractère secret,
indispensable à son efficacité, rend son étude particulièrement hasardeuse603. Dans un degré
moindre, l’action du Haut-Commissaire connaît des difficultés similaires. Dans son rôle de
promotion des droits de l’Homme, le HCDH conseille les États et leur fournit une assistance
technique. Si le consentement de l’État est toujours nécessaire à cette action, il est parfois
difficile de déterminer la mesure dans laquelle la création d’un mécanisme donné provient
d’une initiative nationale ou si les autorités répondent à une demande du HCDH. Enfin, pour
l’un comme l’autre de ces fonctionnaires onusiens, la personnalité de l’occupant du poste est
fondamentale dans le choix des problématiques prioritaires ainsi que de l’influence exercée
sur les acteurs nationaux604.
249. Le Secrétaire général, par son action diplomatique, assure une intégration des
considérations liées à la justice transitionnelle dans les accords de paix. Le meilleur exemple
de cette action est probablement la consigne donnée par Koffi Annan à son représentant
d’ajouter à l’accord de Lomé la mention précisant que l’ONU ne se considérait pas liée par
l’amnistie prévue par l’accord en ce qu’elle concerne les crimes internationaux605. Le
Secrétaire général a également été celui par lequel la justice transitionnelle a été incluse dans
les tâches des opérations de paix. La première section « droits de l’homme et justice
transitionnelle » créée au sein d’une opération de maintien de la paix provient d’une initiative
du Secrétariat, en dehors de mandat explicite du Conseil de sécurité en la matière606. Il faut
ajouter à ces éléments les nombreux rapports et notes rédigés par le Secrétaire général au sujet
de la justice transitionnelle ainsi que la création d’une architecture institutionnelle au service,
602
SMOUTS (M.-C.), Le Secrétaire général des Nations Unies. Son rôle dans la solution des conflits
internationaux, Armand Collin, Paris, 1971, pp. 245 et s.
603
Michel Virally relève cette complexité lorsqu’il dit que « en raison même de sa nature, l'action politique du
Secrétaire général est soustraite, au moins partiellement, à la publicité. Elle ne peut donc être que malaisément
saisie de l'extérieur ». VIRALLY (M.), « Le rôle politique du Secrétaire Général des Nations Unies », op. cit.,
p. 364.
604
Voir, pour ce qui concerne le HCDH, GAER (F. D.), « The effectiveness of the United Nations human rights
protection machinery : the UN High Commissioner for human rights », ASIL Proceedings, vol. 108, 2014,
pp. 281-285. En ce qui concerne le Secrétaire général, il est notable d’observer le changement de position vis-àvis du Haut-Commissaire entre Boutros Boutros-Ghali, opposé à la création de ce poste et optant pour une
approche diplomatique, et Koffi Annan, soutenant tout à la fois le poste en lui-même et une pratique bien plus
militante de sa fonction. Voir à cet égard ALSTON (P.), « Neither fish nor fowl : the quest to define the role of
the UN High Commissioner for human rights », EJIL, vol. 8, n° 2, 1997, pp. 324-325.
605
UN Doc. S/1999/236, Septième rapport du Secrétaire général sur la Mission d’observation des Nations Unies
en Sierra Leone, 30 juillet 1999, § 7, pp. 2-3 et § 54, p. 13
606
Il s’agit de la section créée au sein de la MINUT. Voir Annexe II, Opérations de maintien de la paix et justice
transitionnelle et UN Doc, S/2006/628, Report of the Secretary-General on Timor-Leste pursuant to Security
Council resolution 1690 (2006), 8 août 2006, §§ 73 et s.
157
entre autres, de ce domaine607. Ces éléments ont largement contribué à la normalisation et au
développement de la justice transitionnelle au sein de l’Organisation.
250. Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme participe pour sa part activement à la
promotion de la justice transitionnelle au travers de son action au sein des unités droits de
l’homme des opérations de paix ainsi qu’au sein des bureaux-pays établis par le HautCommissariat en accord avec les pays hôtes. C’est au sein de ces bureaux que le HCDH invite
les États à mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle et en vérifie la
compatibilité avec les standards onusiens608. Le Haut-Commissaire, à l’instar du Secrétaire
général, s’assure « que les accords de paix fassent une place aux considérations relatives aux
droits de l’homme et à la justice de transition »609. Son rôle a d’ailleurs été central dans
l’intégration de la CVR sierra léonaise dans l’accord de Lomé610. Il est également parmi les
premiers promoteurs de l’exclusion des amnisties des accords de paix, comme le montre la
dénonciation par la Haut-Commissaire Navy Pillay de l’amnistie totale accordée au Président
yéménite Ali Abdallah Saleh en 2012611. Cette position est d’ailleurs confirmée par la
publication du HCDH sur les amnisties dans sa série des « instruments de l’état de droit dans
les sociétés sortant d’un conflit »612.
251. Si le Secrétaire général et le HCDH ont largement participé, et participent encore, au
développement de la justice transitionnelle onusienne, leurs méthodes sont tout à fait
différentes et, à certains égards, complémentaires. Là où le premier procède par voie
diplomatique, en s’adressant directement aux pouvoirs exécutifs étatiques au cours de
négociations souvent secrètes, le second use essentiellement de son influence morale et de son
contact privilégié avec les membres de la société civile. Leurs actions, quand elles se
combinent, permettent ainsi d’assurer qu’une certaine pression sociale, entretenue par le
HCDH, s’exerce sur les négociations menées par les autorités sous l’égide ou avec
l’assistance du Secrétaire général. Il est significatif qu’une part importante de l’action du
607
Voir infra, partie 2, titre 2, chapitre 1.
Voir infra, chapitre 2.
609
HCDH, UN Doc. A/HRC/12/18, Rapport annuel du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de
l’homme et rapports du Haut -Commissariat et du Secrétaire général. Étude analytique sur les droits de
l’homme et la justice de transition, 6 août 2009, § 4.
610
CVR Sierra Léone, « Witness to truth », op. cit., vol. 1, p. 29.
608
611
UN Doc. A/HRC/21/37, Situation of human rights in Yemen. Report of the United Nations High
Commissioner for human rights, 5 septembre 2012, §§ 18-28. La Haut-Commissaire avait publié une déclaration
à l’époque de la signature de l’accord. Elle est depuis introuvable. Des extraits ont toutefois été repris dans
d’autres sources d’information. Voir par exemple « No amnesty for gross human rights violations in Yemen, top
UN official says », UN news centre, 6 janvier 2012.
612
HCDH, HR/PUB/09/1, « Amnisties », op. cit., p. 11.
158
Haut-Commissariat tient en la formation des acteurs de la société civile et en la diffusion la
plus large d’informations et d’échange d’expérience sur la justice transitionnelle par la voie de
conférences et journées d’études, principalement à destination de ces mêmes acteurs613.
252. Les organes intégrés jouent un rôle aussi important que discret dans l’émergence d’une
exigence de justice transitionnelle. Le caractère essentiellement diplomatique de leur action
jouit d’une efficacité certaine, principalement due à leur autorité morale, permettant d’ériger
la justice transitionnelle en critère de respectabilité des États sortant de conflit. La principale
source de cette exigence demeure cependant les organes intergouvernementaux, dont les
résolutions bénéficient d’une autorité et d’un retentissement bien supérieurs à celui des
déclarations des organes intégrés. Cette autorité est décuplée lorsque sont en question la paix
et la sécurité internationales.
B) La justice transitionnelle comme exigence du maintien de la paix et de la
sécurité internationale
253. Reprenant les appels des organes intégrés, les organes politiques onusiens, au premier
rang desquels se trouvent l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, ont progressivement
élevé la justice transitionnelle en élément indispensable du retour à la paix. L’Assemblée
générale rappelle ainsi annuellement que « la justice, en particulier la justice transitionnelle en
période ou au lendemain de conflits, est l’une des conditions fondamentales de la
pérennisation de la paix »614. Plus réticent à l’usage de l’expression en elle-même615, à tout le
moins dans ses résolutions, le Conseil de sécurité a tout de même fini par s’aligner sur
l’organe plénier en considérant, récemment, que la « pérennisation de la paix » implique
« l'accès à la justice et à la justice transitionnelle »616. Si cette prise de position du Conseil de
sécurité peut surprendre, elle s’inscrit en fait dans l’approche globale du maintien et de la
consolidation de la paix, au même titre que, par exemple, le développement économique.
613
Voir Annexe V, Bureaux-pays du HCDH et justice transitionnelle.
A/RES/71/253 (2017), Rapport de la Cour pénale internationale, préambule. Cette phrase est reprise dans
toutes les résolutions réceptionnant le rapport de la CPI depuis 2007.
615
Le Conseil de sécurité parle plus volontairement des mécanismes de justice transitionnelle que de celle-ci
dans son acception globale. Il apparaîtrait que la première occurrence de l’expression en tant que telle dans une
résolution du Conseil de sécurité soit au sein de la résolution 1719 du 25 octobre 2006, créant le BINUB. En ce
qui concerne les déclarations présidentielles, l’expression apparaît en 2004, à l’issue d’un débat portant sur les
« [civilian] aspects of conflict management and peace building ». Voir UN Doc. S/PRST/2004/33, Civilian
aspects of conflict management and peace building, 22 septembre 2004. À propos du BINUB, voir Annexe III,
Missions politiques spéciales et justice transitionnelle.
616
S/RES/2282 (2016), préambule.
614
159
Celui-ci est d’ailleurs également considéré comme « indispensable à la pérennisation de la
paix »617.
254. Cependant, la justice transitionnelle se voit attribuer une importance plus grande du fait
de son incorporation au sein des actions onusiennes en faveur de l’état de droit et des droits de
l’Homme. L’évolution de la doctrine du maintien et de la consolidation de paix a placé l’état
de droit au centre de l’action du Conseil de sécurité et de l’ONU d’une façon générale. Si, à
l’instar de la justice transitionnelle, il n’existe pas encore, en droit positif, d’obligation d’état
de droit, il apparaît que celui-ci est aujourd’hui un élément incontournable de respectabilité
pour les États618. Son intense promotion par le Conseil de sécurité atteste et renforce ce
caractère619. Or, « restaurer la confiance dans l’état de droit est un élément clef de la justice
transitionnelle »620, ce qui amène le Conseil à rappeler « l’importance cruciale qu’il attache à
la promotion de la justice et de l’état de droit, facteurs indispensables à la coexistence
pacifique et à la prévention des conflits armés »621. La lutte contre l’impunité, au sens pénal,
reste, dans ce contexte, la priorité du Conseil de sécurité622, ce qui ne l’empêche pas de
régulièrement attirer l’attention des États « sur tout l’arsenal de mécanismes de justice et de
réconciliation à envisager, tels les cours et tribunaux pénaux internes, internationaux et
‘mixtes’ et les commissions vérité et réconciliation »623. En ce qui concerne les droits de
l’Homme, il ne fait aucun doute qu’ils sont aujourd’hui parfaitement intégrés à toute politique
onusienne, y compris, voire surtout, dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité
617
UN Doc. S/PRST/2016/12, 28 juillet 2016, p. 2.
Jacques Chevallier dit à ce propos que « [tout] État qui se respecte doit désormais se parer des couleurs
avenantes de l’État de droit, qui apparaît comme un label nécessaire sur le plan international. L’État de droit se
présente dans les sociétés contemporaines comme une véritable contrainte axiologique, dont dépend la légitimité
politique ». Cité in SICILIANOS (L. A.), L’ONU et la démocratisation de l’État, op. cit., p. 249.
619
Le Secrétaire général note, dans son rapport sur l’état de droit et la justice transitionnelle de 2011, que
« [depuis] 2004, [le Conseil de sécurité] a fait référence à l’état de droit et à la justice transitionnelle dans plus de
160 résolutions, ce qui représente une nette augmentation par rapport à la période correspondante d’avant le
rapport de 2004 ». Voir SGNU, UN Doc. S/2011/634, État de droit et justice transitionnelle, op. cit., § 10. Voir
également le rapport de Security Council Report, notant l’augmentation de l’occurrence de l’état de droit dans
les résolutions et les déclarations présidentielles du Conseil de sécurité. Security Council Report, Cross cutting
report on the rule of law, 28 octobre 2011, pp. 14-18.
620
A/RES/70/118 (2015), § 17. La même expression est reprise dans les résolutions précédentes sur cette
thématique. Voir A/RES/69/123 (2014) ; A/RES/67/97 (2013) ; A/RES/66/102 (2012).
621
S/PRST/2014/5 (2014), § 1.
622
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 2.
623
On retrouve cette expression dans les résolutions du Conseil de sécurité portant sur « les femmes, la paix et la
sécurité » ainsi que celles portant sur « la protection des civils dans les conflits armés ». Voir S/RES/1960
(2010) ; S/RES/1888 (2009) ; S/RES/1738 (2006) et S/RES/1674 (2006).
618
160
internationales. L’attention accrue portée par le Conseil de sécurité au travail du HCDH en
témoigne624.
255. Comme il sera observé plus loin625, ce mouvement s’exprime également au travers de
l’accroissement considérable du nombre d’opérations de paix comportant un volet justice
transitionnelle. À cet égard, il est significatif que les premières sections « droit de l’homme et
justice transitionnelle » ont été intégrées au sein d’opérations de paix sur l’initiative du
Secrétaire général626. Or, le Conseil de sécurité tend aujourd’hui à inclure ces sections, ou tout
du moins les tâches qu’elles sont censées porter, directement dans les mandats des opérations.
Ceci est particulièrement visible au sein des missions politiques spéciales, qui intègrent
maintenant des mandats globaux concernant la justice transitionnelle, y compris dans la
promotion de celle-ci627. Le Conseil ne se contente plus d’accepter la politique du Secrétariat,
il l’a fait sienne et est devenu moteur dans son application.
624
Felice Gaer note la forte augmentation du nombre de communications effectuées par le Haut-Commissaire et
ses adjoints devant le Conseil de sécurité qui, entre 2009 et 2013, ont été plus de deux fois supérieures à celles
prononcées depuis la création du poste de Haut-Commissaire, en 1994. Il en conclut que « human rights have
been recognized as central to so many of the conflicts, and to peace and security ». GAER (F. D.), « The
effectiveness of the United Nations human rights protection machinery », op. cit., pp. 284-285.
625
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1. Voir également Annexe II, opérations de maintien de la paix et justice
transitionnelle et Annexe III, Missions politiques spéciales et justice transitionnelle.
626
Ibid.
627
Voir Annexe III, Missions politiques spéciales et justice transitionnelle.
161
Chapitre 2. L’encadrement incomplet des
mécanismes de justice transitionnelle
256. Les États mettent de plus en plus souvent en œuvre des politiques de justice
transitionnelle. Attirés par la respectabilité qu’elle prodigue à celui qui l’applique, ainsi que
par les fonds importants qui lui sont attachés, ils n’hésitent pas à prévoir la création de
commissions vérité, de tribunaux spéciaux, de programmes de réparations ou de programmes
de lustration dans les accords de paix qu’ils signent, ou à incorporer dans les gouvernements
de transition des ministères de la justice transitionnelle. Il est pourtant loin d’être évident que
tous ces projets soient mus par une authentique volonté de lutter contre l’impunité, et le risque
est grand que les programmes de justice transitionnelle ne restent que des parures. Pire
encore, les mécanismes de justice transitionnelle peuvent se voir détournés à des fins
politiques, arguant de la lutte contre l’impunité pour éliminer des opposants ou exercer un
contrôle sur l’écriture de l’Histoire. De telles accusations ont pu être lancées contre le
programme de débaathification en Irak628, contre les procès menés au sein du International
crimes tribunal au Bangladesh (ICT - BD)629 ou même contre les commissions vérité en
général, considérées par certains comme « a way to avoid more serious accountability »630.
257. Le bon fonctionnement des mécanismes de justice transitionnelle est donc une condition
essentielle de l’effectivité des piliers qui constituent cette justice. Ces considérations ne sont
d’ailleurs pas propres à la justice transitionnelle. On les retrouve dans le système européen de
protection des droits de l’Homme, lorsque la CEDH inclut dans la protection du droit à la vie
l’obligation pour les États de mener une enquête effective sur les atteintes qui y sont
portées631. La particularité de la justice transitionnelle tient d’une part dans son
628
La « débaathification » fait référence à la dissolution et l’interdiction, par les forces d’occupation, du parti
Baath en Irak, ainsi que de l’exclusion de tous ses membres de la fonction publique. Souvent rapprochée des
mesures de dénazification de l’Allemagne post 2e Guerre mondiale, cette politique a été vivement critiquée par la
doctrine. Ainsi Roger Duthie la qualifie de « purge » et Harith Al-Dabbagh la considère comme « inutilement
partisane, controversée, imparfaite et inefficace ». Voir respectivement DUTHIE (R.), « Introduction » in DE
GREIFF (P.), MAYER-RIECKH (A.), Justice as Prevention : vetting public employees in transitional societies,
International Centre for Transitional Justice, Social Science Research Council, New York, 2007, p. 18 et ALDABBAGH (H.), « Débaathification en Irak : justice transitionnelle ou simple vengeance ? », Revue Québécoise
de Droit International, vol. 27, n° 1, 2014, p. 58.
629
Voir les critiques formulées à l’égard de ce tribunal, notamment vis-à-vis des droits de la défense dans
SAMAD (A.), « The International Crimes Tribunal in Bangladesh and international law », Criminal Law Forum,
vol. 27, n° 3, 2016, pp. 257-290.
630
HAYNER (P.), Unspeakable truths, op. cit., p. 91.
631
Voir l’utilisation faite de cette interprétation par le Panel consultatif des droits de l’homme au Kosovo, infra,
partie 2, titre 2, chapitre 2, section II.
162
développement encore embryonnaire, caractérisé par un droit en développement tenant
souvent, au mieux, de la soft law, voire, régulièrement, de la simple recommandation. Elle
tient également dans l’importance accordée à son adaptabilité aux contextes locaux, favorisant
l’octroi d’une large marge d’appréciation aux États632. Ces deux facteurs se rejoignent en
partie dans la mesure où la marge d’appréciation laissée aux États provient également de la
faible institutionnalisation de la justice transitionnelle et de la lutte contre l’impunité d’une
façon générale. Il faut se souvenir que nous sommes en présence d’un domaine récent dont les
différents pans ne connaissent pas le même degré d’évolution. C’est ainsi que, alors que des
modèles de mécanismes de justice transitionnelle émergent progressivement (Section I), le
domaine de la coordination de ces mécanismes entre eux reste essentiellement vierge de toute
régulation (Section II).
Section I
L’élaboration progressive de modèles de
mécanismes de justice transitionnelle
258. L’efficacité des mécanismes de justice transitionnelle est évaluée principalement à
l’aune de deux critères. Il s’agit tout d’abord de leur capacité à lutter contre l’impunité, au
sens où cette justice l’entend. La place des victimes est donc aussi importante que celle des
bourreaux. Dans la mesure où ces mécanismes s’inscrivent dans un projet plus global de
rétablissement de l’état de droit, leur conformité aux règles liées au caractère équitable des
procédures – notamment lorsque celles-ci peuvent aboutir à des sanctions – revêt une
importance particulière. La difficulté réside dans la diversité de ces mécanismes ainsi que
dans leur apparition récente sur la scène internationale. En effet, les programmes de
réparations, de lustration et les commissions vérité n’ont pas encore fait l’objet d’une
attention particulière des divers organes, juridictionnels ou non, de protection des droits de
l’Homme, comme ç’a pu être le cas pour les procès pénaux. Plus diversifiés, tant dans leur
forme que dans leurs effets, et d’une pratique bien plus récente, les mécanismes non
judiciaires de justice transitionnelle évoluent encore en grande partie dans un vide juridique
concernant les normes qui peuvent leur être applicables en termes de procédure.
C’est pour combler ce vide que l’ONU développe ou adapte des standards pour encadrer
les mécanismes de justice transitionnelle (§ 1). La lenteur inhérente à ce processus incite les
632
Mireille Delmas Marty utilise cette notion de la marge d’appréciation, tirée, dans son analyse, de la pratique
de la CEDH, pour tenter de concilier les normes fondamentales universelles et leur application dans des
contextes culturellement diversifiés. La même réflexion s’applique à la justice transitionnelle. Voir DELMASMARTY (M.), Le relatif et l’universel, op. cit., pp. 68-69.
163
entités onusiennes impliquées dans la justice transitionnelle à développer un ensemble de
bonnes pratiques sous la forme de recommandations, dont la souplesse permet en outre de
préserver une certaine adaptabilité des mécanismes concernés (§ 2).
§1/Le développement de standards onusiens pour l’encadrement des
mécanismes de justice transitionnelle
259. L’ « Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l’Homme
par la lutte contre l’impunité » (« principes Joinet »)633 et leur version actualisée (« principes
Orentlicher »)634, ainsi que les Principes fondamentaux sur le droit au recours et à
réparation635 représentent les principales sources de standards onusiens en matière
d’encadrement des mécanismes de justice transitionnelle. Bien que plus limités dans leur objet
et moins directement liés à ces mécanismes, la « Déclaration des principes fondamentaux de
justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir »636, les
« Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et
sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions »637 et les « Principes
relatifs aux moyens d’enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants pour établir les faits »638 donnent également des indications
importantes sur l’encadrement de certains de ces mécanismes639. Les standards relevés au
travers de ces derniers instruments doivent cependant être maniés avec prudence, car, hors le
cas des réparations, ils ne concernent explicitement que les mesures d’enquête, judiciaires et
extrajudiciaires. La transposition de ces standards aux cas de commissions vérité ou de
programmes de lustration est certes pertinente, dans la mesure où ces deux mécanismes
conduisent bien des enquêtes visant à établir des faits et, le cas échéant, des responsabilités,
mais elle demeure imparfaite du fait de la différence d’objectifs poursuivis par ces mesures.
633
Voir « principes Joinet », op. cit.
Voir « principes Orentlicher », op cit.
635
A/RES/60/147, op. cit.
636
A/RES/40/34 (1985), Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la
criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir.
637
UN Doc. E/RES/1989/65, Effective prevention and investigation of extra-legal, arbitrary and summary
executions, 24 mai 1989.
638
A/RES/55/89 (2001), Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » et annexe
« Principes relatifs aux moyens d’enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants pour établir la réalité des faits.
639
Ces principes font partie des sources envisagées par Mark Freeman pour son étude portant sur les normes de
procédure équitable (« procedural fairness ») applicables aux commissions vérité. Voir FREEMAN (M.), Truth
commissions and procedural fairness, Cambridge University Press, New York, 2006, 400 p.
634
164
Ils seront donc utilisés principalement en confirmation des standards établis par les deux
textes les plus directement liés à la justice transitionnelle.
L’analyse des instruments onusiens identifiés ci-dessus révèle un ensemble de standards
applicables communément aux mécanismes de justice transitionnelle640. Il s’agit tout d’abord
de garantir l’indépendance et l’impartialité de ces mécanismes (A), pour s’attacher ensuite à
assurer leur efficacité (B).
A) Les garanties d’indépendance et d’impartialité des mécanismes de
justice transitionnelle
260. La première préoccupation en termes d’impartialité des mécanismes de justice
transitionnelle concerne leur protection contre l’arbitraire. Étant donné les conséquences
parfois importantes que peuvent impliquer leurs décisions, il paraît logique de leur imposer le
respect d’une procédure équitable. Si les juridictions pénales se voient contraintes de respecter
ce principe par leur soumission aux règles du droit international pénal concernant le procès
équitable, la situation des mécanismes extrajudiciaires vis-à-vis de ces règles est beaucoup
moins évidente. L’impact des décisions des programmes de lustration et des rapports des
commissions vérité sur les personnes qu’ils identifient comme responsables de violations des
droits de l’Homme justifie pourtant que ces mécanismes respectent certains standards en
matière de garanties procédurales641. On retrouve ainsi dans cette catégorie la diversité et la
fiabilité des sources fondant les conclusions des mécanismes642, ainsi que la possibilité pour
les personnes identifiées de contester ces conclusions. Cette dernière garantie connaît des
degrés différents selon les mécanismes. Devant les commissions vérité, elle implique
640
Cette transversalité des standards doit cependant être nuancée dans la mesure où le degré d’exigence des
garanties procédurales qu’ils prévoient pourra varier, essentiellement en fonction de l’objectif poursuivi par
chaque mécanisme et des conséquences attachées à leur travail. Ainsi les garanties offertes aux personnes
soupçonnées de violations des droits de l’Homme seront plus poussées devant une juridiction pénale prononçant
une peine de privation de liberté, que devant une commission de lustration adoptant une décision administrative
de radiation ou d’interdiction d’exercer certains emplois, ou que devant une commission vérité ne faisant
qu’identifier les personnes responsables de telles violations. Il faut également préciser que les programmes de
réparations se trouvent toutefois dans une situation légèrement particulière, l’absence d’enquête et
d’établissement de responsabilité dans leur travail rendant certains standards inopérants.
641
Cette exigence a mené Mark Freeman à identifier les standards applicables aux commissions vérité en matière
de procédure équitable et à construire un ensemble de principes visant à garantir le respect de ce caractère par les
commissions. Voir FREEMAN (M.), Truth commissions and procedural fairness, op. cit.
642
Les principes Joinet et Orentlicher, respectivement aux principes 8 a) et 9 a), évoquent l’obligation pour les
commissions « de corroborer les informations recueillies par d'autres sources ».
165
essentiellement la possibilité pour ces individus de faire entendre leur version des faits643. La
possibilité de recours contre l’inscription d’un nom dans le rapport d’une commission
d’établissement des faits n’est pas prévue. Ce droit au recours est en revanche garanti en ce
qui concerne les mesures administratives adoptées dans le cadre d’un programme de
lustration. Notons que les principes Joinet, ainsi que leur version actualisée, ne prévoyaient
pas de procédure contradictoire pour ce type de mesures. Interrogée au sujet du programme de
lustration des forces de police de Bosnie-Herzégovine mené par la MINUBH, la Commission
de Venise a considéré que l’absence de procédure contradictoire, tant dans l’évaluation des
policiers que dans le traitement des recours que ceux-ci pouvaient effectuer, violait les droits
de l’Homme internationalement reconnus644. Si le HCDH a participé à la saisine de la
Commission, l’avis de cette dernière n’a été suivi ni par le Conseil de sécurité, ni par le
Secrétariat de l’ONU.
261. Dans la lignée de la garantie d’une procédure équitable se trouvent les principes
d’indépendance et d’impartialité des mécanismes et de leurs acteurs. Ces principes, compris
dans les normes du procès équitable pour ce qui concerne les mécanismes judiciaires, trouvent
à s’appliquer pour le cas des commissions vérité. Les principes Joinet et Orentlicher
envisagent ainsi l’inamovibilité des commissaires pendant le mandat de la commission,
l’octroi de privilèges et immunités à ces derniers ainsi qu’une transparence des
financements645. Ces garanties sont largement partagées par les standards applicables aux
commissions d’enquête. Les « Principes relatifs aux moyens d’enquêter efficacement sur la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour établir la réalité
des faits » reprennent à cet égard la formule déjà posée par les « Principes relatifs aux moyens
d’enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
643
Les principes Joinet prévoient, dans les mesures permettant d’assurer « le principe de contradiction », que
« [la] personne impliquée doit soit avoir été entendue ou, à tout le moins convoquée à cet effet, et avoir la
possibilité de faire valoir sa version des faits par une déposition, ou de verser au dossier, dans un délai fixe prévu
par l'acte créant la commission, un document équivalant à un droit de réponse. » Voir « principes Joinet », op
cit., principe 8 b). La même formulation est utilisée dans les principes Orentlicher, op. cit., principe 9 b).
644
Le recours ouvert aux personnels non certifiés ou décertifiés se limitait à une observation écrite déposée
auprès d’une commission à compétence consultative, la décision finale étant adoptée discrétionnairement par le
commissaire du Groupe international de police des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine (GIP), celui-là même
qui avait adopté la décision initiale. Le recours n’impliquait donc aucune audition publique et était effectué sans
que les personnes concernées ou leurs représentants n’aient accès aux éléments de preuve ayant motivé la
décision attaquée. Pour plus de précisions, voir Commission Européenne pour la Démocratie par le Droit
(Commission de Venise), Avis sur une solution possible au problème de la décertification des agents de police
en Bosnie Herzégovine, Avis n° 326/2004, 24 octobre 2005.
645
Voir « principes Joinet », op cit., principes 6 b) et c) et principe 10 a) et « principes Orentlicher », op cit.,
principes 7 et 11 a). On peut noter que la garantie d’une création par la voie législative, règlementaire ou
conventionnelle, prévue par les principes Joinet (principe 6 a)), a disparu des principes Orentlicher.
166
dégradants pour établir la réalité des faits », selon laquelle « les États veillent à ce que
l’enquête soit confiée à une commission d’enquête indépendante ou menée selon une
procédure similaire. Les membres de la commission sont choisis pour leur impartialité, leur
compétence et leur indépendance personnelles reconnues. Ils doivent, en particulier, être
indépendants vis-à-vis des suspects et des institutions ou organes qui les emploient. »646
Une fois l’impartialité et l’indépendance des mécanismes assurées, reste à garantir leur
effectivité, sans laquelle ceux-ci ne deviendraient que des instruments de diversion au service
de l’impunité.
B) Les garanties d’efficacité des mécanismes
262. Preuve tant de l’attachement onusien à ce principe que des dérives qu’ont souvent
connues les mécanismes de justice transitionnelle, les standards de l’Organisation consacrent
un devoir général d’efficacité des mécanismes. Outre le rappel régulier que les enquêtes, les
réparations ou l’accès à la justice doivent être rapides et effectifs, cette obligation comprend
également l’octroi aux mécanismes de pouvoirs leur permettant de conduire leur tâche le
mieux possible. Il s’agit par exemple pour les réparations de prévoir une substitution par
l’État au débiteur non solvable ou non identifiable et du contrôle, par celui-là, de l’exécution
des décisions judiciaires de réparation647. En ce qui concerne les commissions vérité,
l’efficacité tient essentiellement en l’octroi de pouvoirs d’enquête assez larges, tels que
l’appel au pouvoir judiciaire pour procéder à des perquisitions, à la transmission de tous
documents utiles ou pour enjoindre une personne à venir témoigner648. Notons ici que les
pouvoirs accordés aux commissions vérité en vertu du principe d’efficacité sont moins larges
que ceux prévus pour les commissions d’enquête. Ici encore les « Principes relatifs aux
moyens d’enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants pour établir la réalité des faits » reprennent la formule des
« Principes relatifs aux moyens d’enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants pour établir la réalité des faits » en prévoyant
que :
646
A/RES/55/89, op. cit., annexe, principe 5 a). Voir également UN Doc. E/RES/1989/65, op cit., annexe,
principe 11.
647
A/RES/60/147, op. cit., principes 16 et 17.
648
Voir « principes Joinet » op cit., principe 7 b) et « principes Orentlicher » op. cit., principe 8 a).
167
« [l]’autorité chargée de l’enquête doit être en mesure et a l’obligation d’obtenir
tous les renseignements nécessaires à l’enquête. Les enquêteurs doivent disposer
de toutes les ressources budgétaires et techniques dont ils ont besoin pour
travailler efficacement. Ils ont aussi le pouvoir d’obliger à comparaître et à
témoigner toute personne agissant à titre officiel dont on suppose qu’elle est
impliquée dans des actes de torture ou des mauvais traitements. Il en va de même
en ce qui concerne les témoins. À cette fin, l’autorité chargée de l’enquête est
habilitée à citer les témoins à comparaître, y compris les fonctionnaires en cause,
et à exiger que des preuves soient fournies. »649
La principale différence tient en l’octroi aux commissions vérité de pouvoirs d’enquête
exercés de façon autonome ou par le biais d’un recours aux instances judiciaires et à la force
publique. Si les principes onusiens penchent vers cette deuxième option, la pratique de
l’Organisation en matière de commissions vérité s’oriente plutôt vers la première approche,
favorisant des modèles quasi-judiciaires de commissions vérité650.
263. Deux catégories de standards viennent garantir ce principe d’efficacité. Il s’agit tout
d’abord d’assurer des conditions satisfaisantes de sécurité, qu’il s’agisse des membres des
mécanismes, des témoins ou des victimes et de leurs proches. Dans cette optique, l’ensemble
des mécanismes est invité à adopter des mesures de protection des témoins, notamment au
travers de la possibilité d’offrir des garanties d’anonymat des témoignages et des sources ainsi
que de confidentialité de certains renseignements fournis651. De plus, il est prévu que les
commissions vérité aient la possibilité de saisir les tribunaux pour faire cesser, suivant une
procédure d’urgence, toute atteinte ou tout risque à la sécurité des victimes, des témoins ou de
quelque acteur de ces mécanismes652. Bien que les programmes de réparations soient moins
exposés à la problématique de la sécurité des témoins, les « Principes fondamentaux sur le
droit au recours et à réparation des victimes de violations flagrantes des droits de l’Homme »
prévoient tout de même, sans en préciser le contenu, l’obligation d’adopter « des mesures
pour limiter autant que possible les difficultés rencontrées par les victimes et leurs
649
A/RES/55/89, op. cit., annexe, principe 3 a). Voir également UN Doc. E/RES/1989/65, op. cit., annexe,
principe 10.
650
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1.
651
Les principes Orentlicher vont plus loin que les principes Joinet sur ce point, se positionnant plus clairement
en faveur de possibilités étendues d’anonymat et de confidentialité. Voir « principes Joinet », op. cit., principe 9
b) et « principes Orentlicher », op cit., 10 d). Les principes Joinet et Orentlicher prévoient aussi la possibilité de
conserver certains éléments sensibles de l’enquête confidentiels, par mesure de sécurité. Voir ibid., principes 12
et 13, respectivement.
652
Ibid., principes 7 c) et 8 b), respectivement.
168
représentants, protéger comme il convient leur vie privée de toute ingérence illégale et assurer
leur sécurité, ainsi que celle de leur famille et de leurs témoins, en les préservant des
manœuvres d’intimidation et des représailles, avant, pendant et après les procédures
judiciaires, administratives ou autres mettant en jeu les intérêts des victimes »653.
264. La deuxième catégorie de standards visant à assurer l’efficacité des mécanismes de
justice transitionnelle concerne ce que nous nommerons ici leur disponibilité. Il s’agit de
garantir une bonne connaissance des mécanismes, de leur objet, de leur fonctionnement et de
leurs conclusions par les victimes et les autres personnes éventuellement concernées. Au sein
des tribunaux pénaux, cette exigence a notamment incité au développement des programmes
de sensibilisation (outreach). Pour ce qui est des commissions vérité, l’accent est mis sur la
publication la plus rapide et la plus large possible de leurs rapports654. Des versions résumées
ou adaptées aux enfants sont ainsi rédigées pour garantir cette accessibilité. Enfin, pour les
programmes de réparations, il s’agit de diffuser le plus largement possible les informations
liées à l’existence et à l’objectif des mécanismes, aux possibilités de participation ainsi qu’aux
recours et diverses procédures d’accompagnement disponibles655.
§2/L’encadrement des mécanismes de justice transitionnelle par les
politiques onusiennes
265. Moins formelles et d’une valeur normative moindre que les standards, les politiques ou
recommandations formulées par les institutions onusiennes ne sont pour autant pas anodines.
Elles révèlent tout d’abord l’approche adoptée par l’Organisation quant à la justice
transitionnelle. Elles jouissent ensuite d’une influence importante auprès des États, dans la
mesure où elles participent à déterminer les critères à l’aune desquels les politiques des États
seront évaluées et conditionnent dans une certaine mesure l’aide, à la fois technique et
financière, fournie par l’ONU.
Les mécanismes de justice transitionnelle font l’objet d’une attention par plusieurs
entités onusiennes distinctes, tels le PNUD, le HCDH ou encore l’UNICEF. Le risque est
alors d’assister à la formulation de politiques contradictoires ou incohérentes. Ce risque a été
minimisé par l’élaboration d’un cadre, à la fois formel et informel, propice à la formulation
653
A/RES/60/147, op. cit., principe XII b).
Voir « principes Joinet » op. cit., principe 12 et « principes Orentlicher », op. cit., principe 13. La même
exigence apparaît relativement aux rapports des commissions d’enquête. Voir A/RES/55/89, op. cit., annexe,
principe 5 b) ; également E/RES/1989/65, op cit., annexe, principe 17.
655
A/RES/60/147, op cit., principes VII c) et VIII a) ; « principes Joinet », op cit., principe 35 ; « principes
Orentlicher », op. cit., principe 33.
654
169
d’une politique onusienne, c’est-à-dire trans-institutionnel, vis-à-vis des mécanismes de
justice transitionnelle (A). Les préconisations de l’Organisation dans ce domaine font ainsi
montre d’une cohérence bienvenue (B).
A) Le développement d’un cadre propice à la formulation d’une politique
onusienne
266. Il n’existe pas de document onusien établissant de façon claire les politiques de
l’Organisation en matière de justice transitionnelle. Celles-ci existent pourtant bien,
dispersées au sein d’une pluralité d’instruments, dont la portée et la forme varient. En
conséquence, aucune nomenclature ne peut être utilisée pour définir quel type de document
peut être considéré comme reflétant, ou ayant vocation à refléter, exposer ou définir une
politique onusienne. Le principal facteur de la diversité des éléments de définition d’une telle
politique tient à la transversalité de la justice transitionnelle, qui implique une compétence
partagée au sein des institutions onusiennes. On peut ainsi retrouver des éléments provenant
du Secrétaire général, du HCDH, du Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, du
PNUD, du Département des opérations de maintien de la paix, d’ONU-Femmes, ou encore de
l’UNICEF.
267. L’absence de nomenclature précise entraîne la diversité des formes d’expression de
cette politique. Celle-ci peut être formulée par le biais de rapports, qu’ils soient du Secrétaire
général, du Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, du PNUD ou encore de
l’UNICEF, de « guidance notes » ou encore au travers de publications du HCDH. Il faut
également noter que des instruments de formes identiques ne se voient pas nécessairement
attribuer la même importance en termes de fixation d’une politique onusienne. La perception
des institutions de l’ONU compte pour beaucoup dans l’élévation d’un document donné au
rang de politique onusienne. On peut ainsi noter que si le rapport du Secrétaire général sur
l’état de droit et la justice transitionnelle de 2004 est régulièrement cité comme cadre de
référence de l’action des institutions dans ce domaine, celui présenté par Ban Ki Moon en
2011, et constituant le suivi du premier, est presque totalement absent des références
onusiennes pouvant prétendre à la qualité d’élément de fixation de la politique de
l’Organisation. La qualité de l’auteur n’est donc pas nécessairement un critère décisif pour
déterminer si un document exprime une politique onusienne.
170
268. L’imprécision du cadre de la politique onusienne peut paraître problématique pour les
États envisageant de créer des mécanismes de justice transitionnelle. Cependant, les
préconisations qui forment cette politique sont essentiellement adressées aux acteurs onusiens
eux-mêmes. Il demeure que les États sont concernés puisque ce sont ces acteurs qui vont les
conseiller, les assister, les financer et éventuellement critiquer leurs choix lorsque ceux-ci ne
seront pas en conformité avec la politique onusienne. On remarque toutefois que la majorité
des éléments formant la politique de l’Organisation laissent une marge de manœuvre assez
conséquente aux acteurs chargés de mettre en place les mécanismes en question. La priorité
est toujours donnée à l’adaptation des mécanismes au contexte national, apprécié par les
équipes de l’ONU sur le terrain. Il s’agit encore ici d’éviter les « one size fits all formulas »656
si décriées.
269. L’accroissement de l’activité onusienne en matière de justice transitionnelle a incité
l’Organisation à déterminer de façon plus précise sa politique à l’égard des mécanismes qui
composent ce domaine. Le développement du cadre institutionnel de cette action a bien
évidemment largement facilité cette clarification. « Chef de file » de cette architecture
institutionnelle, en ce qui concerne la justice transitionnelle657, le HCDH s’est attaché à
« développer une politique d’administration de la justice en période de transition »658. La série
de publications portant sur « les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un
conflit » vise ainsi à compiler les recommandations et bonnes pratiques du HautCommissariat dans chaque domaine de la justice transitionnelle659. Le Rapporteur spécial
pour la justice transitionnelle participe également à cet effort de clarification. Depuis la
création de ce mandat par le Conseil des droits de l’homme660 et la nomination de Pablo de
Greiff à ce poste, le Rapporteur spécial a pris l’habitude d’inclure dans ses rapports au
Conseil et à l’Assemblée générale une étude thématique sur l’un des éléments de la justice
transitionnelle. Les questions concernant les liens entre la justice transitionnelle et l’état de
656
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
p. 5.
657
SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit., § 13. Voir infra, partie 2, titre 2,
chapitre 1.
658
HCDH, HR/PUB/09/2, « Consultations nationales », op. cit., p. V.
659
La série de publications du HCDH traite des commissions vérité, des poursuites du parquet, des consultations
nationales, des programmes de lustration, de la cartographie des violations des droits de l’Homme (« mapping »),
des archives, des réparations, des tribunaux hybrides, des amnisties, du « monitoring » et de l’incorporation des
droits économiques, sociaux et culturels au sein de la justice transitionnelle.
660
UN Doc. A/HRC/RES/18/7, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation
et des garanties de non-répétition, 13 octobre 2011.
171
droit661, les commissions vérité662, les stratégies de poursuites663, les réparations664, les
garanties de non répétition665, les consultations nationales666 et la participation des victimes
aux processus de justice transitionnelle667 ont ainsi été abordées.
270. L’analyse des divers instruments de politique onusienne permet de constater que les
acteurs onusiens ont développé un dialogue inter-institutionnel. On remarque que les
documents liés aux lustrations et publiés par le PNUD et le HCDH ont été rédigés par le
même expert668 et que le HCDH s’inspire de l’étude du PNUD concernant les mécanismes de
justice traditionnelle669. Il faut également noter que les programmes onusiens touchant au
domaine de la justice transitionnelle, y compris les publications du HCDH sur les instruments
de l’état de droit, sont développés en étroite collaboration avec ICTJ, la principale ONG
œuvrant dans ce domaine, et au sein de laquelle le Rapporteur spécial sur la justice
transitionnelle occupait le poste de directeur de recherche. Si cette proximité entre les
principaux acteurs internationaux de la justice transitionnelle participe à la standardisation de
ce domaine, elle a le mérite de permettre la production, au sein des institutions onusiennes,
d’une politique cohérente.
271. Cette cohérence est toutefois limitée par la portée des politiques formulées par les
organes intégrés ainsi que par les institutions et fonds spécialisés de l’ONU. En effet, la
hiérarchie onusienne implique que les positions adoptées par le Secrétaire général s’imposent
au département des opérations de maintien de la paix ainsi qu’à celui des affaires politiques et
661
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/67/368, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 13 septembre 2012.
662
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/24/42, Rapport du Rapporteur spécial sur
la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, Pablo de Greiff, 28
août 2013. Les commissions vérité ont également fait l’objet d’une liste de recommandations formulées par le
Rapporteur spécial. Voir Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/30/42, 7 septembre
2015, Annexe : « Set of general recommendations for truth commissions and archives ».
663
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/27/56, Rapport du Rapporteur spécial sur
la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, Pablo de Greiff, 27
août 2014.
664
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/69/518, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 14 octobre 2014.
665
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/30/42, op. cit. et Rapporteur spécial sur la
justice transitionnelle, UN Doc. A/70/438, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la
justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 21 octobre 2015.
666
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/71/567, Rapport du Rapporteur spécial sur la
promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 25 octobre 2016.
667
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/34/62, Rapport du Rapporteur spécial sur
la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 27 décembre 2016.
668
Il s’agit de Alexander Mayer-Rieckh. Voir HCDH, HR/PUB/06/5, « Assainissement : cadre opérationnel »,
op. cit. et PNUD, « Vetting public employees in post-conflict settings. Operational guidelines. », 2006, 67 p.
669
Voir HCDH, HR/PUB/16/2, « Human rights and traditional justice systems in Africa », 2016, note 4, p. 3.
172
aux opérations et missions qu’ils gèrent. De la même façon, les positions adoptées par le
siège, qu’il s’agisse du HCDH, de l’UNICEF ou du PNUD, s’imposent aux équipes et
bureaux présents sur le terrain. Il demeure cependant que l’ensemble de ces acteurs est soumis
aux décisions des organes politiques de l’ONU670. Il peut donc arriver que le Secrétaire
général ou le HCDH se voient contraints de mener ou soutenir des projets dont certains
aspects peuvent aller à l’encontre des politiques qu’ils ont eux-mêmes adoptées. Cela a
notamment été le cas concernant la compétence du TSSL sur les mineurs de plus de 15 ans671.
B) Les préconisations onusiennes en matière de mécanismes de justice
transitionnelle
272. Outre les éléments de politique propre à chaque mécanisme de justice transitionnelle,
les institutions onusiennes formulent des recommandations qui peuvent être considérées
comme transversales, c'est-à-dire applicable à tous les mécanismes indépendamment de leur
objet ou de leur nature. Il s’agit tout d’abord, comme il a déjà été dit, de considérer ces
mécanismes comme des moyens pour les populations de faire reconnaître leurs droits et les
violations dont ils ont fait l’objet672 et non simplement comme un outil politique au service de
la réconciliation. Dans la lignée des principes d’efficacité et d’indépendance, l’ONU
recommande également que les mécanismes de justice transitionnelle soient prévus, de la
façon la plus précise possible, dans un cadre légal ou, en cas de fin de conflit négociée, dans
les accords de paix673. Cet élément vise à prévenir les réticences politiques qui pourraient
survenir à l’encontre de certains mécanismes, notamment les programmes de lustration, en
raison des hauts responsables potentiellement mis en cause, ainsi que les programmes de
réparations, en raison de leur coût. L’ONU insiste également sur la nécessité de mener de
vastes consultations des populations préalablement à la création des mécanismes de justice
transitionnelle674. Enfin, les autorités nationales sont invitées à accorder une attention
670
Pour les questions de hiérarchie et de fonctionnement des institutions onusiennes, voir infra partie 2, titre 2,
chapitre 1.
671
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1, section II.
672
Voir supra, chapitre 1.
673
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
pp. 10-11.
674
HCDH, HR/PUB/09/2, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un
conflit. Consultations nationales sur la justice en période de transition », 2009, 42 p ; SGNU,
« Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice »,
173
particulière aux groupes considérés comme fragiles, tels les groupes minoritaires, les femmes
et les enfants. Leur participation à l’élaboration des mécanismes ainsi que leur représentation
en leur sein et les mesures de protection appropriées aux risques et violations spécifiques
qu’ils encourent et ont subis sont particulièrement soulignées675.
273. Hormis ces considérations générales, l’ONU développe des politiques propres à chaque
mécanisme de justice transitionnelle. Concernant les commissions vérité, le HCDH et le
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle préconisent tout d’abord une approche
nuancée des objectifs attribués à ces mécanismes. Tous deux insistent sur l’incapacité des
commissions à garantir la réconciliation nationale676 et, en conséquence, recommandent de ne
pas incorporer cet objectif dans leurs mandats. Concernant les pouvoirs attribués aux
commissions vérité, le HCDH recommande que celles-ci bénéficient de compétences larges,
tant en termes de définition de leur mandat que de moyens pour le mener à bien. Ainsi, il est
conseillé de laisser aux commissions le soin de préciser leurs compétences temporelle et
matérielle677. Ceci leur permettrait d’adapter la période et les types de violations couvertes par
leur travail en fonction des découvertes effectuées durant les enquêtes. Afin que celles-ci
soient efficaces, les modèles quasi-judiciaires (« quasi-judicial »)678 ont la préférence de
l’ONU. Les commissions se verraient donc attribuer des pouvoirs d’injonction, de saisie, de
perquisition, de sanction et de protection des témoins679. Il leur reviendrait également de
prendre la décision de nommer ou non les responsables de violations dans leurs rapports
finaux, décision prise en fonction du contexte local, et particulièrement de l’étendue des
poursuites pénales engagées contre ces responsables680. Cette volonté d’attribution de larges
pouvoirs aux commissions vérité connaît toutefois des limites. Ainsi le HCDH et le
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle s’accordent à rejeter le caractère obligatoire
des recommandations comprises dans le rapport final, par souci de respect de la séparation des
op. cit., p. 6 ; Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/71/567, Rapport du
Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des
garanties de non-répétition, 25 octobre 2016.
675
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
p. 9 ; HR/PUB/06/4, « Poursuites du parquet », op. cit., 2006, p. 22.
676
Voir Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/24/42, op. cit., § 47 ; HCDH,
HR/PUB/06/1, « Les commissions de vérité », 2006, p. 2.
677
Ibid., pp. 8-9.
678
STAHN (C.), « Accommodating individual criminal responsibility and national reconciliation : the UN Truth
Commission for East Timor », AJIL, vol. 95, n° 4, octobre 2001, p. 958.
679
HCDH, HR/PUB/06/1, « Les commissions de vérité », op. cit., pp. 10-11.
680
Ibid., p. 23.
174
pouvoirs681. Il apparaît en effet que les réformes conseillées par les commissions vérité
relèvent en partie de la compétence du pouvoir législatif, qu’il serait étonnant,
particulièrement dans une optique de restauration de l’état de droit, de court-circuiter.
274. D’autres limites visent à protéger les groupes les plus fragiles, au premier rang desquels
se trouvent les enfants. Si le Secrétaire général se contente de souhaiter que les procédures des
commissions vérité soient en accord avec les United Nations Guidelines on justice in matters
involving child victims and witnesses of crimes682, l’UNICEF formule des recommandations
plus précises, comprenant l’anonymat des enfants responsables de violations et, dans la
mesure du possible, de ceux intervenant en tant que témoin683. Le caractère volontaire de ces
témoignages ainsi que de toute forme de participation des enfants aux travaux d’une
commission doit également être assuré684. Enfin, il est déconseillé aux commissions de
recommander, dans leur rapport, de poursuivre pénalement des personnes mineures au
moment des faits685.
275. En ce qui concerne les poursuites pénales, les deux principaux éléments de politique
onusienne sont le refus des amnisties couvrant les crimes internationaux et le rejet de la peine
de mort686. Le HCDH précise la politique onusienne en recommandant que soit prévue la
possibilité pour les victimes de participer aux procès687. Il faut noter que cette
recommandation s’applique indifféremment aux États de tradition civiliste et de common law,
ces derniers ignorant habituellement ce type de participation. C’est donc bien une procédure
hybride, en développement au sein des juridictions pénales internationales, que le HCDH
681
Ibid., p. 13 ; Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/24/42, op. cit., § 75. Le statut
de la Commission Vérité et Réconciliation du Libéria prévoyait le caractère obligatoire des recommandations.
Voir Libéria, « An Act to Establish the Truth and Reconciliation Commission of Liberia », op. cit., section 48.
Ce caractère obligatoire a d’ailleurs fait l’objet d’un recours en inconstitutionnalité devant la Cour Suprême,
dans la mesure où la CVR demandait, dans ses recommandations, au président du Libéria d’exclure de tout
emploi public des individus nommément désignés. La Cour Suprême a alors considéré que « section 48 of the
TRC Act, in so far as it makes mandatory the implementation of a TRC decision or recommendation, where a
fundamental provision of the Constitution, such as the due process of law clause, has been violated, and where
the implementation of the TRC decision or recommendation would result in an obvious further violation of the
Constitution, unconstitutional. » Voir Cour Suprême du Libéria, Williams v Tah et al, n° LRSC 12, 21 janvier
2011, § 43.
682
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. UN approach to justice for children », septembre 2008,
p. 5.
683
Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), « Children and truth commissions », août 2010, p. xii.
684
Ibid., p. 10.
685
Ibid., p. xii.
686
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. UN approach to rule of law assistance », op. cit., p. 2.
687
HCDH, HR/PUB/06/4, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Poursuites du
parquet », 2006, p. 20. Le Rapporteur spécial abonde dans le même sens. Voir Rapporteur spécial sur la justice
transitionnelle, UN Doc. A/HRC/34/62, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la
justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, 27 décembre 2016, §§. 49-53.
175
recommande pour les situations de post-conflit. Enfin, suivant un raisonnement empreint de
réalisme, le Haut-Commissariat et le Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle
favorisent l’élaboration de stratégies de poursuites fondées sur une priorisation des affaires
(« prioritization strategy »)688. Si le Rapporteur spécial ne se prononce pas sur les critères
utilisés pour cette tâche, le HCDH rejoint la position généralement adoptée par les juridictions
pénales hybrides suivant laquelle les procès se concentrent en premier lieu sur les personnes
portant la responsabilité principale dans les crimes commis.689
276. Concernant les programmes de lustration, l’ONU rejette les mesures visant un groupe
dans sa globalité690. Ceci implique la définition de processus permettant l’identification des
individus impliqués dans des violations des droits de l’Homme entraînant leur expulsion de
l’institution concernée par le programme. Le HCDH recommande que les programmes de
lustration visent en priorité les institutions de la justice, de la police et de sécurité avec, au
sein de chaque programme, une priorité accordée aux cas les plus connus ou/et les plus
emblématiques de violations691. Cette priorisation vise à exclure le plus rapidement possible
les individus ayant causé le plus de torts et dont la présence au sein d’une institution porte un
grave préjudice à la confiance qui lui est accordée par la population. Si les institutions
onusiennes laissent une grande liberté quant aux procédures établies pour le programme, hors
l’exigence du contradictoire et d’un droit de recours692, le PNUD recommande tout de même
que le « standard » de la preuve (« standard of proof ») soit celui de la balance des
probabilités (« balance of probabilities »)693, équivalant au standard généralement appliqué en
matière civile par les juridictions de common law. La charge de la preuve revient
naturellement au mécanisme de lustration694 hormis dans le cas d’une unité ayant une « well
known history of human rights abuse » où la charge de la preuve peut être renversée695. Les
sanctions prononcées peuvent varier (exclusion de l’institution, gel de promotion, destitution,
transfert…), mais l’exclusion totale de la fonction publique est recommandée par le PNUD
688
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/27/56, op. cit. ; HCDH, HR/PUB/06/4,
« Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Poursuites du parquet », 2006, pp. 5-12.
689
Ibid., p. 8.
690
HCDH, HR/PUB/06/5, « Assainissement : cadre opérationnel », op. cit., p. 5.
691
Ibid., p. 11.
692
Voir supra, § 1.
693
PNUD, « Vetting public employees in post-conflict settings », op. cit., p. 15.
694
Ibid.
695
Ibid., p. 22.
176
pour les employés ayant commis des violations graves des droits de l’Homme ou des crimes
internationaux696.
277. Les programmes de réparations ne sont que peu encadrés par les politiques onusiennes.
La seule réelle préconisation est que ces programmes intègrent l’ensemble des modes de
réparation reconnus par les standards onusiens697 et qu’ils soient portés par une institution
spécifique. Ainsi le HCDH recommande que les commissions vérité ne soient pas chargées de
mettre elles-mêmes en œuvre un tel programme698.
278. Concernant les mécanismes de justice transitionnelle, l’ONU présente ainsi une
politique globalement cohérente malgré une élaboration fractionnée entre des institutions
distinctes. L’accord existant entre ces institutions sur l’ancrage de la justice transitionnelle au
sein de l’état de droit ainsi que sur les principes fondamentaux constituant ce dernier y est
évidemment pour beaucoup. Cette cohérence permet une bonne lisibilité, par les États
souhaitant mettre en œuvre une politique de justice transitionnelle, des attentes onusiennes
concernant la structure et les mandats des mécanismes envisagés. La même remarque ne
s’applique malheureusement pas aux moyens permettant la coordination de ces mécanismes.
Section II L’absence de régulation de la coordination des
mécanismes de justice transitionnelle
279. Le développement théorique de l’approche holiste699 de la justice transitionnelle n’a
accordé que peu de place à une réflexion sur les défis pratiques que celle-ci impliquait.
L’attention dont a bénéficié, de la part de l’ONU, l’encadrement de chaque mécanisme pris
indépendamment ne s’est pas, ou très peu, étendue à l’anticipation et à la régulation des
interactions que leur opération conjointe créerait inévitablement. Il est probable que la
réticence à trop standardiser les mécanismes de justice transitionnelle a joué un rôle important
dans cette carence, puisque la diversité de formes des mécanismes implique une diversité
exponentiellement plus grande de leurs interactions. Cette explication n’est pourtant pas
complètement satisfaisante dans la mesure où l’on observe que la réflexion est bien souvent
tout autant absente à une échelle globale qu’au sein de chaque expérimentation prise
individuellement, y compris lorsque les mécanismes en question sont créés au sein d’une
696
Ibid., p. 21.
Voir supra, titre 1, chapitre 2.
698
HCDH, HR/PUB/06/1, « Commissions vérité », op. cit., p. 28.
699
Voir supra, titre 1, chapitre 2.
697
177
politique globale de justice transitionnelle, insérée, par exemple, dans un titre spécifique d’un
accord de paix.
280. C’est donc au fil des expérimentations et une fois confrontés aux problèmes que les
acteurs onusiens se sont penchés sur la question de l’encadrement des interactions entre
mécanismes de justice transitionnelle. L’intensité de cette réflexion a donc dépendu de
l’intensité des interactions et des problèmes rencontrés. La relation entre les commissions
vérité et les tribunaux pénaux occupe à cet égard une place à part, démontrant une complexité
toute particulière dans son encadrement (§ 1). Les autres interactions n’ont pour leur part, et
c’est regrettable, fait l’objet que d’une attention très limitée (§ 2).
§1/La difficile coordination des commissions vérité et des tribunaux
pénaux internationaux
281. Mécanismes les plus emblématiques de la justice transitionnelle, les juridictions pénales
et les commissions vérité n’ont pourtant pas toujours travaillé de concert. Les jeunes années
de la justice transitionnelle les ont plus souvent vues se tourner le dos que collaborer pour
mettre fin à l’impunité. Cette exclusion mutuelle témoigne des tensions ayant existé entre
deux approches de la gestion des périodes de post-conflit, l’une concentrée sur la
consolidation de la paix et l’autre sur la lutte contre l’impunité au sens pénal. Le dépassement
de cette dichotomie entre paix et justice a demandé d’importants efforts doctrinaux pour
concilier deux objectifs souvent considérés comme incompatibles, aboutissant à la
construction d’une complémentarité quelque peu idéalisée entre les procès pénaux et les
commissions vérité (A). Concentrés sur cette synthèse théorique entre ces mécanismes, les
acteurs de la justice transitionnelle se sont peu préoccupés des conséquences pratiques de leur
coexistence ou de leur coopération. La réflexion sur cette problématique a donc été menée au
fil des expérimentations. Le relatif échec de celles-ci n’a toutefois pas permis à celle-là
d’aboutir à une solution convenable (B).
178
A) La construction d’une complémentarité idéalisée entre les procès pénaux
et les commissions vérité
Pour développer l’approche holiste de la justice transitionnelle qu’ils promeuvent
aujourd’hui, les acteurs et théoriciens de la justice transitionnelle ont dû progressivement
dépasser, tant théoriquement que dans la pratique, une relation initialement caractérisée par
une exclusion mutuelle des procès pénaux et des commissions vérité (1). La complémentarité
imaginée à cette occasion a pourtant peu anticipé les défis pratiques qu’elle poserait en termes
de coordination (2).
1. Le dépassement progressif de l’exclusion mutuelle des commissions vérité et des
tribunaux pénaux
282. La relation entre les commissions vérité et les tribunaux n’a pas toujours été définie
comme complémentaire, comme l’implique aujourd’hui la vision holiste de la justice
transitionnelle adoptée par l’ONU. Durant la première décennie de l’implication de
l’Organisation dans ce domaine, les deux mécanismes ont essentiellement été abordés de
façon exclusive l’un de l’autre. Les contextes dans lesquels les premières commissions vérité
ont été établies ont joué un rôle certain dans cette approche, dans la mesure où les transitions
post-dictatoriales en Amérique latine, qui représentent le point de départ du développement de
ces mécanismes, étaient caractérisées par l’adoption de lois d’amnistie. La première
commission vérité activement soutenue par l’ONU, à El Salvador, a été suivie de l’adoption
d’une telle loi. Les commissions vérité étaient alors largement envisagées comme une
alternative aux poursuites pénales, considérées comme trop complexes ou comme présentant
un risque trop important pour la paix et la stabilité.
283. Parallèlement, les TPI créés par le Conseil de sécurité ont conduit leurs opérations à
l’exclusion de toute commission vérité. La proposition de création d’une telle commission en
Bosnie-Herzégovine, aux côtés du TPIY, a rencontré une vive opposition au sein du Tribunal,
la présidente Gabrielle Kirk Mc Donald et la Procureure Louise Arbour craignant la
politisation de ce mécanisme, son empiètement sur le travail du Tribunal et son inutilité700,
alors que Carla del Ponte, succédant à Louise Arbour, considérait ce mécanisme comme
700
HAYNER (P.), Unspeakable truths, op. cit., pp. 111-112.
179
« totalement inefficace »701. Cette méfiance vis-à-vis des commissions vérité n’est pas propre
à l’ONU. Une part importante des organisations de protection des droits de l’Homme
considérait que ces mécanismes « were likely to weaken the prospects for proper justice in the
courts, or even that commissions were sometimes intentionally employed as a way to avoid
more serious accountability »702.
284. Ce n’est qu’à partir de la fin des années quatre-vingt-dix que l’ONU, en même temps
que la doctrine et la société civile, a commencé à percevoir les commissions vérité comme
complémentaires à l’action pénale, notamment dans le cadre des tribunaux pénaux
internationaux et hybrides. Dès le début des années deux mille, de telles commissions ont été
créées aux côtés de tribunaux hybrides en Sierra Léone et au Timor Leste703. Un modèle
similaire a également été envisagé au Cambodge, bien qu’aucune commission vérité n’ait
finalement été créée704. La même évolution a été visible au sein du TPIY, initialement
vivement opposé aux commissions vérité. Claude Jorda, alors président du Tribunal, reconnut
en 2001, bien que de façon nuancée, les atouts que pouvait présenter la création d’une
commission vérité705. Conformément à l’approche holiste de la justice transitionnelle adoptée
par l’ONU depuis le milieu des années deux-mille, la création simultanée de commissions
vérité et de tribunaux pénaux est rapidement devenue la norme. On retrouve de tels projets,
par exemple, au Burundi et au Soudan706.
285. Les arguments avancés par Claude Jorda reflètent bien les attentes de l’approche
complémentaire entre les commissions vérité et les tribunaux internationaux. Il notait alors les
limites du TPIY qu’une commission vérité pourrait compenser, notamment l’impossibilité
pour le Tribunal de juger l’ensemble des « exécutants-subalternes »707, d’analyser « toutes les
causes de la guerre »708 et d’effectuer « un travail de mémoire complet »709. Ce sont
701
DEL PONTE (C.), La traque, les criminels de guerre et moi, (titre original : La Caccia), traduit par Isabelle
Taudière, Héloïse d’Ormesson, Paris, 2009, pp. 163-164.
702
HAYNER (P.), Unspeakable truths, op. cit., p. 91.
703
Il s’agit de la Truth and reconciliation commission travaillant aux côtés du TSSL et de la CAVR, créée aux
côtés des Panels spéciaux pour crimes graves au Timor Leste.
704
UN Doc. A/53/850, Rapport du Groupe d’experts pour le Cambodge créé par la résolution 52/135 de
l’Assemblée générale, 16 mars 1999, §§ 199-209.
705
TPIY, communiqué de presse, « Le tribunal Pénal international et la commission vérité et conciliation en
Bosnie-Herzégovine », La Haye, 17 mai 2001.
706
Voir Annexe I, accords de paix et justice transitionnelle.
707
TPIY, communiqué de presse, « Le tribunal Pénal international et la commission vérité et conciliation en
Bosnie-Herzégovine », op. cit.
708
709
Ibid.
Ibid.
180
également les limites en termes de personnes poursuivies qui avaient motivé l’idée d’une
commission vérité au Cambodge, pour suppléer le travail des futures CETC710.
2. La prise de conscience des défis de la coordination
286. Certains problèmes de coordination entre les tribunaux pénaux et les commissions vérité
avaient déjà été soulignés par les membres du TPIY lors de leur rejet de la création d’une
commission en Bosnie-Herzégovine. La crainte était alors que les écarts en termes de standard
de la preuve et de type de responsabilité – pénale et politique – entre les deux mécanismes ne
mènent à des conclusions divergentes quant à la « culpabilité » (bien que le terme soit
inadéquat pour les commissions vérité) de certaines personnalités, potentiellement sources
d’incompréhension et de déception au sein de la population. La « contamination » des
preuves, par la multiplication des auditions des témoins, était également en question, ainsi que
la dispersion des financements internationaux711. Toutes ces craintes se sont en effet
concrétisées.
287. Le principal problème de la coordination entre les commissions vérité et les tribunaux
pénaux n’avait toutefois pas été anticipé par le personnel du TPIY. Il s’est en réalité agit de la
régulation de la transmission, et particulièrement de la non transmission, d’informations
détenues par les commissions aux tribunaux aux côtés desquels elles travaillent. L’espoir avait
été que les deux mécanismes, bien que participant conjointement à la consolidation de la paix,
à la lutte contre l’impunité et à la réconciliation, fonctionneraient de manière séparée, les
tribunaux traitant des personnes portant la responsabilité principale dans les crimes commis et
les commissions s’occupant des victimes et des exécutants. C’est bien cette optique que le
Conseil de sécurité avait en tête en confiant la responsabilité du traitement des cas des enfants
soldats à la CVR sierra-léonaise712. C’était pourtant oublier que les commissions vérité, pour
mener à bien leur tâche d’établissement de l’historique du conflit, doivent avoir accès aux
hauts responsables politiques et militaires, les témoignages desquels sont bien évidemment
cruciaux pour obtenir une vision d’ensemble des opérations menées. L’accès par les
commissions vérité aux personnes détenues par les tribunaux pouvait également être une
source de tension entre les deux mécanismes, comme l’ont découvert la CVR sierra léonaise
710
UN Doc. A/53/850, 16 mars 1999, op. cit., §§ 199-209.
Voir HAYNER (P.), Unspeakable truths, op. cit., p. 112.
712
Le Conseil de sécurité considérait ainsi que des mécanismes telle que la CVR « conviennent mieux [que le
TSSL] pour connaître des affaires dans lesquelles sont impliqués des mineurs ». Voir UN Doc. S/2001/95, lettre
du Président du Conseil de sécurité au Secrétaire général, 31 janvier 2001.
711
181
et le TSSL713. C’était également croire que la distinction entre les principaux responsables et
les exécutants serait claire pour tous, notamment les personnes impliquées dans les violations
des droits de l’Homme. Or, il apparaît que les commissions vérité ont été confrontées au refus
de certaines personnes de venir témoigner par peur d’être ensuite inculpées sur la base des
informations fournies à la commission vérité, les privant ainsi de sources d’informations
précieuses pour leur tâche d’écriture de l’Histoire714.
B) L’expérimentation inaboutie des modèles d’encadrement du partage
d’informations entre commissions vérité et tribunaux pénaux
288. Des multiples défis rencontrés au cours de la coexistence de tribunaux pénaux et de
commissions vérité, le partage d’informations entre ces mécanismes est très certainement
celui qui a le plus alimenté les critiques et été à l’origine de dysfonctionnements plus ou
moins graves. Certains d’entre eux sont probablement dus à la nature même de ces
mécanismes. Intrinsèques au fonctionnement parallèle de ces mécanismes, ils sont
difficilement, voire impossiblement, surmontables. Tous auraient toutefois pu être, sinon
réglés, du moins minimisés dans leurs effets négatifs, à l’aide d’un cadre clair préalablement
établi. La responsabilité de l’échec partiel de cet encadrement incombe alors aux acteurs, y
compris onusiens, de la justice transitionnelle (1). Ceux-ci se sont contentés, de façon quelque
peu tardive, d’afficher leur préférence pour une protection stricte des informations détenues
par les commissions vérité vis-à-vis des tribunaux pénaux (2).
1. L’échec partiel de l’encadrement du partage d’informations entre les commissions
vérité et les juridictions pénales hybrides
289. Comme il a été dit, le partage de l’information s’est révélé être une source de difficultés
dans les relations entre les commissions vérité et les juridictions pénales hybrides. Les
modèles expérimentés ont plus servi à souligner ces difficultés qu’à les régler. Le qualificatif
de modèle est d’ailleurs inadapté au cas de la Sierra Léone, qui s’est surtout illustré par son
713
Voir infra, B).
Ce point est souligné par les commissions sierra léonaise et est-timoraise dans leurs rapports. Voir
respectivement CVR Sierra Léone, « Witness to truth : report of the Truth and Reconciliation Commission for
Sierra Leone », volume 3B, 2004, 27 octobre, p. 374 et CAVR Timor Leste, « Chega ! Report of the
Commission for Reception, Truth and Reconciliation in Timor Leste », janvier 2006, p. 24. Pour cette dernière
commission vérité, voir également BISSET (A.), « Rethinking the powers of Truth Commissions in light of the
ICC statute », JICJ, vol. 7, n° 5, novembre 2009, p. 971.
714
182
caractère chaotique (a). Il pourrait en revanche s’appliquer à l’expérience du Timor Leste,
bien que les innovations mises en œuvre à son occasion n’aient qu’une portée limitée en
raison du contexte particulier de leur création (b). Il est toutefois regrettable que ni la Sierra
Léone ni le Timor Leste n’aient servi à élaborer des cadres de coopération pour les
expériences en cours (c).
a. L’expérience chaotique de la Sierra Léone
290. La CVR sierra léonaise et le TSSL n’ont pas été créés dans le cadre d’une stratégie de
justice transitionnelle. La première était prévue dès l’accord de paix de Lomé, signé en 1999,
alors que la décision de créer le second n’a été adoptée par le Conseil de sécurité qu’en août
2000715. Il est toutefois immédiatement paru évident que les deux institutions travailleraient
en parallèle et qu’un cadre de coopération serait à établir. Le Secrétaire général notait ainsi
dès octobre 2000, que « relationship and cooperation arrangements would be required
between the Prosecutor and the National Truth and Reconciliation Commission »716, appel
réitéré dans une lettre au Conseil de sécurité en janvier 2001717 et repris par la Commission
des droits de l’homme718. En tant qu’institution onusienne responsable du soutien apporté à la
CVR, le HCDH tenta d’établir le cadre nécessaire à travers l’organisation de plusieurs ateliers
d’experts. Le résultat de ces ateliers fut l’adoption de principes directeurs sans grande portée,
puisqu’ils se contentaient de rappeler que the « TRC and the Court should be guided by the
request of the Security Council and the Secretary-General to “operate in a complementary
and mutually supportive manner fully respectful of their distinct but related functions”» et
renvoyaient la responsabilité de la définition des modalités de coopération à la CVR et au
TSSL719.
291. Malgré les mises en garde des acteurs onusiens et de la société civile, qui avait proposé
des modèles de coopération720, les deux institutions ont donc débuté leurs travaux sans cadre
715
S/RES/1315 (2000).
SGNU, S/2000/915, op. cit., § 8. La version anglaise a été préférée ici, la traduction française exposant de
façon peu satisfaisante qu’ « il faudra prévoir des relations et une coopération entre le Procureur et la
Commission nationale de vérité et de réconciliation ».
717
UN Doc. S/2001/40, Letter dated 12 January 2001 from the Secretary-General addressed to the President of
the Security Council. Establishment of the Special Court for Sierra Leone (S/2000/915), 2 janvier 2001.
718
UN Doc. E/CN.4/RES/2002/20, Situation des droits de l’homme en Sierra Leone, 22 avril 2002.
719
UN Doc. E/CN.4/2002/37, Question of the violation of Human Rights and fundamental freedoms in any part
of the world. Report of the High Commissioner for Human Rights pursuant to Commission on Human Rights
resolution 2001/20. Situation of human rights in Sierra Leone, 18 février 2002, § 70.
720
Des propositions avaient notamment été formulées par Human rights watch et ICTJ. Voir respectivement,
Human rights watch, « The interrelationship between the Sierra Leone Special Court and Truth and
Reconciliation Commission », 18 mai 2002, disponible sur http://www.hrw.org et ICTJ, « Exploring the
716
183
définissant leurs interactions. L’espoir qu’elles concluraient elles-mêmes un ou plusieurs
accords ne s’est pas concrétisé, par un manque de volonté de leurs administrations
respectives. En effet, alors que la CVR a reconnu que « the two institutions themselves might
have given more consideration to an arrangement or a memorandum of understanding to
regulate their relationship »721, le juge Robertson, alors président du TSSL, a considéré que
« [t]he spirit of co-operation envisaged by the Secretary General had in fact resolved all
problems without the need for any formal agreements »722.
292. Deux procédures de coopération ont tout de même été prévues. La première, qui n’a
jamais été utilisée, concerne la poursuite des mineurs. L’article 15. 5 du statut du TSSL
enjoignait au procureur, avant de procéder à ces poursuites, de s’assurer que « the childrehabilitation programme is not placed at risk and that, where appropriate, resort should be
had to alternative truth and reconciliation mechanisms ». Aucun mineur n’ayant été poursuivi
devant le TSSL, cette disposition n’a jamais trouvé à s’appliquer.
293. La seconde concerne l’adoption par le greffe du Tribunal de la Practice direction on the
procedure following a request by a State, the Truth and Reconciliation Commission, or other
legitimate authority to take a statement from a person in the custody of the Special Court for
Sierra Leone (« la directive pratique »)723. Ce texte, adopté suite à la volonté exprimée par un
inculpé du TSSL, en détention provisoire, de témoigner devant la CVR, a cristallisé les
tensions entre les deux institutions. Adopté de façon unilatérale724, il prévoyait initialement
l’enregistrement de l’audition et sa transmission au procureur et aux juges pour une utilisation
potentielle durant le procès à venir725. Une révision adoptée quelques mois après la
publication du texte initial, sur demande de la CVR, retirait cette exigence au profit d’une
relationship between the Special Court and the Truth and Reconciliation Commission of Sierra Leone », 24 juin
2002, 22 p.
721
CVR Sierra Léone, « Witness to truth », op. cit., vol. 2, § 590, p. 111.
722
TSSL, Affaire No.SCSL-2003-08-PT, Prosecutor Against Sam Hinga Norman, Decision on appeal by the
truth and reconciliation commission for Sierra Leone and chief Samuel Hinga Norman JP against the decision
of his Lordship, Mr Justice Bankole Thompson delivered on 30 October 2003 to deny the TRC’s request to hold
a public hearing with chief Samuel Hinga Norman JP, 28 novembre 2003, § 6, p. 2.
723
« Practice direction on the procedure following a request by a State, the Truth and Reconciliation
Commission, or other legitimate authority to take a statement from a person in the custody of the Special Court
for Sierra Leone », 9 septembre 2003, amendée le 4 octobre 2003, disponible sur www.sc-sl.org. Cette directive
a été adoptée conformément à l’article 33 (D) du règlement de procédure et de preuve du TSSL.
724
La CVR a déploré l’absence de toute consultation de la part du TSSL dans l’élaboration et l’adoption de cette
directive. Voir CVR Sierra Léone, « Witness to truth », op. cit., vol. 3B, p. 385.
725
Pour une analyse de la première version de la directive pratique (qui n’est plus disponible sur le site du
TSSL), voir SCHABAS (W.), « Conjoined twins of transitional justice ? The Sierra Leone Truth and
Reconciliation Commission and the Special Court », JICJ, vol. 2, n° 4, 2004, pp. 1093-1094 et BOISTER (N.),
« Failing to get to the Heart of the Matter in Sierra Leone ? The Truth Commission is Denied Unrestricted
Access to Chief Hinga Norman », JICJ, vol. 2, n° 4, 2004, p. 1102.
184
possibilité de recueil d’informations sous le sceau de la confidentialité, qui pouvait tout de
même être levé par une chambre du Tribunal à la demande d’une des parties, dans le cas où
cette divulgation serait justifiée par l’intérêt de la justice726. La directive ne donne dans tous
les cas aucun droit absolu à l’audition par la CVR d’une personne détenue par le TSSL, la
demande devant être acceptée, en tout ou en partie, par un juge du Tribunal. C’est ainsi que la
demande de la CVR d’auditionner publiquement Sam Hinga Norman, ministre sierra léonais
durant le conflit, a été rejetée, les juges estimant que seule une audition privée pourrait être
conduite, ce que l’inculpé a refusé727.
294. Outre l’accès aux personnes détenues, c’est bien le problème de la confidentialité et
donc de la hiérarchie entre le TSSL et la CVR qui a nui à la complémentarité des deux
institutions. L’absence de règle précisant ou limitant de façon claire la possibilité pour le
TSSL d’ordonner à la CVR de lui transmettre des informations reçues sous condition de
confidentialité728 est regrettable et a alimenté les ressentiments de la Commission envers le
TSSL.
Si les effets concrets de l’absence de cadre de coopération sur le travail des deux
mécanismes sont difficilement évaluables, il est certain qu’elle n’a pas facilité l’instauration
entre eux de relations harmonieuses, et que l’ONU a manqué une occasion de clarifier une
question menaçant, avec la création de la CPI, de devenir récurrente.
b. La portée limitée des innovations du modèle timorais
295. Le contexte de création de la commission vérité et du tribunal hybride au Timor Leste a
été très différent de celui expérimenté en Sierra Léone. Tout d’abord, les deux mécanismes
ont été créés par une même autorité, l’ATNUTO, ce qui a facilité l’insertion de la CAVR et
des Panels spéciaux au sein d’un cadre global. Ensuite, alors que la CVR sierra léonaise et le
TSSL s’étaient vus octroyés une large indépendance après leur création, les mécanismes
timorais sont demeurés sous l’autorité du Représentant spécial du secrétaire général, dirigeant
726
« Directive pratique », op. cit., art. 4. 3.
Le rejet de la demande de la CVR a donné lieu à de virulents échanges entre la Commission et le Tribunal,
par communiqués interposés. Un aperçu de ces échanges est visible dans CVR Sierra Léone, « Witness to
truth », op. cit., vol. 3B, pp. 411-413 et dans BOISTER (N.), « Failing to get to the Heart of the Matter », op. cit.,
p. 1108.
728
L’analyse des théories de la relation hiérarchique entre le TSSL et la CVR dépasse le cadre de ce travail. Pour
de analyses plus approfondies, voir LA ROSA (A.-M.), « La contribution des Tribunaux pénaux internationalisés
au droit commun du procès pénal international : Le cas du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone », in
ASCENSIO (H.), dir., Les juridictions pénales internationalisées, Cambodge, Kosovo, Timor-Leste, société de la
législation comparée, Paris, 2006, pp. 181-183 ; SCHABAS (W.), « La relation entre les commissions vérité et
les poursuites pénales : le cas de la Sierra Léone », in ibid., pp. 209-240 ; Human Rights Watch, « The
interrelationship », op. cit. ; ICTJ, « Exploring the relationship », op. cit.
727
185
l’ATNUTO. Cela permettait le règlement de certains conflits par une autorité centralisatrice,
plus détachée des deux institutions et donc moins encline à prendre parti pour l’une ou l’autre.
Les blocages qu’ont connus les mécanismes sierra léonais du fait de la protection, par leurs
acteurs respectifs, de leurs intérêts propres, ont donc pu être évités. Cette centralisation a
également permis d’éviter l’échange d’invectives survenu entre la CVR sierra léonaise et le
TSSL suite au refus par ce dernier d’accorder une audition publique à Sam Hinga Norman729.
Enfin, et c’est regrettable, les principaux responsables des massacres ayant suivi le
référendum d’indépendance au Timor Leste, et qui étaient au cœur des mandats de la CAVR
et des Panels spéciaux, n’ont pu être atteints par ces mécanismes, dans la mesure où
l’Indonésie, où ils étaient réfugiés, a toujours refusé leur extradition. Les craintes exprimées
par le TSSL quant à l’instrumentalisation politique, par Sam Hinga Norman, de son audition
devant la CVR étaient ainsi moins présentes dans le contexte timorais730.
296. Ces spécificités de l’expérience timoraise ne doivent pourtant pas occulter les avancées
que représente le modèle mis en œuvre par l’ATNUTO, et qui représente probablement le
cadre le plus complet de coopération d’une commission vérité et d’une juridiction pénale731.
L’évolution majeure de ce processus se trouve dans l’instauration du « Processus de
réconciliation communautaire » (« community reconciliation process » (CRP))732. Selon cette
procédure, les individus responsables de crimes et délits en lien avec les « political conflicts
in East Timor »733 avaient la possibilité d’effectuer une demande auprès de la CAVR pour
participer à un CRP. Cette demande devait comprendre plusieurs éléments énumérés, dont
une description des actes commis, une reconnaissance de culpabilité pour ces derniers et une
729
Voir supra a).
Dans sa décision de rejet de la demande de la CVR d’auditionner publiquement Sam Hinga Norman, le juge
Robertson a considéré qu’il « cannot believe that the Nuremberg Tribunal would have allowed its prisoners to
participate in such a spectacle, had there been a TRC in Germany after the war, or that the International
Criminal Tribunals for the Former Yugoslavia or Rwanda would readily permit indictees awaiting trial to
broadcast in this way to the people of Serbia or Rwanda. » cité in SCHABAS (W.), « Conjoined twins of
transitional justice ? », op. cit., p. 1097.
731
Une expérience comparable est prévue dans les accords de paix colombiens. Toutefois, les mécanismes
prévus n’ayant pas débuté leurs travaux au moment de l’écriture, et l’ONU ne participant à aucun d’entre eux, ils
ne font pas l’objet de développements ici. Pour plus d’informations sur ces mécanismes, voir LUCAS (R.), MARIE
(E.), « Notre unique arme sera la parole : réflexions sur l’accord de paix colombien du 30 novembre 2016 »,
Revue des droits de l’Homme, [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 01 mars 2017, URL :
http://revdh.revues.org/3021.
732
Pour une analyse des CRP, voir notamment : PNUD, « The Community Reconciliation Process of the
Commission for Reception, Truth and Reconciliation », rapport de Pier Pigou, avril 2004, 114 p. ; USIP,
« Reconciling justice. ‘Traditional’ law and state judiciary in East Timor », rapport final par Tanja Hohe et Rod
Nixon, janvier 2003, 76 p.
733
Statut de la CAVR, op. cit., art. 23. 1 (c).
730
186
renonciation à l’usage de la violence dans des buts politiques734. Une copie de cette demande
était ensuite envoyée au Procureur général qui pouvait choisir d’exercer sa compétence. Si tel
était son choix aucun CRP n’était possible. Si ce n’était pas le cas, un CRP Statements
committee évaluait le caractère approprié de la procédure de CRP aux actes révélés et, le cas
échéant, transmettait la demande à une commission régionale. Cette dernière formait alors un
CRP Panel chargé d’auditionner le demandeur, les victimes de ses actes ainsi que d’autres
membres de la communauté détenteurs d’informations pertinentes. Ces auditions étaient
extrêmement contraignantes pour le demandeur, dans la mesure où le Panel pouvait lui
demander de révéler toutes les informations liées à l’acte en cause, y compris les noms des
commanditaires ou complices éventuels, et tirer des conclusions de tout refus de répondre
pouvant aller jusqu’à l’arrêt de la procédure et la transmission de toutes les informations
reçues au Procureur général, qui pouvait alors décider d’exercer sa compétence, mettant ainsi
fin au CRP. Cette transmission devenait obligatoire dans le cas de la révélation d’un crime
grave (« serious criminal offense »)735.
297. Le Panel décidait ensuite de l’ « act of reconciliation »736 que le demandeur devait
effectuer. Une liste non exhaustive dressée par la régulation de l’ATNUTO comprend des
travaux d’intérêts généraux, l’octroi de réparations ou encore la formulation d’excuses
publiques. Il faut noter que des excuses signées par le demandeur étaient obligatoires pour
l’aboutissement du processus. L’accomplissement des actes ordonnés par le Panel concluait le
CRP, qui pouvait alors être enregistré auprès du tribunal du district. Cet enregistrement
conférait l’immunité au bénéficiaire contre toute action pénale ou civile visant les actes
couverts, sous réserve que ceux-ci ne constituaient pas un crime grave. Le non
accomplissement des actes de réconciliation exposait le fautif à une peine maximale d’un an
de prison et/ou une amende maximale de 3000 $ US.
En matière de partage d’informations, la règle était d’une extrême simplicité : le Bureau
du Procureur général était la seule entité à pouvoir ordonner la transmission d’une information
734
Ibid., art. 23. 1.
La définition de « serious criminal offence » renvoie à la fois à la section 10. 1 du règlement 2000/11 de
l’ATNUTO, établissant l’organisation des tribunaux au Timor Leste (UNTAET/REG/2000/11, 6 mars 2000) et
aux sections 1. 3 et 4 à 9 de la réglementation 2000/15 de l’ATNUTO, qui crée les Panels spéciaux pour les
crimes graves au Timor Leste. Ces dispositions concernent toutes la compétence exclusive des cours pénales
pour les crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, meurtres, infractions sexuelles et
tortures.
736
Statut de la CAVR, op. cit., art. 27. 7.
735
187
recueillie par la CAVR sur la base de la confidentialité737. En revanche, l’accès aux détenus
n’était pas encadré.
298. Si ces procédures représentent une évolution dans le sens de la précision de la relation
entre commissions vérité et juridictions pénales, il faut tout de même relever que le cas
timorais instaure un net déséquilibre en faveur du Bureau du Procureur général. La CAVR a
reconnu que ce système « may have prevented the commission from gaining important
information that would have assisted its truth seeking function »738. Il est possible de
considérer qu’il y a ici une limite à la coopération de ces mécanismes qui est insurmontable,
et que les « [fears] that the threat of prosecution may discourage perpetrators from testifying
are simply a fact with which we shall have to live. »739 Même dans cette optique, le cas
timorais, en raison de son intégration dans un contexte d’administration onusienne d’un
territoire, pratique aujourd’hui disparue, peut difficilement être transposé. L’expérience sierra
léonaise a montré que l’aspect le plus délicat de la relation entre les commissions vérité et les
tribunaux pénaux est lié aux frustrations et incompréhensions subies par leur personnel. Au
Timor Leste, la supériorité hiérarchique globale du Représentant spécial du secrétaire général
n’a pas permis à ces sentiments de s’exprimer et, éventuellement, de dépasser le cadre privé et
ainsi gêner le travail des mécanismes.
c. L’absence de définition de cadre de coopération dans les expériences en cours.
299. Aucun autre contexte n’a connu d’expérience similaire à celles de la Sierra Léone et du
Timor Leste. Les cas du Burundi, du Soudan, de la République centrafricaine et de la
Colombie pourraient toutefois se retrouver confrontés aux mêmes problèmes à l’avenir740.
Tous ces États, la Colombie mise à part, connaissent des projets de création de commissions
vérité et de juridictions hybrides activement soutenus par l’ONU741. Au Burundi, la
737
Ibid., art. 44. 2.
CAVR, « Chega ! Report of the Commission for Reception, Truth and Reconciliation in Timor Leste »,
janvier 2006, § 24, cité in BISSET (A.), « Rethinking the powers of Truth Commissions », op. cit., p. 971.
739
SCHABAS (W.), « Conjoined twins of transitional justice ? », op. cit., p. 1098.
740
La question se pose également devant la CPI. Dans la mesure où l’ONU n’a pas de rôle dans la potentielle
définition d’un cadre de coopération entre la Cour internationale et d’éventuelles commissions vérité, ce sujet ne
sera pas abordé ici. Pour des développements sur cette question, voir notamment SEIBERT-FOHR (A.), « The
relevance of the Rome statute of the International Criminal Court for amnesties and truth commissions », Max
Planck Yearbook of United Nations Law, vol. 7, 2003, pp. 553-590 ; STAHN (C.), « Complementarity,
amnesties and alternative forms of justice : some interpretative guidelines for the International Criminal Court »,
JICJ, vol. 3, 2005, pp. 695-720 ; BISSET (A.), « Rethinking the powers of Truth Commissions », op. cit. et
FLORY (P.), « International criminal justice and truth commissions : from strangers to partners ? », JICJ,
vol. 13, n° 1, pp. 19-42.
741
L’ONU a été présente dès l’initiative de l’ensemble de ces projets. Il s’est agi de soutien aux accords de paix
pour le Burundi et le Soudan. Voir respectivement « Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au
738
188
Commission pour la vérité et la réconciliation au Burundi (CVRB) devrait cohabiter avec le
Tribunal spécial au Burundi (TSB). Au Soudan, la Truth, justice and reconciliation
commission (TJRC) devrait fonctionner en parallèle de la Special Court for Darfur ; en RCA,
la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR) devrait être créée avant la
fin des travaux de la Cour pénale spéciale ; enfin, l’accord de paix colombien du 24 novembre
2016 prévoit la cohabitation de la Comisión para el esclarecimiento de la verdad, la
convivencia y la no repetición (CEVCNR)742 et de la Jurisdicción especial para la paz
(JEP)743.
300. Peu d’éléments peuvent être tirés de ces mécanismes, en termes de coopération entre les
commissions vérité et les juridictions pénales, du fait du blocage dans lequel se trouve la
création d’une partie d’entre eux. Les mécanismes burundais et soudanais ne connaissent pas
d’avancée notable. Il est tout de même possible de noter que les modalités de coopération
n’ont pas été prévues dans les projets préliminaires744. En RCA, la Cour pénale spéciale a bien
été créée745 et la CVJRR serait sur le point de l’être. S’il est encore trop tôt pour tirer des
conclusions quant au cadre de coopération entre ces deux mécanismes, il peut être noté
qu’aucune disposition du statut de la Cour pénale spéciale ne mentionne la commission vérité
qui l’accompagnera peut-être. En ce qui concerne le cas colombien, les modalités de
fonctionnement des mécanismes ne sont pas encore figées. L’accord de paix prévoit toutefois
quelques modalités de coopération entre la CEVCNR et la JEP, notamment en termes de
partage d’informations. C’est une séparation presque totale qui a été choisie, dans la mesure
où les éléments recueillis par la commission vérité ne peuvent être utilisés par les tribunaux
pénaux, qui n’ont d’ailleurs pas le pouvoir d’obliger leur transmission746.
Burundi », Arusha, Tanzanie, 28 août 2000 et « Doha Document for peace in Darfour », entre le Gouvernement
du Soudan et le Liberation and justice movement, Doha, Qatar, 14 juillet 2011. Pour plus de précisions, voir
Annexe I Accords de paix et justice transitionnelle. Pour la RCA, il s’est agi du soutien de l’ONU à
l’organisation du Forum de Bangui, où les premières propositions de création des mécanismes de justice
transitionnelle ont été formulées. Voir Annexe II, Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
742
Voir UN Doc. S/2017/272, annexe II, « Final agreement for ending the conflict and building a stable and
lasting peace », Bogota, 24 novembre 2016, art. 5. 1. 1. 1.
743
Ibid., art. 5. 1. 2.
744
Pour le cas du Burundi, voir « Mémorandum de la délégation burundaise chargée de négocier avec les
Nations Unies la mise en place d’une commission pour la vérité et la réconciliation et d’un tribunal spécial au
Burundi », Bujumbura, 26 mars 2006, 21 p. ; « Rapport des consultations nationales sur la mise en place des
mécanismes de justice de transition au Burundi », Bujumbura, Burundi, 20 avril 2010.
745
République centrafricaine, loi organique n° 15-003 portant création, organisation et fonctionnement de la
Cour Pénale Spéciale, Bangui, 3 juin 2015.
746
UN Doc. S/2017/272, op. cit., art. 5. 1. 1. 1. 1.
189
2. La préférence pour une protection stricte des informations des commissions vérité
vis-à-vis des tribunaux nationaux747
301. Les acteurs onusiens n’ont pas adopté de position claire et générale quant à la protection
des informations détenues par les commissions vérité. Le HCDH se contente de conseiller aux
commissions vérité « [d’]envisager d’emblée très soigneusement ces questions »748 et le
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle ne donne pas beaucoup plus de précisions,
sinon de respecter les garanties de confidentialité données aux victimes749. Seules les
informations liées aux groupes les plus vulnérables, tels les enfants et les femmes, notamment
lorsqu’elles sont victimes de crimes sexuels, font l’objet de recommandations liées à leur
confidentialité. C’est donc vers la pratique qu’il faut se tourner pour déterminer la position de
l’Organisation sur ce sujet.
302. On observe ainsi que la quasi-totalité des commissions vérité ayant bénéficié d’un
soutien de l’ONU pour la rédaction de leur statut ont mis en place un système de
confidentialité très stricte des informations recueillies750. Les commissions vérité des Îles
Salomon, du Libéria et de la Côte d’Ivoire comportent toutes des dispositions prévoyant la
possibilité de recueillir des informations sous la garantie de la confidentialité, qui ne peut être
levée par aucune autre autorité751. Certaines vont encore plus loin en prévoyant que les
informations recueillies par la commission vérité ne peuvent être utilisées devant les
tribunaux, soit de façon absolue752 soit au bénéfice de la personne ayant fourni les
informations, rendant impossible leur utilisation dans le cadre d’un procès753. C’est donc un
modèle de séparation que l’Organisation semble privilégier.
303. On peut regretter que la tendance observable dans la pratique de l’Organisation ne soit
pas formalisée au sein des nombreux documents de politiques onusiennes. Cette carence ne
747
Il est extrêmement compliqué de connaître l’étendue du rôle des institutions onusiennes dans la détermination
des règles encadrant le fonctionnement des commissions vérité nationales. Pour cette raison, nous nous
limiterons aux cas où l’implication de l’ONU a été la plus importante.
748
HCDH, HR/PUB/06/1, « Commissions vérité », op. cit., p. 23.
749
Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/HRC/30/42, op. cit., §§ 8-15.
750
Seule la Commission vérité, justice et réconciliation du Mali ne comporte aucune mention de règles liées à la
confidentialité des informations recueillies. Voir « Ordonnance n° 2014-003/P-RM, portant création de la
Commission Vérité, Justice, et Réconciliation », Bamako, 15 janvier 2014.
751
Voir Îles Salomon, « Truth and Reconciliation Commission Act 2008 », 28 août 2008, art. 6 (3) ; Libéria,
« An Act to Establish the Truth and Reconciliation Commission of Liberia », op. cit., art. VII m ; Côte d’Ivoire,
« Rapport final de la commission Vérité Dialogue et Réconciliation », décembre 2014, p. 56.
752
Îles Salomon, « Truth and Reconciliation Commission Act 2008 », op. cit., art. 20 (f).
753
Ibid., art. 7.1 ; Libéria, « An Act to Establish the Truth and Reconciliation Commission of Liberia », op. cit.,
section 30.
190
concerne pas que les relations entre les commissions vérité et les tribunaux. Elle est également
visible concernant les autres interactions survenant entre les mécanismes de justice
transitionnelle.
§2/L’apparente indifférence vis-à-vis des autres interactions des
mécanismes de justice transitionnelle
304. Comme il a été dit, les tribunaux pénaux et les commissions vérité sont les mécanismes
les plus emblématiques de la justice transitionnelle. Ceci explique peut-être le peu d’attention
qui a été porté, y compris par l’ONU, au fonctionnement des autres mécanismes de cette
justice, tels les programmes de lustration et de réparations. Pourtant, la vision holiste de la
justice transitionnelle implique la présence de ces mécanismes aux côtés des tribunaux et des
commissions vérité, et ne peut se permettre l’économie d’une réflexion quant aux implications
de cette coexistence. Bien que l’expérience montre que les interactions entre ces mécanismes
sont plus limitées qu’entre les tribunaux et les commissions vérité (A), les ignorer
empêcherait l’anticipation de problèmes pouvant survenir à leur occasion. Pourtant, alors que
ces interactions sont bien prises en compte par les acteurs onusiens dans la formulation des
politiques et bonnes pratiques, elles n’y occupent qu’une place marginale, exposant encore
une fois ces mécanismes aux aléas de l’improvisation (B).
A) Le caractère limité des interactions entre les mécanismes de justice
transitionnelle
305. Bien qu’ils interagissent peu, les mécanismes de justice transitionnelle ont
régulièrement besoin de s’appuyer sur les compétences ou le travail que chacun détient ou
effectue. Les rapports des commissions vérité peuvent ainsi être utilisés par les tribunaux et
les programmes de lustration comme éléments d’informations, voire de preuve, à propos d’un
cas dont ils ont à connaître. Notons également que ces rapports peuvent motiver l’organisation
de poursuites pénales, dans la mesure où ils dévoilent l’ampleur des violations commises ainsi
que, parfois, l’identité des responsables. À cet égard, ils bénéficient d’une portée politique
importante. Dans le même ordre d’idées, l’échange d’informations peut également intervenir
entre les tribunaux et les programmes de lustration. Le programme mis en œuvre par la
MINUBH en Bosnie-Herzégovine a ainsi collaboré avec le TPIY pour le recueil
d’informations visant à déterminer si les membres des services de police remplissaient les
191
conditions requises pour la certification754. Les programmes de réparations sont également
étroitement liés aux rapports des commissions vérité. Ces dernières sont régulièrement
mandatées pour effectuer des recommandations en termes de réparations, dans la mesure où
leurs enquêtes les rendent mieux à même d’apprécier le nombre, la typologie et les besoins
spécifiques des victimes. La CVJR malienne va jusqu’à considérer qu’il est de son ressort de
« [mettre] en place un programme intégral pour l’indemnisation et les réparations collectives
et individuelles, matérielles et symboliques des victimes de violations graves. »755
306. Outre les questions d’échange d’informations, les tribunaux sont une aide indispensable
au bon déroulement des travaux des commissions vérité. Cette aide peut concerner l’obtention
de mandats de perquisitions et d’ordonnances de transfert de documents756 ou encore la
sanction du refus de coopérer avec la commission757.
307. Les mécanismes de justice transitionnelle ne font cependant pas que se soutenir les uns
les autres dans l’accomplissement de leurs mandats respectifs. Il arrive également que ces
mandats leur confèrent des tâches, généralement accessoires, qui empiètent sur celles,
principales, des autres mécanismes. Le cas des réparations peut, par exemple, s’avérer délicat.
Les réparations symboliques octroyées ou ordonnées par les commissions vérité, telle
l’exigence d’excuses publiques de la part des responsables de violations758, posent peu de
problèmes, dans la mesure où celles-ci sont, par définition, immatérielles et ne confèrent pas à
ceux qui les reçoivent un avantage pouvant être considéré comme discriminatoire par d’autres
victimes n’en ayant pas bénéficié. Tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de réparations
pécuniaires. En effet, les programmes de réparations peuvent fonctionner en parallèle
d’actions en réparations engagées par les victimes devant les tribunaux civils, ou encore
754
Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1.
CVJR Mali, « Règlement intérieur de la commission vérité, justice et réconciliation », art. 13 f. Il faut préciser
que la CVJR n’est initialement mandatée qu’à « proposer des mesures de réparation ou de restauration ». Voir
République du Mali, Ordonnance n° 2014-003/P-RM Portant création de la commission vérité, justice et
réconciliation, 15 janvier 2014, art. 2.
756
La CAVR, par exemple, devait faire appel à un juge d’instruction pour l’obtention de mandats de
perquisition. Voir Statut de la CAVR, op. cit., section 15.
757
La majorité des commissions vérité ne possède pas de pouvoirs de sanction et doit s’en remettre aux
tribunaux pour s’assurer de la coopération de tous les acteurs concernés. Voir par exemple, Statut de la CVR
Sierra-Léone, ,op. cit., art. 8. 2 et 9. 2 ; Statut de la CVR Îles Salomon, op. cit., art. 8. 2 ; Statut de la CVR
Libéria, op. cit., art. VII b. 2.
758
Plusieurs commissions vérité ont organisé des rituels de réconciliation, parfois par le biais de mécanismes
traditionnels de pardon. Voir infra, partie 2, titre 1, chapitre 1. On peut également noter le cas des CRP au Timor
Leste, où l’expression du pardon représentait une exigence pour l’accomplissement des Community
Reconciliation Agreement. Voir supra, § 1, B).
755
192
devant certains tribunaux pénaux, y compris internationaux759. Cette situation fait courir le
risque que certaines victimes soient indemnisées plusieurs fois pour le même préjudice, créant
ainsi une inégalité entre elles760.
308. Si les mécanismes de justice transitionnelle agissent de façon complémentaire, dans une
perspective holiste, leurs interactions sont néanmoins relativement limitées, tant dans leurs
occurrences que dans leur intensité. Elles ne sont toutefois pas dénuées de facteurs de tensions
ou de mécompréhensions par les populations. Dans la mesure où ces mécompréhensions
semblent être une des causes les plus importantes des échecs de ces mécanismes, il pourrait
paraître opportun de prévoir des cadres régulant de façon claire ces interactions.
B) L’absence d’encadrement des interactions des mécanismes de justice
transitionnelle
309. Peu de place est laissée, dans la formulation des politiques onusiennes liées aux
mécanismes de justice transitionnelle, à l’encadrement des interactions entre ces différents
mécanismes. Qu’il s’agisse des rapports du Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle ou
de la série des Instruments de l’état de droit pour les sociétés sortant de conflit, la réflexion est
essentiellement située au niveau de chaque mécanisme pris individuellement. Seules les
publications du HCDH concernant les commissions vérité et les réparations comportent des
sections, assez peu développées, sur les interactions que ces mécanismes peuvent connaître
ainsi que les problèmes qu’elles peuvent générer761.
310. Il est vrai que la flexibilité promue par l’ONU quant à la forme de chaque mécanisme de
justice transitionnelle s’accommode mal de cadres régulant les interactions entre eux. Il est
toutefois des éléments pour lesquels cette prévisibilité est tout à la fois possible et souhaitable.
Tel qu’il a été vu, les rapports des commissions vérité sont vus comme pouvant servir
759
Si les CETC ne peuvent octroyer que des réparations « collectives et morales » et que le TSL n’a que le
pouvoir d’ « identifier des victimes ayant subi un préjudice en raison de crimes commis par un accusé reconnu
coupable par le Tribunal », facilitant ainsi la demande de réparations devant les juridictions civiles, la CPI peut,
pour sa part, ordonner directement des réparations, y compris pécuniaires, au profit des victimes. Voir
respectivement, CETC, règlement intérieur, règle 23 quinquies ; Statut de TSL, op. cit., art. 25 ; Statut de Rome
de la CPI, op. cit., art. 75.
760
Comme le note le HCDH, cette pratique serait d’autant plus discriminatoire que l’on observe que les
populations urbaines ont bien plus de facilités à accéder aux tribunaux, et donc à obtenir réparation par la voie
judiciaire, que les populations rurales. Il faut également noter que les réparations obtenues par la voie judiciaire
sont souvent plus élevées que celles fournies dans le cadre d’un programme global de réparations. Voir HCDH,
HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit., pp. 39-41.
761
Voir respectivement HCDH, HR/PUB/06/1, « Commissions vérité », op. cit., pp. 27-29 ; HCDH,
HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit., pp. 38 - 41.
193
d’éléments de preuve pour les programmes de lustration. Il paraîtrait ainsi logique que ces
mécanismes soient créés de façon séquencée. Cette organisation est toutefois peu praticable
dans la mesure où l’exclusion des personnels soupçonnés d’implication dans des violations
des droits de l’Homme est considérée comme une priorité. Ainsi, au Libéria, alors que la
commission vérité et le programme de lustration étaient tous deux envisagés dans les Accords
de paix d’Accra762, le second a été mené avant le début des travaux de la première763, et est
arrivé à son terme avant la publication du rapport de la CVR. Le programme de lustration n’a
ainsi pas pu bénéficier des informations recueillies par la commission. Notons qu’à l’instar du
programme en Bosnie-Herzégovine, le Libéria a pu bénéficier des informations détenues par
le Tribunal international créé avant lui, en l’occurrence le TSSL764.
311. L’efficacité des programmes de réparations pâtit de leur manque de coordination avec
les commissions vérité. Rappelons que le HCDH note le lien étroit qui unit ces programmes
aux commissions vérité, celles-ci formulant des recommandations quant à la forme et à
l’étendue de ceux-là. C’est le modèle qui a été choisi pour la Sierra Léone, où le programme
de réparations a été construit suivant le modèle préconisé par la CVR dans son rapport final.
Le problème qui survient alors, outre les réticences gouvernementales, est celui du temps
écoulé entre le rendu du rapport et l’élaboration du programme de réparations, susceptible de
générer des frustrations et des incompréhensions au sein de la population. L’accès aux
victimes représente également un obstacle non négligeable, particulièrement en ce qu’il s’agit
de celles résidant dans des zones rurales difficiles d’accès. Les informations recueillies par les
commissions vérité n’étant pas toujours suffisantes à l’évaluation des droits et besoins des
différentes victimes, d’importants moyens doivent alors être mobilisés pour développer des
bases de données des victimes. Cette lacune dans l’enregistrement des victimes nuit
également à la prévisibilité des programmes de réparations. Le programme sierra léonais a
ainsi dû faire face à un nombre de demandes près de deux fois supérieur aux attentes
initiales765. Le manque de coordination de ce même programme avec les procédures
judiciaires a également mené à une pratique consistant à demander aux bénéficiaires de signer
762
Voir Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
La CVR libérienne a été créée en mai 2005 alors que le programme de lustration a débuté en 2004. La
commission n’a rendu son rapport final qu’en 2009.
764
Voir HRW, « Liberia at a Crossroads : Human Rights Challenges for the New Government », 30 septembre
2005, p. 21.
765
L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), en charge de l’assistance onusienne au programme
de réparations, prévoyait 16 000 demandes et en a reçu 29 700. Les documents et rapports liés au projet de
soutien au programme de réparations sont disponibles sur le site du Fonds de Consolidation de la paix.
763
194
une attestation les engageant à renoncer à toute autre forme de réparation, pratique dénoncée
par une partie des victimes766.
312. Si l’action onusienne apparaît comme lacunaire du point de vue de l’encadrement de la
coordination des mécanismes de justice transitionnelle, il faut tout de même préciser qu’il
s’agit là d’une tâche extrêmement délicate. L’Organisation privilégie en effet une action
indirecte de ses institutions, agissant en tant que soutien des initiatives nationales plutôt qu’en
tant que moteur. Cet aspect de l’action onusienne implique que la mise en œuvre de ces
mécanismes est soumise aux aléas et aux réticences politiques nationales. Il est alors
compliqué de prévoir un programme global de justice transitionnelle qui anticiperait les
diverses interactions survenant entre les mécanismes envisagés. Il est significatif de constater
que le programme de réparations sierra léonais devait, selon les recommandations de la CVR,
être créé dans les six mois suivant la publication du rapport final, c'est-à-dire courant 2005, et
n’a finalement été accepté par le gouvernement qu’en janvier 2009767. Il s’agit donc autant
d’un problème de séquençage, qui échappe partiellement au contrôle des institutions
onusiennes, que d’un manque d’anticipation.
766
Amputee and War-Wounded Association, « ‘Mi At Don Poil’ : A Report on Reparations in Sierra Leone for
Amputee and War Wounded People », 2014, p. 19.
767
SØRHEIM (N. K.), « Sierra Leone reparations program, the limits of good intentions », mémoire de Master,
Faculté de droit d’Oslo, 2010, p. 15.
195
Conclusion du Titre 2
313. À travers ses efforts d’élaboration d’un cadre normatif de la justice transitionnelle,
l’ONU a cherché à maintenir un équilibre entre, d’une part, l’efficacité et la prévisibilité de
cette justice et, d’autre part, le maintien de sa capacité d’adaptation. La souplesse qui
caractérise le cadre ainsi créé demeure relative, dans la mesure où l’implication du Conseil de
sécurité dans la justice transitionnelle permet sa rigidification ponctuelle par le biais des
résolutions adoptées par cet organe.
314. Il faut toutefois souligner que le mouvement de juridicisation de la justice
transitionnelle n’est pas arrivé à son terme. Les projets d’articles et de conventions
actuellement à l’étude au sein de la CDI – notamment relativement au crime contre
l’humanité et aux immunités pénales des chefs d’États – annoncent de futurs développements.
De même, l’activité des organes onusiens dans la formation de normes coutumières liées à la
justice transitionnelle laisse ouverte la porte à l’élévation normative de certains standards
adoptés par l’Organisation. On peut également anticiper que l’accumulation d’expériences de
terrain permettra au Rapporteur spécial, au HCDH et aux autres entités onusiennes concernées
de compléter leur œuvre de formulation de politiques onusiennes concernant la structure des
mécanismes de justice transitionnelle et leurs interactions.
315. Le développement de ce cadre ne doit pourtant pas porter atteinte à l’équilibre évoqué
ci-dessus. Prenant ce facteur en compte, la solution privilégiée par l’ONU distingue deux
niveaux d’encadrement. Le premier concerne les piliers de la justice transitionnelle. Ceux-ci
font l’objet d’une juridicisation croissante qui semble n’avoir pour limite que leur
reconnaissance en tant que normes de jus cogens. Le second concerne l’application de ces
piliers, devenus normes, au travers des mécanismes de justice transitionnelle, dont
l’encadrement plus souple se caractérise soit par son absence de caractère obligatoire, soit par
la marge d’appréciation qu’il laisse aux États.
197
Conclusion de la Partie 1
316. Malgré le flou qui caractérise les contours de la justice transitionnelle, l’ONU a su
construire une approche cohérente de ce domaine. Ce flou s’est même révélé être un atout,
d’une part pour assurer un consensus onusien autour de la justice transitionnelle et, d’autre
part, pour permettre son incorporation au sein d’une approche évolutive de la consolidation de
la paix. Si l’adaptabilité de la justice transitionnelle est souvent analysée sous l’angle des
contextes culturels, historiques et conjoncturels dans lesquels elle est déployée, elle représente
également, pour l’ONU, la capacité de ce domaine à s’intégrer dans une conception de la paix
en expansion.
317. De la démocratisation à l’état de droit et à l’instauration d’une justice sociale, la justice
transitionnelle onusienne est mise au service d’objectifs de plus en plus ambitieux. Elle
participe à la lutte contre l’impunité, à la reconstruction de l’État et à la refondation des
sociétés. Bien que les acteurs onusiens s’en défendent, le risque que les bases de cette
refondation soient perçues comme transposées à partir d’un modèle occidental de la
démocratie libérale est présent. Il est vrai que les critiques liées à l’imposition de ce modèle
dépassent le domaine de la justice transitionnelle pour s’appliquer à l’ensemble de l’action de
l’Organisation dans le maintien et la consolidation de la paix, entre autres. Elles ont toutefois
été prises en compte par l’ONU, qui affiche une volonté de maintenir une certaine souplesse
dans son approche de la justice transitionnelle, afin de pouvoir modeler cette dernière en
fonction des spécificités locales.
318. Cette souplesse présente tout de même des limites. Bien qu’elle soit désormais intégrée
à l’action de l’ONU en faveur de l’état de droit, la justice transitionnelle n’a pas perdu son
attache envers l’œuvre de démocratisation des États. Cette justice demeure un instrument de
réforme de la gouvernance. La neutralité de l’état de droit, appliquée à la justice
transitionnelle depuis son intégration à ce domaine, n’est qu’apparente. La technocratisation
qui l’accompagne représente un des grands paradoxes de la justice transitionnelle onusienne.
D’une part, elle semble peu compatible avec l’ancrage socioculturel de cette justice, défendu
par l’ONU. D’autre part, il faut considérer l’expansion de la justice transitionnelle. Le
caractère indéfini de l’objectif de réconciliation nationale et la multiplication des facteurs de
paix et de conflit, notamment au travers de l’inclusion des droits économiques, sociaux et
culturels, pris en compte par la justice transitionnelle rendent toute approche technique de
198
cette dernière superficielle. Aucune « recette » ne peut traiter de problématiques aussi vastes
et aussi dépendantes de multiples contingences.
319. L’œuvre onusienne de développement du cadre normatif de la justice transitionnelle
reflète, dans une certaine mesure, ce paradoxe. En multipliant les règles, quelle que soit leur
valeur normative, applicables à la justice transitionnelle, l’Organisation s’expose aux critiques
liées à la standardisation de cette justice. L’ONU répond à ces critiques à travers la recherche
d’un équilibre entre un socle de normes obligatoires, ancré dans le droit international, et un
ensemble de préconisation appartenant au domaine de la soft law et dont le degré de précision
varie en fonction de la marge d’appréciation que l’ONU souhaite laisser aux États et à ses
agents sur le terrain.
320. Il faut toutefois reconnaître que les Nations Unies se trouvent, vis-à-vis de la justice
transitionnelle, dans une position délicate. Il leur faut d’une part répondre aux demandes de la
société civile et des victimes appelant à un renforcement des normes internationales dans le
domaine de la justice transitionnelle, afin de garantir l’efficacité, au niveau national, de la
lutte contre l’impunité. D’autre part, il est reproché à l’ONU de porter trop loin ce
renforcement, empiétant ainsi sur la liberté de choix des populations et sur l’ancrage culturel
de la justice transitionnelle. Il y a là probablement une part inéluctable d’imperfection.
321. Étant donné les contraintes pesant sur l’ONU du fait de la nature même de la justice
transitionnelle et des exigences qu’elle génère, ses efforts de définition d’un cadre cohérent
pour cette justice sont à saluer. Malgré certains errements, la justice transitionnelle fait
aujourd’hui l’objet d’une approche globalement unifiée au sein des divers acteurs onusiens et
jouit d’un cadre normatif équilibré, dont le développement est toujours en cours. Il reste
cependant à mettre ce cadre à l’épreuve du terrain, élément déterminant pour une justice
transitionnelle abordée essentiellement d’un point de vue opérationnel.
199
PARTIE 2 :
L’application désordonnée de la justice
transitionnelle par l’ONU
322. La création de l’ONUSAL – au sein de laquelle s’est développée la première action de
l’ONU en matière de justice transitionnelle768 –« marked a new era in UN efforts at building
peace »769, notamment par l’étendue de son mandat et l’intégration au sein de celui-ci du
contrôle du respect des droit de l’Homme. Bien que le concept de consolidation de la paix
n’ait été défini que quelques années plus tard, avec l’adoption de l’Agenda pour la paix et de
son supplément, l’ONUSAL représentait déjà le premier effort de peacebuilding de l’ONU.
323. Il est notoire que la fin de la guerre froide a provoqué une évolution soudaine du
maintien de la paix onusien, notamment en ce qui concerne son implication dans des troubles
intraétatiques. Certes, il faut nuancer770 l’explosion du nombre de conflits internes parfois
décrite771, et reconnaître que l’ONU était déjà intervenue dans des conflits internes avant
1990772. Il demeure que les situations auxquelles elle s’est trouvée confrontée dès le début de
cette décennie présentaient nombre de particularités rendant l’implication de l’Organisation
inédite.
324. Bien que leur base légale ait été douteuse, l’immense majorité des opérations de
maintien de la paix conduites jusqu’aux années quatre-vingt-dix a respecté les principes
jusqu’ici considérés comme structurants pour l’ONU. Celle-ci n’intervenait que sur demande
des États, et son rôle se limitait à celui d’un observateur. Le principe de non-ingérence dans
768
Voir supra, introduction.
David Forsythe cité in SANTISO (C.), « Promoting democratic governance », op. cit., p. 566.
770
Les travaux de l’Upsaala Conflict Data Program (UCDP) montrent en effet que si l’écart entre le nombre de
conflits internationaux et de conflits internes se creuse après 1989, c’est essentiellement en raison de la baisse
des premiers, même si le nombre des seconds connaît effectivement une augmentation. L’étude montre en outre
que la supériorité quantitative des conflits internes est visible dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Voir les
études de l’UCDP sur le site du programme : http://www.pcr.uu.se/research/ucdp/ , ainsi que les analyses des
données présentées par les chercheurs : ERIKSSON (M.), GLEDITSCH (N. P.), SOLLENBERG (M.),
STRAND (H.), WALLENSTEEN (P.), « Armed conflict 1946-2001 : a new dataset », Journal of Peace
Research, vol. 39, n° 5, 2002, pp. 615-637 : ainsi que la mise à jour de cette base de donnée : PETTERSSON
(T.), WALLENSTEEN (P.), « Armed conflicts, 1946-2014 », Journal of Peace Research, vol. 59, n° 4, 2015,
pp. 536-550.
771
Voir entre autres MURTHY (C. S. R.), « United Nations Peacekeeping in intrastate conflicts : emerging
trends », International Studies, vol. 38, n° 3, 2001, p. 210.
772
Les actions de l’ONU au Congo, en Rhodésie, en Namibie et, selon un argumentaire soviétique quelque peu
farfelu, en Corée représentent les exceptions à la non implication de l’Organisation dans les conflits internes
entre 1945 et 1990. Voir CHIP (W.) « A United Nations role in ending civil wars », Columbia Journal of
Transnational Law, vol. 19, 1981, pp. 15-33; voir aussi SOREL (J.-M.), « L’élargissement de la notion de
menace contre la paix », in SFDI, Le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Colloque de Rennes, Pedone,
1995, p. 33. Pour le cas de la Corée et la vision soutenue par le représentant de l’URSS à l’ONU, voir
FRANKENSTEIN (M.), L’Organisation des Nations Unies devant le conflit coréen, thèse de doctorat, Pedone,
Paris, 1952, pp. 40-42.
769
200
les affaires intérieures, impliquant alors l’équivalence des régimes politiques, était
globalement respecté. Or, l’entrée de l’Organisation dans le domaine de la justice
transitionnelle, dont la finalité transformatrice a déjà été relevée, a provoqué une profonde
modification de son action, devenue à la fois plus intrusive et porteuse d’un idéal politique.
Certes, l’ONUSAL ne s’est vue confiée qu’un rôle de vérification de l’application d’accords
de paix signés librement par les anciennes parties au conflit salvadorien, bien éloigné des
tâches de reconstruction de l’État confiées par la suite aux missions en Somalie, en Haïti, au
Kosovo et dans bien d’autres contextes. Elle marque pourtant un déplacement soudain et
durable de la limite à l’action onusienne que représentait la non-ingérence.
325. Au-delà des débats sur la légitimité et la légalité de cette nouvelle forme d’action, ce
sont les implications du déplacement de ce cadre sur le rôle occupé par les Nations Unies lors
de ses interventions qui importe ici. Le statut de simple observateur développé au sein des
opérations de maintien de la paix classiques n’est plus conciliable avec les nouvelles tâches
assignées aux opérations complexes, bien plus intrusives. L’ONU a ainsi dû repenser sa
relation aux États en fonction des impératifs liés aux différentes facettes de son nouveau rôle.
Dans la mesure où la réflexion onusienne s’effectue principalement sur le fondement des
leçons apprises sur le terrain, l’évolution de son action suit un cheminement caractérisé par
une succession de tâtonnements773. L’adaptation de l’action de l’Organisation à un domaine
aussi complexe que la justice transitionnelle s’est ainsi révélée laborieuse (Titre 1).
326. L’évolution de l’action onusienne a rapidement démontré les limites de l’organisation
interne des Nations Unies. Plusieurs réformes visant à adapter les structures onusiennes aux
nouveaux aspects de l’action qu’ils ont à mener ont été conduites. Des entités tels le HCDH,
le département des affaires politiques et celles issues du renouveau de l’architecture dédiée à
la consolidation de la paix – la Commission de consolidation de la paix, le Fonds de
consolidation de la paix et le Bureau d’appui à la consolidation de la paix – ont été créées
dans ce but. Si ces nouveaux acteurs ont largement démontré leur utilité, leurs limites ont
également rapidement été apparentes. Outre une coordination devenue de plus en plus
complexe du fait de l’augmentation du nombre d’acteurs, onusiens et extérieurs, le caractère
hautement politique de l’action de l’ONU impliquait une plus grande exposition de cette
773
Comme le remarque Michel Liégeois : « c’est bien l’accumulation de l’expérience opérationnelle, la
progressive théorisation d’une pratique résultant largement de l’improvisation et de l’adaptation aux contraintes,
qui [caractérise] l’évolution des conceptions en matière de maintien de la paix ». LIÉGEOIS (M.), Maintien de
la paix et diplomatie coercitive. L’Organisation des Nations Unies à l’épreuve des conflits de l’après guerre
froide, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 29.
201
dernière. La réflexion, d’ordre déontologique, sur ses propres pratiques a malheureusement
été menée tardivement et de façon incomplète. C’est ainsi que l’Organisation s’est révélée
incapable de mener à bien sa propre adaptation, c'est-à-dire celle de ses principes et de ses
structures, au développement de son action dans le domaine de la justice transitionnelle (Titre
2).
203
Titre 1: L’adaptation laborieuse de l’action
onusienne aux objectifs de la justice
transitionnelle
327. Le fait que l’ONU ait été impliquée dans la justice transitionnelle dès les premières
heures de développement de cette dernière a privé l’Organisation de modèle ou de précédent
sur lesquels se reposer. Il est vrai que les acteurs onusiens avaient déjà démontré leurs
capacités d’adaptation et d’improvisation en créant, à la marge de la Charte, les opérations de
maintien de la paix774. Cet effort d’innovation a dû être répliqué dans le cadre de la justice
transitionnelle, où l’ONU s’est souvent trouvée confrontée à des situations inédites. Ce
caractère inédit est en partie lié au caractère unique de l’Organisation et de ses capacités
d’action. Des pratiques telles que les administrations transitoires ou la création des TPI ne
sont transposables à aucune autre structure que celles des Nations Unies. Ces dernières sont
donc entrées dans le domaine de la justice transitionnelle avec très peu de repères.
328. Un début de cadre théorique de la justice transitionnelle a rapidement été développé au
sein de l’ONU, notamment au travers des principes Joinet sur la lutte contre l’impunité775. Les
concepts définis par Boutros Boutros-Ghali au sein de son Agenda pour la paix776 et de son
Supplément777 ont également fourni des indications quant à l’objet de l’action onusienne dans
le domaine de la consolidation de la paix. Ainsi, si l’approche de l’ONU vis-à-vis de la justice
transitionnelle a connu des évolutions778, les principales difficultés auxquelles elle a été
confrontée dans ce domaine ont concerné la forme de son action.
Comme il a été dit, la justice transitionnelle représente un défi en termes d’équilibre
entre une implication internationale permettant de garantir l’effectivité de la lutte contre
l’impunité et le respect de l’appropriation nationale. Particulièrement concernée par ce défi,
l’ONU a fait preuve d’une grande incertitude quant au degré d’internationalisation à conférer
à son action dans ce domaine (Chapitre 1).
774
Cette création a donné lieu au fameux fondement du Chapitre VI et demi de la Charte par le Secrétaire
général Dag Hammarskjöld. Sur l’émergence des opérations de maintien de la paix, voir LIÉGEOIS (M.),
Maintien de la paix et diplomatie coercitive, op. cit., pp. 30-40.
775
« Principes Joinet », op. cit. Sur ce cadre théorique voir d’une façon générale supra partie 1, notamment titre
1.
776
SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix, op. cit.
777
SGNU, UN Doc. A/50/60-S/1995/1, Supplément à l’agenda pour la paix, op. cit.
778
Voir supra, partie 1, titre 1.
204
Par ailleurs, les expérimentations de l’Organisation l’ont conduit à mélanger ses
implications dans la justice transitionnelle et dans la justice internationale pénale, sans avoir
préalablement réfléchi aux conséquences de cette imbrication. Il en est résulté un recours
maladroit à la justice internationale pénale comme mécanisme de justice transitionnelle
(Chapitre 2).
205
Chapitre 1. L’incertitude quant au degré
d’internationalisation de l’action onusienne
329. La justice transitionnelle présentait, et présente toujours dans une certaine mesure,
plusieurs défis à l’action onusienne. Axée sur les victimes, elle impliquait la prise en
considération par l’ONU du nouvel acteur que sont les populations nationales, jusqu’alors
dissimulées sous le voile de la non-ingérence et de la souveraineté. Cette spécificité signifie
que le principal destinataire de l’action onusienne a glissé de l’État vers les individus. Se pose
alors la question du rôle de l’État dans la détermination de la forme de l’action et de sa mise
en œuvre. Il faut alors se demander si l’État est « unwilling or unable »779, pour reprendre
l’expression désormais consacrée, à conduire un processus de justice transitionnelle efficace
et le plus respectueux possible des standards onusiens. On comprend toutefois que le résultat
de cette évaluation ainsi que les réponses qu’il impliquera ne se présentent pas en valeurs
absolues, d’autant que l’ONU évolue, avec la justice transitionnelle, dans un milieu hautement
politique et potentiellement sensible. De plus, les Nations Unies ne peuvent, tant
politiquement que matériellement, se substituer purement et simplement à tous les États
membres des Nations Unies sortants d’un conflit et se révélant incapables de mettre en œuvre
un processus de justice transitionnelle crédible. Cette option a pourtant bien été mise en
œuvre, notamment au travers des TPI et des administrations transitoires, avant d’être
abandonnée pour laisser place à des modalités, d’une part, plus respectueuses de la
souveraineté des États et, d’autre part, moins coûteuses pour l’Organisation. C’est donc à un
retrait progressif – et quelque peu désordonné – de l’implication onusienne dans la mise en
œuvre de la justice transitionnelle que l’on assiste (Section I). Bien que ce degré
d’implication ait été changeant, l’ancrage national de la justice transitionnelle onusienne
présente quant à lui une étonnante stabilité (Section II).
779
Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 17 1. (a).
206
Section I
Le retrait progressif de l’implication onusienne
dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle
330. Le domaine de la justice transitionnelle est particulièrement difficile à gérer pour une
organisation internationale. Le degré d’implication d’une telle organisation représente un
équilibre délicat à atteindre entre les garanties d’intégrité des mécanismes que procurent leur
mise en œuvre par l’organisation et l’appropriation nationale vitale aux programmes de justice
transitionnelle.
Il faut reconnaître que l’ONU a su apprendre de ses erreurs au fil de son engagement
dans la justice transitionnelle. L’évolution de son action reflète assez bien l’évolution de la
doctrine de ce domaine. Initialement tentée par une gestion internationale des mécanismes de
justice transitionnelle, elle a su prendre acte des échecs de cette formule pour opérer un retrait
progressif dans leur mise en œuvre (§ 1). Elle a alors développé une implication plus
indirecte, de l’ordre de l’assistance et du contrôle des politiques de justice transitionnelle
(§ 2).
§1/Le recul partiel de l’implication directe de l’ONU dans les
mécanismes de justice transitionnelle
331. L’improvisation onusienne décrite ci-dessus ne s’applique pas uniquement à la question
du « quoi ? », mais également à celle du « comment ? ». Dans ce domaine, l’ONU a été
confrontée à des exigences parfois contradictoires. L’Organisation devait, dans un même
temps, apporter un soutien financier et technique à des États économiquement et
institutionnellement très affaiblis, garantir le respect des standards internationaux qu’elle
promeut et respecter au mieux la souveraineté des États ainsi que les sensibilités nationales.
On se trouve ici en présence d’une constante ambivalence entre une action destinée aux
populations nationales, mais tournée vers la communauté internationale, qu’il s’agisse
d’obtenir son soutien ou par volonté d’exemplarité. C’est en ce sens que l’équilibre entre
l’implication internationale et l’appropriation nationale est particulièrement difficile à
atteindre. Dans cet exercice, l’action de l’ONU dévoile une palette extrêmement large de
formules expérimentées. La gestion intégralement internationale des mécanismes de justice
transitionnelle s’étant révélée inadaptée aux objectifs de cette dernière (A), une voie médiane
a été explorée avec le développement des mécanismes hybrides, ou internationalisés, dont le
bilan apparaît mitigé (B). Ce bilan n’est toutefois qu’une des raisons poussant l’ONU à
207
privilégier les actions nationales, régionales ou sous-régionales, dans une attitude de
distanciation qui ne doit pas être confondue avec un quelconque désengagement (C).
A) L’inadéquation de la gestion intégrale par l’ONU aux objectifs de la
justice transitionnelle
332. Portée par les possibilités offertes par la fin de la guerre froide et mue par la volonté de
rattraper de lourdes erreurs, l’ONU a, dans les années quatre-vingt-dix, conçu et mené de son
propre chef des politiques et mécanismes de justice transitionnelle. Il s’agit des Tribunaux
pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, du programme de lustration
mené par la MINUBH en Bosnie Herzégovine, ainsi que des mécanismes créés par les
administrations transitoires de l’ONU.
333. Les TPI faisant l’objet d’une littérature abondante780, on ne fera ici que rappeler certains
points rendant ces mécanismes peu adaptés à leur qualification en tant mécanismes de justice
transitionnelle. Tout d’abord, rappelons que les objectifs des TPI étaient avant tout punitifs.
Mis en place pour des motifs plus politiques qu’idéologiques781, ils n’ont prêté que peu
d’attention aux victimes. Les deux tribunaux ont été situés hors du contexte géographique des
violences dont ils sont saisis782. Si des considérations de sécurité, pour le TPIR, ajoutées à un
souci d’impartialité, pour le TPIY, ont motivé ce choix, il demeure que les procès conduits
par ces juridictions étaient difficilement accessibles pour les victimes et les populations
locales.783 Les campagnes de sensibilisation graduellement mises en place par les deux
780
Voir par exemple : LESCURE (K.), Le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Montchrestien,
Paris, 1994, 203 p. ; HAZAN (P), La justice face à la guerre. De Nuremberg à la Haye, Stock, Paris, 2000,
285 p. ; MÉGRET (F.), Le tribunal pénal international pour le Rwanda, Pedone, Paris, 2002, 249 p. ;
BOISVERT (A. M.), DUMONT (H.), PARADELLE (M.), « Quelle justice pour quelle réconciliation ? Le
Tribunal pénal international pour le Rwanda et le jugement du génocide », Mc Gill Law Journal, vol. 50, 2005,
pp. 359-413 ; SOREL (J.-M.), « Les tribunaux pénaux internationaux. Ombre et lumière d’une récente grande
ambition », Revue Tiers Monde, vol. 205, n° 1, 2011, pp. 29-46. Voir également le dossier spécial publié par la
Revue Internationale de la Croix Rouge « Juridiction pénale internationale et droit international humanitaire : les
Tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda », RICR, vol. 79, n° 828, décembre 1997.
781
Notamment pour compenser l’inaction coupable du Conseil de sécurité vis-à-vis des conflits en exYougoslavie et au Rwanda. Voir, par exemple : NYAMUYA MAOGOTO (J.), « International justice under the
shadow of realpolitik : revisiting the establishment of the ad hoc international tribunals », Flinders Journal of
Law Reform, vol. 5, 2000-2001, pp. 161-198. Voir aussi CESONI (M. L.), SCALIA (D.), « Juridictions pénales
internationales et Conseil de sécurité : une justice politisée », Revue Québécoise de Droit International, vol. 25,
n° 2, 2012, pp. 37-71.
782
Le TPIY a été situé à La Haye, Pays-Bas et le TPIR à Arusha, Tanzanie.
783
David Crane souligne d’ailleurs que « [it] is imperative that the victims of those international crimes see
justice done before their very eyes. After all, a tribunal is for and about the victims, their families, as well as
their towns and districts. » CRANE (D. M.), « White man’s justice : applying international justice after regional
third world conflicts », Cardozo Law Review, vol. 27, n°4, p. 1684.
208
Tribunaux ne sont pas parvenues à compenser ce défaut initial784. On pourrait ajouter à cette
liste que les TPI ont été régis par des procédures et des qualifications juridiques parfois
éloignées des traditions et cultures juridiques locales. Un aspect de cette procédure ayant été
le plus controversé concerne les contre-interrogatoires de témoins et de victimes, parfois
menés de façon psychologiquement violente par les avocats de la défense, et présentant un
risque de retraumatisation des victimes.
334. Quelles que soient les particularités techniques des tribunaux, lorsque ceux-ci cherchent
à dépasser le cadre strictement punitif, le critère le plus important pour les évaluer est bien
celui de leur perception par la population ayant connu les violences jugées. Notons à cet égard
que si le TPIY ne s’est pas tout de suite vu reconnaître un rôle de réconciliation nationale,
cette caractéristique a été intégrée au mandat du TPIR dès son initiation785. La précision que
cette caractéristique n’était ajoutée que « compte tenu des circonstances particulières qui
règnent au Rwanda »786 tend à démontrer le caractère exceptionnel de l’adjonction d’un
objectif de réconciliation à un tribunal pénal. Si l’impact des TPI sur les populations est
extrêmement compliqué à évaluer, la grande majorité de la doctrine s’accorde à dire que
celui-ci est, au mieux, mitigé787. L’impact sur le secteur judiciaire national est, pour sa part,
annulé par la distance géographique des TPI. Au regard de ces critiques, les TPI apparaissent
comme peu adaptés aux objectifs de la justice transitionnelle.
335. En dehors des TPI, l’ONU n’a géré de façon internationale qu’un autre mécanisme de
justice transitionnelle. Il s’agit du programme de lustration de la police en Bosnie784
NATALYA CLARK (J.) « International war crimes tribunals and the challenge of outreach », International
Criminal Law Review, vol. 9, 2009, pp. 99-116.
785
Voir S/RES/827 (1993) et S/RES/955 (1994). On notera l’absence totale de mention de la réconciliation
nationale lors de l’adoption du statut du TPIY, alors que cette notion est omniprésente lors de la création du
TPIR. Voir respectivement UN Doc. S/PV.3217, 25 mai 1993 et UN Doc. S/PV.3453, 8 novembre 1994.
786
S/RES/827 (1993), op. cit., préambule.
787
Voir MEERNIK (J.), « Justice and peace ? How the international criminal tribunal affect societal peace in
Bosnia », Journal of Peace Research, vol. 42, n° 3, mai 2005, pp. 271-289 ; ZACKLIN (R.), « The failings of ad
hoc international tribunals », JICJ, vol. 2, n° 2, 2004, pp. 541-545 ; BOISVERT (A. M.), DUMONT (H.),
PARADELLE (M.), « Quelle justice pour quelle réconciliation ? op. cit., pp. 359-413 ; HOARE (M. A.),
« Bosnia-Hercegovina and international justice : past failures and future solutions », East European Politics and
Societies, vol. 24, n° 2, pp. 191-205 ; FLETCHER (L. E.), WEINSTEIN (H.-M.), « A world unto itself? The
application of international justice in the former Yugoslavia », in STOVER (E.), WEINSTEIN (H.-M.), My
neighbor, my enemy. Justice and community in the aftermath of mass atrocity, Cambridge University Press, New
York, 2004, pp. 29-48. STOVER (E.), WEINSTEIN (H.-M.), « Conflict, justice and reconciliation », in ibid.,
pp. 1-26. Les inculpés des TPI ne semblent pas avoir une meilleure opinion de ces derniers. Voir
RAUSCHENBACH (M.), SCALIA (D.), STAERKLÉ (C.), « Paroles d’accusés sur la légitimité de la justice
pénale internationale », Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal Comparé, vol. 12, n° 3, 2012, pp. 727745 ; SCALIA (D.), « Expérience de justice internationale pénale : perception de domination par d’anciens
dominants », Revue Québécoise de Droit International, hors série, 2015, pp. 16-33. Voir également infra,
chapitre 2.
209
Herzégovine, conduit par la MINUBH entre 1999 et 2002. La mission a conduit,
conformément à son mandat788, un programme de vérification des forces de police, ayant
mené à la « décertification » de 598 agents789. Le programme se décomposait en trois phases :
l’enregistrement des membres des forces de police, l’octroi d’autorisations provisoires,
permettant de disqualifier les agents ne possédant pas les compétences ou diplômes requis, et
enfin la certification, octroyée après des enquêtes approfondies790. Ce programme a été
fermement critiqué, y compris au sein de l’ONU791, pour son absence de garanties
procédurales, notamment en termes de droit de recours792. Le principal problème est venu de
la place trouble qu’occupent les règlementations et décisions des opérations de maintien de la
paix en droit interne. Saisies par d’anciens policiers décertifiés, les juridictions bosniaques ont
régulièrement décliné leur compétence de réviser un acte adopté par la MINUBH, laissant ces
personnes sans recours indépendant et effectif793.
788
La MINUBH était initialement chargée d’assister les autorités nationales dans la réforme de la police. Devant
leur manque de coopération, le Conseil de sécurité a conféré à la MINUBH le pouvoir d’enquêter de façon
indépendante sur les membres des forces de police. Voir S/RES/1088 (1996) et MAYER-RIECKH (A.),
« Vetting to prevent future abuses : reforming the police, courts and prosecutor’s offices in Bosnia and
Herzegovina », in DE GREIFF (P.), MAYER-RIECKH (A.), Justice as Prevention, op. cit., pp. 195-196.
789
Commission Européenne pour la Démocratie par le Droit (Commission de Venise), Avis sur une solution
possible au problème de la décertification des agents de police en Bosnie Herzégovine, op. cit., § 18. La
décertification avait pour conséquence le renvoi de l’agent de son poste et l’interdiction, à vie, d’être employé
dans « une des autorités de police de Bosnie-Herzégovine ». Ibid., § 15.
790
Concernant l’octroi de l’autorisation provisoire, deux séries de critères ont été retenues, l’une positive
(conditions devant être remplies par l’agent) et l’autre négative (circonstances excluant l’octroi de
l’autorisation). Les critères positifs incluaient des conditions d’âge, de nationalité et de réussite aux tests
d’aptitude de la MINUBH. Les critères négatifs incluaient le fait d’être inculpé par le TPIY, l’inscription de
crimes dans le casier judiciaire ou encore la fourniture d’informations mensongères durant la phase
d’enregistrement. Cette autorisation provisoire pouvait être retirée si le comportement passé de l’agent ne
permettait pas de penser qu’il conduirait sa mission dans le respect des droits de l’Homme. L’un des critères
excluait, par exemple « [an] officer, whose acts and/or omissions, and/or functions from the period of April 1992
to December 1995, demonstrate the inability or unwillingness to uphold internationally recognized human rights
standards ».Voir Groupe International de Police des Nations Unies, MINUBH, IPTF-P10/2002, « Policy on
Removal of Provisional Authorization and Disqualification of Law Enforcement Personnel in BIH », mai 2002.
et Groupe International de police des Nations Unies, MINUBH, IPTF-P02/2000, « Policy on Registration,
Provisional Authorization and Certification », mai 2000. La certification suivait le même schéma, les conditions
positives comprenant l’accomplissement de certaines formations, le respect de la législation concernant la
propriété et la preuve d’absence d’inculpation en cours. Les critères négatifs comprennent le fait d’être inculpé,
d’avoir transmis des informations fausses ou des documents falsifiés ou encore l’occupation illégale par l’agent
d’un lieu d’habitation. Voir Groupe International de Police des Nations Unies, MINUBH, IPTF-P11/2002,
« Policy on Certification of Law Enforcement Agencies Personnel », août 2002.
791
Le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en Bosnie-Herzégovine a été jusqu’à conseiller aux
autorités nationales de saisir la Commission de Venise pour avis sur la légalité de la procédure adoptée par la
MINUBH. Voir HCDH, Annual report 2004. Implementation of activities and use of funds, 2004, p. 73.
792
Voir infra, titre 2, chapitre 2, section I.
793
Certains tribunaux internes ont accepté de réviser les actes de la MINUBH et ont annulé les décisions de
décertification. Voir MAYER-RIECKH (A.), « Vetting to prevent future abuses », op. cit., p. 194.
210
336. L’action des administrations transitoires faisant l’objet de développements plus loin794,
on se contentera ici de noter que la concentration des pouvoirs qui les caractérise ne paraît
guère conforme à l’objectif démocratisant de la justice transitionnelle.
Le caractère inadapté de la gestion internationale des mécanismes de justice
transitionnelle a incité l’ONU à se tourner vers d’autres modalités d’action. Ainsi, le modèle
des TPI semble avoir été abandonné par le Conseil de sécurité, et l’Organisation est passée, au
cours des années 2000, à un modèle hybride, ou internationalisé, de justice transitionnelle.
B) L’hybridité : le bilan mitigé d’une action entre improvisation et
ambition
La décennie 2000 a vu se développer un modèle hybride de justice transitionnelle.
L’hybridité en question se situe dans l’équilibre recherché entre l’internationalisation (on
pourrait presque plus parler ici d’ « onuisation ») et l’intégration nationale. Qu’il s’agisse de
son application aux juridictions pénales (1) aux commissions vérité (2) ou aux autres
mécanismes de justice transitionnelle (3), l’expérience de l’hybridité s’illustre par ses limites
en termes d’efficacité.
1. Les tribunaux hybrides : la pérennisation d’une action improvisée795
337. En adoptant les régulations 2000/11796 et 2000/15797, l’ATNUTO a donné naissance à
un nouveau modèle de justice pénale mêlant des éléments internes et internationaux. Depuis
les Panels spéciaux établis au Timor Leste, l’ONU a multiplié les expériences de juridictions
794
Infra, titre 2, chapitre 2, section I.
Étant donné la pléthorique littérature portant sur les juridictions hybrides, il ne sera pas question ici de les
traiter de façon exhaustive. Pour des analyses transversales, voir : ASCENSIO (H.), dir., Les juridictions pénales
internationalisées, op. cit. ; MARTINEAU (A.-C.), Les juridictions pénales internationalisées, un nouveau
modèle de justice hybride ?, Pedone, Paris, 2007, 300 p. ; PAZARTZIS (P.), « Tribunaux pénaux
internationalisés : une nouvelle approche de la justice (inter)nationale ? », AFDI, vol. 49, 2003, pp. 641-661 ;
VAN SCHAACK (B.), « The building blocks of hybrid justice », Denver Journal of International Law and
Policy, vol. 44, 2016, pp. 169-279 ; BOUTRUCHE (T), ROMANO (C.), « Tribunaux pénaux internationalisés :
état des lieux d'une justice “hybride” », RGDIP, 2003, pp. 109-124 ; LINTON (S.), « Cambodia, East Timor and
Sierra Leone : experiments in international justice », Criminal Law Forum, vol. 12, 2001, pp. 185-246. Voir
aussi infra, chapitre 2.
796
ATNUTO, UNTAET/REG/2000/11, « Regulation n° 2000/11 on the organization of courts in East Timor », 6
mars 2000.
797
ATNUTO, UNTAET/REG/2000/15, « Regulation n° 2000/15 on the establishment of panels with exclusive
jurisdiction over serious criminal offences », 6 juin 2000.
795
211
hybrides, participant à la création des Panels 64 au Kosovo798, du Tribunal spécial pour la
Sierra Léone, des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), de la
Chambre spéciale pour crimes graves en Bosnie-Herzégovine et du Tribunal spécial pour le
Liban (TSL). L’hétérogénéité de cette liste ne permet pas l’adoption d’une définition
satisfaisante de ces tribunaux799. Retenons simplement que, contrairement aux TPI, ils mêlent
tous des éléments internationaux et nationaux, ceux-ci pouvant se situer au niveau de l’acte
créateur, de la nationalité des juges ou du droit applicable, tant en termes de compétence
matérielle que de procédure800.
338. Si l’hétérogénéité des juridictions hybrides complique leur catégorisation, elle met en
lumière les différents éléments qui sous-tendent leur création. Les juridictions hybrides
représentent, en partie, un rejet du modèle des TPI, jugés trop lents et coûteux801. Alors que
ces derniers ont eu des budgets annuels d’environ 100 millions de dollars (USD), le TSL, la
plus chère des juridictions hybrides, coûte environ 60 millions de dollars annuels802. Les
autres tribunaux sont nettement moins chers, les budgets annuels s’élevant à environ à 30
millions USD pour le TSSL803, entre 20 et 30 millions USD, selon les années, pour les
CETC804, 13 millions USD pour les Chambres bosniaques805 et 6 millions USD pour les
798
MINNUK, UNMIK/REG/2000/64, « on assignment of international judges/prosecutors and/or change of
venue », 15 décembre 2000.
799
Voir les définitions de Photini Pazartzis et Anne-Charlotte Martineau, respectivement : PAZARTZIS (P.),
« Tribunaux pénaux internationalisés » op. cit., p. 643 et MARTINEAU (A.-C.), Les juridictions pénales
internationalisées, op. cit., p. 5. En estimant que « tous siègent dans l’État sur le territoire duquel les faits se sont
déroulés », Photini Pazartzis exclut le TSL de cette liste, alors que Anne-Charlotte Martineau, en ajoutant la
condition de création par l’ONU exclut les Chambres africaines extraordinaires créées par accord entre le
Sénégal et l’Union Africaine pour juger l’ancien dictateur tchadien Hissen Habré.
800
Le degré d’internationalisation, ou d’intégration, de ces juridictions varie. Ainsi Photini Pazartzis différencie
les juridictions internationales nationalisées (le TSSL, auquel on pourrait rajouter le TSL) et les juridictions
nationales internationalisées (toutes les autres), ibid., p. 643. Robert Kolb les classe pour sa part selon une
échelle d’internationalisation fondée sur les critères de la composition de l’organe, du droit applicable ainsi que
de la procédure suivie. Voir KOLB (R.), « Le degré d’internationalisation des TPI », in ASCENSIO (H.), dir.,
Les juridictions pénales internationalisées, op. cit., pp. 48-68.
801
Intervention de M. Jean-Marie Guéhenno, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix à
la réunion du Conseil de sécurité portant sur « Justice et légalité : rôle de l'Organisation des Nations Unies ».
Voir UN Doc. S/PV.4835, Justice et légalité : rôle de l'Organisation des Nations Unies, 30 septembre 2003,
p. 5.
802
Voir les rapports annuels d’activité disponibles sur le site internet du TSL.
803
Voir les rapports annuels du Président du TSSL.
804
Tous les documents liés au financement des CETC sont disponibles dans la section « finance » du site internet
dédié aux Chambres.
805
ICTJ, « The War Crimes Chamber in Bosnia and Herzegovina : from hybrid to domestic court », par Bogdan
Ivanišević, 2008, p. 39.
212
Panels timorais806. Ce rejet est d’autant plus apparent que des TPI avaient été envisagés ou
demandés au Cambodge807, au Timor Leste808 et en Sierra Léone809, pour être rapidement
écartés au profit de solutions plus respectueuses de la souveraineté810 et de l’appropriation
nationale.
339. Il ne faut pas pour autant voir les juridictions hybrides simplement comme le rejet d’un
modèle. Leur développement provient tout autant d’un choix positif, issu de l’évolution
globale du maintien de la paix. Koffi Annan rappelait, en 2001, que « nous devrions guider
plutôt que diriger, et renforcer plutôt que remplacer »811. Leur localisation sur le territoire où
les crimes poursuivis ont été commis812 permet assurément de faciliter la tâche de la justice en
simplifiant l’accès aux témoins. Elle permet également de rendre les procès plus accessibles à
la population locale, caractéristique censée favoriser la réconciliation nationale. La mixité des
juges permet d’assurer un équilibre entre la neutralité internationale et la connaissance du
contexte local. Ces deux caractères servent également la restauration de l’état de droit en
participant à la formation des acteurs judiciaires nationaux. L’application de droit interne et
de droit international vise une meilleure compréhension des procès par le public et les acteurs
nationaux. Cette compréhension est également facilitée par l’application partielle ou totale des
règles de procédure nationale, qui permet aussi de mieux intégrer et former les professionnels
– magistrats, avocats… – nationaux. La compétence matérielle est également choisie pour
806
SKILBECK (R.), « Funding justice : the price of war crimes trials », Human Rights Brief, vol. 15, n° 3, 2008,
p. 1. Le budget des panels 64 au Kosovo étant mêlé au budget attribué à la MINUK pour le soutien global aux
organes judiciaires du Kosovo, le montant alloué spécifiquement à ces panels n’est pas connu précisément.
807
UN Doc. A/53/850-S/1999/231, Annexe, Rapport du Groupe d’experts pour le Cambodge, op. cit., §§ 139 et
s.
808
UN Doc. A/54/660, 10 décembre 1999, Situation des droits de l’homme au Timor Leste, § 74,
recommandation 6.
809
HARPER (E.), « Delivering justice in the wake of mass violence : new approaches to transitional justice »,
Journal of Conflict and Security Law, vol. 10, n° 2, 2005, pp. 154-155.
810
MÉGRET (F.), « In defense of hybridity : towards a representational theory of international criminal justice »,
Cornell International Law Journal, vol. 38, 2005, pp. 725-751.
811
UN Doc. S/PV.4833, Justice et légalité : rôle de l’Organisation des Nations Unies, 24 septembre 2003, p. 3.
812
Le TSL est le seul tribunal hybride créé par l’ONU à ne pas siéger dans l’État sur le territoire duquel les
crimes ont été commis, principalement pour des raisons de sécurité. Les récentes Chambres spécialisées pour le
Kosovo et le Bureau du Procureur spécialisé pour le Kosovo, créées avec le soutien de l’Union Européenne, sont
le seul autre exemple de juridiction hybride siégeant dans un État tiers aux violences sujettes à sa compétence. Il
faut toutefois noter que la possibilité est laissée aux Chambres de siéger au Kosovo. Voir Kosovo, loi No.05/L053, « on Specialist Chambers and Specialist Prosecutor's Office », 3 août 2015, art. 3 al. 6 concernant les
chambres et art. 3 al. 7 concernant le Procureur spécialisé.
213
correspondre au mieux à la réalité des crimes commis, et servir ainsi l’établissement d’une
vérité judiciaire proche des faits813.
340. L’approche positive des juridictions hybrides ne doit pourtant pas leurrer l’observateur.
Si les bienfaits supposés de ces tribunaux peuvent laisser penser que leur création résulte
d’une stratégie mûrement réfléchie, il n’en est rien. Leur hétérogénéité doit moins à la volonté
d’adapter la réponse judiciaire aux contextes nationaux qu’aux circonstances de leur création,
et il semble que « l’apparition des juridictions [pénales internationalisées] sur la scène
internationale s’est faite sans réflexion préalable ou concertée et avec une forte dose
d’improvisation pour ne pas dire de bricolage »814.
341. On remarque surtout que l’impulsion de la création de ces juridictions et le choix de leur
forme hybride doivent au moins autant aux considérations géopolitiques qu’à une réflexion
sur la meilleure façon d’assurer que justice soit faite. Ainsi, le TSSL a bénéficié d’un
important soutien international, notamment des États-Unis. Il a été avancé que ce soutien
visait à promouvoir une alternative viable à la CPI, rejetée par la puissance américaine815. Le
fait que les États-Unis ont été le principal contributeur du Tribunal, et la conclusion d’un
accord entre la Sierra Léone et les États-Unis contre le transfert par le premier, à la CPI, de
soldats du second en 2003 ne peut qu’accentuer la perception de ce biais816. Au Timor, le
refus de l’Indonésie de voir se créer une juridiction ayant compétence sur ses ressortissants a
été à l’origine de cette création hybride. Au Kosovo, les Panels 64 n’ont été créés qu’après
que la MINUK a constaté que les oppositions entre les juges très majoritairement albanais et
les populations serbes empêchaient tout espoir de justice impartiale817. Au Cambodge, le
813
Sur les avantages présumés des juridictions hybrides, voir CASSESE (A.), International criminal law, 2e éd.,
Oxford University Press, Oxford, 2003, pp. 332-334 ; MÉGRET (F.), « In defense of hybridity », op. cit.,
pp. 725-751 ; CRANE (D. M.), « White man’s justice », op. cit.
814
MARTINEAU (A.-C.), Les juridictions pénales internationalisées, op. cit., p. 59.
815
Sur la position des États Unis vis-à-vis de la CPI voir DETAIS (J.), « Les Etats-Unis et la Cour Pénale
Internationale », Droits Fondamentaux, n° 3, janvier-décembre 2003, pp. 31-50.
816
Voir ICG, « The Special Court for Sierra Leone : Promises and pitfalls of a ‘ new model’ », 4 août 2003,
pp. 14-17 ; NOUWEN (S.), « Combining ownership and neutrality in the prosecution of international crimes :
theory and reality of mixed tribunals », Netherlands Quarterly of Human Rights, vol. 25, n° 2, 2007, pp. 276277 ; CHÂTAIGNIER (J.-M.), L’ONU dans la crise de la Sierra Leone. Les méandres d’une négociation,
Karthala, Paris, 2005, pp. 127-130. Ces accords, très utilisés par l’administration Bush, visaient à protéger les
soldats américains de la CPI en instrumentalisant l’article 98 du statut de Rome. Sur ces accords et la pratique
des États-Unis y relative, voir SCHEFFER (D.), « Article 98(2) of the Rome statute : America’s original intent »,
JICJ, vol. 3 n° 2, 2005, pp. 333-353.
817
CHESTERMAN (S.), “You, the people”. The United Nations, transitional administration, and state-building,
New York, Oxford University Press, 2004, pp. 166-167 ; NOUWEN (S.), « Combining ownership and
neutrality », op. cit., pp. 271-272 ; HARTMANN (M. E.), « International judges and prosecutors in Kosovo. A
new model for post-conflict peacekeeping », United States Institute for Peace, rapport spécial, octobre 2003,
pp. 4-8.
214
manque de coopération des autorités gouvernementales lors des négociations portant sur le
choix de la juridiction amenée à juger les crimes des Khmers rouges a provoqué le retrait
momentané du Secrétaire général de ces négociations. Si un accord a finalement pu être
conclu entre l’ONU et le Cambodge, ce n’est qu’au prix de nombreuses concessions de la part
de l’Organisation, au détriment des mises en garde portant sur les risques d’une juridiction
hybride818.
342. Malgré l’improvisation qui a caractérisé l’apparition du modèle des tribunaux hybrides,
les qualités théoriques du modèle sont toujours reconnues. La décennie passée sans création
de nouvelles juridictions de ce type ne représente pas un abandon semblable à celui des TPI.
L’ONU soutient ainsi la création de juridictions hybrides en République centrafricaine819, au
Burundi820 et au Soudan821. Le modèle s’est d’ailleurs affranchi de l’Organisation mondiale,
pour être repris par les organisations régionales, l’OEA étant impliquée dans la juridiction
spéciale pour la paix en Colombie822, l’Union Africaine dans les Chambres africaines
extraordinaires823 et l’UE dans les Chambres spécialisées au Kosovo824.
818
Le groupe d’experts créé par le Secrétaire général sur le fondement de la résolution 52/135 de l’Assemblée
générale, du 12 décembre 1997 a noté dans son rapport avoir « examiné soigneusement la formule d’un tribunal
mixte ou étranger constitué par le Cambodge. Il a cependant décidé de ne pas recommander cette option,
craignant, en raison de sa propre évaluation de la situation au Cambodge, que même une telle formule soit
exposée aux manœuvres des forces politiques au Cambodge ». Voir UN Doc. A/53/850-S/1999/231, Annexe,
Rapport du Groupe d’experts pour le Cambodge, op. cit., § 139.
819
La Cour pénale spéciale, dont le statut a été adopté par la loi organique 15-003, promulguée le 15 juin 2015,
et qui a fait l’objet d’un mémorandum d’accord entre l’ONU et le gouvernement centrafricain en date du 26 août
2016.
820
Le TPI initialement prévu dans l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation (protocole I, chapitre II,
art. 6) s’est progressivement transformé en tribunal hybride, suite notamment aux consultations nationales
conduites en 2009 et 2010 au Burundi.
821
La Special Court for Darfur, inclue dans le Doha Document for Peace in Darfur (art. 59) n’a jamais été
concrétisée.
822
Voir le mandat de la Misión de Apoyo al Proceso de Paz en Colombia (MAPP), créée par l’OEA, tel que
modifié par le « Quinto protocolo adicional al convenio entre la Repùblica de Colombia y la Secretaría general
de la Organización de Estados Americanos para el acompañamiento al proceso de paz en Colombia, firmado el
23 de Enero de 2004 », 1 décembre 2014, art. 2.1.3.
823
« Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l’Union Africaine sur la création de
Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises », Dakar, 22 août 2012.
824
Kosovo, loi No. 04/L-274 « on ratification of the international agreement between the Republic of Kosovo
and the European Union on the European Union rule of law mission in Kosovo », 23 avril 2014.
215
2. Les commissions vérité hybrides : une garantie internationale inaboutie
343. Les commissions vérité « hybrides » sont moins connues que leurs partenaires pénaux.
L’expression elle-même n’est pas véritablement consacrée825 et il s’avère parfois compliqué
de différencier une commission hybride d’une commission nationale soutenue par des
organisations internationales. En effet, contrairement aux tribunaux internationalisés, les
commissions vérité n’appliquent pas, stricto sensu, le droit et sont généralement créées par un
acte national826. Le financement international, bien que parfois déterminant pour la forme des
commissions ainsi que pour leur efficacité, est un critère insuffisant pour qualifier l’hybridité.
Naomi Roht-Arriaza considère comme hybride une commission vérité mêlant des
commissaires nationaux et internationaux827. Cette définition exclut toutefois certaines
commissions pour lesquelles l’ONU a participé à la nomination des commissaires et au travail
de la commission, ainsi que la commission salvadorienne, dont tous les commissaires étaient
internationaux. Or, pour les premières, le rôle de l’ONU a parfois été trop important pour les
exclure de cette liste, et pour la seconde, il serait exagéré de parler d’une commission
internationale, tant elle a été ancrée dans le système interne. L’hybridité relève en réalité plus
d’un faisceau d’indices, regroupant le rôle de l’ONU dans l’initiative de la commission, le
choix des commissaires et l’étendue du soutien au travail de la commission828.
344. Six commissions vérité correspondent à cette définition des commissions hybrides, avec
un degré différent d’internationalisation. Il s’agit, par ordre chronologique de création, de la
Commission pour la vérité salvadorienne, la Commission nationale de vérité et de justice en
Haïti, la Commission pour la clarification historique (CEH) guatémaltèque, la Commission
pour la réception, la vérité et la réconciliation (CAVR) au Timor Leste, et les Commissions
vérité et réconciliation en Sierra Léone et au Libéria. Le rôle de l’ONU dans ces commissions
a été variable.
825
Naomi Roht Arriaza fait partie des rares personnes à utiliser cette expression. Voir ROHT-ARRIAZA (N.),
« The new landscape of transitional justice », in MARIEZCURRENA (J.), ROHT-ARRIAZA (N.), Transitional
justice in the twenty first century, beyond truth versus justice, Cambridge University Press, New York, 2006,
p. 10.
826
La situation de la CAVR timoraise est à cet égard ambiguë, dans la mesure où elle a été créée par une
règlementation d’une administration transitoire onusienne. Ces actes sont toutefois considérés comme ayant
valeur législative, à portée nationale. Voir UNTAET/REG/1999/1, 27 novembre 1999 : « the Transitional
Administrator will, as necessary, issue legislative acts in the form of regulations » (nous soulignons). Les
commissions vérité mentionnées dans des accords de paix sont généralement créées par un acte national
postérieur.
827
ROHT-ARRIAZA (N.), « The new landscape of transitional justice », op. cit., p. 10.
828
Ce soutien peut comprendre une assistance aux enquêtes, à l’organisation administrative, la gestion
budgétaire, la diffusion du rapport final ou encore le suivi de la mise en œuvre des recommandations de la
commission vérité.
216
345. L’Organisation a tout d’abord été, ou a contribué, à l’initiative de certaines de ces
commissions. Le Secrétariat général a participé aux négociations ayant abouti aux accords de
paix qui ont créé les commissions au Salvador, au Guatemala, en Sierra Léone et au
Libéria829. Au Timor Leste, la CAVR a été créée par une règlementation de l’ATNUTO. Ce
rôle initiateur est toutefois à relativiser dans la mesure où il est compliqué de connaître
exactement la part de responsabilité des négociateurs onusiens dans l’intégration des
commissions vérité dans les accords de paix830, et où, en créant la CAVR, l’ATNUTO agissait
plus en réponse à une forte demande de la société civile nationale que sur une réelle initiative
de sa part831. Il demeure toutefois que c’est bien l’opération onusienne qui a donné sa forme à
la commission timoraise.
346. L’ONU a également joué un rôle dans la sélection des commissaires de ces
commissions. Ainsi, au Salvador, les trois commissaires de la Commission pour la vérité
étaient internationaux et sélectionnés par le Secrétaire général après avis des parties à l’accord
de Mexico832. En Haïti, trois des sept membres ont été choisis « en collaboration étroite avec
l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation des États américains »833 et représentaient
la communauté internationale834. Au Guatemala, l’accord instituant la CEH prévoyait que le
Secrétaire général nommerait comme commissaire le médiateur de l’ONU pour les
négociations de paix guatémaltèque835. C’est également au médiateur que revenait la tâche de
sélectionner les deux commissaires nationaux836. En Sierra Léone, le Représentant du
Secrétaire général servait en tant que « selection coordinator » et proposait quatre
commissaires nationaux, alors que la Haut-Commissaire aux droits de l’homme proposait les
trois commissaires internationaux. Tous étaient nommés par le Président sierra léonais837. Au
829
Voir Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
On sait que la CVR sierra léonaise a été créée en grande partie à l’initiative d’ONG locales et du HautCommissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Voir Centre for Humanitarian Dialogue, International
Center for Transitional Justice, « Negotiating peace in Sierra Leone : Confronting the justice challenge »,
Priscilla Hayner, décembre, 2007, p. 19 et note 34.
831
HARPER (E.), « Delivering justice in the wake of mass violence », op. cit., p. 156.
832
« Accord de Mexico », annexe, op. cit., art. 1.
833
« Arrêté présidentiel du 28 mars 1995 créant la Commission Nationale Vérité et Justice », art. 13.
834
QUINN (J. R.), « Haiti’s failed truth commission : lessons in transitional justice », Journal of Human Rights,
vol. 8, n° 3, 2009, p. 266.
835
« Agreement on the establishment of the Commission to clarify past human rights violations and acts of
violence that have caused the Guatemalan population to suffer », op. cit. Le médiateur, Jean Arnault, ayant été
nommé à la tête de la MINUGUA, c’est finalement Christian Tomuschat, professeur de droit et ancien expert
indépendant de l’ONU au Guatemala, qui a été nommé. Voir HAYNER (P.), Unspeakable truths, op. cit., p. 33.
836
Ibid.
837
« Truth and Reconciliation Act 2000 », 10 février 2000, disponible sur http://www.sierraleone.org/laws.html,
art. 3 (1) et annexe 1.
830
217
Libéria, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme était chargée de nommer un représentant
de l’ONU au panel de sélection des commissaires838 ainsi que le chef de l’International
Technical Advisory Committee (ITAC)839, un comité assistant le travail de la Commission,
mais dépourvu de droit de vote840. Au Timor Leste, les commissaires de la CAVR ont été
désignés par un « selection panel » composé de treize membres, dont le Représentant spécial
du Secrétaire général, qui le présidait, ainsi que deux membres désignés par le Représentant
spécial et par le Bureau des droits de l’homme au sein de l’ATNUTO841.
347. En termes d’assistance technique et financière au travail de récolte des informations à
celui de rédaction et de diffusion du rapport ainsi qu’au suivi des recommandations, le rôle de
l’ONU est plus éclaté. Notons que toutes les commissions vérité hybrides ont reçu le soutien
d’une ou plusieurs missions onusiennes842. Dans un cas, l’ONU a été jusqu’à gérer le budget
de la commission vérité843 et trois de ces commissions ont rendu leur rapport, parallèlement
aux autorités nationales, au Secrétaire général des Nations Unies844.
348. Le suivi des recommandations demeure cependant une carence de l’Organisation. Celleci n’a effectué ce travail que dans deux cas : en Sierra Léone, il a été assuré par le HautCommissariat aux droits de l’homme et la Commission de Consolidation de la Paix (CCP)845,
et au Guatemala par la MINUGUA. Si les premiers ont œuvré à la mise en œuvre du
programme de réparation recommandé par la CVR846, la seconde n’a pu, faute de pouvoir de
838
« An Act to Establish the Truth and Reconciliation Commission of Liberia », 12 mai 2005, art. 5, section 8
(c).
839
Ibid., section 10.
840
Voir LEVITT (J. I.), « Domesticating international law through truth and reconciliation commissions : the
case of the liberian TRC », ASIL proceedings, vol. 104, 2010, pp. 333-336. Jeremy Levitt était le membre, et
chef, de l’ITAC nommé par la Haut-Commissaire.
841
ATNUTO, UNTAET/REG/2001/10, op. cit., section 4. 3 (a). Le panel avait la possibilité de proposer un(e)
ou deux commissaires internationaux mais s’est limité à des personnalités locales. Ibid., section 4. 4.
842
Le Guatemala et Haïti sont les seuls cas à avoir été soutenus par une mission politique spéciale et non une
opération de maintien de la paix. La MINUGUA avait la caractéristique d’être désignée comme superviseur de la
CEH.
843
Il s’agit de la CVR sierra léonaise. Voir HAYNER (P.), Unspeakable truths, op. cit., pp. 58-59.
844
Il s’agit des commissions d’El Salvador, du Guatemala et de la Sierra Léone. Les rapports des deux premiers
ont été publiés, entre autre, en tant que documents de l’ONU. Voir respectivement : UN Doc. S/25500, Annexe,
« From madness to hope. The 12-year war in El Salvador », 1er avril 1993 et UN Doc. A/53/928, Annexe,
« Guatemala memory of silence », 27 avril 1999. Les acteurs onusiens ont aussi été très actifs dans la diffusion
du volumineux rapport de la CVR sierra léonaise, l’UNICEF en ayant publié des versions simplifiées,
notamment pour le rendre accessible aux enfants.
845
Le « Sierra Leone peacebuilding cooperation framework », document servant de base stratégique pour
l’action de la CCP , souligne que « the implementation of the recommendations of the Truth and Reconciliation
Commission (…) will be critical ». Voir UN Doc. PBC/2/SLE/1, 3 décembre 2007, § 15. Un programme de
réparation a notamment été financé en partie par le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix
(FCP).
846
Ce programme a été partiellement financé par le FCP.
218
contrainte, qu’observer le manque de volonté politique de suivre les recommandations de la
CEH. Cette carence est extrêmement préjudiciable pour la crédibilité des commissions vérité,
dont les recommandations représentent une part essentielle du travail. Si l’implication
onusienne permet de garantir l’indépendance des commissions hybrides, elle échoue ainsi à en
assurer l’effectivité, remettant en question les apports de l’hybridation.
3. L’échec de l’hybridation des programmes de lustration
349. La notion d’« hybride » est peu utilisée pour désigner les programmes de lustration847.
L’expression comprendra ici les programmes au sein desquels l’implication de l’ONU a
dépassé la simple assistance technique, l’Organisation prenant une part active au processus
d’évaluation et de certification des agents concernés. Le programme concernant la lustration
des forces de police timoraise est alors le seul véritable exemple de lustration hybride848.
350. La lustration de la police nationale du Timor Leste (PNTL) a été mise en œuvre
tardivement, en réaction aux violences de mai 2006. Deux programmes ont en réalité été
conduits en parallèle, tous deux pouvant être qualifiés d’hybride. Le premier a été initié par le
gouvernement timorais et prévoyait la création d’une « commission d’évaluation »849. Celle-ci
comportait un panel d’évaluation de cinq membres, dont un commissaire d’UNPOL. Un
membre de l’unité droits de l’homme de la MINUT se voyait également confié un rôle
d’observateur. Dix équipes techniques de trois membres chacune, dont deux agents de
UNPOL et un citoyen timorais, étaient chargées de conduire les enquêtes concernant les
agents de la PNTL et de transmettre les informations ainsi recueillies au panel. Le devenir de
ce programme n’est pas clair. Il semblerait qu’une fusion ait été effectuée avec celui issu de
l’accord de 2006 tel que présenté ci-dessous. Toutefois, les informations apparaissent
contradictoires, témoignant des difficultés de communication expérimentées par la MINUT et
847
À notre connaissance, seule Bu Wilson use de ce qualificatif pour désigner le programme de lustration de la
police timoraise. Voir WILSON (B. V. E.), « Smoke and mirrors : the development of the East Timorese police.
1999-2009 », thèse pour l’obtention du grade de docteur en philosophie, Australian National University, janvier
2010, 261 p.
848
Le programme mis en place par la MINUK pour la nomination de juges et de procureurs au Kosovo
comprenait bien une commission composée de membres nationaux et internationaux, chargée de conseiller le
Représentant spécial quant aux candidatures reçues. L’un des critères prévoyait en outre que les candidats ne
devaient pas avoir « participated in discriminatory measures, or applied any repressive law or have
implemented dictatorial policies » (UNMIK/REG/1999/7, 7 septembre 1999, § 6. 1 e)). Toutefois, il s’agissait ici
non d’évaluer des personnels déjà en place mais de créer entièrement un nouveau système judiciaire.
849
Résolution du Gouvernement 13/2007 modifiant la résolution 3/2006 créant la Commission d’évaluation de la
PNTL, 11 décembre 2007, Jornal da República, Série I, n° 30, pp. 2013-2014.
219
le gouvernement timorais850. Il semblerait en tout état de cause qu’aucune exclusion de la
PNTL n’ait été prononcée sur le fondement de ce programme.
351. Parallèlement à cette commission, la MINUT et le gouvernement timorais ont conclu, le
1er décembre 2006, un accord visant la réforme, la restructuration et la reconstruction de la
PNTL et du ministère de l’Intérieur851. Cet accord établit un processus de lustration en trois
étapes : l’enregistrement des agents de la PNTL, leur certification provisoire, puis leur
certification définitive. Bien que plusieurs critères aient été pris en compte pour l’octroi de la
certification, c’est bien la recherche de l’implication de ces agents dans les violations des
droits de l’Homme survenues suite au référendum d’indépendance et en 2006 qui a été au
cœur du processus852. L’accord en question restait vague quant aux modalités des trois étapes
susmentionnées. Se référant à un plan de « reform, restructuring and rebuilding » (RRR)
jamais établi, ainsi qu’a des enquêtes menées par « a body to be separately agreed between
the Government and UNMIT »853, qui n’a jamais vu le jour854, il n’est resté de concret de
l’accord que la détermination de l’étendue des compétences de la mission onusienne. En effet,
si le texte restait peu précis sur les modalités du processus de lustration, il était en revanche
clair que la décision finale concernant l’exclusion de certains agents des rangs de la PNTL
dépendait du ministère de l’Intérieur855.
De multiples problèmes de communication entre la MINUT et les autorités timoraises
ainsi qu’une totale absence de volonté de ces dernières de mener sérieusement la lustration de
la PNTL ont résulté en l’échec de ce programme de lustration856. C’est ainsi l’hybridité même
850
WILSON (B. V. E.), « Smoke and mirrors », op. cit., p. 167. L’auteur signale à ce propos que des
informations provenant de la MINUT faisaient état de l’annulation du programme et de la dissolution du panel,
ce qu’ont nié les autorités timoraises. Ibid.
851
« Arrangement on the restoration and maintenance of public security in Timor-Leste and on assistance to the
reform, restructuring and rebuilding of the Timorese National Police (PNTL) and the Ministry of Interior.
Supplemental to the Agreement between the United Nations and the Democratic Republic of Timor-Leste on the
status of the United Nations Integrated Mission in Timor-Leste (UNMIT) », 1er décembre 2006.
852
Ibid., Annexe I, section D.
853
Ibid., § 26.
854
Rappelons que la Commission d’évaluation a été initialement créée par une résolution gouvernementale
d’août 2006, c’est-à-dire quatre mois avant l’accord en question, et que la résolution 13/2007 ne fait aucune
mention de l’accord. La superposition des deux processus, ayant été jusqu’au double enregistrement de certains
agents de la PNTL, montre que la MINUT ne considérait pas la Commission d’évaluation comme représentant
une application de l’accord de décembre 2006. Voir à ce sujet WILSON (B. V. E.), « Smoke and mirrors »,
op. cit., pp. 164-169.
855
« Arrangement on the restoration and maintenance of public security in Timor-Leste », op. cit., sections 2. 2
et 11. 11. Rappelons que la résolution 1704 du Conseil de sécurité, créant la MINUT et lui attribuant le mandat
de soutenir la réforme du secteur de sécurité – mandat considéré comme base de l’accord de décembre 2006 –
n’a pas été adoptée sur le fondement du chapitre 7 de la Charte.
856
WILSON (B. V. E.), « Smoke and mirrors », op. cit., pp. 168-169.
220
du programme, laissant trop de pouvoir à des autorités récalcitrantes, qui serait en cause. On
retrouverait donc pour les mécanismes de lustration, sans surprise d’ailleurs, les mêmes
carences que pour les juridictions hybrides, à savoir leur dépendance vis-à-vis de la
coopération des États concernés.
§2/Le développement d’un rôle de contrôle des actions menées en matière
de justice transitionnelle
352. Si les actions ayant connu une forte implication de l’ONU sont les plus visibles, elles
sont en réalité loin de représenter une majorité des mesures soutenues par l’Organisation. Le
coût financier important des mécanismes internationaux et hybrides de justice transitionnelle
ainsi que la situation exposée dans laquelle ils placent l’ONU incitent cette dernière à ne les
envisager qu’en dernier ressort. L’accent placé sur l’ancrage local ou national des mécanismes
de justice transitionnelle tend également à favoriser l’implication d’acteurs plus proches des
contextes dans lesquels les violations graves des droits de l’Homme ont été commises.
Il est évident que les acteurs nationaux sont les plus à mêmes de garantir l’ancrage local
ou national nécessaire au bon fonctionnement des mécanismes de justice transitionnelle. Les
limites de ces acteurs, en termes de ressources économiques et d’expertise, rend toutefois
nécessaire une assistance onusienne dans ces domaines (A). Afin d’approfondir un peu plus
l’ancrage local de la justice transitionnelle, l’ONU semble souhaiter déléguer cette tâche
d’assistance et de contrôle aux organisations régionales et sous-régionales, sur le même
modèle que celui développé pour certaines opérations de maintien de la paix. Si la justice
transitionnelle est encore peu développée au sein de ces organisations régionales, le
mouvement de délégation semble s’amorcer progressivement (B).
A) Le contrôle exercé par l’ONU sur les mécanismes nationaux
353. Conformément à son attachement à l’appropriation locale, l’ONU privilégie les actions
menées par les autorités et les populations de l’État concerné. Son implication se traduit alors
essentiellement par une assistance technique, sous forme de conseil, et financière. Le soutien
aux politiques et mécanismes nationaux de justice transitionnelle représente la vaste majorité
de l’action onusienne dans cette matière. Son analyse est cependant complexe dans la mesure
où ce soutien est protéiforme et souvent informel. Peuvent être comprises dans cette catégorie
des actions aussi diverses que les efforts diplomatiques du Secrétariat pour inciter à l’insertion
221
de mesures de justice transitionnelle dans les accords de paix, l’assistance financière du
PNUD à un programme national de réparations, l’assistance technique du HCDH à la
rédaction d’une loi de justice transitionnelle ou encore les simples recommandations émises
par ce dernier à la destination d’un État conduisant des procès ou un processus de vérité et de
réconciliation.
354. Outre l’assistance financière, les acteurs onusiens s’attachent principalement à la
promotion de la justice transitionnelle et au contrôle de la conformité des mécanismes aux
standards adoptés par l’Organisation. L’organisation de conférences et les activités de
lobbying, menées soit directement par les acteurs onusiens, soit par l’intermédiaire de la
société civile, sont les outils principaux de la promotion de la justice transitionnelle. Afin
d’assurer la conformité des mécanismes de justice transitionnelle aux standards onusiens, les
agences, départements et diverses entités de l’Organisation conseillent les instances
législatives ou gouvernementales – dans le cas d’adoption des mandats par décret – et
publient des commentaires des textes créant les mécanismes de justice transitionnelle. Ces
modes d’action représentent la quasi-totalité des tâches menées par les bureaux-pays du
HCDH, la seule exception étant les activités de formation des acteurs nationaux, tels les juges,
les procureurs ou les commissaires des commissions vérité857. Les missions politiques
spéciales conduisent également de nombreuses activités de ce type858. La création de bureaux
régionaux des Nations Unies, en Afrique de l’Ouest et au Sahel (United Nations office in West
Africa - UNOWA, et Office of the Special envoy in Sahel -OSES, fusionnés en 2016 pour
devenir l’UNOWAS) témoigne du développement de ce mode d’action et de son
institutionnalisation progressive. En effet, l’assistance aux politiques nationales de justice
transitionnelle fait partie des tâches dévolues à l’UNOWAS859, permettant ainsi de renforcer
la cohérence des conseils techniques prodigués par l’ONU aux acteurs nationaux.
355. Il faut toutefois noter que le soutien aux initiatives nationales est également effectué
dans le cadre d’opérations de maintien de la paix adoptées sur le fondement du chapitre 7. La
présence d’une force onusienne possédant des pouvoirs de contrainte n’empêche ainsi pas
l’Organisation de laisser aux autorités locales une large marge de manœuvre dans
l’élaboration de politiques de justice transitionnelle. Ce pouvoir de contrainte n’est d’ailleurs
857
Voir les actions menées par les bureaux-pays du HCDH. Annexe V, Bureaux-pays du Haut-Commissariat aux
droits de l’homme et justice transitionnelle.
858
Voir les tâches décrites en Annexe IV, Missions politiques spéciales et justice transitionnelle.
859
Voir UN Doc. S/2007/753, Annexe, Mandate and functions of the United Nations Office for West Africa from
January 2008 to December 2010, p. 6.
222
utilisé que de façon très exceptionnelle pour la justice transitionnelle. Lorsque des OMP se
sont trouvées confrontées à des programmes de justice transitionnelle contrevenant aux
standards onusiens, la réaction adoptée a le plus souvent consisté en un retrait du soutien –
politique, économique ou technique. Le cas s’est présenté en RDC avec la Commission vérité
et réconciliation créée en 2003. La MONUC avait facilité l’établissement de cette commission
en participant à l’organisation des consultations nationales qui l’ont précédé et en fournissant
des conseils quant à la rédaction de son mandat. Ayant constaté de nombreuses irrégularités
dans le processus de nomination des commissaires, résultant en un manque d’indépendance de
cette commission, la MONUC s’est contentée de s’en distancer860.
356. Le mandat de la MINUSCA représente bien l’implication mesurée de l’ONU dans la
mise en œuvre de la justice transitionnelle. Concernant cette dernière, la mission est chargée
d’ « [aider] les autorités de transition dans le cadre des processus nationaux et locaux de
médiation et de réconciliation, en coopération avec les organismes régionaux et locaux
compétents et les chefs religieux, notamment par le biais d’un dialogue national ouvert à tous,
de la justice transitionnelle et de mécanismes de règlement des conflits, tout en assurant la
participation pleine et effective des femmes »861. Dans le même temps, elle est invitée à offrir
« ses bon offices et un appui politique aux efforts visant à s’attaquer aux causes profondes du
conflit »862. L’action autorisée par le Conseil de sécurité pour la question de la justice
transitionnelle repose donc sur les autorités nationales, et aucun pouvoir de contrainte ni
d’implication directe de la mission, ne semblent être envisagés pour assurer l’effectivité de ce
volet du mandat, pourtant adopté sur le fondement du chapitre 7. À titre de comparaison,
concernant l’assistance électorale, la MINUSCA a pour tâche de
« [définir], favoriser et fournir l’assistance technique nécessaire au processus
électoral et procéder à tous les préparatifs utiles, à l’appui des autorités de
transition et en collaborant d’urgence avec l’Autorité nationale des élections, en
vue de la tenue, au plus tard en février 2015, d’élections libres, régulières,
transparentes et ouvertes à tous, auxquelles les femmes participeront pleinement
860
Voir le rapport du Secrétaire général UN Doc. S/2004/1034, Sixteenth report of the Secretary-General on the
United Nations Organization Mission in the Democratic Republic of the Congo, 31 décembre 2004, § 53. Sur la
commission congolaise, voir HAYNER (P.), Unspeakable truths, op. cit., pp. 253-254.
861
S/RES/2149 (2014), § 30 b) iv).
862
Ibid., § 30 b) ii).
223
et effectivement à tous les niveaux, et dès le début, et auxquelles prendront
également part les déplacés et les réfugiés centrafricains »863.
La précision accrue des éléments constitutifs du mandat de la MINUSCA en termes
d’élections ainsi que l’autorisation qui lui est donnée de procéder aux « préparatifs » dénotent
une implication qui n’est pas étendue à la justice transitionnelle.
357. Mis à part l’apport évident que représente l’assistance de l’ONU en termes financiers,
l’importance quantitative des tâches d’assistance technique conduites par l’Organisation
auprès des États révèle surtout la reconnaissance de l’expertise des acteurs onusiens dans le
domaine de la justice transitionnelle. À cet égard, les Nations Unies bénéficient d’une
expérience inégalée et sont les plus à même de mobiliser des experts issus de différentes
cultures.
Tout en continuant à développer son expertise en matière de justice transitionnelle,
l’ONU s’attache aujourd’hui à la partager, notamment avec les organisations régionales, afin
de développer leur rôle dans la mise en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle.
B) La délégation limitée de l’action aux organisations régionales
358. Dans le domaine du maintien de la paix, le rôle des organisations régionales s’est
fortement accentué au cours de ces trente dernières années. Le développement par l’Union
Européenne (UE) et l’Union Africaine (UA) de capacités de gestion de crises a permis à ces
organisations de multiplier les missions visant au maintien de la paix, que celles-ci soient
menées de façon autonomes ou conjointement au déploiement de missions onusiennes. En
Afrique, le recours aux capacités régionales, notamment par le biais de l’UA, ou sousrégionales, avec le recours à la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest
(CEDEAO) et sa Brigade de surveillance du cesser le feu (Economic community of West
African states cease-fire monitoring group (ECOMOG)), est tel que la question d’un
« désengagement »864 de l’ONU au profit de ces organisations s’est posée.
359. La justice transitionnelle échappe encore majoritairement à cette tendance à la
délégation de l’action du maintien de la paix de l’ONU vers les organisations régionales. Il
faut dire que l’UE et l’UA n’ont entamé que très récemment leur réflexion sur leur rôle
863
Ibid., § 30 b) v)
CAHIN (G.), « Les Nations Unies et la construction de la paix en Afrique : entre désengagement et
expérimentation », RGDIP, vol. 104, n° 1, 2000, pp. 73-105.
864
224
potentiel dans ce domaine. Alors que l’organisation européenne n’a inclus la justice
transitionnelle dans son plan d’action qu’en 2015865, l’UA est toujours dans la phase de
réflexion sur ce point866. Les missions conduites sous l’autorité de l’organisation africaine
n’ont pas intégré de mandat en matière de justice transitionnelle867. L’opération hybride
UA/ONU au Darfour (MINUAD) représente toutefois une exception868. Les organisations
européennes n’ont pas mené plus d’activités dans ce domaine, l’Organisation du traité de
l’Atlantique nord (OTAN) ne disposant pas des capacités civiles pour être active dans ce
domaine, et l’UE n’ayant pas encore développé de volet justice transitionnelle dans ses
missions civiles. L’Organisation des États américains n’a eu que peu l’occasion de mener des
actions coordonnées avec l’ONU. La MICIVIH, en Haïti, a déjà été évoquée869, et si la
Mission d’appui du processus de paix de l’OEA (MAPP) en Colombie devra coordonner son
action avec la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie870, seule la première
bénéficie d’un mandat concernant la justice transitionnelle871.
360. Les organisations régionales ont un important rôle à jouer dans le domaine de la justice
transitionnelle. Elles sont, selon les mots du Conseil de sécurité, « bien placées pour
appréhender les causes profondes des conflits armés du fait de leur connaissance de la
région »872. Elles mènent d’ailleurs déjà des activités dans le domaine de la consolidation de
la paix, notamment en matière de réforme du secteur de la sécurité873 et, pour l’UE, de
865
Les conclusions du Conseil de l’UE n° 13576/15 du 16 novembre 2015, comportent en annexe de l’annexe
« Le cadre d’action de l’UE en matière de soutien à la justice transitionnelle ».
866
L’Union Africaine travaille à l’adoption de l’ « African Union transitional justice framework (ATJF) », dont
le dernier draft est en cours d’adoption.
867
Voir par exemple les mandats de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine
(MISMA) : S/RES/2085 (2012) ; de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite
africaine (MISCA) : S/RES/2127 (2013) ou encore de la Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM) :
S/RES/2372 (2017).
868
Voir le mandat de la MINUAD tel que présenté par le Secrétaire général : UN Doc. S/2007/307Rev.1, Report
of the Secretary-General and the Chairperson of the African Union Commission on the hybrid operation in
Darfur, 5 juin 2007, §§ 54-55. Voir également la présentation de ces tâches dans l’Annexe II, Opérations de
maintien de la paix et justice transitionnelle, ainsi que les éléments liés à la justice transitionnelle présents dans
le Darfur peace agreement et le Doha document for peace in Darfur, dont la MINUAD vérifie l’application,
présentés dans l’Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
869
Supra, partie 1, titre 1, chapitre 1, section I.
870
S/RES/2366 (2017).
871
Voir le mandat de la MAPP tel que modifié par le « Quinto protocolo adicional al convenio entre la Repùblica
de Colombia y la Secretaría general de la Organización de Estados Americanos para el acompañamiento al
proceso de paz en Colombia, firmado el 23 de Enero de 2004 », 1 décembre 2014, art. 2. 1. 3.
872
S/RES/1809 (2008), préambule. Le Conseil rappelle régulièrement cet avantage dont bénéficient les
organisations régionales. Voir UN Doc. S/PRST/2007/42, § 4 ; S/RES/2167 (2014), préambule ; UN Doc.
S/PRST/2016/8, 24 mai 2016, § 11.
873
Pour l’UE, voir le mandat de la mission de réforme RSS en RDC : Action commune 2005/355/PESC du
Conseil du 2 mai 2005 relative à la mission de conseil et d’assistance de l’Union européenne en matière de
225
formation des polices nationales874. Les actions qu’elles mènent de façon autonomes faisant
l’objet de développements plus loin875, on se contentera de signaler ici l’émergence d’un rôle
de l’UA et de l’UE dans le domaine de la justice internationale pénale, avec leur implication
dans la création, respectivement, des Chambres africaines extraordinaire au Sénégal876 et des
Chambres spécialisées au Kosovo877.
Les remarques présentées ci-dessus montrent que la justice transitionnelle est encore
majoritairement exclue de la tendance onusienne à la délégation des tâches liées au maintien
de la paix. Toutefois, au vu des évolutions récentes, ce particularisme semble voué à
s’estomper au fur et à mesure du développement par les organisations régionales de
compétences et d’expertise dans le domaine de la justice transitionnelle.
réforme du secteur de la sécurité en République démocratique du Congo, Journal officiel de l’Union européenne
n° L 112, 3 mai 2005, p. 20. Voir aussi le mandat de la mission en Guinée Bissau : Action commune
2008/112/PESC du Conseil du 12 février 2008 relative à la mission de l’Union européenne visant à soutenir la
réforme du secteur de la sécurité en République de Guinée-Bissau (UE RSS Guinée-Bissau), Journal officiel de
l’Union européenne, n° L 40, 14 février 2008, p. 11. Pour l’UA, voir le mandat de la MISCA : S/RES/2127
(2013), § 28 v), celui de l’AMISOM : S/RES/1744 (2007), § 4 et celui de la MISMA : S/RES/2085 (2012) §§ 6
et 9 a). Plus généralement, voir TERCINET (J.), Le maintien de la paix et de la sécurité internationales,
Bruylant, Bruxelles, 2012, pp. 564-571.
874
Voir par exemple la Mission de police de l’Union européenne à Kinshasa (EUPOL « Kinshasa » : Action
commune 2004/847/PESC du Conseil du 9 décembre 2004 relative à la mission de police de l’Union européenne
à Kinshasa (RDC) en ce qui concerne l’unité de police intégrée (EUPOL Kinshasa), Journal officiel de l’UE,
n° L 367, 14 décembre 2004, p. 30. Voir également son extension : Action Commune 2007/405/PESC du
Conseil du 12 juin 2007 relative à la mission de police de l’Union européenne menée dans le cadre de la réforme
du secteur de la sécurité (RSS) et son interface avec la justice en République démocratique du Congo (EUPOL
RD Congo), Journal officiel de l’Union européenne, n° L. 151, 13 juin 2007, p. 46.
875
Voir infra, Partie 2, Titre 2, Chapitre 1.
876
Voir le statut des Chambres : « Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l’Union
Africaine sur la création de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises », Dakar,
22 août 2012.
877
Voir Loi No. 04/L-274 « on ratification of the international agreement between the Republic of Kosovo and
the European Union on the European Union rule of law mission in Kosovo », 23 avril 2014, disponible sur le site
des Chambres spéciales : www. scp-ks.org.
226
Section II L’ancrage national de la justice transitionnelle
onusienne
361. Mis à part les TPI, l’ONU a toujours cherché à rapprocher le plus possible son action
dans le domaine de la justice transitionnelle des populations directement concernées. Ce
rapprochement s’effectue sur plusieurs points. Le plus évident est d’assurer une proximité
physique entre ces populations et les mécanismes créés en positionnant ces derniers sur le
territoire de l’État faisant l’objet de leur mandat, comme ce fut le cas pour les juridictions
hybrides ainsi que pour l’ensemble des autres mécanismes de justice transitionnelle. Il s’agit
toutefois ici du strict minimum, et les enjeux de cette justice imposent un ancrage national
bien plus profond.
Pour pallier ses propres lacunes en termes de connaissance des divers contextes au sein
desquels elle intervient, ainsi que pour prévenir les critiques d’imposition impérialiste de
modèles étrangers, l’ONU a développé une action articulée autour de l’idée d’appropriation
nationale. Intégrée à l’approche onusienne de la justice transitionnelle, cette appropriation est
abordée comme une méthodologie de sa mise en œuvre, construite autour d’un ensemble de
garanties (§ 1). Cette méthodologie possède pourtant les défauts de ses qualités. En focalisant
l’attention des acteurs internationaux sur les échelons local et national, elle occulte totalement
la dimension transnationale des violences, forcément absente d’une justice transitionnelle
exclusivement intraétatique (§ 2).
§1/Les garanties onusiennes de l’appropriation nationale
362. L’appropriation locale ou nationale (« local ownership »), conceptualisée dans le cadre
des politiques d’aide au développement878, s’est rapidement trouvée transposée dans le cadre
des opérations de maintien de la paix, particulièrement dans leur mission de rétablissement de
l’état de droit, et dans le cadre de la justice transitionnelle. Le concept de l’appropriation
locale a été intégré à la méthodologie onusienne concernant la justice transitionnelle par le
rapport du Secrétaire général de 2004 sur l’état de droit et la justice transitionnelle879. Il est
depuis devenu un élément incontournable de cette méthodologie, jusqu’à être qualifié de
878
HURWITZ (A.), « Rule of law programs in multidimensional peace operations : legitimacy and ownership »,
in EBNÖTHER (A. H.), FLURI (P. H.), After intervention : public security management in post-conflict
societies, Centre for the democratic control of armed forces, Genève, 2005, pp. 348-349.
879
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 16.
227
« mantra »880 de l’ONU dans le domaine de la justice transitionnelle. Cette centralité de
l’appropriation locale témoigne de la volonté des acteurs onusiens d’assurer une adéquation
maximale entre les choix adoptés en matière de justice transitionnelle et les attentes ainsi que
la culture des populations locales. C’est pour servir cet objectif que « [t] he UN eschews onesize-fits-all formulas and the importation of foreign models, and bases its work upon a thorough
analysis of national needs and capacities, drawing upon national expertise to the greatest extent
possible. »881
Afin de dépasser les déclarations d’intention, l’ONU a dû trouver des méthodes pour
garantir que son action dans le domaine de la justice transitionnelle soit conduite dans le
respect de ce principe. Il s’est donc agi tout d’abord de s’assurer que cette action soit menée
avec le consentement de l’État concerné (A) et que sa forme soit dictée par les besoins des
populations (B). Enfin, la volonté d’ancrer la justice transitionnelle dans le contexte culturel
de ces populations a mené au développement des pratiques traditionnelles de justice et de
réconciliation (C). Nous verrons cependant que tous ces aspects connaissent d’importantes
limites quant à leur efficacité.
A) Le consentement de l’État comme condition d’engagement de l’action
363. En tant qu’« instrument »882 au service de ses membres, toute organisation
internationale se doit de respecter leur consentement lorsqu’elle conduit les actions prévues
par son mandat, sauf disposition expresse du traité constitutif. En ce qui concerne la Charte
des Nations Unies, ce principe est exprimé par la règle de la non-ingérence dans les affaires
intérieures, inscrite à l’article 2 § 7 de la Charte.
Ce principe du consentement se retrouve dans les actes fondateurs des institutions
agissant dans le domaine de la justice transitionnelle. En ce qui concerne l’assistance
technique portée, entre autres, par le PNUD, le principe est que celle-ci « ne sera fournie par
les organisations participantes qu’en accord avec les Gouvernements intéressés et d’après les
880
SHARP (D. N.), « Interrogating the peripheries », op. cit., p. 162. On retrouve en effet cette centralité de
l’appropriation locale dans la quasi-totalité des documents onusiens traitant de la justice transitionnelle. Voir par
exemple : « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
p. 5, ECOSOC, UN Doc. E/CN.4/RES/2005/70, Droits de l’homme et justice de transition, op. cit., p. 2, ou
encore : SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit., § 41.
881
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
p. 5.
882
VIRALLY (M.), L’Organisation mondiale, op. cit., p. 26.
228
demandes reçues des Gouvernements »883. Le domaine des droits de l’Homme ne fait pas
exception à ce principe. Le respect de la souveraineté des États a été amplement rappelé lors
de la création du poste de Haut-Commissaire aux droits de l’homme884. De même, les projets
du Fonds de consolidation de la paix doivent être, en toute logique, approuvés par les autorités
nationales885.
364. La question du consentement de l’État ne se pose finalement de façon sérieuse que dans
le cadre des actions décidées par le Conseil de sécurité, seul organe en mesure d’ordonner des
actions coercitives886. Il est toutefois reconnu que ce type d’actions est limité à la mise en
œuvre du Chapitre 7 de la Charte, plus précisément ses articles 41 et 42887. Ceci nous permet
d’exclure de cette catégorie les actions menées par les missions politiques spéciales qui ne
bénéficient jamais de ce fondement888. Restent donc les actions menées par les opérations de
maintien de la paix créées sur la base du Chapitre 7. En effet, si une large partie des OMP ne
bénéficient pas de ce fondement et fonctionnent selon le principe du respect du consentement
883
UN Doc. E/RES/222 (IX), Programme élargi d’assistance technique en vue du développement économique
des pays insuffisamment développés, 15 août 1949. Ces principes, rappelés ici par le Conseil économique et
social dans le cadre de la création du Programme d’assistance technique, ont été consacrés par l’Assemblée
générale dans sa résolution 200 (III) du 4 décembre 1948.
884
Voir UN Doc. A/48/PV.85, Haut-Commissaire chargé de promouvoir et de protéger tous les droits de
l'homme, 20 décembre 1993.
885
UN Doc. A/60/284, Rapport du Secrétaire général. Dispositions prises en vue d’établir le Fonds de
consolidation de la paix. Annexe : mandat du Fonds de consolidation de la paix, point 2. Le mandat a été
approuvé par l’Assemblée générale par la résolution 60/287 du 20 septembre 2006.
886
Le consentement de l’État représente ainsi le critère déterminant pour qualifier le caractère coercitif d’une
action. Voir MANIN (P.), L’Organisation des Nations Unies et le maintien de la paix. Le respect du
consentement de l’État, thèse pour l’obtention du doctorat en droit, LGDJ, Paris, 1971, pp. 118-120.
887
Ibid.
888
Voir Annexe III, Missions politiques spéciales et justice transitionnelle. Les missions politiques et bureaux
d’appui créés par l’ONU sont considérés comme évoluant « hors Charte ». Leur fondement légal est à cet égard
assez flou. Il demeure que ces missions et bureaux sont toujours établis à la demande ou en collaboration étroite
avec les gouvernements des États concernés et n’impliquent pas la présence de personnel militaire. Voir
JOHNSTON (I.), « Emerging doctrine for political missions » in Center on International Cooperation, « Review
of Political Missions. 2010 », 2010, pp. 15-26 et NOVOSSELOFF (A.), « Missions politiques et bureaux des
Nations Unies », 15 juillet 2012, disponible sur http://www.operationspaix.net/144-resources/detailslexique/missions-politiques-et-bureaux-des-nations-unies.html.
229
de l’État889, on s’aperçoit que la très grande majorité des OMP ayant mené des actions en
termes de justice transitionnelle ont bien été créées sur cette base a priori coercitive890.
365. Le caractère coercitif des actions menées sur le fondement du Chapitre 7 de la Charte
est toutefois à relativiser, particulièrement dans le cadre des conflits internes, qui forment la
quasi-exclusivité de l’action onusienne en termes de justice transitionnelle. Si les articles 41 et
42 de la Charte permettent au Conseil de sécurité de contourner le principe du consentement
de l’État en adoptant des décisions obligatoires, le recours au Chapitre 7 permet surtout, selon
l’article 42, d’autoriser l’emploi de la force891. Or, dans un conflit interne, l’emploi de la force
s’effectue essentiellement pour la protection des populations civiles ou des acteurs
humanitaires contre les groupes rebelles, et non contre les troupes régulières. Les opérations
en Sierra Léone, au Libéria, en RDC, au Mali ou encore en RCA suivent ce schéma et ont
d’ailleurs été créées avec l’accord ou sur la demande des États concernés. On remarque à cet
égard que les actions en matière de justice transitionnelle se déroulent presque toujours en
soutien des autorités nationales.
366. Plusieurs exceptions notables au principe du consentement de l’État ont toutefois
marqué l’expérience de l’ONU en matière de justice transitionnelle. Il s’agit tout d’abord des
actions menées par les administrations transitoires. Leur cas est cependant ambigu dans la
mesure où ces administrations cherchent précisément à combler un vide institutionnel. Il n’y a
donc plus réellement d’autorité à qui demander l’autorisation d’agir. Cela a été le cas au
Timor-Leste et au Kosovo. Il est intéressant de constater que, faute d’autorités auprès de qui
obtenir une légitimité d’intervention, la MINUK et l’ATNUTO se sont tournées, avec plus ou
moins de succès, vers les populations et les divers acteurs de la société civile locale pour
fonder leur action892.
889
Le consentement de l’État fait effectivement partie des principes fondamentaux des OMP, comme l’a rappelé
le Secrétaire général Boutros-Ghali dans son supplément à l’Agenda pour la paix. Voir SGNU, UN Doc.
A/50/60-S/1995/1, 25 janvier 1995. Supplément à l’Agenda pour la paix, op. cit., § 23. Certains vont jusqu’à
parler de « sainte trinité » pour désigner les principes du consentement de l’État, de la neutralité des forces
onusiennes et de la limitation de l’usage de la force aux situations de légitime défense. Voir HATTO (R.) Le
maintien de la paix. L’ONU en action, Armand Collin, Paris, 2015, p. 45. Philippe Manin note d’ailleurs que
c’est « par leurs caractéristiques mêmes » que les OMP « supposent le respect du consentement » de l’État. Voir
MANIN (P.), L’Organisation des Nations Unies, op. cit., p. 97.
890
Sur dix-huit OMP ayant eu un rôle en matière de justice transitionnelle, seize ont bénéficié du Chapitre 7.
Voir Annexe II, Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
891
Voir sur cet article : DAILLIER (P.), « Article 42 », in COT (J.-P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), dir., La
Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Economica, Paris, 3e éd., 2005, pp. 1243-1260.
892
Voir infra B).
230
L’autre exception au principe du consentement de l’État est bien évidemment le cas des
TPI. Ainsi, la résolution 955 créant le TPIR a été adoptée malgré le vote contraire du Rwanda.
Il faut toutefois noter que cette imposition de juridictions internationales est une pratique
révolue au sein des Nations Unies. Les juridictions hybrides instaurées par la suite ont toutes
fait l’objet d’intenses négociations entre l’ONU et les États concernés. Toutes ont été
adoptées en consultation étroite avec les autorités concernées, ou avec les acteurs non
étatiques lorsque de telles institutions n’existaient plus, comme au Timor et au Kosovo. Si le
cas du Tribunal Spécial pour le Liban peut laisser penser à une survivance du contournement
du consentement de l’État, dans la mesure où le statut de ce Tribunal a été adopté par une
résolution fondée sur le Chapitre 7, cette analyse ignorerait les efforts fournis par le Conseil
de sécurité pour la préservation de ce consentement. En effet, la lecture du préambule de la
résolution 1757, instituant le TSL, montre que loin d’ignorer le consentement du Liban, le
Conseil de sécurité prétend au contraire s’en faire le garant, y compris contre les « sérieux
obstacles » 893 d’ordre constitutionnel qui, à en croire le Conseil, masquent, en quelque sorte,
un consentement bien réel. Le préambule de la résolution se réfère à une lettre de Premier
Ministre libanais dans laquelle il avait rappelé « qu’une majorité de parlementaires s’étaient
déclarés favorables à la création du Tribunal et demandé que soit soumise d’urgence au
Conseil de sécurité sa demande que soit donné effet au Tribunal spécial »894. Le Conseil de
sécurité rappelle en outre que « toutes les parties concernées ont réaffirmé leur accord de
principe pour la création du Tribunal »895. Le Conseil se veut donc ici le protecteur du
consentement des autorités étatiques contre les manipulations politiciennes.896
893
S/RES/1757 (2007), préambule.
Ibid.
895
Ibid.
896
Pour un résumé du contexte politique ayant mené au refus de la ratification de l’accord initial et à l’adoption
du statut du TSL par la résolution 1757 voir LELARGE (A.), « Le Tribunal spécial pour le Liban », AFDI,
vol. 53, 2007, pp. 400-404.
894
231
B) Les besoins des populations comme élément déterminant de la forme de
l’action
367. Pour garantir cette correspondance entre programmes de justice transitionnelle et
attentes et pratiques nationales, l’ONU promeut la tenue de consultations populaires dont la
visée est de déterminer les mécanismes les plus plébiscités et les plus adaptés au contexte. Les
consultations nationales ont ainsi progressivement été incluses dans les standards onusiens en
matière de justice transitionnelle. Intégrées par Diane Orentlicher aux principes actualisés de
la lutte contre l’impunité897, elles ont été érigées par le Secrétaire général en bonne pratique
de l’Organisation en 2004898 et en nécessité par la Commission des droits de l’homme, qui
soulignait en 2005 :
« qu’il importe d’engager un vaste processus de consultations nationales, en
particulier avec les personnes touchées par les violations des droits de l’homme,
pour contribuer à élaborer une stratégie globale d’administration de la justice en
période de transition qui prenne en compte les caractéristiques spécifiques de
chaque situation et soit conforme aux normes internationales relatives aux droits
de l’homme »899.
Elles bénéficient depuis 2009 d’une publication du HCDH dans la série des
« instruments de l’état de droit pour les sociétés sortant d’un conflit »900, témoignant de leur
place centrale au sein de la stratégie onusienne de justice transitionnelle. Leur conduite est
progressivement devenue systématique au sein de l’action onusienne.
368. Ces consultations peuvent être utilisées pour définir une stratégie de justice
transitionnelle dans un contexte donné. Il s’agit alors de déterminer quels mécanismes seront
créés, en se basant sur les attentes de la population. Il est toutefois notable que, dans la
pratique, les consultations nationales n’ont qu’une portée limitée en ce qui concerne le type de
mécanismes envisagé. L’ONU a appuyé de telles consultations en Ouganda, au Sri Lanka, en
Tunisie, en Guinée et au Burundi. Comme préconisé par le Secrétaire, l’action de l’ONU se
897
Diane Orentlicher note que en « élaborant des politiques pour combattre l’impunité, les États devraient
favoriser une large participation des victimes et d’autres citoyens ». Voir : « Principes Orentlicher », op. cit.,
p. 7.
898
Le Secrétaire général note que l’ONU doit « appuyer et faciliter [les consultations] qui visent à déterminer la
politique nationale en ce qui concerne l’administration de la justice pendant la période de transition ou la réforme
des institutions garantes de l’état de droit ». Voir SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit
et administration de la justice, op. cit., § 20.
899
UN Doc. E/CN.4/RES/2005/70, op. cit., p. 2.
900
Ibid.
232
limite « à faciliter les réunions, fournir des conseils d’ordre juridique et technique, encourager
la participation des femmes et des groupes traditionnellement exclus, appuyer le renforcement
des capacités et aider à mobiliser les ressources financières et matérielles, tout en laissant aux
partenaires nationaux la maîtrise du processus et des décisions »901.
369. La portée des consultations nationales est toutefois à nuancer. Alors que leur objectif
semble être de déterminer le type de mécanismes envisagés, il s’agit souvent, dans les faits, de
définir la forme de mécanismes dont la nature a été fixée antérieurement. Les raisons de cette
limite des consultations nationales sont doubles. Il arrive tout d’abord que la stratégie globale
de justice transitionnelle soit en réalité déjà fixée par un accord de paix. Les consultations
nationales menées au Burundi étaient ainsi limitées par les dispositions de l’Accord d’Arusha
pour la paix et la réconciliation, prévoyant la création de programmes de réparation, d’un
tribunal pénal international et d’une commission vérité902. Il faut aussi noter que ces
consultations survenaient après l’envoi par le Conseil de sécurité d’une mission chargée
d’évaluer la faisabilité de la création de la commission internationale d’enquête prévue par ce
même accord903. Or, cette mission a recommandé la création d’une commission vérité et d’un
tribunal spécial au Burundi904, recommandations endossées par le Conseil de sécurité qui a
ensuite chargé le BINUB de « soutenir les efforts entrepris pour lutter contre l’impunité, en
particulier grâce à la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle, notamment une
commission vérité et réconciliation et un tribunal spécial »905. Conséquemment, les
consultations nationales n’avaient qu’une marge de manœuvre réduite en termes de choix de
mécanismes. Il a ainsi été prévu que le Comité tripartite chargé de conduire ces consultations
« ne soulèvera pas de questions en cours de négociation entre le Gouvernement du Burundi et
les Nations Unies, notamment la relation entre la Commission Vérité et Réconciliation et le
Tribunal Spécial, ni l’opportunité de l’une ou l’utilité de l’autre mécanisme, ainsi que des
questions qui pourraient être en porte-à-faux avec le droit international »906.
901
SGNU, UN Doc. S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., p. 9.
Voir Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
903
Voir UN Doc. S/2004/72, annexe, International judicial commission of inquiry for Burundi. Terms of
reference of an assessment mission to Burundi by the Secretariat, 26 janvier 2004.
904
UN Doc. S/2005/158, 11 mars 2005, annexe, Report of the assessment mission on the establishment of an
international judicial commission of inquiry for Burundi, § 53 et s.
905
S/RES/1719 (2006), point 2 (j) (nous soulignons).
906
« Accord cadre entre le Gouvernement de la République du Burundi et l’Organisation des Nations Unies
portant création et définition du mandat du Comité de pilotage tripartite en charge des Consultations nationale
sur la justice de transition au Burundi », signé à Bujumbura le 2 novembre 2007, § 10. L’accord en question
rappelle dans son préambule le passage précité de la résolution 1719.
902
233
370. Si le cas du Burundi est exceptionnel en ce que le Conseil de sécurité s’implique
rarement de façon aussi précise dans le choix des mécanismes de justice transitionnelle, la
même tendance à l’encadrement des consultations s’observe dans d’autres contextes, en
raison de la vision globalisante de la justice transitionnelle par les acteurs onusiens. En
Guinée, les consultations nationales ont été soutenues par la Commission et le Fonds de
Consolidation de la Paix, par l’intermédiaire du PNUD et du HCDH. Le projet « Appui aux
consultations nationales sur le processus et les mécanismes de réconciliation nationale en
Guinée, Phase 2 » (CONARGUI 2), prévoit une assistance technique et financière à la
Commission provisoire de réflexion pour la réconciliation nationale (CPRN), organe national
créé en 2011 pour conduire les consultations nationales. Bien que le projet prévoit que les
consultations auront pour objectif de « [créer] les conditions de l’appropriation des
mécanismes de la justice de transition et à processus (sic) d’écoute des populations
guinéennes pour recueillir leurs avis sur la manière de conduire la réconciliation
nationale »907, il est précisé que la méthodologie des consultations doit prendre en compte
« les éléments structurants d’un processus de réconciliation nationale que sont les droits à la
vérité, à la justice, à la réparation ainsi que des garanties de non répétition »908. Les
consultations menées conduisent donc nécessairement à l’élaboration de mécanismes propres
à répondre aux exigences des piliers de la justice transitionnelle.
371. Cela ne signifie toutefois pas que les consultations nationales sont totalement
superflues. Elles servent en effet à déterminer les formes que prendront les mécanismes
propres à assurer les objectifs de la justice transitionnelle. Les consultations poursuivent alors
un double objectif. Il s’agit en premier lieu d’aborder les violations selon la façon dont elles
ont été ressenties par la population. Les consultations s’intéressent ainsi aux dates ou
évènements marquant le début des violations, les types de violations subies ainsi que les
populations les plus touchées, particulièrement les groupes minoritaires ou marginalisés.
L’intérêt de consulter les populations dans ces domaines réside dans l’absence de caractère
objectif de ces données. La question des points de départ et de fin d’un conflit ou d’une
révolte est ainsi souvent l’objet de vives controverses et se révèle porteuse d’intérêts
politiques909. Les débats portant sur le mandat temporel de l’Instance vérité et dignité en
907
Fonds de Consolidation de la Paix, Document de présentation de projet CONARGUI 2.
Ibidem.
909
Voir les développements de Mark Osiel sur ce point dans OSIEL (M.), Juger les crimes de masse. La
mémoire collective et le droit, (titre original : Mass atrocity, collective memory, and the law), Seuil, Paris, 2006,
pp. 197-209.
908
234
Tunisie illustrent bien ce point910. Dans la mesure où « il n’existe pas de critère qui fasse
consensus sur le commencement et la fin d’une histoire »911, il apparaît pertinent, plutôt que
de se limiter à une approche technique nécessairement faussée, de s’en remettre à, ou du
moins de prendre en compte, la subjectivité des principaux concernés. Les considérations
liées aux types de violations subies permettent, pour leur part, d’envisager une réponse
appropriée, notamment en termes de réparations.
372. Il s’agit ensuite de comprendre les moyens privilégiés par les populations pour traiter
des violations passées. L’intégration de rituels traditionnels de réconciliation en lien avec les
commissions vérité au Timor-Leste912 et en Sierra Léone913 est le résultat de consultations
menées auprès des populations. De même, l’assistance fournie par le Fonds de consolidation
de la paix à l’Ouganda en matière de justice transitionnelle914 se fonde en partie sur les
consultations menées par le HCDH dans le Nord de cet État, en 2007915.
C) Les pratiques traditionnelles comme élément d’appropriation de l’action
373. Les pratiques traditionnelles de justice et de réconciliation ont été popularisées au sein
de la justice transitionnelle suite au grand intérêt suscité par les juridictions Gacaca au
Rwanda. Ces juridictions ont été créées en 2004 par le gouvernement rwandais sur le modèle
de pratiques traditionnelles916. Les Gacaca se trouvaient à mi-chemin entre la réconciliation et
la justice pénale. Tout d’abord, elles sont dirigées par des juges non professionnels choisis
parmi les membres influents des communautés. Ensuite, bien que mettant l’accent sur le récit
et le pardon, elles pouvaient prononcer des peines pouvant aller jusqu’à trente ans de
910
Kora Andrieu note que « La question du mandat temporel de la justice transitionnelle a très tôt fait l’objet de
vifs débats en Tunisie » notamment entre ceux souhaitant limiter la période couverte par l’IVD aux années Ben
Ali et ceux souhaitant étendre ce mandat aux violations commises sous la gouvernance de Bourguiba. Voir
Institut de Relations Internationales et Stratégiques, « Confronter le passé de la dictature en Tunisie : la loi de
‘justice transitionnelle’ en question », par Kora Andrieu, mai 2014, p. 19.
911
OSIEL (M.), Juger les crimes de masse, op. cit., p. 197.
912
Infra C).
913
Ibid.
914
Le projet « Peacebuilding through Justice for all and Human Rights » vise entre autre à faciliter la mise en
œuvre de mécanismes de justice transitionnelle. Voir Fonds de consolidation de la paix, Projet PBF/UGA/A-1.
915
Voir le rapport du HCDH sur les consultations nationales : « Making peace our own. Victim’s perceptions of
accountability, reconciliation and transitional justice in Northern Uganda », 2007, 74 p.
916
« Loi organique n° 16/2004 du 19/6/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions
Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres
crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 », Kigali, 19 juin 2004.
235
prison917. L’ONU s’est peu intéressée aux Gacaca. Si le HCDH a rapidement reconnu leur
potentiel en termes de réconciliation, ça n’a été qu’au prix de limites à leur compétence,
notamment que « l’institution [ne soit pas] transformée en tribunal formel »918. Ces
recommandations n’ayant pas été suivies, le HCDH a pris ses distances vis-à-vis de cette
institution, par ailleurs fort critiquée919. Seul le PNUD a continué à la soutenir en assistant la
formation des juges traditionnels920.
374. L’idée onusienne d’associer les formes « traditionnelles » ou « informelles » de justice
et de réconciliation a pourtant précédé l’expérience rwandaise. En Sierra-Léone, le statut de la
Commission vérité et réconciliation prévoyait que « [the] Commission may seek assistance
from traditional and religious leaders to facilitate its public sessions and in resolving local
conflicts arising from past violations or abuses or in support of healing and reconciliation. »921
Afin d’identifier et d’utiliser au mieux ces mécanismes, le HCDH a commandé une étude à une
ONG locale922 concernant le rôle possible des pratiques traditionnelles au sein de la
commission. La CVR a ainsi pu recourir, bien que de façon assez marginale923, à des rituels
de réconciliation et de réintégration des anciens soldats dans leur communauté924. L’UNICEF
917
Voir « Loi organique n° 28/2006 du 27/06/2006 modifiant et complétant la Loi Organique n° 16/2004 du
19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites
et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis
entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 », Kigali, 27 juin 2006, Chapitre IV.
918
INGELAERE (B.), « Les juridictions Gacaca au Rwanda » in HUYSE (L.), SALTER (M.), Justice
traditionnelle et réconciliation après un conflit violent. La richesse des expériences africaines, International
Institute for Democracy and Electoral Assistance, Stockholm, 2009, p. 39.
919
Sur les juridictions Gacaca, voir notamment : ANDRIEU (K.), La justice transitionnelle. op. cit., pp. 149194 ; KAREKEZI (U. A.), MUTAMBA (B.), NSHIMIYIMANA (A.), « Localizing justice : Gacaca courts in
post-genocide Rwanda », in STOVER (E.), WEINSTEIN (H-M.), My neighbor, my enemy, op. cit., pp. 69-84 ;
ROSOUX (V.), SHYAKA MUGABE (A.), « Le cas des Gacaca au Rwanda. Jusqu’où négocier la
réconciliation ? », Négociations, vol. 9, n° 1, 2008, pp. 29-40 ; WESTBERG (M. M.), « Rwanda’s use of
transitional justice after genocide : the Gacaca courts and the ICTR », Kansas Law Review, vol. 59, 2010-2011,
pp. 331-367; INGELAERE (B.), « Les juridictions Gacaca au Rwanda », op. cit., pp. 27-65.
920
PNUD, « Doing justice : how informal justice systems can contribute », en collaboration avec le Oslo
Governance Programme, rapport par Ewa Wojkowska, décembre 2006, p. 39.
921
« Truth and Reconciliation Act 2000 », op. cit., art. 7. (2).
922
Il s’agit de Manifesto ’99, qui a grandement participé à l’élaboration et au travail de la CVR sierra-léonaise.
923
Rosalind Shaw note que de nombreuses pratiques traditionnelles ont été ignorées en Sierra-Léone, notamment
pour leur tendance à prôner l’oubli et le pardon plutôt que le travail de mémoire par la parole. Voir USIP,
« Rethinking truth and reconciliation Commissions – Lessons from Sierra Leone », Rapport spécial par Rosalind
Shaw, février 2005, 12 p.
924
Le recours de la CVR à ces rituels est décrit dans son rapport final. Voir CVR Sierra Léone, « Witness to
truth », op. cit., vol. 3 B, pp. 439-442. Voir également KELSALL (T.), « Truth, lies, rituals : preliminary
reflections on the Truth and Reconciliation Commission in Sierra Leone », Human Rights Quarterly, vol. 27,
n° 2, 2005, pp. 361-391 et ALIE (J.), « Réconciliation et justice traditionnelle : pratiques traditionnelle des KpaaMené en Sierra Leone », in HUYSE (L.), SALTER (M.), Justice traditionnelle et réconciliation, op. cit.,
pp. 133-157.
236
a également soutenu la mise en œuvre de rituels de réintégration des enfants dans leur
communauté925.
375. Ce recours aux mécanismes traditionnels a été particulièrement développé au TimorLeste, à travers l’intégration au sein de la CAVR des Community Reconciliation Process
(CRP)926. Selon ce dispositif, la CAVR pouvait autoriser une personne responsable de certains
délits ou crimes, à sa demande, à participer à un CRP927. Si la demande était acceptée par la
CAVR, avec l’accord du Procureur général928, un CRP Panel était constitué dans le but
d’organiser une audition (« CRP Hearing ») de l’individu. C’est lors de ces auditions
qu’intervenaient les pratiques traditionnelles de justice et de réconciliation. En effet, la CAVR
ayant pour mandat de faciliter la réintégration des combattants au travers de « community
based mechanisms for reconciliation »929, la présence de chefs communautaires était prévue
au sein des CRP Panels. De plus, les procédures concernant les auditions ont été
volontairement peu définies par la régulation de l’ATNUTO, afin de permettre leur adaptation
à la grande diversité des pratiques traditionnelles existant au Timor Leste930. C’est ainsi que la
pratique traditionnelle de Nahe Biti (littéralement « étendre le matelas ») a servi de modèle à
de nombreux CRP hearings931. L’audition visait alors à recueillir le témoignage, les aveux et
la formulation d’excuses du responsable ainsi que le témoignage de la ou des victime(s)
concernée(s). Un accord était ensuite conclu entre le responsable et le panel, listant les actes
qui devaient être effectués par celui-là. Ces actes pouvaient être « (a) community service, (b)
925
Ibid., p. 153.
De nombreux écrits décrivent l’origine et le déroulement des CRP. Voir notamment : PNUD, « The
Community Reconciliation Process of the Commission for Reception, Truth and Reconciliation », rapport de
Pier Pigou, avril 2004, 114 p ; USIP, « Reconciling justice. ‘Traditional’ law and state judiciary in East Timor »,
rapport final par Tanja Hohe et Rod Nixon, janvier 2003, 76 p. Voir aussi supra, partie 1, titre 2, chapitre 2,
section I.
927
ATNUTO, UNTAET/REG/2001/10, op. cit., section 23. La demande devait contenir « (a) a full description
of the relevant acts ; (b) an admission of responsibility for such acts ; (c) a explanation of the association of such
acts with the political conflicts in East Timor ; (d) an identification of the specific community in which the
Deponent wishes to undertake a process of reconciliation and reintegration (hereinafter : the Community of
Reception) ; (e) a request to participate in a Community Reconciliation Process ; (f) a renunciation of the use of
violence to achieve political objectives ; and (g) the signature or other identifying mark of the Deponent. ». Ibid.,
section 23.1.
928
Le Bureau du procureur général auprès des Panels Spéciaux de la Cour de Dili avait pour tâche d’examiner
toutes les demandes de CRP. Une demande portant sur des crimes graves, pour lesquels le procureur général a
compétence exclusive, ne pouvait faire l’objet d’un CRP. Le procureur pouvait alors poursuivre l’individu
devant les Panels spéciaux. Ibid., section 22. 2.
929
Ibid., section 3. 1 (h).
930
Le statut de la CAVR prévoit en effet que « [the] CRP Panel may determine its own procedure for the CRP
Hearing. » Ibid., section 27. 2.
931
WALDORF (L.), « Mass justice for mass atrocity : rethinking local justice as transitional justice », Temple
Law Review, vol. 79, n° 1, 2006, pp. 24-26. Sur la pratique de Nahe Biti, voir BABO-SOARES (D.), « Nahe
Biti : the philosophy and process of grassroots reconciliation (and justice) in East Timor », The Asia Pacific
Journal of Anthropology, vol. 5, n° 1, 2004, pp. 15-33.
926
237
reparation ; (c) public apology ; and/or (d) other act of contrition »932. Après confirmation
par la CAVR de l’accomplissement des actes prévus dans l’accord, l’individu concerné
recevait l’immunité pénale pour tous les faits reconnus par celui-ci et consignés dans l’accord.
376. Initialement peu courante au sein de l’action onusienne, l’intégration de mécanismes
traditionnels de justice et/ou de réconciliation s’est systématisée dans la deuxième moitié des
années deux-mille933. Ainsi, les OMP présentes au Tchad, au Soudan du Sud, au Mali et en
RCA ont eu recours à des pratiques traditionnelles pour leurs actions dans le domaine de la
réconciliation. La MINUL s’est également vu attribuer, en 2013, un rôle dans le
développement de l’institution des Palava hut au Libéria, en soutien d’un projet porté par le
PNUD et financé par le Fonds de Consolidation de la Paix934.
§2/ L’écueil d’une justice transitionnelle intraétatique.
377. La quasi-totalité des mécanismes de justice transitionnelle instaurés dans le monde a eu
pour objet de répondre aux violences commises sur le territoire d’un État à l’occasion d’un
conflit interne ou du fait d’un régime autoritaire935. Cette justice s’est donc développée dans
des cadres exclusivement nationaux. La dimension régionale des conflits ou même de la
répression pour ce qui concerne les régimes autoritaires – le plan Condor, en Amérique latine,
en est un exemple – est donc complètement ignorée. Le vocabulaire de la justice
transitionnelle atteste d’ailleurs de cet ancrage national. La réconciliation est « nationale »,
tout comme l’est l’appropriation. La pratique onusienne en la matière ne fait ici que suivre
une tendance globale. L’ONU est d’ailleurs à l’origine du premier réel effort de justice
transitionnelle transfrontalière, à travers la création du TPIY. Le seul autre, à notre
connaissance, étant la très controversée Commission pour la vérité et l’amitié créée entre
l’Indonésie et le Timor Leste936. L’analyse montre pourtant que cette approche purement
932
ATNUTO, UNTAET/REG/2001/10, op. cit., section 27. 7.
On notera tout de même, dans la première moitié des années deux-mille, le rôle du PNUD dans le
développement de l’institution des Bashingantahe, (littéralement « ceux qui fixent le droit ») au Burundi. Des
propositions allant dans le sens d’un recours à cette institution dans le cadre de la justice transitionnelle
burundaise ont en effet été formulées, bien que l’inertie touchant ce champ au Burundi n’ait pas permis leur
concrétisation. Voir NANIWE-KABURAHE (A.), « L’institution des Bashingantahe au Burundi », in HUYSE
(L.), SALTER (M.), Justice traditionnelle et réconciliation, op. cit., pp. 159-189 ; MATIGNON (E.), La justice
en transition. Le cas du Burundi, thèse de doctorat, Institut Universitaire de Varenne, 2013, pp. 279-288.
934
Voir Fonds de Consolidation de la Paix, projet PBF/LBR/A-11, « Community-based Truth Telling and
Atonement Project ».
935
LEKHA SRIRAM (C.), ROSS (A.), « Closing impunity gaps : regional transitional justice processes ? »,
Transitional Justice Review, vol. 1, n° 1, 2013, p. 3.
936
Voir par exemple, ICTJ, « Too much friendship, too little truth : monitoring report on the Commission of
Truth and Friendship in Indonesia and Timor-Leste », par Megan Hirst, janvier 2008, 46 p.
933
238
étatique de la justice transitionnelle présente d’importantes limites lorsque sont en cause des
violences transétatiques (A), incitant alors à développer des pistes pour une régionalisation de
cette justice (B).
A) Les limites de la justice transitionnelle étatique pour des conflits
transétatiques
378. La dimension exclusivement nationale de la justice transitionnelle jure avec les
dimensions transétatiques de nombreux conflits civils. Peter Wallensteen et Margareta
Sollenberg ont démontré qu’une majorité de ces conflits connaissaient des implications
régionales, formant ce qu’ils nomment des « regional conflict complexes »937. Les exemples
des conflits en Sierra Léone et au Libéria, ceux de la région des Grands Lacs ainsi que les
groupes rebelles et terroristes de Boko Haram, de l’Armée de résistance du Seigneur de
Joseph Kony, de l’État islamique ou encore d’Al Qaïda illustrent bien ce caractère
transfrontalier des conflits civils.
379. Si la dimension régionale de certains conflits n’est plus à démontrer, il apparaît qu’elle
n’est pour ainsi dire jamais traitée comme telle par les mécanismes de justice transitionnelle.
Les violences entre Hutu et Tutsi dans la région des Grands Lacs ont été traitées
nationalement au Rwanda, à travers le TPIR et les juridictions Gacaca, et doivent faire l’objet
d’une stratégie nationale de justice transitionnelle au Burundi. Les mécanismes établis ou
envisagés sont ainsi toujours limités aux crimes perpétrés sur le territoire ou par les
ressortissants d’un État spécifique. La juridiction du TPIR était limitée aux « violations graves
du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens
rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’États voisins
entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 »938. De même, malgré les nombreux liens existant
entre les conflits libérien et sierra léonais, le TSSL n’était chargé de poursuivre que les
« persons who bear the greatest responsibility for serious violations of international
humanitarian law and Sierra Leonean law committed in the territory of Sierra Leone since 30
937
SOLLENBERG (M.), WALLENSTEEN (P.), « Armed conflict and regional conflict complexe, 1989-97 »,
Journal of Peace Research, vol. 35, n° 5, 1998, pp. 621-634. Les auteurs notent dans cette étude que « more than
half of all the conflicts have a connection to conflicts in neighbouring countries ». Ces connexions peuvent être
de plusieurs ordres, notamment le caractère transfrontalier de certains groupes rebelles ou le soutien direct ou
indirect à un groupe étatique ou non étatique. Ibid., pp. 623-624.
938
Statut du TPIR, op. cit., art. 1.
239
November 1996 »939. Cette disposition a conduit à l’étrange situation dans laquelle Charles
Taylor n’a pu être jugé que pour les crimes commis en Sierra Léone, sans avoir à répondre de
ceux commis chez lui, au Libéria. Ces limitations de la compétence des juridictions pénales
sont à l’origine de ce que certains ont qualifié de « zones d’impunité »940.
380. Des limites semblables sont constatées pour les mécanismes non judiciaires de justice
transitionnelle. Les commissions vérité, pourtant chargées d’établir un historique complet du
conflit et de déterminer ses causes profondes, se trouvent face à d’importantes limites liées à
leur caractère intraétatique. Si la CVR sierra léonaise s’est attachée à analyser les facteurs
externes de déclenchement et d’alimentation du conflit ainsi que ses ramifications
extraétatiques, ses pouvoirs et ses moyens en termes d’accès aux témoins et aux informations
situés en dehors du territoire national ont été nécessairement limités du fait de son acte
créateur et de son inscription au sein de l’ordre juridique interne. La même constatation peut
être faite en ce qui concerne la CVR libérienne941.
381. Cette lacune de la justice transitionnelle peut s’expliquer de plusieurs façons. Il s’agit
tout d’abord de facteurs historiques. Comme le note Pierre Hazan, « transitional justice was
initially conceived within a national framework »942. En effet, les premiers efforts latinoaméricains se sont concentrés sur la lutte contre l’impunité au niveau national. Il faut toutefois
noter que, devant la justice pénale, cette approche semble évoluer pour pouvoir rendre compte
du caractère transfrontalier des crimes des dictatures latino-américaines au sein du Plan
Condor943. Il est également significatif que l’expérience sud-africaine, longtemps présentée en
exemple et dont les acteurs ont largement contribué au développement et à la popularisation
du champ de la justice transitionnelle, était concentrée sur une approche nationale.
L’importance conférée par cette commission à la réconciliation nationale, approche largement
reprise par les mécanismes de justice transitionnelle postérieurs, semble avoir enfermé les
939
Statut du TSSL, op. cit., art. 1.
LEKHA SRIRAM (C.), ROSS (A.), « Geographies of crime and justice : contemporary transitional justice
and the creation of zones of impunity », IJTJ, vol. 1, n° 1, 2007, pp. 45-65.
941
Sur les limites du caractère national des mécanismes de justice transitionnelle sierra léonais et libérien vis-àvis du traitement des violences perpétrées lors des conflits dans ces deux pays, voir SIRLEAF (M.), « Regional
approach to transitional justice ? Examining the Special Court for Sierra Leone and the Truth and Reconciliation
commission for Liberia », Florida Journal of International Law, août 2003, vol. 21, n° 2, pp. 209-284.
942
HAZAN (P.), « Beyond borders : the new architecture of transitional justice ? », IJTJ, vol. 11, n° 1, 2017,
p. 1.
943
Voir infra, B).
940
240
acteurs de la justice transitionnelle et la doctrine dans un cadre de réflexion exclusivement
intraétatique944.
382. On ne peut que s’étonner de la carence flagrante de doctrine portant sur ce sujet. Il est
toutefois notable que cet état de fait semble évoluer, d’une part grâce à la diversification des
cadres de réflexion sur la justice transitionnelle945 et d’autre part grâce à l’entrée récente de
cette approche au sein des cercles classiques de réflexion s’intéressant à cette justice946.
L’émergence de cette réflexion permet alors de poser le constat (qui malgré son apparente
évidence a très rarement été formulé de façon explicite) des limites d’une justice
transitionnelle nationale et d’envisager les bénéfices attendus ainsi que les complications
impliquées par cette nouvelle approche.
B) Les pistes pour une régionalisation de la justice transitionnelle
383. Il est tout d’abord important de clarifier la notion de « régionalisation » en question ici
et surtout de distinguer l’approche régionale de la justice transitionnelle de la mise en œuvre
de la justice transitionnelle par des organisations régionales ou sous-régionales. Alors que
cette dernière ne fait que prévoir l’implication d’acteurs régionaux ou sous-régionaux dans la
mise en œuvre de politiques de justice transitionnelle au sein d’un État spécifique, celle-là
cherche à appréhender le conflit dans sa dimension régionale ou sous-régionale, et ainsi
mettre en œuvre une justice transitionnelle transfrontalière, quel que soit le type d’acteur
mobilisé. Un chevauchement est toutefois possible, et même probable, dans la mesure où
l’approche régionale pourra être menée ou définie au sein de structures régionales ou sousrégionales.
944
Il faut rappeler que le International Center for Transitional Justice (ICTJ), acteur principal en la matière et
proche collaborateur du HCDH dans l’assistance aux efforts nationaux de mise en place de mécanismes de
justice transitionnelle, a été créé à l’initiative de chercheurs sud-africains, Alex Boraine et Paul Van Zyl.
945
La création, en 2013, de la Transitional Justice Review permet ainsi de contrebalancer l’influence de
l’International Journal of Transitional Justice (IJTJ), créé à l’initiative d’experts sud-africains. Le premier
numéro inclut d’ailleurs l’article de Chandra Lekha Sriram et Annie Moss sur les perspectives de régionalisation
de la justice transitionnelle.
946
IJTJ a ainsi publié un numéro spécial en mars 2017 sur la question de la régionalisation de la justice
transitionnelle. Voir IJTJ, special issue, « Beyond borders : a new regional architecture of transitional justice »,
vol. 11, n°1, mars 2017.
241
384. L’ONU a commencé à adopter une approche régionale de la consolidation de la paix.
Les bureaux régionaux pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS)947, pour l’Asie
Centrale (UNRCCA)948 et pour l’Afrique Centrale (UNOCA)949 du département des affaires
politiques témoignent de la reconnaissance par l’ONU de l’intérêt représenté par cette
approche. Il est de plus notable que la région des Grands Lacs a fait l’objet de démarches
régionales de consolidation de la paix. Ainsi l’ONU a pu faciliter la signature de l’ « Accordcadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et
la région », impliquant la RDC, la RCA, l’Afrique du Sud, l’Angola, le Burundi, le Congo,
l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan du Sud, la Tanzanie et la Zambie. La surveillance de ce
processus régional est assurée par un Envoyé spécial de l’ONU pour la région des Grands
Lacs. Ces efforts régionaux de consolidation de la paix ne sont pas sans rappeler ceux
déployés en Amérique centrale dans les années quatre-vingt et qui ont donné lieu à la
signature des accords d’Esquipulas, posant les principes censés fonder la coopération pour la
consolidation de la paix entre les États parties950.
Il demeure que ces initiatives régionales n’ont pas donné lieu à la création de
mécanismes de justice transitionnelle. Le rapport du Secrétaire général sur « les questions
transfrontières en Afrique de l’Ouest » reste focalisé sur les efforts nationaux des États de la
région et le soutien que l’ONU peut leur fournir951. Pourtant, le mandat de l’UNOWA
comportait bien un volet dans ce sens, puisque le bureau est chargé, entre autres,
« [d’effectuer] des études, organiser des tribunes et des séminaires et contribuer à
l’élaboration de stratégies concrètes et concertées pour faire face aux problèmes actuels ou qui
se font jour, y compris les dimensions sous-régionales du chômage des jeunes, l’urbanisation
947
L’UNOWAS est né de la fusion, en 2016, du Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA), créé en
2001, et de l’Envoyé spécial pour le Sahel (OSES), créé en 2014. Voir CSNU, UN Doc. S/2016/89, Letter dated
28 January 2016 from the President of the Security Council addressed to the Secretary-General, 28 janvier
2016.
948
Le United Nations regional centre for preventive diplomacy for Central Asia (UNRCCA) a été créé en 2007.
Voir UN Doc. S/2007/279, Letter dated 7 May 2007 from the Secretary-General to the President of the Security
Council, 16 mai 2007.
949
Le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique Centrale (UNOCA) a été créé par le Secrétaire général
en janvier 2011. Sur la création et le mandat du bureau, voir UN Doc. S/2009/697, Lettre datée du 11 décembre
2009, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, 31 août 2010.
950
Pour le texte des accords, voir UN Doc. A/40/1119-S/18106, Annexe, Déclaration de Esquipulas, 28 mai
1986 et UN Doc. A/42/521-S/19085, Annexe, Processus à suivre pour instaurer une paix stable et durable en
Amérique centrale, 31 août 1987. C. Lekha Sriram et A. Ross notent et discutent l’absence de mesures de justice
transitionnelle dans les accord d’Esquipulas. Voir LEKHA SRIRAM (C.), ROSS (A.), « Closing impunity
gaps », op. cit., pp. 16-18.
951
Voir UN Doc. S/2007/143, Report of the Secretary-General on cross-border issues in West Africa, 13 mars
2007, notamment §§ 17-19.
242
rapide, la réforme du secteur de la sécurité, la justice transitionnelle»952. Il faut également
souligner que plusieurs initiatives et chercheurs locaux promeuvent cette inclusion de la
justice transitionnelle dans la régionalisation naissante de la consolidation de la paix,
essentiellement pour la région des Grands Lacs et pour l’Afrique de l’Ouest953. Le Conseil de
sécurité lui-même semble accepter et promouvoir cette approche lorsqu’il « souligne qu’une
perspective régionale devrait permettre de trouver des solutions à la situation qui règne dans
la région des Grands Lacs, en traitant les causes profondes du conflit, dont beaucoup sont de
nature régionale »954. Il semble donc que les structures et la volonté soient réunies pour
envisager le développement d’une justice transitionnelle régionale. Il reste à déterminer la
forme que pourrait prendre cette action.
385. Il apparaît tout d’abord que les pratiques de justice traditionnelle sont peu adaptées à
une mise en œuvre régionale, principalement du fait de leur caractère très local et de la grande
diversité qui les caractérise. Un rôle peut en revanche être joué par les mécanismes de
recherche de la vérité, de poursuites pénales et même, dans une moindre mesure, pour ceux
concernant les lustrations et les réparations. En ce qui concerne les commissions vérité, on a
déjà montré que la compréhension des conflits serait facilitée par une approche régionale
permettant de retracer les aspects transfrontaliers des conflits. L’initiative d’ONG pour
l’instauration d’une « regional commission for the establishment of facts about war crimes
and other serious violations of human rights committed in the former Yugoslavia from
January 1, 1991 until December 31, 2001 » (RECOM), une commission vérité régionale955,
montre qu’une demande existe dans ce sens.
Un tel mécanisme de recherche de la vérité pourrait également servir à parfaire, à
travers ses recommandations, les programmes de lustration et de réparations, surtout lorsque
ces dernières sont symboliques. Ces programmes bénéficieraient sans doute d’informations
952
UN Doc. S/2007/753, Annexe, Missions et attributions du Bureau des Nations Unies pour l’Ariqe de l’Ouest
(BNUAO) de janvier 2008 à décembre 2010, 21 décembre 2007. L’UNOWA est la première mission politique
spéciale à se voir attribuer un mandat explicite et global en termes de justice transitionnelle. Voir Annexe III,
Missions politiques spéciales et justice transitionnelle.
953
Voir par exemple VAN LEEUWEN (M.), « Imagining the Great Lakes Region : discourses and practices of
civil society regional approaches for peacebuilding in Rwanda, Burundi and DR Congo », Journal of Modern
African Studies, vol. 46, n° 3, 2008, pp. 393-426 et Institute for Justice and Reconciliation, « Regional
reconciliation in Africa : policy recommendations for cross-border transitional justice », Policy Brief, n° 14,
2014, 12 p.
954
UN Doc. S/PRST/2016/2, Maintien de la paix et de la sécurité internationales, 31 mars 2016, p. 4.
955
Voir le site de l’initiative : http://www.recom.link/. Voir aussi LEKHA SRIRAM (C.), ROSS (A.), « Closing
impunity gaps », op. cit., p. 22 et note 53.
243
plus complètes sur les origines, les acteurs, les victimes et le déroulement du conflit,
informations que pourrait apporter un mécanisme régional de recherche de la vérité.
386. L’apport le plus important de cette approche régionale se trouve probablement dans les
poursuites pénales. On a déjà évoqué les carences, en termes de justice, impliquées par
l’absence de compétence régionale du TSSL. C’est cette même carence qui motive la volonté,
aujourd’hui partiellement accomplie, d’organiser des procès globaux pour les crimes commis
par les dictatures latino-américaines dans le cadre du Plan Condor. En effet, les procès
nationaux classiques sont peu à même d’appréhender la dimension globale de cette
organisation de la répression entre les dictatures du Chili, de l’Argentine, de l’Uruguay, du
Brésil, du Paraguay et de la Bolivie. Récemment, deux procès majeurs ont partiellement
répondu à cette limite en regroupant de nombreuses plaintes de victimes issues de plusieurs
États et concernant des inculpés de diverses nationalités. En multipliant les nationalités des
victimes et des inculpés, ces « procès Condor », bien que tenus devant des juridictions pénales
nationales, portent l’espoir d’un jugement, non pas de cas isolés et décontextualisés, mais
d’une mécanique globale du conflit latino-américain956.
Le principal obstacle de cette évolution demeure, comme du reste, pour la justice
transitionnelle nationale, la souveraineté des États et le manque régulier de volonté politique
de conduire d’authentiques programmes de lutte contre l’impunité. La multiplication des
parties à cette stratégie de justice transitionnelle présente également d’importants défis en
termes de négociation.957 Il demeure que l’intérêt renaissant pour les juridictions pénales
hybrides permet de nourrir l’espoir de voir une telle juridiction combiner les avantages en
termes de compétences matérielle et géographique du TPIY et les attributs de tribunaux tel le
TSSL.
956
Les procès en question se tiennent à Rome et à Buenos Aires. Sur le procès de Rome, voir BOUVET (L.),
« Le procès Condor de Rome : chronique d’une occasion manquée », in MASSIAS (J.-P.), PHILIPPE (X.),
PLAS (P.), dir., Annuaire de Justice pénale internationale et transitionnelle - 2015, Institut universitaire de
Varenne, Bayonne, 2018, pp. 471-506. Sur celui de Buenos Aires voir LESSA (F.), « Operation Condor : justice
or transnational crimes in South America », The Argentina Independent, 8 octobre 2014 et LESSA (F.), « Justice
beyond borders : the Operation Condor trial and accountability for transnational crimes in South America »,
IJTJ, vol. 9, n° 3, 2015, pp. 494-506.
957
LEKHA SRIRAM (C.), ROSS (A.), « Closing impunity gaps », op. cit., pp. 24-25.
245
Chapitre 2. Le recours maladroit à la justice
internationale pénale comme mécanisme de
justice transitionnelle
387. En se disant convaincu que le TPIR contribuerait « au processus de réconciliation
nationale »958 au Rwanda, le Conseil de sécurité marquait l’entrée de la justice internationale
pénale, tout juste ressuscitée959, dans le monde de la justice transitionnelle. Les tribunaux
internationaux ont commencé à dépasser leur mission rétributive, centralisée sur les criminels,
pour aborder la justice pénale sous un angle réparateur, orienté vers les victimes. Cette
évolution n’a pas été conduite sans tensions. Le représentant de la République Tchèque au
Conseil de sécurité les a bien résumées lors des débats tenus à l’occasion de l’adoption de la
résolution 955 lorsqu’il a déclaré que :
« [la] justice est une chose ; la réconciliation en est une autre. Le Tribunal
pourrait devenir le véhicule de la justice, mais il n’est pas conçu pour être un
véhicule de réconciliation. La Justice s’occupe des criminels, qu’ils comprennent
ou non qu’ils se sont fourvoyés. Mais la réconciliation est bien plus compliquée,
et elle est impossible tant que les criminels n’auront pas manifesté de
repentir. »960
388. Les TPI ont rapidement montré leurs limites quant à cette nouvelle mission, inadaptée à
une justice qualifiée de « hors sol »961. Le choix a alors été fait, non de revenir sur
l’attribution d’objectifs visiblement trop ambitieux aux juridictions internationales pénales,
mais plutôt d’adapter ces dernières aux premiers. Cette adaptation était d’autant plus
nécessaire que le développement rapide de la justice transitionnelle onusienne et l’adoption
d’une approche holiste a multiplié les attentes vis-à-vis de la justice internationale pénale,
objet elle aussi d’un intérêt croissant de la communauté internationale, multipliant la création
de juridictions aux caractéristiques toujours plus novatrices et au sein desquelles les victimes
sont devenues des acteurs et des objets principaux.
958
S/RES/955 (1994), préambule.
La résolution 827 (1993) créant le TPIY avait été adoptée 18 mois plus tôt.
960
UN Doc. S/PV.3453, 8 novembre 1994, p. 7.
961
HAZAN (P), La justice face à la guerre, op. cit., p. 239.
959
246
389. L’intégration des objectifs de la justice transitionnelle dans les mandats des juridictions
internationales pénales s’est ajoutée à une précédente évolution de ces dernières, née avec la
création du TPIY. Il s’agit de la tâche qui a été dévolue à ce tribunal, ainsi qu’à bon nombre
de ceux qui ont suivi, de participer au maintien de la paix et de la sécurité, justifiant sa
création sur le fondement du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies962. Cette approche de
la justice internationale pénale n’est pas anodine. Elle confère à un organe éminemment
politique un vaste pouvoir de contrôle sur le déclenchement et la conduite de l’action
judiciaire, exposant la justice internationale pénale à la critique vis-à-vis de son
impartialité963. En conséquence, cette justice devient un instrument dont cet organe dispose de
façon discrétionnaire pour servir son objectif politique de maintien de la paix et de la sécurité.
390. Les deux évolutions de la justice internationale présentées ci-dessus se sont effectuées
sans réflexion préalable quant à leur opportunité ou à leurs conséquences sur les procès
pénaux. C’est donc à travers l’expérience que l’intégration des objectifs de la justice
transitionnelle à la justice internationale pénale s’est révélée délicate (Section I). Quant au
Conseil de sécurité, son apparent engouement initial pour la lutte contre l’impunité pénale a
immédiatement laissé place à une position beaucoup plus réticente vis-à-vis de cette dernière
(Section II).
Section I
L’intégration délicate de la justice internationale
pénale au sein de la justice transitionnelle
391. Les juridictions pénales internationales et internationalisées ont été développées, hors le
cas des TMI, parallèlement au développement de l’action onusienne dans le domaine de la
justice transitionnelle. Chronologiquement, leur apparition, au travers des TPI, correspond
aux premières actions de l’ONU dans la justice transitionnelle et leur transformation, à travers
leur hybridation, correspond à la fixation de l’approche holiste de la justice transitionnelle
adoptée par l’ONU964. Cette relation dépasse pourtant la simple concomitance. Il est certain
que, participant à la garantie du droit des victimes à la justice, les juridictions internationales
pénales ont leur place dans la construction conceptuelle de la justice transitionnelle telle
qu’adoptée par l’ONU. L’Organisation ne s’est pourtant pas contentée de créer ou de
962
S/RES/827 (1993).
« La justice sélective, celle qui ne frappe que nos ennemis, est-elle encore de la justice ? » se demandait par
exemple Tzvetan Todorov à propos du TPIY. TODOROV (T.), « Les limites de la justice » in CASSESE (A.),
DELMAS-MARTY (M.), dir., Crimes internationaux et juridictions internationales, PUF, Paris, 2002, p. 47.
964
Voir supra, partie 1, titre 1, chapitre 2.
963
247
contribuer à créer des mécanismes de justice pénale aux côtés d’autres mécanismes de justice
transitionnelle, avec l’idée que leurs effets cumulés favoriseraient les objectifs attribués à
cette justice. L’ONU a plutôt cherché à faire dépasser aux juridictions pénales internationales
le rôle rétributif traditionnellement dévolu aux procès pénaux afin de leur faire porter, en
elles-mêmes, le poids des objectifs de la justice transitionnelle. Ces juridictions se trouvent
alors en charge d’objectifs comme l’établissement des faits, la fourniture de réparations aux
victimes ou encore le rétablissement de l’état de droit. L’ampleur de ces tâches incite à
nuancer les accomplissements de cette tentative d’adaptation des juridictions pénales
internationales aux objectifs de la justice transitionnelle (§ 1).
L’intégration, certes partielle, de la justice internationale pénale au sein de la justice
transitionnelle a révélé les liens quasi-filiaux unissant ces deux domaines, ainsi que les
influences qu’ils ont et continuent d’exercer l’un sur l’autre. L’intensité de ces influences a
toutefois mené à enfermer chacun de ces domaines dans des postures ne leur correspondant
qu’imparfaitement. À trop se rapprocher l’une de l’autre, la justice transitionnelle et la justice
internationale pénale risquent d’appauvrir leurs spécificités et de se dénaturer mutuellement
(§ 2).
§1/La tentative d’adaptation des juridictions pénales internationales aux
objectifs de la justice transitionnelle
392. Le dépassement de l’objectif rétributif des juridictions pénales internationales a
nécessité une double évolution. La première est conceptuelle. Elle implique de modifier la
vision du procès pénal en lui découvrant des vertus nouvelles, telle la réconciliation nationale,
compatibles avec les objectifs de la justice transitionnelle. La deuxième est structurelle et
suppose d’adapter les juridictions afin de les rendre mieux à même de remplir les objectifs
vertueux préalablement identifiés. C’est à la lumière de cette double évolution qu’apparaît le
caractère extrêmement ambitieux de l’attribution des objectifs de la justice transitionnelle aux
juridictions pénales internationales (A). Cette ambition, probablement démesurée, a
inévitablement mené à un bilan mitigé de ces juridictions vis-à-vis de ces objectifs (B).
248
A) L’attribution ambitieuse des objectifs de la justice transitionnelle aux
juridictions pénales internationales
393. L’entrée des juridictions pénales internationales dans le monde de la justice
transitionnelle peut être située à la création du TPIR en novembre 1994. Ce tribunal fût le
premier à se voir attribuer un objectif de réconciliation nationale965, notion totalement absente
de la création du TPIY. Dans cette optique, l’hybridation des juridictions pénales
internationales répond tout autant à des impératifs pragmatiques, tels que le coût faramineux
des TPI, qu’idéologiques. En 2004, le Secrétaire général considérait que ces tribunaux avaient
pour objectifs de « traduire en justice les responsables de graves violations des droits de
l’homme et du droit humanitaire; mettre un terme à ces violations et empêcher qu’elles se
reproduisent ; rendre justice et dignité aux victimes ; établir l’historique des événements
passés ; promouvoir la réconciliation nationale ; rétablir l’état de droit ; et contribuer à la
restauration de la paix »966. En conséquence, les juridictions pénales internationales ne se
limitent plus à constituer l’élément rétributif inséré au sein de programmes plus larges de
justice transitionnelle, mais incarnent en elles-mêmes, bien que de façon partielle, cette justice
transitionnelle.
394. La pertinence de faire porter une si lourde responsabilité aux tribunaux internationaux
peut et doit être interrogée. La question dépasse d’ailleurs le cadre de ces juridictions pour
concerner l’ensemble des jugements portant sur des crimes de masse et qui se trouvent ainsi à
juger, non de simples criminels, mais des acteurs de l’Histoire, quelle que soit l’horreur de
leur rôle. Pierre Hazan résume bien cet aspect des grands procès quand il affirme que juger la
guerre, c’est aussi, et peut-être même d’abord, juger l’Histoire967. Il en découle pour les
tribunaux concernés une vaste tâche d’établissement des faits et du contexte dans lequel ils se
sont déroulés. Ce travail est par ailleurs indispensable aux juges confrontés aux crimes
internationaux, dont la qualification est toujours dépendante du contexte de leur commission.
Par exemple, déterminer l’existence d’un conflit est nécessaire à la qualification de crime de
guerre et la détermination de la qualité interne ou internationale de ce conflit déterminera
l’étendue de l’application du droit international humanitaire. C’est ainsi que les juges de la
chambre d’instance du TPIY ont dû retracer les liens unissant l’armée des Serbes de Bosnie
965
S/RES/955 (1994), préambule.
SGNU, S/2004/616, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice, op. cit., § 38.
967
HAZAN (P.), Juger la guerre, juger l’histoire », op. cit.
966
249
aux autorités de la République Fédérale de Yougoslavie (RFY)968, permettant à la chambre
d’appel de conclure que celles-ci exerçaient un contrôle global sur celle-là, et de qualifier
ainsi cette fraction du conflit yougoslave d’internationale969. La même remarque s’applique au
crime de génocide, dont la définition implique la détermination d’une intention génocidaire970,
et au crime contre l’humanité qui nécessite d’être commis « dans le cadre d'une attaque
généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette
attaque »971.
395. L’écriture de l’Histoire dépasse pourtant l’examen d’éléments matériels aux fins de la
qualification juridique d’un comportement criminel. Elle implique que le récit qui en émerge
soit, d’une part, cohérent et, d’autre part, qu’il s’adresse au plus grand nombre. Nous
reviendrons sur le paradoxe dans lequel se trouvent les juridictions internationales quant à la
cohérence du récit – notamment vis-à-vis de la mission d’enseignement de la démocratie qui
leur est confiée972 –on peut en revanche d’ores et déjà remarquer que les destinataires des
jugements ne sont pas les condamnés mais bien ceux qui ont vécu les violences et même,
comme en atteste le préambule de la CPI, « l’ensemble de la communauté internationale »973.
Afin d’atteindre ce vaste public, le procès international se doit d’être didactique.
396. Alors que cet aspect a initialement été délaissé par les TPI, il innerve le fonctionnement
des juridictions hybrides. Sa principale manifestation se présente dans l’emplacement de ces
juridictions sur le territoire au sein duquel les crimes ont été commis974. Afin d’aller plus loin
dans ce rapprochement, les juridictions hybrides se sont également concentrées sur le
développement de la communication de leurs travaux. Développé tardivement par les TPI975,
ce point a été central dans la stratégie du TSSL, qui a intégré, à l’initiative de ses membres,
968
Affaire n° IT-94-1-T, le Procureur c. Dusko Tadic alias « Dule », jugement, 7 mai 1997, §§ 219-229.
Affaire n° IT-94-1-A, le Procureur c. Dusko Tadic, Arrêt, 15 juillet 1999, § 148-162.
970
Dans la mesure où, pour être constitutifs de génocide, les actes incriminés doivent avoir été commis « dans
l'intention de détruire, en tout ou en partie » l’un des groupes concernés. Statut de Rome de la CPI, op cit., art. 6.
Voir par exemple le raisonnement des juges du TPIR dans l’affaire Akayesu : TPIR, Affaire n° ICTR-96-4-T,
Jean-Paul Akayesu v. the Prosecutor, judgement, 2 septembre 1998, §§ 517-524.
971
Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 7.
972
Infra, B).
973
Statut de Rome de la CPI, op. cit., préambule.
974
Voir supra, chapitre 1.
975
Le TPIY n’a créé une section de communication (« outreach ») qu’en 1999. Le TPIR n’y a procédé pour sa
part qu’en 1998. Pour cet aspect des deux tribunaux, voir respectivement NATALYA CLARK (J.)
« International war crimes tribunals and the challenge of outreach », International Criminal Law Review, vol. 9,
2009, pp. 100-106 et DAREHSHORI (S.), « Lessons for outreach from de ad hoc tribunals, the Special Court for
Sierra Leone, and the International Criminal Court », New England Journal of International and Comparative
Law, vol. 14, n° 2, 2007, pp. 299-301.
969
250
une section dédiée à la sensibilisation du public (« outreach section ») dont les qualités ont été
reconnues976 et ont contribué à populariser ce modèle. On retrouve d’ailleurs le souci
d’information du public au sein de la Cour pénale spéciale centrafricaine, qui a débuté son
travail par une série d’ « ateliers de sensibilisation » visant la société civile et les populations
d’une façon plus générale977. On peut également citer le cas cambodgien, où la section
d’information du public a distribué des versions reliées du jugement prononcé en appel contre
Duch aux survivants du camp S-21, qu’il commandait, ainsi qu’aux parties civiles978.
397. Le cas cambodgien permet d’observer la tendance au sein des juridictions pénales
internationales de développer le rôle des victimes au sein des procès. Ce tournant du droit
international pénal vers les victimes979, affirmé lors de la création de la CPI, s’est très vite
répandu au sein des juridictions hybrides. On note ainsi que le TSL980, les CETC981 et la
CPS982 centrafricaine permettent une telle participation des victimes, bien que seules les deux
dernières l’envisage sous l’angle de la constitution de partie civile. Cette particularité est
directement liée à l’élargissement des objectifs attribués à ces juridictions. Les juges des
CETC ont d’ailleurs considéré que « la participation des parties civiles à la procédure s’inscrit
dans la réalisation des objectifs déclarés de réconciliation nationale. »983 De son côté, le statut
de la CPS précise que « dans l’intérêt de la manifestation de la vérité et de la lutte contre
l’impunité, les parties civiles ainsi constituées sont dispensées des frais ordinairement générés
par ce mode de saisine du juge d’instruction. »984
398. Parallèlement à cette participation des victimes, les réparations ont également fait leur
apparition devant les juridictions hybrides, bien que de façon plus mesurée que devant la CPI.
Le TSL se contente ainsi de prévoir que les juges peuvent « identifier des victimes ayant subi
976
CASSESE (A.), « Report on the Special Court for Sierra Leone, submitted by the independent expert Antonio
Cassese », 12 décembre 2006, p. 9.
977
Informations disponibles sur le site de la CPS : http://www.cps-rca.cf/fr .
978
CETC, communiqué, « Distribution of Appeal Judgement to S-21 survivors and Civil Parties », 18 mai 2012.
979
Voir sur cette question RAUSCHENBACH (M.), SCALIA (D.), « Victims and international criminal justice :
a vexed question ? », RICR, vol. 90, n° 870, 2008, pp. 442-444 ; SIMMALA (D. G.), « La participation de la
victime à la procédure devant le Tribunal Spécial pour le Liban », Revue Québécoise de Droit International,
vol. 25, n° 2, 2012, pp. 145-149 ; KROKER (P.), « Transitional justice policy in practice : victim participation in
the Khmer Rouge tribunal », German Yearbook of International Law, vol. 53, 2010, pp. 753-758 ; NGUYEN
(D.), Le statut des victimes dans la pratique des Juridictions Pénales Internationales, thèse de doctorat, Lyon,
Université Jean Moulin, soutenue le 25 septembre 2014, pp. 237-250.
980
Statut du TSL, op. cit., art. 17.
981
CETC, Règlement de procédure et de preuve, règle 23.
982
Statut de la CPS, op. cit., art. 40.
983
Dossier No°. 002/19-09-2007-ECCC/BCJI (CP01), Décision relative à la participation des parties civiles aux
appels en matière de détention provisoire, 20 mars 2008, § 37.
984
Statut de la CPS, op. cit., art. 40.
251
un préjudice en raison de crimes commis par un accusé reconnu coupable par le Tribunal »985.
Cette identification est conçue pour faciliter les actions en réparation des victimes devant les
juridictions nationales986. Les CETC ne peuvent quant à elles accorder que des réparations
collectives et morales987.
399. Toutes ces dispositions témoignent de l’évolution des juridictions pénales
internationales et de leur tendance à chercher à « combine retributive and restorative
principles »988. Toutefois, les bienfaits de la poursuite de ces objectifs par les juridictions
pénales restent à démontrer. Le procès pénal, en raison de l’importance de la protection des
droits de l’accusé, n’est pas aussi souple que les autres mécanismes de justice transitionnelle.
Cela questionne, d’une part, sa capacité à répondre de façon satisfaisante à ces objectifs et,
d’autre part, la pertinence même de l’intégration de ces derniers dans le procès pénal.
B) Le bilan mitigé des juridictions pénales internationales vis-à-vis des
objectifs de la justice transitionnelle
400. La capacité des tribunaux internationaux à remplir, ou du moins participer à remplir les
objectifs qui leur sont assignés, est essentiellement incantatoire. Le caractère extrêmement
flou des vertus prêtées à la conduite de procès pénaux pour les crimes de masse – la vérité, la
réconciliation, la guérison, la reconstruction de l’État… – limite la possibilité d’une
évaluation sérieuse de leur accomplissement et encore moins de l’attribution de ce dernier aux
procès. Cherchant à mettre fin à l’absence de fondement de ces vertus, une recherche
empirique s’est développée989. Elle porte sur l’impact des poursuites pénales, ainsi que de la
justice transitionnelle de façon plus générale, sur les différents publics visés. Les études
menées sur ce modèle, consistant essentiellement en des interviews de victimes des
populations concernées de façon générale ou encore des accusés990, ont permis l’émergence
985
Statut du TSL, op. cit., art. 25. 1.
Ibid., art. 25. 3.
987
CETC, Règlement de procédure et de preuve, règle 23 quinquies 1. Sur la question de la réparation devant les
juridictions pénales internationales, voir NGUYEN (D.), Le statut des victimes dans la pratique des Juridictions
Pénales Internationales, op. cit., pp. 482-596.
988
MACGONIGLE (B.), « Two for the price of one », op. cit.
989
Voir notamment BAXTER (V.), CHAPMAN (A. R.), VAN DER MERWE (H.), dir., Assessing the impact of
transitional justice. Challenges for empirical research, United States Institute of Peace Press, Washington D. C.,
2009, 344 p. ; OLSEN (T. D.), PAYNE (L. A.), REITER (A. G.), Transitional justice in balance, op. cit. Voir
également le constat du manque d’éléments empiriques soutenant les assertions quant au rôle des procès dans la
réconciliation in FLETCHER (L.), WEINSTEIN (H. M.), « Violence and social repair », op. cit., p. 585.
990
SCALIA (D.), « Expérience de justice internationale pénale », op. cit.
986
252
de certaines données qui incitent globalement à modérer les attentes que pourraient
légitimement remplir les tribunaux internationaux.
401. Du point de vue de la reconstruction de l’appareil judiciaire étatique, le bilan des
juridictions hybrides est peu élogieux. Les CETC ne semblent pas avoir eu d’impact
significatif sur la corruption caractérisant le système judiciaire cambodgien991. Les Panels
spéciaux au Timor ont eux-mêmes connus toutes les peines pour fonctionner de façon
satisfaisante dans un contexte de pénurie de moyens financiers et humains grave992. Il semble
que leur participation à la formation des acteurs judiciaires locaux ait également été très
modeste993. Les panels 64 au Kosovo n’ont pas connu un plus grand succès, dans la mesure où
le personnel international a été assez mal accepté par les juges et procureurs nationaux,
compliquant ainsi toute ambition de formation994. Le bilan du TSSL est également contesté à
cet égard995. Devant la chambre spéciale pour crimes de guerre créée en Bosnie-Herzégovine,
le soutien aux juridictions nationales n’a pas fait l’objet d’une réelle institutionnalisation. Les
activités conduites ont été majoritairement le fait d’initiatives personnelles des juges
internationaux996.
Le rôle des TPI peut également être abordé. Bien que la reconstruction des systèmes
judiciaires ne fasse pas partie de leurs objectifs initiaux, la stratégie d’achèvement de leurs
travaux prévoyait, entre autres, le renvoi d’affaires concernant des responsables subalternes
devant les juridictions nationales997. L’article 11 bis commun aux règlements de procédure et
de preuve des TPI dispose que la formation de renvoi doit, avant d’ordonner un tel renvoi,
« s’être assurée que l’accusé bénéficiera d’un procès équitable et qu’il ne sera pas condamné à
la peine capitale ni exécuté »998. On peut donc considérer que cette procédure permettait, en
théorie, de promouvoir les normes du procès équitable ainsi que leur effectivité. Dans le cadre
de cette stratégie, les membres du TPIY ont procédé à la formation des représentants des
991
Open Society Foundation, « Performance and perception. The impact of the Extraordinary Chamber in the
Courts of Cambodia », 2016, pp. 51-58.
992
BROOKS (R.), STROMSETH (J.), WIPPMAN (D.), Can might make rights ?, op. cit., pp. 278-285.
993
Ibid.
994
Ibid., pp. 275-278.
995
STENSRUD (E. E.), « New dilemmas in transitional justice : lessons from the mixed courts in Sierra Leone
and Cambodia », Journal of Peace Research, vol. 46, 2009, pp. 6-10.
996
Voir Human Rights Watch, « Justice for atrocity crimes. Lessons of international support for trials before the
State Court of Bosnia and Herzegovina », mars 2012, pp. 20-31. À propos de l’impact de la Cour spéciale sur les
institutions nationales, l’ONG note que « the record is mixed ». Ibid., p. 20.
997
Voir S/RES/1503/ (2003).
998
Voir Règlement de procédure et de preuve du TPIY (RPP - TPIY), art. 11 bis B) et Règlement de procédure
et de preuve du TPIR (RPP - TPIR), art. 11 bis B).
253
juridictions nationales999. Toutefois, il faut noter que seuls treize accusés ont fait l’objet d’un
tel renvoi, dont dix ont été renvoyés devant la chambre spéciale de Bosnie-Herzégovine1000.
Le TPIR a, quant à lui, renvoyé dix accusés devant des juridictions nationales, dont deux en
France et huit au Rwanda1001. Des efforts similaires de renforcement du système judiciaire
rwandais ont été menés, essentiellement par le Bureau du procureur1002. Les programmes
menés apparaissent toutefois limités1003.
402. Au-delà de ces considérations, ce sont dans les domaines touchant les victimes au plus
près que les juridictions pénales internationales échouent majoritairement à remplir les
objectifs qui leurs sont assignés. Qu’il s’agisse d’établissement de la vérité ou de participation
à la réconciliation, les tribunaux internationaux dépendent de la réception, par le public visé,
de leurs jugements. Or, ce travail est nécessairement complexe. Toutes les personnes
concernées par les procès – victimes, accusés et tous ceux pouvant être assimilés à l’un ou
l’autre de ces groupes – abordent les procès avec une vision préconçue des faits, impliquant
bien souvent que l’une des parties avait tort et l’autre, celle à laquelle on appartient, raison.
Pour permettre un accord sur les faits et envisager un impact, même minime, sur la
réconciliation, les tribunaux doivent donc être capables de modifier les conceptions que les
populations ont développé des causes et du déroulement des violences. C’est ainsi la
perception de la légitimité tout à la fois des tribunaux en eux-mêmes, des inculpations, puis
des procès qui conditionne leur impact sur la société.
Les études montrent qu’à cet égard, les tribunaux échouent majoritairement. Pierre
Hazan remarquait à propos du TPIY que les populations serbes, abreuvées par la propagande
d’État, continuaient de nier l’existence ou l’ampleur des crimes commis sur les ordres de
Milosevic, Mladic et Karadzic, considérant que ces accusations relevaient de la
« propagande »1004. Côté croate, certains condamnés, une fois leur peine effectuée, étaient
accueillis en triomphe dans leur pays1005. La même tendance s’observe en Sierra Léone, où
999
UN Doc. S/2017/1001, annexe, Assessment and Report of Judge Carmel Agius, President of the International
Tribunal for the Former Yugoslavia, provided to the Security Council pursuant to paragraph 6 of Security
Council resolution 1534 (2004), 29 novembre 2017, § 84.
1000
Ibid., § 86.
1001
TPIR, Bureau du Procureur, « Complementarity in action : lessons learned from the ICTR prosecutor’s
referral of international criminal cases to national jurisdictions for trial », février 2015, § 21.
1002
Ibid., §§ 45-76.
1003
UN Doc. S/2017/1001, annexe, Assessment and Report of Judge Carmel Agius, op. cit., §§ 128-133.
1004
HAZAN (P), La justice face à la guerre. op. cit., p. 246.
1005
Ibid., p. 251. Dans le même sens, voir KLARIN (M.), « The impact of the ICTY trials on public opinion in
the former Yugoslavia », JICJ, vol. 7, n° 1, 2009, pp. 89-96 ; BIROS (M.) et al., « Attitudes towards justice and
254
l’inculpation de l’ancien Ministre Sam Hinga Norman a été mal accueillie par les Sierra
Léonais, qui considéraient majoritairement cet homme comme un héros ayant combattu
l’agresseur qu’était le Revolutionary United Front (RUF) mené par Foday Sankoh1006. Au
Kosovo, on retrouve sans surprise la même tendance que devant le TPIY, chaque
communauté estimant toujours que l’autre est le principal responsable des violations
commises1007. Il apparaîtrait en revanche que le cas des CETC fasse exception, dans la mesure
où les procès des principaux responsables des massacres commis par le régime des Khmers
Rouges feraient l’objet d’un soutien significatif de la part de la population. Ces procès
auraient ainsi permis de libérer la parole des cambodgiens sur ce sujet jusqu’alors
majoritairement tabou1008. Ce cas pourrait toutefois souligner les limites des procès pénaux
plus qu’il n’en constitue une réfutation, dans la mesure où, de toutes les juridictions
internationales – si l’on excepte les Chambres africaines extraordinaires créées pour ne juger
que Hissen Habré, les CETC sont celles qui ont prononcé le moins de condamnations1009 et
qui connaissent la temporalité la plus éloignée des faits poursuivis. De plus, les procès
qu’elles ont menés ont été peu sujets à polémiques, les accusés étant âgés et ne bénéficiant
plus de réel soutien parmi la population. Les observateurs restent en revanche prudents quant
à l’impact que pourrait avoir le jugement de personnalités bénéficiant d’un soutien, ou
simplement d’une influence, plus grande1010. Ces données suggèrent donc que les procès
internationaux ne sont que peu à même de modifier les perceptions que les populations ont
des différents acteurs des violences1011.
403. L’impact des procès internationaux sur les principaux protagonistes des procès, les
victimes et les accusés, ne semble pas plus correspondre à la vertu cathartique qui leur est
souvent prêtée. Les personnes ayant témoigné devant le TPIY se sont régulièrement déclarées
social reconstruction in Bosnia and Herzegovina and Croatia », in STOVER (E.), WEINSTEIN (H.-M.), My
neighbor, my enemy, op. cit., pp. 183-205.
1006
Sam Hinga Norman a occupé les positions de ministre adjoint à la défense et de ministre des affaires
intérieures de la Sierra Léone durant les années de conflit opposant le gouvernement au RUF de Foday Sankoh.
Voir KELSALL (T.), SAWYER (E.), « Truth vs. justice ? Popular views on the Truth and Reconciliation
Commission and the Special Court for Sierra Leone », Online Journal of Peace and Conflict Resolution, vol. 7,
n° 1, 2007, pp. 58-60 ; FORD (S.), « A social psychology model of the perceived legitimacy of international
criminal courts : implications for the success of transitional justice mechanisms », Vanderbilt Journal of
Transnational Law, vol. 45, n° 2, 2012, pp. 441-448.
1007
Ibid., pp. 452-454 ; PNUD, « Public perceptions on transitional justice », 2007, p. 20.
1008
Open Society Foundation, « Performance and perception », op. cit., p. 71 et pp. 76-80.
1009
Les CETC n’ont pour l’instant prononcé de condamnations qu’à l’encontre de trois accusés.
1010
Open Society Foundation, « Performance and perception », op. cit., pp. 82-83.
1011
Stuart Ford tente d’expliquer les causes profondes de cet échec et observe que toutes les populations ont
tendance à rejeter la culpabilité des accusés issus de leur communauté. voir FORD (S.), « A social psychology
model », op. cit.
255
déçues par leur expérience1012. Même les CETC, juridiction accordant le plus de place aux
victimes au sein de la procédure, font l’objet d’opinions mitigées de la part des parties civiles,
notamment du fait de l’absence de réparations individuelles et du manque d’attention dont les
victimes font individuellement l’objet, du fait de leur trop grand nombre et des ressources
limitées de cette juridiction1013.
404. Il est possible que toutes les limites envisagées ci-dessus ne fassent que refléter les
carences que connaissent les juridictions pénales internationales en termes de légitimité. Il est
vrai que les TPI, en ne poursuivant pas les actions de l’OTAN pour l’un et celles du Front
Patriotique Rwandais (FPR) pour l’autre, ont pu apparaître comme une justice des
vainqueurs1014. Il est également vrai que la création des panels 64 au Kosovo s’est effectuée
sans grande considération pour les juges nationaux et suivant une procédure peu respectueuse
de l’état de droit1015. Cependant, le TSSL n’échappe pas à la critique alors que sa légitimité en
tant que telle n’est pas contestée par les populations. Les limites des juridictions
internationales est donc peut-être à rechercher ailleurs. Pire, elles pourraient leur être
intrinsèque.
405. Il y a en effet un paradoxe dans la recherche d’une vérité qui serait facteur de
réconciliation au travers de procédures équitables permettant aux accusés de promouvoir leur
version, souvent divergente, des faits. Que les juges rejettent cette version par le biais de la
condamnation n’a que peu d’importance. Les réactions des populations serbes à l’encontre du
TPIY sont éloquentes à cet égard. En laissant la parole aux accusés, le procès pénal ne
promeut pas l’établissement d’une vérité unique mais plutôt l’encadrement procédural de
l’expression de versions divergentes des faits. C’est alors moins la vérité qui est recherchée
que ce que Mark Osiel appelait la « solidarité discursive » 1016, autrement dit la capacité des
acteurs d’exprimer de façon pacifique leur opposition. Ainsi, pour pouvoir atteindre l’objectif
de vérité et de réconciliation, les juridictions internationales devraient mettre à mal les droits
1012
STOVER (E.), « Witnesses and the promises of justice in The Hague », in STOVER (E.), WEINSTEIN (H.M.), My neighbor, my enemy, op. cit., pp. 104-109.
1013
MOHAN (M.), « The paradox of victim-centrism : victim participation at the Khmer Rouge tribunal »,
International Criminal Law Review, vol. 9, n° 5, 2009, pp. 733-775 ; MACGONIGLE (B.), « Victim-oriented
measures at international criminal institutions : participation and its pitfalls », International Criminal Review,
vol. 12, vol. 3, 2012, pp. 404-406.
1014
Voir par exemple : TODOROV (T.), « Les limites de la justice », op. cit., p. 47 ; CRUVELLIER (T.), Le
tribunal des vaincus : un Nuremberg pour le Rwanda ?, Calmann-Lévy, Paris, 2006, 269 p.
1015
Voir supra, chapitre 1.
1016
OSIEL (M.), Juger les crimes de masse, op. cit., pp. 69-98.
256
de l’accusé et se muer en « show trials »1017. La perspective n’est bien évidemment pas
envisageable, d’autant que de tels procès feraient de piètres exemples pour leur mission de
rétablissement de l’état de droit. La solution restante consisterait à revenir à une vision plus
modeste du procès pénal. Mais des procès concernant des crimes de masse, qui plus est
lorsqu’ils sont menés par des tribunaux internationaux, soumis à la générosité des donateurs,
peuvent-ils se contenter d’une dimension modeste ? L’orientation du droit international pénal
vers les victimes est-elle réversible, pour autant qu’elle soit effectivement souhaitable ?
Bien que ces questions puissent paraître limitées à une polémique doctrinale, il n’en est
rien. Si les juridictions internationales n’ont pas cédé au procès spectacle, le moralisme qui
imprègne le jugement des crimes de masse et la justice restauratrice1018 risque de dénaturer la
justice pénale pour lui faire endosser la responsabilité de répondre aux attentes des victimes.
Parallèlement, le rôle grandissant de la justice internationale pénale au sein de la justice
transitionnelle risque également d’irriguer cette dernière par un mode de responsabilité qui ne
lui sied que partiellement. Le risque de dénaturation est donc réciproque.
§2/Le risque de dénaturation réciproque de la justice internationale
pénale et de la justice transitionnelle
406. La justice internationale pénale et la justice transitionnelle sont liées par des liens de
filiation. La justice transitionnelle est considérée comme héritière des principes de
responsabilité individuelle consacrés à Nuremberg1019, alors que la justice internationale
pénale contemporaine s’est développée grâce et suivant l’agenda fixé par l’avènement de la
justice transitionnelle au cours des années quatre-vingt-dix. C’est cet agenda qui a permis de
placer la victime au centre d’un effort renouvelé de lutte contre l’impunité. Chacun de ces
domaines s’est donc appuyé sur le principe fondateur de l’autre pour assurer son
développement.
1017
KOSKENNIEMI (M.), « Between impunity and show trials », op. cit., pp. 1-35.
Sandrine Lefranc rappelle ainsi l’ancrage religieux des premiers militants de la justice restauratrice. Voir
LEFRANC (S.), « La production de nouvelles techniques de pacification : la normalisation internationale des
causes locales », in EBERWEIN (W.-D.), SCHEMEIL (Y.), dir., Normer le monde, L’Harmattan, Paris, 2009,
pp. 81-85.
1019
Ruti Teitel affirme ainsi que « Nuremberg’s legacy (…) continues to guide our thinking about transitional
and post-conflict justice ». TEITEL (R.), « Transitional justice : postwar legacies », Cardozo Law Review,
vol. 27, n° 4, 2006, p. 1617. Voir dans le même sens HAZAN (P.), Juger la guerre, juger l’Histoire, op. cit.,
pp. 17-26.
1018
257
Le problème survient lorsque ce qui était initialement un emprunt vient se substituer au
principe fondateur propre à chaque domaine. La moralité dont bénéficie la justice
transitionnelle à travers la centralité de la victime présente alors le risque de porter atteinte au
respect des droits de l’accusé lorsqu’elle s’applique à la justice internationale pénale (A).
Réciproquement, la responsabilité individuelle propre à la justice internationale pénale peut
s’avérer excessive pour une justice transitionnelle théoriquement tournée vers les victimes et
privilégiant une approche holiste des réponses aux violations massives des droits de l’Homme
(B).
A) La moralité de la justice transitionnelle et le respect chancelant des
principes du droit international pénal
407. De création relativement récente, le droit international pénal se trouve encore dans une
phase de formation. L’absence de création de juridictions pénales internationales entre les
tribunaux militaires d’après guerre et les TPI a limité le développement d’une jurisprudence et
d’une coutume internationales permettant de clarifier les règles et principes applicables dans
le contexte particulier de ces juridictions. Le recours aux principes généraux du droit ne
permet de pallier cette lacune que de façon imparfaite. Certains principes de droit
international pénal, tirés à la fois des principes reconnus par le droit international des droits de
l’Homme et des pratiques communes aux États peuvent tout de même être identifiés. Il s’agit
principalement, et de façon non exhaustive, du principe nullum crimen nulla poena sine lege,
impliquant par exemple la non-rétroactivité de la loi pénale1020, ainsi que d’un ensemble de
droits conférés aux accusés durant le procès sous la dénomination globale du droit à un procès
équitable. Celui-ci comprend, toujours de façon non exhaustive, le droit à être jugé dans un
temps raisonnable, la présomption d’innocence, l’égalité des armes et le droit à être jugé de
façon impartiale1021.
Or, ces principes ont régulièrement été malmenés par les juridictions internationales
pénales. Le contournement du principe de légalité1022 par l’application à certains
1020
CASSESE (A.), International criminal law, op. cit., pp. 36-51.
Ibid. pp. 379-394. Voir également ZAPPALA, (S.), « The rights of victims v. the rights of the accused »,
JICJ, vol. 8, n° 1, 2010, pp. 145-152 ; MACGONIGLE (B.), « Victim-oriented measures at international
criminal institutions », op. cit., p. 397.
1022
Dans la mesure où il apparaît évident que le principe de légalité doit être adapté en droit international en un
principe de juridicité, générant une adaptation du principe en nullum crimen nulla poena sine jure, et que cette
adaptation est aujourd’hui fermement établie, il n’est pas nécessaire d’y revenir ici. De la même façon qu’il a été
1021
258
comportements de qualifications créées ex post facto a préoccupé les juges internationaux dès
leur entrée sur la scène de la justice internationale pénale, à Nuremberg, au travers de
l’incorporation dans le mandat du tribunal du crime contre l’humanité1023. On a déjà évoqué le
maintien de cette pratique à travers l’activisme du Conseil de sécurité dans le développement
du droit international pénal coutumier, confinant à une application rétroactive de certaines
qualifications1024. Ce n’est donc pas la pratique en elle-même qu’il est nécessaire d’aborder
ici, mais sa justification. Dans cette optique, c’est le caractère extrême des crimes, leur
immoralité absolue qui impose que leurs responsables fassent l’objet d’un jugement. C’est
donc l’idée même de justice qui implique d’apprécier le principe de légalité de façon souple.
Citant Hans Kelsen, Noémie Turgis souligne ainsi que :
« in all cases where the rule against ex post facto laws comes into consideration
in the prosecution of war criminals, we must bear in mind that this rule is to be
respected as a principle of justice and that, as pointed out, this principle is
frequently in competition with another principle of justice, so that the one must be
restricted by the other »1025.
Dans ce même article, Hans Kelsen justifie son approche par l’objectif de l’interdiction
des lois rétroactives, c'est-à-dire ne pas punir quelqu’un pour un comportement dont il ne
pouvait pas connaître le caractère criminel et lui ôter ainsi l’opportunité d’adopter un
comportement conforme à la loi1026. Il en découle que le principe de non-rétroactivité ne peut
pas trouver à s’appliquer pour des actes dont l’immoralité est si flagrante que leur auteur ne
pouvait les penser exclus de toute sanction. On retrouve donc dans ces arguments l’invocation
d’un impératif supérieur de justice, qui justifierait le contournement de certains principes
pénaux1027. Cependant, on oublie que la question n’est bien souvent pas de savoir si les actes
peuvent être sanctionnés, mais sous quelle qualification ils le seront. En droit interne, cette
question de « législation internationale », il sera ici question d’un principe de légalité entendu au sens de
l’existence préalable de normes de droit international criminalisant certains comportements.
1023
DONNEDIEU DE VABRES (H.), « Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal
international », RCADI, vol. 70, 1947, pp. 505-527.
1024
Voir supra partie 1, titre 2, chapitre 1.
1025
Hans Kelsen, « the rule against ex post facto laws and the prosecution of the axis war criminals », cité in
TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., p. 279.
1026
KELSEN (H.), « the rule against ex post facto laws and the prosecution of the axis war criminals », The
Judge Advocate Journal, vol. 2, n° 3, 1945, p. 9.
1027
Noémie Turgis justifie cette situation de souplesse juridique, particulièrement devant les juridictions
nationales, par l’existence d’un « État de droit transitionnel », fondé sur les particularités des États en transition,
notamment lorsque ceux-ci sont confrontés à un ensemble normatif hérité de régimes autoritaires. Voir TURGIS
(N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 222-280.
259
question revêt une importance particulière dans la mesure où, à une certaine qualification
correspondra une juridiction spécifique (tribunal correctionnel ou cour d’assise par exemple),
ainsi qu’une peine encourue. En l’absence d’une pluralité de juridictions et de règle de droit
international encadrant les peines prévues pour les crimes internationaux1028, la question de la
qualification pourrait perdre de son sens en droit international pénal. Cependant, si tel était le
cas, pourquoi alors appliquer à certains actes des qualifications de façon rétroactive ? Il est
certain que les atrocités commises par le régime Nazi, pouvaient faire l’objet d’une
qualification de crime de guerre. Les juges de Nuremberg n’ont d’ailleurs utilisé celle de
crime contre l’humanité que de façon complémentaire à celle-là1029. L’impératif de justice
évoqué par Kelsen ne se rapporte donc pas à la volonté de sanctionner l’auteur d’un acte et,
par la sanction, de protéger la société de sa future réitération, mais bien à celle d’offrir aux
victimes et à la société internationale une forme de reconnaissance des souffrances
spécifiques qu’elles ont subies1030. La qualification du crime sert ainsi un objectif
fondamentalement réparateur qui justifie l’interprétation souple du principe de légalité, au
détriment parfois d’une clarté nécessaire à l’accusé pour assurer sa défense1031.
On entrevoit ici les prémices d’une opposition entre l’orientation du procès international
vers les victimes et le respect des droits de l’accusé. Car si une interprétation souple du
principe de légalité est tolérée, c’est en contrepartie du respect strict par les juridictions
internationales des règles du procès équitable. Or, à ce niveau également, le procès
international est sujet aux débordements.
408. C’est tout d’abord le contexte de la création des tribunaux internationaux qui met en
danger les droits de l’accusé. La charge émotionnelle que comporte inévitablement un procès
concernant des crimes de masse confère un poids considérable à la parole des victimes, qui
ont ainsi tendance à être sacralisées, au prix parfois de l’attachement des témoignages aux
1028
Soulignons au passage que cette lacune du droit international pénal, due à l’absence, jusqu’à la CPI, de
tribunal permanent, contrevient au principe de légalité des peines. Sur cette question, voir SCALIA (D.), Du
principe de légalité des peines en droit international pénal, Bruylant, Bruxelles, 2011, pp. 137-230.
1029
DONNEDIEU DE VABRES (H.), « Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal
international », op. cit., pp. 505-527.
1030
Yann Jurovics note d’ailleurs que l’incorporation du crime contre l’humanité dans le statut du Nuremberg a
servi à suppléer la qualification de crime de guerre qui était « inapte à traduire [la] spécificité » des crimes
commis par le régime Nazi. Voir JUROVICS (Y.), Réflexions sur la spécificité du crime contre l’humanité, thèse
de doctorat, LGDJ, Paris, 2002, p. 7.
1031
Claude Jorda reconnaît ainsi que l’application d’un « principe de légalité diluée » devant les TPI implique
une certaine incertitude quant à la définition des crimes au sein de laquelle « l’accusé ne s’y retrouve peut-être
pas toujours ». JORDA (C.), « Le point de vue juridique », in CASSESE (A.), DELMAS-MARTY (M.), dir.,
Crimes internationaux et juridictions internationales, op. cit., p. 72.
260
faits qu’ils sont censés contribuer à établir1032. Antoine Garapon note d’ailleurs que la
monstruosité même des crimes ainsi que la personnalité des accusés – les principaux
responsables – fausse l’impartialité du tribunal, dans la mesure où « [l’acquittement] risque
d’apparaître comme un désaveu des victimes »1033. On a pu voir à quel point ce risque pouvait
se concrétiser dans le contexte du TPIR, où la pression des victimes était de surcroît soutenue
par l’appareil étatique rwandais, dont la coopération avec le Tribunal était indispensable. Le
tollé créé par l’annulation des charges retenues contre Jean-Bosco Barayagwiza, l’un des
principaux responsables de la sinistre Radio Télévision des Mille Collines, et sa libération
subséquente par la Chambre d’appel du TPIR1034 témoigne de la difficulté qu’a éprouvé ce
Tribunal à opérer de façon indépendante. Suite aux pressions exercées par le Rwanda pour
obtenir la révision de cette décision, pressions accompagnées de menaces, d’ailleurs mises en
exécution, de suspendre toute coopération avec le TPIR, la Chambre d’appel a du revenir sur
sa décision sur des fondements tout à fait contestables afin d’assurer le jugement de M.
Barayagwiza1035.
409. Outre ces éléments étroitement liés au contexte de création des juridictions pénales
internationales, il apparaît que ces dernières, bien que consacrant formellement les droits des
accusés, n’ont que rarement permis leur réalisation concrète. Certaines juridictions ont ainsi
démontré de sérieuses carences dans l’instauration d’une certaine égalité des armes entre le
bureau du procureur et la défense. Les Panels Spéciaux créés au Timor Leste sont
caricaturaux en la matière, la défense n’ayant bénéficié d’aucun budget pour son
fonctionnement, résultant en son incapacité de faire intervenir des témoins en sa faveur1036.
1032
GARAPON (A.), Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner, Odile Jacob, Paris, 2002, pp. 170-173.
Ibid., p. 175.
1034
TPIR, Affaire ICTR-97-19-AR72, Jean-Bosco Barayagwiza v. the Prosecutor, decision, 3 novembre 1999.
L’annulation des charges était due à la violation du droit de l’accusé, entre autres, à être jugé dans un délai
raisonnable, du fait notamment de sa détention prolongée préalablement à toute inculpation Voir ibid., §§ 100101.
1035
TPIR, Affaire ICTR-97-19-AR72, Jean-Bosco Barayagwiza v. the Prosecutor, decision (prosecutor’s request
for review or reconsideration), 31 mars 2000. Pour une critique de cette décision, voir SUNGA (L.), « Full
respect for the rights of suspect, accused and convict : from Nuremberg and Tokyo to the ICC », in HENZELIN
(M.), ROTH (R.), dir., Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 230233 ; RYNGAERT (C.), « State cooperation with the International Criminal Tribunal for Rwanda »,
International Criminal Law Review, vol. 13, n° 1, 2013, pp. 129-132.
1036
Sur les dysfonctionnements des Panels Spéciaux en matière de droits de la défense, voir COHEN (D),
« Seeking justice on the cheap : is the East Timor tribunal really a model for the future ? », Asia Pacific Issues,
n° 61, août 2002, pp. 1-8.
1033
261
Les manques de moyen des bureaux de la défense des TPI, créés tardivement, ont également
été dénoncés1037.
410. Ce sont surtout les impacts de l’émergence d’une tendance au sein des juridictions
internationales à permettre la participation des victimes aux procès qui causent des
inquiétudes pour les droits de la défense. Cette participation est prévue devant le TSL1038 et
les CETC1039, ainsi que devant la CPI1040. Ces juridictions prévoient la capacité des parties
civiles de formuler des appels contre certaines décisions1041, d’interroger des témoins1042, de
présenter des éléments de preuve1043 et des témoins1044 ou encore de plaider1045. Tous ces
droits multiplient les actes de procédure et ont tendance à allonger la durée des procès,
mettant ainsi en péril le droit des accusés à être jugés dans un délai raisonnable. La
multiplication des actes implique également un accroissement conséquent des dossiers à
analyser, ce qui creuse l’inégalité entre l’accusation et la défense déjà présente en raison des
disparités de moyens humains et financiers existant entre ces deux pôles1046. L’égalité des
armes a également été mise en péril par la possibilité pour les parties civiles de présenter des
preuves contre l’accusé, obligeant la défense à faire face à plusieurs accusateurs1047.
411. Les éléments présentés ci-dessus montrent que l’attention de plus en plus développée
des juridictions pénales internationales aux victimes, impulsée par l’adjonction d’une
approche réparatrice de la justice pénale à sa vocation rétributive initiale, présente des risques
quant au respect de certains principes du droit pénal et, par extension, quant à la légitimité des
poursuites que ces juridictions conduisent. Le risque ne se présente pourtant pas que dans le
1037
SKILBECK (R.), « Building the fourth pillar : defence rights at the Special Court for Sierra Leone », Essex
Human Rights Review, vol. 1, n° 1, 2004, pp. 73-74.
1038
Statut du TSL, op. cit., art. 17.
1039
CETC, Règlement de procédure et de preuve, règle 23 et s.
1040
La question de la CPI ne sera traitée que de façon accessoire ici dans la mesure où sa création a été détachée
du cadre onusien.
1041
CETC, Règlement de procédure et de preuve, règle 105 al. 1 c) ; TSL règlement de procédure et de preuve,
art. 177 A) al 1.
1042
CETC, Règlement de procédure et de preuve, règle 91 al. 2 ; TSL, règlement de procédure et de preuve,
art. 87 (B).
1043
TSL, règlement de procédure et de preuve, art. 146 (B) ii.
1044
CETC, Règlement de procédure et de preuve, règle 80 al. 2, TSL, règlement de procédure et de preuve,
art. 87 (B) et 147 (B)
1045
CETC, Règlement de procédure et de preuve, règle 94 al 1. a) ; TSL, règlement de procédure et de preuve,
art. 147.
1046
MACGONIGLE (B.), « Victim-oriented measures at international criminal institutions », op. cit., pp. 398399.
1047
Pour ce risque tel que présent devant les CETC et la CPI, voir ibid., pp. 402-403. Pour son occurrence devant
le TSL, voir DE HEMPTINNE (J), « Challenges raised by victim participation in the proceedings of the Special
tribunal for Lebannon », JICJ, vol. 8, n° 1, 2010, p. 168.
262
seul sens d’une altération du procès pénal international par son intégration de principes issus
d’une vision réparatrice de la justice transitionnelle. Cette dernière est également impactée par
le développement d’une approche de plus en plus pénaliste des violations passées.
B) La justice pénale internationale et l’individualisation excessive de la
responsabilité au sein de la justice transitionnelle
412. La justice transitionnelle s’est focalisée sur une approche individuelle de la
responsabilité. À cet égard, elle se revendique de l’héritage de Nuremberg et de la
consécration de la responsabilité pénale individuelle comme réponse privilégiée aux crimes de
masse1048. À l’instar de la justice internationale pénale, la justice transitionnelle met l’accent
sur le fait que « ce sont des hommes, et non des entités abstraites, qui commettent les crimes
dont la répression s’impose, comme sanction du droit international »1049. Traumatisée par les
effets désastreux du traité de Versailles, la communauté internationale a opté, avec les procès
de Nuremberg, pour un rejet de l’imposition d’une responsabilité collective à l’Allemagne1050.
Les TPI et l’ensemble des juridictions pénales internationales suivront ce modèle. Outre la
limitation des instruments de clémence – amnisties, grâces, prescription – qui a déjà été
abordée1051, qu’implique l’orientation pénaliste de la justice transitionnelle, celle-ci a pour
objectif assumé de rejeter la responsabilité collective, notamment au travers de sa
manifestation la plus classique, c’est-à-dire la responsabilité de l’État. Or, cette exclusion
peine aujourd’hui à se justifier.
413. Du point de vue des objectifs de la justice transitionnelle, la responsabilité individuelle
est considérée comme permettant la réconciliation nationale, contrairement à la responsabilité
collective et étatique dont les effets d’exacerbation des tensions seraient à redouter1052. Nous
avons pourtant vu que les juridictions internationales pénales présentent un bilan mitigé en
termes de réconciliation et que leurs jugements ont fait l’objet d’instrumentalisations à des
1048
FLETCHER (L. E.), « A wolf in sheep’s clothing ? Transitional justice and the effacement of state
accountability for international crimes », Fordham International Law Journal, vol. 39, n° 3, 2016, pp. 481-496.
1049
Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal Militaire International. Nuremberg 14 novembre
1945 - 1er octobre 1946, documents officiels, Nuremberg, 1947, Tome 1, p. 235.
1050
MOHAMED (S.), « A neglected option : the contributions of state responsibility for genocide to transitional
justice », University of Colorado Law Review, vol. 80, n° 2, 2009, pp. 355-356. Voir également SIMPSON (G.),
« Men and abstract entities : individual responsibility and collective guilt in international criminal law », in VAN
DER WILT (H.), NOLLKAEMPER (A.), dir., System criminality in international law, Cambridge University
Press, Cambridge, Royaume-Uni, 2009, pp. 79-80.
1051
Supra, partie 1, titre 2, chapitre 1.
1052
MOHAMED (S.), « A neglected option », op. cit., p. 129.
263
fins nationalistes. De plus, les États soumis à la compétence de mécanismes régionaux de
protection des droits de l’Homme, telles la CEDH ou la CIADH, peuvent déjà voir leur
responsabilité engagée devant ces juridictions, parfois sur des motifs extrêmement graves,
telles des pratiques de tortures1053 ou de disparitions forcées1054. Or, les décisions de ces cours
ne semblent pas générer de troubles particuliers dans les États qui en sont l’objet.
414. Même dans un contexte interétatique, la crainte de l’exacerbation des tensions ne
semble pas se concrétiser. L’arrêt de la CIJ reconnaissant la responsabilité de la Serbie dans le
génocide de Srebrenica, pour ne pas avoir rempli son obligation de prévention et de
répression1055, n’a pas provoqué de reprise des hostilités dans les Balkans. On peut également
rappeler que l’Allemagne a fait l’objet d’un ensemble de mesures autres que le jugement des
criminels nazis au sortir de la deuxième guerre mondiale, qu’il s’agisse des réformes
institutionnelles et économiques exigées par l’accord de Potsdam1056 ou des réparations dues à
Israël et aux victimes juives de la Shoah en conformité avec l’accord de Luxembourg de
19521057. Devant la CEDH, des affaires aussi sensibles que le massacre de Katyn ont bénéficié
d’un écho qui leur avait été refusé jusque-là1058. Il semblerait donc que les craintes liées au
caractère déstabilisateur de la responsabilité étatique pour des faits constitutifs de crimes
1053
Voir par exemple : CEDH, Grande Chambre, Affaire El Masri c. Ex République Yougoslave de Macédoine,
requête n° 39630/09, 13 décembre 2012 ; CIADH, Ruano Torres et al. v. El Salvador, séries C No. 303, 5
octobre 2015.
1054
Voir par exemple : CEDH, Affaire Aziyevy c. Russie, requête n° 77626/01, 20 mars 2008 ; CIADH, Peasant
Community of Santa Barbara v. Peru, séries C No. 299, 1er septembre 2015.
1055
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, CIJ, Recueil 2007, p. 43.
1056
Les principes issus de l’accord de Potsdam insistaient en effet sur la culpabilité du peuple Allemand. Le
principe 3 (ii) disposait que l’occupation de l’Allemagne devait servir à « convince the German people that they
have suffered a total military defeat and that they cannot escape responsibility for what they have brought upon
themselves, since their own ruthless warfare and the fanatical Nazi resistance have destroyed German economy
and made chaos and suffering inevitable. » Accord de Potsdam, 1er août 1945, Partie II, A, principe 3 (ii). Le
même accord prévoyait également « [the] complete disarmament and demilitarization of Germany and the
elimination or control of all German industry that could be used for military production. » Ibid., principe 3 (i).
1057
Voir « Agreement between the state of Israel and the Federal Republic of Germany », Luxembourg, 10
septembre 1952, RTNU, vol. 162, 1953, p. 205. Par cet accord, l’Allemagne acceptait de verser une somme de
450 millions de Deutsche Mark pour l’aide à l’installation en Israël des réfugiés juifs ainsi qu’une somme de 3
milliards de Deutsche Mark en compensation des souffrances infligées aux populations juives. Ibid., articles 2 et
1. Voir sur cette question : ARMSTRONG (A.), COLONOMOS (A.), « German reparations to the jews after
World War II : a turning point in the history of reparations », in DE GREIFF (P.), dir., The handbook of
reparations, Oxford University Press, Oxford, 2006, pp. 399-402.
1058
Ce massacre fait référence à l’exécution de plus de 20 000 hommes polonais, dont un grand nombre
d’officiers, sur ordre de Staline, en 1940. La Russie a longtemps nié son implication dans ce massacre,
l’attribuant à l’Allemagne et a toujours refusé de conduire des enquêtes. La CEDH n’a toutefois pas pu
condamner la Russie, si ce n’est pour son refus de coopérer avec la Cour, en raison de l’antériorité des faits visà-vis de l’entrée en vigueur de la Convention EDH. Voir CEDH, Grande Chambre, Affaire Janowiec et autres c.
Russie, Requêtes n° 55508/07 et 29520/09, 21 octobre 2013. Voir également EUDES (M.), « L’affaire ‘Katyn’
dans le prétoire de la Cour européenne des droits de l’homme : l’un des plus grands crimes de l’histoire enfin
jugé », AFDI, vol. 58, 2012, pp. 679-698.
264
internationaux, bien que non soumis à cette qualification, ne soient pas fondées
empiriquement.
415. On peut également s’étonner de la réticence des acteurs de la justice transitionnelle à
reconnaître les bénéfices potentiels de la responsabilité étatique alors même que les excuses
publiques, formulées par les chefs d’États pour reconnaître le rôle de l’État dans certains
évènements tragiques, font partie des modalités de réparation que ces mêmes acteurs
préconisent1059. Certes, les excuses publiques ne représentent pas une reconnaissance de
responsabilité au sens légal du terme. Elles sont tout de même une forme de reconnaissance
d’une responsabilité, morale ou politique, de l’État.
416. Il reste que, en l’état, le droit international est peu adapté à la reconnaissance d’une
responsabilité étatique pour la commission de crimes internationaux1060. Le droit international
pénal y est, de façon évidente, étranger et le régime des droits de l’Homme ne représente
qu’un substitut imparfait. Alors que ce régime permet l’engagement de la responsabilité de
l’État soit vis-à-vis de ses ressortissants, notamment dans le cadre des systèmes régionaux de
protection des droits de l’Homme, soit vis-à-vis de la communauté internationale, notamment
dans le cadre de certaines obligations considérées comme ayant une portée erga omnes, il
présente plusieurs limites lorsque confronté au traitement des crimes de masse. La première
tient en l’absence de la qualification même de comportements en crimes internationaux dans
les instruments internationaux ou régionaux de protection des droits de l’Homme. Si la
spécificité de certains crimes est bien relevée par les cours régionales, ces qualifications ne
peuvent être retenues comme fondement de la responsabilité étatique. L’exemple du
traitement par la CIADH du massacre du Plan de Sanchez, est représentatif de cette limite.
Confrontée à un massacre de membres de la communauté maya par des forces militaires et
paramilitaires guatémaltèques, la Cour a du reconnaître que :
« [with] respect to the issue of genocide mentioned both by the Commission and
by the representatives of the victims and their next of kin, the Court notes that in
adjudicatory matters it is only competent to find violations of the American
Convention on Human Rights and of other instruments of the inter-American
1059
Voir par exemple HCDH, HR/PUB/08/1, « Programmes de réparation », op. cit., p. 25 ; A/RES/60/147
(2005), « Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de
violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international
humanitaire », op. cit., § 22 (e) ; Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, UN Doc. A/69/518, Rapport du
Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de nonrépétition, op. cit., § 39.
1060
TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., pp. 179-182.
265
system for the protection of human rights that enable it to do so. Nevertheless,
facts such as those stated, which gravely affected the members of the Maya achí
people in their identity and values and that took place within a pattern of
massacres,
constitute
an
aggravated
impact
that
entails
international
responsibility of the State, which this Court will take into account when it decides
on reparations. »1061
Il faut noter que la commission vérité du Guatemala avait, dans son rapport, qualifié
d’actes de génocide certains massacres commis à l’encontre des populations maya1062, crime
pour lequel Rios Montt, à la tête du Guatemala lors du massacre de Plan de Sanchez, a été
condamné en 20131063. Malgré les efforts de la CIADH pour retenir une responsabilité
aggravée de l’État, son incapacité à user d’une qualification qu’elle semble elle-même juger
appropriée souligne les limites de l’approche de la responsabilité fondée sur les droits de
l’Homme. Or, nous avons déjà vu à propos de la justice pénale internationale l’importance,
même symbolique, que revêt la qualification du comportement.
417. La question des réparations est également une limite importante des mécanismes
régionaux de protection des droits de l’Homme. La compétence de la CEDH en la matière est
restreinte à une « satisfaction équitable »1064 prononcée « si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation »1065.
Elle se résume généralement aux réparations pécuniaires, excluant les mesures symboliques
ou/et collectives. De plus, la CEDH est traditionnellement réticente, notamment du fait de la
subsidiarité qui la caractérise1066, à ordonner des mesures spécifiques de réparation aux États,
qui demeurent libres dans les moyens choisis pour se conformer aux constatations de la Cour.
Notons tout de même qu’une évolution est visible dans la jurisprudence de la CEDH, qui
1061
Plan de Sanchez Massacre v. Guatemala, séries C No. 105, 29 avril 2004, § 51. Voir également les
commentaires sur cette affaire par le Juge Cançado Trindade : CANÇADO TRINDADE (A.),
« Complementarity between state responsibility and individual responsibility », op. cit., pp. 254-255.
1062
CEH, UN Doc. A/53/928, Annexe, « Guatemala memory of silence », 27 avril 1999, pp. 25-28.
1063
La condamnation de Efrain Rios Montt a été annulée par la Cour constitutionnelle du Guatemala en 2015. Il
est décédé en 2018 avant la tenue d’un nouveau procès. Voir le récapitulatif des faits et des procédures sur le site
de l’ONG TRIAL International : www.trialinternational.org.
1064
Conv. EDH, op. cit., art. 41.
1065
Ibid.
1066
SUDRE (F.), Droit international et européen des droits de l’homme, 12e éd., PUF, Paris, 2015, pp. 190-191.
266
accepte désormais, selon la nature de la violation, d’ordonner certaines mesures
individuelles1067 ainsi que, dans le cadre des arrêts pilotes, des mesures générales1068.
La Cour interaméricaine est bien plus libre à cet égard. L’article 63 de la Convention
américaine des droits de l’homme prévoit que, en cas de constatation de la violation de l’une
de ses dispositions par un État partie, la Cour « shall also rule, if appropriate, that the
consequences of the measure or situation that constituted the breach of such right or freedom
be remedied and that fair compensation be paid to the injured party. »1069 Conformément à
cette prérogative ainsi qu’à une jurisprudence progressiste en la matière, la CIADH a
développé une pratique favorisant les mesures de réparations symboliques et collectives1070.
La Cour a pu ainsi ordonner la pose de plaques commémoratives au nom des victimes1071 ou
encore la réouverture d’une école et d’un centre de santé dans la communauté victime de
violations graves des droits de l’Homme1072. Malgré l’intérêt que présente l’approche du
système interaméricain de protection des droits de l’Homme pour l’engagement de la
responsabilité de l’État dans le cas de violations graves, celle-ci demeure limitée par son
1067
Voir les arrêts cités in SUDRE (F.), dir., Les grands arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme,
8e éd., PUF, Paris, 2017, p. 928. Voir également COLANDREA (V.), « On the power of the European Court of
Human Rights to order specific non-monetary measures : some remarks in light of the Assanidze, Broniowski
and Sejdovic cases », Human Rights Law Review, vol. 7, n° 2, 2007, pp. 396-411. Les mesures en question sont
toutefois très limitées. Dans le cas de l’affaire Assanidzé, la Cour a demandé à la Géorgie « la remise en liberté
du requérant dans les plus brefs délais ». CEDH, Grande Chambre, Affaire Assanidzé c. Géorgie, requête
n° 71503/01, 8 avril 2004, dispositif, § 14. 1.
1068
La procédure de l’arrêt pilote est utilisée lorsqu’une multitude de requêtes ont pour fondement une même
défaillance structurelle dans le système interne d’un État partie. La Cour suspend alors les requêtes et
recommande, dans un arrêt pilote, des mesures visant à régler cette défaillance. Dans l’arrêt Broniowski c.
Pologne, initiateur de cette procédure, la Cour a constaté que la violation de l’article 1 du protocole 1(droit de
propriété) était due à « un problème structurel lié au dysfonctionnement de la législation et de la pratique
internes occasionné par l'absence d'un mécanisme effectif visant à mettre en œuvre le ‘droit à être crédité’ des
demandeurs concernés par des biens abandonnés au-delà du Boug » et a ainsi enjoint la Pologne à « garantir, par
des mesures légales et des pratiques administratives appropriées, la mise en œuvre du droit patrimonial en
question pour les autres demandeurs concernés ». Voir CEDH, Grande Chambre, Affaire Broniowski c. Pologne,
Requête n° 31443/96, 22 juin 2004, dispositif, §§ 3 et 4. Voir également l’article 61 du Règlement de la Cour
encadrant, depuis 2011, la procédure de l’arrêt pilote.
1069
Convention américaine des droits de l’homme, San Jose, Costa Rica, 22 novembre 1969, art. 63.
1070
Voir l’étude des différents types de réparation octroyés par la Cour in CASSEL (D.), « The expanding scope
and impact of reparations awarded by the Inter-American Court of Human Rights », in DE FEYTER et al., dir.,
Out of the ashes, reparation for victims of gross and systematic human rights violations, Intersentia Publishers,
Mortsel, 2005, pp. 91-107. Voir également NEEDHAM (A.), « Reparations to victims and families of victims :
the progressive nature of international human rights courts », Bristol Law Review, vol. 2016, pp. 33-42.
1071
CIADH, “Street children” (Villagran-Morales et al.) v. Guatemala (reparations and costs), Séries C No. 77,
26 mai 2001.
1072
CIADH, Aloeboetoe et al. v. Suriname (reparations and costs), séries C No. 15, 10 septembre 1993.
267
application géographique. De plus, l’approche des droits de l’Homme est centrée sur la
réparation du préjudice et élude la notion de sanction propre à une approche plus pénaliste1073.
418. L’approche pénaliste se retrouve dans la responsabilité internationale de l’État. La
disparition de la notion de crime international, consacrée au sein du projet d’article de la CDI
portant sur la responsabilité des États et adopté en première lecture en 19961074, dans le projet
d’article définitivement adopté en 20021075 ne doit pas être perçue comme un abandon de cette
approche. La hiérarchisation des comportements illicites qu’impliquait la distinction initiale
entre les délits et les crimes internationaux n’a pas disparu du projet d’articles. Le chapitre III
du projet est ainsi consacré aux « violations graves d’obligations découlant de normes
impératives du droit international général »1076. La proximité de la notion initiale de crime1077
et de celle de norme impérative du droit international général avait déjà été relevée1078, si bien
que la différence de nature entre les violations d’obligations simples du droit international et
celles qui constitueraient des violations graves de normes impératives ne semble pas
représenter un recul significatif par rapport à celle ayant pu exister entre les délits et les
crimes internationaux. Cela est confirmé par le fait que les exemples donnés par la CDI dans
le commentaire de l’article 40 concernent essentiellement des actes qualifiés de crimes
internationaux par le droit international pénal1079.
1073
Voir FLETCHER (L. E.), « A wolf in sheep’s clothing », op. cit., p. 502. Le juge Cançado Trindade
considère pour sa part que la pratique des réparations du système interaméricain de protection des droits de
l’Homme s’apparente de facto à un régime de sanction à travers des mesures équivalentes à des dommages et
intérêts punitifs. Voir CANÇADO TRINDADE (A.), « Complementarity between state responsibility and
individual responsibility for grave violations of human rights : the crime of state revisited », in RAGAZZI (M.),
dir., International responsibility today. Essays in memory of Oscar Schashter, Martinus Nijhoff, Leiden, 2005,
p. 267.
1074
CDI, Projet d’articles sur la responsabilité des États et commentaires y relatifs adoptés par la Commission
du droit international en première lecture, janvier 1997, art. 19.
1075
CDI, UN Doc. A/RES/56/83, annexe, Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, op. cit.
1076
Ibid., Chapitre III.
1077
L’article 19 du projet d’articles de 1996 définissait le crime international comme un « fait internationalement
illicite qui résulte d’une violation par un État d’une obligation internationale si essentielle pour la sauvegarde
d’intérêts fondamentaux de la communauté internationale que sa violation est reconnue comme un crime par
cette communauté dans son ensemble ». CDI, Projet d’articles sur la responsabilité des États et commentaires y
relatifs, janvier 1997, op. cit., art. 19.
1078
Alain Pellet se demandait à ce sujet « s’il ne serait pas plus simple de définir le crime international comme la
violation d’une norme impérative du droit international général, tant est évidente la parenté entre les deux
notions ». Voir PELLET (A.), « Vive le crime ! Remarques sur les degrés de l’illicite en droit international », in
Commission du droit international, Le droit international à l’aube du XXIe siècle : réflexions de codificateurs,
Nations Unies, New York, 1997, p. 296.
1079
On retrouve par exemple l’agression, le génocide et l’apartheid. Par ailleurs, le recours à l’exemple de la
discrimination raciale, lorsqu’elle n’est pas constitutive d’un crime d’apartheid, laisse à penser que les violations
graves de l’article 40 pourraient dépasser le cadre des crimes internationaux. Voir CDI, UN Doc. A/RES/56/83,
annexe, Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, op. cit., pp. 305-307.
268
419. Si la notion de crime, tout comme celle de responsabilité pénale, dérangent le juriste
internationaliste pour leur apparente transposition en droit international de concepts propres
au droit interne, leur abandon dépossèderait la justice transitionnelle d’instruments importants
de la lutte contre l’impunité. De plus, il reviendrait à ignorer l’une des caractéristiques
principales des crimes internationaux, qui est que ceux-ci sont régulièrement, voire
systématiquement pour le cas du crime d’agression, commis par, ou avec le soutien de,
l’appareil étatique. Ce lien est d’ailleurs largement reconnu, tant par la Cour internationale de
justice lorsqu’elle relève la « dualité » de la responsabilité concernant le génocide1080, que par
la CPI, dont le statut précise qu’aucune disposition concernant la responsabilité pénale
individuelle « n’affecte la responsabilité des États en droit international. »1081 Le
rapprochement entre les individus qui commettent les crimes internationaux et l’appareil
étatique utilisé pour les commettre est ainsi largement accepté. Il permet de relativiser la
vision d’une responsabilité étatique imposant un blâme collectif sur la population de l’État
dont la responsabilité est engagée. Dans la mesure où ce sont bien souvent les actes
d’individus œuvrant, en leur qualité officielle, au nom de l’État qui constituent le crime
étatique, ce sont alors les institutions étatiques, détachables de la notion bien plus large de
citoyenneté, qui sont mises en cause1082. Partant, un écart aussi grand que celui existant entre
une obligation de réparation à la charge de l’État et la stigmatisation d’une condamnation
pénale des agents ayant commis des crimes internationaux en son nom paraît étrange. Elle
l’est d’autant plus que la pratique internationale ne va pas exclusivement dans le sens d’une
obligation de l’État limitée à la réparation.
420. Le projet d’article de la CDI sur la responsabilité de l’État pourrait laisser à penser que
les conséquences de la commission d’un crime international (violation grave d’une norme
impérative) sont relativement minimes. Seules sont ajoutées, par rapport au régime de
responsabilité survenant pour des violations simples, l’obligation des États de coopérer pour
mettre fin à la violation1083 et l’obligation de non-reconnaissance1084. D’autres pratiques ont
pourtant existé, qu’il s’agisse d’accords internationaux tel l’accord de Potsdam, ou de mesures
1080
CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 2007, op. cit.,
§ 173.
1081
Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 25. 4. Voir également sur ce sujet DUPUY (P.-M.), « Crime sans
châtiment ou mission accomplie ? », RGDIP, vol. 111, n° 2, 2007, p. 246.
1082
MOHAMED (S.), « A neglected option », op. cit., pp. 384-386 ; TURGIS (N), La justice transitionnelle en
droit international, op. cit., pp. 185-186.
1083
CDI, UN Doc. A/RES/56/83, annexe, Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, op. cit.,
art. 41 al. 1.
1084
Ibid., art. 41 al. 2.
269
imposées par le Conseil de sécurité, telles celles adoptées contre l’Irak à la suite de la
deuxième guerre du Golfe, par le biais de la résolution 687 (1991). Les mesures d’embargo
sur l’armement1085, de réparations1086 ou encore d’obligation de promesse de ne pas recourir
au terrorisme1087 s’apparentent autant à des réparations qu’à des sanctions, tant pécuniaires
que symboliques. Il a ainsi pu être dit que l’Iraq avait été, par cette résolution, criminalisé1088.
421. Les mesures adoptées contre l’Irak, contre l’Allemagne ou appliquées par la Cour
interaméricaine des droits de l’homme peuvent difficilement être considérées comme faisant
partie du droit international positif relatif à la responsabilité de l’État1089. Il faut toutefois
rappeler que les crimes internationaux et leur répression par des juridictions internationales
pénales n’étaient pas intégrés à ce droit lorsqu’ont été conduits les procès de Nuremberg et de
Tokyo. Il est certain que la justice transitionnelle et la justice internationale pénale ont joué un
rôle d’entraînement mutuel, menant à un développement impressionnant de chacune d’entre
elles. L’ignorance de la responsabilité étatique par la justice transitionnelle ne peut alors que
freiner, ou en tous cas priver d’une impulsion importante, le développement de cette
responsabilité. De plus, la justice transitionnelle prendrait alors le risque de s’enfermer dans
une posture individualiste ce qui, d’une part, la priverait de mécanismes potentiellement
efficaces de lutte contre l’impunité et, d’autre part, serait incompatible avec l’approche holiste
que l’ONU a choisi d’adopter à son égard.
Section II Les réticences du Conseil de sécurité face à la
justice internationale pénale
422. La lutte contre l’impunité pénale représente un outil de plus à la disposition du Conseil
de sécurité pour accomplir sa mission de maintien, de rétablissement ou de consolidation de la
paix et de la sécurité internationales. La création par cet organe des TPI sur le fondement du
Chapitre 7 de la Charte ne laisse aucun doute à cet égard. Les déclarations du Conseil
affirmant « qu’il est indispensable de mettre fin au règne de l’impunité »1090 pour éviter la
1085
S/RES/687 (1993), § 24 a).
Ibid., §§ 16-19.
1087
Ibid., § 32.
1088
SIMPSON (G.), « Men and abstract entities », op. cit., p. 85 ; GATTINI (A.), « A historical perspective :
from collective to individual responsibility and back », in VAN DER WILT (H.), NOLLKAEMPER (A.), dir.,
System criminality in international law, op. cit., pp. 118-120.
1089
TURGIS (N.), La justice transitionnelle en droit international, op. cit., p. 182.
1090
S/RES/1960 (2010) (nous soulignons).
1086
270
résurgence des conflits ne doivent pas tromper sur la place de cette lutte au sein de l’arsenal
de moyens auxquels le Conseil peut recourir pour atteindre ses objectifs. La lutte contre
l’impunité n’est que l’un d’entre eux et, conformément au caractère politique de l’organe
onusien, n’est utilisé que dans la mesure où le Conseil l’estime propre à atteindre ses fins.
Pierre Hazan a parfaitement illustré cette instrumentalisation de la lutte contre l’impunité au
travers de la création du TPIY, tour à tour soutenu puis mis à l’écart par le Conseil au gré des
négociations de paix entre ses membres permanents et Milosevic1091.
Le fait que la lutte contre l’impunité pénale soit un outil implique un maintien par le
Conseil de sécurité d’un certain degré de contrôle sur son utilisation. Celui-ci s’effectue alors
de deux manières. D’une part, le Conseil maîtrise, dans une certaine mesure, l’opportunité de
l’action pénale. Ceci signifie qu’il peut considérer que celle-ci n’est pas souhaitable et
empêcher son déclenchement, démontrant alors la persistance du dilemme entre la paix et la
justice (§ 1). D’autre part, une fois l’action déclenchée, le Conseil maintient un certain
contrôle sur son efficacité, notamment par le biais de son pouvoir d’ordonner aux États de
coopérer avec les juridictions. On observe cependant qu’à cet égard, le Conseil de sécurité fait
preuve d’un engagement minimal (§ 2).
§1/La question de l’opportunité de l’action pénale : la persistance du
dilemme entre paix et justice
423. On a déjà évoqué le dépassement théorique du dilemme entre paix et justice par les
acteurs onusiens dans le cadre de la justice transitionnelle1092. La pratique, tant de l’ONU que
du reste de la communauté internationale, tend pourtant à montrer que la justice pénale est
encore régulièrement considérée comme présentant un risque pour la paix. Cette conflictualité
des deux notions a d’ailleurs été consacrée au sein du Statut de Rome de la CPI. L’article 16
de ce statut prévoit que :
« [aucune] enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en
vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le
Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution
1091
1092
HAZAN (P.), La justice face à la guerre, op. cit.
Supra, partie 1, titre 1, chapitre 2.
271
adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande
peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions. »1093
La référence au Chapitre 7 de la Charte implique donc une reconnaissance d’une
potentielle incompatibilité de poursuites engagées par la CPI et du maintien de la paix et de la
sécurité internationales, seul critère justifiant le recours à ce chapitre. Cet article montre les
inquiétudes ressenties par les rédacteurs du Statut quant aux effets potentiellement néfastes de
poursuites pénales sur les négociations de paix. Cette vision représente d’ailleurs un
glissement de l’intention originelle de cette disposition, telle qu’elle apparaissait dans le projet
de statut d’une cour criminelle internationale élaboré par la CDI en 19951094. L’article 23 al. 3
de ce projet prévoyait que :
« [aucune] poursuite ne peut être engagée en vertu du présent statut à raison
d’une situation dont le Conseil de sécurité traite en tant que menace contre la
paix ou rupture de la paix ou acte d’agression aux termes du Chapitre VII de la
Charte des Nations Unies, à moins que le Conseil de sécurité n’en décide
autrement »1095.
Cette formulation témoignait plus d’un souci de coordination de deux institutions
susceptibles d’agir dans des contextes similaires que d’une crainte des effets de l’engagement
de poursuites pénales sur des processus de paix. Cette formulation était d’ailleurs en partie
fondée sur l’article 12 al. 1 de la Charte des Nations Unies interdisant à l’Assemblée générale
de se prononcer sur tout différend ou situation faisant l’objet de l’attention du Conseil1096.
Outre l’évolution bienvenue d’une interdiction de principe d’exercice de la compétence de la
CPI à une interdiction exceptionnelle nécessitant l’adoption d’une résolution dans ce sens par
le Conseil de sécurité – impliquant une exposition politique de ce dernier ainsi que le
dépassement des vetos potentiels – c’est bien à un changement de philosophie qu’il a été
procédé. La demande de l’Union Africaine de mise en œuvre de l’article 16 illustre d’ailleurs
bien la nouvelle philosophie de cet article et de son lien avec le dilemme entre paix et justice.
1093
Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 16.
Voir CDI, UN Doc. A/49/10, Rapport de la Commission du Droit International sur les travaux de sa
quarante-sixième session, 2mai-22 juillet 1994, 1er septembre 1994 [présentant le projet de statut pour une cour
criminelle internationale ; ci-après : CDI, UN Doc. A/49/10, projet de statut pour une cour criminelle
internationale], art. 23 al 3.
1095
Ibid., p. 91.
1096
Voir le commentaire de la CDI sur cet article in ibid., p. 92. Voir également le rappel de l’historique de cet
article in AMBOS (K.), TRIFFTERER (O.), dir., The Rome statute of the International Criminal Court, op. cit.,
pp. 770-775.
1094
272
Le communiqué adopté par le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA au soutien de cette
demande repose en effet sur « the need to ensure that the ongoing peace efforts are not
jeopardized »1097.
Le Conseil de sécurité n’a pas donné suite à cette demande. Les seuls recours qu’il a eu
à l’article 16 n’ont d’ailleurs pas concerné la protection d’efforts de paix mais plutôt celle des
agents de maintien de la paix1098. Il a tout de même exprimé une certaine sympathie à l’égard
de la demande de l’Union Africaine. La résolution 1828 (2008), portant sur la situation au
Soudan, illustre à cet égard toute l’ambigüité du Conseil vis-à-vis du dilemme entre la paix et
la justice. Il commence par souligner « la nécessité de traduire en justice les auteurs de ces
crimes »1099 puis souligne qu’il « [garde] à l’esprit les préoccupations exprimées par certains
[des membres de l’UA] au sujet de l’évolution potentielle de la situation suite à la demande
formulée par le Procureur de la Cour pénale internationale »1100 d’arrêter Omar Al Bashir. Il
en ressort que « la volonté de lutter contre l’impunité et de soutenir éventuellement la Cour
(…) est immédiatement minorée par la considération des obstacles que cette juridiction
pourrait dresser à l’encontre de la pacification de la région. »1101
424. On peut comprendre, dans une certaine mesure, que le Conseil de sécurité n’adhère
qu’avec réserves à la doctrine considérant qu’il ne peut y avoir de paix sans justice. En tant
qu’organe politique, il doit également répondre à certains impératifs d’ordre politiques,
auxquels sa mission de maintien de la paix et de la sécurité l’expose nécessairement. Il est
plus critiquable de voir ce même Conseil créer des juridictions pénales ou participer à
l’initiation de poursuites internationales auxquelles il refuse, par la suite, d’apporter son
soutien. C’est pourtant bien cette attitude qu’adopte le Conseil de sécurité lorsque les
juridictions pénales internationales se retrouvent confrontées à la difficulté d’obtenir la
coopération des États. C’est alors l’efficacité de l’action pénale qu’il met en péril.
1097
UA, Conseil de Paix et de Sécurité, Communiqué, PSCC/MIN/COMM(CXLII) Rev.1, 21 juillet 2008, § 11.
1. Voir l’analyse des arguments avancés par le PSC in FALKOWSKA (M.), VERDEBOUT (A.), « L’opposition
de l’Union Africaine aux poursuites contre Omar Al BAshir. Analyse des arguments juridiques avancés pour
entraver le travail de la Cour Pénale International et leur expression sur le terrain de la coopération », RBDI,
2012/1, pp. 201-236.
1098
Ce point fait l’objet de plus amples développements plus loin et ne sera donc pas traité ici. Voir infra, titre 2,
chapitre 2.
1099
S/RES/1828 (2008), préambule.
1100
Ibid.
1101
UBEDA-SAILLARD (M.), La coopération des États avec les juridictions pénales internationales, op. cit.,
p. 502.
273
§2/Un engagement minimal pour l’efficacité de l’action pénale : le cas
des garanties de coopération des États
425. Exerçant leur compétence « sans bras ni jambes »1102, les juridictions pénales
internationales et hybrides dépendent de la coopération des États pour garantir l’efficacité de
leur travail. Cette coopération peut concerner divers domaines, telles la transmission de
documents ou la délivrance de visas pour l’accomplissement par les acteurs du procès, qu’il
s’agisse du procureur ou de la défense, de certains actes d’enquête. Elle touche au cœur du
travail de ces tribunaux lorsqu’elle concerne l’arrestation et la remise des accusés. Deux
modèles de coopération sont habituellement distingués, l’un vertical, l’autre horizontal. Le
premier se caractérise par l’imposition, de façon supranationale, d’une obligation de coopérer
à destination des États. Cette méthode présente donc un dépassement du consentement des
États. Le second consiste en l’acceptation par les États eux-mêmes de se soumettre à une
obligation de coopération, selon la technique volontariste classique du droit international1103.
L’analyse des juridictions pénales créées avec le soutien de l’ONU fait apparaître
l’abandon de la verticalité qui caractérisait l’obligation de coopération des États sous le
régime des TPI, au bénéfice d’un modèle plus horizontal (A). Si cette évolution ne saurait
s’interpréter en elle-même comme un désengagement néfaste à l’efficacité des juridictions
internationales pénales, c’est en revanche le cas en ce qui concerne l’(in)action du Conseil
vis-à-vis des violations de l’obligation de coopérer. Investi d’un pouvoir de sanction de cette
violation, la réticence du Conseil à en faire usage ne peut qu’être condamnée (B).
1102
CASSESE (A.), « On the current trends towards criminal punishment of breaches of international
humanitarian law », EJIL, vol. 9 n° 1, 1998, p. 13.
1103
Sur la distinction entre les modèles vertical et horizontal, voir notamment CASSESE (A.), International
criminal law, op. cit., pp. 346-347 ; TPIY, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Arrêt relatif a la requête de la
République de Croatie aux fins d’examen de la décision de la chambre de première instance ii rendue le 18
juillet 1997, affaire n° IT-95-14, arrêt du 29 octobre 1997, §§ 47 et 54 et UBEDA-SAILLARD (M.), La
coopération des États avec les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 10-40.
274
A) L’abandon compréhensible du modèle vertical de coopération
426. Les TPI consacraient une verticalité absolue de l’obligation de coopération des États.
Celle-ci ressortait tant de leurs statuts que de leur mode de création. Concernant les premiers,
l’article 29 du statut du TPIY repris mutatis mutandis à l’article 28 de celui du TPIR, dispose
que « [les] États collaborent avec le Tribunal », sans distinctions quant aux États concernés ou
la matière dans laquelle la collaboration serait requise. La portée de cette obligation a été
confirmée par les dispositions adoptées au sein des résolutions 827 et 955 du Conseil de
sécurité, créant respectivement le TPIY et le TPIR et au sein desquelles le Conseil de
sécurité :
« [décide] que tous les États apporteront leur pleine coopération au Tribunal
international et à ses organes, conformément à la présente résolution et au Statut
du Tribunal international, et qu’ils prendront toutes mesures nécessaires en vertu
de leur droit interne pour mettre en application les dispositions de la présente
résolution et du Statut, y compris l’obligation faite aux États de donner suite aux
demandes d’assistance ou aux ordonnances émanant d’une Chambre de première
instance »1104.
427. L’adoption des statuts des TPI par résolution du Conseil de sécurité, fondée qui plus est
sur le Chapitre 7 de la Charte, conférait à ces Tribunaux et à leurs décisions une autorité tout à
fait exceptionnelle, dont l’étendue ne connaissait que peu de limites. Dans la mesure où les
ordres adressés par les Tribunaux aux États sont « considérés comme donnant effet à une
mesure coercitive relevant du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies »1105, la verticalité
issue des résolutions 827 et 955 fonde « un nombre quasi illimité d’obligations subséquentes,
définies autoritairement non plus par le Conseil de sécurité mais par le juge international et
considérée comme des mesures d’exécution du Chapitre VII, bénéficiant à ce titre de
l’application de ce corpus de règles dérogatoires »1106.
La verticalité du système de coopération établi au sein des TPI conférait donc à ces
derniers de larges pouvoirs sur les États telles l’adoption d’ordonnances contraignantes, une
1104
La même formulation est utilisée dans les deux résolutions du Conseil de sécurité. Voir S/RES/827 (1993)
§ 4 et S/RES/955 (1994), § 2.
1105
UN Doc. S/25704, Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808
(1993) du Conseil de sécurité, 3 mai 1993, § 126.
1106
UBEDA-SAILLARD (M.), La coopération des États avec les juridictions pénales internationales, op. cit.,
p. 285.
275
situation de primauté globale, notamment vis-à-vis des juridictions internes et la possibilité
d’ignorer les lois nationales « en contradiction avec l’esprit et la lettre du Statut »1107. Elle
retirait également aux États la possibilité d’apprécier le bien fondé des ordres des
Tribunaux1108, excluait les exceptions habituellement applicables à la coopération judiciaire
interétatique – notamment en termes d’extradition1109 – et avait été étendue par les juges aux
organisations internationales et les opérations créées par elles, telles les opérations de paix1110.
428. L’abandon du modèle des TPI a impliqué l’abandon partiel de celui de la verticalité. Il
est vrai que la tendance à l’intégration des juridictions internationalisées au sein des systèmes
judiciaires, comme dans les cas du Timor Leste, du Kosovo, de la Bosnie-Herzégovine et des
CETC, a modifié les termes du débat. Créées par voie législative, ces juridictions possèdent
les mêmes pouvoirs vis-à-vis des États que n’importe quel tribunal national. Leur régime
respecte donc en tous points le modèle horizontal. Le modèle vertical de l’obligation de
coopérer a pourtant également connu un net recul au sein des tribunaux internationaux créés
pour la Sierra Léone et pour le Liban, pourtant caractérisés par un fort degré
d’internationalité.
429. Le TSSL et le TSL mettent tous deux en place un régime mixte de l’obligation de
coopérer, selon que le destinataire de cette obligation soit l’État faisant l’objet de leur
compétence territoriale, c’est-à-dire la Sierra Léone et le Liban, ou qu’il s’agisse d’un État
tiers1111. Leur relation vis-à-vis des premiers est marquée par une verticalité totale. L’accord
entre l’ONU et la Sierra Léone dispose que « [the] Government shall cooperate with all
organs of the Special Court at all stages of the proceedings. »1112, formulation reprise en
1107
TPIY, Le Procureur c. Tihomir Blaskic, op. cit., § 54.
En la matière, « [un] État auquel il est enjoint d’arrêter et de mettre en détention un individu en application
de l’article 29 d) n’a pas qualité pour contester cet ordre au fond. » TPIY, Le Procureur c. Janko Bobetko,
Décision relative aux requêtes de la République de Croatie contestant la décision portant confirmation de l’acte
d’accusation et le mandat d’arrêt portant ordre de transfèrement, Affaire n° IT-02-62-AR54bis & IT-02-62AR108bis, 29 novembre 2002, § 12.
1109
L’article 58 commun aux Règlements de procédure et de preuve du TPIY et du TPIR dispose que les règles
comprises dans les articles 29 du statut du TPIY et 28 de celui du TPIR « prévalent sur tous obstacles juridiques
que la législation nationale ou les traités d’extradition auxquels l’Etat intéressé est partie pourraient opposer à la
remise ou au transfert de l’accusé ou d’un témoin au Tribunal. » Voir RPP - TPIY, art. 58 et RPP - TPIR, art. 58.
1110
Il s’agissait essentiellement en l’occurrence de la Force de stabilisation (Stabilisation force, SFOR) de
l’OTAN. Voir UBEDA-SAILLARD (M.), La coopération des États avec les juridictions pénales
internationales, op. cit., p. 319 et pp. 346-347.
1111
Antonio Cassese a bien résumé la situation dans le premier rapport annuel qu’il a remis, en tant que Président
du TSL, au Secrétaire général. Il disait alors que « si le modèle vertical régit les relations entre le TSL et le
Liban, le modèle horizontal préside aux relations du Tribunal avec les États tiers ». TSL, Rapport annuel (20092010), § 48.
1112
« Agreement between the United Nations and the government of Sierra Leone on the establishment of a
Special Court for Sierra Leone », Freetown, 16 janvier 2002, art. 17.
1108
276
substance au sein de l’accord entre l’ONU et le Liban1113. Aucune disposition de ces accords
ou des statuts qu’ils incorporent ne prévoit d’obligation de coopération concernant les États
tiers. Le TSL est simplement autorisé à conclure des accords avec les États tiers en vue de
garantir leur coopération1114. Dans la mesure où le TSSL et le TSL ont été créés de façon
conventionnelle1115, cette dualité de régime n’est pas surprenante. Toute extension de la
verticalité aux États tiers contreviendrait au principe de l’effet relatif des traités.
430. L’abandon du modèle vertical implique une distanciation d’une ambition supranationale
de la justice internationale pénale et le renforcement de son lien avec les États par la
revalorisation de leur consentement. Cette tendance peut inquiéter quant à l’efficacité de cette
justice. Toutefois, cette inquiétude doit être relativisée. Il est certain que le TSSL et les Panels
spéciaux au Timor Leste, notamment, ont connu des difficultés à atteindre certains individus
soumis à leur compétence. Le Tribunal sierra léonais a fait face au refus initial du Nigéria
d’extrader Charles Taylor1116, alors que les juridictions timoraises n’ont pas pu avoir accès
aux principaux responsables des crimes soumis à leur compétence, protégés par
l’Indonésie1117. L’horizontalité de la relation entre ces juridictions et les États sur le territoire
desquels s’étaient réfugiés les individus inculpés n’ont certainement pas facilité les efforts
visant à obtenir leur remise. Toutefois, le fait que les TPI ont été confrontés à des problèmes
similaires tend à nuancer l’impact du modèle de coopération sur l’effectivité de l’arrestation et
de la remise des inculpés. Le TPIR a ainsi du faire face à des réticences de la part du Kenya,
de la RDC et parfois même du Rwanda de coopérer, que ce soit pour l’arrestation et la remise
d’inculpés1118 ou en termes de protection des témoins et du travail du bureau de la défense1119.
Le TPIY a, quant à lui, été confronté au refus de coopérer de la plupart des États soumis à sa
1113
S/RES/1757 (2007), annexe, Accord entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise sur
la création d’un Tribunal spécial pour le Liban, art. 15.
1114
Ibid., art. 7 et TSL, Règlement de procédure et de preuve tel que modifié au 3 avril 2017, art. 13.
1115
Bien que le TSL ait été créé par le biais d’une résolution adoptée par le Conseil de sécurité sur le fondement
du chapitre 7, cette résolution ne prévoit en réalité que l’entrée en vigueur forcée de l’accord relatif à la création
du TSSL ainsi que du statut de cette juridiction. Voir S/RES/1757 (2007), § 1. a).
1116
TSSL, 2ème rapport annuel du Président du Tribunal spécial pour la Sierra Léone pour la période du 1er
janvier 2004 au 17 janvier 2005, pp. 36-37.
1117
BOWMAN (H. D.), « Letting the big fish get away : The United Nations justice effort in East Timor »,
Emory International Law Review, vol. 18, 2004, pp. 395-400.
1118
Voir par exemple RYNGAERT (C.), « State cooperation with the International Criminal Tribunal for
Rwanda », op. cit., pp. 126-132.
1119
TURNER (A.), « Tribunal ambivalence and Rwanda’s rejection of functional immunity for the ICTR
defense », Revue Québécoise de Droit International, Hors-série, 2010, pp. 123-132.
277
compétence territoriale1120. Il faut cependant noter que, tout du moins pour ce dernier, la
situation s’est améliorée et que, depuis 2011, le Tribunal ne souffre plus d’inculpés en
fuite1121.
431. Verticalité ne signifie donc pas nécessairement efficacité. L’abandon de ce modèle de
coopération peut ainsi marquer le délaissement d’une construction de la justice internationale
pénale par le haut, pour s’acheminer vers une construction de celle-ci par le bas. C’est
d’ailleurs ce système qui est partiellement consacré à travers la substitution, dans le système
de la CPI, du principe de complémentarité à celui de primauté existant sous le régime des TPI.
Il ne faut cependant pas en conclure que l’horizontalité représente l’alternative idéale.
Les problèmes rencontrés par le TSSL et les Panels spéciaux illustrent les limites de cette
approche. Il est d’ailleurs significatif que ces deux juridictions ont recherché l’assistance de
l’ONU pour inciter certains États à coopérer. Le Juge Robertson du TSSL a ainsi appelé le
Conseil à adopter une résolution sur le fondement du chapitre 7 pour rendre obligatoire la
coopération des États en vue de l’arrestation et de la remise de Charles Taylor1122. De la
même façon, le refus de l’ONU de soutenir les actes d’inculpation lancés par les Panels
spéciaux à l’encontre de militaires et hommes politiques indonésiens a été très mal perçu par
le tribunal de Dili1123.
432. Ce refus de l’ONU de soutenir les juridictions à la création desquelles il a participé
représente assurément la principale faiblesse de ces juridictions. Si cette réticence peut se
comprendre dans le cas des juridictions hybrides par un refus de contrevenir à l’horizontalité
1120
Voir notamment KIRK McDONALD (G.), « Problems, obstacles and achievements of the ICTY », JICJ,
vol. 2, n° 2, 2004, pp. 559-567. Voir également les rapports transmis par le Président du TPIY, Antonio Cassese
au Conseil de sécurité concernant les défauts de coopération de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la
Républika Srpksa et de la République fédérale de Yougoslavie (RFY) : UN Doc. S/1996/763, Letter dated 16
September 1996 from the President of the International tribunal for the prosecution of persons responsible for
serious violations of international humanitarian law committed in the territory of the former Yugoslavia since
1991 addressed to the President of the Security council, 17 septembre 1996 ; UN Doc. S/1996/556, Letter dated
11 July 1996 from the President of the International tribunal for the prosecution of persons responsible for
serious violations of international humanitarian law committed in the territory of the former Yugoslavia since
1991 addressed to the President of the Security council,, 16 juillet 1996 ; UN Doc. S/1996/364, Letter dated 22
May 1996 from the President of the International tribunal for the prosecution of persons responsible for serious
violations of international humanitarian law committed in the territory of the former Yugoslavia since 1991
addressed to the President of the Security council,, 22 mai 1996 ; UN Doc. S/1996/319, Letter dated 24 April
1996 from the President of the International tribunal for the prosecution of persons responsible for serious
violations of international humanitarian law committed in the territory of the former Yugoslavia since 1991
addressed to the President of the Security council,, 25 avril 1996.
1121
Le dernier fugitif, Goran Hadzic, a été arrêté et transféré au Tribunal en juillet 2011. Voir UN Doc.
A/67/214-S/2012/592, Report of the International tribunal for the former Yugoslavia, 1er août 2012, § 67.
1122
TSSL, communiqué de presse, « Court President Requests UN Security Council's Chapter Seven », 11 juin
2003.
1123
BOWMAN (H. D.), « Letting the big fish get away », op. cit., pp. 396-400.
278
qui caractérise leur relation vis-à-vis des États tiers, elle est difficilement défendable
lorsqu’elle s’applique aux juridictions sujettes à une verticalité trouvant son origine dans un
acte du Conseil de sécurité lui-même.
B) La réticence coupable de la condamnation du refus de coopération
433. Il serait logique que le Conseil, après avoir été à l’origine de l’imposition, à un ou
plusieurs États, d’une obligation de coopérer, opère un suivi de cette obligation et procède à la
sanction de sa violation, tout du moins en l’absence d’organe spécifique auquel reviendrait cet
prérogative. C’est d’ailleurs le sens de la procédure prévue pour les TPI consistant à permettre
à leurs Présidents « d’informer le Conseil de sécurité »1124 du manquement d’un ou plusieurs
États à son ou leur obligation de coopérer. Dans la mesure où le Conseil a la capacité de saisir
la CPI à propos d’une situation, celle-ci a également la possibilité, dans le cas d’un refus de
coopérer en lien avec une telle situation, d’en informer le Conseil1125.
Si le TPIR et le TSL n’ont pas eu recours à cette procédure, le premier pour des
considérations diplomatiques1126 et le second en raison de sa capacité à se prononcer in
abstentia1127, le TPIY et la CPI l’ont utilisé à de nombreuses reprises. Comme il a été dit, les
rapports du Président du TPIY ont concerné tous les États soumis à la compétence de ce
Tribunal1128. Pour sa part, la CPI a usé de ce pouvoir au sujet des deux situations transmises
par le Conseil de sécurité, le Soudan et la Libye. La quasi-totalité des rapports a toutefois
concerné le Soudan et la défaillance des États à procéder à l’arrestation du Président Al
Bashir1129.
1124
RPP - TPIY, op. cit., art. 7 bis. Voir dans le même sens l’article 59 B) du RPP du TPIR, ainsi que l’article 20
c) du RPP du TSL.
1125
Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 87 al 7.
1126
Ceci s’explique par le fait que la majorité des problèmes de coopération est survenue entre le TPIR et les
autorités rwandaises, principalement considérées comme victimes du génocide. La saisine du Conseil de sécurité
était alors considérée comme présentant un risque de détérioration d’une relation nécessaire au travail du
Tribunal. Voir RYNGAERT (C.), « State cooperation with the International Criminal Tribunal for Rwanda », op.
cit., pp. 125-126.
1127
L’article 22 du statut du TSL prévoit en effet le jugement par défaut, notamment dans le cas où l’accusé n’a
« pas été remis au Tribunal par les autorités de l’État concerné ». Il est significatif que les rapports annuels du
TSL couvrant les périodes 2014-2015, 2015-2016 et 2016-2017 n’évoquent même plus la question de la
coopération à l’arrestation des accusés.
1128
Supra, A).
1129
Toutes les décisions de non coopération et de transmission au Conseil de sécurité sont accessibles sur le site
de la CPI : https://asp.icc-cpi.int/en_menus/asp/non-cooperation/pages/default.aspx. À ce jour, la Cour a
transmis neuf cas de non coopération au Conseil dont huit concernant la situation au Soudan.
279
434. Le Conseil de sécurité demeure bien évidemment totalement libre dans la réponse qu’il
choisit d’adopter vis-à-vis de la non-coopération des États1130. À cet égard, sa situation dans le
contexte de la CPI est identique à celle expérimentée sous le régime des TPI, dans la mesure
où, bien que ses pouvoirs découlent du Statut de Rome, le renvoi d’une situation devant la
Cour est effectué par le biais de l’adoption d’une résolution fondée sur le chapitre 7 de la
Charte des Nations Unies1131. Le Conseil dispose ainsi de l’intégralité des pouvoirs mis à sa
disposition par la Charte pour répondre à, et éventuellement sanctionner, une violation par un
État de son obligation de coopération.
435. L’attitude du Conseil de sécurité vis-à-vis des violations de l’obligation de coopération
peut au mieux être qualifiée de passive. En effet, les nombreux rapports du TPIY comme de la
CPI n’ont donné lieu qu’à des « [subtly] drafted statements enshrined in weak
resolutions »1132. Cette passivité a d’ailleurs été dénoncée tant pas les juges du TPIY1133 que
par ceux de la CPI. Concernant les TPI, le Conseil a majoritairement répondu au défaut de
coopération par des déclarations du Président, sans valeur obligatoire1134. En ce qui concerne
la CPI, le Conseil de sécurité a été véritablement inactif. Les huit rapports de non coopération
transmis par les juges concernant le Soudan n’ont donné lieu à aucune réaction de la part du
Conseil, qu’il s’agisse de l’adoption de résolutions ou de déclarations du Président. Seul le
rapport concernant l’absence de coopération de la Libye a donné lieu à une timide réponse, le
Conseil « [demandant] au Gouvernement libyen de coopérer pleinement avec la Cour pénale
internationale et son procureur et de leur apporter toute l’aide voulue »1135. Cet immobilisme
de l’organe onusien a été vivement dénoncé par les juges de la CPI1136. Ceux-ci ont ainsi
refusé de transmettre la constatation de non coopération concernant l’Afrique du Sud au
1130
La CPI suit à ce sujet la position adoptée par les juges du TPIY, selon laquelle ceux-ci ne sont habilités qu’à
constater le manquement de l’État et ne peuvent s’avancer à suggérer une action pour y faire face. Voir à ce sujet
AMBOS (K.), TRIFFTERER (O.), dir., The Rome statute of the International Criminal Court, op. cit., p. 2036.
1131
Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 13 b).
1132
DEMIRDJIAN (A.), « Armless giants : cooperation, state responsibility and suggestions for the ICC review
conference », International Criminal Law Review, vol. 10, n° 2, 2010, p. 187.
1133
KIRK McDONALD (G.), « Problems, obstacles and achievements of the ICTY », op. cit., p. 559.
1134
Ibid. Voir par exemple les déclarations du Président UN Doc. S/PRST/1996/23, 8 mai 1993 ; UN Doc.
S/PRST/1996/34, 8 août 1996 ; UN Doc. S/PRST/1996/41, 10 octobre 1996 ; UN Doc. S/PRST/2004/28, 4 août
2004 ; UN Doc. S/PRST/2008/47, 19 décembre 2008.
1135
S/RES/2213 (2015).
1136
CPI, Chambre préliminaire II, N°. ICC-02/05-01/09, Situation au Darfour (Soudan), Le Procureur c/ Omar
Hassan Ahmad Al-Bashir, Décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome concernant la
non-exécution par l’Afrique du Sud de la demande que lui avait adressée la Cour aux fins de l’arrestation et de
la remise d’Omar Al-Bashir, 6 juillet 2017, §§ 138-139.
280
Conseil de sécurité, dans la mesure où, étant donné l’attitude du Conseil, « un tel renvoi n’est
pas justifié s’il est censé constituer un moyen d’obtenir la coopération »1137.
L’apogée en termes d’inaction coupable du Conseil de sécurité quant à la violation de
l’obligation de coopérer demeure l’absence de réponse de cet organe à la dénonciation par le
Président du TPIY de la violation de cette obligation par la MINUK1138. Celle-ci a été accusée
par la Procureure du TPIY de faillir à son obligation de protéger les témoins et de coopérer en
matière de transmission de documents1139. Le Conseil, qui avait pourtant inséré la coopération
avec le TPIY au sein du mandat de cette mission1140, n’a eu aucune réaction publique face à
ces graves accusations.
1137
Ibid., § 138.
Voir UN Doc. S/2006/353, Letter dated 29 May 1996 from the President of the International tribunal for the
prosecution of persons responsible for serious violations of international humanitarian law committed in the
territory of the former Yugoslavia since 1991 addressed to the President of the Security council, annexe II, § 34.
1139
Ibid.
1140
S/RES/1244 (1999) § 14.
1138
281
Conclusion du Titre 1
436. La mise en œuvre par l’ONU de politiques et de mécanismes de justice transitionnelle
se caractérise par ses multiples tâtonnements. Ceux-ci sont en partie dus à l’adaptabilité de
cette justice, qui exclut toute standardisation excessive des mécanismes et empêche ainsi
l’application uniforme de modèles préconçus, comme en témoigne l’hétérogénéité des
juridictions hybrides. Il n’est cependant pas évident que la disponibilité de tels modèles
favorise une uniformisation de l’action onusienne. L’implication onusienne varie en effet
autant en termes de type de mécanismes soutenus qu’en termes de modalités de ce soutien.
Celui-ci présente une multiplicité de degrés et de formes d’implication de l’Organisation. Ceci
est d’ailleurs indispensable à l’efficacité de l’action de l’ONU, confrontée à des contextes qui
diffèrent dans leurs besoins. L’ancrage national de l’intervention onusienne rend également
cette dernière tributaire des exigences et de la bonne volonté des autorités étatiques et des
populations.
437. Les tâtonnements onusiens sont également dus à la méthode onusienne consistant à
construire sa réflexion à partir des expériences menées et non de conduire celles-ci en accord
avec une réflexion préalable. Ce trait avait déjà été observé à propos de la coordination des
mécanismes de justice transitionnelle1141, on a pu observer qu’il s’appliquait à l’ensemble de
l’action onusienne en matière de justice transitionnelle. Il est vrai que l’Organisation a
démontré à cet égard une grande capacité à prendre en compte les erreurs passées et à faire
évoluer son action en conséquence. Celle-ci a pourtant démontré ses limites à plusieurs
égards.
438. Tout d’abord, les carences de l’approche intraétatique de la justice transitionnelle n’ont
toujours pas été prises en compte par les acteurs onusiens, qui se trouvent ici en retard par
rapport à la réflexion doctrinale. Ensuite, les problèmes que pose le rapprochement de la
justice internationale de la justice transitionnelle n’ont pas généré d’évolution significative de
l’action onusienne. Une autre limite de l’Organisation concourt à cette dernière carence.
L’intergouvernementalité de l’ONU implique que la justice transitionnelle qui y est conduite
sera nécessairement soumise à des considérations de realpolitik. La persistance d’une certaine
opposition entre la paix et la justice ainsi que la volonté de maintenir la centralité, si ce n’est
1141
Voir supra, partie 1, titre 2, chapitre 2, section II.
282
l’exclusivité, d’une approche individuelle de la responsabilité révèle les réticences étatiques
vis-à-vis de la lutte contre l’impunité et de la justice transitionnelle.
439. La justice transitionnelle onusienne évolue donc d’une démarche trébuchante. Il
apparaît cependant que le plus important obstacle sur son avancée soit les défaillances de
l’ONU vis-à-vis des évolutions internes nécessaires à l’efficacité et à la crédibilité de son
action dans ce domaine.
283
Titre 2: L’adaptation défaillante de l’ONU face au
développement de son action dans le domaine
de la justice transitionnelle
440. La justice transitionnelle incarne bon nombre des évolutions qu’a connu le maintien de
la paix depuis la fin de la guerre froide. Elle marque l’implication de l’ONU dans les conflits
internes et consacre la fin de l’équivalence des régimes au sein de l’Organisation. Elle se
déploie, en partie, au sein d’opérations multidimensionnelles qui témoignent de
l’élargissement des facteurs considérés comme indispensables à la paix. En conséquence, elle
confirme le glissement des destinataires de l’action onusienne de l’État vers les populations,
notamment en intégrant le respect des droits de l’Homme dans les facteurs de paix.
441. Ces évolutions de l’action onusienne pour le maintien et la consolidation de la paix ont
nécessairement des répercussions sur l’organisation interne des Nations Unies. Afin
d’assumer la multiplication des tâches conduites par l’ONU, de nouvelles entités ont du être
créées. Cela a été le cas, notamment, du département des affaires politiques, créé en 1992, du
Haut-Commissariat aux droits de l’homme, créé en 1993 ou encore du dispositif pour la
consolidation de la paix – comprenant la Commission, le Fonds et le Bureau d’appui à la
consolidation de la paix – créé en 2006. Il a fallu ensuite déterminer la place de la justice
transitionnelle au sein de cette nouvelle architecture. De nouveaux moyens d’action ont
également du être imaginés pour faire face aux besoins d’États désormais considérés comme
défaillants. Les expériences des administrations transitoires et de certains mécanismes de
justice transitionnelle gérés de façon intégralement internationale en témoignent.
442. Certains risques générés par l’évolution du maintien de la paix, ainsi que par les
réponses qui en ont été apportées, semblent avoir été mal évalués par l’ONU. La
multiplication d’institutions onusiennes œuvrant de concert pose inévitablement des
problèmes en termes de coordination. La transversalité de la justice transitionnelle l’expose
particulièrement à ce risque. L’expansion des objectifs poursuivis par l’ONU impacte
également profondément son action. Tout d’abord, dans la mesure où la reconstruction d’un
État suppose en premier lieu sa sécurisation, et étant donné la volatilité, en termes sécuritaires,
des contextes d’intervention, les opérations de maintien de la paix se trouvent de plus en plus
souvent dans l’obligation de faire usage de leurs armes. Ensuite, la prise en charge par l’ONU
de tâches traditionnellement dévolues aux États confère à ses agents un pouvoir sur les
populations assimilable à celui d’autorités étatiques. La question de la responsabilité
284
accompagnant ces pouvoirs doit alors être posée. Ceci est d’autant plus nécessaire lorsque
l’abus de pouvoir par les agents onusiens résulte en des violations, parfois graves, des droits
de l’Homme. La logique voudrait alors que, promouvant la lutte contre l’impunité, notamment
au travers de la justice transitionnelle, l’ONU commence par se l’appliquer.
443. De la réponse apportée par les Nations Unies à ces défis dépendent l’efficacité de son
action et sa crédibilité. Or, cette réponse est insatisfaisante. L’institutionnalisation de la justice
transitionnelle est demeurée lacunaire (Chapitre 1) et l’ONU se considère toujours, de façon
injustifiée, immune à cette justice (Chapitre 2).
285
Chapitre 1. L’institutionnalisation lacunaire de
la justice transitionnelle onusienne
444. Les efforts d’institutionnalisation de la justice transitionnelle se sont essentiellement
confondus avec ceux liés aux réformes du maintien et de la consolidation de la paix. Cette
justice dépasse pourtant largement ce domaine. Les multiples actions portées par le HCDH au
sein de ses bureaux-pays, indépendamment de toute action du Conseil de sécurité, en sont la
preuve1142. Ce débordement du cadre relativement strict du maintien et de la consolidation de
la paix implique en outre plusieurs difficultés en termes d’institutionnalisation, et donc de
cohérence, de l’action de l’ONU dans le domaine de la justice transitionnelle.
En effet, si le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales connaît un
processus décisionnel centralisé entre les mains du Conseil de sécurité, les autres aspects de la
justice transitionnelle, tels le développement, les droits de l’Homme et l’état de droit, font
l’objet de compétences multiples détenues par des acteurs qui ont chacun leur « propre organe
législatif intergouvernemental et [leur] propre mandat »1143. La cohérence de leur action
dépend alors essentiellement de leur propension à travailler, volontairement, de concert, et
non de leur intégration au sein de structures contraignantes de coordination.
L’ONU est pourtant bien consciente de ces limites, qui mènent bien souvent à une
« institutional competition »1144 nuisible à la cohérence de l’action. Les résultats des
évolutions qu’ont tenté de mener les acteurs des réformes, à savoir le Secrétaire général,
l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, restent pourtant, dans le domaine de la justice
transitionnelle, bien maigres. Ces évolutions n’ont en effet réglé ni la dispersion des
compétences onusiennes dans cette matière (Section I), ni les imperfections de la
coordination opérationnelle des actions menées par les divers organes onusiens (Section II).
1142
Supra titre 1, chapitre 1 et Annexe V, Bureaux-pays du HCDH et justice transitionnelle.
SGNU, UN Doc. A/50/60-S/1995/1, Supplément à l’agenda pour la paix, op. cit., § 94.
1144
SGNU, UN Doc. A/72/525, Restructuration du pilier paix et sécurité de l’Organisation des Nations Unies,
13 octobre 2017, § 4.
1143
286
Section I
La dispersion des compétences onusiennes en
matière de justice transitionnelle
445. En adoptant une vision holiste de la justice transitionnelle1145, l’ONU a étendu ce
domaine de telle sorte qu’un nombre croissant de ses organes, fonds, programmes, agences et
départements peut potentiellement être concerné, plus ou moins directement, par sa mise en
œuvre. L’architecture onusienne n’a pas été pensée pour répondre à ce type de défi. Ainsi,
l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité connaissent théoriquement des champs d’action
distincts, la première traitant des questions générales, de l’orientation à donner à la société
internationale, alors que le second se voit cantonné aux questions plus spécifiques et urgentes
touchant la paix et la sécurité internationales. Or, la justice transitionnelle transcende cette
distinction, en faisant rentrer la reconstruction des nations sur la base de valeurs universelles
dans le champ de compétence du Conseil de sécurité, sur le fondement du maintien de la paix
et de la sécurité internationales. Elle se retrouve ainsi à cheval entre la « police » et le
« temple »1146.
La même remarque vaut pour les agences, programmes, fonds et départements onusiens.
Les origines fonctionnalistes de l’ONU ont conduit à une distinction de ses organes par
champs de compétences techniques1147. Bien que relativisée aujourd’hui, cette division
s’observe encore jusque dans le secrétariat, où les aspects militaires et politiques sont répartis
entre le DOMP pour les premiers et le DAP pour les seconds. Ici aussi, la transversalité de la
justice transitionnelle malmène cette construction.
446. Parallèlement à cela, la popularité de la justice transitionnelle incite de plus en plus
d’acteurs, tant intraonusiens que extraonusiens, à s’y impliquer, qu’il s’agisse de profiter de la
« bulle »1148 transitionnelle ou simplement d’étendre leur influence. Cette affluence d’acteurs
et cette transcendance des domaines techniques provoque alors une dispersion des
compétences, qui s’observe aux niveaux des structures intergouvernementales (§ 1) et
intégrées (§ 2).
1145
Voir supra, partie 1, titre 1, chapitre 2.
KOSKENNIEMI (M.), « The police in the temple. Order, justice and the UN : a dialectical view », EJIL,
vol. 6, 1995, pp. 325-348.
1147
Sur cette origine, voir notamment BRELET (C.), Anthropologie de l’ONU, Utopie et fondation,
L’Harmattan, Paris, 1995, pp. 50-60.
1148
Institute for integrated transitions, « Inside the transition bubble : international expert assistance in Tunisia »,
avril 2013, 40 p.
1146
287
§1/Une
dispersion
des
intergouvernementales
compétences
entre
les
structures
447. La popularité de la justice transitionnelle génère un intérêt grandissant au sein des
divers organes, agences, fonds et programmes de l’ONU. Sa transversalité facilite
l’établissement de leur compétence et le développement d’une action de leur part dans ce
domaine, générant une fragmentation de l’action au sein même de la famille onusienne (A). À
cette profusion de structures onusiennes agissant dans ce domaine, il faut rajouter les acteurs
externes, tels les États, les organisations régionales et sous-régionales ou encore les
institutions financières internationales, qui s’impliquent de plus en plus dans les programmes
de justice transitionnelle. Ces actions peuvent concerner l’ONU de façon plus ou moins
directe, que l’Organisation délègue certaines tâches à ces acteurs externes, ou que ceux-ci
agissent, de leur propre chef, dans des contextes ou sur des projets au sein desquels l’ONU est
impliquée. Dans ces deux cas, l’action de ces acteurs externes pose la question de la
coordination entre ces derniers et l’ONU (B).
A) La multiplication de compétences concurrentes au sein de la famille
onusienne
448. La fragmentation intra-onusienne de la justice transitionnelle est tout d’abord visible au
sein des principaux organes intergouvernementaux de l’Organisation. De même que la
consolidation de la paix est partagée entre les trois piliers onusiens que sont le maintien de la
paix, le développement et les droits de l’Homme1149, la justice transitionnelle trouve à
s’appliquer tout à la fois dans un but de consolidation de la paix par la prévention des conflits,
domaine attribué au Conseil de sécurité, et à la protection et la promotion des droits de
l’Homme, compétence déléguée par l’Assemblée générale au Conseil des droits de l’homme.
Or, si l’Assemblée générale se garde, conformément à ses obligations issues de la Charte1150,
de se prononcer sur des situations à l’agenda du Conseil de sécurité, le Conseil des droits de
l’homme n’applique pas la même réserve. Ceci s’explique aisément par la nécessité de
protéger et promouvoir ces droits, y compris, et peut-être même surtout, dans les États en
situation de conflit ou de post-conflit. Le manque de communication entre les organes
intergouvernementaux onusiens a été relevé par le « Groupe consultatif d’experts sur
1149
1150
Voir supra, partie 1, titre 1, chapitre 1.
Charte des Nations Unies, op. cit., art. 12.
288
l’examen du dispositif de consolidation de la paix » (« Advisory Group of Experts on the
Review of the Peacebuilding Architecture ») de l’Organisation1151, et les principaux intéressés
ont accepté ce constat1152. Toutefois, le manque de coordination perdure.
449. En ce qui concerne la justice transitionnelle, les interactions entre le Conseil des droits
de l’homme et le Conseil de sécurité sont particulièrement importantes. Dans le cas d’États
hébergeant une opération de maintien de la paix ou une mission politique spéciale, les tâches
attribuées par le Conseil des droits de l’homme au Haut-Commissaire aux droits de l’homme
seront, pour la plupart, conduites par le biais de la section droits de l’homme de la mission en
question, dans la mesure où le chef de cette section est également le représentant du HCDH
dans le pays1153. Il découle de cette situation que le Conseil des droits de l’homme peut influer
de façon significative sur le mandat d’une opération établie par le Conseil de sécurité. Il
revient alors à ce dernier d’accepter et d’incorporer au sein du mandat de la mission les tâches
attribuées par le Conseil des droits de l’homme, ou de les ignorer, créant ainsi une situation
paradoxale où une section de la mission agira conformément à un mandat différent de celui
des autres composantes. Il faut également noter qu’une complication supplémentaire survient
au regard de l’architecture des opérations de maintien de la paix, dans la mesure où certains
éléments considérés comme partie intégrante de l’approche onusienne de la justice
transitionnelle, tels les programmes de lustration (« vetting »), ne sont pas conduits par les
sections droits de l’homme mais par des unités spécifiques (sections RSS pour « Réforme du
Secteur de la Sécurité »), qui échappent donc à la compétence du Conseil des droits de
l’homme.
Cet écart entre les mandats attribués par les deux Conseils s’est présenté dans le
contexte du Soudan du Sud, où le Conseil de sécurité a ignoré1154 les recommandations du
Secrétaire général tendant à intégrer la supervision des aspects de l’ « Agreement on the
Resolution of the Conflict in South Sudan »1155 portant sur la justice transitionnelle1156. Cet
1151
AGNU, UN Doc. A/69/968-S/2015/490, Défi du maintien de la paix. Rapport du Groupe consultatif
d’experts sur l’examen du dispositif de consolidation de la paix, 30 juin 2015, §§ 61-63.
1152
Voir les résolutions identiques du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, en réponse au rapport du
Groupe d’expert sur l’évaluation du dispositif de la consolidation de la paix, S/RES/2282 (2016) et
A/RES/70/262 (2016), § 2, où les deux organes s’engagent à « avoir une action cohérente, durable et
coordonnée, chacun dans le respect du mandat à lui assigné par la Charte des Nations Unies ».
1153
Voir infra, section II.
1154
S/RES/2327 (2016).
1155
Voir Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
1156
Voir UN Doc. S/2016/951, Special report of the Secretary-General on the review of the mandate of the
United Nations Mission in South Sudan, 10 novembre 2016, § 53.
289
aspect a été réintégré à la mission au travers de la création, par le Conseil des droits de
l’homme, d’une Commission des droit de l’homme au Soudan du Sud ayant pour mandat de
soutenir la création des mécanismes de justice transitionnelle, et à laquelle le HCDH doit
procurer tout le soutien nécessaire1157. Ces divergences n’ont certes pas de conséquences
catastrophiques sur le terrain, mais dénotent tout de même un manque de communication et de
coordination entre les organes intergouvernementaux. Elles témoignent aussi de la persistance
d’approches et d’intérêts divergents au sujet de l’élaboration des politiques de justice
transitionnelle, qui nuisent à la cohérence opérationnelle ainsi qu’à l’image de l’Organisation.
450. Outre les principaux organes intergouvernementaux, de nombreuses agences, fonds et
programmes de l’ONU s’impliquent dans la justice transitionnelle. Le PNUD est sans aucun
doute la principale entité en la matière. Le Programme, créé en 1966 comme institution de
coordination des agences onusiennes, a très tôt mené ses propres projets et développé son rôle
d’assistance aux États sortant de crise1158. Il a ainsi été impliqué dans les efforts de
l’Organisation en matière de justice transitionnelle dès leurs prémices, au Salvador, au début
des années quatre-vingt-dix1159. Présent dans près de cent-soixante-dix pays et bénéficiant
d’un poids considérable au sein de l’Organisation, le PNUD occupe une place de premier plan
dans l’assistance aux États sortant de conflit1160. On observe son action en matière de justice
transitionnelle dans la quasi-totalité des contextes où l’ONU agit dans ce domaine1161, ainsi
que, plus rarement, de façon autonome1162. Le caractère transversal de sa compétence permet
également au Programme d’œuvrer dans tous les aspects de la justice transitionnelle, qu’il
s’agisse de l’assistance technique aux commissions vérité, aux programmes de réparation, aux
1157
Voir A/HRC/RES/31/20 (2016), §§ 18-20, et l’extension du mandat de la Commission des droits de l’homme
dans A/HRC/RES/34/25 (2017), §§ 16-18.
1158
DIJKZEUL (D.), « The United Nations development programme : the development of peace ? »,
International Peacekeeping, vol. 5, n° 4, 2008, pp. 96-99.
1159
PNUD, « UNDP and transitional justice : an overview », 2006, p. 6.
1160
DAVIDIAN (A.), KENNEY (E.), « The United Nations and transitional justice », in JACOBS (D.),
LAWTHER (C.) MOFFETT (L.), Research handbook on transitional justice, Edward Elgar Publishing,
Cheltenham, 2017, pp. 194-195. Sur le rôle du PNUD dans le maintien et la consolidation de la paix, voir aussi
SANTISO (C.), « Promoting democratic governance and preventing the recurrence of conflict : the role of the
United Nations development programme in post-conflict peace-building », Journal of Latin American Studies,
vol. 34, n° 3, 2002, pp. 555-586.
1161
La liste complète des actions du PNUD serait impossible à élaborer, non seulement de par son ampleur mais
également en raison de la faible accessibilité de documentation en permettant une étude exhaustive. Citons, à
titre d’exemple, ses actions en Sierra Léone, au Népal ou encore en Tunisie, où le PNUD a agit aux côtés,
notamment, du HCDH. Voir supra, introduction.
1162
Le PNUD conduit, par exemple, un projet visant à soutenir le processus de justice transitionnelle en Gambie.
Voir le descriptif du projet sur le site du Multi-partner trust fund office (http://mptf.undp.org/), projet
« PBF/IRF-172 : Support to the capacity of the government and national stakeholders to establish credible
transitional justice processes and mechanisms that promote sustainable peace in the Gambia ».
290
tribunaux ou encore aux mécanismes traditionnels de réconciliation. La justice transitionnelle
fait désormais explicitement partie de la stratégie d’action du PNUD, au titre de son
engagement pour la justice et les droits de l’Homme1163. Cette implication que l’on pourrait
qualifier d’opérationnelle se double d’une activité doctrinale elle aussi considérable, dans la
mesure où le PNUD développe sa propre approche de la justice transitionnelle, construite
dans un but de justification de ses activités sur le terrain. Ainsi, le lien entre ce domaine et le
développement, tout autant que l’importance d’adopter une approche globale de la justice
transitionnelle, sont régulièrement soulignés par le Programme1164.
451. Mis à part le PNUD et le Fonds de consolidation de la paix, dont il sera question plus
loin1165, les autres entités onusiennes impliquées dans la justice transitionnelle connaissent des
mandats plus restreints et voient ainsi leur action limitée à une expertise technique ciblée.
Parmi ces entités, « l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation de
la femme » (ONU-Femmes) est certainement celle connaissant l’activité la plus importante,
quantitativement parlant. Créée par une résolution de l’Assemblée générale en 20101166,
ONU-Femmes est chargée de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes et de
défendre les droits de ces dernières au sein des États qui en font la demande ainsi qu’au sein
de toutes les actions et structures de l’ONU.
Les résolutions du Conseil de sécurité portant sur les femmes, la paix et la sécurité1167
ont renforcé ce mandat et lui ont fourni une compétence explicite en matière de maintien et de
consolidation de la paix d’une façon générale, et de justice transitionnelle en particulier.
Ainsi, chaque opération de maintien de la paix inclut des agents d’ONU-Femme chargés de
s’assurer que les droits des femmes sont bien respectés, leurs voix entendues et leurs besoins
spécifiques pris en compte dans l’élaboration – y compris au stade des négociations de
paix1168 – et la mise en œuvre des programmes de justice transitionnelle1169. L’action de cette
1163
PNUD, « Évoluer avec le monde. Plan stratégique du PNUD pour 2014-2017 », 2013, p. 36.
Voir le discours de Helen Clark, ancienne Administratrice du PNUD, à la faculté de droit de l’Université de
New York, le 14 novembre 2011, au cours duquel elle affirme que « There is, (…) a role for development actors
in supporting national transitional justice processes, and in grounding them in the longer term development
agenda. » Voir dans le même sens DAVIDIAN (A.), KENNEY (E.), « The United Nations and transitional
justice », op. cit., pp. 914-195, et l’étude du PNUD portant sur les liens entre le régime de la complémentarité au
sein de la CPI, la justice transitionnelle et le développement : PNUD, « Complementarity and transitional
justice : synthesis of key emerging issues for development », 16 novembre 2012, 14 p.
1165
Infra, section II.
1166
A/RES/64/289 (2010).
1167
Voir la résolution S/RES/1325 (2000) initiant l’action du Conseil de sécurité sur la question des femmes, de
la paix et de la sécurité, et les résolutions subséquentes sur le même item. Voir aussi supra, partie 1, titre 1,
chapitre 2, section II.
1168
S/RES/2106 (2013), §§ 7-9 et 12.
1164
291
entité se limite donc à la place de la femme dans les mécanismes de justice transitionnelle
mais concerne l’ensemble de ces mécanismes. ONU-Femmes agit ainsi auprès des tribunaux
pour la prise en compte des crimes fondés sur le genre (« gender based crimes »), notamment
les crimes sexuels, auprès des commissions vérité pour s’assurer de la mise en œuvre de
procédures spécifiques pour les femmes victimes de telles violations, auprès des autorités
traditionnelles pour y garantir l’égalité de traitement femme-homme ou encore auprès des
programmes de réparations pour assurer une prise en compte de leurs besoins spécifiques1170.
452. Le mandat de l’UNICEF, bien qu’antérieur, se rapproche de celui d’ONU-Femmes.
Créé en décembre 1946 pour venir en aide aux enfants et adolescents des pays victimes
d’agression armée, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance a progressivement étendu son
action. De même que pour les femmes, le Conseil de sécurité a développé un intérêt pour la
question de la protection des enfants dans les conflits armés, adoptant une série de résolutions
sur ce thème1171. Contrairement aux résolutions portant sur la situation des femmes, la justice
transitionnelle est absente de celles portant sur les enfants. Seule la justice pénale, y compris
internationale ou hybride, y a brièvement fait son entrée1172. Ceci explique peut-être
l’implication moins importante de l’UNICEF dans les mécanismes de justice transitionnelle.
Il demeure toutefois que l’ONU, et notamment son Secrétaire général, promeut une « child
sensitive approach » de la justice transitionnelle1173, ce qui justifie l’action de l’UNICEF, du
fait de son expertise en la matière. Le Fonds pour l’enfance a ainsi été présent aux côtés des
opérations onusiennes pour le soutien des commissions vérité sierra léonaise, timoraise et
1169
Ibid.
ONU-Femmes gère, par exemple, un projet portant sur les réparations adaptées aux questions de genre
(« gender sensitive reparations ») en Colombie. Voir DAVIDIAN (A.), KENNEY (E.), « The United Nations
and transitional justice », op. cit., p. 196. Voir également les programmes menés au Pérou, auprès de la CVR, et
au Rwanda auprès des juridictions Gacaca : ONU-Femme, « Gender and transitional justice programming : a
review of Peru, Sierra Leone and Rwanda », août 2010, pp. 7-8 et 23-26.
1171
La résolution S/RES/1261 (1999) du 30 août 1999 est la première de ces résolutions, portant sur le thème des
enfants et des conflits armés.
1172
Seules les résolutions S/RES/1998 (2011) et S/RES/2068 (2012) font référence aux mécanismes de justice
pénale pour les crimes visant les enfants. Cette considération a disparu des résolutions suivantes sur le même
thème.
1173
SGNU, « Guidance note of the Secretary General. United Nations approach to transitional justice », op. cit.,
pp. 5-6.
1170
292
libérienne et est consulté sur les questions de protection des enfants au sein des procédures
judiciaires1174.
453. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) développe également
son action en matière de justice transitionnelle, bien que de façon bien plus nuancée que ses
partenaires. Ce retrait s’explique par le caractère traditionnellement spécifique de l’action
humanitaire, caractérisée par l’urgence et l’exclusion, autant que possible, des considérations
politiques1175. Le HCR reconnaît lui-même que le temps théoriquement court de ses
interventions et l’absence de mandat lié au développement ne le prédisposent pas à un rôle
majeur dans le domaine de la consolidation de la paix et de la justice transitionnelle1176.
Toutefois, les liens entre les réfugiés ou les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les
mécanismes de justice transitionnelle sont de plus en plus soulignés par les acteurs et
chercheurs de la justice transitionnelle1177, et il aurait été difficile, et peut-être inopportun,
pour le HCR de ne pas développer son action dans ce sens. Il faut noter que, bien qu’agissant
sans réel cadre stratégique, l’agence onusienne avait déjà, dès le début des années 2000, prêté
son concours aux commissions vérité sierra léonaise et timoraise, en facilitant l’implication
des réfugiés dans leurs procédures1178. Ce n’est toutefois qu’à partir de 2008 que le HCR a
intégré le soutien aux mécanismes de justice transitionnelle dans son plan stratégique1179. Les
actions menées conformément à ce plan sont encore limitées, mais un tel soutien est bien
prévu, par exemple au Burundi et en Libye1180.
454. Deux autres entités onusiennes mènent des actions en matière de justice transitionnelle.
Il s’agit du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) et de l’Organisation
1174
Sur ces actions, voir notamment, COOK (P.), HEYKOOP (C.), « Child participation in the Sierra Leonean
Truth and Reconciliation Commission », in PARMAR (S.), ROSEMAN (M. J.), SIEGRIST (S.), SOWA (T.),
Children and transitional justice. Truth-telling, accountability and reconciliation, Human Rights Programme,
Harvard Law School, 2010, pp. 159-192 ; SOWA (T.), « Children and the Liberian Truth and Reconciliation
Commission, in ibidem, pp. 193-230 ; UNICEF, « Children and the Commission for Reception, Truth, and
Reconciliation in Timor-Leste », Innocenti working paper, par Megan Hirst et Ann Linnarson, juin 2010, 46 p.
1175
Ceci justifie l’exclusion des agences humanitaires du modèle onusien d’intégration de l’action post-conflit.
Voir infra, section II, § 2.
1176
UN Doc. EC/59/SC/CRP.5, « UNHCR’s role in support of the return and reintegration of displaced
populations : policy framework and implementation strategy », 11 février 2008, § 30.
1177
Voir par exemple le projet mené de 2010 à 2012 par le Centre international pour la justice transitionnelle sur
le sujet, ayant donné lieu à la publication d’un ouvrage : DUTHIE (R.), dir., Transitional justice and
displacement, Social Science Research Council, New York, 2012, 362 p.
1178
BRADLEY (M.), « Truth-telling and displacement : patterns and prospects », in ibid., p. 211.
1179
HCR, EC/59/SC/CRP.5, op. cit., § 70.
1180
Comme le précisent les « global [appeals] » adoptés pour le Burundi et la Libye, présentés, respectivement,
pour 2011 et 2012-2013.
293
Internationale pour les Migrations (OIM)1181. L’action de l’UNFPA est principalement dirigée
vers le renforcement du rôle des femmes au sein des mécanismes de justice transitionnelle. Il
participe, dans ce domaine, à des projets en République centrafricaine, en Ouganda et au
Mali1182. On remarquera la similarité de cette action et de celle d’ONU-Femmes, risquant le
double emploi. L’OIM joue pour sa part un rôle important de gestionnaire et agit
principalement en soutien des programmes de réparation. Elle a été impliquée dans des projets
en ce sens en Sierra Léone et au Népal. L’Organisation pour les migrations ne limite toutefois
pas son action à ces projets, puisqu’elle accompagne, par exemple, l’appui à la justice
militaire en RDC ou le renforcement des institutions sri lankaises dans le but de permettre la
mise en œuvre de la justice transitionnelle dans ce pays1183.
455. Les entités intergouvernementales de l’ONU sont donc nombreuses à agir dans le
domaine de la justice transitionnelle. Si les mandats et les compétences spécifiques d’agences
telles qu’ONU-Femmes, l’UNICEF ou encore le HCR confèrent à cette implication une
légitimité incontestable, on observe également l’action d’entités dont le mandat n’est pas aussi
clairement établi ou encadré, et qui présentent parfois le risque de créer des doublons, comme
par exemple entre l’UNFPA et ONU-Femmes, dispersant ainsi les ressources financières.
À cette affluence intra-onusienne, il faut également ajouter celle des acteurs extérieurs,
qu’il s’agisse d’organisations internationales, régionales ou sous-régionales ou encore
d’agences étatiques qui, de plus en plus, développent une compétence et des actions dans le
domaine de la justice transitionnelle.
1181
L’OIM est affiliée à l’ONU depuis l’adoption par l’Assemblée générale de l’ « Accord sur les relations entre
l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation internationale pour les migrations ». Voir A/RES/70/296
(2016).
1182
Voir les descriptifs des projets pour la RCA, l’Ouganda et le Mali sur le site du Multi-partner trust fund
office (http://mptf.undp.org/), respectivement : PBF/IRF-103, « Appui au processus de réconciliation nationale
pour une paix durable en RCA (CAR) » ; PBF/UGA/A-1, « Peacebuilding through justice for all and human
rights » et PB/IRF-146, « De victimes à actrices de la paix : renforcement de la participation des femmes dans la
mise en œuvre de l’accord de paix et l’amélioration de la cohésion sociale ».
1183
Les descriptifs des projets portés par l’OIM en Sierra Léone, au Népal et en RDC sont disponibles sur le site
du Multi-partner trust fund office (http://mptf.undp.org/), respectivement : PBF/SLE/A-4, « Support to the
implementation of the reparations programme as part of the recommendations of the Truth and Reconciliation
Commission (TRC) » ; PBFF/NPL/E-1, « Fairness and efficiency in reparations to conflict-affected persons » et
PBF/COD/E-6, « Cellules d’appui à la justice militaire ».
294
B) L’implication croissante des acteurs extérieurs
456. L’action des organisations intergouvernementales est en plein développement. Nous
avons eu l’occasion d’évoquer le rôle du système interaméricain dans le développement
normatif de la justice transitionnelle ainsi que de certains aspects opérationnels pris en charge
par l’Organisation des États Américains au sein de la Mission conjointe menée par cette
dernière et l’ONU en Haïti (MICIVIH)1184. Cette coopération se renouvelle aujourd’hui dans
le contexte colombien, où la Mission d’appui du processus de paix de l’OEA (MAPP) et la
Mission de Vérification des Nations Unies en Colombie sont toutes deux chargées de vérifier
la mise en œuvre de l’Accord de paix, bien que seule la première bénéficie d’un mandat relatif
aux mécanismes de justice transitionnelle que cet accord prévoit1185.
457. L’Union Africaine et l’Union Européenne développent elles aussi une compétence et
des projets dans le champ de la justice transitionnelle. Toutes deux se dotent actuellement
d’un cadre stratégique spécifiquement lié à ce domaine, établissant les principes encadrant
leurs actions1186. D’un point de vue opérationnel, les deux organisations ont récemment œuvré
à la création de tribunaux hybrides dans leurs aires géographiques respectives. Les Chambres
africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises (CAE) ont ainsi pu condamner
l’ancien dictateur tchadien Hissen Habré1187 alors que les Chambres spéciales pour le Kosovo
débutent leurs travaux à La Haye1188. Ce dernier projet s’ajoute à celui mené par la mission de
l’UE Eulex Kosovo qui, agissant au sein de l’appareil judiciaire kosovar, représentait une
prolongation du travail mené par la MINUK au sein des panels 64. Il faut enfin souligner que,
au sein de la MINUAD, l’UA a eu à collaborer avec l’ONU au sein d’une opération de
maintien de la paix conjointe dont le mandat comportait un important volet en matière de
1184
Supra, partie 1, titre 1, chapitre 1 et partie 2, titre 1, chapitre 1, respectivement. Voir également Annexe III,
Missions politiques spéciales et justice transitionnelle.
1185
Voir le mandat de la MAPP tel que modifié par le « Quinto protocolo adicional al convenio entre la
Repùblica de Colombia y la Secretaría general de la Organización de Estados Americanos para el
acompañamiento al proceso de paz en Colombia, firmado el 23 de Enero de 2004 », 1 décembre 2014, art. 2. 1.
3.
1186
Il s’agit, pour l’Union Africaine de l’ « African Union transitional justice framework (ATJF) », dont le
dernier draft est en cours d’adoption, et pour l’Union Européenne des conclusions du Conseil de l’UE
n° 13576/15 du 16 novembre 2015, comportant en annexe de l’annexe « Le cadre d’action de l’UE en matière de
soutien à la justice transitionnelle ».
1187
Voir le statut des Chambres : « Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l’Union
Africaine sur la création de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises », Dakar,
22 août 2012. Voir également le jugement de la chambre d’appel dans l’affaire Hissen Habré : CAE, Appel, Le
procureur général c. Hissein Habré, arrêt, 27 avril 2017.
1188
Voir Loi No. 04/L-274 « on ratification of the international agreement between the Republic of Kosovo and
the European Union on the European Union rule of law mission in Kosovo », 23 avril 2014, disponible sur le site
des Chambres spéciales : www. scp-ks.org.
295
justice transitionnelle1189. De plus, l’UE, l’UA et l’ONU ont participé aux négociations de
paix au Soudan du Sud au sein de l’IGAD Plus (« Intergovernmental Authority on
Development »)1190, qui ont abouti à la signature d’un accord comportant un programme
complet de justice transitionnelle1191. Par ailleurs, l’UE soutient financièrement de
nombreuses initiatives liées aux commissions vérité et aux procès pénaux1192.
458. La Banque mondiale, déjà associée aux efforts onusiens de consolidation de la paix1193,
reconnaît également le rôle de la justice transitionnelle dans le développement et la stabilité
des États, comme elle l’a exprimé dans son rapport mondial sur le développement de 2011. Le
Conseil de l’Europe et l’OSCE promeuvent également la mise en œuvre de programmes de
justice transitionnelle1194. Cette dernière a d’ailleurs coopéré avec la MINUK pour les
programmes de lustration des forces de police au Kosovo. La CPI, enfin, joue un rôle majeur
dans la définition des stratégies de justice transitionnelle. Outre les procès qu’elle mène, la
Cour, à travers le bureau du Procureur, s’assure que les stratégies mises en œuvre par les États
respectent bien leur obligation de poursuivre les responsables de crimes internationaux,
limitant ainsi l’intégration des mécanismes de pardon ou de réconciliation lors des
négociations de paix. On a pu récemment voir le bureau du procureur de la CPI tenir ce rôle
auprès des parties aux négociations de paix en Colombie1195.
459. Les États eux-mêmes sont également des acteurs importants de la justice transitionnelle,
et agissent régulièrement aux côtés de l’ONU. Les agences de développement suisse et
canadienne fournissent une expertise auprès de la CVJR malienne, qui est également soutenue
par la section droits de l’homme de la MINUSMA. La GIZ, l’agence de développement
allemande, est également présente dans de nombreux contextes post-conflit. L’un de ses
programmes récents, le PROPAZ, vise à soutenir la justice transitionnelle en Colombie. Si la
1189
Voir Annexe II, Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle.
Ce groupe, créé sur la base de l’IGAD pour traiter de la question du Soudan du Sud, réunit les chefs d’États
de l’Ethiopie, de Djibouti, du Kenya, de la Somalie, du Soudan, de l’Ouganda, du Soudan du Sud, du Rwanda,
de l’Algérie, du Tchad, du Nigéria et de l’Afrique du Sud, ainsi que des représentants de l’ONU et de la
Commission de l’Union Africaine.
1191
Voir Annexe I, Accords de paix et justice transitionnelle.
1192
FARHAT (N.), ROSOUX (V.), « Les organisations régionales et la gestion du passé. Des limites de
l’historiquement correct », in LIÉGEOIS (M.), PELLON (G.), dir., Les organisations régionales européennes et
la gestion des conflits, Peter Lang, Bruxelles, 2010, pp. 275-280.
1193
Voir infra, section 2.
1194
FARHAT (N.), ROSOUX (V.), « Les organisations régionales et la gestion du passé. op. cit., pp. 270-274.
1195
Voir à ce sujet LUCAS (R.), MARIE (E.), « Notre unique arme sera la parole : réflexions sur l’accord de
paix colombien du 30 novembre 2016 », op. cit. Voir également les déclarations du bureau du Procureur de la
CPI : Bureau du Procureur de la CPI, « Déclaration du Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, à propos de la
conclusion des pourparlers de paix entre le Gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de
Colombie – Armée du peuple », 1er septembre 2016.
1190
296
plupart des projets conduits ou soutenus par les États a vocation à respecter les normes et
standards internationaux reconnus par l’ONU, certaines initiatives dépassent largement ce
cadre. On pense alors au Tribunal spécial irakien, créé sous l’égide des États-Unis
d’Amérique, et qui a condamné Saddam Hussein à mort1196. Ceci nous rappelle que les États,
tout comme les ONG et les OI, bien que de façon parfois plus visible, poursuivent, y compris
en matière de justice transitionnelle, des intérêts qui leurs sont propres et qui peuvent être
divergents de ceux suivis par l’ONU.
Il ne faudrait pourtant pas croire que l’ONU poursuit elle-même des intérêts identifiés
de façon uniforme. Il faut également se garder de voir dans les différences d’approches un
simple effet d’une concurrence financière lorsqu’elle concerne les acteurs privés, telles les
ONG, ou envisagée en termes de puissance et de soft power, lorsqu’elle concerne la sphère
interétatique. En effet, cette mise en concurrence et ces divergences s’observent tout aussi
bien au sein des structures intégrées de l’ONU, du fait de l’éclatement en leur sein des
compétences en matière de justice transitionnelle.
§2/ Une dispersion des compétences entre les structures intégrées
460. Bien que débarrassées des considérations des luttes de puissance qui caractérisent les
relations au sein des organes et institutions intergouvernementaux, les structures intégrées ne
sont pas étrangères aux luttes d’influence. L’enchevêtrement des compétences peut générer un
effet de mise en concurrence, particulièrement dans un contexte de ressources budgétaires
limitées. À cela vient s’ajouter des différences profondes de culture, dues aux mandats
diversifiés, impliquant des objectifs parfois divergents de ces structures. Diplomates,
militaires et militants des droits de l’Homme peuvent ainsi avoir à concilier leurs approches
en vue d’accomplir un mandat commun en matière de justice transitionnelle. On imagine
aisément les tensions que cette situation peut générer. Or, la justice transitionnelle nécessite la
coopération de ces composantes et de ces cultures diverses.
La solution du Secrétaire général à ces luttes internes a été de placer la justice
transitionnelle sous la responsabilité du Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Malgré
les indéniables bienfaits de la création de ce leadership, ce dernier reste imparfait (A) et n’a
pas suffi à mettre fin à la concurrence qui oppose encore les départements opérant au sein du
secrétariat (B).
1196
Pour une analyse critique de ce tribunal, voir GARAPON (A.), HUBRECHT (J.), « Le Tribunal Spécial
irakien et le procès de Dujail », Esprit, 2007/2 (février), pp. 168-172.
297
A) Le leadership imparfait du Haut-Commissariat aux droits de l’homme
461. Les années deux-mille ont vu un accroissement quantitatif significatif de l’implication
du HCDH dans le soutien aux politiques et mécanismes de justice transitionnelle. Si
l’accroissement global de l’action de l’Organisation dans ce domaine est en partie responsable
de cette tendance, cette dernière témoigne également du glissement de la justice
transitionnelle du volet diplomatique de l’action onusienne vers le volet droits de l’Homme.
On remarque ainsi que le Haut-Commissaire a remplacé le Secrétaire général dans la tâche de
désignation des commissaires des commissions vérité1197. Ce facteur révèle également, et a
probablement facilité, le renforcement du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, dont la
légitimité n’est aujourd’hui plus contestée1198. À cet égard, il est probable que l’action du
HCDH dans le domaine de la justice transitionnelle a participé à un renforcement mutuel de
l’entité et du domaine d’action, à tel point qu’une tendance apparaît, au sein de l’ONU, à
assimiler droits de l’Homme et justice transitionnelle1199.
462. La centralité du HCDH dans l’action onusienne dans le domaine de la justice
transitionnelle n’a pourtant été reconnue que tardivement. Ce n’est qu’à partir de la décision
du Secrétaire général de 20051200, portant sur les droits de l’Homme dans les missions
intégrées, et de son rapport « Unissons nos forces » de 20061201 que le rôle du HautCommissariat a été officialisé et accompagné de prérogatives spécifiques. Le rapport précise
ainsi que :
« [le] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) sert
de chef de file du système des Nations Unies pour la promotion et la protection
des droits de l’homme, y compris la justice transitionnelle. Il dispense appui et
conseils dans ce dernier domaine, notamment en vue de la mise au point d’outils
1197
Les mandats respectifs des commissions vérité salvadorienne et sierra léonaise sont un exemple de cette
évolution.
1198
La création du poste de Haut-Commissaire a été vivement contestée par les États membres ainsi que par le
Secrétaire général Boutros-Ghali lui-même. Voir les débats à l’Assemblée générale sur la création du poste :
A/48/P.V85, 20 décembre 1993. Voir également ALSTON (P.), « Neither fish nor fowl : the quest to define the
role of the UN High Commissioner for human rights », EJIL, vol. 8, n° 2, 1997, pp. 322-325.
1199
HANNUM (H.), « Human rights in conflict resolution : the role of the Office of the High Commissioner for
human rights in UN peacemaking and peacebuilding », Human Rights Quarterly, vol. 28, n° 1, 2006, p. 36.
1200
SGNU, décision n° 2005/24, « Human rights in integrated missions », 26 octobre 2005.
1201
SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit.
298
de prise de décisions, ainsi qu’une aide à la conception, la création et la mise en
service de mécanismes de justice transitionnelle.»1202
La décision de 2005 prévoit pour sa part qu’au sein des opérations de paix, les éléments
liés aux droits de l’Homme seront placés sous la responsabilité d’une section spécifique, dont
le chef serait également le représentant du Haut-Commissariat aux droits de l’homme dans le
pays. Le rôle du HCDH a encore été étendu en vertu de l’accord (« policy ») signé en 2011
entre ce dernier, le DOMP, le DAP et le Département d’appui aux missions (DAM)1203. Il
dispose que :
« [the] human rights component works alongside host governments to strengthen
their capacity to promote and protect human rights in different ways, for example
by supporting the establishment of transitional justice frameworks and
mechanisms, including vetting, reparations, truth and reconciliation commissions,
and judicial mechanisms to address past violations »1204.
Cet accord est venu combler une lacune dans l’encadrement de la coordination des
entités concernées. Alors que le HCDH et le DOMP avaient bien conclu un mémorandum
d’accord dès 1999, révisé en 2002, un tel document manquait pour la gestion des relations
entre le Haut-Commissariat et le DAP1205. Cela signifie que les missions politiques spéciales,
gérées par ce dernier, ne reconnaissaient pas de rôle particulier au HCDH. Étant donné
l’intégration de plus en plus régulière de volets « justice transitionnelle » dans les mandats de
ces missions1206, ainsi que l’accroissement du nombre de ces dernières, cette carence
représentait un risque pour l’efficacité et la crédibilité des actions onusiennes en matière de
droits de l’Homme d’une façon générale et de justice transitionnelle plus particulièrement.
463. La position de leadership du HCDH permet son implication dans l’élaboration de tous
les programmes menés par les opérations de maintien de la paix et missions politiques
spéciales dans le domaine de la justice transitionnelle. Des programmes tels que les
lustrations, conduites par les sections RSS, les éléments liés au dialogue intercommunautaire
et à la réconciliation, souvent menés par les sections affaires politiques, ou encore les
1202
Ibid., § 13.
HCDH/DOMP/DAP/DAM, Policy, « Human rights in United Nations peace operations and political
missions », 1 septembre 2011.
1204
Ibid., § 71.
1205
HANNUM (H.), « Human rights in conflict resolution », op. cit., p. 13.
1206
Voir Annexe III, Missions politiques spéciales et justice transitionnelle.
1203
299
éléments des programmes de désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) touchant aux
réparations, menés par les composantes militaires, doivent être mis en œuvre en coopération
avec les sections droits de l’homme, qui sont consultées en leur qualité de leader en matière
de justice transitionnelle. Des échecs, en termes de respect des droits de l’Homme, tels qu’en
a connu le programme de lustration mené par la MINUBH en Bosnie-Herzégovine peuvent
ainsi être évités1207. Il faut toutefois noter que cette évolution s’inscrit dans un renforcement
plus large de la protection et de la promotion des droits de l’Homme par et au sein des actions
de l’ONU. Des expériences telles que le Sri Lanka, où l’ONU a échoué, par manque de
coordination et de volonté politique, à protéger les populations1208, ont incité l’Organisation à
replacer les droits de l’Homme au cœur de l’ensemble de ses actions. Plusieurs initiatives ont
alors été adoptées, dont la décision de 2005, « Human rights up front »1209, enjoignant à toutes
les entités onusiennes d’intégrer la protection des droits de l’Homme dans l’ensemble de leurs
programmes. On peut également citer la « politique de diligence voulue »1210, mettant en
place un système de renseignement à disposition des composantes militaires pour leur
permettre de refuser toute assistance à des forces nationales comprenant dans leur rang des
individus soupçonnés de violations des droits de l’Homme ou du droit humanitaire.
L’intégration transversale des droits de l’Homme a eu pour effet de renforcer le rôle du HautCommissariat en lui conférant une légitimité pour promouvoir ses intérêts au sein de l’action
de l’ensemble des entités onusiennes.
464. Le leadership du HCDH en matière de justice transitionnelle connaît cependant des
limites importantes qui découlent de l’autorité qui l’a investi de ce rôle. Elle implique tout
d’abord que le HCDH n’exerce aucune autorité en la matière sur le Secrétaire général, qui
demeure le plus haut fonctionnaire de l’Organisation et peut ainsi choisir d’impliquer, ou non,
le Haut-Commissariat dans l’élaboration et la mise en œuvre des mandats des opérations de
paix ou encore dans les négociations de paix. Étant donné l’engagement sans équivoque des
Secrétaires généraux en faveur du rôle du HCDH dans le domaine de la justice transitionnelle,
cette limite ne représente pas, dans les faits, un réel obstacle à l’action de ce dernier. On
1207
Voir supra partie 2, titre 1, chapitre 1 et Annexe II, Opérations de maintien de la paix et justice
transitionnelle.
1208
SGNU, Report of the Secretary general’s internal review panel on United Nations action in Sri Lanka,
novembre 2012.
1209
KURTZ (G.), « With courage and coherence. The human rights up front initiative of the United Nations »,
Global Public Policy Institute, juillet 2015, 38 p.
1210
SGNU, UN Doc. A/67/775-S/2013/110, Annexe, « Politique de diligence voulue en matière de droits de
l’homme dans le contexte de la fourniture d’appui par l’ONU à des forces de sécurité non onusiennes », 5 mars
2013.
300
remarque toutefois que les lacunes, en termes de coordination, entre la CVR sierra léonaise, le
TSSL et la MINUSIL1211, auraient probablement pu bénéficier d’une meilleure coordination
entre le Secrétariat, fortement impliqué dans ces deux dernières entités, et le HCDH, central
au sein de la première.
En revanche, les limites à l’autorité du HCDH sont identiques à celles du Secrétaire
général en ce qui concerne les autres acteurs de la justice transitionnelle. Ni l’un ni l’autre ne
possèdent une quelconque autorité sur les organes intergouvernementaux de la famille
onusienne, dont l’implication grandissante dans le domaine de la justice transitionnelle a déjà
été soulignée. Le Haut-Commissariat peut ainsi se retrouver en opposition avec les approches
de certaines entités, au premier rang desquelles se trouve le Conseil de sécurité. Le caractère
hautement politique des décisions adoptées au sein du Conseil peuvent ainsi aller à l’encontre
des principes promus par le HCDH. L’opposition de ces acteurs au sujet de l’immunité
conférée à Ali Abdallah Saleh1212, l’ancien président yéménite, à la suite des négociations de
paix menées par le Conseil de coopération du Golfe, illustre bien la divergence des intérêts
qu’elles poursuivent. Du fait du mandat particulier du Conseil de sécurité, les divergences
pouvant apparaître avec le HCDH sont automatiquement justifiées par la nécessité du
maintien de la paix et de la sécurité internationales. La même remarque ne peut pas
s’appliquer aux institutions spécialisées, fonds agences et programmes qui constituent la
famille onusienne.
465. En tant qu’organes intergouvernementaux, le PNUD, l’UNICEF, ONU-Femmes,
l’UNFPA ou encore le HCR ne sont soumis ni à l’autorité du Secrétaire général, ni bien sûr à
celle du HCDH. Il résulte de ce fait que les agences agissant dans des domaines connexes,
voire similaires, peuvent ne pas poursuivre les mêmes objectifs ou adopter la même approche
que les entités intégrées œuvrant au sein des opérations de paix1213. C’est ainsi que le HCDH
s’est désolidarisé d’un projet du PNUD visant la réconciliation, au Libéria, par le biais de
mécanismes traditionnels de dialogue et de vérité, les palava hut1214. Les deux entités
1211
Voir supra, partie 1, titre 2, chapitre 2, section II.
L’accord prévoyait en effet l’octroi d’une immunité au Président yéménite en échange de son départ. Alors
que le Conseil de sécurité a accueilli avec satisfaction cet accord, il a provoqué la colère de Navanathem Pillay,
alors Haut-Commissaire aux droits de l’homme. Pour les positions respectives du Conseil de sécurité et de la
Haut-Commissaire, voir S/RES/2014 (2011) et HCDH, « Pillay : No amnesty for gross human rights violations
in Yemen », Communiqué de presse, 6 janvier 2012.
1213
CAMPBELL (S. P.), « (Dis)integration, incoherence and complexity on UN post-conflict interventions »,
International Peacekeeping, vol. 15, n° 4, 2008, p. 558.
1214
Projet PBF/LBR/A-11 : « Community-based Truth Telling and Atonement Project », disponible sur le site du
Fonds de consolidation de la paix.
1212
301
onusiennes sont en désaccord sur l’approche à adopter en matière de justice transitionnelle,
notamment concernant la priorité à donner à la lutte contre l’impunité au sens pénal. On
retrouve le même type de projet porté par le PNUD sans le soutien du HCDH en Libye1215,
marquant les problèmes de coordination et de coopération entre ces entités.
466. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme est donc placé au centre de l’action
onusienne en matière de justice transitionnelle et bénéficie à ce titre d’un statut avantageux
qui lui est octroyé par le Secrétaire général. Il demeure que son autorité, tout comme ses
moyens d’action, sont limités et que sa tâche en matière de justice transitionnelle s’inscrit
souvent au sein du contexte plus large des opérations de paix, elles-mêmes soumises aux
concurrences ayant cours au sein du secrétariat des Nations Unies.
B) Le maintien d’une concurrence au sein du Secrétariat
467. En matière de justice transitionnelle, le Secrétaire général agit essentiellement dans le
cadre de ses attributions en termes de bons offices et de médiation. Ses envoyés et
représentants spéciaux participent aux négociations de paix et y promeuvent l’inclusion de
considérations liées à cette justice. Le Secrétaire général est également bien souvent à
l’initiative de la création des opérations de paix1216, notamment en ce qui concerne les
missions politiques spéciales. L’inclusion d’un mandat portant sur la justice transitionnelle
dépend ainsi en grande partie de la réflexion stratégique menée au sein du secrétariat. À ces
aspects opérationnels, il faut également ajouter son action normative, puisqu’il détermine la
ligne politique générale de l’ONU en matière de justice transitionnelle. Cette attribution lui
provient de la double autorité dont il est investi, en tant que figure morale et de chef du
secrétariat1217. La première source d’autorité s’illustre parfaitement au travers de la diffusion
extrêmement large qui a été faite du rapport du Secrétaire général sur l’état de droit et la
justice transitionnelle de 2004. La seconde est visible dans ses décisions relatives à
l’organisation du secrétariat et aux principes encadrant l’action des départements qui le
1215
Projet PBF/IRF-147 : « Towards national reconciliation in Libya », disponible sur le site du Fonds de
consolidation de la paix.
1216
FRANCK (T. M.), « The Secretary-General’s role in conflict resolution : past, present and pure conjecture »,
EJIL, vol. 6, n° 1, 1995, p. 6.
1217
Michael Barnett et Martha Finnemore distinguent ces deux sources d’autorités en qualifiant la première
comme étant « an authority » et la seconde comme étant « in authority ». Voir BARNETT (M.),
FINNEMMORE (M.), Rules for the world. International organizations in global politics, Cornell University
Press, Ithaca, Londres, 2004, p. 25.
302
composent. La « guidance note » sur l’approche onusienne de la justice transitionnelle et le
placement du HCDH en position de leadership dans ce domaine en sont deux illustrations.
468. L’unité du secrétariat telle que représentée par le Secrétaire général n’empêche
cependant pas les rivalités et mécompréhensions entre les départements qui le composent, au
premier rang desquels se trouvent le Département des opérations de maintien de la paix et le
Département des affaires politiques1218. Bien que le HCDH ne fasse pas partie du secrétariat à
proprement parler, il peut être inclus ici en tant qu’entité intégrée participant aux missions
gérées par les deux départements susmentionnés. La compétition entre le DOMP et le DAP
est un sujet récurrent dans le cadre de la réflexion autour de l’action de l’Organisation dans le
maintien et la consolidation de la paix1219. Elle motive aujourd’hui les propositions de fusion
des deux départements, dont les champs de compétence – opérationnel et militaire pour le
DOMP et diplomatique et politique pour le DAP – ne reflètent plus l’évolution du maintien et
de la consolidation de la paix. En effet, le développement des opérations de maintien de la
paix dites « multidimensionnelles », ou de 4ème génération, induit une importante implication
du DOMP dans des secteurs politiques et civils, dont la justice transitionnelle n’est qu’un des
exemples. Parallèlement, l’accroissement tout à la fois du nombre de missions politiques et du
mandat de chacune d’entre elles fait intervenir le DAP dans des secteurs similaires à ceux du
DOMP, telle la réforme du secteur de sécurité1220. Ce rapprochement des domaines
d’intervention des deux départements est également induit par la volatilité sécuritaire des
contextes de leur déploiement, nécessitant un glissement d’une action de consolidation de la
paix à une action de maintien de la paix, comme ce fut le cas en République centrafricaine. Il
apparaît alors que, dans une logique bureaucratique d’extension de leur champ d’action, les
deux départements peinent à communiquer et à échanger leurs informations et leurs
compétences, en matière sécuritaire pour le DOMP et en matière d’analyse politique pour le
1218
Bien que le Département d’appui aux missions fasse également partie du secrétariat et agisse dans
l’élaboration des opérations de maintien de la paix, son rôle tient essentiellement en des tâches de coordination et
d’information, peu problématiques pour le sujet traité.
1219
Voir par exemple Center for conflict resolution, « Restructuring the UN secretariat to strengthen preventive
diplomacy and peace operations », par Stuart Cliffe et Alexandra Novosseloff, février 2017, p. 20 ; PARIS (R.),
« Understanding the “coordination problem” in postwar statebuilding », in PARIS (R.), SISK (T.), The dilemmas
of statebuilding. Confronting the contradictions of postwar peace operations, Routledge, Londres, New York,
2009, p. 57.
1220
Center for conflict resolution, « Restructuring the UN secretariat », op cit., p. 7. Voir également les projets
de lustrations menés par les missions politiques spéciales présentées in Annexe III, Missions politiques spéciales
et justice transitionnelle.
303
DAP1221. Si ces problèmes ne jouent qu’un rôle relativement marginal dans le domaine de la
justice transitionnelle, porté indifféremment par le HCDH que les opérations soient conduites
par le DAP ou par le DOMP, ils impactent tout de même négativement l’élaboration et la
conduite des opérations de paix au sein desquelles les programmes de justice transitionnelle
sont menés.
469. Plus inquiétantes sont les mésententes et tensions entre le Département des affaires
politiques et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, dans la mesure où elles impactent
directement les stratégies de justice transitionnelle menées au sein des missions politiques
spéciales. L’ancrage de cette justice au sein des droits de l’Homme la soumet
automatiquement à l’arsenal normatif lié à ce pilier de l’action onusienne et dont le HCDH est
le garant au sein des opérations de paix. C’est alors le dilemme entre la paix et la justice qui
resurgit entre ces deux entités. Il prend ici la forme d’une opposition entre, d’une part, la
promotion de la lutte contre l’impunité et la dénonciation des violations des droits de
l’Homme et, d’autre part, l’action diplomatique et la préservation des bonne relations entre
l’opération et le gouvernement (dans la mesure où le consentement de celui-ci est nécessaire
au déploiement, au maintien et au travail de l’opération). Bien que des progrès aient été notés
dans la période récente, comme l’atteste la signature de l’accord entre le HCDH, le DOMP, le
DAP et le DAM, l’incompréhension et le manque de communication a souvent caractérisé la
relation entre le Haut-Commissariat et le Département des affaires politiques, menant à une
perte de cohérence de l’action1222.
470. Cette perte de cohérence n’a pas échappé aux acteurs onusiens. De multiples réflexions
ont ainsi été menées pour y remédier, menant à une suite de réformes institutionnelles. Ces
réformes ont pourtant échoué à résoudre un problème récurrent au sein de l’action onusienne
et la coordination opérationnelle demeure très imparfaite.
1221
Ce problème s’est présenté au niveau de la réflexion stratégique, en termes de choix de déploiement d’une
opération de maintien de la paix ou d’une mission politique au Mali et en République centrafricaine et au niveau
opérationnel lors du déploiement de l’ATNUTO au Timor Leste, dont la politique de recrutement a été vivement
critiquée pour ne pas avoir su tirer profit de l’expérience et des compétences en termes d’analyse politique et
stratégique du DAP. Pour ces deux aspects, voir respectivement ibid., p. 14 et MARTIN (I.), MAYER-RIECKH
(A.), « The United Nations and East Timor : from self-determination to state-building », International
Peacekeeping, vol. 12, n° 1, p. 133.
1222
Voir notamment HANNUM (H.), « Human rights in conflict resolution », op. cit., p. 14.
304
Section II L’imperfection de la coordination opérationnelle de
l’action de l’ONU
471. Pour l’ONU, la coordination opérationnelle s’apparente à un tonneau des Danaïdes. En
ce qui concerne la justice transitionnelle et la consolidation de la paix de façon plus générale,
les initiatives de réforme se sont multipliées sans réellement parvenir à régler les problèmes
générés par la prolifération institutionnelle déjà décrite. Autre « mantra » onusien1223. la
coordination souffre d’une réticence à « élaguer dans la jungle »1224 des organes de
l’Organisation. Il en résulte une certaine tendance à l’empilement plutôt qu’au remplacement,
ajoutant des problèmes de coordination aux problèmes de coordination. Représentant déjà le
fil rouge du rapport Brahimi1225, la question de la coordination et de la réforme des opérations
de paix est ainsi toujours à l’ordre du jour1226.
472. La coordination des actions en matière de justice transitionnelle est absolument cruciale
pour assurer leur efficacité dans un domaine aussi diversifié et réunissant un si grand nombre
d’acteurs. Comme le soulignait déjà Boutros Boutros-Ghali, « [les] tâches que comportent les
opérations multifonctionnelles de maintien de la paix et les missions de consolidation de la
paix dépassent la compétence et l’expérience d’un seul département, programme, fonds,
bureau ou organisme des Nations Unies. »1227 La même remarque s’applique à la question
plus spécifique de la justice transitionnelle.
L’ONU s’est donc bien emparée du problème de coordination. Les tendances
susmentionnées ont toutefois généré une situation paradoxale de l’éclatement de mécanismes
visant initialement à améliorer la situation (§ 1). Le modèle actuellement développé
d’opérations dites « intégrées » n’offre à cet égard que des perspectives limitées, notamment
en matière de justice transitionnelle (§ 2).
1223
PARIS (R.), « Understanding the “coordination problem” in postwar statebuilding », op. cit., p. 53.
DEJAMMET (A.), Supplément au voyage en Onusie, Fayard, Paris, 2003, p. 70.
1225
Rapport Brahimi, op. cit.
1226
Le nouveau Secrétaire général, Antonio Gutterres a ainsi fait de cette question l’un des chevaux de batailles
de son mandat. Voir sa première proposition sur le sujet : SGNU, UN Doc. A/72/525, op. cit.
1227
SGNU, UN Doc. A/50/60-S/1995/1, Supplément à l’agenda pour la paix, op. cit., § 93.
1224
305
§1/Le paradoxe onusien de l’éclatement de la coordination
473. En termes de coordination des actions en matière de justice transitionnelle, deux
niveaux sont à prendre en compte. Le premier concerne la coordination intraonusienne et le
second celle de l’ONU avec les acteurs extérieurs.
Au niveau intraonusien, l’effort de coordination s’est effectué par la création conjointe,
par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, en 20051228, d’un nouveau dispositif de
consolidation de la paix. Ont vu le jour à cette occasion : la Commission de Consolidation de
la Paix (CCP), le Fonds de Consolidation de la Paix (FCP) et le Bureau d’Appui à la
Consolidation de la Paix (BACP). Cette création est issue du constat, par le « Groupe de
personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement », de l’absence de
structure onusienne dédiée aux activités de prévention des conflits et notamment de leur
résurgence dans les États fragiles1229. Comme nous le verrons, cette création s’est surtout
illustrée par ses graves insuffisances (A).
Au niveau extraonusien, la diversité des acteurs extérieurs ainsi que leur réticence à voir
leurs actions dictées par l’ONU a mené au refus, par ailleurs légitime, de mettre en place une
coordination institutionnalisée (B).
A) Les insuffisances du nouveau dispositif de consolidation de la paix
Initié par des intentions louables, le nouveau dispositif de consolidation de la paix a été,
dès sa création, fortement affaibli (1). Plutôt que de remplacer ou même de renforcer les
mécanismes épars de coordination qui lui préexistaient, ce dispositif n’a fait, dans une grande
mesure, que s’y ajouter (2).
1228
A/RES/60/80 (2005) et S/RES/1645 (2005).
AGNU, UN Doc. A/59/565, Un monde plus sûr : notre affaire à tous. Rapport du Groupe de personnalités
de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, 2 décembre 2004, §§ 224-230 et 261-269.
1229
306
1. Les faiblesses inhérentes au dispositif de consolidation de la paix
474. Le dispositif de consolidation de la paix proposé par le Groupe de haut-niveau visait à
doter l’Organisation d’institutions capables d’alerter les principaux organes onusiens –
l’Assemblée générale, l’ECOSOC et le Conseil de sécurité – de situations présentant un
risque de développement ou de rechute dans une situation de conflit, de proposer des
stratégies d’intervention, en s’appuyant sur une capacité d’analyse des contextes ainsi que sur
la mobilisation de l’expérience acquise au fil des interventions passées (les « lessons
learned » et « bonnes pratiques »), d’optimiser l’action ainsi entreprise en assurant la
coordination de l’ensemble des acteurs tant onusiens qu’extérieurs, et de fournir une
plateforme de centralisation de contributions volontaires visant à fournir des financements
rapides et ciblés à des projets liés à la consolidation de la paix. Reprise par le Secrétaire
général dans son rapport « Dans une liberté plus grande » de 20051230, l’idée de la création
d’une Commission de consolidation de la paix fut entérinée lors du sommet mondial de
l’ONU de la même année, bien que sous une forme moins contraignante, puisque, ayant perdu
tout moyen d’action autonome, elle n’est alors plus qu’un organe intergouvernemental
consultatif1231. Ce caractère lui vaut d’ailleurs de nombreuses critiques1232, dans la mesure où
ses efforts d’harmonisation de l’action internationale n’ont que la portée que ses partenaires,
onusiens et extérieurs, acceptent de leur donner.
475. Si la compétence de la Commission de consolidation de la paix et de ses partenaires
dépasse largement la justice transitionnelle, cette dernière demeure tout de même au cœur de
leur travail. Les six États à l’agenda de la CCP1233 ont mis ou mettent actuellement en œuvre
des programmes de justice transitionnelle soutenus par l’ONU1234. De plus, la réconciliation
fait partie des préoccupations principales de la Commission, qui en a fait l’un de ses axes de
travail, aux côtés de la revitalisation économique, de la protection et de la promotion du rôle
des femmes et des jeunes et des questions plus administratives tel le transfert des
responsabilités entre les opérations de paix et les équipes pays de l’ONU1235. De même, le
Fonds de consolidation de la paix finance de nombreux projets liés à la justice transitionnelle,
1230
SGNU, UN Doc. A/59/2005/Add.2, Dans une liberté plus grande, op. cit., §§ 114-119.
A/RES/60/1 (2005), §§ 97-105. Sur l’affaiblissement de la CCP par rapport au projet imaginé par le Groupe
de haut niveau, voir BERDAL (M.), Building peace after war, Routledge, Londres, New York, 2009, p. 139.
1232
Ibid.
1233
Il s’agit, par ordre chronologique d’inscription, du Burundi, de la Sierra Léone, de la Guinée Bissau, de la
République centrafricaine, du Libéria et de la Guinée.
1234
Voir les Annexes II à V.
1235
Voir les rapports annuels de la Commission de consolidation de la paix à l’Assemblée générale.
1231
307
au titre de son « dispositif d’appui à la consolidation de la paix et au relèvement » et en
conformité avec les priority areas définies par le Secrétaire général, comprenant les projets
visant au rétablissement de l’état de droit et ceux visant le rétablissement du dialogue et de la
réconciliation nationale1236.
Malgré cette intégration de la justice transitionnelle au sein des objectifs poursuivis par
les organes de consolidation de la paix, leur rôle dans ce domaine demeure marginal et dénote
des carences du point de vue de leur capacité (étendue de l’action) et de leur efficacité
(cohérence de l’action) vis-à-vis des objectifs onusiens de la consolidation de la paix. Tout
d’abord, la Commission et le Fonds de consolidation de la paix paraissent peu attractifs tant
pour les États potentiellement visés que pour les institutions internationales censées soutenir
leur travail. Le faible nombre d’États inscrits à l’agenda de la CCP témoigne du peu d’intérêt
que la Commission suscite, y compris auprès des organes onusiens compétents pour la saisir
(c’est-à-dire le Secrétaire général ainsi que l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et
l’ECOSOC). Des contextes tels que le Mali, la Libye, la RDC ou encore la Côte d’Ivoire font
l’objet d’actions onusiennes dans le domaine de la consolidation de la paix sans toutefois être
inscrits à cet agenda. Parallèlement, les réserves financières du Fonds de consolidation de la
paix demeurent très inférieures aux ambitions affichées1237.
476. Du point de vue de l’efficacité de l’action des organes de consolidation de la paix,
plusieurs carences importantes sont à relever. Il paraitrait évident qu’un dispositif onusien de
consolidation de la paix serve à orienter l’action de ses membres et de ses partenaires vers les
objectifs de ce domaine tels que déterminés par l’ONU. C’était en tous cas l’une des attentes
et des motifs initiaux de création de la CCP, censée incarner une unification de l’approche
internationale de la consolidation de la paix. Le caractère intergouvernemental, comprenant
une composition tripartite entre les trois principaux organes intergouvernementaux onusiens
ainsi que le caractère consensuel des recommandations et programmes adoptés par la CCP,
n’ont finalement permis à celle-ci que de refléter les oppositions politiques plutôt que de les
dépasser. Si quelques éléments non sujets à polémique, tel le rôle des femmes et des jeunes
dans la consolidation de la paix, sont bien développés par la Commission, aucune approche
globale et unifiée de la consolidation de la paix n’a émergé de ses travaux et le domaine reste
considéré comme flou.
1236
Voir le mandat du Fonds tel que défini par le Secrétaire général et adopté par l’Assemble générale. UN Doc.
A/63/818, 13 avril 2009, annexe.
1237
Le FCP dispose de fonds d’un montant annuel approximatif de 500 millions de dollars. AGNU, UN Doc.
A/69/968-S/2015/490, op. cit., §§ 13-115.
308
D’autre part, les programmes d’action de la CCP, développés au sein de ses stratégies
d’engagement1238, mettent l’accent sur l’appropriation nationale et le respect des priorités
définies par les pouvoirs exécutifs des États inscrits à son agenda. Cette recherche du
consensus permet certes d’assurer une coopération accrue des autorités nationales, mais limite
drastiquement les possibilités d’engager l’action sur des terrains plus polémiques telle que la
lutte contre l’impunité. Il paraît ainsi étrange que les stratégies d’engagement de la CCP au
Libéria et au Burundi, où l’ONU, notamment à travers le HCDH, cherche à promouvoir cette
lutte, ne font aucune mention d’éventuelles poursuites pénales des responsables de graves
violations des droits de l’Homme, leur préférant des programmes orientés vers le dialogue,
tels les palava hut libériens. Le même problème est visible au sein du Fonds de consolidation
de la paix, qui favorise les programmes liés à une justice transitionnelle axée sur la
réconciliation, finançant des projets de dialogue national et de réparation, au détriment
d’actions portant sur la justice pénale. Le dispositif onusien de consolidation de la paix, sans
permettre l’adoption d’une vision commune de ce domaine, semble ainsi participer à
l’affaiblissement de celle promue par le Secrétaire général et le HCDH en ce qui concerne la
justice transitionnelle.
Soumise aux luttes politiques intraonusiennes et aux réticences politiques des
gouvernements nationaux, la CCP peine à trouver sa place au sein du vide institutionnel
qu’elle était censée combler. Elle n’apparaît alors plus que comme un instrument de
coordination de plus dans un paysage déjà fourni en la matière.
2. La dilution du dispositif au sein des mécanismes de coordination
477. La réaction de Koffi Annan et des États membres de l’ONU face au vide institutionnel
lié à la consolidation de la paix est représentative d’une tendance des bureaucraties à régler les
problèmes par la voie institutionnelle1239. La création du dispositif de consolidation de la paix
ne représente alors qu’une répétition d’efforts similaires visant à traiter du problème récurrent
de la coordination des actions onusiennes. Le fait est que la multiplication d’institutions ou de
groupes orientés vers la coordination pose des problèmes de coordination entre ces groupes et
institutions et de chevauchement des mandats. Il est à cet égard caractéristique qu’une partie
1238
Ces stratégies sont comprises dans des documents dont la dénomination varie. Le Burundi, la Sierra Léone,
la Guinée Bissau et la RCA font l’objet d’un « Cadre stratégique pour la consolidation de la paix » alors que la
Guinée et le Libéria ont conclu des « Déclarations d’engagements mutuels pour la consolidation de la paix ».
1239
PARIS (R.), « Understanding the “coordination problem” in postwar statebuilding », op. cit., p. 59.
309
des efforts de la Commission de consolidation de la paix soit orientée vers la coordination de
son action et de celle du Fonds de consolidation de la paix, pourtant créé à ses côtés. La
Commission souffre encore ici de son manque de caractère contraignant, dans la mesure où
les documents stratégiques qu’elle adopte pour chaque pays doivent, certes, servir de base à
ceux adoptés pour les mêmes contextes par le Fonds, mais n’engagent aucunement ce dernier.
Il est en effet seulement prévu que, « [pour] les pays dont la Commission de consolidation de
la paix est saisie, le plan de priorités est établi sur la base des priorités définies ou de la
stratégie intégrée de consolidation de la paix arrêtée par la Commission et les autorités
nationales du pays concerné.»1240
478. Outre le Fonds de consolidation de la paix, la CCP cohabite également avec plusieurs
autres structures de coordination de l’action onusienne. Créés respectivement en 20061241 et
2012, le « Groupe de coordination et de conseil sur l’état de droit » et la « cellule mondiale
conjointe de coordination des activités de promotion de l’état de droit relatives à la police, à la
justice et à l’administration pénitentiaire au lendemain de conflits et dans d’autres situations
de crise »1242 – plus connu sous ses noms et acronymes anglais de « global focal point »
(GFP) – ont pour tâche d’assurer la coordination de l’action des acteurs onusiens et, dans une
moindre mesure, extérieurs1243 dans le domaine de l’état de droit. Le premier est dirigé par le
Secrétaire général adjoint et le second par le DOMP et le PNUD, assistés des institutions
principalement concernées, c'est-à-dire le HCDH, l’ONUDC, le HCR, l’UNICEF et ONUFemmes. Si les mandats des deux groupes paraissent différer de celui de la CCP, notamment
par leur orientation technique et plus limitée, leurs activités se recoupent en de nombreux
points. Il est tout d’abord évident et tout à fait constant dans l’approche onusienne que le
rétablissement de l’état de droit est une activité importante de la consolidation de la paix. Il y
aurait donc ici un double niveau de coordination stratégique entre les deux groupes et la CCP.
Ce recoupement s’illustre d’ailleurs tout à fait au vu des contextes qui font l’objet de
l’attention de ces groupes. On observe ainsi que le GFP est actif au Libéria, pays également à
l’agenda de la CCP. On peut également citer le cas de la République centrafricaine,
concernée, notamment pour la mise en place de la Cour pénale spéciale, par le GFP et par la
CCP. L’assistance procurée par ces groupes se situe également, pour une part, au même
1240
Mandat du Fonds de consolidation de la paix. UN Doc. A/63/818, op. cit., § 3. 3 (b), (nous soulignons).
Voir SGNU, UN Doc. A/61/636-S/2006/980, Unissons nos forces, op. cit., §§ 48-50 ainsi que le mandat
révisé du groupe : SGNU, « Rule of law arrangements », décision n° 2012/13, 1er septembre 2012, annexe 2.
1242
Voir ibid., annexe 1.
1243
Il s’agit essentiellement de la Banque Mondiale, invitée à participer aux réunions du Groupe.
1241
310
niveau hiérarchique : il s’agit d’aider les responsables de chaque agence sur le terrain à
inscrire leur action dans un cadre stratégique plus global concernant l’état de droit ou la
consolidation de la paix.
Une partie de l’action de ces groupes et institutions est donc tournée vers la
coordination des opérations sur le terrain. Il faut noter à cet égard que l’instauration, dès 1977,
du coordinateur résident était déjà censée remplir cette fonction de coordination.
Fonctionnaire onusien sous l’autorité du PNUD, le coordinateur résident est chargé de
représenter l’ensemble des agences onusiennes composant l’équipe pays1244 et d’assurer une
coordination de leur action. Si cette tâche dépasse bien évidemment l’état de droit, et la justice
transitionnelle d’autant plus, elle le comprend, dans la mesure où de nombreuses agences
œuvrent dans ce domaine. Il faut également rajouter que dans le cadre des opérations de
maintien de la paix dites « intégrées »1245, le coordinateur résident occupe également le poste
d’adjoint au Représentant spécial du Secrétaire général – le Représentant spécial étant la plus
haute autorité hiérarchique au sein des missions – et, de façon plus anecdotique pour notre
sujet, de coordinateur humanitaire. Il s’agit donc d’une autorité chargée de la coordination de
l’ensemble des activités onusiennes, faisant le lien entre les actions menées dans le cadre des
opérations de maintien de la paix et celles menées par les agences, fonds et programmes
affiliés à l’ONU. Cette tâche est bien évidemment extrêmement lourde et il serait absurde de
faire porter sur le seul coordinateur résident la charge de la coordination. Les groupes
thématiques sont donc d’une aide précieuse pour apporter une expertise technique et assurer la
transmission des connaissances acquises lors d’opérations antérieures. Il demeure que ni les
groupes, ni la CCP ne sont soumis à l’autorité du coordinateur résident. Il s’agit encore ici
d’une autorité coordinatrice avec laquelle une coordination doit être assurée.
479. Le constat du manque de coordination dans la sphère intraonusienne s’applique
également à la sphère extraonusienne. Leurs caractéristiques sont toutefois très différentes. Si
l’absence de coordination institutionnalisée nuit au fonctionnement des actions menées par les
acteurs onusiens, elle pourrait bien représenter un atout pour les relations entre l’ONU et les
acteurs extérieurs.
1244
1245
L’équipe pays représente l’ensemble des agences onusiennes actives dans un contexte donné.
Voir infra, § 2.
311
B) Le refus légitime de l’institutionnalisation de la coordination avec les
acteurs extérieurs
480. L’action des organisations régionales dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationale a été une source de préoccupation pour l’ONU dès sa création. Les conférences
de Dumbarton Oaks puis de San Francisco ont permis de glisser d’une réticence initiale vis-àvis de ces organisations à leur reconnaissance et à l’encadrement de leur action au sein du
Chapitre 8 de la Charte des Nations Unies1246. Dans la mesure où la justice transitionnelle, à
l’instar des autres actions intégrées à la consolidation de la paix, exclut majoritairement la
notion de coercition, les organisations régionales n’ont nulle obligation d’informer le Conseil
de sécurité des actions qu’elles mènent dans ce domaine et peuvent agir de façon totalement
autonome1247. La coopération entre l’ONU et ces organisations est pourtant d’une importance
cruciale pour l’ensemble de ces acteurs. Le développement par les organisations régionales de
compétences et d’outils dans le domaine de la consolidation de la paix et de la justice
transitionnelle leur permet d’étendre leur influence et d’accroître leur visibilité. L’ONU
profite de cette aide pour déléguer en partie des missions coûteuses et limiter son implication
dans certaines régions et certains domaines d’intervention à la fois complexes, donc
potentiellement longs, et sensibles, exposant l’Organisation aux critiques anti-impérialistes. Il
demeure toutefois qu’aucune organisation régionale n’a une connaissance et une expérience
aussi développées que l’ONU en matière de consolidation de la paix et de justice
transitionnelle. L’expertise et les moyens financiers de l’Organisation, ainsi que le sceau de
l’universalisme qui l’accompagne sont des éléments aussi utiles aux organisations régionales
que leur ancrage local l’est pour l’ONU. La coopération est donc nécessaire.
481. Alors que cet appel à une plus grande coopération entre l’ONU et les organisations
régionales ou sous-régionales avait déjà été formulé par Boutros Boutros-Ghali dans son
Agenda pour la paix ainsi que dans le Supplément publié en 19951248, la reconnaissance par
ces organisations d’une nécessité de coordination et la création de structures poursuivant ce
but n’ont progressivement vu le jour qu’à partir des années deux-mille. Les actes, déclarations
et mécanismes qui régissent et mettent en œuvre cette coordination témoignent, par leurs
1246
Pour une historique de la construction du Chapitre 8 et de son fonctionnement, voir notamment VILLANI
(U.), « Les rapports entre l’ONU et les organisations régionales dans le domaine du maintien de la paix »,
RCADI, vol. 290, 2001, pp. 239-270 ; BOISSON de CHAZOURNES (L.), « Les relations entre organisations
régionales et organisations universelles », RCADI, vol. 347, 2011, pp. 238-257.
1247
VILLANI (U.), « Les rapports entre l’ONU et les organisations régionales », op. cit., pp. 396-397.
1248
SGNU, UN Doc. A/47/277-S/24111, Agenda pour la paix, op. cit., §§ 60-65 et SGNU, UN Doc. A/50/60S/1995/1, Supplément à l’agenda pour la paix, op. cit., §§ 85-88.
312
caractères large et succinct, d’une volonté de ne pas réduire de façon excessive la marge de
manœuvre des acteurs concernés. On peut citer à cet égard les deux déclarations conjointes
ONU-UE sur la coopération en matière de gestion de crise de 2003 et 2007, et dont la
première marqua le point de départ de la construction d’une réelle politique de coopération
entre ces deux organisations dans le domaine du maintien et de la consolidation de la paix. Si
les domaines de coopération qu’elles envisagent sont multiples, allant de l’assistance
financière à la tenue d’opérations conjointes et à l’échange d’informations et de bonnes
pratiques1249, la structure de coordination de ces actions de coopération demeure
« légère »1250, incarnée par la volonté de créer un « joint consultative mechanism at the
working level », donnant naissance au Comité conjoint de pilotage en matière de gestion de
crises1251. Il s’agit de créer des espaces de discussion plus que des structures décisionnelles de
coordination. Les bureaux de l’ONU installés à Bruxelles et à Addis Abeba assurent la
continuité de ce dialogue en assurant une permanence du DOMP, du DAP et du DAM aux
sièges de l’UE1252 et de l’UA1253. Dans son aspect le plus institutionnalisé, qu’il s’agisse des
bureaux, du comité conjoint ou encore du cadre global adopté conjointement par l’UA et
l’ONU1254, la coordination se caractérise plus par sa visée théorique qu’opérationnelle. Il
s’agit en effet d’assurer une cohérence au sein des approches définies par les organisations
régionales dans leurs efforts de consolidation de la paix. Cet objectif est d’ailleurs en tête des
tâches confiées au Secrétariat de l’ONU et à la Commission de l’UA par le Joint United
Nations - African Union framework, qui prévoit que ces deux organes développerons « a
shared understanding of each other’s doctrines, policies, roles and practices as a necessary
foundation for collaboration in responding to conflict »1255.
1249
Voir le texte de la déclaration, tel que reproduit in Interrnational Peace Academy, « EU-UN Partnership in
Crisis Management : Developments and Prospects », par Alexandra Novosseloff, juin 2004, p. 17.
1250
NOVOSSELOFF (A.), « La coopération entre l’Organisation des Nations Unies et les institutions
européennes de sécurité : principes et perspectives », Annuaire Français de Relations Internationales, vol. 2,
2001, p. 605.
1251
Le Comité conjoint se réunit bi-annuellement pour évaluer les actions et projets menés et définir, de façon
informelle, ceux à mener.
1252
Le « United Nation Liaison office for Peace and Security » (UNLOPS) a été créé en 2011 dans le but de
favoriser la coordination entre l’UE et l’ONU en matière de gestion de crise, en facilitant les formations
communes, faciliter la gestion des opérations de paix et développer des standards communs de bonnes pratiques.
1253
Voir le rapport du Secrétaire général sur la proposition de budget concernant l’UNOAU : UN Doc. A/64/72,
30 avril 2010 et la résolution de l’Assemblée générale approuvant le rapport A/RES/64/288 ( 2010).
1254
Voir le Joint United Nations - African Union framework for enhanced partnership in peace and security,
New York, 19 avril 2017.
1255
Ibid., p. 6.
313
482. En ce qui concerne les organisations internationales thématiques, la situation n’est que
partiellement différente. Il faut tout d’abord relever que la portée de la coopération entre ces
organisations – Banque Mondiale et CPI par exemple – et l’ONU ne s’inscrit pas dans la
même logique que celle des organisations régionales. Ces dernières développent en effet une
capacité globale de réponse aux situations de crise, ayant pour vocation de leur permettre
d’intervenir elles-mêmes, c’est-à-dire sans assistance opérationnelle de la part de l’ONU, tout
en s’inscrivant dans un cadre légal et doctrinal garanti par la Charte et les organes qu’elle
crée1256. Les organisations thématiques ont au contraire vocation à n’agir que sur un aspect
spécifique de la situation de crise, prédéfini par leur mandat. Il peut s’agir du développement
économique et de la bonne gouvernance pour la Banque Mondiale, ou encore de l’impunité
pénale pour la CPI. Ces organisations n’interviennent donc pas en remplacement de l’ONU,
contrairement aux organisations régionales, mais bien parallèlement aux missions créées par
l’Organisation. La doctrine qu’elles appliquent lors de leurs actions est largement définie par
leur mandat et ne nécessite donc pas, ou dans une moindre mesure, d’efforts d’alignement
avec l’ONU. Ces spécificités de l’action des organisations thématiques impliquent une
coordination se situant à un niveau plus opérationnel que pour les organisations régionales.
483. Les efforts de coordination concernant la Banque Mondiale se sont essentiellement
concentrés sur la participation de cette organisation aux divers documents de planification des
actions onusiennes, tels United Nations Development Assistance Frameworks (UNDAF)1257.
Il s’agit ici d’assurer une coordination entre programmes mis en œuvre à l’échelle d’un pays.
La situation de la CPI est un peu particulière du fait de sa proximité statutaire avec l’ONU,
notamment en ce qui concerne le Conseil de sécurité1258. L’institutionnalisation de cette
relation est d’ailleurs prévue par le Statut de Rome qui dispose que « [la] Cour est liée aux
Nations Unies par un accord »1259. L’accord en question, entré en vigueur en octobre 20041260,
inverse la tendance observée pour les organisations régionales en termes de coopération et de
1256
Les efforts de l’ONU pour renforcer la capacité de l’UA en termes d’opérations de paix vont dans le sens de
cette logique de délégation plutôt que de coopération sur le terrain. Voir notamment S/RES/2320 (2016) et le
rapport du Secrétaire général UN Doc. S/2017/454, Report of the Secretary-General on options for authorization
and support for African Union peace support operations, 26 mai 2017.
1257
Voir infra § 2 les développements liés à l’intégration.
1258
Pensons, par exemple, aux articles 15 bis et16 du statut de Rome, concernant respectivement l’exercice de la
compétence de la Cour pour le crime d’agression et la possibilité pour le Conseil de sécurité de suspendre toute
action d’enquête ou de poursuite de la CPI pour une durée d’un an, ou encore de la possibilité pour le Conseil de
sécurité de saisir e procureur de la CPI, conformément à l’article 13 b) du Statut de Rome.
1259
Voir Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 2.
1260
Voir « Accord négocié régissant les relations entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des
Nations Unies », New York, 10 octobre 2004, RTNU, vol. 2283, p. 195.
314
coordination. En effet, il n’est pas question ici d’aligner des doctrines potentiellement
divergentes, tout juste les deux organisations se reconnaissent-elles l’une l’autre ainsi que
leurs mandats respectifs. Si un dialogue est bien institué entre elles, notamment par
l’instauration d’une « représentation réciproque »1261 et d’un échange d’informations1262, ce
sont les dispositions concernant la « coopération et l’assistance judiciaire »1263 qui se
démarquent par leur précision. Une lecture superficielle suffit à comprendre que cette
précision vise en premier lieu à protéger les missions onusiennes en assurant à l’Organisation
un contrôle strict des informations qu’elle détient, qu’il s’agisse de documents, de l’interview
de personnels ou encore de leur témoignage1264. Il est à cet égard notable que les dispositions
de l’accord entre l’ONU et la CPI liées à la confidentialité des informations aient pu
représenter un défi pour les juges de la Cour dans l’objectif d’assurer le caractère équitable
des procès, une valeur par ailleurs soutenue par l’ONU1265.
484. La coopération et la coordination prennent des formes différentes selon les acteurs
concernés. Ces formes s’adaptent en fonction de leur mandat, mais également du rôle et des
capacités des organisations, ainsi que du contexte de la coopération. Les carences de l’UA et
de la CPI appellent, par exemple, à une coopération renforcée en matière de soutien financier
et matériel, qui pousse la coordination vers un terrain plus opérationnel. L’autonomie
d’action, en termes matériels, de l’UE dirige au contraire la coordination vers un aspect plus
théorique, que l’on retrouve également concernant l’UA, dans l’espoir que cette dernière
développe des capacités d’action comparables. Le contexte commande quant à lui que le
cadre général de la coordination demeure assez large pour pouvoir être adapté à la situation du
terrain. L’accord général liant l’ONU et la CPI est ainsi complété par des mémorandums
d’accord conclus entre les opérations de maintien de la paix et la Cour1266. On comprend que
l’absence de cadre global de coordination découle d’un choix des acteurs tant onusiens
qu’extérieurs, soucieux à la fois de maintenir leur liberté d’action et de permettre la flexibilité
1261
Ibid., art. 4.
Ibid., art. 5.
1263
Ibid., Section III, art. 15 à 20.
1264
Voir l’analyse de ces dispositions in JOHNSON (L.), « The Lubanga case and cooperation between the UN
and the ICC », JICJ, vol. 10, n° 4, 2012, pp. 891-901. Voir aussi infra, chapitre 2.
1265
En l’espèce, la confidentialité des informations empêchait la transmission par le Procureur à la défense
d’éléments à décharge. Voir sur ce sujet, ibid., pp. 883-903, ainsi que, d’un point de vue plus général :
MELILLO (M.), « Cooperation between the UN peacekeeping operation and the ICC in the Democratic
Republic of the Congo », JICJ, vol. 11, n° 4, 2013, pp. 763-782.
1266
Quatre mémorandums ont pour l’instant été conclus, entre la Cour d’une part et, par ordre chronologique, les
missions de l’ONU en RDC, en Côte d’Ivoire, au Mali et en RCA.
1262
315
dans le domaine de la gestion de crises, dont la nécessaire adaptabilité aux contextes locaux
est sans cesse rappelée.
485. En parallèle du développement des mécanismes de coordination décrits ci-dessus,
l’attention de l’ONU s’est portée sur la transformation structurelle de son action sur le terrain,
notamment lorsque celle-ci est portée par des opérations de paix. La solution envisagée est
alors définie par le concept d’intégration, censé représenter l’unification et l’interdépendance
des divers programmes portés par l’Organisation dans un contexte donné. Cette innovation
présente toutefois d’importantes limites lorsqu’elle se voit appliquée à la justice
transitionnelle.
§2/Les limites de la coopération par l’intégration
486. Depuis son introduction en 2000 au sein du rapport Brahimi1267, l’intégration est
devenue le principal instrument de coordination de l’action onusienne pour le maintien et la
consolidation de la paix. D’une définition floue et évolutive, elle est censée permettre la
réunion des départements, missions, agences, fonds et programmes onusiens, ainsi que
certains acteurs extérieurs telles les institutions financières internationales et les autorités
nationales, autour d’une stratégie et d’une organisation commune, menée sous la direction du
Représentant spécial du Secrétaire général (RSSG). L’intégration est multiforme et se déploie
à tous les niveaux de la réponse onusienne aux situations de conflit ou de post-conflit, tant
dans la phase d’évaluation du contexte et des réponses à y apporter, que dans les diverses
étapes de leur mise en œuvre. Elle concerne aussi bien le siège que les acteurs de terrain et
englobe la justice transitionnelle. Si cette situation permet une meilleure visibilité de cette
action et des acteurs onusiens qui la portent, et fournit les moyens pour une plus grande
cohérence de l’action onusienne (A), les limites de ce modèle se font sentir tant pour les
acteurs du maintien et de la consolidation de la paix et du développement que, de façon plus
spécifique, pour ceux de la justice transitionnelle (B).
1267
« Rapport Brahimi », op. cit., §§ 198-217.
316
A) Les apports de l’intégration de la justice transitionnelle
487. Le rapport du Panel sur les opérations de paix des Nations Unies (Rapport Brahimi) a
été le premier à pointer les défauts de cohérence de l’action de l’ONU dans les domaines du
maintien et de la consolidation de la paix et à proposer des pistes pour y remédier. L’une des
propositions avancées était alors la création de « integrated mission task forces » (IMTFs) au
siège, ayant pour tâche de réunir les différentes composantes onusiennes, dans les domaines
militaire, politique, humanitaire, de police, des affaires civiles, d’assistance électorale, des
droits de l’Homme et de développement, dans le but de parvenir à une vision commune des
tâches à accomplir1268. La création de ces IMTFs, ainsi que la décision du Secrétaire général
de réunir les rôles de coordinateur résident, coordinateur humanitaire et adjoint du
Représentant spécial du Secrétaire général entre les mains de ce dernier, sous la responsabilité
directe du Représentant spécial, lui-même en charge de la coordination globale de l’ensemble
des acteurs onusiens1269, marquent les premiers pas du chantier toujours en cours de
l’intégration.
488. Dans sa forme actuelle1270, l’intégration débute avec l’élaboration d’un strategic
assessment mené en commun par les acteurs onusiens présents au sein d’une integrated task
force installée au siège. Ce document est censé représenter l’analyse commune de la situation
sur le terrain et des besoins qu’elle entraîne en termes d’actions, ainsi que la structure à
travers laquelle ces actions peuvent être menées – c’est-à-dire l’opportunité de création d’une
opération multidimensionnelle de maintien de la paix ou d’une mission politique spéciale.
Cette décision est prise par le Secrétaire général qui en fait la proposition à l’organe
intergouvernemental pertinent – Conseil de sécurité ou Assemblée générale – qui définira le
mandat de la mission si une telle action est acceptée. L’intégration continue ensuite au niveau
opérationnel avec l’adoption par les entités onusiennes présentes sur le terrain, c’est-à-dire
l’équipe pays et l’opération de paix, sous l’autorité du Représentant spécial du Secrétaire
général, d’un integrated strategic framework. Ce dernier regroupe les visions et réponses
envisagées par l’ensemble des acteurs onusiens, et éventuellement extérieurs, concernés, dans
1268
Ibid.
Voir la régulation du Secrétaire général : SGNU, « Note of guidance on relations between Representatives of
the Secretary General, Resident Coordinators and Humanitarian Coordinators », 30 octobre 2000.
1270
Jusqu’en 2013, le modèle d’intégration était régi par la régulation instaurant les Intergrated mission planning
process (IMPP), remplacée en 2013 par les procédures d’Integrated Assessment and Planning. Pour le
fonctionnement des IMPPs, voir la règlementation du Secrétaire général reproduite in SGNU, « United Nations
Integrated Missions Planning Process (IMPP) guidelines endorsed by the Secretary-general on 13 June 2006 »,
International Peacekeeping, vol. 15, n° 4, 2008, pp. 588-607.
1269
317
le respect de leurs mandats respectifs. L’objectif est d’assurer une plus grande cohérence des
actions en évitant tant les oppositions que les doublons1271.
489. Pour appréhender l’impact de l’intégration sur les programmes onusiens de justice
transitionnelle, il faut mettre en lien l’intégration du travail des opérations de paix et de
l’équipe pays des Nations Unies avec l’intégration des droits de l’Homme au sein de ces
opérations. C’est une pratique désormais constante à l’ONU d’intégrer les bureaux-pays du
HCDH au sein des opérations de paix, sous la forme d’une section droits de l’homme
bénéficiant d’une compétence générale en matière de justice transitionnelle1272. Cette
première intégration provoque donc le déplacement de l’action de l’équipe pays vers les
opérations de paix. Le modèle intégré de ces opérations, et notamment des tâches intraopérationnelles, permet, en théorie, une plus grande cohérence entre les sections de
l’opération. Les programmes DDR peuvent ainsi être créés en coordination avec les
mécanismes de justice transitionnelle, évitant les incohérences entre ces derniers. Il a par
exemple été remarqué que les compensations financières versées aux combattants démobilisés
devaient être établies en prenant en considération les réparations octroyées aux victimes, afin
de ne pas créer de ressentiment chez ces dernières. Il en va de même pour les programmes de
réinsertion, qui s’exposent à l’incompréhension des populations s’ils ne sont pas mis en lien
avec les programmes de recherche de la vérité, de lustration et de poursuites pénales1273. Ces
problèmes peuvent trouver une solution au préalable par le biais des strategic assessments et
des integrated strategic frameworks.
La seconde intégration, concernant les opérations de paix et l’équipe pays, permet aux
sections de droits de l’homme de maintenir leurs liens avec les entités de l’équipe pays,
particulièrement lorsque celles-ci œuvrent dans le domaine de la justice transitionnelle. La
double casquette de représentant du HCDH et de chef de la section droits de l’homme confère
à ce dernier un poids considérable dans les négociations intra-onusiennes menées dans le
cadre de la planification intégrée. Cette influence est renforcée par la priorité et la
1271
Pour une présentation de la procédure d’intégration ainsi que ces évolutions, voir notamment International
Peace Institute, « Driving the system apart ? A study of United Nations integration and integrated strategic
planning », par Arthur Boutellis, août 2013, pp. 4-9 ; Bureau des Nations Unies pour la coordination de affaires
humanitaires, « Report on integrated missions. Practical perspectives and recommendations », par Espen Barth
Eide, Anja Therese Kaspersen, Randolph Kent et Karin von Hippel, mai 2005, pp. 10-35. La forme actuelle de
l’intégration est régie par la règlementation du Secrétaire général : SGNU, « Policy on integrated assessment and
planning », 9 avril 2013.
1272
Voir supra, section I, § 2.
1273
Voir le rapport de ICTJ sur les problèmes de coordination survenus entre ces mécanismes en Sierra Léone :
ICTJ, « Transitional justice and DDR : the case of Sierra Leone », juin 2009, 4 p.
318
transversalité conférée par le Secrétaire général aux droits de l’Homme et, pour la justice
transitionnelle, par le rôle de leadership attribué au HCDH dans ce domaine1274.
490. L’intégration met donc à disposition des acteurs onusiens les outils nécessaires à une
plus grande cohérence de leur action et permet aux représentants du HCDH intégrés aux
sections droits de l’homme des opérations de paix d’assurer une meilleure visibilité de leurs
objectifs et de leurs projets. Ces bénéfices de l’intégration peinent toutefois à convaincre de la
pertinence de ce modèle pour la justice transitionnelle, tant ses limites sont importantes.
B) Les limites de l’intégration de la justice transitionnelle
491. Le modèle de l’intégration fait l’objet de plusieurs critiques majeures quant à sa mise en
œuvre. Tout d’abord, il faut relever que les processus de coordination, tels que les integrated
strategic frameworks (ISF), n’ont pas remplacé, mais se sont superposés aux autres processus
de coordination s’appliquant à divers niveaux de planification. Les UNDAFs représentent un
processus de planification commune entre l’ensemble des entités onusiennes présentes dans
un contexte donné et sont conduits en coopération avec les autorités nationales, qui doivent
les approuver. Si les temporalités et les acteurs impliqués dans les UNDAFs diffèrent quelque
peu des ISFs, tous deux ont pour objectif d’assurer la cohérence des actions menées par les
entités onusiennes ainsi que leurs partenaires éventuels, au premier rang desquels se trouve la
Banque Mondiale. Contrairement aux ISFs, les UNDAFs représentent également une vitrine
des projets à mener à destination des donateurs1275. La double contrainte de l’assentiment des
autorités et de la mobilisation des donateurs orientant de façon significative le langage et les
projets présentés dans ces documents, l’idée d’un processus à visée plus opérationnelle
comme les ISFs n’est sans doute pas superflue. Il demeure que cette superposition multiplie
les procédures de planification d’une part et de reporting d’autre part, consumant un temps
qui est amputé sur la conduite effective des projets1276. La lourdeur administrative fait donc
partie des premiers défauts de l’intégration.
1274
Le rôle du HCDH, soit en personne soit via son représentant au sein des opérations de paix, est rappelé et
renforcé par le mémorandum d’accord conclu entre le HCDH, le DOMP, le DAM et le DAP. Voir
HCDH/DOMP/DAP/DAM, Policy, « Human rights in United Nations peace operations and political missions »,
op. cit., §§ 15-21.
1275
Voir ROSE (T.), « Reflections on peacebuilding and the United Nations development assistance
framework », Journal of Peacebuilding and Development, vol. 2, n° 3, 2006, pp. 64-77.
1276
Voir notamment DE CONING (C.), « The coherence dilemma in peacebuilding and post-conflict
reconstruction systems », African Journal on Conflict Resolution, vol. 8, n° 3, 2008, pp. 97-99 ; International
Peace Institute, « Driving the system apart ? », op. cit., pp. 9-11 ; CAMPBELL (S. P.), KASPERSEN (A. T.),
319
492. Le principal problème de l’intégration demeure cependant le lien créé entre des activités
régies par des logiques totalement différentes et potentiellement incompatibles. Le problème
s’est particulièrement manifesté à propos des acteurs humanitaires mais concerne également
les agents travaillant au sein des sections droits de l’homme. Par le biais de l’intégration, ces
acteurs se retrouvent sous l’autorité de missions dont le mandat est éminemment politique et
s’appuie sur la coopération et le soutien des autorités nationales. Les acteurs des secteurs
humanitaires et de protection des droits de l’Homme revendiquent au contraire une action
développée indépendamment des tractations politiques, notamment dans le domaine de la
justice transitionnelle. En effet, les activités de lutte contre l’impunité et de lustration
concernent souvent directement des membres des autorités avec lesquels les opérations de
paix doivent travailler. Cette crainte est souvent prise en compte en ce qui concerne les
activités humanitaires, régulièrement exclues de l’intégration dans le but de préserver leur
indépendance. En revanche, les acteurs de la protection des droits de l’Homme sont soumis de
façon systématique à l’intégration. Or, le travail de ces acteurs en termes de lutte contre
l’impunité est peu reconnu au sein des opérations de paix. Si le Secrétaire général a bien
adopté une réglementation concernant les contacts entretenus par des membres des opérations
de paix avec des individus faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ou d’une injonction de la part de
la CPI1277, aucune politique claire ne concerne les individus identifiés par la section droits de
l’homme comme étant responsables de violations de ces droits. De nombreuses tensions sont
ainsi survenues entre les agents du HCDH et ceux des affaires politiques1278. Le Secrétaire
général ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en prévoyant pour les missions intégrées que les
« parts of the UN that need to retain a public advocacy role should ensure that such advocacy
is conducted in full coordination with the SRSG and in a manner that does not undermine the
mandate of the mission »1279. La coordination est donc menée au bénéfice principal du volet
politique des opérations de paix.
« The UN’s reforms : confronting integration barriers », International Peacekeeping, vol. 15, n° 4, 2008,
pp. 470-485.
1277
SGNU, UN Doc. A/67/828-S/2013/210, « Directives concernant les rapports entre fonctionnaires des
Nations Unies et personnes objet d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître de la Cour pénale
internationale », 8 avril 2013.
1278
KURTZ (G.), « With courage and coherence », op. cit., pp. 9-10 ; TARDY (T.), Gestion de crise, maintien et
consolidation de la paix. Acteurs, activités, défis, De Boeck, Bruxelles, 2009, pp. 79-80.
1279
SGNU, « Note of guidance on integrated missions », 9 février 2006, § 9.
321
Chapitre 2. L’extériorité injustifiée de l’ONU
vis-à-vis de la justice transitionnelle
493. L’évolution des opérations de maintien de la paix des Nations Unies après la guerre
froide s’est caractérisée par une extension significative et continue des domaines
d’intervention de ces missions. Dépassant le rôle de simples observateurs, les opérations de
paix se sont vues attribuer des tâches liées à la protection et la promotion des droits de
l’Homme, de rétablissement de l’état de droit, de police, d’administration de la justice ou
encore de gouvernance de territoires dans le sens parfois le plus global du terme, dans le cas
des administrations transitoires. Parallèlement, les Nations Unies se sont engagées résolument
dans la promotion et la protection des droits de l’Homme, ont développé un projet de
reconstruction des États et des nations sur des bases démocratiques et se sont offusquées, avec
le reste du monde, de l’impunité des responsables de violations de ces principes qu’elles
incarnent désormais. Dans le but de combattre ces violations et de poursuivre ces buts, les
Nations Unies se sont engagées dans la justice transitionnelle et en sont devenues l’acteur
principal. La force de cet engagement ne fait alors que souligner l’écart existant entre ce que
l’ONU promeut et ce qu’elle s’applique.
494. Plusieurs évènements ont en effet montré que l’ONU pouvait se trouver dans la
situation du « human rights violator »1280 contre lequel elle cherche à lutter à travers, entre
autres, la justice transitionnelle. Il y a eu les dommages causés aux ressortissants belges au
Congo par l’ONUC dès les années soixante et ceux causés par les soldats de l’ONUSOM aux
populations somaliennes près de trente ans plus tard. Ces cas, sur lesquels nous reviendrons,
ont certainement contribué à la construction du cadre de la réponse onusienne aux dommages
causés par ses agents. Il reste pourtant de nombreuses anomalies dans la conduite des
opérations de l’Organisation, qui n’a pas mené de réelle remise en cause de son
fonctionnement.
D’autres évènements ont en revanche profondément marqué l’opinion publique et ont
mis à jour des problèmes plus structurels dans le traitement par l’ONU des violations
commises par ses agents. On peut citer parmi ceux-là le rapport établi conjointement par le
HCR et l’ONG britannique Save the Children, qui a révélé, en 2002, les pratiques
1280
HOFFMAN (F.), MÉGRET (F.), « The UN as a human rights violator ? Some reflections on the United
Nations changing human rights responsibilities », Human Rights Quarterly, vol. 25, n° 2, pp. 314-342.
322
d’exploitation sexuelle par les agents onusiens au sein de camps de réfugiés.1281 Ces
révélations ont mené à la publication d’un rapport sans doute moins connu du grand public,
mais qui représente probablement le premier acte de la responsabilisation de l’Organisation. Il
s’agit du rapport du prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, ancien Haut-Commissaire aux droits
de l’homme, proposant une « [stratégie] globale visant à éliminer l’exploitation et les abus
sexuels dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies »1282.
Ces deux rapports ont montré que l’ONU pouvait se retrouver dans la position du
responsable de violations des droits de l’Homme, et que la réponse de l’Organisation était
plus qu’insuffisante. Or, ces violations se sont déroulées au sein d’États en proie à des conflits
et impactent la confiance nécessaire entre les populations sujettes à l’assistance de
l’Organisation et cette dernière. Ce sont là autant de facteurs habituellement invoqués pour
promouvoir la mise en œuvre de politiques de justice transitionnelle, qui ont d’ailleurs été
appliquées avec le soutien de l’ONU dans les trois pays concernés (Libéria, Sierra Léone et
Guinée). Le parallèle entre les auteurs nationaux de violences, notamment lorsque ceux-ci
agissent en tant que représentants des autorités étatiques, et les agents onusiens appelle alors à
l’application à ces derniers de la même réponse (Section I). L’ONU n’a pourtant pas partagé
ce constat. Si des efforts ont effectivement été conduits pour améliorer le sort des victimes de
violations commises par ses agents, ils sont trop souvent restés symboliques. Plutôt que de
respecter une logique de responsabilisation et de reconnaissance de ses erreurs, selon le
modèle qu’elle promeut à travers la justice transitionnelle, l’ONU s’est enfermée dans une
regrettable logique de protection de son image (Section II).
1281
Le rapport en lui-même n’a pas été publié. La substance de ses conclusions peut toutefois être retrouvée dans
le rapport d’enquête mené par le Bureau des Services du Contrôle Interne (BSCI) à propos de ces allégations.
Voir UN Doc. A/57/465, Enquête sur l’exploitation sexuelle de réfugiés du fait d’agents des services d’aide
humanitaire en Afrique de l’Ouest, 11 octobre 2002.
1282
AGNU, UN Doc. A/59/710, Annexe, Stratégie globale visant à éliminer l’exploitation et les abus sexuels
dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, 24 mars 2005 (ci-après « Rapport Zeid »).
323
Section I
L’applicabilité souhaitable de la justice
transitionnelle à l’ONU
495. Comme nous l’avons rapidement évoqué, les violations des droits de l’Homme dont se
sont rendus coupables les agents onusiens ne s’apparentent pas à des dérapages ponctuels. Les
causes en sont plus structurelles. Ce n’est pas un hasard si, comme nous le verrons, l’ONUC
est la première mission à avoir donné lieu à une reconnaissance de responsabilité de
l’Organisation dans la survenance de dommages occasionnés à des personnes privées du fait
des actions menées.
Par sa dimension et le contexte de son intervention – un conflit interne – l’ONUC
incarne les prémices des OMP actuelles1283. Le développement subséquent de ce mode
d’intervention, ajouté à la diversification des tâches des opérations, ont multiplié les situations
rendant possibles de telles violations. La nécessité d’appliquer la justice transitionnelle à
l’ONU découle donc avant tout d’une prise en compte de l’évolution du maintien de la paix
(§ 1). Ce constat signifie que les agents onusiens sont de plus en plus impliqués dans les
situations de conflits pour lesquelles ils préconisent la mise en œuvre de la justice
transitionnelle. L’exclusion de ces agents des mécanismes ainsi créés est alors à la fois
regrettable et préjudiciable, tant pour ces mécanismes que pour la réputation de l’Organisation
(§ 2).
§1/La prise en compte de l’évolution du maintien de la paix onusien
496. Jusqu’aux années quatre-vingt-dix, les principes encadrant les opérations de maintien de
la paix de l’ONU – la stricte légitime défense, l’existence préalable d’un cessez-le-feu, la
neutralité et le consentement des parties1284 – permettaient de garantir une certaine mise à
l’écart des forces onusiennes des hostilités à proprement parler. Elles ne pouvaient alors être
considérées comme intervenant dans un conflit armé et ne pouvaient a fortiori pas se voir
qualifier de partie au conflit, au sens du droit international humanitaire, non plus qu’elles
n’avaient vocation à « participer directement aux hostilités », au sens de ce même droit1285.
1283
LIÉGEOIS (M.), Maintien de la paix et diplomatie coercitive, op. cit, pp. 44-45.
Voir supra partie 2, titre 1, chapitre 1, section II. Sur les principes encadrant les opérations de maintien de la
paix, notamment de 1ère génération, voir LIÉGEOIS (M.), Maintien de la paix et diplomatie coercitive. op. cit.,
p. 40.
1285
Pour l’interprétation de la notion de participation directe aux hostilités, telle qu’adoptée par le CICR, voir
OJEDA (S.), « Notion de participation directe aux hostilités : interprétation du Comité International de la Croix
Rouge », in BIAD (A.), TAVERNIER (P), dir., Le droit international humanitaire face aux défis du XXIe siècle,
1284
324
Parallèlement, les opérations de maintien de la paix se sont complexifiées, donnant
naissance aux opérations de 2e, 3e et aujourd’hui de 4e génération. La complexification des
tâches ainsi désignée revient essentiellement à une extension de celles-ci1286 et donc à une
implication croissante de l’ONU dans la gestion de tâches et dans l’exercice de prérogatives
anciennement considérées comme réservées aux États1287.
Ces deux évolutions ont eu des conséquences sous évaluées par l’ONU et qui plaident
pour une application à ses opérations des principes de la justice transitionnelle. En effet, alors
que l’évolution du contexte de l’action a mis à mal le concept d’impartialité des opérations de
maintien de la paix et renforcé la vision de celles-ci comme parties au conflit, et donc aux
mesures de justice et de réconciliation qui lui succèdent (A), l’évolution des domaines
d’intervention place ces opérations et l’ONU de façon plus générale dans une position
d’exercice de la bonne gouvernance qu’elle promeut, et dont la justice transitionnelle, selon
ses propres dires, est un élément incontournable (B).
A) L’évolution du contexte de l’action : la participation aux hostilités et
l’abandon partiel de l’impartialité des opérations de maintien de la paix
des Nations Unies
497. Le contexte de déploiement des opérations de maintien de la paix a évolué. Ces
dernières sont tout d’abord déployées dans des contextes sécuritaires de plus en plus instables.
Le récent rapport publié dans le cadre du plan du Secrétaire général portant sur l’amélioration
de la sécurité du personnel onusien note que la période 2011-2017 présente à cet égard une
augmentation sans précédent du nombre de décès dus à des attaques au sein des opérations de
maintien de la paix1288.
Bruylant, Bruxelles, 2012, pp. 247-257. L’assistance militaire fournie par l’ONUC à la RDC fait à cet égard
figure d’exception. Voir S/RES/143 (1960).
1286
Patrick Daillier parlait ainsi d’un « élargissement » et d’une « diversification de l’intervention des Nations
Unies ». Voir DAILLIER (P.), « L’action de l’ONU : élargissement et diversification de l’intervention des
Nations Unies » in SFDI, Le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, op. cit., pp. 121-160.
1287
Nous nous garderons bien de faire un rapprochement avec la notion de « domaine réservé », dont l’intérêt ici
nous paraît plus que limité. Pour une discussion sur ce sujet et sur sa portée dans le contexte onusien, voir KOLB
(R.), « Du domaine réservé. Réflexions sur la théorie de la compétence nationales », RGDIP, vol. 110, n° 3,
2006, pp. 597-646, notamment pp. 618-627.
1288
Les autres « pics » (« spikes ») dans le nombre de décès sont intervenus dans le contexte des opérations au
Congo et dans le Sinaï (ONUC et FUNU I) au début des années soixante, et dans celui des opérations en Somalie
(ONUSOM II), au Rwanda (MINUAR), au Cambodge (APRONUC) et dans les Balkans (FORPRONU). Voir
Improving security peacekeeping project, « Improving security of United Nations peacekeepers : we need to
325
Ce sont ensuite les conditions de recours à la force qui ont été modifiées. Le
développement du concept de légitime défense « élargie », entendu comme la possibilité de
recourir à la force pour empêcher des tentatives d’obstruction, par la force, de
l’accomplissement de son mandat par la mission1289, a profondément modifié la situation des
agents du maintien de la paix vis-à-vis des groupes armés. Ainsi, le CICR a pu qualifier la
MONUC de « partie au conflit » pour son implication dans une offensive menée, en 2005, aux
côtés des forces armées de la RDC1290. Le paroxysme de cette évolution a été atteint avec la
création, au sein de la MONUSCO, d’une brigade d’intervention chargée de « neutraliser » et
de « désarmer » les groupes rebelles1291. Cette force offensive achève de troubler la distinction
déjà fragilisée entre les missions de maintien de la paix (peacekeeping) et d’imposition de la
paix (peace enforcement)1292 en mêlant ces deux aspects au sein d’une même mission, sous le
même commandement1293. Si les forces multinationales agissant sous mandat onusien tout en
restant sous commandement national participent depuis longtemps aux hostilités, qu’il
s’agisse des forces américaines en Corée1294 ou, plus récemment, des opérations françaises au
Mali1295 et en Centrafrique1296, l’ONU, privée des forces armées prévues par l’article 43 de la
Charte, s’était gardée d’impliquer les opérations de maintien de la paix dans des situations qui
contreviendraient aux piliers de cette action, notamment en termes d’impartialité. Or, il est
évident, au vu des évolutions précitées, que « la position des Nations Unies suivant laquelle
change the way we do business », 19 décembre 2017, 45 p. ci-après désigné en tant que « rapport Cruz », du
nom du président du panel, le lieutenant général Carlos Alberto dos Santos Cruz.
1289
ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, thèse de doctorat, Publications de la
Sorbonne, Paris, 2014, pp. 72-74. Voir également THIELEN (O.), « Le recours à la force dans les opérations de
maintien de la paix contemporaines », LGDJ, Paris, 2013, pp. 19-26.
1290
ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., p. 102.
1291
Voir S/RES/2098 (2013). La précaution inhabituelle du Conseil de sécurité à l’occasion de la création de
cette brigade montre toutefois le caractère exceptionnel de cette décision. Il précise en effet que cette brigade est
créée « à titre exceptionnel et sans créer de précédent ni sans préjudice des principes convenus du maintien de la
paix ». Ibid., § 9.
1292
Robert Kolb note que cette distinction entre types d’opérations n’a qu’une « pertinence très limitée » pour
l’application du DIH, en dehors de la détermination de la protection dont bénéficient les agents de maintien de la
paix. Voir KOLB (R.), Droit humanitaire et opérations de paix internationales. Les modalités d’application du
droit international humanitaire dans les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix auxquelles
concourt une organisation internationale (en particulier les Nations Unies), Helbing & Lichtenhahn, Genève,
2006, pp. 39-43.
1293
Voir l’analyse des conséquences de la création de cette brigade sur l’application aux forces de maintien de la
paix du DIH et de la qualification de partie au conflit dans PACHOLSKA (M.), « (Il)legality of killing
peacekeepers. The crime of attacking peacekeepers in the jurisprudence of international criminal tribunals »,
JICJ, vol. 13, n° 1, 2015, pp. 64-71.
1294
S/RES/83 (1950).
1295
S/RES/2100 (2013).
1296
S/RES/2127 (2013).
326
leurs casques bleus ne peuvent se voir qualifier de combattants en application de la définition
qui en est faite en DIH, semble à présent intenable »1297.
498. Outre les conséquences en termes d’applicabilité du DIH aux opérations de maintien de
la paix, qu’il s’agisse de l’engagement de leur responsabilité, sur lequel nous reviendrons, ou
encore de leur protection1298, leur participation aux combats en soutien d’une partie au conflit
démontre l’abandon partiel du principe d’impartialité des opérations de maintien de la paix de
l’ONU et, en conséquence, une implication accrue dans la dynamique du conflit.
499. Que ce soit dans ses volets judiciaires ou extrajudiciaires, la justice transitionnelle, axée
sur les victimes, ne se préoccupe pas, en théorie du moins, de la légitimité de l’action des
divers acteurs des troubles pour lesquels elle est instituée. Seules comptent les exactions
commises. Au-delà même de ces exactions, tous les acteurs peuvent apporter leur témoignage
à ses mécanismes, ne serait-ce que dans l’objectif de recherche de la vérité. Ceci devrait
inciter à dénoncer définitivement les thèses prônant, dans le domaine de l’application du DIH,
une asymétrie de la responsabilité en faveur de l’ONU, basées sur la légitimité indiscutable du
fondement de ses actions qu’est la restauration de la paix et de la sécurité internationales1299.
Si « l’applicabilité du droit international humanitaire dépend, non pas de la légitimité d’une
opération ou des objectifs visés par les parties, mais bien de l’effectivité des combats »1300, on
peut considérer que la participation aux mécanismes de justice transitionnelle est tout aussi
indifférente à cette légitimité, mais dépend bien de la participation aux actions ayant entraîné
les violations des droits des victimes soumises à la compétence de ces mécanismes. Dans cette
optique, les opérations de maintien de la paix onusiennes, lorsqu’elles prennent part aux
1297
ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., p. 122. Dans le même sens, voir
LAGRANGE (P.), « Forces des Nations Unies et respect du droit international humanitaire, de l’importance de
la notion de participation aux hostilités », in BIAD (A.), TAVERNIER (P), dir., Le droit international
humanitaire face aux défis du XXIe siècle, op. cit., pp. 301-302 ; SICILIANOS (L.-A.), « Préface », in KOLB
(R.), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. VIII.
1298
La Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé dispose en son article
2. 2 que « [la] présente convention ne s’applique pas à une opération des Nations Unies autorisée par le Conseil
de sécurité en tant qu’action coercitive en vertu du Chap. VII de la Charte des Nations Unies dans le cadre de
laquelle du personnel est engagé comme combattant contre des forces armées organisées et à laquelle s’applique
le droit des conflits armés internationaux ». Voir Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du
personnel associé, New York, 9 décembre 1994, RTNU, vol. 2051, p. 363, art. 2. 2.
1299
Voir la présentation des thèses dites de « discrimination partielle » dans LAGRANGE (P.), « Forces des
Nations Unies et respect du droit international humanitaire », op. cit., pp. 294-296. Voir également les arguments
développés dans ce sens par Daphna Shraga : SHRAGA (D.), « The United Nations as an actor bound by
international humanitarian law », International Peacekeeping, vol. 5, n° 2, p. 67, ainsi que leur réfutation :
KOLB (R.), PORETTO (G.), VITÉ (S.), L’application du droit international humanitaire et des droits de
l’homme aux organisations internationales. Forces de paix et administrations civiles transitoires, Bruylant,
Bruxelles, 2005, pp. 180-181.
1300
KOLB (R.), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 42.
327
combats en soutien d’une partie au conflit, devraient être soumises aux mécanismes de justice
transitionnelle ayant compétence sur la période durant laquelle ces combats se sont déroulés.
500. Les motifs d’application de la justice transitionnelle à l’ONU ne se limitent cependant
pas au changement de statut de ses forces vis-à-vis du déroulement des hostilités. En
développant une action multidimensionnelle et en prônant la bonne gouvernance dans les
États en transition, l’ONU a endossé les valeurs de la justice transitionnelle et a accru son
implication, c’est-à-dire opté pour un interventionnisme plus poussé, au sein de ces États. Elle
est ici aussi passée du statut d’observateur à celui d’acteur. Il apparaîtrait donc normal que la
responsabilité qui échoit à un tel rôle lui soit appliquée.
B) L’évolution des domaines d’intervention : opérations
multidimensionnelles, gouvernance onusienne et justice transitionnelle
501. Plus que la simple multiplication des tâches dévolues aux opérations de maintien de la
paix, c’est surtout le degré de contrôle que ces dernières assurent sur les activités qui importe
ici. En effet, alors que les missions de 1ère génération se sont essentiellement contentées de
soutenir des actions conduites sous la responsabilité des autorités nationales, les opérations de
l’après-guerre froide ont vu se développer des mandats leur permettant de conduire ellesmêmes certaines activités, telles que l’assistance humanitaire, certaines missions de police,
d’administration de la justice, de lustration, de protection des civils ou encore de gouvernance
dans le sens le plus global du terme, que l’on pourrait qualifier de prérogatives de puissance
publique et qui sont habituellement l’apanage des États1301. Dans l’exécution de ces mandats,
les agents du maintien de la paix sont placés dans des situations au cours desquelles ils sont
susceptibles de porter atteinte aux droits des individus. Les soldats de l’ONUSOM II, chargés
par le Conseil de sécurité de faire en sorte que les responsables des attaques ayant causé la
1301
HOFFMAN (F.), MÉGRET (F.), « The UN as a human rights violator ? », op. cit., pp. 328-330. Voir
également FORTEAU (M.), « Le droit applicable en matière de droits de l’Homme aux administrations
territoriales gérées par des organisations internationales », in SFDI, La soumission des organisations
internationales aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, journée d’étude de Strasbourg,
Pedone, Paris, 2009, pp. 10-11. L’auteur note cependant que la détermination du « degré d’emprise territoriale »
de l’organisation internationale permettant de lui attribuer la responsabilité de faire respecter les droits de
l’Homme s’apprécie au cas par cas, en fonction, notamment, de la capacité des agents à adopter des actes ou
décisions contraignantes et de leur autonomie vis-à-vis des autorités nationales dans l’adoption ou l’exécution de
ces actes. Frédéric Mégret et Florian Hoffman notent cependant à juste titre qu’il serait réducteur de se limiter
aux cas d’emprises territoriales et qu’une approche plus fonctionnelle de la souveraineté (« functional
sovereignty ») permet d’envisager les agents onusiens comme responsables de l’application des droits de
l’Homme dans une multitude d’autres situations, telle que celle, selon les auteurs, des TPI. HOFFMAN (F.),
MÉGRET (F.), « The UN as a human rights violator ? », op. cit., pp. 339-340.
328
mort de plusieurs casques bleus soient arrêtés et jugés1302, ont ainsi été accusés de détentions
arbitraires commises dans le cadre de l’exécution de ce mandat1303. Le cas du programme de
lustration mené par la MINUBH a pour sa part déjà été évoqué1304. Par ailleurs, si la vague de
dénonciations des violences sexuelles n’est pas directement liée à l’exercice par l’ONU de
prérogatives de puissance publique, la question peut se poser lorsque ces violences sont
commises par des agents onusiens responsables de l’encadrement ou de la sécurité au sein des
camps de réfugiés1305.
502. En termes de contrôle territorial et de risque de violations des droits de l’Homme, les
administrations transitoires créées par les Nations Unies demeurent bien évidemment les cas
les plus emblématiques. Étant donné la vaste littérature qui leur est consacrée, y compris du
point de vue de l’application par et à ces administrations du droit international des droits de
l’Homme1306, et l’abandon apparent de ce modèle d’opération par l’ONU, il n’en sera que
brièvement question ici. En ce qui concerne la MINUK, la pratique du Représentant spécial
du Secrétaire général d’ordonner des détentions extrajudiciaires sur le fondement de ses
pouvoirs exécutifs (« extra-judicial detentions based on executive orders ») a été très
largement dénoncée1307. Cette pratique, fondée tout à la fois sur les pouvoirs accordés au
1302
S/RES/837 (1993).
U.S. Department of State, Somalia Human Rights practices 1993, 31 janvier 1994, notant que « In response,
under the authority of the United Nations, U.S. forces attacked and apprehended Somalis believed to be
responsible for the attacks upon U.N. peacekeepers. UNOSOM detained these Somalis without trial. »
1304
Supra, partie 1, titre 2, chapitre 2.
1305
Les camps de réfugiés ont été envisagés comme l’un des cas assimilables aux administrations territoriales en
termes d’étendue du contrôle exercé par les Nations Unies sur les populations. Voir WILDE (R.), « From Danzig
to East Timor and beyond : the role of international territorial administration », AJIL, vol. 95, 2001, p. 592.
Frédéric Mégret et Florian Hoffman parlent à cet égard de « micro-sovereignty ». HOFFMAN (F.), MÉGRET
(F.), « The UN as a human rights violator ? », op. cit., pp. 338-339.
1306
Voir par exemple : CHESTERMAN (S.), “You, the people”. The United Nations, transitional
administration, and state-building, New York, Oxford University Press, 2004, 296 p. ; STAHN (C.), « Justice
under transitional administration : contours and critique of a paradigm », Houston Journal of International Law,
vol. 27, janvier 2005, pp. 311-344 ; STAHN (C.), « Governance beyond the State : issues of legitimacy in
international territorial administration », International Organizations Law Review, vol. 2, n° 1, 2005, pp. 9-56 ;
KOLB (R.), PORETTO (G.), VITÉ (S.), L’application du droit international humanitaire et des droits de
l’homme aux organisations internationales. op. cit. ; MATHESON (M. J.), « United Nations governance of postconflict societies : East Timor and Kosovo », in BASSIOUNI (C.), Post-conflict justice, Transnational
Publishers Inc., New York, 2002, pp. 523-536 ; INGLIS (S.), MARSHALL (D.), « The disempowerement of
human rights-based justice in the United Nations mission in Kosovo », Harvard Human Rights Journal, vol. 16,
2003, pp. 95-146 ; DAUDET (Y.), « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », Cours de
droit international du comité juridique interaméricain, vol. XXXIV, 2007, pp. 17-63 ; DECAUX (E.), « Les
caractéristiques de l’administration internationale dans les zones de crise », Revue Internationale de Droit
Comparé, vol. 2, 2006, pp. 523-551 ; PREZAS (I.), L’administration de territoires par les Nations Unies, thèse
de doctorat, Université Panthéon-Assas (Paris II), soutenue le 19 décembre 2007, pp. 312-337.
1307
Voir par exemple les rapports de l’Ombudsperson Institution in Kosovo, « Special report n° 3. The
conformity of deprivations of liberty under ‘executive orders’ with recognised international standards » et
« Special report n° 4. Certain aspects of UNMIK regulation n° 2001/18 on the establishment of a detention
review commission for extra-judicial detentions based on executive orders ». Voir également le rapport du
1303
329
RSSG par la résolution 12441308 du Conseil de sécurité et sur la régulation 1999/1 de la
MINUK1309, privait les individus concernés de tout droit au procès équitable. Le bilan de
l’ATNUTO semble bien plus satisfaisant, bien que les délais de détention provisoire aient
parfois excédé les limites du raisonnable, en raison d’un manque de moyens des juridictions
timoraises, tant nationales qu’internationalisées. Outre les violations des droits de l’Homme
commises par un recours parfois abusif aux pouvoirs qui leur étaient conférés, c’est
l’organisation même de ces pouvoirs, exceptionnellement concentrés entre les mains du
RSSG, qui peut poser des questions en termes de respect des droits de l’Homme. Comme
nous l’avons dit, le RSSG de la MINUK possédait l’intégralité des pouvoirs législatif et
exécutif sur le territoire administré1310. La même prérogative revenait également à
l’administrateur transitoire du Timor Leste1311. Il est alors évident que la concentration de ces
compétences contrevient a priori au principe de séparation des pouvoirs.
La situation n’est pas améliorée par l’absence de contre-pouvoirs ou de pouvoir de
contrôle des actes adoptés par ces deux administrateurs. Au Kosovo, l’indépendance de la
justice a également été gravement remise en cause dans la mesure où le RSSG avait tout droit
de nomination et de révocation des juges et procureurs1312. Si la situation sur le terrain pouvait
justifier, voire exiger la concentration de tels pouvoirs, que ce soit au Kosovo ou en Bosnie-
Comité des droits de l’homme des Nations Unies : UN Doc. CCPR/C/UNK/CO/1, 14 août 2006, § 17. Le rapport
du département des droits de l’homme de la mission de l’OSCE au Kosovo considère pour sa part que la pratique
des détentions est illégale. Voir OSCE, « Kosovo, review of the criminal justice system 1999-2005. Reforms and
residual concerns », mars 2006, pp. 31-33. Outre les ouvrages et articles précédemment cités sur les
administrations transitoires, voir plus spécifiquement ABRAHAM (E.), « The sins of the savior : hold the United
Nations accountable to international human rights standards for executive order detentions in its mission in
Kosovo », American University Law Review, vol. 52, n° 3, 2003, pp. 1291-1337.
1308
Plaçant le RSSG à la tête de la « présence internationale civile », la résolution du Conseil de sécurité donne
mandat à cette dernière de « maintenir l’ordre public ». S/RES/1244 (1999), §§ 6 et 11 i.
1309
Cette régulation prévoit que « [all] legislative and executive authority with respect to Kosovo, including the
administration of the judiciary, is vested in UNMIK and is exercised by the Special Representative of the
Secretary-General ». Voir MINUK, UNMIK/REG/1999/1, on the authority of the interim administration in
Kosovo, 25 juillet 1999, point 1.1.1.1.
1310
Pour une description de la structure de la MINUK, voir GARCIA (T.), « La Mission d’administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo », RGDIP, vol. 104, n° 1, 2000, pp. 61-71.
1311
La règlementation 1999/1 de l’ATNUTO dispose que « [all] legislative and executive authority with respect
to East Timor, including the administration of the judiciary, is vested in UNTAET and is exercised by the
Transitional Administrator. » ATNUTO, UNTAET/REG/1999/1, on the authority of the transitional
administration in East Timor, 27 novembre 1999, point 1.1.
1312
MINUK, UNMIK/REG/1999/7, on appointment and removal from office of judges and prosecutors, 7
septembre 1999 ; MINUK, UNMIK/REG/1999/18, on the appointment and removal from office of lay judges,
10 novembre 1999.
330
Herzégovine, il est certain que cette concentration est peu compatible avec les principes de
l’état de droit promus par l’ONU1313.
Une analogie avec la situation du Haut-Représentant en Bosnie-Herzégovine permet de
transposer aux situations du Kosovo et du Timor Leste les remarques de la Commission de
Venise lorsqu’elle note, dans son avis de mars 2005, qu’elle : « est sensible au fait que
l’utilisation par le Haut-Représentant des pouvoirs de Bonn a été bénéfique pour la B-H et ses
habitants et était nécessaire au sortir d’une guerre sanglante. Toutefois, cette pratique n’est
pas conforme aux principes démocratiques lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’une procédure
régulière ni de la possibilité d’un contrôle juridictionnel. »1314
503. Cet écart entre les valeurs promues par l’ONU et celles appliquées à ses propres
opérations est sans doute le point le plus important dans la voie vers une application de la
justice transitionnelle à l’Organisation. Comme nous le verrons, l’engagement de la
responsabilité de l’ONU et de ses agents est hérissé d’obstacles difficilement surmontables.
Construite en réponse à des problématiques de nature certes différente, mais de conséquences
similaires, la justice transitionnelle représente une option intéressante pour permettre aux
Nations Unies d’assumer leur responsabilité morale face aux victimes et aux sociétés auprès
desquelles elle intervient. Le caractère extra-judiciaire de nombre de ses mécanismes devrait
permettre de contourner, au moins partiellement, les obstacles susnommés.
504. Enfin, la justice transitionnelle cherche autant à lutter contre l’impunité qu’à initier la
reconstruction des liens sociaux entre les diverses composantes des sociétés sortant de conflit.
Au-delà de l’État, c’est bien à une reconstruction de la nation que s’adresse la justice
transitionnelle. C’est également à cette tâche que s’attelle de plus en plus l’ONU au travers de
ses opérations multidimensionnelles et missions de consolidation de la paix. L’incorporation
dans leurs mandats des tâches de réconciliation nationale en témoigne. Étant donné le rôle
important que joue l’Organisation dans le rétablissement de la paix, c’est-à-dire dans les
phases de conflit et d’immédiat post-conflit, son exclusion d’une justice transitionnelle dont
elle promeut, voire impose1315, la mise en œuvre est alors tout à fait paradoxale et nuit
potentiellement tout à la fois à cette justice, en la privant de la participation d’un acteur des
1313
Voir KOLB (R.), PORETTO (G.), VITÉ (S.), L’application du droit international humanitaire et des droits
de l’homme aux organisations internationales, op. cit., pp. 271-272.
1314
Commission Européenne pour la Démocratie par le Droit (Commission de Venise), Avis sur la situation
constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine et les pouvoirs du Haut-Représentant, Avis n° 308/2004, 30 mars 2005,
§ 100.
1315
Voir supra, partie 1, titre 2, chapitre 1, section II.
331
violations commises, et à la légitimité de son action, tant dans la matière en question que,
d’une façon plus large, dans les domaines des droits de l’Homme et de l’état de droit. Au vu
des mandats des opérations de maintien de la paix, qui continuent de se voir attribuer des
tâches assimilables à des prérogatives de puissance publique1316, et du nombre toujours élevé
de violations des droits de l’Homme par les agents du maintien de la paix1317, la question
risque de se faire de plus en plus pressante. « Il serait en effet étrange que l’Organisation
exige des États le respect des droits de l’homme tout en se réservant elle-même une liberté à
peu près complète pour des actions contraires »1318. Il apparaît que la réflexion vaut également
pour la justice transitionnelle.
Alors que les motifs d’application à l’ONU de la justice transitionnelle sont nombreux,
comme nous venons de le voir, l’Organisation continue d’y être presque totalement
imperméable. Ainsi, ses agents sont exclus des mécanismes de justice transitionnelle dans les
contextes au sein desquels ils sont intervenus.
§2/L’exclusion regrettable de la participation des agents onusiens aux
mécanismes de justice transitionnelle
505. Les agents du maintien de la paix se trouvent souvent aux avant-postes dans les
situations de crise. En témoigne la triste augmentation du nombre de décès au cours de ces
opérations que nous avons déjà relevée. Cette position les expose de façon particulière aux
violations commises durant ces crises, qu’ils s’en rendent eux-mêmes responsables ou qu’ils
en soient les premiers témoins. Dans les deux cas, leur participation aux mécanismes établis à
la sortie des conflits présente un intérêt certain.
506. L’hypothèse de l’implication des agents dans les violations a émergé récemment, et
l’ONU s’est saisie de la question de la responsabilité pénale de ses agents en mission. La
question de la « Responsabilité pénale des fonctionnaires et des experts en mission des
Nations Unies » a été ajoutée à l’ordre du jour de l’Assemblée générale en 20061319 et
1316
En matière d’arrestation et de détention par exemple, voir , OSWALD (B.), « Some controversies of
detention in multinational operations and the contributions of the Copenhagen Principles », RICR, vol. 95,
n° 891/892, 2013, pp. 707-726.
1317
Les allégations de comportement pouvant constituer de telles violations sont désormais compilées et publiées
sur un site internet de l’ONU : https://conduct.unmissions.org/data. On y apprend ainsi qu’en 2017, 507
allégations de comportements inappropriés (« misconduct »), pouvant aller de l’abus d’autorité à la menace de
mort ou au vol, et 60 allégations d’exploitations ou d’abus sexuels, ont été transmises à l’ONU à propos de ses
agents en mission.
1318
KOLB (R.), PORETTO (G.), VITÉ (S.), L’application du droit international humanitaire et des droits de
l’homme aux organisations internationales. op. cit., pp. 259-260.
1319
A/RES/61/29 (2006).
332
plusieurs rapports ont été rendus sur le sujet. Une convention portant sur cette responsabilité
pénale a même été proposée par l’un d’eux1320, sans suite. Une solution serait pourtant
nécessaire tant le statut de ces agents rend la possibilité de poursuites pénales aujourd’hui
hautement improbable (A).
Le recours aux mécanismes non judiciaires de justice transitionnelle pourrait alors
représenter une solution de repli, comme il l’a été aux prémices de ce domaine, en Amérique
latine. Toutefois, sous ce volet également, la situation est insatisfaisante et la position
onusienne est l’absence de participation à ces mécanismes (B).
A) L’absence d’engagement de la responsabilité pénale des agents de
maintien de la paix.
507. Les agents du maintien de la paix sont multiples et sont soumis à des statuts dont la
diversité n’a d’égale que le flou qui entoure leurs régimes respectifs, notamment en ce qui
concerne leurs immunités. S’il ne nous appartient pas de mener une étude exhaustive de ces
régimes et de leur impact sur l’engagement de la responsabilité pénale individuelle de ces
agents, quelques éléments doivent tout de même être rappelés1321. En ce qui concerne la
composition des opérations onusiennes, il faut opérer une distinction entre les éléments
relevant en priorité, voire en exclusivité, de la juridiction des États d’envoi et ceux pouvant
également relever de celle de l’État hôte ainsi que, pour les questions disciplinaires, de
l’ONU.
La première catégorie regroupe les contingents militaires ainsi que les forces de police
constituées qui sont tous deux mis à disposition des Nations Unies par les États. Ces
composantes des opérations de paix bénéficient d’une immunité absolue de juridiction vis-àvis de l’État hôte ainsi que de l’ONU, soit en application de l’accord sur le statut des forces
conclu entre l’Organisation et l’État hôte (statute of force agreement, SOFA), soit, en
1320
UN Doc. A/60/980, Report of the Group of Legal Experts on ensuring the accountability of United Nations
staff and experts on mission with respect to criminal acts committed in peacekeeping operations, annexe III,
« Draft convention on the criminal accountability of United Nations officials and experts on mission », 16 août
2006.
1321
Pour de plus amples informations concernant la problématique des immunités des agents onusiens, voir
notamment ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit. ; Commission des droits de
l’homme, E/CN.4/Sub.2/2005/42, Administration de la justice et état de droit. Document de travail sur la
responsabilité du personnel international participant à des opérations de soutien de la paix, rapport présenté par
Françoise Hampton, 7 juillet 2005 ; FLECK (D.), « The legal status of personnel involved in United Nations
peace operations », RICR, vol. 95, n° 891/892, 2013, pp. 613-636.
333
l’absence d’un tel accord, en vertu du droit international général, par le biais de l’extension de
souveraineté reconnue aux États sur leurs agents en mission.
La seconde catégorie comprend les éléments civils de la mission, les observateurs
militaires, les agents de police recrutés par l’ONU en collaboration avec les États, les
volontaires des Nations Unies et les divers experts et contractants extérieurs auxquels la
mission peut faire appel pour des tâches spécifiques, soit la quasi-totalité des fonctionnaires et
experts en mission onusiens participant à la mission. Ces éléments bénéficient, au titre de la
Convention de 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies ainsi que du SOFA,
d’une immunité fonctionnelle, c’est-à-dire limitée aux actes, paroles et écrits intervenus dans
le cadre des fonctions de l’agent. Cette immunité peut donc ne pas être applicable si les actes
incriminés ont été commis sans lien direct avec la fonction de l’agent. Ces éléments étant sous
autorité onusienne, leur immunité peut, et doit, également être levée par le Secrétaire général
ou son Représentant spécial en charge du commandement de la mission « dans tous les cas où,
à son avis, cette immunité empêcherait que justice soit faite et où elle peut être levée sans
porter préjudice aux intérêts de l'Organisation. »1322 Il faut ajouter que le Secrétaire général se
considère comme seul habilité à déterminer si les agissements d’un fonctionnaire ou expert en
mission sont intervenus dans le cadre de ses fonctions ou non, et donc à juger de
l’applicabilité de l’immunité dont ces agents bénéficient vis-à-vis de l’État hôte1323.
Restent enfin les hauts fonctionnaires de la mission, c'est-à-dire les Représentants
spéciaux et autres fonctionnaires ayant le statut de Sous-Secrétaire général1324, ainsi que « le
commandant de l’élément militaire […], le chef de la police civile des Nations Unies »1325 et
certains « collaborateurs de haut rang du Représentant/commandant »1326, qui jouissent d’une
immunité personnelle qui ne peut être levée que par le Secrétaire général. Dans la mesure où
la pratique a montré la réticence des États hôtes à exercer leur juridiction sur les membres des
1322
Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, New York, 13 février 1946, RTNU, vol. 1,
p. 15, art. V, section 20, pour les fonctionnaires et art. VI section 23 pour les experts en mission.
1323
Voir ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., pp. 239-241. Il faut noter que
cette prérogative va à l’encontre de la position de la CIJ, qui a considéré dans son avis consultatif portant sur le
différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme que
la position exprimée par le Secrétaire général ne crée qu’une présomption à l’égard des tribunaux nationaux, qui,
certes, « ne peut être écartée que pour les motifs les plus impérieux » et à laquelle ces tribunaux « doivent donc
[…] accorder le plus grand poids », mais qui n’est en conséquence pas irréfragable. Voir CIJ, AC, Différend
relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, CIJ, Recueil
1999, p. 62, § 61.
1324
Ibid., art. V, section 19.
1325
Modèle SOFA, op. cit., art. V, § 24.
1326
Ibid.
334
opérations de paix, on comprend que l’engagement de la responsabilité pénale de ces agents
repose essentiellement entre les mains de l’État d’envoi.
508. Cette situation est loin d’être satisfaisante au regard des valeurs portées, promues et
parfois imposées par l’ONU en termes de lutte contre l’impunité. Il apparaît tout d’abord que
les États d’envoi sont peu enclins à poursuivre leurs agents ou nationaux pour des crimes
commis dans le cadre d’une opération de paix. Les quelques affaires concentrant l’attention
de la doctrine, concernant notamment les missions en Somalie et en RDC, ne font que
souligner le nombre réduit des poursuites portées à l’attention du public. Ce manque
d’informations découle en partie de l’absence de mécanisme assurant la transmission
systématique des éléments liés aux suites d’une affaire par les États d’envoi, particulièrement
lorsque les crimes sont poursuivis devant des juridictions militaires. Il se pourrait également
que la cause en soit une absence, ou tout du moins de sérieuses carences, dans le traitement de
ces agissements, menant à une impunité tout à fait contraire aux objectifs poursuivis par
l’ONU. Les données étant indisponibles, ce point ne peut être complètement éclairci. Il
souligne toutefois une grave carence de la poursuite des crimes par les États d’envoi au regard
des valeurs portées par la justice transitionnelle, qui tendent à mettre la victime au centre du
procès pénal.
À ce titre, les procès menés sans publicité dans les États d’envoi ne permettent pas
d’inclure la dimension restauratrice prônée pour les procès s’inscrivant dans une logique de
justice transitionnelle. Comment en effet considérer qu’un verdict de culpabilité représente un
élément de réparation et participe à l’établissement de la vérité lorsque ce verdict n’est connu
ni de la victime ni de la société ? Les efforts onusiens de développement du suivi des affaires,
pour louables qu’ils soient, ne paraissent pas être en mesure de combler cette lacune.
509. C’est pour régler ce problème que des propositions ont été formulées pour permettre
aux juridictions pénales internationales ou hybrides d’inclure les crimes commis par les
agents de maintien de la paix dans leur compétence. Il est en effet largement reconnu
désormais que les immunités ne sont pas opposables « devant certaines juridictions pénales
internationales »1327. Cette règle a été quasi-systématiquement prévue au sein des statuts des
juridictions pénales internationales et hybrides1328. Il apparaît cependant que le personnel de
1327
CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, op. cit., § 61.
Statut du TPIY, op. cit., art. 7 ; Statut du TPIR, op. cit., art. 6 ; Statut du TSSL, op cit., art. 6 ; ATNUTO,
UNTAET/REG/2000/15, créant les Panels spéciaux pour crimes graves au Timor Leste, op. cit., section 15 ;
Statut de la Cour pénale spéciale centrafricaine, op. cit., art. 56, Statut de Rome de la CPI, op. cit., art. 27. Le
Tribunal Spécial pour le Liban ne fait étrangement pas mention de la qualité officielle. Ceci ne signifie toutefois
1328
335
maintien de la paix a régulièrement été exclu de cette disposition, de jure ou de facto. Ainsi,
aucune action n’a été lancée contre du personnel de maintien de la paix devant l’un
quelconque des TPI. En Sierra Léone, où la force de la CEDEAO était soupçonnée d’avoir eu
recours à la force de façon parfois très abusive1329, l’exclusion des forces de maintien de la
paix a été demandée par le Conseil de sécurité, contre l’avis du Secrétaire général1330. Cette
confrontation a débouché sur l’inclusion dans le statut du TSSL de l’article 1. 2, disposant que
« toute infraction commise par un membre du personnel de maintien de la paix ou personnel
assimilé présent en Sierra Léone (…) relève en premier lieu de la compétence de son État
d’origine »1331. La règle prévoyant que le Tribunal peut « sur la proposition d’un État et si le
Conseil de sécurité l’autorise, exercer sa compétence »1332 sur le personnel de maintien de la
paix, n’a qu’une portée purement cosmétique. Quant à la MINUK, la règlementation 2000/47
adoptée par le RSSG prévoyait une immunité de toute procédure judiciaire pour son personnel
ainsi que celui de la KFOR1333. Cette exclusion fut particulièrement critiquée dans la mesure
où cette mission remplaçait l’État dans la quasi-totalité de ses prérogatives. Les mots de
l’Ombudsman du Kosovo révèlent la profonde anormalité de cette situation :
« [with] regard to UNMIK's grant of immunity to itself and to KFOR, the
Ombudsperson recalls that the main purpose of granting immunity to
international organisations is to protect them against the unilateral interference
by the individual government of the state in which they are located, a legitimate
objective to ensure the effective operation of such organisations […]. The
rationale for classical grants of immunity, however, does not apply to the
circumstances prevailing in Kosovo, where the interim civilian administration
(United Nations Mission in Kosovo – UNMIK) in fact acts as a surrogate state. It
pas que celle-ci ferait nécessairement obstacle à sa compétence. Voir SCHABAS (W.), « Le Tribunal spécial
pour le Liban fait-il partie de la catégorie de ‘certaines juridictions pénales internationales’ ? », Revue
Québécoise de droit international, hors série, 2007, pp. 119-132.
1329
Voir par exemple UN Doc. S/2000/751, Fifth report of the Secretary-General on the United Nations Mission
in Sierra Leone, 31 juillet 2000, § 28.
1330
L’échange de lettres entre le Secrétaire général et le Président du Conseil de sécurité témoigne de leur vif
désaccord quant à la question de l’absence de compétence du TSSL sur le personnel du maintien de la paix. Voir
UN Doc. S/2000/1234, Letter dated 22 December 2000 from the President of the Security Council addressed to
the Secretary-General, 22 décembre 2000, notamment § 1 ; UN Doc. S/2001/40, Letter dated 12 January 2001
from the Secretary-General addressed to the President of the Security Council, 12 janvier 2001, notamment § 5
et UN Doc. S/2001/95, Letter dated 31 January 2001 from the President of the Security Council addressed to the
Secretary-General, 31janvier 2001, notamment § 2.
1331
Statut du TSSL, op. cit., art. 1.2.
1332
Ibid., art. 1. 3.
1333
MINUK, UNMIK/REG/2000/47, sections 2 et 3 concernant, respectivement la KFOR et la MINUK.
336
follows that the underlying purpose of a grant of immunity does not apply as there
is no need for a government to be protected against itself. The Ombudsperson
further recalls that no democratic state operating under the rule of law accords
itself total immunity from any administrative, civil or criminal responsibility. Such
blanket lack of accountability paves the way for the impunity of the state. »1334
Cette situation est d’autant plus étrange au regard de la création des panels
internationaux au sein des tribunaux kosovars.
510. La situation en RCA montre que la position de l’ONU sur le sujet n’a pas changé. Très
impliquée dans l’élaboration de la Cour pénale spéciale, la MINUSCA n’a pas souhaité
permettre à cette juridiction d’exercer une compétence sur les agents de maintien de la paix.
La question des immunités est d’ailleurs traitée de façon fort peu satisfaisante par la loi
portant statut de la Cour pénale spéciale1335. L’article 56, seule disposition les concernant, se
contente de prévoir que le statut « s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction
fondée sur la qualité officielle ». Les crimes formant la compétence matérielle de la CPS font
certes l’objet d’une inopposabilité des immunités nationales, mais en renvoyant au droit
interne, le statut ne pouvait exclure les immunités applicables aux agents de maintien de la
paix. Le mémorandum d’accord conclu entre le Gouvernement centrafricain et la MINUSCA,
et prévoyant les principales caractéristiques de la CPS, rappelle d’ailleurs que « [aucune]
disposition du présent Mémorandum d’Entente ne peut être interprétée comme une
renonciation expresse ou tacite aux Privilèges et Immunités de la MINUSCA ou de
l’Organisation des Nations Unies et de ses personnels »1336.
511. Reste la compétence de la CPI pour les agents de maintien de la paix, dans la mesure où
les immunités sont également inopposables devant cette juridiction. L’adoption par le Conseil
de sécurité, deux années de suite, de résolutions demandant que
1334
Ombudsperson au Kosovo, Special Report n° 1 on the compatibility of recognized international standards of
UNMIK Regulation n° 2000/47 on the status, privileges and immunities of KFOR and UNMIK and their
personnel in Kosovo (18 August 2000) and on the implementation of the above regulation addressed to Mr Hans
Haekkerup, 26 avril 2001, § 23, [consultable sur le site internet de l’Ombudsperson:
http://www.ombudspersonkosovo.org].
1335
Voir sur cette question LABUDA (P.), « The Special criminal court in the Central African Republic : failure
or vindication of complementarity ? », JICJ, vol. 15, n° 1, 2017, pp. 175-206, soulignant la constitutionnalité
douteuse de l’inopposabilité des immunités pour les crimes internationaux telle que prévue par l’article 162 du
code pénale centrafricain.
1336
Mémorandum d’entente entre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la
stabilisation en République centrafricaine et le Gouvernement de la République Centrafricaine, 5 et 7 août 2014,
§ 27.
337
« s’il survenait une affaire concernant des responsables ou des personnels en
activité ou d’anciens responsables ou personnels d’un État contributeur qui n’est
pas partie au Statut de Rome à raison d’actes ou d’omissions liés à des opérations
établies ou autorisées par l’Organisation des Nations Unies, la Cour pénale
internationale, pendant une période de 12 mois commençant le 1er juillet 2002,
n’engage ni ne mène aucune enquête ou aucune poursuite, sauf si le Conseil de
sécurité en décide autrement »1337,
démontre pourtant l’absence de volonté de soumettre ces agents à la compétence de la Cour
pénale internationale. Bien que cette pratique, à la légalité plus que douteuse1338, soit
apparemment révolue, une attitude assimilable peut être décelée dans la pratique du Conseil
de sécurité concernant la situation au Darfour.
La résolution 1593, déférant la situation au Darfour à la CPI, exclut de la compétence de
la Cour « les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou
personnels, d’un État contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale
internationale »1339. Or, vis-à-vis de l’immunité du président soudanais Omar al Bashir, la
Cour a considéré que sa saisine par le Conseil de sécurité sur le fondement de l’article 13 (1)
avait pour conséquence que « for the limited purpose of the situation in Darfur, Sudan has
rights and duties analogous to those of States Parties to the Statute »1340. L’incohérence de
ces positions saute aux yeux et il faudrait considérer que le Conseil de sécurité a, dans le
cadre de la résolution 1593, implicitement fait appel à l’article 16 du statut de la CPI, pour la
résoudre. Un tel raisonnement paraît pour le moins hasardeux
512. De son côté, l’accord conclu entre la CPI et l’ONU peine à rassurer quant à la
compétence de la Cour sur les agents de maintien de la paix. Étrangement, cet accord prévoit,
en son article 19, non pas l’absence d’opposabilité des immunités onusiennes, mais bien une
1337
S/RES/1422 (2002), § 1. La même formulation a été adoptée l’année suivante. Voir S/RES/1487 (2003), § 1.
Voir sur ce sujet EL ZEIDY (M.), « The United States dropped the atomic bomb of article 16 of the ICC
statute : Security Council power of deferrals and resolution 1422 », Vanderbilt Journal of International Law,
vol. 35, 2002, pp. 1503-1544 ; STAHN (C.), « The ambiguities of Security Council resolution 1422 », EJIL,
vol. 14, n° 1, 2003, pp. 85-104.
1339
S/RES/1593 (2005), § 6. Voir aussi SCHABAS (W.), An introduction to the International Criminal Court, 4e
éd., Cambridge University Press, 2011, p. 81.
1340
CPI, Ch. préliminaire II, Situation au Darfour (Soudan), Le Procureur c/ Omar Hassan Ahmad Al-Bashir,
n° ICC-02/05-01/09, Décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome concernant la nonexécution par l’Afrique du Sud de la demande que lui avait adressée la Cour aux fins de l’arrestation et de la
remise d’Omar Al-Bashir, 6 juillet 2017, § 88.
1338
338
simple coopération de l’Organisation pour leur levée1341. La légalité de cette disposition paraît
contestable, dans la mesure où l’article 27 du statut de Rome – prévoyant l’application de ce
dernier « à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle » –
est réputé inclure les membres des organisations internationales1342. La protection du
personnel du maintien de la paix semble donc bien assurée.
B) L’exclusion des agents onusiens des mécanismes extra-judiciaires de
justice transitionnelle
513. Les Nations Unies ne démontrent pas plus de volonté à participer aux aspects extrajudiciaires de la justice transitionnelle qu’à son volet judiciaire. Alors que les programmes de
lustration sont peu adaptés à une application à l’Organisation, il n’en va pas de même, dans
une certaine mesure, de l’octroi de réparations aux victimes (1) et des mécanismes de
recherche de la vérité (2). On observe pourtant qu’en ce qui concerne ces deux mécanismes,
l’Organisation suit encore une logique de protection.
1. L’approche restrictive de l’ONU face aux réparations
514. En ce qui concerne les réparations, la position de l’ONU, exprimée au sein des accords
sur le statut des forces et des accords de participation, se fonde sur la qualification des
opérations de maintien de la paix en tant qu’organes subsidiaires du Conseil de sécurité1343.
Ainsi, tout dommage causé à un tiers par un agent du maintien de la paix agissant dans le
cadre de ses fonctions peut donner lieu à une réparation par l’Organisation. Les cas de
« négligence grave » ou de « faute intentionnelle » sont en revanche en principe exclus et
donneront lieu à réparation par l’État d’envoi1344. Il apparaîtrait toutefois qu’en pratique, la
responsabilité de l’ONU puisse tout de même être engagée, celle-ci ayant ensuite la possibilité
1341
Voir « Accord négocié régissant les relations entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des
Nations Unies », op cit., art. 19. Pour une analyse critique de cet article, y compris l’historique de son adoption,
voir INGADOTTIR (T.), SZASZ (P. C.), « The UN and the ICC : the immunity of the UN and its officials »,
Leiden Journal of International Law, vol. 14, n° 1, 2001, pp. 867-885 ; SCHABAS (W.), An introduction to the
International Criminal Court, op. cit., p. 87.
1342
AMBOS (K.), TRIFFTERER (O.), dir., The Rome statute of the International Criminal Court, a
commentary, 3e éd., Beck, Hart Publishing, Oxford, 2016, p. 1049.
1343
Modèle de SOFA, op. cit., § 15.
1344
UN Doc. A/50/995, « Réforme des procédures de calcul des montants à rembourser aux États Membres au
titre du matériel des contingent », Annexe, « Accord relatif aux contributions conclu entre l’Organisation des
Nations Unies et [l’État participant] fournissant des ressources à [l’opération de maintien de la paix des Nations
Unies] », 9 juillet 1996 (Modèle d’accord de participation), art. 9.
339
d’engager une action récursoire contre l’État1345. Si cette solution fait montre d’une certaine
« simplicité »1346, elle ne rend compte ni de la réalité du terrain ni de la pratique des
juridictions nationales ou encore de la solution adoptée par la Commission du droit
international dans son projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales.
515. Prenant en compte la dualité du commandement et de l’allégeance des personnels
militaires et civils, notamment de police, mis à disposition de l’Organisation par les États, la
CDI, en accord avec la majorité de la doctrine1347, a consacré le critère de l’imputabilité du
fait illicite à l’entité, l’État ou l’organisation internationale exerçant le contrôle effectif sur le
comportement en question1348. Cette solution justifie la différence de régime applicable aux
forces multinationales – qui, agissant sur autorisation du Conseil de sécurité, demeurent sous
commandement national – et aux opérations de maintien de la paix agissant sous
commandement onusien. La prise en charge par les États-Unis des réparations demandées au
titre des dommages causés par l’opération en Corée avait très tôt fixé cette position1349. Elle
permet également de prendre en compte la réalité du terrain au sein des OMP, en ce que les
contingents mis à disposition par les États sont soumis à une dualité de commandement,
partagé entre l’État d’envoi et l’ONU au travers du RSSG et du Conseil de sécurité. C’est
ainsi que les agissements des forces néerlandaises au sein de la FORPRONU et belges au sein
de la MINUAR ont été attribués à leur État d’envoi, dans la mesure où il a été établi que c’est
auprès de leurs autorités étatiques que les soldats ont reçu les ordres ayant mené au
comportement illicite1350.
516. Si les règles encadrant l’imputabilité du fait illicite à l’organisation internationale
semblent suffisamment claires, l’engagement de cette responsabilité demeure d’une extrême
complexité pour les victimes. En théorie, la procédure d’indemnisation est prévue par le
SOFA conclu entre l’État hôte et l’ONU. Il faut en effet rappeler que cette dernière jouit
1345
ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., p. 352.
GESLIN (A.), « Réflexions sur la répartition de la responsabilité entre l’organisation internationale et ses
États membres », RGDIP, vol. 109, n° 3, 2005, p. 555.
1347
Voir, KLEIN (P.), La responsabilité des organisations internationales dans les ordres juridiques internes et
en droit de gens, op. cit., p. 378 ; KOLB (R.), PORETTO (G.), VITÉ (S.), L’application du droit international
humanitaire et des droits de l’homme aux organisations internationales. op. cit., p. 327 ; ZAŠOVA (S.), Le
cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., pp. 433-444 ; PALCHETTI (P.), « La répartition de la
responsabilité pour faits internationalement illicites commis au cours d’opérations multinationales », RICR,
vol. 95, n° 3 et 4, 2013, pp. 199-215.
1348
CDI, UN Doc. A/66/10 Rapport de la Commission du droit international, soixante-troisième session,, 26
avril-3 juin et 4 juillet-12 août 2011, Projet d’article sur la responsabilité des organisations internationales, art. 7.
1349
KLEIN (P.), La responsabilité des organisations internationales dans les ordres juridiques internes et en
droit de gens, op. cit., pp. 378-379.
1350
ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., pp. 448-451.
1346
340
d’une totale immunité de juridiction qui empêche toute réclamation de la part de tiers visant à
engager la responsabilité de l’Organisation devant les tribunaux internes. La procédure mise
en place par les SOFA représente donc bien souvent le seul recours ouvert aux victimes pour
obtenir réparation de leur préjudice. Sont donc prévues des « commission[s] permanente[s]
des réclamations »1351 composées de trois membres, chargées de statuer « sur tout différend
ou toute réclamation relevant du droit privé auquel l’opération de maintien de la paix des
Nations Unies ou l’un de ses membres est partie et à l’égard duquel les tribunaux du
[payslterritoire hôte] n’ont pas compétence »1352. Cette procédure est restée inusitée1353,
l’ONU ayant maintenu, dans les faits, sa pratique antérieure de règlement des différends à
l’amiable et, à défaut d’accord entre l’Organisation et les victimes, par la voie arbitrale1354.
Abandonnées en partie en raison de leur caractère peu équitable, les commissions de l’article
51 du modèle de SOFA ont donc laissé place à une procédure ne permettant finalement pas de
mieux garantir les droits des victimes. En effet, la position de force des Nations Unies dans la
négociation à l’amiable – conséquence tout à la fois d’une absence de volonté des États
d’entamer un bras de fer avec une organisation dont ils sollicitent l’aide, et de l’indisponibilité
de recours juridictionnels pour les victimes – ne laisse pas vraiment de choix à ces dernières
dans l’acceptation des indemnités proposées par les agents onusiens1355.
Cette impression est renforcée par la volonté de protection démontrée par
l’Organisation, celle-ci cherchant à maintenir un contrôle étroit de la procédure employée et
des sommes versées. Dans le cadre des réparations octroyées aux victimes des agissements de
l’ONUC, l’Organisation, bien qu’acceptant sa responsabilité, a conservé le privilège de
détermination des cas pouvant prétendre à indemnisation ainsi que du montant de ces
dernières. Le règlement forfaitaire de ces réparations, prévu au sein d’accords bilatéraux
conclus entre les Nations Unies et les gouvernements respectifs de la Belgique, de l’Italie, de
la Suisse et du Luxembourg, prévoyait l’extinction des droits de ces victimes à l’engagement
1351
Modèle de SOFA, op. cit., art. 51.
Ibid.
1353
Voir Bureau des affaires juridiques, Règlement des sommes à verser à la suite de réclamations Responsabilité financière relevant du droit privé - Procédures de règlement - Considérations d’ordre
budgétaire, AJNU, 2001, pp. 487-488 et ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op.
cit., p. 343.
1354
Voir à cet égard l’accord du 27 novembre 1961 conclu entre l’Organisation et la République du Congo,
prévoyant un tel mode de règlement en son article 10 b). Cet article ainsi que son analyse peuvent être trouvés
dans SALMON (J.), « Les accords Spaak - U Thant du 20 février 1965 », AFDI, vol. 11, 1965, pp. 484-485.
1355
ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., p. 343.
1352
341
de toute action civile visant l’Organisation, bien que l’immunité de juridiction de cette
dernière rendait de toute façon toute action de ce type quasiment impossible1356.
Encore plus représentatif de cette volonté de protection est l’exemple du traitement par
l’ONU des tentatives d’engagement de sa responsabilité par le Rwanda. L’accord de siège
conclu entre cet État et les Nations Unies reprenait, en son article 50, la procédure prévue par
l’article 51 du modèle de SOFA1357, c’est donc par le biais de la commission de réclamations
que le Rwanda a tenté d’obtenir l’indemnisation par l’ONU des dommages causés à ses
ressortissants du fait de l’inaction de la MINUAR face au génocide perpétré par les
extrémistes Hutus. Les demandes du Rwanda tendant à mettre en œuvre l’article 50 de
l’accord se sont heurtées au refus du Secrétaire général. Celui-ci a considéré que la
commission prévue par cet article, qui était chargée de statuer sur « tout différend ou toute
réclamation relevant du droit privé »1358, n’avait pas compétence pour connaître des cas
soulevés par le Rwanda, qui relevaient, selon lui, du droit international public et non du droit
privé1359. Le caractère tout à fait inadapté et juridiquement extrêmement critiquable de la
réponse du Secrétaire général1360 ne peut que laisser penser à une volonté de protéger
l’Organisation d’une publicité et d’une reconnaissance de responsabilité préjudiciables à sa
réputation.
517. Les limites posées à l’indemnisation des victimes montrent que l’Organisation cherche
également à se protéger économiquement. Ces limites représentent sans doute la meilleure
expression de l’écart entre les préconisations des Nations Unies en termes de réparations dans
le cadre de la justice transitionnelle et sa propre pratique en la matière. Sont d’abord exclues
les réparations pour les dommages liés à un « impératif opérationnel ». Cette expression,
construite au cours des négociations portant sur l’indemnisation des dommages causés par
1356
Voir les débats tenus sur cette question en Belgique au sujet de la situation de victimes qui refuseraient le
paiement forfaitaire octroyé par l’ONU, reproduits in ibid., pp. 488-494.
1357
Voir la reproduction de cet article, l’accord n’ayant pas été publié, in DAVID (E.), « Des occasions
manquées de mettre en cause la responsabilité de la communauté internationale dans le génocide rwandais », in,
BURGORGUE-LARSEN (L.), dir., La répression internationale du génocide rwandais, Bruylant, Bruxelles,
2003, pp. 246-247.
1358
Ibid.
1359
Ibid., p. 247.
1360
Éric David note à cet égard que « ce n’est pas parce qu’un litige porte sur un intérêt subjectif de caractère
privé dont la source est le droit international qu’il cesse d’être un litige de caractère privé », de plus, il semble
étrange que le Secrétaire général juge lui-même de la recevabilité des réclamations alors même que cette
question aurait dû être traitée par la Commission elle-même, qui jouit de la compétence de sa compétence. Voir
ibid., pp. 247-248.
342
l’ONUC1361, a été considérée comme extrêmement problématique dès sa conception,
notamment en termes de charge de la preuve1362. Le Secrétaire général a toutefois précisé les
critères à prendre en compte pour cette détermination. Ainsi,
« Pour déterminer si une mesure donnée répond à un “impératif opérationnel”, il
convient de tenir compte des éléments ci-après :
a) Le commandant de la Force doit être convaincu de bonne foi qu’il existe un
“impératif opérationnel” ;
b) La mesure prise doit être strictement nécessaire pour répondre à un besoin
opérationnel et ne pas être simplement dictée par les circonstances. Il faut aussi
que le commandant n’ait pas le temps d’engager une autre action moins
destructrice ;
c) L’action doit s’inscrire dans le contexte d’un plan d’opérations et ne pas
résulter d’une décision individuelle irréfléchie ;
d) Les dommages causés doivent être proportionnels à ce qui est strictement
nécessaire pour atteindre l’objectif opérationnel. »1363
Il faut toutefois noter que ces critères ne sont pas exhaustifs et que la détermination de
la qualification de l’acte relève in fine de l’appréciation souveraine du commandement de la
force. L’absence de voie de recours contre cette qualification règle d’ailleurs définitivement la
question de la charge de la preuve pour les victimes1364.
518. Les limites matérielles fixées par l’Assemblée générale en 1996 paraissent encore plus
en inadéquation avec les valeurs et les normes promues par l’Organisation en termes de
1361
L’expression originale, insérée dans les accords conclus entre l’ONU et, respectivement, la Belgique, la
Suisse, le Luxembourg et l’Italie, prévoyait l’exclusion de la responsabilité de l’Organisation « du fait des
dommages aux personnes et aux biens qui ont été uniquement la conséquence des opérations militaires ». Voir
par exemple Échange de lettres constituant un accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement
italien relatif au règlement des réclamations présentées par des ressortissants italiens contre l’Organisation des
Nations Unies au Congo, New York, 18 janvier 1967, § 4. Pour la fixation de l’expression d’« impératif
militaire », voir SALMON (J.), « Les accords Spaak - U Thant du 20 février 1965 », op. cit., pp. 481-482.
1362
Le Ministre belge des affaires étrangères soulevait, dans le cadre des réparations pour les dommages causés
par l’ONUC, la difficulté pour les victimes de rapporter la preuve de ce qu’il appelait alors des « actes de guerre
anormaux ». Ibid.
1363
UN Doc. A/51/389, Aspects administratifs et budgétaires du financement des opérations de maintien de la
paix des Nations Unies, rapport du Secrétaire général, 20 septembre 1996, § 14.
1364
Voir à ce sujet ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., p. 344 et la critique
de cette exception aux pages 344-348.
343
réparations. En effet, l’organe plénier limite les réparations aux demandes effectuées dans un
délai de six mois et ne prend en compte que le « préjudice économique, tel que dépenses au
titre des soins médicaux et de la rééducation, manque à gagner, perte de soutien financier,
frais de transport liés au préjudice corporel, à la maladie ou aux soins médicaux, frais de
justice et d’inhumation »1365, excluant explicitement le « prestium doloris et le préjudice
moral »1366. Ceci apparaît en totale contradiction avec les préconisations adressées par l’ONU
aux États dans le cadre des réparations prévues pour les violations des droits de l’Homme,
notamment au sein des programmes de justice transitionnelle. Le préjudice moral est en effet
compris tant dans les « Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours
et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de
l’homme et de violations graves du droit international humanitaire »1367, que dans les
Principes Joinet1368, tous deux endossés par l’Organisation. Il faut toutefois noter que les
règles fixées par l’Assemblée générale ne s’appliquent que partiellement aux cas
d’exploitation et d’agression sexuelles. La « Stratégie globale d’aide et de soutien aux
victimes d’actes d’exploitation ou d’agression sexuelles commis par des membres du
personnel des Nations Unies ou du personnel apparenté »1369, adoptée par l’Assemblée
générale en 2007, prévoit en effet plusieurs mesures de soutien psychologique, médical et
juridique devant être fournies par l’Organisation aux victimes de telles violations. Si ces
mesures sont évidemment les bienvenues, on ne peut que regretter leur limitation aux
violations visées, au détriment d’une applicabilité globale aux dommages causés par le
personnel des OMP.
1365
A/RES/52/247 (1998), § 9 a).
Ibid., § 9 b).
1367
A/RES/60/147, op. cit., Annexe, § 20 d).
1368
« Principes Joinet », op. cit., § 41.
1369
A/RES/62/214 (2008), Stratégie globale d’aide et de soutien aux victimes d’actes d’exploitation ou
d’agression sexuelles commis par des membres du personnel des Nations Unies ou du personnel apparenté,
annexe.
1366
344
2. Le flou de la situation des agents onusiens face aux commissions vérité
519. En ce qu’elles sont chargées d’établir un historique des violations des droits de
l’Homme et d’assurer la réconciliation, les commissions vérité pourraient bénéficier des
ressources onusiennes en termes d’informations, sous forme documentaire ou de témoignages,
ainsi que de la participation de certains agents ou représentants de l’Organisation,
particulièrement dans l’éventualité où des personnels d’une opération de maintien de la paix
se seraient rendus coupables de violations des droits de l’Homme ou du DIH. Les OMP sont
pourtant étonnamment absentes des rapports de ces commissions et aucune ne fait mention
d’interviews incluant leur personnel. La question se pose alors de la possibilité pour ces
commissions d’avoir accès aux ressources détenues par l’ONU pour l’élaboration de leur
rapport et pour l’accomplissement de leur mandat d’une façon générale.
520. Tout d’abord, la documentation détenue par l’opération de maintien de la paix est
protégée par la Convention sur les privilèges et immunités, dont le modèle de SOFA étend
l’application aux opérations de maintien de la paix. Ces documents sont en conséquence
« inviolables, où qu’ils se trouvent »1370. La même règle s’applique aux locaux de l’opération,
également immunisés contre toute « forme de contrainte exécutive, administrative, judiciaire
ou législative »1371. On peut en déduire que les commissions vérité ne pourraient exercer
envers les opérations de maintien de la paix les pouvoirs qu’elles détiennent quant à la
transmission de documents. Le Secrétaire général ou son représentant au sein de la mission
pourrait toutefois autoriser la transmission de ces documents. La pratique des Nations Unies
vis-à-vis de la CPI tend pourtant à démontrer que l’Organisation est peu encline à rendre
publiques les informations qu’elle détient. L’accord qu’elle a conclu avec la Cour prévoit en
effet la possibilité de fournir « des documents ou informations qui devront demeurer
confidentiels, ne serviront qu’à obtenir de nouveaux éléments de preuve et ne pourront être
communiqués à d’autres organes de la Cour ou à des tiers à aucun stade de la procédure ou
par la suite que si l’Organisation y consent »1372. On observe pourtant une évolution de la
pratique des Nations Unies dans le recours à cette procédure. En effet, alors que le
mémorandum d’accord conclu entre l’Organisation et la CPI relatif à la coopération entre
1370
Convention sur les privilèges et immunités, op. cit., art. II, section 4.
Ibid., section 3.
1372
« Accord négocié régissant les relations entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des Nations
Unies », op. cit., art. 18. 3.
1371
345
cette dernière et la MONUC la considérait comme étant de principe1373, les mémorandums
concernant l’ONUCI, la MINUSMA et la MINUSCA ne la prévoient plus que de façon
exceptionnelle1374.
521. Il faut pourtant se garder de voir dans cette évolution un réel changement de position de
la part de l’ONU qui serait transposable au cas des commissions vérité. Tout d’abord, la
modification des dispositions des mémorandums a été faite sous la pression des juges de la
CPI, qui ont vivement critiqué le recours systématique à la confidentialité des informations
pour le non-respect du procès équitable qu’elle implique, notamment lorsque des éléments à
décharge sont concernés1375. L’abandon du recours de principe aux accords de l’article 18
paragraphe 3 de l’accord de coopération entre l’ONU et la CPI ne signifie enfin pas l’abandon
de la protection des informations. Les mémorandums ne font que remplacer cette procédure
par d’autres mesures de protection supposément moins attentatoires aux règles du procès
équitable. Les critères qu’ils retiennent comme motifs de confidentialité sont suffisamment
1373
Le mémorandum dispose que « [à] moins que le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la
paix ou le Sous-Secrétaire général aux opérations de maintien de la paix ne l’indiquent par écrit, les documents
détenus par la MONUC qui sont communiqués par les Nations Unies au Procureur relèvent des arrangements
prévus au paragraphe 3 de l’article 18 de l'Accord régissant les relations entre I'ONU et la Cour pénale
internationale. » Mémorandum d’accord entre l’Organisation des Nations Unies et la Cour pénale internationale
relatif à la coopération entre la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du
Congo (MONUC) et la Cour pénale internationale (avec annexes et échange de lettres), New York, 8 novembre
2005, art. 10, al. 6. Sur la conformité douteuse de cette disposition à l’accord de coopération liant l’ONU à la
CPI ainsi qu’au statut de Rome, voir AMBOS (K.), TRIFFTERER (O.), dir., The Rome statute of the
International Criminal Court, op. cit., pp. 35-39.
1374
Pour exemple, le mémorandum concernant la MINUSCA dispose que « [where] it considers there is no
other practicable way in which it can respond positively to the prosecutor’s request, the United Nations may, on
an exceptional basis, provide documents to the Prosecutor subject to the arrangements and protections provided
for in Article 18, paragraph 3, of the Relationship Agreement. » Voir Mémorandum d’accord entre
l’Organisation des Nations Unies et la Cour pénale internationale concernant la coopération entre la Mission
intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine et la Cour pénale
internationale (avec annexes), New York, 3 mai 2016 et 5 mai 2016, et La Haye, 18 mai 2016 et 19 mai 2016,
art. 9, al. 8. La même disposition est reprise, en substance, dans les mémorandums concernant l’ONUCI et la
MINUSMA, voir respectivement Mémorandum d’accord entre l’Organisation des Nations Unies et la Cour
pénale internationale relatif à la coopération entre l’Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) et la
Cour pénale internationale (avec annexes), New York, 4 juin 2013 et 5 juin 2013, et La Haye, 12 juin 2013,
art. 9, al. 8 et Mémorandum d’accord entre l’Organisation des Nations Unies et la Cour pénale internationale
relatif à la coopération entre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au
Mali (MINUSMA) et la Cour pénale internationale (avec annexes). New York, 28 juillet 2014 et 30 juillet 2014,
et La Haye, 20 août 2014, art. 9, al. 8.
1375
CPI, Ch. de première instance I, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c.
Thomas Lubanga Dyilo, n° ICC-01/04-01/06, Décision relative aux conséquences de la non-communication de
pièces à décharge couvertes par les accords prévus à l’article 54-3-e du Statut, à la demande de suspension des
poursuites engagées contre l’accusé et à certaines autres questions soulevées lors de la conférence de mise en
état du 10 juin 2008, 13 juin 2008.
346
nombreux et vagues1376 pour en permettre une interprétation large, qui est laissée à
l’appréciation du Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix. Il demeure
que l’importance de la coopération avec la CPI, notamment en termes de partage
d’informations, est soulignée par l’ONU. Il faut toutefois reconnaître que les éléments
manquent pour attester de la disposition de l’ONU à partager les informations qu’elle détient
avec les commissions vérité, et que l’analogie avec la pratique suivie auprès du procureur de
la CPI est insatisfaisante.
522. La question des témoignages se rapproche de celle du partage d’informations. Là aussi,
les immunités des agents du maintien de la paix semblent empêcher les commissions vérité
d’appliquer leurs pouvoirs de contraintes. Si l’accord de coopération et les mémorandums
d’accord conclus entre l’ONU et la CPI pourraient également démontrer la réticence de
l’Organisation à laisser ses agents témoigner ou même être auditionnés, l’analogie est encore
plus insatisfaisante que pour la question du partage d’informations. La raison principale de la
protection des opérations de maintien de la paix contre les demandes de témoignages devant
la Cour pénale internationale rejoint celles motivant le CICR et le HCR, c’est-à-dire le souci
de maintenir une image d’impartialité. Or, cette impartialité est essentiellement mise à mal
devant la juridiction pénale en raison de la finalité punitive du procès, qui est absente des
procédures menées devant les commissions vérité. Dans celles-ci, le témoignage n’est pas
sollicité par l’accusation ou la défense dans le cadre d’une stratégie, mais par des
commissaires, dans le seul but de permettre la divulgation la plus complète possible des faits.
523. Pour la question des témoignages aussi, les données manquent. Les rapports des
commissions vérité ayant cohabité avec des OMP, ou dont la compétence couvre des périodes
où de telles opérations étaient présentes dans le pays, ne font pas mention du rôle de ces
opérations dans les violations des droits de l’Homme et ne donnent pas d’informations sur
1376
Les mémorandums notent que des mesures de restriction de la divulgation des informations, telle que la
censure, peuvent être adoptées dans le cas où cette information :
« a) mettrait la sécurité d’une personne en péril, ou
b) porterait atteinte à la sécurité ou au bon déroulement d'une opération ou activité de l'Organisation des
Nations Unies ou de ses institutions spécialisées ou organismes ou de ses partenaires ou agents d'exécution, ou
c) violerait une obligation de confidentialité dont l'Organisation des Nations Unies est débitrice envers un tiers,
ou
d) violerait le droit à la vie privée d'un tiers ou y porterait atteinte, ou
e) compromettrait les processus libres et indépendants de prise de décisions de l'Organisation des Nations Unies
ou y porterait atteinte, ou
f) mettrait en péril la sécurité d'un État Membre de l'Organisation des Nations Unies ». Mémorandum d’accord
entre l’Organisation des Nations Unies et la Cour pénale internationale relatif à la coopération entre l’Opération
des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) et la Cour pénale internationale, op. cit., art. 9 al. 7.
347
leur accès, ou même la demande d’accès à des membres de ces opérations. On remarque
toutefois que cette question n’a pas fait l’objet de signature de mémorandums entre les
commissions vérité et l’ONU du même type que ceux conclus avec la CPI, alors même que,
comme nous l’avons vu, les problématiques de coopération sont similaires. À notre
connaissance, seule la MINUSIL a été partie à un tel accord avec la CVR sierra léonaise, aux
côtés du gouvernement sierra léonais, du HCDH et du PNUD. Le mémorandum ne concernait
pourtant que des questions de coopération matérielle et de soutien financier1377.
Section II L’application par l’ONU d’une logique de
protection de l’Organisation
524. Les organes onusiens sont habitués aux grandes déclarations d’intention. Les grandes
idées sur le nouvel ordre économique mondial, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
ou même celle de l’universalisme des droits de l’Homme n’en sont que quelques expressions.
Le passage de la déclaration à la pratique est pourtant souvent beaucoup plus complexe et fait
preuve d’une opposition bien plus grande de la part des États et même parfois de
l’Organisation elle-même. La lutte contre l’impunité au sein des actions conduites par l’ONU
fait partie de ce dernier cas.
525. Nous avons déjà vu comment l’ONU rejette une quelconque application à ses agents et
ses missions de la justice transitionnelle. Pour être politiquement acceptable, un tel rejet doit
pourtant être contrebalancé par un certain effort d’amélioration de la situation, c’est-à-dire, en
l’occurrence, par le développement d’une forme de responsabilisation de l’Organisation pour
les actions menées, ou tout du moins d’un cadre permettant une prévention et une réaction
efficaces. L’économie de ses efforts risquerait de porter gravement atteinte à la crédibilité
d’une Organisation dont l’autorité repose en grande partie sur son incarnation d’un ensemble
de valeurs morales.
À l’instar des efforts visant spécifiquement la responsabilité pénale de ses agents1378,
l’ONU a donc cherché à démontrer sa volonté de responsabiliser ces actions. À l’instar de ces
efforts, la pratique est loin d’être aussi satisfaisante que les ambitions affichées. Cela serait
compréhensible si la faute n’en revenait au manque de volonté des acteurs onusiens d’aller
au-delà des déclarations d’intention. D’un point de vue global, c’est tout d’abord l’élaboration
1377
1378
CVR Sierra Léone, « Witness to truth », op. cit., vol. 1, p. 100.
Voir supra, section I.
348
d’un cadre juridique visant à assurer la responsabilisation de l’Organisation qui a été
entreprise. L’absence de volonté réelle de la part de ses initiateurs l’ont toutefois laissé
inabouti (§ 1). Les réponses apportées à des questions plus spécifiques, tels les lanceurs
d’alerte et les violations commises par la MINUK au Kosovo, camouflent quant à elles leur
inefficacité programmée sous un maquillage de bonne volonté (§ 2).
§1/Le caractère inabouti de l’élaboration d’un cadre juridique visant à la
responsabilisation de l’Organisation.
526. Le cadre normatif des actions onusiennes s’illustre par son imprécision. C’est d’ailleurs
le cas pour toutes les organisations internationales, comme le montre l’absence, jusqu’en
2011, de cadre global régissant le droit de la responsabilité de ces organisations. Le projet
d’article adopté cette année-là1379, fort critiqué1380, ne règle d’ailleurs pas la question. En ce
qui concerne les opérations créées par l’ONU, la question du droit leur étant applicable et des
sanctions pouvant être adoptées pour le faire respecter n’a jamais été vraiment réglée. Devant
l’augmentation de violations de normes aussi universelles que les droits de l’Homme et le
DIH par les agents de maintien de la paix, cette carence est devenue insoutenable, et des
efforts ont été faits afin de clarifier la situation.
Ces efforts, pour louables qu’ils soient, sont toutefois demeurés insatisfaisants et
témoignent d’un manque de volonté de réellement responsabiliser l’Organisation. C’est tout
d’abord l’encadrement juridique de l’action onusienne lui-même qui, bien qu’ayant été
amélioré, reste partiel (A). C’est ensuite par le développement insuffisant de garanties propres
à assurer l’effectivité de ce cadre que l’ONU a fait preuve d’une réserve incompatible avec les
engagements affichés en termes de lutte contre l’impunité (B).
1379
CDI, UN Doc. A/66/10, op. cit.
Voir par exemple KLEIN (P.), « Les articles sur la responsabilité des organisations internationales : quel
bilan tirer des travaux de la CDI ? », AFDI, vol. 58, 2012, pp. 1-27.
1380
349
A) L’encadrement juridique partiel de l’action de l’ONU
527. La capacité de l’ONU à être liée par des obligations internationales est reconnue de
façon unanime depuis que la CIJ a établi, dans son avis consultatif de 1949 concernant la
réparation des dommages subis au service des Nations Unies, que l’Organisation possédait
une personnalité juridique distincte de celle de ses États membres1381. La question est alors
celle de l’identification du droit applicable aux actions menées par l’ONU. Il faut tout d’abord
préciser que, bien que l’Organisation possède la capacité de s’engager conventionnellement,
cette dernière n’a pas d’incidence sur l’application aux Nations Unies du DIH et du DIDH,
dans la mesure où elles ne sont parties à aucune des conventions concernant ces matières1382.
Il faut donc se tourner vers les normes coutumières, les principes généraux de droit, le jus
cogens et le droit interne de l’Organisation, pour déterminer le droit applicable aux actions
menées par cette dernière.
528. Le premier problème, qu’il ne nous appartient pas de traiter ici, vient de l’identification
des normes du DIDH et du DIH pouvant être considérées comme faisant partie du droit
international général. Le second provient du fait que l’intégralité de ce droit n’est pas
nécessairement applicable à l’ONU. En effet, la nature des organisations internationales
implique que les obligations internationales auxquelles elles sont soumises sont fonction des
attributions qui leur sont conférées par leurs actes créateurs ainsi que par leur pratique
subséquente. La CIJ a ainsi considéré que « les droits et devoirs d’une entité telle que
l’Organisation doivent dépendre des buts et des fonctions de celle-ci, énoncés ou impliqués
par son acte constitutif et développés dans la pratique. »1383 L’extension de l’action des
Nations Unies, telle que décrite ci-dessus, implique donc une extension parallèle du droit qui
lui est applicable.
529. La question de l’application du DIH aux opérations de maintien de la paix, notamment
pour les opérations dites coercitives, a été très tôt discutée par la doctrine et prise en compte
par les Nations Unies. Dès 1963, l’Institut du droit international considérait que les règles du
1381
CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, CIJ, Recueil 1949,
p. 174. Voir également EMANUELLI (C.), « Les forces des Nations Unies et le droit international
humanitaire », in CONDORELLI (L.), LA ROSA (A.-M.), SCHERRER (S.), Les Nations Unies et le droit
international humanitaire, Actes du Colloque international à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’ONU,
Pedone, Paris, 1996, pp. 349-350.
1382
Il faut noter que cette absence de signature, par l’ONU, des principales conventions encadrant le DIH et le
DIDH découle en partie des limites prévues par ces conventions elles-mêmes, dont la ratification est souvent
réservée aux États.
1383
CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, op. cit., p. 10.
350
droit des conflits armés « s’étendent également aux actions entreprises par les Nations
Unies »1384. Dans le même temps, l’ONU insérait dans les règlements de ses opérations de
maintien de la paix l’obligation pour celles-ci de respecter « le principe et l’esprit » des
principales conventions du droit des conflits armés1385. Cette approche, bien qu’insatisfaisante
de par son imprécision, a perduré jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. On peut tout de
même noter que dès 1990, le Modèle d’accord sur le statut des forces pour les opérations de
maintien de la paix (Statute of force agreement - SOFA) prévoyait le respect par les
opérations de maintien de la paix des « lois et règlements » de l’État hôte1386. Le point de
savoir si les obligations internationales auxquelles l’État a souscrit sont comprises dans cette
disposition n’est pas clair. Faut-il s’attacher de façon limitative aux termes de l’accord – les
« lois et règlements » – ou bien considérer qu’il s’agit là d’un renvoi général au droit en
vigueur sur le territoire de l’État hôte, quelle qu’en soit la source ? Nous penchons pour cette
deuxième signification. En effet, l’option contraire créerait un déséquilibre entre les États de
système dualiste, pour lesquels les traités internationaux sont intégrés par une loi de
transposition, qui entrerait dans la définition du modèle SOFA, et ceux de tradition moniste,
que l’applicabilité directe des accords internationaux régulièrement ratifiés dispense d’une
telle mesure. Si cette question peut être d’une certaine importance pour le respect par les
opérations de maintien de la paix du DIDH, en ce qui concerne le DIH, des précisions
bienvenues ont été adoptées par le Secrétaire général dans une circulaire bien connue de
19991387. Bien que ne faisant que marginalement référence aux conventions pertinentes du
droit des conflits armés1388, la circulaire en rappelle les principes fondamentaux, tels ceux
concernant la discrimination, les moyens de combat, le sort des blessés, des populations
civiles ainsi que celui des prisonniers de guerre1389.
1384
Institut du droit international, Annuaire 1963, vol. II, résolution IV p. 368.
Cette expression a été intégrée aux règlements encadrant la FUNU, l’ONUC et l’UNFICYP. Voir
respectivement, UN Doc. ST/SGB/UNEF/1, « Regulations for the United Nations Emergency Force », 20 février
1957, art. 44 ; UN Doc. ST/SGB/ONUC/1, 15 juillet 1963, art. 43 et UN Doc. ST/SGB/UNFICYP/1, 25 avril
1964, art. 11. Voir également SUY (E.), « Peace-keeping operations », in DUPUY (R.-J.), dir., Manuel sur les
organisations internationales, 2e éd., Académie de droit international de La Haye, Brill, Nijhoff, Leiden, Boston,
1998, p. 553 et ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., pp. 96-97.
1386
UN Doc. A/45/594, Modèle d’accord sur le statut des forces pour les opérations de maintien de la paix, 9
octobre 1990, (ci-après, « modèle SOFA »), art. IV, § 6.
1387
SGNU, UN Doc. ST/SGB/1999/13, « Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations
Unies », 6 août 1999.
1388
Seule la troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949 est
explicitement mentionnée. Ibid., art. 8.
1389
Pour une analyse de cette circulaire, voir ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus,
op. cit., pp. 98-104.
1385
351
La circulaire n’épuise certes pas les débats relatifs à l’application du DIH aux
opérations de maintien de la paix, mais elle représente tout de même un effort de clarification
fourni volontairement par l’Organisation, démontrant ainsi un réel intérêt à voir ses opérations
respecter les principes fondamentaux du DIH. La même remarque ne saurait s’appliquer au
DIDH.
530. Aucune initiative semblable à la circulaire de 1999 n’est venue préciser l’application du
DIDH aux opérations de maintien de la paix. En termes de droits de l’Homme, l’attention de
l’Organisation s’est principalement portée sur la promotion et la protection de ces derniers par
les opérations de maintien de la paix. Même les mesures concernant la prévention contre les
abus sexuels commis par les agents du maintien de la paix ne mentionnent pas les normes
internationales des droits de l’Homme1390.
Il est certain que le caractère coutumier des normes du DIDH est moins bien établi que
celui des normes du DIH1391. Leur application aux opérations de maintien de la paix est donc
plus critiquable. La doctrine est toutefois divergente à cet égard. Pierre Klein considère ainsi
que « les règles protectrices des droits fondamentaux de la personne » s’imposent à toutes les
organisations internationales, notamment en ce qu’elles lient leurs États membres1392.
Svetlana Zašova n’envisage pour sa part la soumission de ces opérations aux droits
fondamentaux de la personne que de façon prospective1393. Il ne nous appartient pas ici de
trancher ce débat, mais plutôt de constater que le flou qui entoure la soumission des
opérations de maintien de la paix, ainsi que l’ensemble des actions menées sous l’égide de
l’ONU1394, au DIDH, aurait pu, ou même dû, pousser les institutions onusiennes à clarifier
cette question, notamment par l’adoption de régulations en interne à l’instar de qui a été fait
pour le DIH.
1390
La circulaire du Secrétaire général sur les dispositions spéciales visant à prévenir l’exploitation et les abus
sexuels mentionne en revanche la circulaire de 1999 sur l’application du DIH pour faire valoir que les forces de
maintien de la paix sont « investies d’un devoir de protection à l’égard des femmes et des enfants, conformément
à la section 7 de la circulaire ST/SGB/1999/13 ». Secrétaire général, UN Doc. ST/SGB/2003/13, « Dispositions
spéciales visant à prévenir l’exploitation et les abus sexuels », 22 mars 2005, art. 2. 2.
1391
KOLB (R.), PORETTO (G.), VITÉ (S.), L’application du droit international humanitaire et des droits de
l’homme aux organisations internationales. op. cit., p. 254.
1392
KLEIN (P.), La responsabilité des organisations internationales dans les ordres juridiques internes et en
droit de gens, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 360.
1393
ZAŠOVA (S.), Le cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., pp. 158-161.
1394
Guglielmo Verdirame prend comme exemple de violation des droits de l’Homme les sanctions adoptées par
le HCR contre les réfugiés d’un camp qu’il administrait. VERDIRAME (G.), « Compliance with human rights in
UN operations », Human Rights Law Review, vol. 2, n° 2, 2002, pp. 265-266.
352
531. Le flou décrit ci-dessus ne signifie toutefois pas que les opérations menées sous l’égide
de l’ONU soient totalement libres de toute obligation vis-à-vis des droits de l’Homme. En
effet, si les agents civils de l’ONU ne sont soumis, comme nous l’avons vu, qu’au droit
interne, aux résolutions et aux conventions adoptées par l’Organisation, ce n’est pas le cas des
contingents militaires et des unités de police constituées qui demeurent soumis, pour partie, à
l’autorité de leur État d’envoi et aux normes du droit international général qui le lient. Ceci
implique en revanche que c’est la responsabilité de cet État, et non de l’Organisation, qui
pourra être recherchée pour la violation d’une norme du DIDH par son agent. L’ONU s’est en
revanche assurée que les normes de conduite du personnel, particulièrement en ce qui
concerne les violations à caractère sexuel, soient applicables à tous les agents travaillant au
sein des opérations de maintien de la paix, toutes catégories confondues. Ceci a été accompli
au travers d’une modification du modèle d’accord de participation adoptée en 2007 et qui
prévoit que « [le] gouvernement s’assure que tous les membres de son contingent national ont
reçu pour instruction de respecter les normes de conduite de l’Organisation des Nations Unies
énoncées à l’annexe H au présent Mémorandum d’accord »1395. Le code de conduite
représente donc, pour l’ONU, les règles minimales applicables, uniformément, à l’ensemble
de ses agents, clarifiant ainsi une situation dont la complexité avait été dénoncée par le prince
Zeid1396.
532. Il faut ensuite distinguer entre les opérations de maintien de la paix et les
administrations transitoires. La différence de nature des tâches accomplies par ces missions
implique une différence de régime juridique les concernant. Alors que les opérations de
maintien de la paix n’exercent des prérogatives de puissance publique que de façon
exceptionnelle, celles-ci forment une partie substantielle des mandats des administrations
transitoires. Le cadre juridique concernant initialement ces deux types de missions ne change
pourtant pas, elles demeurent des organes subsidiaires du Conseil de sécurité soumis au droit
de l’Organisation et aux accords conclus par elle. Les administrations transitoires se voient
pourtant confier une compétence législative exercée au sein des territoires qu’elles
administrent. Les règles qu’elles édictent concernent alors, entre autres, les personnes
exerçant de telles prérogatives, dont elles font partie. C’est ainsi que la MINUK et
l’ATNUTO ont toutes deux adopté des règlements prévoyant l’applicabilité à « all persons
1395
UN Doc. A/61/19 (Part III), Rapport du Comité spécial des opérations de maintien de la paix et de son
Groupe de travail. Reprise de la session de 2007, Annexe, Projet révisé de modèle de mémorandum d’accord,
art. 7 bis.
1396
Rapport Zeid, op. cit., §§ 14-22.
353
undertaking public duties or holding public office »1397 des principales conventions portant
sur les droits de l’Homme. Bien que l’application de cette règlementation aux agents de ces
missions ait posé plusieurs problèmes, tant en termes d’immunités que d’applicabilité ratione
materiae, il apparaît que toutes deux se sont considérées tenues par ces règles1398.
533. C’est donc pour le cas des opérations de maintien de la paix n’impliquant pas
l’administration d’un territoire que la question de l’applicabilité des droits de l’Homme pose
le plus de problèmes. En l’absence d’adoption de règle interne prévoyant l’application du
DIDH aux agents des missions, il ne reste que la possibilité de l’intégration, par le Conseil de
sécurité, de l’obligation du respect de ces normes dans le mandat même des OMP. Or,
l’organe restreint de l’ONU est extrêmement réservé à cet égard. L’immense majorité des
mandats qu’il prévoit n’intègre aucune considération liée au droit applicable aux opérations,
question reléguée aux accords de participation et aux SOFA, qui ne font pas mention du
DIDH. Une timide évolution semble en cours, dans la mesure où les résolutions portant sur la
MINUSMA et la MINUSCA appellent ces missions à se conformer aux dispositions « du
droit international humanitaire, du droit des droits de l’homme et du droit des réfugiés »1399.
L’injonction paraît pourtant tout à la fois faible et imprécise, les résolutions portant sur la
MINUSCA allant jusqu’à parler de dispositions « applicables »1400, sans préciser ce que cette
expression désigne. La situation est d’autant plus insatisfaisante que le Conseil encourage
dans le même temps l’Union Africaine « à améliorer l’application du principe de
responsabilité, la transparence et le respect des dispositions applicables du droit international
des droits de l’homme et du droit international humanitaire »1401 dans les opérations de
maintien de la paix conduite sous son autorité.
1397
L’expression est utilisée de façon identique par les deux missions. Voir ATNUTO, UNTAET/REG/1999/1,
op. cit., section 2 et MINUK, UNMIK/REG/1999/24, 12 décembre 1999, section 1. 3.
1398
Voir sur cette question KOLB (R.), PORETTO (G.), VITÉ (S.), L’application du droit international
humanitaire et des droits de l’homme aux organisations internationales. op. cit., pp. 272-295.
1399
Voir pour les plus récentes, respectivement S/RES/2364 (2017), § 40 et S/RES/2301 (2016), § 50.
1400
Ibid.
1401
S/RES/2378 (2017), préambule.
354
B) Le développement insuffisant de garanties du respect du cadre juridique
534. Afin de combattre efficacement les violations des droits de l’Homme commises par le
personnel onusien, l’Organisation a adopté plusieurs mesures et plans d’action portant sur la
prévention et la répression de ces infractions. Les aspects préventifs sont longtemps restés
ceux proposés par le prince Zeid dans son rapport. Il s’agit essentiellement de formation des
personnels, de diffusion des normes de conduite de l’ONU ainsi que de diverses mesures
visant à traiter les causes des comportements fautifs1402. Ce n’est qu’à partir de 2012 que deux
programmes proactifs ont été créés dans le domaine de la prévention. Les deux initiatives
visent à assurer une vérification des antécédents des personnels concernés. La première
concerne les agents de l’ONU compris au sens large, c’est-à-dire incluant « toutes les
catégories de fonctionnaires du Secrétariat et de non-fonctionnaires, au siège de
l’Organisation ou dans les bureaux extérieurs, civils ou portant un uniforme, qu’ils aient été
recrutés sur le plan international ou sur le plan local »1403. Elle prévoit la signature, par le
candidat et par son État d’envoi, d’un document attestant que le premier n’a pas été condamné
et n’est pas sous enquête pour des violations des droit de l’Homme. Des enquêtes au cas par
cas sont diligentées pour vérifier l’exactitude de ces déclarations. Parallèlement, le Secrétaire
général a développé la « Politique de diligence voulue » (« Due diligence policy »)1404, qui
consiste à ne pas fournir d’appui, ou le retirer le cas échéant, à des entités – forces de
sécurité – non onusiennes dont certains membres seraient soupçonnés d’avoir commis des
violations des droits de l’Homme ou du DIH. Une base de données des individus ne pouvant
recevoir d’appui de la part des Nations Unies a été créée et une évaluation a priori, c’est-àdire avant l’incorporation dans le mandat d’une OMP d’une tâche d’appui aux forces de
sécurité, des éléments de ces forces doit être effectuée afin d’établir la faisabilité d’un tel
appui. Malgré la complexité évidente de ce dispositif et le manque régulier d’informations
1402
Notamment par le biais de la facilitation de visites des familles, du financement sur le budget de la mission
d’espaces de loisirs ou encore de la multiplication des femmes au sein des opérations. Voir Rapport Zeid, op.
cit., §§ 43, 50 et 51.
1403
SGNU, « Vérification des antécédents des candidats en matière de respect des droits de l’homme dans le
cadre du recrutement du personnel des organismes des Nations Unies, Vérification des antécédents des candidats
en matière de respect des droits de l’homme », 11 décembre 2012, § 2.1 et n. 1.
1404
SGNU, UN Doc. A/67/775-S/2013/110, Lettres identiques datées du 25 février 2013, adressées par le
Secrétaire général au Président de l’Assemblée générale et au Président du Conseil de sécurité, annexe, Politique
de diligence voulue en matière de droits de l’homme dans le contexte de la fourniture d’appui par l’ONU à des
forces de sécurité non onusiennes, 5 mars 2013.
355
fiables par les gouvernements hôtes, cette politique est désormais appliquée, avec un succès
mitigé1405, dans toutes les actions de l’ONU.
Enfin, le Secrétaire général et le département des opérations de maintien de la paix ont
mis en place des équipes de déontologie et de discipline tant au siège que dans les missions.
Ces équipes sont principalement chargées de conseiller le chef de la mission sur les questions
de conduite de discipline, de recevoir et d’analyser les plaintes déposées et de les orienter, le
cas échéant, vers la procédure appropriée1406. Elles sont donc le lien entre la prévention et les
enquêtes.
535. C’est ensuite le stade de l’enquête qui a fait l’objet d’une réforme au sein de
l’Organisation. Ici encore il faut distinguer entre les personnels onusiens et ceux sous autorité
nationale, tels les contingents militaires et les unités de police constituées. Pour ces derniers,
les enquêtes concernant des violations du code de bonne conduite demeurent de la
responsabilité principale de l’État d’envoi, contrairement au cas des autres personnels
onusiens, soumis à la compétence de l’ONU. Ces deux procédures ont toutefois été marquées
par les mêmes défaillances, à savoir un manque de professionnalisme des enquêtes menées,
notamment vis-à-vis des standards de la preuve exigés devant les juridictions pénales. Le
rapport Zeid considérait ce point comme l’un des facteurs principaux de l’impunité des
personnels du maintien de la paix1407.
536. Le problème des enquêtes a donné lieu à deux évolutions principales au sein de l’ONU.
Le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) a tout d’abord été renforcé. Sa compétence
a été élargie pour devenir obligatoire en ce qui concerne les fautes de première catégorie, qui
incluent les infractions complexes et les comportements pouvant être qualifiés de crimes1408.
Des unités d’enquêteurs professionnels ont été formées au sein du BSCI, postées à la fois au
1405
Deux rapports du BSCI soulignent l’inefficacité ou l’inapplication de cette politique par les missions
onusiennes en Haïti et au Mali. Voir respectivement BSCI, rapport 2017/032, Audit of the human rights program
in the United Nations Stabilization Mission in Haiti, n° AP2016/683/02, 5 mai 2017, p. 4 et BSCI, rapport
2017/107, Audit of police operations in the United Nations Multidimensional Integrated Stabilization Mission in
Mali, n° AP2017/641/08, 24 octobre 2017, p. 4.
1406
UN Doc. A/60/862, Comprehensive report prepared pursuant to General Assembly resolution 59/296 on
sexual exploitation and sexual abuse, including policy development, implementation and full justification of
proposed capacity on personnel conduct issues, rapport du Secrétaire général, 24 mai 2006.
1407
Rapport Zeid, op. cit., §§ 28-32.
1408
La classification des fautes en deux catégories a été établie par le BSCI. Voir UN Doc. A/58/708, Rapport du
Bureau des services de contrôle interne sur le renforcement de la fonction d’investigation de l’Organisation des
Nations Unies, 10 février 2004, §§ 26-27.
356
siège et au sein de bureaux régionaux1409. Les enquêtes peuvent être déclenchées soit
directement par le BSCI sur signalement d’une infraction par un particulier – personnel
onusien, tiers ou victime – soit sur demande du chef de mission, à qui échoit la responsabilité
globale des enquêtes au sein de sa mission, responsabilité dont il s’acquitte avec l’assistance
des unités de conduite et de discipline1410.
537. En ce qui concerne les contingents militaires, la responsabilité principale de l’enquête
repose en principe sur l’État d’envoi. Devant le manque de volonté, et parfois de capacité, des
États d’envoi, et dans un objectif de lutte contre l’impunité, une modification conséquente de
la procédure d’enquête concernant ces personnels a été adoptée via la révision du modèle
d’accord de participation. Cette révision, adoptée par l’Assemblée générale en 20071411,
rappelle tout d’abord la responsabilité des États dans la prévention et l’investigation de
comportements fautifs de la part de leurs contingents. Elle prévoit ensuite que l’ONU peut, en
l’absence de réaction de l’État d’envoi dans un délai de dix jours ouvrés suite à la notification
du comportement fautif par les Nations Unies, considérer que cet État « ne peut pas ou ne
souhaite pas » mener une enquête et se substituer à lui dans cette tâche1412.
Enfin, l’ONU a éclairci et renforcé sa politique de sanctions envers les personnels
responsables de manquements au code de bonne conduite. En matière disciplinaire,
l’Organisation a adopté une politique de « tolérance zéro » vis-à-vis de ces manquements1413.
Ceci signifie essentiellement que les fautes entrant dans la première catégorie donnent
systématiquement lieu à un licenciement sans préavis pour les fonctionnaires et experts en
mission, et au rapatriement pour les membres des contingents militaires1414. Dans les cas les
plus graves, notamment en cas de violations multiples de la part de contingents d’un même
État, la fin du déploiement de tout contingent de ce dernier peut être prononcée1415.
1409
Sur le renforcement du BSCI, voir Stimson Center, « Improving criminal accountability in United Nations
peace operations », rapport n° 65, DURCH (W. J.) et al., juin 2009, pp. 10-12.
1410
Voir la politique adoptée par le DOMP, le DAP et DAM : « Policy on accountability for conduct and
discipline in field missions », 1 août 2015, point 18. 7.
1411
A/RES/61/267 B (2007), § 1.
1412
UN Doc. A/61/19 (Part III), op. cit., art. 7 quater, § 3. Pour le détail de cette révision ainsi que son
historique, voir DEEN-RACSMANY (Z.), « The amended UN model memorandum of understanding : a new
incentive for states to discipline and prosecute military members of national peacekeeping contingents ? »,
Journal of Conflict and Security Law, vol. 16, n° 2, juillet 2011, pp. 321-355. Voir également ZAŠOVA (S.), Le
cadre juridique de l’action des casques bleus, op. cit., pp. 259-263.
1413
« Policy on accountability for conduct and discipline in field missions », op. cit., point 10. 2.
1414
Ce rapatriement peut concerner l’ensemble des unités d’un État donné s’il apparaît que ce dernier n’a pas
tenu ses engagements en termes de prévention et d’enquête. Voir UN Doc. A/70/729, Special measures for
protection from sexual exploitation and sexual abuse, 16 février 2016, § 60.
1415
Ibid.
357
538. Si l’ONU s’efforce de montrer sa bonne volonté dans la sanction des comportements
répréhensibles au sein des opérations de paix, ses compétences en la matière sont
extrêmement limitées. L’Organisation est dépourvue de juridiction pénale capable de
condamner les fonctionnaires et les experts en mission, ainsi que de compétence en ce qui
concerne des sanctions disciplinaires autres que le rapatriement et la suspension des salaires
pour ce qui concerne les contingents nationaux. C’est pourquoi les efforts de l’Organisation se
concentrent aujourd’hui sur les mesures propres à inciter les États membres à poursuivre euxmêmes les responsables. Deux mesures symboliques ont été adoptées par le Secrétariat à cet
égard.
Les États sont incités à fournir des rapports sur les suites pénales et disciplinaires
données aux plaintes déposées contre des membres de leurs contingents. Ces rapports sont
censés être ensuite transmis, par le biais des missions, aux victimes afin que celles-ci soient
informées des peines prononcées contre leurs agresseurs. L’Assemblée générale a toutefois
constaté que peu d’États se conforment à cette directive1416. C’est en réponse à cette
défaillance que le Secrétaire général a décidé, en 2016, d’inclure dans son rapport portant sur
les dispositions spéciales visant à prévenir l’exploitation et les atteintes sexuelles la
nationalité des individus fautifs ainsi que les suites données, ou non, par leur État de
nationalité.
Ces
informations
sont
également
publiées
sur
le
site
internet
conduct.unmissions.org, créé à cette fin.
539. Les mesures adoptées par l’Organisation pour lutter contre l’impunité des personnels du
maintien de la paix ne manquent ainsi pas. Leur application concrète reste cependant très
insatisfaisante. Le rapport du BSCI sur le plan de lutte contre les violences sexuelles souligne
les nombreuses défaillances du système, tels le manque de transmission des informations liées
aux infractions constatées, des enquêtes trop tardives, notamment au regard de la disponibilité
des preuves, ou encore le manque de coopération des États membres, y compris au stade de
l’enquête1417. Des mesures proposées par le prince Zeid dans son rapport, telles la constitution
par les États membres de cours martiales in situ ou encore l’élaboration d’une convention
internationale portant sur la responsabilité pénale des fonctionnaires et experts en mission1418,
toujours rappelées aujourd’hui1419, ne semblent pas connaître d’avancées significatives. Ce
1416
A/RES/72/112 (2017), responsabilité pénale des fonctionnaires et des experts en mission, § 8.
BSCI, « Evaluation of the Enforcement and Remedial Assistance Efforts for Sexual Exploitation and Abuse
by the United Nations and Related Personnel in Peacekeeping Operations », 15 mai 2015, §§ 28-32.
1418
Rapport Zeid, op. cit., §§ 35 et 89.
1419
Voir par exemple UN Doc. A/70/729, op. cit., § 66.
1417
358
sont ces défaillances qui ont conduit le Groupe d’évaluation indépendante intérimaire du
système d’administration de la justice à l’Organisation des Nations Unies à considérer dans
son rapport que « impunity reigns within the United Nations, with an impact on victims, on
staff morale in the field and on the overall image of the Organization. »1420
§2/Les mirages de la responsabilisation de l’Organisation
540. Nous avons vu que les mécanismes internes de lutte contre l’impunité sont en partie
défaillants. Une part de ces défaillances peut être attribuée aux caractéristiques même de
l’action de l’ONU : celle-ci implique une grande décentralisation et, partant, des difficultés
pour assurer un suivi efficace, ajoutées à une lourdeur administrative extrême ainsi qu’une
dépendance tout aussi importante vis-à-vis des États membres. Ces justifications ne doivent
pourtant pas tromper l’observateur. Comme nous avons déjà pu l’entrevoir à propos des
réparations, c’est bien une logique de protection qui est à l’œuvre au sein de l’Organisation.
Celle-ci dépasse d’ailleurs très largement les considérations liées à l’intergouvernementalité,
dans la mesure où cette logique se retrouve, et de façon exacerbée encore, au niveau du
Secrétariat.
Deux exemples témoignent de la méthode utilisée par le Secrétariat pour empêcher toute
responsabilisation authentique de l’Organisation. Il s’agit du cas des lanceurs d’alerte et de
celui du Panel consultatif des droits de l’Homme au Kosovo. Ces deux exemples ont en
commun qu’ils correspondent à des problématiques à propos desquelles l’ONU était
politiquement forcée d’agir. La méthode utilisée a été globalement similaire et a consisté à
adopter des mesures symboliquement fortes tout en les rendant complètement inefficaces dans
la pratique. Les lanceurs d’alerte bénéficient ainsi d’une protection déficiente (A), alors que le
Panel consultatif des droits de l’homme est demeuré un mécanisme inopérant (B).
1420
UN Doc. A/71/62/Rev.1, Report of the Interim Independent Assessment Panel on the system of
administration of justice at the United Nations, 15 avril 2016, § 267. Voir également l’analyse de ce rapport in
BODEAU-LIVINEC (P.), THÉVENOT-WERNER (A.-M.), « Activité et jurisprudence des tribunaux
administratifs des Nations Unies et de l’OIT », AFDI, vol. 62, 2016, pp. 303-316.
359
A) Les déficiences de la protection des lanceurs d’alerte
541. La question des lanceurs d’alerte est particulièrement pertinente pour celle de la lutte
contre l’impunité intra-onusienne. Or, le bilan à cet égard est globalement considéré comme
insatisfaisant. Le sort réservé aux lanceurs d’alertes témoigne en effet de la réticence du
Secrétariat à ce que la lutte contre l’impunité prime les considérations liées à la réputation de
l’Organisation. Il est vrai que le Secrétaire général a adopté plusieurs règlementations
destinées à protéger les lanceurs d’alertes. La circulaire de 2005 portant sur la « protection des
personnes qui signalent des manquements et qui collaborent à des audits ou à des enquêtes
dûment autorisés »1421 représente le premier effort dans ce sens. Il y est prévu l’obligation
pour les personnels onusiens de « dénoncer tout manquement aux règles et règlements de
l’Organisation »1422, que ce soit par le biais de mécanismes internes1423 ou, sous conditions,
externes1424. Ces personnels sont également assurés d’une protection contre toutes
représailles, entendues comme « toute mesure directement ou indirectement préjudiciable,
prise ou recommandée à l’encontre d’une personne qui a effectué une démarche protégée par
la présente directive, ou la menace d’une telle mesure »1425. Premier effort de protection des
lanceurs d’alerte, la circulaire de 2005 n’en restait pas moins lacunaire, justifiant un
ajustement de la protection proposée. Ceci a été fait par le nouveau Secrétaire général,
António Guterres, en 20171426. Comme nous le verrons, cette nouvelle circulaire, bien
qu’intégrant certains éléments de la jurisprudence du Tribunal du contentieux administratif
des Nations Unies (TCANU), maintient plusieurs failles déjà soulignées, notamment par le
Tribunal en question. Il n’est nécessaire ici que de rappeler la procédure mise en place, de
façon inchangée, par la circulaire de 2005, confirmée sur ce point en 2017.
542. Pour obtenir la protection réservée aux lanceurs d’alerte, les employés des Nations
Unies, fonctionnaires, volontaires des Nations Unies ou stagiaires, doivent tout d’abord
dénoncer un manquement d’un ou plusieurs fonctionnaires à l’une des règles encadrant le
1421
SGNU, ST/SGB/2005/21, « Protection des personnes qui signalent des manquements et qui collaborent à des
audits ou à des enquêtes dûment autorisés », 19 décembre 2005.
1422
Ibid., art. 1. 1.
1423
Ibid., Section 3. Il s’agit du « Bureau des services de contrôle interne, le Sous-Secrétaire général à la gestion
des ressources humaines, le chef du département ou du bureau concerné ou l’interlocuteur chargé de recevoir les
plaintes pour exploitation et abus sexuels ».
1424
Ibid., Section 4. Les motifs justifiant un recours aux mécanismes externes sont notamment la peur de
représailles, l’inaction de l’Organisation et le risque de destruction des preuves.
1425
Ibid., Section 1. 4.
1426
Voir SGNU, ST/SGB/2017/2, « Protection contre les représailles des personnes qui signalent des
manquements et qui collaborent à des audits ou à des enquêtes dûment autorisés », 20 janvier 2017.
360
comportement de ces personnels. Cette dénonciation peut se faire par le biais des mécanismes
internes ou externes, comme nous l’avons dit. Le BSCI, voie interne de dénonciation par
défaut, se doit de prévenir, avec l’accord de l’auteur de la dénonciation, le Bureau de la
déontologie, qui peut alors adopter des mesures de prévention contre d’éventuelles
représailles. En cas de représailles déjà dénoncées par le lanceur d’alerte, celui-ci prévient le
Bureau de la déontologie qui évalue la réalité apparente de telles mesures1427. En cas de
représailles apparentes, il en informe le BSCI qui doit mener une enquête et rendre son
rapport au Bureau de la déontologie sous 120 jours. L’enquête doit déterminer si
l’administration, sur qui repose la charge de la preuve, aurait pris les mêmes mesures vis-à-vis
de l’employé si ce dernier « n’avait pas participé à une activité protégée »1428. Après une
évaluation du rapport d’enquête, le Bureau de la déontologie décide si les allégations de
représailles sont fondées ou non. Si c’est le cas, il transmet ses recommandations quant aux
mesures à adopter au chef du département ou du bureau concerné et au Secrétaire général
adjoint à la gestion. Si les représailles ne sont pas avérées, aucune recommandation n’est
transmise. Un recours contre la détermination du Bureau de la déontologie est possible devant
le Président suppléant du Groupe de la déontologie des Nations Unies, regroupant les chefs
des bureaux de la déontologie des divers programmes et organes onusiens1429.
On comprend à travers cette procédure la place centrale qu’occupe le Bureau de la
déontologie et l’importance de son indépendance. Or, cette indépendance est loin d’être
évidente au vu du statut de ce bureau1430. On relève tout d’abord que le terme d’indépendance
n’y apparaît pas. Ensuite, le bureau est créé « au sein du Secrétariat »1431 et relève
« directement du Secrétaire général »1432. Enfin « [n]ommé par le Secrétaire général, le
Directeur du Bureau de la déontologie est comptable devant celui-ci dans l’exercice de ses
fonctions »1433. Il est d’ailleurs révélateur que le principal argument avancé par le Secrétaire
général pour justifier de l’indépendance de ce Bureau n’est pas tiré du statut de ce dernier,
mais de la résolution de l’Assemblée générale demandant au Secrétaire général de créer un
1427
Le Bureau doit déterminer « s’il y a lieu de présumer que l’activité protégée a été un facteur des représailles
ou de la menace de représailles dont le requérant s’estime victime », (nous soulignons). Ibid., Section 7. 1 b).
1428
Ibid., Section 8. 2.
1429
SGNU, ST/SGB/2007/11, « Respect de la déontologie à l’échelle du système : organes et programmes ayant
une administration distincte », 30 novembre 2007, section 5. 1.
1430
Voir SGNU, ST/SGB/2005/22, « Création du Bureau de la déontologie et définition de son mandat », 30
décembre 2005.
1431
Ibid., Section 1. 1.
1432
Ibid.
1433
Ibid., Section 2.
361
« bureau de la déontologie, doté d’un statut indépendant »1434. Le travail et l’indépendance du
Bureau de la déontologie ont d’ailleurs été remis en question par le Tribunal du contentieux
administratif des Nations Unies1435, et par le Rapporteur spécial sur la promotion et la
protection du droit à la liberté d’expression1436. Le très faible nombre de cas pour lesquels le
Bureau a recommandé des mesures de protection, ou même simplement reconnu l’existence
de représailles, est à cet égard pointé du doigt1437.
543. Deux cas sont illustratifs de l’attitude du Secrétariat et de certains départements, tel le
HCDH, ainsi que du manque d’effectivité de la protection des lanceurs d’alertes, notamment
de la possibilité qui leur est donnée de faire valoir cette protection devant le système interne
de justice des Nations Unies.
544. Le cas d’Anders Kompass est le plus connu. Cet ancien haut-fonctionnaire suédois était
directeur des opérations au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
lorsqu’il a transmis aux autorités françaises un rapport rédigé par une fonctionnaire onusienne
en poste à Bangui, République centrafricaine, révélant des cas de violences sexuelles
commises par des soldats de la force française Sangaris sur des mineurs centrafricains. La
transmission de ce rapport sous sa forme non expurgée a mené à la demande de démission
d’Anders Kompass par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme et son adjointe, demande
qui a été refusée. L’affaire ayant été médiatisée, une enquête a été ordonnée par le Secrétaire
général sur le déroulement des faits. Le rapport du « Groupe d’enquête externe indépendant
sur l’exploitation et les atteintes sexuelles commises par les forces internationales de maintien
de la paix en République centrafricaine », transmis à l’Assemblée générale le 23 juin 20161438,
met en lumière les défaillances du système d’enquête onusien ainsi que le refus de
l’Organisation de voir ses carences en la matière exposées. Les membres dénoncent, d’une
1434
Voir A/RES/60/1 (2005), § 161 d). Cet argument a notamment été avancé devant le Tribunal du contentieux
administratif des Nations Unies (TCANU) dans l’affaire Wasserstrom. Voir UNDT, Affaire
UNDT/NY/2009/044JAB/2008/087, Wasserstrom v. Secretary general of the United Nations, ordonnance 19
(NY/2010), Orders on receivability and production of documents, 3 février 2010, § 17.
1435
Voir dans l’arrêt Wasserstrom les critiques du juge estimant que « the record would appear to indicate that
as an institution charged with the responsibility of uncovering acts of retaliation the effectiveness of the Ethics
Office leaves much to be desired ». TCANU, Affaire UNDT/NY/2009/044/JAB/2008/087, Wasserstrom v.
Secretary-general of the United Nations, Jugement UNDT/2013/053, Judgement on relief, 15 mars 2013, § 34.
1436
Voir UN Doc. A/70/361, « Rapport établi par le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit
à la liberté d’opinion et d’expression », 8 septembre 2015, § 55.
1437
Le Rapporteur spécial, reprenant des chiffres tenus par le Government Accountability Project, établissait à 4
le nombre de cas pour lesquels des représailles avaient été reconnues, sur 403 demandes déposées. Ibid., § 53.
Voir également le site du Government Accountability Project : https://www.whistleblower.org/united-nations.
1438
UN Doc. A/71/99, Rapport du Groupe d’enquête externe indépendant sur l’exploitation et les atteintes
sexuelles commises par les forces internationales de maintien de la paix en République centrafricaine : « Lutter
contre l’exploitation et les atteintes sexuelles commises par les soldats de la paix », 23 juin 2016.
362
part, l’absence de réponse quant aux violences subies par les mineurs centrafricains, et d’autre
part, la réaction des diverses autorités onusiennes (directrice du Bureau de la déontologie,
directrice du BSCI, Haut-Commissaire aux droits de l’homme…) face à la transmission du
rapport. Ceux-ci sont en effet accusés d’avoir agi de concert, y compris avec le Bureau de la
déontologie et le BSCI, supposés être indépendants, pour s’accorder sur les mesures à adopter
contre Anders Kompass1439. Ce dernier fit l’objet d’une enquête interne pour faute
professionnelle et fut suspendu de ses fonctions, mesure annulée par la suite par TCANU1440.
Arguant du maintien d’une pression de la part de sa hiérarchie et de l’impunité de ceux qui
auraient « abusé de leur autorité »1441, Anders Kompass fini par démissionner en juin 2016.
545. Le cas de James Wasserstrom est moins connu du grand public, bien qu’il ait concentré
les inquiétudes des observateurs quant à la protection accordée aux lanceurs d’alerte1442.
L’affaire portait sur la dénonciation par l’intéressé de cas de corruption au sein de la MINUK.
Suite aux signalements qu’il avait effectués, M. Wasserstrom a fait l’objet de mesures qu’il
considérait comme constitutives de représailles de la part de personnels de la mission1443.
L’intéressé a alors saisi le Bureau de la déontologie des Nations Unies dans le but de se voir
conférer la protection garantie par l’Organisation aux lanceurs d’alertes. L’enquête confiée
par ledit bureau au BSCI ayant conclu à l’absence de représailles, la protection demandée par
M. Wasserstrom lui a été refusée. Ce dernier attaquait donc devant le TCANU les conclusions
du Bureau de la déontologie. L’arrêt du TCANU accédant à la demande de M. Wasserstrom a
été annulé par le Tribunal d’appel des Nations Unies (TANU). En effet la compétence ratione
materiae du TCANU est limitée à la contestation des décisions administratives par le
personnel. Or, le Bureau de la déontologie, selon la circulaire de 2005, ne fait que mener des
enquêtes sur la base desquelles il adopte des recommandations relatives à l’existence d’une
activité protégée et de représailles, qu’il transmet au Secrétaire général qui peut ensuite
accorder la protection au personnel concerné. Revenant partiellement sur sa jurisprudence
antérieure, le TANU a alors considéré que les conclusions du Bureau de la déontologie ne
constituaient pas une décision administrative et ne pouvaient donc pas être attaquées par le
1439
Ibid., §§ 199-217.
TCANU, Affaire UNDT/GVA/2015/126, Kompass v. Secretary-general of the United Nations, ordonnance
n° 99 (GVA/2015), 5 mai 2015.
1441
« ONU : le lanceur d’alerte Anders Kompass démissionne », Le Monde, 7 juin 2016.
1442
Voir notamment BODEAU-LIVINEC (P.), THÉVENOT-WERNER (A.-M.), « Activité et jurisprudence des
tribunaux administratifs des Nations Unies », AFDI, vol. 61, 2015, pp. 411-412 et 418-420.
1443
Il s’agissait du non-renouvellement de son poste au sein de la mission, du lancement d’une enquête à son
égard, accompagnée de la confiscation, à l’aéroport, de son passeport, de la perquisition de son véhicule ainsi
que de l’affichage d’un poster le représentant sur les portes de la mission dans le but de lui en interdire l’accès.
1440
363
requérant, qui aurait dû se retourner contre la décision implicite du Secrétaire général de ne
pas lui accorder la protection. Si la décision du TANU est compréhensible d’un point de vue
strictement juridique, elle ne fait que peu de cas de la situation dans laquelle était placé M.
Wasserstrom. En effet, le Bureau de la déontologie ne transmet ses conclusions au Secrétaire
général que dans le cas où la protection est recommandée. En l’absence de la constatation de
représailles, et donc de transmission des conclusions, ainsi que de règle claire sur le délai
permettant de considérer que le silence de l’administration constitue une décision implicite de
rejet de la demande, M. Wasserstrom n’avait guère d’autre choix que d’attaquer la
recommandation du Bureau de la déontologie1444. Il est à noter que ces règles ont été clarifiées
par la circulaire de 2017. Celle-ci consacre l’absence de caractère décisoire des
recommandations du Bureau de la déontologie et clarifie le recours ouvert aux employés de
l’ONU contre la décision de l’administration1445. L’obligation du Bureau de la déontologie de
procéder à une évaluation de l’intégralité du rapport d’enquête du BSCI, annexes comprises,
est également prévue1446, démontrant une volonté du nouveau Secrétaire général d’intégrer les
lacunes identifiées au travers de la jurisprudence du TCANU.
546. Si la décision du TANU est contestable pour ses effets, l’attitude du Secrétariat à
l’occasion de cette affaire est encore plus révélatrice de l’hostilité ressentie par ce dernier à
l’encontre des lanceurs d’alerte. Le Secrétariat s’est en effet illustré par son refus de
transmettre des pièces à la défense, en l’occurrence le rapport de l’enquête conduite par le
BSCI et ses annexes, dont l’exactitude et le sérieux étaient remis en question par le requérant,
et ce malgré les ordonnances adoptées en ce sens par le TCANU1447. Il faut noter que le refus
de transmission de pièces par le Secrétariat, y compris lorsque cette transmission est ordonnée
par le Tribunal, n’est pas exceptionnelle. Le Secrétariat a été condamné à plusieurs reprises
pour son non-respect des ordonnances du Tribunal, jusqu’à se voir interdire de participer aux
audiences1448. Dans l’affaire Wasserstrom, le juge a condamné le Secrétariat à verser 15 000
1444
Voir dans le même sens BODEAU-LIVINEC (P.), THÉVENOT-WERNER (A.-M.), « Activité et
jurisprudence des tribunaux administratifs des Nations Unies », op. cit., p. 419.
1445
SGNU, ST/SGB/2017/2, op. cit., Sections 9 et 10.
1446
Ibid., Section 8. 4.
1447
Voir notamment TCANU, Affaire UNDT/NY/2009/044/ JAB/2008/087, Wasserstrom v. Secretary-general
of the United Nations, Orders on receivability and production of documents, op. cit. et pour la même affaire :
Order, ordonnance 113 (NY/2010), 23 avril 2010.
1448
Dans l’affaire Bertucci, le juge du TCANU a exprimé son exaspération devant l’attitude du Secrétariat dans
une ordonnance dont le ton mérite qu’elle soit reproduite ici. Il déclare ainsi que : « the Secretary-General will
not be heard in the accountability case and he should have fair notice that should his counsel make application
to be heard in the other cases before me, my present inclination is that until the disobedience of the SecretaryGeneral is purged by producing the documents I have required to be produced, accompanied by an apology to
364
dollars U.S. au requérant pour couvrir les frais engendrés par son refus de coopérer avec le
Tribunal1449, décision confirmée en appel1450. Il faut noter que cette pratique du Secrétariat
perdure aujourd’hui1451. La circulaire de 2017, en ne prévoyant pas d’obligation pour le
Bureau de la déontologie de transmettre le rapport d’enquête au requérant, peine à rassurer
quant à une possible évolution de l’attitude du Secrétariat sur ce point.
L’ensemble de ces facteurs justifie le jugement sévère, auquel nous souscrivons, porté
sur la protection onusienne des lanceurs d’alertes par de nombreux observateurs1452.
B) La création de mécanismes inopérants : l’exemple du Panel consultatif
des droits de l’Homme au Kosovo
547. Nous avons déjà évoqué les violations des droits de l’Homme commises par la MINUK,
notamment en termes de détentions arbitraires1453. Il ne s’agit pourtant là que d’une infime
partie des violations dont la mission se serait rendue responsable. Au fil du temps, les
accusations à l’encontre de la MINUK se sont multipliées au sein, notamment, de la société
civile et du Conseil de l’Europe. Alertée par la situation, l’Assemblée parlementaire de ce
the Tribunal and an undertaking not to disobey an order again, the respondent will not be entitled to appear,
before me.
10. The fundamental purpose is not to punish the respondent, but to make clear that the respondent does not get
to decide which orders he will comply with and which he will ignore. There is no other way the jurisdiction and
integrity of the Tribunal can be upheld. I regard the refusal as a direct and brazen attack on the rule of law
created by the General Assembly and solemnly embodied in the Statute of this Tribunal. The Secretary-General
can either comply with the rule of law, or he can defy it, but it should be understood, that if he defies it, he
cannot expect that the Tribunal will be prepared to listen to what might be said by him or on his behalf. I trust
the matter is now clear. » Voir TCANU, Affaire UNDT/NY/2009/039/ JAB/2008/080 & UNDT/NY/2009/117,
Bertucci v. Secretary-general of the United Nations, Ruling, ordonnance n° 43 (NY/2010), 8 mars 2010, §§ 9-10.
1449
Les juges ont considéré que le refus du Secrétariat de se conformer aux ordonnances lui enjoignant de
transmettre le rapport d’enquête avait prolongé le procès, induisant des coûts supplémentaires pour le requérant.
1450
Les juges d’appel ont à cette occasion considéré que l’attitude du Secrétaire général avait été « frivolous and
vexatious ». Voir TANU, Affaires 2013-481, 2013-482 & 2013-483, Wasserstrom v. Secretary-general of the
United Nations, Jugement n° 2014-UNAT-457, 27 juin 2014, § 42.
1451
Voir par exemple l’affaire Elobaid, dans laquelle le rapport d’enquête ayant mené au prononcé d’un
avertissement contre un fonctionnaire ne lui a pas été transmis, le juge notant ainsi que « le requérant s’est vu,
sans explication, dénier le droit aux garanties d’une procédure régulière ». TCANU, Affaire
UNDT/NBI/2016/036, Elobaid c. Secrétaire-général de l’Organisation des Nations Unies, Jugement n°
UNDT/2017/054, 13 juillet 2017, § 93.
1452
Voir par exemple HAMILTON-MARTIN (R.), « Ostracised, sacked… and even arrested : the fate of
whistleblowers at the UN », The Guardian, 14 septembre 2015 ; DE LAVARÈNE (C.), « A l’ONU, il ne fait pas
bon être lanceur d’alerte », Mediapart, 3 janvier 2016 ou encore BODEAU-LIVINEC (P.), THÉVENOTWERNER (A.-M.), « Activité et jurisprudence des tribunaux administratifs des Nations Unies et de l’OIT », op.
cit., p. 315, estimant que la situation des lanceurs d’alerte onusiens est « précaire ». Voir également de façon
générale la section dédiée à l’ONU sur le site internet du Government Accountability Project :
https://www.whistleblower.org/united-nations.
1453
Supra, section I, § 1.
365
dernier sollicita la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de
Venise), le 13 mai 2004, pour qu’elle donne son avis sur « la situation des droits de l’homme
au Kosovo »1454. Rendu le 11 octobre 2004, cet avis pointe du doigt plusieurs violations des
droits de l’Homme. Sont notamment en cause les atteintes au droit de propriété, les détentions
et l’insuffisance des enquêtes menées par la MINUK sur les nombreux crimes, parfois graves,
commis au Kosovo. Afin de ne pas conforter le climat d’impunité ayant alors cours au
Kosovo, la Commission de Venise recommande alors à la MINUK, à la KFOR et aux
Institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo de mettre en place « un
mécanisme distinct de contrôle provisoire »1455. Au cours des discussions portant sur la forme
que prendrait ce mécanisme, il est très vite apparu que l’ONU refuserait tout organe
juridictionnel et/ou extérieur à l’Organisation1456, lui préférant un panel consultatif
indépendant. C’est donc cet organe qui fut créé par la règlementation 2006/12 de la
MINUK1457. Bien que l’initiative paraisse louable, le Panel consultatif des droits de l’homme
au Kosovo (« Human rights advisory panel » HRAP) s’est essentiellement illustré par son
inutilité presque totale en termes de lutte contre l’impunité, et ce malgré les efforts louables
de ses membres. Le Panel est en effet une autre illustration du rejet par le Secrétariat de toute
forme de responsabilisation de l’Organisation, et de ses services en particulier. Cette
résistance est en l’occurrence passée par deux voies : l’affaiblissement du Panel par le biais de
son statut et le rejet total de ses conclusions, anéantissant ainsi l’intérêt de son travail pour les
victimes.
548. C’est donc tout d’abord à la création d’un organe affaibli que s’est attaché le
Représentant spécial du Secrétaire général (RSSG), chef de la MINUK. Notons que l’idée
d’un organe de contrôle créé au sein et sous l’autorité de la mission qu’il est supposé contrôler
paraît en elle-même saugrenue et pose de sérieux doutes quant à l’indépendance d’un tel
organe. Le Panel recommandera d’ailleurs que les futures entités créées sur ce modèle soient
envisagées comme organe de l’ONU et non de la mission faisant l’objet de leur
compétence1458. Le problème est en fait nuancé dans la mesure où le Panel ne représente en
réalité pas un organe de contrôle de la MINUK. Comme son nom l’indique, le HRAP ne
1454
Commission de Venise, Avis sur la situation des droits de l’homme au Kosovo : établissement éventuel de
mécanismes de contrôle, Avis n° 280/2004, 11 octobre 2004, § 1.
1455
Ibid., § 113.
1456
HRAP, « The Human Rights Advisory Panel history and legacy Kosovo, 2007-2016 », rapport final, 30 juin
2016, (ci- après HRAP, rapport final) § 32.
1457
MINUK, UNMIK/REG/2006/12, op. cit.
1458
HRAP, rapport final, op. cit., § 281.
366
possède qu’une compétence consultative. S’il peut bien établir l’existence de violations
(« issue findings »1459) et faire des recommandations, qui seront publiées « in a manner that
ensures broad dissemination and accessibility »1460, le HRAP est fortement limité par
l’absence de caractère obligatoire de ses décisions. Son statut laisse en effet toute discrétion
au RSSG pour suivre ou non ces recommandations1461.
Tout a d’ailleurs été fait pour ne pas confondre le HRAP avec un organe juridictionnel.
Le RSSG a ainsi refusé qu’une audience publique soit tenue au sein du tribunal de district de
Pristina, initialement choisi pour ses installations, notamment en termes d’interprétariat. Au
Panel, le Représentant spécial justifiait sa position en considérant que « [h]olding a public
hearing in a court house will send the wrong signal to the public and leave an entirely
inappropriate impression that a court is sitting over UNMIK. This has to be avoided in any
event. »1462. La procédure devant le HRAP a également été précisée pour prévenir toute
confusion avec un organe juridictionnel. Bien que les audiences publiques aient constitué, en
principe, la règle, elles devaient être « conducted in such manner and settings that allow a
clear sense of non-adversarial proceedings »1463 De plus, leur objet devait se limiter à
rappeler les éléments présentés dans les écritures transmises préalablement au Panel1464.
Enfin, les questions de ses membres étaient limitées aux éléments de fait, excluant ainsi tout
débat d’ordre juridique1465.
549. L’accès au Panel pour les victimes était lui-même restreint. La compétence temporelle
du HRAP excluait certaines des plus graves violations dont la MINUK était accusée. La
décision selon laquelle seules les violations commises postérieurement au 23 avril 2005
seraient considérées, excluait non seulement une importante période du mandat de la MINUK
– établie en juin 1999 – mais surtout la répression des violences de mars 2004, au cours
desquelles plusieurs personnes furent blessées et deux personnes tuées par les forces de police
de la MINUK. Le Panel parvint à rétablir partiellement sa compétence sur ces évènements en
1459
MINUK, UNMIK/REG/2006/12, op. cit., section 17. 1.
Ibid., section 17. 2.
1461
Ibid., section 17.3.
1462
HRAP, rapport final, op cit., § 83. On se souvient que la même considération a incité les juges du TSSL à
refuser la tenue d’une audience de la Commission vérité et réconciliation dans ses locaux. Voir supra, partie 1,
titre 2, chapitre 2, section II.
1463
MINUK, UNMIK/DIR/2009/1, « Implementing UNMIK regulation NO. 2006/12 on the establishment of the
Human Rights Advisory Panel », 17 octobre 2009, section 1. 1.
1464
Ibid., section 1. 2.
1465
Ibid. Sur l’impact de la règlementation 2009/1 sur les audiences publiques, voir : HRAP, rapport final, op.
cit., §§ 98-100.
1460
367
considérant que l’absence d’enquête sur les morts suspectes et les disparitions constituait une
« continuing violation of human rights »1466 pouvant être analysée sous l’angle d’une violation
de l’article 2 de la Convention européenne des droit de l’homme (droit à la vie)1467. D’autres
dispositions limitant l’accès des victimes au Panel avaient été prévues. Les victimes devaient
avoir épuisé toutes les autres voies de recours disponibles1468, y compris la commission de
réclamation instituée par la section 7 de la règlementation 2000/471469. Le statut du Panel
instituait également un délai maximum pour le dépôt d’une réclamation porté à six mois
suivant l’adoption de la dernière décision les concernant1470, avec une date butoir établie au 31
mars 20101471. Étant donné les lacunes de la campagne d’information du public, résultant en
une mauvaise connaissance de l’existence et du fonctionnement du Panel, ces dispositions ont
considérablement réduit le nombre de cas présentés à ce dernier1472.
550. C’est ensuite l’absence de coopération du RSSG qui a retiré presque toute effectivité au
travail du Panel consultatif. Comme nous l’avons dit, le Représentant spécial avait toute
discrétion concernant l’application des recommandations du HRAP. Or, ce dernier a pu
constater qu’aucune de ses recommandations concernant des réparations à fournir aux
victimes n’ont été appliquées par le RSSG. Deux arguments ont justifié cette inaction.
Concernant les réparations recommandées pour des préjudices moraux, le Représentant
spécial a rappelé, à raison, qu’elles étaient interdites par le régime établi par la résolution
52/247 de l’Assemblée générale1473. L’autre argument avancé par le RSSG en réponse aux
critiques formulées par l’ONG Amnesty International, et concernenat les réparations
matérielles, est bien moins convaincant. Il considérait en effet que « it is an irrefutable fact
that UNMIK’s capacity to pay immaterial damages has ceased to exist and [it] now falls upon
local Kosovo authorities having assumed exclusive control over public administration in
Kosovo. »1474 Cette approche, pour le moins originale, fut vivement critiquée par l’ONG1475 et
1466
MINUK, UNMIK/DIR/2006/12, op. cit., section 2.
Voir HRAP, rapport final, op. cit., §§ 164-177.
1468
MINUK, UNMIK/REG/2006/12, op. cit., section 3. 1.
1469
MINUK, UNMIK/DIR/2009/1, op. cit., section 2. 2.
1470
MINUK, UNMIK/REG/2006/12, op. cit., section 3. 1.
1471
MINUK, UNMIK/DIR/2009/1, op. cit., section 5.
1472
HRAP, rapport final, op. cit., §§ 260-261.
1473
A/RES/52/247, op. cit., § 9 b). Voir supra, section I, § 2.
1474
Amnesty International, « Kosovo : UNMIK’s legacy. The failure to deliver justice and reparation to the
relatives of the abducted », index EUR 70/009/2013, 2013, p. 26.
1475
Ibid.
1467
368
par le Panel1476. Ce manque de coopération a justifié un constat amer de la part du HRAP,
considérant dans son rapport final que « [d]ue to UNMIK’s failure to follow the Panel’s
recommendations, the HRAP process has obtained no compensation for the complainants. As
such, they have been victimized twice by UNMIK : by the original human rights violations
committed against them and by not receiving compensation through this process. »1477
1476
1477
HRAP, rapport final, op. cit., §§ 250-251.
Ibid., § 255.
369
Conclusion du Titre 2
551. L’ONU apparaît quelque peu dépassée par son implication dans le domaine de la justice
transitionnelle. Les qualités d’innovation qu’elle a déployée dans la construction de son
approche de cette justice se heurtent, au stade de la concrétisation de cette dernière, à des
défaillances chroniques de l’Organisation. La difficulté à se réformer efficacement et son
refus constant d’accepter la responsabilisation de son action donnent l’impression d’une
mécanique vieillie, dont la capacité à assumer ses ambitions reste à démontrer.
552. Des efforts ont été faits pour faire évoluer la volumineuse bureaucratie onusienne.
Malgré d’authentiques innovations, ils ne sont pas parvenus à régler l’éternel problème de la
coordination. Il faut reconnaître que le nombre vertigineux de tâches conduites par les
nombreuses entités onusiennes ne facilite pas la création d’unités cohérentes et efficaces. La
diversité de ces entités et la multiplication des hiérarchies et des agendas politiques qu’elles
appliquent n’est, à cet égard, pas un facteur d’unité dans l’action. Ces agendas témoignent des
limites posées par l’intergouvernementalité aux capacités de l’ONU à agir de façon
coordonnée. L’affaiblissement de la Commission de consolidation de la paix, signe du rejet de
l’instauration de mécanismes contraignants, et le développement unilatéral de compétences
dans le domaine de la justice transitionnelle, dévoilent le caractère partiellement instrumental
du cadre onusien pour les États.
553. Il ne faut pourtant pas se limiter à la critique, souvent aisée, de l’intergouvernementalité.
Le volet intégré a, lui aussi, dévoilé ses limites et montré que les agendas politiques ne sont
pas l’apanage des États. Les luttes intestines visant à valoriser son département ou à en
dévaloriser un autre, rendent également la coordination extrêmement complexe. Ces rivalités
de bureaux ne semblent toutefois pas représenter un frein insurmontable à l’évolution et à
l’efficacité de la structure onusienne. Des marques d’une évolution existent, notamment
relatives à la coopération entre le HCDH, le DOMP et le DAP, et les dérapages des
institutions intégrées auraient pu passer pour une simple imperfection inhérente à toute
bureaucratie.
554. L’attitude des institutions intégrées vis-à-vis de leurs propres erreurs et de ceux qui en
subissent, parfois durement, les conséquences, empêche cependant de relativiser des actes qui,
étant donné leur fréquence et leur gravité, ne sont plus de simples dérapages bureaucratiques,
mais bien des politiques concertées de protection de l’Organisation, y compris au détriment
370
des victimes et à l’encontre de principes si solennellement rappelés par ailleurs. Ce dernier
aspect incite à remettre en perspective les défaillances de l’ONU quant à son adaptation à son
action dans le domaine de la justice transitionnelle. Au-delà d’un effort de réforme de sa
structure, c’est bien à une évolution majeure de sa culture que l’Organisation doit procéder si
elle souhaite maintenir sa crédibilité dans ce domaine.
371
Conclusion de la Partie 2
555. Dans le domaine de la justice transitionnelle, l’ONU a construit une action ambitieuse et
diversifiée. Elle mobilise une vaste partie de ses institutions au service d’une activité tentant
de concilier la lutte internationale contre l’impunité et le respect des spécificités locales. De
façon logique, pour une organisation marquée par l’intergouvernementalité et dont l’objectif
principal demeure le maintien de la paix et la sécurité, la realpolitik n’est jamais très éloignée
et incite parfois à nuancer, dans la pratique, les principes adoptés de façon théorique.
556. En termes de moyens déployés, l’Organisation a montré qu’elle ne manque pas
d’imagination. Les évolutions majeures des opérations de paix, les créations institutionnelles
et les réformes de la coordination dénotent une certaine volonté ainsi qu’une capacité
d’évolution. Ces vertus de l’ONU sont pourtant souvent amoindries par un temps de réaction
bien trop long et par le refus d’entrer résolument dans le paradigme de la lutte contre
l’impunité, que l’Organisation a pourtant largement participé à créer. Alourdie par une
bureaucratie volumineuse et par la cohabitation de multiples acteurs, internes et externes,
soumis à des agendas ainsi qu’à des régimes distincts, l’ONU peine à rapidement apprendre
de ses erreurs et à réagir en vue de leur correction.
557. Dans bien des cas, les défauts de l’Organisation ne sont pas le facteur décisif de la
réussite ou de l’échec des mécanismes de justice transitionnelle qu’elle contribue à mettre en
œuvre. Le manque d’efficacité des mécanismes hybrides rappelle que, dans son action, l’ONU
est tributaire de la bonne volonté des États, qui fait souvent défaut. Entre le caractère inadapté
d’une action intégralement internationale et le manque d’efficacité d’une action ancrée
nationalement, la marge de réussite de la justice transitionnelle onusienne est mince.
558. On peut toutefois remarquer que l’ensemble des acteurs onusiens, qu’ils soient issus du
volet intergouvernemental ou du volet intégré, peut difficilement tenir un discours
d’exemplarité auprès des États, alors même que l’impunité règne en interne. Il est difficile
d’évaluer l’impact de cette grave lacune de l’ONU sur sa crédibilité au près des États comme
des sociétés civiles qu’elle vise à former. La multiplication et la médiatisation des infractions
à caractère sexuel commises par des agents du maintien de la paix n’ont certainement pas
contribué à la popularité de l’Organisation. Elles ont toutefois incité à l’adoption d’une vraie
politique de prévention et de sanction. Les aspects partiels et majoritairement symboliques de
372
cette politique laissent toutefois perdurer les carences ayant permis le développement d’un
sentiment d’impunité au sein de l’Organisation.
559. Outre le caractère désordonné de son action, principalement dû aux réticences étatiques
et à la complexité de la justice transitionnelle en elle-même, l’ONU a ainsi démontré la
déconnexion de l’ « Onusie »1478 des principes et programmes qu’elle met en œuvre auprès
des États.
1478
DEJAMMET (A.), Supplément au voyage en Onusie, Fayard, Paris, 2003, 186 p.
373
Conclusion générale
560. Depuis sa première expérience dans le domaine de la justice transitionnelle, au Salvador
en 1991, l’ONU s’est résolument investie dans ce domaine. Cette justice fait aujourd’hui
partie des principaux instruments auxquels l’Organisation a recours dans son effort de
maintien et de consolidation de la paix. Elle concerne un nombre important d’acteurs
onusiens, fait l’objet d’une méthodologie spécifique et se voit appliquée une structure et des
standards qui lui sont propres.
561. Cette intégration de la justice transitionnelle au sein de l’action de l’ONU incarne en
grande partie l’évolution du maintien de la paix onusien. L’attention portée aux victimes et
aux besoins des populations et la prise en compte d’un nombre croissant de facteurs de paix –
incluant la lutte contre l’impunité, le respect des droits économiques, sociaux et culturels,
l’état de droit et, in fine, la vision d’une nation réconciliée – illustrent les nouvelles
préoccupations de l’Organisation. La paix négative a laissé place à la paix positive, à la
reconstruction des État – voire des nations – et à la recherche d’une justice universelle qui,
bien qu’incluant le champ pénal, n’y est pas limitée. Les droits de l’Homme, l’état de droit et
le développement forment le socle de cette action tournée vers la paix, et dont la justice
transitionnelle représente la fusion.
562. Le fait que la justice transitionnelle concerne autant les droit de l’Homme, l’état de droit
et le maintien de la paix et de la sécurité internationales implique sa transversalité au sein de
l’architecture onusienne. Elle fait ainsi l’objet de l’attention des trois principaux organes
intergouvernementaux de l’ONU : l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et, au travers
du Conseil des droits de l’homme, le Conseil économique et social. La répartition des tâches
prévue par la Charte des Nations Unies s’en trouve perturbée. Les domaines du Conseil de
sécurité et de l’Assemblée générale apparaissent désormais fortement imbriqués.
L’omniprésence des droits de l’Homme au sein de l’action de l’Organisation ajoute
l’implication du Conseil des droits de l’homme. Au-delà du système de la Charte, c’est un
ensemble dense d’institutions, de programmes, de fonds et de départements qui œuvre, au sein
de l’ONU, au développement de la justice transitionnelle. Ces entités doivent, de plus,
composer avec la multiplication d’acteurs extérieurs, notamment régionaux, qui se saisissent
progressivement de cet outil de transformation de l’État qu’est la justice transitionnelle.
374
563. L’ONU a relevé le défi de construire, au milieu de ce qui aurait pu se transformer en
cacophonie, une approche cohérente de la justice transitionnelle. Portée par les voix
concordantes du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et du Rapporteur spécial sur la
justice transitionnelle, cette approche onusienne a su rassembler un consensus onusien autour
d’elle et s’imposer comme un modèle de justice transitionnelle. Ceci ne signifie toutefois pas
que ce modèle soit figé, et les diverses entités onusiennes ont montré leur volonté de
maintenir une dimension évolutive à leur approche, intégrant les droits économiques et
sociaux et les dimensions sexo-spécifiques dans les préoccupations de la justice
transitionnelle. Le cadre ainsi créé s’illustre alors par sa souplesse, rendue possible par le flou
entretenu par la définition, adoptée par l’Organisation, de cette justice.
564. Si le modèle onusien est reconnu par tous, il n’est pas exempt de critiques. Le caractère
de modèle en est d’ailleurs la première cible. Bien que malléable, la justice transitionnelle
onusienne n’en demeure pas moins standardisée. C’est là son premier paradoxe. Cette
perception de standardisation, que les acteurs onusiens cherchent à éviter, est renforcée par le
développement, par ces mêmes acteurs, d’un tissu normatif de plus en plus dense autour de la
justice transitionnelle. Si celle-ci échappe encore à sa transformation en obligation générale à
la charge des États sortant de conflit, les éléments qui la composent et, dans une certaine
mesure, la définissent – tels le droit à la justice, à la vérité, aux réparations et aux garanties de
non-répétition – se normativisent rapidement. Ils composent ce qui – sans représenter à
proprement parler un régime spécifique – peut être qualifié de droit international de la justice
transitionnelle. On retrouve cependant la souplesse précitée dans le recours régulier à la soft
law, à travers les standards onusiens. Il n’est toutefois pas exclu que cette soft law se
« durcisse », et vienne densifier le droit positif applicable à la justice transitionnelle.
565. Les craintes liées à la standardisation ou à la modélisation de la justice transitionnelle
par l’ONU ne reflètent que très partiellement la mise en œuvre de cette justice par
l’Organisation. Il est vrai que cette dernière semble systématiser le recours à certains
mécanismes – au premier rang desquels se trouvent les procès pénaux et les commissions
vérité – en contournant, si besoin est, une méthodologie pourtant établie et fondée sur les
consultations nationales. Il faut pourtant reconnaître que les mécanismes en eux-mêmes font
preuve d’une grande diversité et que les catégories d’internationale, hybride et nationale,
utiles dans un but pédagogique, ne reflètent le réel que de façon très imparfaite. Dans sa mise
en œuvre, la justice transitionnelle onusienne ne respecte pas réellement de modèle.
375
566. Cette absence de modèle fait partie des grandes forces de la justice transitionnelle
onusienne, capable de s’adapter à des situations aussi diverses que le Timor Leste et la
Centrafrique. Elle en représente également sa principale faiblesse. Les défis posés par
l’absence de modèle de justice transitionnelle illustrent ceux rencontrés par le maintien de la
paix d’une façon générale. Face à des contextes nationaux différents, l’action de l’ONU doit
s’adapter, rendant impossible l’imposition d’un schéma type, sinon au niveau des instruments
servant à la réflexion en vue de la construction d’un modèle adapté pour chaque situation.
Étant donnée la multiplication déjà évoquée d’acteurs onusiens et extérieurs agissant dans le
domaine de la justice transitionnelle, cette absence de schéma nuit gravement à la
coordination de leurs actions. Même si des efforts ont été menés pour assurer une certaine
cohérence, ceux-ci se sont révélés insuffisants. Il n’est toutefois pas certain que leur réussite
totale soit souhaitable, dans la mesure où une action modélisée risquerait de perdre en
adaptabilité. C’est là le deuxième paradoxe de la justice transitionnelle onusienne.
567. Enfin, l’ONU promeut, à travers la justice transitionnelle et la lutte contre l’impunité
que cette dernière incarne, un monde construit sur la notion de responsabilité. Le
développement de la justice internationale pénale témoigne de cette ambition de ne plus
laisser impunis les crimes les plus graves. Il est vrai que l’engagement de l’ONU, et
notamment du Conseil de sécurité, dans ce sens est inégal. La survivance d’une certaine
opposition entre la paix et la justice au sein de l’organe responsable du maintien de la paix et
de la sécurité internationales n’est pourtant pas surprenante et ne fait que rappeler la grande
complexité de la tâche qui lui est assignée, nécessitant un équilibre entre l’affirmation de
certains principes et la realpolitik. Cette particularité ne semble pas de nature à remettre
fondamentalement en cause l’engagement de l’ONU pour la répression des responsables de
crimes internationaux. Il faut pourtant reconnaître que la centralité de la répression pénale
dans l’approche onusienne de la lutte contre l’impunité s’avère parfois préjudiciable tout à la
fois aux juridictions créées pour porter cette responsabilité et à la justice transitionnelle à
laquelle elles se trouvent liées, voire intégrées. Pour ces juridictions, les objectifs de la justice
transitionnelle représentent une contrainte et des attentes difficilement gérables ; pour cette
dernière, l’approche pénaliste, fondée sur la responsabilité individuelle, représente un carcan
dont elle peine à s’extirper, enfermée dans le schéma partiellement biaisé de Nuremberg.
568. Ces défaillances dans l’objectif de responsabilisation du monde ne sont pourtant pas
l’objet du troisième et dernier paradoxe de la justice transitionnelle onusienne. L’Organisation
compense d’ailleurs en partie les biais de l’approche pénaliste par une approche très exigeante
376
des réparations, intégrant les dimensions collectives des crimes de masse. En revanche,
l’ONU demeure, elle-même, la grande oubliée, et ce de façon volontaire, de la
responsabilisation qu’elle promeut. Les efforts qu’elle fournit pour s’appliquer cette notion
ressortent plus de l’effet de communication que d’un désir authentique de mettre fin à
l’impunité qui règne en son sein. La preuve de la vacuité de ses efforts peut se trouver dans
les pratiques liées à la protection des lanceurs d’alerte et aux mécanismes, tels le Panel
consultatif des droits de l’homme au Kosovo, censés réparer les violations commises par les
agents de l’ONU. Un projet de responsabilisation du monde excluant toute responsabilité
propre, voilà le troisième paradoxe de la justice transitionnelle onusienne, probablement le
plus attentatoire à la légitimité de l’action de l’Organisation dans ce domaine.
569. À l’heure où l’ONU cherche à s’appuyer sur les acteurs régionaux et sous-régionaux
pour la suppléer dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle, s’octroyant ainsi une
position de superviseur des actions qu’elle aura soit déléguées, soit autorisées – fusse de façon
implicite – l’Organisation se doit d’inclure l’exemplarité dans sa stratégie de promotion de
cette justice. Elle ne peut se contenter de demander aux opérations de l’Union africaine de
respecter les droits de l’Homme et le DIH sans l’appliquer à ses propres opérations. Elle ne
peut pas plus exiger des États qu’ils sanctionnent leurs soldats et policiers fautifs, sans
s’assurer de la mise en œuvre d’une politique similaire visant ses propres agents. La carence
de l’Organisation dans ce secteur fait porter le risque d’une décrédibilisation des nombreux et
louables efforts qu’elle a fourni pour développer et mettre en œuvre, au mieux de ses
possibilités, la justice transitionnelle.
570. Loin d’être un aboutissement, le bilan dressé ci-dessus ne représente qu’une étape vers
la compréhension de l’impact de l’évolution de l’action onusienne. Á cet égard, la justice
transitionnelle permet d’aborder un des aspects majeurs de cette évolution qu’est le
glissement de l’action onusienne de l’État vers les populations. On a pu observer ce
glissement à travers le recours aux consultations nationales, la fixation d’un objectif de
réconciliation nationale, ainsi que par le biais d’une création normative tendant à dépasser le
cadre volontariste classique du droit international. Ce mouvement dépasse pourtant très
largement la justice transitionnelle et est observable dans tous les aspects du polyptique
constitué de la démocratie, des droits de l’Homme, de l’état de droit et du développement. Le
déplacement du traitement de ces questions de l’Assemblée générale vers le Conseil de
sécurité marque également la perte de contrôle, certes partielle, des États sur des questions
touchant de façon très directe leur organisation politique et sociale.
377
Dans le cadre d’une organisation internationale tirant sa compétence de la volonté des
États, un tel glissement interroge quant à la légitimité de l’action nouvellement entreprise. Or,
si l’ONU ne tire plus sa légitimité de l’assentiment des États, comment peut-elle justifier son
intervention ? Le fondement de la protection de la paix et de la sécurité internationales,
justifiant le traitement de ces sujets par le Conseil de sécurité, paraît très insatisfaisant,
notamment au regard de l’expansion continuelle de la notion de paix, initialement objet d’un
maintien, puis d’une consolidation et aujourd’hui d’une pérennisation. L’attitude même du
Conseil montre les limites de cette source de légitimité. La recherche du soutien des
populations, qu’elles soient incarnées par les victimes ou encore la société civile, témoigne
d’une certaine quête de légitimité de la part du Conseil, qui est également observable dans
l’action des institutions intégrées, tel le Haut-Commissariat aux droits de l’homme.
En ce qu’elles représentent l’un des principaux destinataires de son action, il paraît
logique que l’ONU cherche à s’assurer, ou en tous cas à invoquer, le soutien des populations.
Ce soutien est pourtant extrêmement complexe à identifier. On a pu voir à quel point
l’évaluation de la réception par celles-ci de l’action onusienne est difficile à apprécier. La
tâche est d’autant plus ardue qu’elle n’est possible qu’a posteriori, à l’aide de vastes études de
terrain, dans la mesure où les Nations Unies sont dénuées de l’indicateur que peuvent
représenter, au niveau national, les élections. L’Organisation se retrouve alors confrontée à sa
totale absence de légitimité démocratique.
571. Comme il a été dit, les questions abordées ci-dessus, bien qu’observables dans le
domaine de la justice transitionnelle, le dépasse largement pour s’appliquer à l’ensemble de
l’action de l’ONU, et notamment du Conseil de sécurité. Quelles que soient les motivations
profondes – politiques, stratégiques, économiques – de l’expansion et de la réorientation de
cette action, c’est la pertinence de sa mise en œuvre par une organisation privée de la
légitimité – et de la responsabilité l’accompagnant – nécessaire qui doit être interrogée. Tant
que cette question demeurera sans réponse, l’internationalisation à l’œuvre dans les domaines
de la justice transitionnelle, des droits de l’Homme, de l’état de droit, de la démocratie et du
développement sera sujette à la déconnexion vis-à-vis de son principal destinataire que sont
les populations et exposera l’ONU au rejet de son action tant par ces dernières que par les
États qu’elle aura tenté de dépasser.
378
379
Bibliographie
ACCORDS DE PAIX ET CESSEZ LE FEU
− « Geneva Agreement », entre le Gouvernement de El Salvador et le FMLN, Genève,
Suisse, 4 avril 1990.
− « General agenda and timetable for the comprehensive negotiating process », entre le
Gouvernement de El Salvador et le FMLN, Caracas, Venezuela, 21 mai 1990.
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Nationale Guatémaltèque, Mexico, Mexique, 26 avril 1991.
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Mexique, 27 avril 1991.
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l’UNITA, Lisbonne, Portugal, 31 mai 1991.
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Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque, Queretaro, Mexique, 25 juillet 1991.
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New-York, Etats-Unis d’Amérique, 25 septembre 1991.
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Mexico City, Mexique, 16 janvier 1992.
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de la République du Mozambique et Afonso Macacho Marceta Dhlakama, Président du
RENAMO, Rome, Italie, 4 octobre 1992.
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Général Raoul Cédras, Ile des Gouverneurs, New York, Etats-Unis d’Amérique, 3
juillet 1993.
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Front patriotique rwandais, Arusha, Tanzanie, 4 août 1993.
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l’Union Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque », Mexico, Mexique, 10 janvier
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Guatemala », entre le Gouvernement du Guatemala et l’URNG, Mexico, Mexique, 29
mars 1994.
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armés », entre le Gouvernement du Guatemala et l’URNG, Oslo, Norvège, 17 juin 1994.
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Lusaka, Zambie, 20 novembre 1994.
− « Accord relatif à l’identité et aux droits des populations autochtones », entre le
Gouvernement du Guatemala et l’URNG, Mexico, Mexique, 31 mars 1995.
− « Accord de Cotonou », entre le Gouvernement provisoire d’unité nationale du Libéria, le
Front patriotique du Libéria et le Mouvement uni de libération du Libéria pour la
démocratie, Cotonou, Bénin, 25 juillet 1995.
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nationale au Tadjikistan », entre le Président de la République du Tadjikistan et le Chef
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entre le chef de la délégation de négociation serbe et le chef de la délégation
gouvernementale croate, Erdut et Zagreb, Croatie, 12 novembre 1995.
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démocratique », entre le Gouvernement du Guatemala et l’URNG, Mexico, Mexique,
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Gouvernement du Guatemala et l’URNG, Stockholm, Suède, 7 décembre 1996.
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le Gouvernement du Guatemala et l’URNG, Madrid, Espagne, 12 décembre 1996.
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l’application des accords de paix », entre le Gouvernement du Guatemala et l’URNG,
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Tadjikistan, E. S. Rakhmonov, et le chef de l’Opposition tadjike unie, S. A. Nuri,
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entre le Président de la République du Tadjikistan, E. S. Rakhmonov, et le chef de
l’Opposition tadjike unie, S. A. Nuri, Moscou, Russie, 27 juin 1997.
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Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives
du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre
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1479
Dans la mesure où elles sont aujourd’hui toutes numérisées et disponibles sur le site de l’ONU, les
résolutions des organes politiques de l’ONU (Assemblée générale, Conseil de sécurité et Conseil et Commission
des droits de l’homme) n’ont pas été incluses, sauf dans les cas où elles créent un mécanismes de justice
transitionnelle. Il en va de même pour les déclarations du Président du Conseil de sécurité ainsi que des procès
verbaux de sessions de ces trois organes.
1480
Les règlementations des administrations transitoires créant des mécanismes de justice transitionnelle se
situent dans la partie réservée à ces mécanismes.
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BUREAU DES SERVICES DU CONTRÔLE INTERNE
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COMMISSION DE CONSOLIDATION DE LA PAIX
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− UN Doc. A/CN.4/680, Premier rapport sur les crimes contre l’humanité, Sean D. Murphy,
Rapporteur spécial, 17 février 2015.
− UN Doc. A/CN.4/693, Premier rapport sur le jus cogens, Dire Tladi, Rapporteur spécial, 8
mars 2016.
− UN Doc. A/CN.4/701, Cinquième rapport sur l’immunité de juridiction pénale étrangère
des représentants de l’État, Concepción Escobar Hernández, Rapporteuse spéciale, 14
juin 2016.
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Rapporteur spécial, 23 janvier 2017.
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− UN Doc. E/CN.4/2000/62, Le droit à restitution, indemnisation et réadaptation des
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− UN Doc. E/CN.4/2004/88, Étude indépendante, assortie de recommandations, visant à
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L’ÉGALITÉ
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− « Vérification des antécédents des candidats en matière de respect des droits de l’homme
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l’homme », 11 décembre 2012.
− UN Doc. A/67/828-S/2013/210, « Directives concernant les rapports entre fonctionnaires
des Nations Unies et personnes objet d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à
comparaître de la Cour pénale internationale », 8 avril 2013.
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manquements et qui collaborent à des audits ou à des enquêtes dûment autorisés », 20
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DIVERS
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Jurisprudence
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objections (ne bis in idem and amnesty and pardon), 3 novembre 2011.
− Dossier N° . 002/19-09-2007/ECCC/TC/SC (11), Decision on Ieng Sary’s appeal against
trial chamber’s decision on Ieng Sary’s rule 89 preliminary objections (ne bis in idem
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1993.
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Comité des droits de l’homme
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Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
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Commission interaméricaine des droits de l’homme
− Carmelo Soria Espinoza c. Chili, affaire 11. 725, rapport n° 133/99, 19 novembre 1999.
− Ignacio Ellacuria et al. c. Salvador, affaire 10. 488, rapport n° 136/99, 22 décembre 1999.
Cour européenne des droits de l’homme
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− Grande Chambre, Affaire Al-Adsani c. Royaume-Uni, requête n° 35763/97, 21 novembre
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− Grande Chambre, Affaire Assanidzé c. Géorgie, requête n° 71503/01, 8 avril 2004.
− Grande Chambre, Affaire Broniowski c. Pologne, requête n° 31443/96, 22 juin 2004.
− Affaire Aziyevy c. Russie, requête n° 77626/01, 20 mars 2008.
− Grande Chambre, Affaire El Masri c. Ex République Yougoslave de Macédoine, requête
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− Affaire Stichting mothers of Srebenica and others against the Netherlands, requête
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− Grande Chambre, Affaire Janowiec et autres c. Russie, requêtes n° 55508/07 et 29520/09,
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Cour interaméricaine des droits de l’homme
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− Almonacid-Arellano et al. v. Chile, séries C No. 154, 26 septembre 2006.
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− Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, CIJ, Recueil
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− Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des
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− Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République Démocratique du Congo c. Belgique), arrêt,
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− Conséquences juridiques de 1'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé,
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Kenya rendue en application de l’article 15 du statut de Rome, 31 mars 2010.
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Republic of Kenya against the decision of Pre-Trial Chamber II of 30 May 2011 entitled
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Admissibility of the Case Pursuant to Article 19(2)(b) of the Statute », 30 août 2011.
− Chambre d’instance I, N°. ICC-01/04-01/06, Situation in the Democratic Republic of the
Congo in the case of the Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Decision establishing
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Tribunal d’appel des Nations Unies
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Tribunal pénal international pour le Rwanda
− Affaire n° ICTR-96-4-T, Jean-Paul Akayesu v. the Prosecutor, judgement, 2 septembre
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− Affaire n° ICTR-97-19-AR72, Jean-Bosco Barayagwiza v. the Prosecutor, decision, 3
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− Affaire ICTR-97-19-AR72, Jean-Bosco Barayagwiza v. the Prosecutor, decision
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Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
− Affaire n° IT-94-1-T, le Procureur c. Dusko Tadic alias « Dule », jugement, 7 mai 1997.
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République de Croatie aux fins d’examen de la décision de la chambre de première
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− Affaire n° IT-95-17/1-T, le Procureur c. Anto Furundzija, jugement, 10 décembre 1998.
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transfèrement, 29 novembre 2002.
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delivered on 30 October 2003 to deny the TRC’s request to hold a public hearing with
chief Samuel Hinga Norman JP, 28 novembre 2003.
− Affaires No. SCSL-2004-15-AR72(E) et SCSL-2004-16-AR72(E), Prosecutor Against
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453
455
ANNEXES1481
Annexe I : Accords de paix et justice transitionnelle
PAYS
EL SALVADOR
ACCORD
ACCORD DE MEXICO.
DATE
27 AVRIL 1991
EL SALVADOR
ACCORD DE NEW YORK.
25 SEPTEMBRE 1991
EL SALVADOR
ACCORD DE PAIX DE
CHAPULTEPEC.
16 JANVIER 1992
HAÏTI
ACCORD DE GOVERNORS
ISLAND.
LIBERIA
ACCORD DE COTONOU.
1481
Rôle de l’ONU
Participation du Secrétaire
général des Nations Unies aux
négociations.
Accord signé par le Secrétaire
Général.
Mesures de justice transitionnelle
Vérité : L’accord crée la « Commission of the truth » pour enquêter
sur les « serious acts of violence that have occurred since 1980 and
whose impact on society urgently requires that the public should
know the truth » (art. IV).
Lustration : Lustration des forces armées (art. II. 1) et des forces de
police (art. VI. C. 1).
Réparations : Rédaction de « preliminary legislative drafts »
concernant les mesures de compensation et de réparation des
victimes du conflit (art. I. 4. i).
Signature du Secrétaire général
des Nations Unies.
Lustration : Purification » des forces armées « with a view to the
supreme objective of national reconciliation, based on evaluation of
all members of the armed forces by an ad hoc Commission » (art. III).
3 JUILLET 1993
Médiation du Secrétaire
général des Nations Unies
Amnisties : Amnistie accordée par le Président « dans le cadre de
l’article 147 de la constitution nationale » (art. 6). L’article en
question précise que le Président « ne peut accorder amnistie qu’en
matière politique et selon les prescriptions de la loi ».
25 JUILLET 1993
Signé par le Secrétaire général
Amnisties : L’accord prévoit une « general amnesty granted to all
Les informations comprises dans les tableaux présentés en annexe ont été recueillies par une analyse systématique des rapports publiés par les acteurs onusiens des opérations, missions ou
bureaux concernés. Des informations supplémentaires ont été recherchées au sein de rapports d’ONG et de think tanks, ainsi que d’articles de ressources doctrinales. Les accords de paix ont
pour leur part été analysés sur la base des informations fournies par l’ONU via son site UN Peacemaker (https://peacemaker.un.org/). Le projet de l’Uppsala Conflict Data Program
(http://ucdp.uu.se/) a servi de base pour déterminer la liste des accords ayant connu une implication onusienne, base complétée par le biais de recherches personnelles à l’aide de l’ensemble
des ressources disponibles.
456
PAYS
GUATEMALA
ACCORD
ACCORD GENERAL RELATIF
AUX DROITS DE L’HOMME.
DATE
FOR A POLITICAL SETTLEMENT
OF THE GEORGIAN/ABKHAZ
CONFLICT.
Mesures de justice transitionnelle
adjoint en charge du
département des affaires
politiques au nom du
Secrétaire général des Nations
Unies.
persons and parties involved in the Liberian civil conflict in the course
of actual military engagement » (art. 19).
Signé par le Secrétaire général
adjoint des Nations Unies.
29 MARS 1994
DECLARATION ON MEASURES
GEORGIE
Rôle de l’ONU
4 AVRIL 1994
Signé par le médiateur nommé
par le Secrétaire général des
Nations Unies.
Médiation de l’ONU lors des
négociations de Genève et
signature de l’accord par
l’Envoyé spécial du Secrétaire
général des Nations Unies.
Justice pénale : Engagement pour la lutte contre l’impunité à travers
l’interdiction pour le gouvernement de « sponsor the adoption of
legislative or any other type of measures designed to prevent the
prosecution and punishment of persons responsible for human rights
violations » (art. III.1).
Réparations : Compensation et/ou assistance(« compensation
and/or assistance ») aux victimes de violation des droits de l’Homme
(art. VIII. 1).
Justice pénale : Les parties reconnaissent l’interdiction des mesures
de prescription pour les crimes de guerre et s’engagent à « intensify
efforts to investigate war crimes, crimes against humanity and
serious criminal offences as defined by international and national
law and bring the perpetrators to justice » (point 10).
Réparations : (Politiques mémorielles) Engagement des parties à
intensifier la recherche des disparus et l’enterrement des morts
(point 9).
AGREEMENT ON THE
GUATEMALA
ESTABLISHMENT OF THE
COMMISSION TO CLARIFY
PAST HUMAN RIGHTS
VIOLATIONS AND ACTS OF
VIOLENCE THAT HAVE
CAUSED GUATEMALAN
POPULATION TO SUFFER.
23 JUIN 1994
Signé par le médiateur de
l’ONU.
Vérité : L’accord crée la « Commission to clarify past human rights
violations and acts of violence that have caused Guatemalan
population to suffer » (CEH), une commission vérité chargée de faire
la lumière sur les violations passées, sans compétence
juridictionnelle.
457
PAYS
ACCORD
DATE
Rôle de l’ONU
ACCORD PORTANT
BURUNDI
CONVENTION DE
GOUVERNEMENT ENTRE LES
FORCES DE CHANGEMENT
DEMOCRATIQUE ET LES
PARTIS POLITIQUES DE
L’OPPOSITION.
10 SEPTEMBRE 1994
Signature en tant
qu’observateur, du
Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies.
Participation aux négociations
comme médiateur.
ANGOLA
PROTOCOLE DE LUSAKA.
SIERRA LEONE
PEACE AGREEMENT
BETWEEN THE GOVERNMENT
OF THE REPUBLIC OF SIERRA
LEONE AND THE
REVOLUTIONARY UNITED
FRONT OF SIERRA LEONE
(ACCORD D’ABIDJAN).
20 NOVEMBRE 1994
30 NOVEMBRE 1996
Signature du Représentant
spécial du Secrétaire général
pour l’Angola.
Signature de l’Envoyé spécial
du Secrétaire général des
Nations Unies pour la Sierra
Léone.
Mesures de justice transitionnelle
Vérité : « Il est demandé de recourir dans un délai de trente jours à
une mission d’enquête judiciaire internationale, composée de
personnalités compétentes et neutres pour enquêter sur le putsch
du 21 octobre 1993 (…) et sur les différents crimes à connotation
politique perpétrés depuis octobre 1993 » (art. 36).
Lustration : « Toute personne impliquée de près ou de loin dans les
tragédies de notre histoire depuis l’indépendance, notamment dans
le putsch et l’assassinat du Président de la République le 21 octobre
1993, dans ce que les partenaires politiques ont convenu d’appeler
génocide (…), dans les destructions de biens, dans la constitution des
milices et dans la distribution et usage illégal des armes de guerre,
sera systématiquement écartée et ne saura être recrutée dans les
administrations provinciales et communales » (art. 40).
Réparations : (Politique mémorielle) Exclusion explicite de toute
politique mémorielle (« In the spirit of national reconciliation, all
Angolans should forgive and forget » (annexe 6, point 5)).
Amnisties : Amnistie prévue pour « illegal acts committed by any
one prior to the signing of the Lusaka protocol, in the context of the
current conflict » (annexe 6, point 5), devant être promulguée quinze
jours après l’initialisation de l’accord (annexe 9, point 3).
Amnisties : « To consolidate the peace and promote the cause of
national reconciliation, the Government of Sierra Leone shall ensure
that no official or judicial action is taken against any member of the
RUF/SL in respect of anything done by them in pursuit of their
objectives as members of that organization up to the time of the
signing of this Agreement » (art. 14).
Lustrations : L'accord prévoit que « the present Police Force shall be
vetted » (art. 25).
458
PAYS
GUATEMALA
ACCORD
ACCORD VISANT LA
LEGALISATION DE L’UNION
REVOLUTIONNAIRE
NATIONALE
GUATEMALTEQUE.
TADJIKISTAN
AGREEMENT BETWEEN THE
PRESIDENT OF THE REPUBLIC
OF TAJIKISTAN AND THE
LEADER OF THE UNITED TAJIK
OPPOSITION.
TADJIKISTAN
PROTOCOL ON THE MAIN
FUNCTIONS AND POWERS OF
THE COMMISSION ON
NATIONAL RECONCILIATION.
TADJIKISTAN
PROTOCOL ON REFUGEES.
TADJIKISTAN
PROTOCOL ON POLITICAL
QUESTIONS.
DATE
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Vérité et réconciliation : Promotion par le gouvernement de
l’adoption par le Congrès de la République d’un « National
reconciliation act » comprenant des demandes à la CEH sur les
moyens permettant de garantir le droit à la vérité (art.18),
12 DECEMBRE 1996
Signé par le médiateur de
l’ONU.
Réparations : Création d’une « public policy of compensation and/or
assistance to the victims of human rights violations » (art. 19),
Amnisties : Des mesures d’extinction de la responsabilité pénale des
membres de l’URNG, pour les crimes liés au conflit (art. 20 - 23)
autres que ceux considérés comme imprescriptible ou non sujets à
une extinction de responsabilité pénale par le droit interne ou les
traités internationaux (art. 24), sont prévues.
23 DECEMBRE 1996
Signature de l’accord par le
Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies.
23 DECEMBRE 1996
Signature de l’accord par le
Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies.
13 JANVIER 1997
Signature de l’accord par le
Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies.
18 MAI 1997
Signature du Représentant
spécial du Secrétaire général.
Amnisties : Les parties reconnaissent qu’il existe un « need to
implement a universal amnesty and reciprocal pardoning of persons
who took part in the military and political confrontation from 1992
up to the time of adoption of the Amnesty Act » (§ 4).
Amnistie : La Commission a également pour objectif l’adoption « of
a Reciprocal Pardon Act and drafting of an Amnesty Act to be
adopted by Parliament and the Commission on National
Reconciliation » (§ 15).
Amnisties : Le gouvernement s’engage à « not to institute criminal
proceedings against returning refugees or displaced persons for their
participation in the political confrontation and the civil war » (point
2).
Amnisties : « The President and the Commission on National
Reconciliation shall adopt the reciprocal-pardon act as the first
political decision to be taken during the initial days of the
Commission's work. No later than one month after the adoption of
the reciprocal-pardon act, the amnesty act shall be adopted » (§ 1).
459
PAYS
SIERRA LEONE
ACCORD
CONAKRY PEACE PLAN.
DATE
23 OCTOBRE 1997
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Signature, en tant que témoin,
du Secrétaire général adjoint. Il
faut cependant noter que
l’accord est principalement le
fruit des efforts de la CEDEAO.
Amnisties : « It is considered essential that unconditional immunities
and guarantees from prosecution be extended to all involved in the
events of 25 May 1997 with effect from 22 April 1998 » (point 8).
Amnisties : Un « absolute and free pardon » est prévu pour Foday
Sankoh, chef du RUF, (art. IX. 1.).
La même mesure doit être adoptée pour « all combatants and
collaborators in respect of anything done by them in pursuit of their
objectives, up to the time of the signing of the present agreement »
(art. IX. 2.).
SIERRA LEONE
PEACE AGREEMENT
BETWEEN THE GOVERNMENT
OF THE REPUBLIC OF SIERRA
LEONE AND THE
REVOLUTIONARY UNITED
FRONT OF SIERRA LEONE
(ACCORD DE LOMÉ).
Le gouvernement s’engage également à ce que « no official or
judicial action » ne soit adoptée à l’encontre des combattants de l’un
quelconque des groupes armés ayant participé au conflit (art. IX. 3.).
7 JUILLET 1999
Signature du Représentant
spécial du Secrétaire général
des Nations Unies.
Le Représentant spécial du Secrétaire général a, sur ordre du
Secrétaire général, émis une réserve interprétative à l’article IX,
précisant que les Nations Unies comprenaient l’amnistie prévue par
cet article comme ne s’appliquant pas aux crimes internationaux de
génocide, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et aux
autres violations graves du droit international humanitaire.
Réparations : Établissement d’un fonds spécial pour permettre la
« rehabilitation of war victims » (art. XXIX).
Vérité et réconciliation : Création d’une « Truth and Reconciliation
Commission », ayant pour objectif d’établir la vérité sur les violations
commises, de faciliter la réhabilitation des victimes et de combattre
l’impunité (art. XXVI).
460
PAYS
RDC
ACCORD
LUSAKA CEASE-FIRE
AGREEMENT.
DATE
10 JUILLET 1999
Rôle de l’ONU
Signature, en tant que témoin,
du Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies.
Mesures de justice transitionnelle
Amnisties : Les parties s’engagent à rechercher et démanteler les
bandes armées sévissant en RDC, en adoptant, si nécessaire, des
mesures telles que « granting of amnesty in countries where such a
measure has been deemed beneficial. It shall, however, not apply in
the case of suspects of the crime of genocide » (art. III, al. 19).
Justice pénale : Mise en place de mécanismes permettant la
recherche et le transfert aux tribunaux nationaux et au TPIR des
« mass killers and perpetrators of crimes against humanity » (annexe
A, art. 9. 1 (b)).
461
PAYS
ACCORD
DATE
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Justice pénale : L'accord prévoit l'instauration d'un « Tribunal pénal
international chargé de juger et punir les coupables » (Protocole I,
chapitre II, art. 6).
Réparations : Des réparations symboliques sont prévues (Monument
aux morts, journée de commémoration...) (Protocole I, chapitre II,
art. 6).
- Des indemnisations doivent être versées aux réfugiés pour les biens
spoliés ou confisqués. Création d'une « Commission nationale de
réhabilitation des sinistrés en faveur des victimes des différentes
crises » (Protocole I, Chapitre II, art. 7).
ACCORD D'ARUSHA POUR LA
BURUNDI
PAIX ET LA RECONCILIATION
AU BURUNDI.
28 AOUT 2000
Accord cosigné par le
Secrétaire général de l'ONU.
Vérité et réconciliation : Création d'une « Commission nationale
pour la vérité et la réconciliation » (Protocole I, chapitre II, art. 8).
- Lancement d'un « programme multiforme de réconciliation
nationale » (Protocole IV , Chapitre II, article 13), comprenant, entre
autres, des réparations symboliques, des programmes d'éducation,
d'écriture et de diffusion d'une histoire commune et la création de
« comités de paix et de réconciliation » (annexe IV, chapitre II, art.
2.5.1.2.).
Amnistie : « Une amnistie est accordée à tous les combattants des
partis et mouvements politiques pour les crimes commis du fait de
leur implication dans le conflit, mais pas pour les actes de génocide,
les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité, ni pour leur
participation à des coups d’Etat » (Protocole III, chapitre III, art. 26).
PAPOUASIE
NOUVELLE
GUINEE
BOUGAINVILLE PEACE
AGREEMENT.
30 AOUT 2001
Signé, en tant que témoin, par
le chef de la mission
d'observation de l'ONU à
Bougainville (MONUB).
Amnisties: « The parties confirm that grants of amnesty and pardon
(as agreed in the Lincoln Agreement) for all persons involved in crisisrelated activities or convicted of offences arising out of crisis-related
activities should be expedited, and will cooperate to ensure that they
are » (Section F).
462
PAYS
ANGOLA
RDC
ACCORD
MEMORANDUM OF
UNDERSTANDING (LUENA
AGREEMENT).
GLOBAL AND INCLUSIVE
AGREEMENT ON TRANSITION
IN THE DEMOCRATIC
REPUBLIC OF CONGO
(PRETORIA AGREEMENT).
DATE
4 AVRIL 2002
16 DECEMBRE 2002
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Signature de l'accord par le
Secrétaire général adjoint.
Amnistie : « The Government guarantees, in the interest of peace
and national reconciliation, the approval and publication by
competent organs and institutions of the state of the Republic of
Angola an Amnesty Law covering all crimes committed in conjunction
with the armed conflict between UNITA Military Forces and the
Government » Chapitre II, 1. 1. I. ; Chapitre II, 2. 1.
L'ONU a participé aux
négociations en tant que
membre observateur du
Dialogue Inter-congolais.
Amnistie : « To achieve national reconciliation, amnesty shall be
granted for acts of war, political and opinion breaches of the law,
with the exception of war crimes, genocide and crimes against
humanity » (section III, point 8).
Médiation du Secrétariat
général pour les accords de
paix.
463
PAYS
ACCORD
DATE
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Amnistie : « Le gouvernement de réconciliation nationale prendra
les mesures nécessaires pour la libération et l'amnistie de tous les
militaires détenus pour atteinte à la sûreté de l'Etat et fera
bénéficier de la même mesure les soldats exilés » (art. 3. i). « La loi
d'amnistie n'exonérera en aucun cas les auteurs d'infractions
économiques graves et de violations graves des droits de l'homme et
du droit international humanitaire » (annexe, section VII. 5).
COTE D'IVOIRE
ACCORD DE LINASMARCOUSSIS.
23 JANVIER 2003
Participation aux négociations
de facilitateurs désignés par
l'ONU.
Justice pénale : « Sur le rapport de la Commission internationale
d'enquête, le gouvernement de réconciliation nationale déterminera
ce qui doit être porté devant la justice pour faire cesser l'impunité.
Condamnant particulièrement les actions des escadrons de la mort
et de leurs commanditaires ainsi que les auteurs d'exécutions
sommaires sur l'ensemble du territoire, la Table Ronde estime que
les auteurs et complices de ces activités devront être traduits devant
la justice pénale internationale » (annexe, section VI. 3).
Réparations : « Sur la base du rapport de la Commission nationale
des droits de l'homme, il prendra des mesures d'indemnisation et de
réhabilitation des victimes » (annexe, section VI. 4).
464
PAYS
ACCORD
DATE
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Réparations : Restitution des biens confisqués ou saisis par l'État et
indemnisation des individus dont les biens ont été endommagés par
l'Etat. Une commission parlementaire assistera et contrôlera l'action
du gouvernement transitoire dans ce domaine. (Résolution
DIC/CPR/01).
RDC
INTER-CONGOLESE
NEGOTIATIONS: THE FINAL
ACT (SUN CITY AGREEMENT).
2 AVRIL 2003
Signature de l'envoyé spécial
du Secrétaire général en tant
que témoin et participant
observateur au Dialogue Intercongolais.
Vérité : Création d'une « independent commission to be called the
“National Truth and Reconciliation Commission” » (Résolution
DIC/COR/04).
- Pour identifier et évaluer les dommages causés à l'environnement,
identifier les responsables et indemniser les victimes, l'accord
prévoit la création d'une « special ad hoc Commission of Inquiry
within the transitional Parliament, if necessary with the participation
of national and international expert » (Résolution DIC/CEF/03).
Justice pénale : Il est prévu qu'une « request be made to the UN
Security Council by the Transitional Government with a view to
establishing an International Criminal Court for the Democratic
Republic of Congo » (Résolution DIC/CPR/05).
LIBERIA
PEACE AGREEMENT
BETWEEN THE GOVERNMENT
OF LIBERIA, THE LIBERIANS
UNITED FOR RECONCILIATION
AND DEMOCRACY (LURD),
THE MOVEMENT OF
DEMOCRACY IN LIBERIA
(MODEL) AND THE
POLITICAL PARTIES
(ACCORDS D'ACCRA).
Vérité : « A Truth and Reconciliation Commission shall be established
to provide a forum that will address issues of impunity, as well as an
opportunity for both the victims and perpetrators of human rights
violations to share their experiences, in order to get a clear picture of
the past to facilitate genuine healing and reconciliation » (art. XIII).
18 AOUT 2003
Signature du représentant du
Secrétaire général en tant que
témoin de l'accord
Lustrations : Restructuration complète de la police et des forces de
sécurité (y compris gardes du corps et douanes) (art. VIII) et de la
Cour suprème (art. XXVII).
Amnistie : « The NTGL shall give consideration to a recommendation
for general amnesty to all persons and parties engaged or involved in
military activities during the Liberian civil conflict that is the subject
of this Agreement » (art. XXXIV).
465
PAYS
SOUDAN
ACCORD
DARFUR PEACE AGREEMENT.
DATE
5 MAI 2006
Rôle de l’ONU
Signature, en tant que témoin,
du Représentant spécial du
Secrétaire général pour le
Soudan.
Mesures de justice transitionnelle
Vérité : Il est prévu la création de la « Darfur - Darfur Dialogue and
Consultation ( DDDC) ». La DDDC est une « conference in which
representatives of all Darfurian stakeholders can meet to discuss the
challenges of restoring peace to their land, overcoming the divisions
between communities, and resolving the existing problems to build a
common future » (point 458). Pour servir son objectif de promotion
de l'accord de paix auprès de la population, la DDDC se voit confier
la tâche de « Discussing and building consensus on the main
outstanding issues concerning the citizens of Darfur regarding the
causes of conflict, insecurity, restoration of social fabric and a
common future for all » (point 61(c)).
Justice traditionnelle : Dans ses tâches liées à la réconciliation, la
DRRC est encouragée à recourir à des « traditional dispute resolution
mechanisms » (point 188).
Réparations : Création d'une « Compensation Commission »,
chargée de traiter les demandes « for compensation by people of
Darfur who have suffered harm, including physical or mental injury,
emotional suffering or human and economic losses, in connections
with the conflict » (point 200).
BURUNDI
DAR-ES-SALAAM
AGREEMENT ON PRINCIPLES
TOWARDS LASTING PEACE,
SECURITY AND STABILITY IN
BURUNDI.
18 JUIN 2006
Accord cosigné par le
Représentant spécial du
Secrétaire général de l'ONU.
Vérité : « A commission of experts with the mandate to rewrite the
history of Burundi shall be created. These experts shall consult all the
components of Burundi society » (art. 1. 2).
- « The Truth and Reconciliation Commission shall be called the
Truth, Forgiveness and Reconciliation Commission » (art. 1. 3).
466
PAYS
ACCORD
DATE
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Vérité : Engagement des parties à révéler l'identité et le sort des
personnes « 'disappeared' or killed during war and to inform the
family about it » (art. 5. 2. 3).
NEPAL
COMPREHENSIVE PEACE
AGREEMENT BETWEEN THE
GOVERNMENT OF NEPAL
AND THE COMMUNIST PARTY
OF NEPAL (MAOIST).
RDC
ACTE D'ENGAGEMENT NORD KIVU.
RDC
ACTE D'ENGAGEMENT - SUD
KIVU.
OUGANDA
IMPLEMENTATION
PROTOCOL TO THE
AGREEMENT ON
COMPREHENSIVE
SOLUTIONS.
22 NOVEMBRE 2006
Signature du Représentant
spécial du Secrétaire général
en tant que témoin de l'accord.
- Création d'une « High-level Truth and Reconciliation Commission »
pour établir les faits concernant les crimes les plus graves (art. 5. 2.
5).
Amnisties : « Both sides guarantee to withdraw political accusations,
claims, complaints and cases under-consideration against various
individuals and to instantly make public the status of those detained
and release them immediately » (art. 5. 2. 7).
23 JANVIER 2008
Signature d' Alan Doss, en tant
que facilitateur international
au nom des Nations Unies.
Amnistie : Projet d'amnistie partielle pour « faits de guerre et
insurrectionnels, couvrant la période de juin 2003 à la date de la
promulgation de la Loi » et excluant « les crimes de guerre, les
crimes contre l'humanité et le génocide » (art. IV. 1).
23 JANVIER 2008
Signature d' Alan Doss, en tant
que facilitateur international
au nom des Nations Unies.
Amnistie : Projet d'amnistie partielle pour « faits de guerre et
insurrectionnels, couvrant la période de juin 2003 à la date de la
promulgation de la Loi » et excluant « les crimes de guerre, les
crimes contre l'humanité et le génocide » (art. IV. 1).
22 FEVRIER 2008
Signature, en tant que témoin,
de l'envoyé spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies pour les zones affectées
par la LRA.
Réparations : L'accord prévoit que « the Government shall establish,
a special fund for victims, out of which reparations shall be paid ». Le
fonds servira, entre autres, à payer les réparations attribuées par le
mécanisme prévu par le « Agreement on accountability and
reconciliation », signé le 29 juin 2007 et auquel l'ONU n'a pas
participé (point 28).
467
PAYS
ACCORD
DATE
AGREEMENT ON
OUGANDA
REPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE
IMPLEMENTATION AND
MONITORING MECHANISMS.
ACCORD DE PAIX GLOBAL
ENTRE LE GOUVERNEMENT
DE LA REPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE ET LES
MOUVEMENTS POLITICOMILITAIRES APRD, FDPC,
UFDR.
29 FEVRIER 2008
21 JUIN 2008
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Signature, en tant que témoin,
de l'envoyé spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies pour les zones affectées
par la LRA.
Justice pénale : En conformité avec l'Agreement on accountability
and reconciliation, le gouvernement s'engage à établir une division
spéciale au sein de la Haute Cour pour juger les crimes commis
durant le conflit, et à demander au Conseil de sécurité des Nations
Unies « to adopt a resolution under Chapter VII of the Charter of the
United Nations, requesting the International Criminal Court to defer
all investigations and prosecutions against the leaders of the Lord's
Resistance Army. »
Signature du Représentant
spécial du Secrétaire général
des Nations Unies en
Centrafrique.
Amnistie : Engagement des parties pour la promulgation « d'une loi
d'amnistie générale (…) pour des crimes et délits poursuivis devant
les juridictions nationales centrafricaines à l'exception des crimes
relevant de la compétence de la Cour Pénale Internationale » (art.
2).
468
PAYS
RDC
ACCORD
ACCORD DE PAIX ENTRE LE
GOUVERNEMENT ET LE
CONGRES NATIONAL POUR
LA DEFENSE DU PEUPLE
(CNDP).
DATE
23 MARS 2009
Rôle de l’ONU
Signature, en tant que témoin,
du Représentant Spécial du
Secrétaire général des Nations
Unies.
Mesures de justice transitionnelle
Amnistie : « En vue de faciliter la réconciliation nationale, le
Gouvernement s'engage à promulguer une loi d'amnistie couvrant la
période de juin 2003 à la date de sa promulgation, et ce
conformément au droit international » (art. 3). Hormis la référence
au droit international, l'accord ne précise pas les éventuelles limites
de l'amnistie. Il note en revanche, au sujet du projet de loi sur le
sujet, que « Le CNDP ayant exprimé des préoccupations quant à
certaines dispositions du projet de loi tel que déjà adopté par
l'Assemblée Nationale, dont la qualification à son avis restrictive des
faits amnistiés, il a été convenu que ces préoccupations soient
transmises par le Gouvernement au Parlement pour examen » (art.
3. 3).
Autorités traditionnelles : Des « Comités locaux permanents de
conciliation (...) composés notamment de sages locaux » doivent
être mis en place dans le but de « palier la carence en matière de
prévention et de résolution extra judiciaire de conflits » (art. 5. 1).
469
PAYS
MADAGASCAR
ACCORD
ACCORD POLITIQUE DE
MAPUTO.
DATE
8 AOUT 2009
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
L'ONU a joué un rôle de
médiateur. Elle est
cosignataire, en tant que
témoin, et garante de l'accord.
Amnistie : Adoption d'une « loi d'amnistie générale », concernant
« toutes les infractions, manquements et fautes quels que soient
leur nature, leur objet ou leur qualification, commis durant l'exercice
de leurs fonctions ou de leurs responsabilités par l'ensemble des
personnes ayant eu en charge les fonctions de direction ou
d'exécution au sein de l'Etat ainsi que celles de responsables
politiques de l'opposition entre le 1er janvier 2002 et la date de
signature » de l'accord (art. 10). L'amnistie ne couvre pas « les
crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, les crimes de
génocide et les violations graves des Droits de l'Homme » (art. 14).
Réparations : Le droit des victimes à réparation est reconnu (art.
13). Mise en place d'un « Fonds national de solidarité » pour
indemniser « les ayants-droits et les victimes pour les préjudices
subis lors des évènements politiques de 2002, 2006, 2008 et 2009 »
(art. 15).
MADAGASCAR
CHARTE DE LA TRANSITION.
9 AOUT 2009
L'ONU a joué un rôle de
médiateur. Elle est
cosignataire, en tant que
témoin, et garante de l'accord.
Vérité : Création d'une « Commission "vérité et réconciliation" »
chargée de « passer en revue tous les évènements ayant marqué la
vie politique, économique et sociale de Madagascar » ainsi que de
formuler des propositions de réparations (art. 18).
Amnistie : La mesure d'amnistie prévue dans l'Accord de Maputo est
reprise à l'identique (art. 25 à 30).
Réparations : L'article 13 de l'accord de Maputo reconnaissant le
droit des victimes « des évènements politiques entre 2002 et la date
de signature » de l'accord pour « des préjudices de quelque nature
que ce soit » est repris à l'identique (art. 31).
470
PAYS
ACCORD
SOUDAN
FRAMEWORK AGREEMENT
TO RESOLVE THE CONFLICT IN
DARFUR BETWEEN THE
GOVERNMENT OF SUDAN
AND THE JEM.
SOUDAN
FRAMEWORK AGREEMENT
TO RESOLVE THE CONFLICT IN
DARFUR BETWEEN THE
GOVERNMENT OF SUDAN
AND THE LJM.
DATE
Rôle de l’ONU
23 FEVRIER 2010
Un médiateur conjoint de
l'Union Africaine et de l'ONU a
participé aux négociations et a
signé, en tant que témoin,
l'accord.
18 MARS 2010
Un médiateur conjoint de
l'Union Africaine et de l'ONU a
participé aux négociations et a
signé, en tant que témoin,
l'accord.
Mesures de justice transitionnelle
Amnistie : Une « general amnesty for the civil and military members
of the Justice and Equality Movement Sudan (JEM) » est adoptée
(art. 2).
Réparations : Le gouvernement s'engage a « fairly compensate the
refugees, and displaced persons and all those who have been
affected by the conflict in Darfur » (art. 8).
Amnistie : Une « general amnesty for the civil and military members
of the Liberation and Justice Movement (LJM) » est adoptée (art. 3).
471
PAYS
SOUDAN
ACCORD
DOHA DOCUMENT FOR
PEACE IN DARFUR (DDPD).
DATE
14 JUILLET 2011
Rôle de l’ONU
La MINUAD a joué un rôle
important de conseiller
technique durant les
négociations et a proposé une
version préliminaiire de
l'accord. Le DDPD n'a pas été
signé par l'ONU directement, il
a cependant été approuvé et
annexé à deux accords distincts
conclus entre le Gouvernement
du Soudan et le 'Liberty and
Justice Movement' (LJM)d'une
part (accord du 14/07/2011) et
le 'Justice and Equality
Movement' (JEM) d'autre part
(accord du 13/04/2013). Ces
deux accords ont été signés par
le représentant conjoint de
l'UA et de l'ONU.
Mesures de justice transitionnelle
Réparations : Le droit de toutes les victimes du conflit ayant souffert
de « loss or damage, including loss of life, physical injury, mental
harm and emotional suffering » à réparation est reconnu. Un fonds
de compensation (« Compensation/Jabr Al Darar Fund ») est créé
(art. 51 et 53) pour distribuer les réparations. Le « Property Claims
and Restitution Committee (PCRC) », créé par les articles 51 et 52
attribue les réparations liées aux biens, alors que le « Justice
Committee » créé au sein de la « Truth and Reconciliation
Commission » (art. 58) attribue les réparations liées aux atteintes à
la personne.
Amnistie : Le gouvernement s'engage à « grant a general amnesty in
accordance with the Sudanese Constitution and Laws, to civil and
military members, to prisoners of war and those sentenced from the
Parties, and on this basis, release the prisoners of war ». Les « war
crimes, crimes against humanity, crimes of genocide, crimes of
sexual violence, and gross violations of human rights and
humanitarian law shall not be included in the scope of application of
the amnesty » (art. 60).
Vérité : Création de la « Truth, Justice and Reconciliation
Commission », au sein de laquelle le « Truth and Reconciliation
Committee » est chargé de « assess the root causes of the conflict in
Darfur » (art. 58).
Mécanismes traditionnels : Le recours aux « Ajaweed Council » est
prévu aux fins de la réconciliation entre les tribus (art. 58).
Justice pénale : Création d'une « Special Court for Darfur » ayant
compétence pour les « gross violations of human rights and serious
violations of international humanitarian law committed in Darfur,
since February 2003 » (art. 59).
472
PAYS
ACCORD
RDC
OUTCOME DOCUMENTS
FROM THE CONCLUSION OF
THE KAMPALA DIALOGUE
BETWEEN THE GOVERNMENT
OF THE DEMOCRATIC
REPUBLIC OF THE CONGO
AND THE M23.
DATE
12 DECEMBRE 2013
Rôle de l’ONU
L'ONU a joué un rôle de
médiateur et de facilitateur
dans cet accord.
Mesures de justice transitionnelle
Amnistie : L'accord prévoit une « amnesty to members of M23 for
acts of war and insurrection » (art. 1. 1).
Justice pénale : Le gouvernement s'engage à poursuivre devant la
justice les responsables de « war crimes, genocide, crimes against
humanity, sexual violence and recruitment of child soldiers » (art.
8.4).
Global : La « mise en place de mécanismes de justice
transitionnelle » est prévue (art. 46).
Vérité : L'accord prévoit « l'opérationnalisation de la Commission
Vérité, Justice et Réconciliation », créée par décret présidentiel suite
à la dissolution de la Commission Dialogue et Réconciliation (art. 46).
MALI
ACCORD POUR LA PAIX ET LA
RECONCILIATION AU MALI ISSU DU PROCESSUS
D'ALGER.
- L'accord prévoit la création d'une commission d'enquête
internationale identique à celle envisagée à l'article 18 de l'Accord
préliminaire de Ouagadougou (art. 46).
20 JUIN 2015
Signature, en tant que témoin,
du Représentant spécial du
Secrétaire général.
- Organisation d'une « Conférence d'Entente Nationale » ayant pour
objectif de « permettre un débat approfondi entre les composantes
de la Nation sur les causes profondes du conflit » (art. 5).
Justice pénale : L'amnistie des « auteurs de crimes de guerre et
crimes contre l'humanité et violations graves des droits de l'homme,
y compris la violence sur les femmes, les filles et les enfants » est
interdite (art. 46).
Mécanismes traditionnels : L’accord prévoit la « [revalorisation] des
Cadis dans l'administration de la justice », particulièrement pour la
médiation civile, et « valorisation du statut des autorités
traditionnelles » (art. 46).
473
PAYS
ACCORD
DATE
Rôle de l’ONU
Mesures de justice transitionnelle
Vérité : Création de la « Commission for Truth, Reconciliation and
Healing (CTRH) » (Chapitre V, art. 2).
AGREEMENT ON THE
SOUDAN DU SUD
RESOLUTION OF THE
CONFLICT IN SOUTH SUDAN
17 AOÛT 2015
Signature, en tant que témoin,
du Représentant du Secrétaire
général et participation de
l’ONU aux négociations de paix
au sein de l’IGAD Plus
Justice pénale : Création de la « Hybrid Court for South Sudan
(HCSS) », ayant compétence sur les crimes internationaux. Les volets
internationaux de la HCSS sont laissés à la gestion de l’UA. (Chapitre
V, art. 3)
Réparations : Création d’une « Compensation and Reparation
Authority ». Celle-ci est limitée à la fourniture de « material and
financial support to citizens whose property was destroyed by the
conflict and help them to rebuild their livelihoods in accordance with
a well established criteria by the Transitional government of national
unity » (Chapitre V, art. 3).
Mécanismes de
justice transitionnelle
Amnistie
Vérité
Réparations
Justice pénale
Lustrations
Mécanismes
traditionnels
Nombre de
mécanismes intégrés
dans les accords de
paix
29
15
16
11
5
4
475
Annexe II : Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Vérité : Soutien à la Commission pour la Vérité
(logistique).
SALVADOR / ONUSAL
MAI-91 AVR-95
S/RES/693 (1991)
NON
Lustrations : Soutien à la commission ad hoc
instituée conformément aux accords de
Chapultepec de 1992. La commission a mené des L'ONUSAL est considérée comme la
première opération de 2ème génération.
interviews et conduit des enquêtes visant à
Elle est également considérée comme
contrôler les activités passées du personnel des
l'une des opérations de maintien de la
forces armées et de police. Les résultats étaient
paix les plus réussies.
ensuite transmis à l'ONUSAL pour approbation
avant la réintégration du personnel concerné.
L'ONUSAL a également coopéré avec la Commission
de consolidation de la paix (COPAZ) pour la
lustration des forces de police.
S/RES/1035 (1995 );
S/RES/1088 (1996 );
S/RES/1103 (1997) ;
BOSNIE-HERZEGOVINE / DEC-95 DEC-02
MINUBH / UNMIBH
S/RES/1107 (1997) ;
S/RES/1144 (1997) ;
S/RES/1168 (1998) ;
S/RES/1184 (1998)
OUI
Lustration : Lustration des forces de police et du
système judiciaire via des enquêtes approfondies
sur l'ensemble du personnel, en particulier leur
comportement durant le conflit.
L'absence de procédure équitable et
notamment de voies de recours dans les
procédures initiales de lustration
conduites par la MINUBH a été dénoncée
par le bureau du HCDH en BosnieHerzégovine. Le HCDH a incité les
autorités nationales à saisir la Commission
de Venise pour obtenir la révision des cas
ayant été traités par la MINUBH sans
possibilité d'appel.
476
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
S/RES/1037 (1996) ;
CROATIE / ATNUSO /
UNTAES
JANV-96 JANV-98
S/RES/1079 (1996) ;
S/RES/1120 (1997)
OUI
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Amnistie : Assistance à la rédaction et la
promulgation d'une loi d'amnistie partielle,
excluant les crimes les plus graves (génocide, crimes
de guerre les plus graves).
Poursuites pénales : Assistance au TPIY pour les
enquêtes et l'arrestation des personnes
recherchées.
Observations
477
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Global : L'action du bureau pays du HCDH, intégré
en 2015 à la MINUK, a été continuée, notamment
en ce qui concerne le soutien au Groupe de travail
sur le traitement du passé et la réconciliation,
chargé d'élaborer une stratégie de justice
transitionnelle. La composante droits de l'homme
de la MINUK a tenu des conférences et procédé à la
formation des membres du Groupe sur la justice
transitionnelle.
KOSOVO / MINUK /
UNMIK
JUIN-99 PRESENT
S/RES/1244 (1999)
OUI
Lustrations : Création de règles et d'instances de
conseil, sous l'autorité du Représentant spécial du La MINUK avait également pour tâche de
Secrétaire général pour l'évaluation des juges et des réformer la police au Kosovo. Toutefois,
cet aspect de la lustration n'est pas pris en
procureurs ainsi que pour leur recrutement. Ces
compte ici dans la mesure où, si la MINUK
derniers devaient notamment ne pas avoir :
a bien participé au recrutement et surtout
« participated in discriminatory measures, or
à la formation des forces de police, les
applied any repressive law or have implemented
dictatorial policies » (UNMIK/REG/1999/7, 6.1(e)) enquêtes sur le passé des candidats et la
Cf. également les régulations 1999/18 et 2001/8. sélection (« vetting »), à proprement
parler, de ces derniers ont été effectuées
Lutte contre l'impunité : Procès pénaux : Création par l'OSCE.
des « Panels 64 » : intégration de juges et de
procureurs internationaux au sein des tribunaux
nationaux. Ces juges et procureurs pouvaient être
assignés à n'importe quelle affaire par le
Représentant spécial du Secrétaire général pour
garantir l'impartialité de la justice (Régulations
MINUK 2000/6 ; 2000/34 et 2000/64).
Mise en place du Panel consultatif sur les droits de
l'homme, chargé de recueillir les plaintes formulées
à l'encontre du personnel de la MINUK.
478
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Lutte contre l'impunité : Procès pénaux :
établissement des « Special Panels » au sein du
tribunal de Dili, comprenant des juges
internationaux et ayant une compétence exclusive
pour le jugement des crimes le plus graves
(UNTAET/REG/2000/11; 6/03/2000 et
UNTAET/REG/2000/15; 6/06/2000).
TIMOR LESTE / ATNUTO OCT-99 MAI-02
/ UNTAET
S/RES/1272 (1999)
OUI
Vérité : Commission vérité : création de la
« Commission on Reception, Truth and
Bien que l'ATNUTO ait reformé l'ensemble
Reconciliation » (CAVR, selon l'acronyme portugais du secteur de la sécurité et du secteur
généralement utilisé). Voir : UNTAET/REG/2001/10, judiciaire du Timor Leste, le travail de
13/07/2001.
recrutement n'a pas réellement donné
lieu à des procédures de lustration en
Amnistie : Des immunités ont été rendues
fonction du rôle des candidats dans les
disponibles, dans le cadre de la CAVR, pour des
violences passées. Cette tâche a
crimes et délits mineurs. Une immunité pouvait
principalement été menée après le départ
être obtenue en échange de l'accomplissement
d'un « community reconciliation act » ordonné par de l'ATNUTO, par la MINUT, après les
violences de 2006.
une commission spéciale dans le cadre d'un
« community reconciliation process » (CRP)
(UNTAET/REG/2001/10, partie IV).
Mécanismes traditionnels : L'ATNUTO a eu recours
aux mécanismes traditionnels de réconciliation
dans le cadre des CRP. Notamment, les CRP, qui se
déroulaient essentiellement au sein des villages et
sous le contrôle de conseils de sages, se concluaient
par une cérémonie traditionnelle de réconciliation.
479
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
S/RES/1270 (1999) ;
S/RES/1289 (2000) ;
SIERRA LEONE /
MINUSIL / UNAMSIL
OCT-99 DEC-05
S/RES/1313 (2000) ;
S/RES/1346 (2001) ;
S/RES/1400 (2002) ;
S/RES/1436 (2002) ;
OUI
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
La MINUSIL avait la particularité, bien que
n'ayant pas de mandat explicite en termes
de justice transitionnelle, d'avoir pour
tâche « [d’encourager] les parties à créer
des mécanismes de rétablissement de la
confiance et en appuyer le
fonctionnement » (S/RES/1270, § 8 (f)).
Dans la mesure où l'accord de Lomé ainsi
que la résolution en question font
référence, entre autres, à la Commission
Vérité : Soutien à la Commission Vérité et
Vérité et Réconciliation, il est fort
Réconciliation (CVR) (sensibilisation, budget,
probable que cette dernière était
sécurité).
implicitement visée par le mandat conféré
Lutte contre l'impunité : Soutien au TSSL (relations à la mission. Toutefois, et bien que la
avec la CVR, sécurité, soutien aux enquêtes).
MINUSIL ait été dotée d'une composante
droits de l'homme, la mission n'a eu qu'un
rôle subsidiaire dans l'élaboration et le
travail des deux mécanismes de justice
transitionnelle, les entités onusiennes
principales ayant été le HCDH pour la CVR
et le Secrétaire général pour le TSSL.
La MINUSIL a, en revanche, été une
mission fondatrice en termes de politiques
de sensibilisation et de communication.
480
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Si la MONUC s'est vue confier des tâches
liées à la justice transitionnelle dès 2004,
notamment en termes d'appui au
processus de RSS, ce n'est qu'à partir de
2007 et de la résolution 1756 qu'un
mandat explicite lui est confié en termes
de justice transitionnelle. Elle a alors été
chargée, par exemple d'« aider à élaborer
et appliquer une stratégie de justice
transitionnelle » (S/RES/1756 (2007),
§ 3(c)).
S/RES/1279 (1999) ;
S/RES/1565 (2004) ;
RDC / MONUC
DEC-99 JUIN-10
S/RES/1756 (2007) ;
S/RES/1856 (2008) ;
S/RES/1906 (2009)
OUI
Vérité : Soutien à la mise en place de la Commission
Vérité et Réconciliation (CVR), notamment à travers La MONUC est la première OMP à avoir
l'appui à l'organisation de consultations nationales développé une politique de
conditionnalité de soutien des forces
et aux conseils techniques fournis aux autorités
onusiennes aux forces nationales. Le
nationales quant au statut de la CVR. Le manque
soutien des forces onusiennes serait retiré
d'indépendance de la Commission a conduit la
dans les cas où des membres des forces
MONUC à se distancier de cette institution.
nationales auraient été impliqués dans
Lutte contre l'impunité : Soutien à l’action menée des violations des droits de l'Homme.
aux niveaux national et international pour traduire Cette politique a été reprise et
en justice les auteurs de violations graves des droits développée par la MONUSCO puis
de l’Homme et du droit international humanitaire. adoptée formellement par le Secrétaire
général sous le nom de « Politique de
diligence voulue » (A/67/775–S/2013/110,
5/03/2013, Annexe) et appliquée de façon
systématique aux OMP postérieures.
La MONUC a également été amenée à
coopérer avec le TPIR pour l'arrestation de
personnes inculpées par ce Tribunal et
réfugiées en RDC, ainsi qu'avec la CPI en
termes de soutien logistique pour le
transfert d'accusés.
481
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Lutte contre l'impunité : Création, au sein de la
MANUTO d'une «Special Crimes Unit» (SCU)
chargée d'enquêter et de poursuivre les personnes
responsables des crimes soumis à la compétence
des Panels spéciaux.
S/RES/1410 (2002) ;
TIMOR LESTE /
MANUTO / UNMISET
MAI-02 MAI-05
S/RES/1473 (2003) ;
S/RES/1543 (2004)
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
OUI
Vérité : La section droits de l'homme de la
MANUTO était chargée de « maintaining liaison
with the Reception, Truth and Reconciliation
Commission » (Rapport du Secrétaire général,
S/2002/432, § 67).
Observations
482
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Lutte contre l'impunité : Actions en lien avec le
procès de C. Taylor par le TSSL (enquête, recherche,
arrestation, protection).
Lustration :
- Recrutement des membres des forces de police
comportant des enquêtes sur leur possible
participation à des violations des droits de
l'Homme.
- Participation à la lustration des forces armées,
processus mené sous l'autorité des États-Unis
d'Amérique.
S/RES/1509 (2003) ;
S/RES/1626 (2005) ;
S/RES/1638 (2005) ;
LIBERIA / MINUL
OCT.-03 MARS-18
S/RES/1885 (2009) ;
S/RES/1938 (2010) ;
S/RES/2190 (2014) ;
S/RES/2239 (2015)
OUI
Vérité : Participation de la section droits de
l'homme de la MINUL à la rédaction du statut de la
Commission Vérité et Réconciliation (CVR),
notamment à travers l'organisation, conjointement
avec des ONG, le HCDH et le gouvernement, de
vastes consultations nationales portant sur le
mandat de la commission. La section a également
fourni un soutien technique à la CVR en termes
d'enquêtes et de rapports. Participation de la
MINUL aux efforts de communication de la CVR,
notamment à travers la mise à disposition d'une
plage horaire hebdomadaire sur la radio de la
mission.
Mécanismes traditionnels : Soutien de la MINUL au
projet du Fonds de consolidation de la paix visant à
favoriser le dialogue et la réconciliation au travers
du système traditionnel des palava hut.
Recours au Chapitre 7 pour la promotion
de la réconciliation nationale (S/RES/2190
(2014) et S/RES/2239 (2015) ).
La MINUL, et particulièrement sa section
droits de l'homme, a activement promu la
justice transitionnelle, notamment par
l'organisation de conférences et de
journées d'étude portant sur le sujet.
Dans le cadre de cette promotion, l'accent
a été mis sur la lutte contre l'impunité et
les poursuites pénales pour les violations
graves des droits de l'Homme, passées et
présentes.
483
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
S/RES/1739 (2007) ;
S/RES/1933 (2010) ;
S/RES/1981 (2011) ;
AVR-04 JUIN-17
S/RES/2000 (2011) ;
S/RES/2062 (2012) ;
OUI
S/RES/2162 (2014) ;
S/RES/2226 (2015) ;
S/RES/2284 (2016)
JUIN-04 OCT-17
S/RES/1542 (2004)
Vérité : La section droits de l'homme a fourni un
soutien technique à la Commission Dialogue, Vérité
et Réconciliation (CDVR), notamment au travers de
la formation de ses membres, de l'aide à la
rédaction du statut et de l'accompagnement lors
des entretiens. Une unité « justice transitionnelle »
a été créée au sein de la section dans ce but.
Lustrations : L'ONUCI a été enjointe à « offer
support with regard to the development of a
sustainable vetting mechanism for personnel that
will be absorbed in security sector institutions »
(S/RES/2000, § 7(f)). La mission a établi, en
collaboration avec les autorités ivoiriennes, des
procédures pour l'évaluation des forces de police et
de l'armée. L'évaluation était ensuite conduite par
les autorités nationales.
S/RES/2112 (2013) ;
HAÏTI / MINUSTAH
Observations
Lutte contre l'impunité : Soutien technique à la
« Cellule Spéciale d’Enquête relative à la crise postélectorale », créée en 2011 par le ministère de la
justice.
S/RES/1528 (2004) ;
COTE D'IVOIRE / ONUCI
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
OUI
Lustration : Le mandat initial de la MINUSTAH lui
conférait pour tâche d' « aider le Gouvernement de
transition à surveiller, restructurer et réformer la
Police nationale haïtienne, conformément aux
normes d’une police démocratique, notamment en
vérifiant les antécédents de ses membres et en
agréant son personnel » (S/RES/1542, section I (b)).
Un programme national de réforme de la Police
Nationale Haïtienne (PNH) a été adopté par les
autorités nationales en consultation avec la
MINUSTAH.
Bien qu'instaurée sur le fondement du
Chapitre 7, l'ONUCI a, dans le domaine de
la justice transitionnelle, principalement
agi en soutien des autorités nationales.
Cette particularité, liée à la volonté de
respecter l'appropriation nationale, a
parfois nuit au mandat de la mission,
subissant un manque de volonté de la
Côte d'Ivoire et un contrôle trop lointain
et insuffisamment contraignant de la part
de la mission.
Le manque de données sur les
antécédents des membres de la PNH a
nuit au fonctionnement effectif du
programme de lustration de cette
institution.
484
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Lutte contre l'impunité : Création de la « Serious
Crimes Investigation Team » (SCIT) dans le but de
continuer le travail de la SCU en termes d'assistance
fournie au Procureur pour enquêter sur les cas de
crimes graves commis dans le pays en 1999.
- Participation de la MINUT à la sélection d'un
procureur adjoint international pour le jugement
des violences commises en mai 2006.
TIMOR LESTE / MINUT / AOUT-06 DEC-12
UNMIT
S/RES/1704 (2006)
NON
La MINUT a intégré la première section
Lustrations : Établissement, au sein du plan de
« Droits de l'homme et justice
réforme de la Police Nationale du Timor Leste
(PNTL), d'un processus de lustration des membres transitionnelle » au sein d'une OMP
(rapport du Secrétaire général,
de la police, en collaboration avec les autorités
timoraises. L' «Arrangement on the restoration and S/2006/628 § 73 et s.).
maintenance of public security In Timor-Leste and Le programme de lustration a été
on assistance to the reform, restructuring and
gravement défaillant, notamment du fait
building of the Timorese National Police (PNTL) and du manque de coopération des autorités
the Ministry of Interior Supplemental to the
timoraises.
Agreement between the United Nations and the
Democratic Republic of Timor-Leste on the Status of
the United Nations Integrated Mission in TimorLeste (UNMIT)», conclu le 1/12/2006 entre le
Représentant spécial du Secrétaire général et le
Premier Ministre timorais prévoit notamment que
seront exclus de la PNTL ceux qui ont « been
involved in human rights violations or criminal
conduct » (Accord précité, annexe, Partie D).
485
PAYS / MISSION
SOUDAN / MINUAD /
UNAMID
DATES DE
DEBUT - FIN
JUIL-07 PRESENT
RESOLUTIONS
S/RES/1769 (2007)
CHAPITRE 7
OUI
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Malgré la présence de nombreux
mécanismes de justice transitionnelle tant
dans le Darfur Peace Agreement de 2006
que dans le Doha Document for Peace in
Darfur de 2011, deux accords dont la mise
Réparations : Soutien technique à la « Darfur
en œuvre représentait une part
Compensation Commission » (DCC).
importante du mandat de la MINUAD, la
Mécanismes traditionnels : Soutien technique au mission n'a entrepris que peu de tâches
Darfur Peace and Reconciliation Council, établi par en lien avec la justice transitionnelle. Les
conditions sécuritaires extrêmement
le Darfur Peace Agreement, pour le règlement
pacifique des conflits tribaux en coopération avec précaires ainsi que l'absence continue de
les institutions traditionnelles. Les dialogues mis en bonne volonté de la part du
œuvre ont notamment porté sur les « root causes gouvernement soudanais sont les causes
principales de cet état de fait. Il faut tout
of the conflict » (rapport du Secrétaire général,
de même relever les nombreux efforts
S/2011/643 - 12/10/2011, § 27-28).
fournis par la MINUAD en termes de
réconciliation inter-tribale, recourant
régulièrement aux mécanismes et
institutions traditionnelles de dialogue et
de réconciliation.
486
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Lustrations : Création du « Détachement Intégré de
Sécurité » (DIS), unité spéciale de la police
tchadienne attachée à la protection des camps de
personnes déplacées, pour lequel un processus
approfondi de vérification des antécédents des
candidats a été mis en œuvre.
S/RES/1778 (2007) ;
TCHAD / MINURCAT
SEPT-07 -
12/2010
S/RES/1861 (2009) ;
S/RES/1923 (2010)
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
OUI
Mécanismes traditionnels : Dans le cadre du
mandat de la mission, la division des affaires civiles
de la MINURCAT a fourni un soutien aux efforts
nationaux et locaux de réconciliation au niveau
local. Ces efforts se sont souvent appuyés sur les
autorités traditionnelles et sur des mécanismes
traditionnels de réconciliation (voir par exemple le
rapport du Secrétaire général sur la MINURCAT
S/2009/359 - 14/07/2009, § 47).
Observations
487
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Dans la continuité de la MONUC, la
MONUSCO a vu sa section droits de
l'homme fusionnée avec le bureau pays
Lutte contre l'impunité : Conseils du Bureau
du HCDH. A noter également qu'au sein
conjoint des droits de l'homme (« Bureau
de ce Bureau conjoint a été créée une
conjoint ») aux autorités nationales pour la
« transitional justice and fight against
rédaction de la loi relative à la création de
chambres spécialisées et internationalisées pour les impunity unit ».
crimes graves commis entre mars 1993 et juin 2003. En l'absence de mesures de lustrations
S/RES/1925 (2010) ;
RDC / MONUSCO
JUIL-10 PRESENT
S/RES/2098 (2013) ;
S/RES/2147 (2014) ;
S/RES/2211 (2015)
OUI
prises par le gouvernement, malgré de
- Procès : Soutien du Bureau conjoint à
l'identification et au jugement, y compris en termes multiples appels de divers organes
onusiens de protection des droits de
de protection des victimes et des témoins,
l'Homme, la MONUSCO a adopté un
d'officiers responsables de graves violations des
protocole de « devoir de diligence ». Ce
droits de l'Homme.
protocole consiste en premier lieu à
Soutien et assistance aux actions de la CPI.
enquêter sur le personnel des forces de
Lustrations : Soutien de la MONUSCO et du HCDH à police et des forces armées nationales,
la création d'une force de réaction rapide au sein puis à retirer tout soutien opérationnel
des Forces Armées de RDC (FARDC), incluant un
aux unités comprenant des membres
programme d'enquêtes approfondies sur la
soupçonnés d'avoir été impliqués dans
participation des candidats à des violations des
des violations des droits de l'Homme.
droits de l'Homme.
Bien que sans lien direct avec la justice
Mécanismes traditionnels : Soutien de la
transitionnelle, le caractère inédit de la
MONUSCO aux initiatives locales de réconciliation à création d'une « brigade d'intervention »
travers, notamment, la mise en œuvre de
(S/RES/2098 (2013) § 9, 10 et 12(b)) ayant
mécanismes traditionnels de réconciliation.
une vocation offensive et un mandat de
neutralisation des groupes armés rebelles
doit être souligné.
488
PAYS / MISSION
SOUDAN DU SUD /
MINUSS / UNMISS
DATES DE
DEBUT - FIN
JUIL-11 PRESENT
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
S/RES/1996 (2011) ;
S/RES/2155 (2014)
OUI
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Si la MINUSS n'a pas eu de mandat
explicite en termes de justice
transitionnelle, la signature du
« Agreement on the resolution of the
conflict in the Republic of South Sudan »,
Mécanismes traditionnels : Réconciliation : en
le 17 août 2015 aurait pu intégrer cette
accord avec son mandat, la MINUSS a soutenu les tâche dans les objectifs de la mission. Le
efforts de « réconciliation intercommunautaire » chapitre V de l'accord prévoit en effet la
(S/RES/2155 - 27/05/2014, § 4(a)v.). Ces efforts se mise en place de plusieurs mécanismes de
sont notamment appuyés sur les autorités
justice transitionnelle (commission vérité,
traditionnelles sud-soudanaises (voir par exemple tribunal spécial et commission de
réparation), que la composante droits de
rapport du Secrétaire général, S/2011/678 l'homme de la MINUSS s'est engagée à
2/11/2011, § 80).
soutenir. L'absence de mise en œuvre de
ces dispositions par les autorités sudsoudanaises n'a toutefois pas permis à la
MINUSS de développer ses activités dans
ce domaine.
489
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Réconciliation : Soutien, en termes de
communication notamment, à la Commission
Dialogue et Réconciliation.
S/RES/2100 (2013) ;
MALI / MINUSMA
AVR-13 PRESENT
S/RES/2164 (2014) ;
S/RES/2227 (2015) ;
S/RES/2295 (2016)
OUI
Autorités traditionnelles : Appui aux initiatives
locales, conduites essentiellement par les autorités
traditionnelles, de promotion du dialogue et de la
réconciliation intercommunautaire.
Vérité : Conformément à son mandat (S/RES/2295,
§ 19(a)iii)), la MINUSMA a fourni un soutien
technique à la Commission Vérité, Justice et
Réconciliation (CVJR), incluant la formation de ses
membres.
Observations
490
PAYS / MISSION
DATES DE
DEBUT - FIN
RESOLUTIONS
CHAPITRE 7
S/RES/2149 (2014) ;
RCA / MINUSCA
AVR-14 PRESENT
S/RES/2217 (2015) ;
S/RES/2301 (2016)
OUI
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Lustration : Programmes de « vérification des
antécédents » (« vetting ») du personnel du secteur
de la sécurité (S/2015/227 - 10/4/2015, § 52). Appui
à la conduite d'un programme de « vérification
simplifiée » des antécédents des membres des
forces armées. « The simplified verification criteria
include non-affiliation with active armed groups and
non-violation of human rights and international
humanitarian law standards, but fall short of
international standards on vetting » (S/2015/918 - La MINUSCA présente un mandat inédit
en matière de justice transitionnelle. C'est
30/1/2015, § 54).
en effet la première fois qu'une OMP se
Lutte contre l'impunité : Soutien à la Cour Pénale
voit attribuer des tâches aussi précises
Spéciale (conseil à la rédaction du statut, sélection
dans ce domaine, telles qu'une mission
des membres, y compris internationaux, protection
claire de lustration des forces de sécurité,
des victimes et des témoins).
un appui explicite aux mécanismes de
- Soutien aux enquêtes et aux arrestations menées justice transitionnelle et un soutien
par les autorités nationales.
détaillé à la Cour Pénale Spéciale.
Vérité : Appui à la mise en place d'une Commission Il faut également noter que la MINUSCA a
Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation.
participé à l'organisation de plusieurs
consultations nationales portant sur la
Réconciliation : Soutien aux efforts locaux de
justice transitionnelle et sur les formes
réconciliation et organisation, en collaboration avec
que celle-ci prendrait en RCA.
le PNUD, le FCP et plusieurs ONG, de forums dédiés
à la réconciliation nationale (Forum de Bangui sur la
réconciliation nationale en avril et mai 2015).
- Soutien et conseils au Ministère de la
communication et de la réconciliation nationale
pour l'élaboration d'un « Plan d'urgence pour la
réconciliation nationale », visant notamment à
appuyer les processus de réconciliation et le
dialogue intercommunautaire.
491
Annexe III : Missions politiques spéciales et justice transitionnelle
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
HAÏTI
MICIVIH
BURUNDI
BNUB / UNOB
FEVR.-93 /
PRESENT
NOV-93 /
MAI-04
A/RES/47/20B
(1993).
S/26757 16/11/1993
(NOTE DU
PRESIDENT DU
CS) ;
S/2001/1207 14/12/2001
(LETTRE DU
PRESIDENT CS).
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Première opération conjointe
ONU/OEA, en parallèle d'une
mission ONU.
Aucun, le rapport d'experts des droits
de l'homme, souligne toutefois
l'inclusion dans le mandat de la
MICIVIH du traitement des crimes
passés, mais note également que ce
travail nécessitera l'élaboration
préalable d'une infrastructure
institutionnelle solide (A/47/908 23/03/1993, § 48-49).
Vérité : Assistance de la MICIVIH au
travail de la Commission Nationale
Vérité et Justice (CNVJ) (choix de trois
commissaires sur sept en consultation
avec l'OEA).
Aucun
Le BNUB a œuvré comme facilitateur
des négociations ayant menées à
l'accord d'Arusha pour la paix et la
réconciliation du 28 août 2000, qui
prévoit plusieurs mécanismes de justice
transitionnelle. Le BNUB a également eu
pour tâche de fournir des conseils aux
autorités nationales ainsi qu'aux
diverses composantes de l'ONU sur
place pour la mise en œuvre de
l'Accord.
La MICIVIH aurait rejeté les appels
des autorités haïtiennes requérant
son aide pour le travail de la CNVJ et
le suivi de ses recommandations, au
motif que ces tâches dépassaient le
mandat lui ayant été attribué. La
majorité de l'assistance fournie par
la mission à la CNVJ, notamment en
termes de personnel, serait venue
de l'OEA.
492
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Réparations : Vérification des
dispositions liées à l'indemnisation des
victimes contenues dans l'accord
général relatif aux droits de l'homme
de 1994. La MINUGUA a ainsi contrôlé
et conseillé le gouvernement quant à
la définition de la victime ainsi qu'aux
bénéficiaires des réparations.
GUATEMALA/
NOV.-94
MINUGUA
/ DEC.-04
A/RES/48/267
(1994).
Lutte contre l'impunité : Soutien au
procureur général et contrôle de
l'activité des tribunaux pénaux dans le
jugement des crimes commis pendant
le conflit civil ainsi que depuis la
signature de l'accord de paix.
Vérité : Suivi, en tant que superviseur
de l'« Agreement on the
Establishment of the Commission to
Clarify Past Human Rights Violations
and Acts of Violence that have Caused
Guatemalan Population to Suffer »
(accord établissant la CEH), du travail
de la CEH et de son indépendance,
ainsi que de la diffusion de son
rapport. La MINUGUA a également
contrôlé, sans pouvoir de sanction, la
mise en œuvre des recommandations
de la CEH exposées dans son rapport.
Vérité / Lutte contre l'impunité : Suivi
de l'implémentation des
recommandations de la CEH y compris
en matière de procédures judiciaires
dans cas de violations des droits de
l'homme identifiées par CEH.
Observations
493
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
SALVADOR
MAI-95 /
MINUSAL
MAI-96
SOMALIE
JUIN-95 /
UNPOS
AVR-13
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/1995/144 17/02/1995,
(LETTRE DU
PRESIDENT SC
AU SG).
S/PRST/1995/
15 - 6/04/1995
(DECLARATION
DU PRESIDENT
DU CS).
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Aucun
Lustrations : Soutien aux efforts de
« sélection et [d]'installation de juges »
(« screening and vetting ») de la Cour
Suprême (rapport du Secrétaire général,
A/50/517 - 6/10/1995, § 14).
Aucun
Lustrations : Soutien aux programmes
de lustration menés, principalement,
par la Mission de l'Union Africaine en
Somalie (AMISOM). Ces programmes
ont concerné une large partie des
membres de l'administration et du
corps politique, de la police aux
députés.
Observations
Le Bureau politique des Nations
Unies en Somalie a connu des
débuts extrêmement difficiles, dus à
une situation sécuritaire des plus
instables. Installé à Nairobi pour
questions de sécurité, le Bureau n'a
pu réinstauré son siège à
Mogadiscio qu'en janvier 2012.
Bien qu'ayant développé de
nombreux efforts pour promouvoir
la réconciliation nationale, y compris
à travers l'implication dans le
dialogue nationale des chefs
traditionnels, la portée de ces
initiatives en termes de justice
transitionnelle n'est pas claire,
raison pour laquelle elles
n'apparaissent pas ici.
494
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
NOV.-97
LIBERIA
BANUL/UNOL
SEPT.-03
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/1997/712 12/09/1997
(RAPPORT DU
SG) ;
S/PRST/2002/
36 13/12/2002 ;
S/2003/468 23/04/2003
(ECHANGE DE
LETTRES).
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Aucun
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Non renseigné
Le BANUL a été le premier bureau
d'appui à la consolidation de la paix.
Si les actions concrètes menées par
le Bureau n'ont pas pu être
analysées, il est à noter que son
mandat incluait « Promoting
national reconciliation and
resolution of the conflict, including
through support for initiatives on the
ground » (S/PRST/2002/36, p.3).
Il est également à noter que les
activités du BANUL ont été
fortement perturbées par les
violences en cours au Libéria.
495
PAYS
/MISSION
AFRIQUE DE
L’OUEST/
UNOWA
DEBUT / FIN
NOV-01
/
JUIN-16
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/2001/1129 29/11/2001 ;
S/2007/754 21/12/2007
(LETTRE DU
PRESIDENT SC
AU SG).
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : « Undertake studies, organize
forums and seminars and help develop
practical and concerted strategies for
addressing current and emerging
issues, including the subregional
dimensions of youth unemployment,
fast growing urbanization, security
sector reform, transitional justice (...) »
(S/2007/753, annexe).
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : Soutien, conseil et coordination
en matière de justice transitionnelle aux
pays de la région ainsi qu'à toutes les
institutions et organisations
(institutions onusiennes, ONG,
organisations régionales et sousrégionales, notamment CEDEAO…)
œuvrant dans la région.
Observations
Bien que l'UNOWA ne conduise pas
de projets en matière de justice
transitionnelle, il œuvre dans ce
domaine. Son mandat,
essentiellement basé sur les bons
offices et la coordination interinstitutionnelle, ne lui permet pas
d'agir directement dans ce domaine.
En revanche, ses activités de conseil
et de bons offices sont nombreuses
et considérées comme efficaces.
Citons le soutien à la mise en place
de la CVJR en Guinée Conakry,
l'organisation de la conférence de
Bamako sur l'impunité, la justice et
les droits de l'homme, en 2011,
suivie de l'adoption de la déclaration
de Bamako, participant à l'adhésion
de l'ensemble des acteurs régionaux
à une vision commune, y compris en
matière de justice transitionnelle.
L'UNOWA a été la première mission
politique régionale de l'ONU.
En juin 2016, l'UNOWA fusionne
avec le Bureau de l'Envoyée Spéciale
pour le Sahel (OSES) et devient le
Bureau des Nations Unies pour
l'Afrique de l'Ouest et le Sahel
(UNOWAS).
496
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : La MANUA s'est vue attribuer
la tâche d'« Offrir leurs bons offices
pour appuyer, à la demande du
Gouvernement afghan, la mise en
œuvre de programmes de
réconciliation menés par les Afghans »
(S/RES/1868, § 4.d)), ainsi que
d'« Appuyer et renforcer les efforts
entrepris pour améliorer la
gouvernance et l’état de droit,
notamment la justice en période de
transition » (S/RES/1917, § 6.b)).
S/RES/1401
(2002);
AFGHANISTAN
MANUA /
UNAMA
MARS-02 /
PRESENT
S/RES/1868
(2009) ;
S/RES/1917
(2010) .
Lustration : La MANUA a été chargée
de soutenir les autorités afghane à
mettre en œuvre le Afghan Peace and
Reintegration Program (APRP). Ce
programme prévoit, entre autres des
mesures de démobilisation et de
réintégration des anciens insurgés, au
travers, notamment, des procédures
de lustration. Le rôle de l'UNAMA se
limite à une mission de conseil au sein
du Secrétariat conjoint établi dans le
cadre de l'APRP
Amnistie : L'APRP prévoit des mesures
d'amnisties pour les anciens insurgés,
après étude au cas par cas. Le rôle de
la MANUA se limite à une mission de
conseil au sein du Secrétariat conjoint
établi dans le cadre de l'APRP.
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : Lobbying auprès du
gouvernement afghan pour
l'élaboration d'un plan d'action sur la JT.
Organisation et participation à plusieurs
conférences portant sur ce thème et
soutien au travail de la Commission
indépendant des droits de l'homme en
Afghanistan (AIHRC), au travers du
soutien aux propositions concernant la
JT comprises dans son rapport « A call
for justice ».
-Organisation du « Afghan's people
dialogue for peace », une série
d'événements regroupant des membres
de la société civile et de l'AIHRC autour
des questions de réconciliation et de
justice transitionnelle.
Vérité : Soutien à l'AIHRC, chargée de
recueillir des informations sur les
violations des droits de l'Homme
commises dans le passé.
Lustration : Conseil aux autorités
afghanes pour la sélection des
candidats aux hautes fonctions de la
police nationale afghane. « The
selection process included vetting to
exclude human rights violators »
(A/60/712–S/2006/145 - 7/03/2006,
§ 16). Formulation de propositions
auprès du gouvernement afghan pour
l'évaluation des candidats au
programme de réintégration.
Observations
497
PAYS
/MISSION
IRAK
/ MANUI /
UNAMI
TIMOR LESTE
/ BUNUTIL /
UNOTIL
DEBUT / FIN
AOUT-03 /
PRESENT
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/RES/1500
(2003) ;
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Aucun
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : Conseil et lobbying auprès des
autorités pour l'adoption d'une
stratégie en matière de justice
transitionnelle. Cette tâche a impliqué
plusieurs conférences et journées
d'études portant, entre autres, sur la
justice transitionnelle.
Vérité : Soutien à la création du Centre
national pour les personnes disparues
en Irak, visant à venir en aide aux
proches des disparus et à identifier les
corps retrouvés.
AVR-05 /
AOUT-06
S/RES/1599 28/04/2005
Aucun
Vérité : Assistance à la CAVR pour la
rédaction et la publication du rapport
final.
Observations
La quasi-totalité des mesures de
justice transitionnelle adoptées en
Irak a été développée et mise en
place par l'Autorité Provisoire de la
Coalition ( Coalition Provisional
Authority, CPA), sans consultation
avec l'ONU.
498
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Lutte contre l'impunité : Soutien
logistique au TSSL.
SIERRA LEONE
/ BINUSIL UNIOSIL
AOUT-05
/ AOUT-08
S/RES/1620
(2005)
Global : i) Renforcer les capacités des
institutions publiques, afin qu’elles
puissent continuer de s’attaquer aux
causes profondes du conflit
(S/RES/1620).
Lutte contre l’impunité : d) Assurer la
coordination avec le Tribunal spécial
pour la Sierra Leone (S/RES/1620).
Vérité : Efforts de diffusion des
conclusions de la Commission Vérité et
Réconciliation (CVR) et soutien à la
Commission Nationale des Droits de
l'Homme pour la création d'un
organisme de suivi de la mise en œuvre
des recommandations de la CVR
(« Recommendations matrix »).
-Responsabilités en termes de
protection des données accumulées par
la CVR, notamment contre leur
utilisation dans le cadre de procès
menés par le TSSL.
Réparations : Appui fourni aux autorités
pour et promotion de la création du
fond de réparations aux victimes, tel
que recommandé par la CVR.
Le BINUSIL est considéré comme un
succès en termes de transition entre
différentes opérations de paix de
l'ONU. Il est également le premier
bureau de consolidation de la paix à
avoir travaillé en collaboration avec
la Commission de Consolidation de
la Paix.
499
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
BURUNDI
JANV.-07
/
/
BINUB
DEC.-10
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/RES/1719
(2006)
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : « Soutenir les efforts
entrepris pour lutter contre
l’impunité, en particulier grâce à la
mise en place de mécanismes de
justice transitionnelle, notamment
une commission vérité et
réconciliation et un tribunal spécial »
(S/RES/1719 , § 2 (j)).
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Lutte contre l'impunité : Soutien à la
création d'un Tribunal spécial,
notamment au travers de consultations
nationales mises en œuvre en
décembre 2009. Ces consultations ont
été encadrées par un comité directeur
tripartite, dont le BINUB était membre.
Le BINUB a participé à la formation des
membres de ce comité ainsi qu'à des
campagnes d'information et de
sensibilisation du public en préparation
des consultations nationales. Il a
également participé aux consultations
en elle même.
Le BINUB a été le premier bureau
d'appui à la consolidation de la paix
ayant un mandat explicite en
matière de justice transitionnelle. Il
a été également le premier a
fonctionner selon les principes du
« unis dans l'action » (« deliver as
one »), la nouvelle structure de la
consolidation de la paix selon
laquelle l'ensemble des organismes
de l'ONU présents dans un pays
travaillent de façon coordonnée,
sous la direction d'un Représentant
Exécutif du Secrétaire Général
(ERSG) commun. Cette structure a
été à l'origine de nombreux
problèmes, notamment en termes
d'une inadéquation sérieuse des
ressources humaines et financières
de la mission et du ERSG au regard
de leurs tâches.
Vérité : Soutien à la création d'une
commission vérité et réconciliation,
notamment au travers de consultations
nationales (voir ci-dessus).
Les mauvaises relations entretenues
entre le BINUB et les autorités
burundaises ont également nuit au
travail du Bureau.
500
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
NEPAL
JANV.-07
/
/
MINUN / UNMIN
JANV.-11
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/RES/1740
(2007)
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Aucun
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Vérité : Soutien aux actions du HCDH Népal en vue de préparer la mise en
place de la Commission Vérité et
Réconciliation, telle que prévue par le
Comprehensive Peace Agreement de
2006. Cette action a essentiellement
consisté en l'organisation de
conférences ainsi qu'en la
communication autour des standards
internationaux applicables à ce type de
commissions.
La MINUN est reconnue comme une
opération inédite sous plusieurs
aspects. Elle se place notamment à
la limite entre une opération de
maintien de la paix et une mission
politique, à la fois par son mandat
restreint et par la relative
importance de ses effectifs. Son
mandat ne lui permettant que peu
de liberté d'action, notamment par
l'absence de compétence en termes
de bons offices, c'est le bureau
népalais du HCDH qui a conduit les
actions liées à la justice
transitionnelle, en lien avec les
institutions onusiennes membres de
l'équipe pays de l'ONU au Népal.
501
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
SIERRA LEONE /
AOUT-08
BINUCSIL UNIPSIL
/
MARS-14
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/RES/1829
(2008)
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Aucun
Réparations : Dans le cadre du suivi des
recommandations de la Commission
Vérité et Réconciliation (CVR), le
BINUCSIL a soutenu, en collaboration
avec le Fonds des Nations Unies pour la
Consolidation de la Paix (FCP) les efforts
nationaux visant à mettre en œuvre un
programme de réparations aux victimes
du conflit.
Le BINUCSIL a été le second bureau
d'appui à la consolidation de la paix,
près le BINUB, à appliquer la
politique « unis dans l'action » du
Secrétaire général et à travailler
avec la CCP. Contrairement au
BINUB cette structure unifiée a
semblé bénéficier grandement au
Bureau et à ses actions.
502
PAYS
/MISSION
GUNEE BISSAU
/
BINUGBIS /
UNIOGBIS
DEBUT / FIN
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Lustration : La Mission a assisté et
conseillé le ministre de l'intérieur pour
la mise en place d'un processus « de
contrôle de sécurité » (« vetting ») de la
police (S/2010/335 - 24/06/2010, § 25).
JUIN-09
/
PRESENT
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
S/RES/1876
(2009)
Aucun
- Ce même processus a été conduit pour
diverses institutions liées à la sécurité,
tels que la douane, les pompiers, les
services d'immigration et les services de
renseignement.
- Le processus de lustration a également
été appliqué aux forces de défense.
Observations
Malgré plusieurs incitations de la
part du Conseil de sécurité
(S/RES/2013 (2013)) et du Secrétaire
général, les autorités de la Guinée
Bissau n'ont pas mené de
programme de justice
transitionnelle, ayant plutôt optées
pour l'adoption d'une loi d'amnistie.
503
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Observations
Aucune
Le volet justice transitionnelle du
mandat du BINUCA paraît assez
étrange, dans la mesure ou aucune
mesure de ce type n'était appelée à
être mise en place et que ce volet
n'apparaît dans aucun document
portant sur le Bureau (rapports du
Secrétaire général, procès verbaux
de sessions du CS...). L'intégration
du BINUCA au sein de la MINUSCA
quelques mois après l'extension de
son mandat n'a pas donné au
Bureau l'occasion de conduire des
activités dans ce nouveau volet.
Global : « Aider à renforcer les
capacités de l’appareil judiciaire, y
compris les mécanismes de justice
transitionnelle, et des institutions
nationales de défense des droits de
l’homme, et contribuer aux efforts de
réconciliation nationale »
(S/RES/2121, § 10(d)) ;
RCA
JANV-10
/
/
BINUCA
AVR-14
S/PRST/2009/
5 - 7/04/2009 ;
S/RES/2121
(2013)
- « Concourir aux efforts de
réconciliation, tant aux niveaux
national que local, notamment à la
faveur du dialogue interconfessionnel
et de mécanismes vérité et
réconciliation, de concert avec les
autorités de transition et les organes
régionaux compétents » (S/RES/2134,
§ 2 (a)).
Lustration : « Souligne qu’il importe
d’élaborer et de mettre en œuvre (...)
des programmes de réforme du
secteur de la sécurité, assortis
notamment de procédures de
vérification appropriées »
(S/RES/2121, § 17).
504
PAYS
/MISSION
DEBUT / FIN
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : « Appuyer la lutte contre
l’impunité, notamment par la mise en
place de mécanismes de justice
transitionnelle, afin de renforcer
l’unité nationale, de promouvoir la
justice et de favoriser la réconciliation
au sein de la société burundaise, et
fournir à ces mécanismes un appui
opérationnel » (S/RES/1959, § 3(c)) ;
BURUNDI
/
BNUB
JANV.-11 /
DEC.-14
S/RES/1959
(2010) ;
S/RES/2090
(2013)
Vérité : « Demande au Gouvernement
burundais de collaborer avec les
partenaires internationaux et le BNUB
à la mise en place de mécanismes de
justice transitionnelle, y compris une
Commission Vérité et réconciliation
crédible et consensuelle, qui aidera à
promouvoir une réconciliation
effective de tous les Burundais et la
paix durable au Burundi »
(S/RES/2090, § 8)
Lustration : « Souligne l’importance
de la réforme du secteur de la sécurité
et demande instamment à tous les
partenaires internationaux de
continuer, de concert avec le BNUB, à
aider le Gouvernement burundais à
professionnaliser les services
nationaux de sécurité et de police et
renforcer leurs capacités, en
particulier dans les domaines du suivi
des violations des droits de l’homme »
(S/RES/2090, § 11).
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : Formation et sensibilisation à la
justice transitionnelle, notamment au
travers l'organisation de journées
d'étude sur le sujet, impliquant les
décideurs politique et la société civile.
Observations
L'action du BNUB, ainsi que celle des
Nations Unies en général, au
Burundi, a été beaucoup critiquée
pour son laxisme et son manque
d'attention envers l'inclusion de la
population et de la société civile
-Création du « Forum National des
dans la définition et la mise en
Relais Communautaire en Justice de
œuvre des mesures de justice
Transition » (FONAREC/JT), chargé de
transitionnelle. L'action du BNUB, et
former des
des autres opérations de l'ONU
Vérité : Soutien, notamment en termes
avant lui, a en effet été
d'expertise, au comité technique
sérieusement entravée par un
nommé par la présidence burundaise en
manque de coopération des
vue de préparer la mise en place de la
autorités burundaises, notamment
Commission Vérité et Réconciliation
au sein de l'exécutif.
(CVR).
Le BNUB est la première mission
- Soutien à la rédaction du statut de la
politique à avoir inclus une division
CVR, notamment par la transmission de
spécifique pour la justice
commentaires portant sur le projet de
transitionnelle.
loi.
505
PAYS
/MISSION
LIBYE
MANUL /
UNSMIL
DEBUT / FIN
SEPT-11
PRESENT
RESOLUTIONS /
DOCUMENTS
S/RES/2009
(2011) ;
S/RES/2040
(2012) ;
S/RES/2144
(2014)
Mandat dans le domaine de la justice
transitionnelle
Actions dans le domaine de la justice
transitionnelle
Global : promotion et conseil en
matière de justice transitionnelle. La
division Droits de l'homme, justice
Global : « la MANUL sera mandatée
transitionnelle et état de droit a publié
pour épauler et soutenir les efforts
un rapport précisant le potentiel de la
faits par la Libye afin de :
justice transitionnelle en Libye
(,,,) d) Défendre et protéger les droits
(« Transitional Justice : Foundation for a
de l’homme, notamment ceux des
new Libya » septembre 2012), a
personnes appartenant à des groupes
organisé une conférence sur la justice et
vulnérables, et soutenir la justice
la réconciliation regroupant des
transitionnelle » (S/RES/2009, § 12 d)).
membres de la société civile libyenne et
-La MANUL a pour mandat d'aider les
cherchant à établir les attentes de ces
autorités libyennes « à arrêter et
acteurs dans ce domaine (décembre
mettre en œuvre une stratégie globale 2012) et a fourni aux autorités
de justice transitionnelle »
libyennes des commentaires et des
(S/RES/2040, § 6. b)).
conseils pour la rédaction de la loi de
justice transitionnelle adoptée le
- La MANUL a pour mandat d'aider
« le Gouvernement libyen à garantir à 2/12/2013 (Loi 29/2013).
tous les détenus, y compris les
Lustration : Conseil auprès du Congrès
enfants, un traitement humain et
pour l'adoption de la loi sur l'isolation
respectueux de la légalité, à donner
politique et administrative (« Political
pleinement application à sa loi de
and Administrative Isolation Law »). La
justice transitionnelle et à opérer des
division justice transitionnelle a critiqué
réformes et à bâtir une justice
l'adoption de cette loi comme ne
indépendante et des institutions
correspondant pas aux standards
policières et pénitentiaires
internationaux en matière de lustration.
transparentes et responsables »
Vérité : Soutien au Parlement pour la
(S/RES/2144, § 6. b)).
désignation des membres de la
Commission d'établissement des faits et
de Réconciliation. Soutien également au
travail des membres de la Commission.
Observations
Déployée dans un contexte
sécuritaire très instable, la MANUL a
peiné à mener à bien son mandat. La
reprise des combats en 2014 a
d'ailleurs mené au délaissement de
l'aspect justice transitionnelle du
mandat de la MANUL, qui n'apparaît
plus dans les résolutions du Conseil
de sécurité.
Le choix d'une opération politique
spéciale intégrée attribuant une
grande importance à
« l'appropriation nationale » a
également cantonné la MANUL a un
rôle de conseil et
d'accompagnement, tributaire
d'autorités nationales peu promptes
à mettre en œuvre une stratégie de
justice transitionnelle efficace.
507
Annexe IV : Synthèse de l’action des opérations de paix 1482 dans le domainee de
d la justice
transitionnelle
Synthèse globale :
Opérations de paix et justice transitionnelle
elle (1990-2018)
55
(60%)
Opérations avec justice
transitionnelle
37
(40%)
Opérations de paix sans
justice transitionnelle
Synthèse par période :
1990-1999
12
(24%)
38
(76%)
1482
2000-2009
Opérations avec
justice
transitionnelle
Opérations sans
justice
transitionnelle
10
(38%)
16
(62%)
2010-2018
Opérations avec
justice
transitionnelle
Opérations sans
justice
transitionnelle
Opérations avec
justice
transitionnelle
7 (44%)
(44%
9 (56%)
Opérations sans
justice
transitionnelle
Ces graphiques regroupent les actions menées par l’ensemble de
des opérations de maintien de la paix et des missions politiques spéciales créé
réées ou en activité à partir de 1990.
509
Annexe V : Bureaux-pays du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et justice transitionnelle
PAYS
DATES DE DEBUT
/ FIN.
BOLIVIE
2007 / PRESENT
Actions menées
Réparations : Conseils pour l'élaboration de la loi permettant l'octroi de réparations aux victimes des violations des droits de
l'Homme.
Lutte contre l'impunité : Soutien à la Chambre spéciale pour crimes de guerre de la Cour suprême de Bosnie-Herzégovine. Ce
soutien a visé, entre autre, à faciliter le jugement par la Bosnie-Herzégovine des affaires transmises par le TPIY.
- Formations auprès de la société civile sur les questions de protection des témoins dans le cadre des procès pour crimes de
guerre.
BOSNIEHERZEGOVINE
1994 / 2007
- Conseils pour la révision de la loi relative à la protection des témoins vulnérables ou en danger.
-Conseil et soutien aux victimes participant aux procès pour les crimes commis durant le conflit.
Réparations : Soutien aux victimes du conflit et promotion et conseils pour la révision du cadre légal lié à la protection sociale de
ces victimes.
Lustration : Soutien aux autorités nationales pour la mise en conformité des procédures de lustration de la police nationale
menées par la MINUBH avec les normes de droits de l'Homme, notamment liées au procès équitable.
CAMBODGE
1993 / PRESENT
Lutte contre l’impunité : Suivi du travail des Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC) et efforts pour
optimiser les retombées positives de la juridiction hybride sur le système judiciaire national, notamment à travers l'établissement
et la promotion de bonnes pratiques.
510
PAYS
DATES DE DEBUT
/ FIN.
Actions menées
Global : Promotion de la justice transitionnelle par le biais de conférences et journée d'étude.
Lutte contre l'impunité : Conseils et assistance technique pour la mise en œuvre de la loi Justice et paix. Adoptée en 2005, cette
loi prévoit la mise en place de poursuites pénales pour les crimes commis pendant le conflit civil, des réparations aux victimes
ainsi que des peines allégées pour les combattants démobilisés et ayant reconnu leur implication dans des violations des droits de
l'Homme.
COLOMBIE
1997 / PRESENT
- Promotion et soutien pour l'amendement de la loi Justice et Paix de Colombie.
Lustration : Le HCDH Colombie a fourni des conseils et de l'assistance technique à la Cour suprême pour le programme de
poursuites des membres du Congrès ayant entretenu des liens avec des groupes paramilitaires illégaux.
Réparations : Promotion des standards internationaux, conseil et assistance technique pour l'élaboration de la loi sur les victimes
et la restitution des terres, visant à indemniser les victimes du conflit, y compris en termes de restitution des terres. La loi a été
adoptée en juin 2011. Le HCDH a facilité le dialogue entre les institutions créées par cette loi et les victimes.
CROATIE
1993 / 2002
Lutte contre l'impunité : Formation des juges et procureurs et organisation de séminaires pour l'information, la sensibilisation et
la partage d'expériences dans le domaine de la poursuite des crimes de guerre.
511
PAYS
DATES DE DEBUT
/ FIN.
Actions menées
Global : Promotion, auprès de la société civile, de la justice transitionnelle notamment au travers de conférences et de
publications d'articles et de communiqués de presse.
- Soutien au programme de soutien à la justice transitionnelle (PAJUST) du PNUD, conduit en collaboration avec le Fonds de
consolidation de la paix (programme de consolidation du droit à la vérité, de la justice, des réparations et des garanties de non
répétition).
- Assistance fournie au centre de formation juridique sur une multitude de domaines, dont la justice transitionnelle, intégrée au
cursus.
GUATEMALA
2006 / PRESENT
Lutte contre l'impunité : Formation des procureurs nationaux sur les questions de protection des témoins et de poursuites des
cas de disparitions forcées, en lien avec le conflit armé.
Réparations : Conseils et assistance technique au programme national de compensations.
Vérité : Soutien aux efforts de lobbying de la société civile en faveur de l'adoption de la loi sur la recherche nationale des victimes
de disparitions forcées et du programme national de réparations.
- Assistance technique auprès du Congrès pour la création de la Commission nationale de recherche des victimes de disparition
forcée.
Global : Promotion et assistance technique pour l'élaboration d'une stratégie en matière de justice transitionnelle.
- Assistance technique à la Commission pour la réconciliation nationale, chargé d'établir les priorités et les demandes en matière
de justice transitionnelle.
GUINEE
2010 / PRESENT
- Assistance technique à l'élaboration des consultations nationales sur la réconciliation nationale, chargées d'évaluer les attentes
nationales en termes de justice transitionnelle.
Vérité : Promotion et assistance technique pour la mise en place d'une commission vérité, justice et réconciliation, comme
recommandé par la Commission internationale d'enquête.
512
PAYS
DATES DE DEBUT
/ FIN.
Actions menées
Global : Promotion de la justice transitionnelle auprès du grand public et de la société civile. Soutien aux initiatives de la société
civile en termes de réflexion sur la justice transitionnelle au Kosovo.
Lustration : Conseils à la MINUK pour les régulations portant sur la lustration des juges et procureurs.
KOSOVO
2007 / 2015
Lutte contre l'impunité : Promotion pour la création du Panel consultatif relatif aux droits de l'homme, chargé de recueillir les
plaintes dirigées contre le personnel de la MINUK. Par la suite, le bureau du HCDH au Kosovo a effectué un travail de soutien des
activités du panel et de promotion de son travail auprès du public.
Vérité et réconciliation : Participation à la création, par les autorités du Kosovo et avec l'implication active de membres de la
société civile, du Groupe de travail sur le traitement du passé et la réconciliation, chargé d'étudier la possibilité d'instauration de
mécanismes de justice transitionnelle.
MAURITANIE
MEXIQUE
2010 / PRESENT
2002 / PRESENT
Global : Promotion de l'instauration de mécanismes de justice transitionnelle pour le traitement de la période dite du « passif
humanitaire », notamment au travers l'organisation de consultations nationales (2011) et d'un séminaire sur la justice
transitionnelle (2013). Aucun mécanisme n'a finalement été mis en place.
Global : Promotion, conseil et assistance technique pour l'élaboration, l'adoption et la mise en œuvre de la « Loi générale pour les
victimes », adoptée en 2012. Cette loi vise à faciliter et garantir l'accès des victimes de violation des droits de l'homme passées,
présentes et futures, en lien avec la guerre contre le narcotrafic ou toute autre circonstance, à la justice, à la vérité, aux
réparations pécuniaires et symboliques ainsi qu'à des garanties de non répétition. Le texte est ouvertement inspiré de
l'expérience colombienne.
Vérité et réparation : Promotion et conseils pour l'élaboration de la loi sur les disparitions forcées, notamment la création d'un
programme chargé de rechercher les personnes disparues ainsi que des mesures facilitant l'obtention d'un certificat de
disparition pour les proches des personnes disparues.
513
PAYS
DATES DE DEBUT
/ FIN.
Actions menées
Global : Organisation de groupes de travail pour la formation de membres de la société civile et de partenaires du gouvernement
dans divers domaines, dont la justice transitionnelle.
Vérité : Le HCDH a commenté le projet de statut de la Commission vérité et réconciliation, prévue par l'accord de paix de 2006.
Les critiques du HCDH ont notamment concerné l'indépendance de la Commission, notamment au travers de la sélection de ses
membres ainsi que la possibilité pour la Commission d'accorder des amnisties, y compris pour des crimes internationaux. Le
manque de consultation préalable avec la population a également fait l'objet de critiques, le HCDH ayant proposé son aide pour
l'organisation de consultations nationales.
- Le HCDH a soutenu les efforts du gouvernement et a fourni des commentaires sur le projet de loi relatif à la création de la
commission d'enquête sur les disparitions forcées.
NEPAL
2005 / 2012
Réparations : Promotion de l'inclusion de mesures de réparations au sein ou en parallèle des commissions vérité et réconciliation
et d'enquête sur les disparitions forcées.
Lustrations : Soutien aux mesures de lustration adoptées par le gouvernement vis-à-vis de l'armée népalaise. Le HCDH a
également milité pour exclure des opérations de maintien de la paix de l'ONU (le Népal figurant parmi les plus importants
contributeurs de troupes de ces opérations) les éléments des forces de sécurité népalaises à l'égard desquels existaient des
soupçons crédibles d'implication dans des violations des droits de l'Homme.
Lutte contre l'impunité : Le HCDH a fortement critiqué, en collaboration avec la Commission nationale des droits de l'homme au
Népal, l'abandon par le gouvernement de poursuites pénales à l'encontre de responsables politique. Ces abandons étaient
officiellement effectués en conformité avec l'accord de paix, prévoyant l'abandon des « political accusations, claims, complaints
and cases under-consideration ». La Commission nationale des droits de l'homme et le HCDH ont contesté le caractère politique
des affaires concernées par l'abandon des poursuites.
514
PAYS
DATES DE DEBUT
/ FIN.
Actions menées
Global : Conseil et transmission de propositions pour l'inclusion de mécanismes de justice transitionnelle dans les accords de paix.
- Organisation de consultations nationales en 2007, visant à déterminer et faire connaître les attentes de la population en termes
de justice transitionnelle.
OUGANDA
2005 / PRESENT
- Conseils et commentaires sur le projet de loi sur la justice transitionnelle.
Réparations : Promotion, auprès du groupe gouvernemental sur la justice, la loi et l'ordre, de l'inclusion des réparations au sein
de la réflexion sur l'établissement d'une stratégie de justice transitionnelle.
Amnistie : Consultations, conseils et promotion d'une modification de la loi d'amnistie générale adoptée en 2000. La loi a été
révisée en 2012 pour exclure l'amnistie générale, qui a ensuite été réintégrée dans la loi en 2013.
RFY / SERBIE-ETMONTENEGRO
1996 / 2007
Lutte contre l'impunité : Promotion des poursuites pénales et du respect par celles-ci des droits de l'homme pour les cas de
crimes de guerre.
TOGO
2006 / 2015
Vérité : Soutien à l'élaboration de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), notamment au travers de l'organisation
de consultations nationales sensées déterminer la forme et les modalités de fonctionnement de la future CVJR.
Global : Conseils techniques aux premières commissions établies en 2011 pour l'établissement des faits et pour les réparations.
- Promotion de la justice transitionnelle auprès de la société civile et des victimes au travers l'organisation de multiples
conférences et séminaires.
TUNISIE
2011 / PRESENT
- Participation et soutien technique pour l'organisation des consultations nationales organisées en 2012 pour déterminer les
attentes de la population en termes de justice transitionnelle.
- Soutien technique et conseils fournis au ministère des droits de l'homme et de la justice transitionnelle pour l'élaboration de la
loi sur la réconciliation et la justice transitionnelle. Le HCDH a fourni des commentaires détaillés sur cette loi ainsi que sur
l'Instance Vérité et Dignité (IVD) qu'elle prévoit. Le HCDH a également fourni des commentaires sur les programmes de lustration
prévus en Tunisie.
- Formation des membres de l'IVD et soutien technique et financier, en collaboration avec le PNUD, à son travail.
515
PAYS
DATES DE DEBUT
/ FIN.
Actions menées
Global : Conseils et commentaires sur le projet de loi sur la réconciliation et la justice transitionnelle.
YEMEN
2012 / PRESENT
Vérité : Promotion de l'établissement d'une commission nationale d'enquête et d'une commission vérité et réconciliation.
Réparations : Soutien technique aux commissions nationales sur les questions de restitution des terres ainsi que sur la question
des licenciements abusifs. Formation des membres de ces commissions.
516
517
INDEX THÉMATIQUE
(Les numéros renvoient au paragraphes)
A
C
Accords de paix : 40 ; 115 ; 145 ; 218 ;
Commissions vérité : 30 ; 80-82 ; 90-91 ;
238 ; 249 ; 345
144 ; 157 ; 159 ; 166 ; 195-196 ; 260-264 ;
Administrations transitoires : 113 ; 237 ;
273-274 ; 282-303 ; 343-348 ; 380 ; 519-
366 ; 502 ; 532
523
− ATNUTO
: 91 ; 114 ; 295-298 ; 345 ;
Conseil de sécurité :
366 ; 375 ; 502 ; 532
− MINUK
− Approche
: 91 ; 341 ; 435 ; 502 ; 509 ;
et pratique de la justice
transitionnelle : 2 ; 96 ; 166 ; 170 ;
532 ; 545 ; 547-550
253-254 ; 287 ; 356 ; 365-366 ; 369 ;
387 ; 422-435 ; 449 ; 464 ; 509-511
Amnisties : 115 ; 123 ; 145 ; 186 ; 188 ;
218-219 ; 224 ; 233 ; 244 ; 250
− Rôle
normatif : 211 ; 213 ; 236-247 ;
509-511
Appropriation nationale : 362 ; 370 ; 476
Conseil des droits de l’homme : 2 ; 97 ;
Assemblée générale : 74 ; 87 ; 95 ; 152 ;
449
207 ; 214-215 ; 243 ; 253 ; 445 ; 518
Consultations nationales : 367-372
B
Bosnie-Herzégovine : 260 ; 305 ; 335 ;
401 ; 502
Bureaux-pays du Haut-Commissariat
aux droits de l’homme : 47-48 ; 151 ;
Côte d’Ivoire : 196 ; 302 ; 520
D
Darfour : 299 ; 511
Démocratie : 13 ; 63 ; 70-91
250 ; 354 ; 489
Département des affaires politiques :
Burundi : 150 ; 238 ; 299 ; 368 ; 369
44 ; 462 ; 468-469
Département des opérations de maintien
de la paix : 36 ; 462 ; 468-469
518
Disparitions forcées : 126 ; 129 ; 202-203
Dispositif de consolidation de la paix :
Holiste (approche) : 106 ; 120-122 ; 134136 ; 154 ; 282 ; 304 ; 388 ; 391 ; 445
370 ; 474-479
I
Droit international humanitaire : 499 ;
Immunités : 186 ; 225-226 ; 297 ; 507 ;
529 ; 533
509-512 ; 516 ; 522
Droits de l’Homme : 97 ; 102 ; 19 ; 195-
Îles Salomon : 196 ; 302
196 ; 100-101 ; 208 ; 416-417 ; 463 ; 401502, 530-534
J
Jus cogens : 220-227
− Droits
économiques, sociaux et
Justice (droit à la) : 130-131 ; 185-187
culturels : 104; 162-165 ; 318
Juridictions internationales pénales
E
État de droit : 2 ; 92-119 ; 240 ; 254 ; 478
− Chambre
spéciale pour les crimes de
guerre en Bosnie-Herzégovine : 79 ;
G
401
Garanties de non-répétition : 127 ; 133 ;
136-140
− Chambres
342 ; 402 ; 457
Génocide : 394 ; 414 ; 419
− Chambres
Guatemala : 17 ; 90 ; 144 ; 196 ; 346 ;
348 ; 416
Guinée : 368 ; 370
extraordinaires au sein des
tribunaux cambodgiens : 79 ; 337338 ; 397-398 ; 401-402 ; 410 ; 428
− Chambres
spécialisées au Kosovo :
342 ; 360
− Cour
H
Haïti : 85 ; 86 ; 90 ; 144 ; 344 ; 346 ; 456
Haut-Commissariat
africaines extraordinaires :
aux
droits
de
l’homme : 36 ; 40 ; 46-48 ; 53 ; 113 ; 129 ;
134 ; 159 ; 162 ; 188 ; 197-198 ; 218 ; 250251 ; 270-271 ; 273 ; 275-277 ; 301 ; 373374 ; 461-466 ; 468-469 ; 489 ; 492 ; 544
pénale internationale : 341 ; 410 ;
419 ; 423 ; 433-435 ; 458 ; 483-484 ;
511-512 ; 520-522
− Cour
pénale spéciale centrafricaine :
239 ; 300 ; 396 ; 478 ; 510
− Panels
64 au Kosovo : 79 ; 91 ; 337 ;
341 ; 401 ; 404
519
− Panels
spéciaux pour crimes graves au
Lustrations : 34-36 ; 42 ; 78 ; 118 ; 146 ;
Timor Leste : 79 ; 295 ; 337 ; 401 ;
149 ; 153 ; 259-260 ; 276 ; 305 ; 310 ;
409 ; 430-431
335 ; 349-351 ; 449 ; 492
− Tribunal
militaire international de
Nuremberg : 407 ; 412
− Tribunal
M
Mali : 305 ; 454 ; 459 ; 520 ; 533
spécial pour la Sierra Léone :
79 ; 150 ; 211 ; 224 ; 290-294 ; 338 ;
Mécanismes traditionnels : 37-38 ; 109 ;
341 ; 379 ; 396 ; 401 ; 429-431 ; 509
159 ; 372-376 ; 385 ; 450 ; 465
− Tribunal
spécial pour le Liban : 337-
338 ; 366 ; 397-398 ; 410 ; 429
− Tribunaux
N
Népal : 119 ; 454
pénaux internationaux :
145 ; 333 ; 334 ; 338 ; 388 ; 393-394 ;
Non-rétroactivité (de la loi pénale) :
401 ; 404 ; 409 ; 426-427 ; 430 ; 433
(Voir Légalité (principe de))
∗
TPIY : 68 ; 206-207 ; 211 ; 224 ;
283-286 ; 402-403 ; 435
O
∗
TPIR : 379 ; 387 ; 408
Opérations de paix : 2 ; 86 ; 88 ; 90 ; 108109 ; 462 ; 467-469 ; 489 ; 492 ; 507
K
Kosovo : (Voir aussi MINUK et Panels 64)
− Panel
consultatif des droits de
l’homme : 547-550
L
Légalité (principe de) : 111-112 ; 407411
Libéria : 162 ; 166 ; 168 ; 196 ; 239-240 ;
− Opérations
de maintien de la paix :
37 ; 41-42 ; 86 ; 145 ; 218 ; 324-325 ;
327 ; 355 ; 364 ; 442 ; 468 ; 478 ; 484 ;
493 ; 496-504 ; 514-516 ; 520-522 ;
529-533
− Missions
politiques spéciales : 44-46 ;
145 ; 255 ; 354 ; 364 ; 462 ; 468
ONG : 118-119 ; 202
302 ; 310 ; 344-346 ; 376 ; 378-379 ; 476 ;
Organisations régionales : 57 ; 342 ; 358-
478
360 ; 480-481
Libye : 435 ; 453 ; 465
− Organisation
des États américains :
342 ; 359 ; 456
520
− Union
africaine : 342 ; 358-360 ; 423 ;
457 ; 481 ; 484
− Union
Salvador (El) : 7 ; 84 ; 86 ; 90 ; 144 ;
européenne : 342 ; 358 ; 457 ;
146 ; 149 ; 196 ; 282 ; 322 ; 324 ; 344347 ; 450
481 ; 484
Secrétaire général : 13 ; 19-20 ; 22 ; 34 ;
P
Programme des Nations Unies pour le
développement : 49 ; 160 ; 166 ; 270 ;
276 ; 363 ; 373 ; 376 ; 450 ; 465 ; 478
37 ; 40 ; 43 ; 45 ; 53 ; 69 ; 74 ; 96 ; 99100 ; 108-109 ; 113 ; 120 ; 123 ; 156 ;
158 ; 165 ; 181 ; 211 ; 218 ; 248-251 ;
255 ; 271 ; 274 ; 367 ; 384 ; 393 ; 449 ;
452 ; 464-465 ; 467 ; 488 ; 492 ; 507 ;
R
Rapporteur
S
spécial
sur
la
justice
transitionnelle : 97 ; 113-114 ; 120 ; 135 ;
509 ; 516-517 ; 520 ; 529 ; 534 ; 538 ; 541542 ; 545
137 ; 160 ; 164 ; 167 ; 197 ; 269 ; 273 ;
Sierra Léone : (Voir aussi Tribunal Spécial
275 ; 563
pour la Sierra Léone) 68 ; 75 ; 91 ; 119 ;
Réconciliation : (Voir aussi mécanismes
traditionnels) 20 ; 38 ; 43 ; 63 ; 67 ; 77 ;
81 ; 86 ; 88-89 ; 138 ; 156-160 ; 239-240 ;
150 ; 162 ; 164 ; 166 ; 196 ; 238 ; 290294 ; 311-312 ; 341 ; 344-348 ; 372 ; 379380 ; 402 ; 452-454 ; 523
273 ; 334 ; 381 ; 387 ; 392 ; 397 ; 402 ;
Société civile : 100 ; 110 ; 117-119 ; 251 ;
413 ; 475-476
320 ; 345 ; 366 ; 396
Réparations : 33 ; 128-129 ; 132-139 ;
Somalie : 86 ; 88 ; 494 ; 508
146 ; 153 ; 189-194 ; 197 ; 204 ; 262-264 ;
277 ; 305 ; 307 ; 311 ; 348 ; 398 ; 403 ;
414-417 ; 420 ; 489 ; 514-518 ; 550
Standardisation : 63 ; 104 ; 108-109 ;
270 ; 279 ; 319 ; 436 ; 564-565
République centrafricaine : (Voir aussi
T
Cour pénale spéciale centrafricaine) 239-
Tchad : 376
240 ; 299-300 ; 342 ; 356 ; 376 ; 396-397 ;
454 ; 478 ; 510 ; 544
Timor-Leste : (Voir aussi ATNUTO et
Panels spéciaux pour crimes graves) 30 ; 150-
République Démocratique du Congo :
151 ; 162 ; 166 ; 168 ; 176 ; 196 ; 295-
196 ; 355 ; 430 ; 454 ; 494-495 ; 497 ; 516-
298 ; 344-351 ; 372 ; 375 ; 452-453
517 ; 520
521
Tribunaux administratifs des Nations
Unies : 541-546
Tunisie : 1 ; 368 ; 371
V
Vérité (droit à la) : 126-129 ; 134 ; 198 ;
203
522
523
Table des matières
SOMMAIRE .......................................................................................................................... 5
SIGLES ET ABREVIATIONS ............................................................................................. 7
INTRODUCTION ............................................................................................................ 13
Section I Une justice transitionnelle « onusienne » .................................................. 15
§1/
La nécessité d’une analyse de l’action de l’ONU dans le domaine de la
justice transitionnelle.............................................................................................. 15
A)
L’ONU, un acteur majeur du développement de la justice transitionnelle ..
.............................................................................................................. 16
B) La méconnaissance de l’action de l’ONU dans le domaine de la justice
transitionnelle .................................................................................................... 17
§2/
La définition onusienne de la justice transitionnelle .................................. 19
A)
L’objet de la justice transitionnelle .......................................................... 20
B)
La finalité de la justice transitionnelle ..................................................... 22
C)
Les mécanismes de la justice transitionnelle............................................ 23
Section II Les instruments de l’analyse de l’action de l’ONU dans le domaine de la
justice transitionnelle.................................................................................................... 25
§1/
L’analyse du discours onusien ................................................................... 25
§2/
Une analyse systématique de la pratique onusienne .................................. 26
A)
1.
2.
3.
4.
5.
La délimitation nécessaire des mécanismes pris en compte .................... 26
Les commissions vérité ......................................................................... 27
Les procès pénaux ................................................................................. 29
Les programmes de réparation .............................................................. 30
Les programmes de lustration................................................................ 31
Les mécanismes traditionnels de justice et de réconciliation ................ 32
B) La délimitation des moyens d’action ....................................................... 33
1.
Les moyens retenus ............................................................................... 33
a. Les accords de paix .............................................................................. 34
b.
Les opérations de maintien de la paix .................................................. 34
c.
Les missions politiques spéciales ......................................................... 35
d.
Les bureaux-pays du Haut-Commissariat aux droits de l’homme ....... 36
2.
Les moyens exclus ................................................................................. 37
Section III Limites et portée de l’analyse de la justice transitionnelle onusienne ....... 38
§1/
Les limites à l’analyse de la justice transitionnelle onusienne................... 38
A)
Les limites liées à l’ampleur de l’action onusienne ................................. 38
B)
Les limites liées à la nature de l’action onusienne ................................... 39
524
§2/
La portée de l’analyse de la justice transitionnelle onusienne ................... 41
PARTIE 1 :
LE DEVELOPPEMENT D’UN CADRE COHERENT POUR
LA JUSTICE TRANSITIONNELLE ONUSIENNE ..........................................45
TITRE 1: L’ELABORATION D’UNE APPROCHE ONUSIENNE DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE FONDEE SUR LA CONSOLIDATION DE LA PAIX ................ 49
Chapitre 1. La justice transitionnelle au service de la mission onusienne de
reconstruction de l’État .................................................................................................... 51
Section I La justice transitionnelle au service de la démocratisation de l’État ......... 52
§1/
Une justice ancrée dans la transition démocratique ................................... 53
A)
L’objectif onusien de la démocratisation des États .................................. 54
B)
Les vertus démocratisantes de la justice transitionnelle .......................... 56
§2/
La substantialisation par la justice transitionnelle de l’action onusienne de
démocratisation ...................................................................................................... 59
Section II La justice transitionnelle au service de la restauration de l’état de droit ... 65
§1/
L’intégration de la justice transitionnelle au sein de l’action pour la
restauration de l’état de droit .................................................................................. 66
A) L’affirmation de la complémentarité de la justice transitionnelle et de
l’état de droit ...................................................................................................... 66
B) Une technocratisation de la justice transitionnelle au nom de l’état de
droit ? .............................................................................................................. 70
§2/
La relation ambiguë de la justice transitionnelle à la restauration de l’état
de droit .................................................................................................................... 76
A)
Une ambiguïté fondamentale : l’état de droit et la transition ................... 77
B)
Une ambiguïté onusienne : l’encadrement de l’État par la société civile 80
Chapitre 2. La construction d’un modèle holiste de justice transitionnelle .................... 83
Section I L’interdépendance des composantes de la justice transitionnelle .............. 84
§1/
L’interdépendance des piliers de la justice transitionnelle ........................ 85
A)
Le droit à la vérité .................................................................................... 86
B)
Le droit à la justice ................................................................................... 88
C)
Le droit à réparation ................................................................................. 90
D)
Les garanties de non-répétition ................................................................ 92
§2/
L’interdépendance des mécanismes de justice transitionnelle ................... 95
A)
1.
2.
La vision initiale de mécanismes ponctuels ............................................. 95
Les contraintes contextuelles de l’action initiale onusienne.................. 96
Le caractère réactif de la justice transitionnelle onusienne ................... 97
B)
Le développement de stratégies globales de justice transitionnelle ......... 99
Section II L’expansion risquée de la justice transitionnelle ..................................... 103
525
§1/
L’ambiguïté onusienne vis-à-vis de l’objectif de réconciliation nationale ....
.................................................................................................................. 103
§2/
La diversification de l’objet de la justice transitionnelle ......................... 106
A) L’incorporation des violations des droits économiques, sociaux et
culturels dans la justice transitionnelle ............................................................ 107
B)
L’adoption d’une approche sexo-spécifique de la justice transitionnelle ....
............................................................................................................ 109
Conclusion du Titre I...................................................................................................... 113
TITRE 2: L’ELABORATION PAR L’ONU D’UN CADRE NORMATIF DE LA
JUSTICE TRANSITIONNELLE ...................................................................................... 115
Chapitre 1. L’engagement limité de l’ONU en faveur de l’encadrement normatif des
politiques de justice transitionnelle ................................................................................ 119
Section I Le développement onusien d’une justice transitionnelle juridicisée ....... 120
§1/
Un effort de réinterprétation au service de la juridicisation de la justice
transitionnelle ....................................................................................................... 121
A) La réinterprétation des normes internationales à l’aune de la justice
transitionnelle .................................................................................................. 121
1.
L’appropriation du droit à la justice par la justice transitionnelle ....... 121
2.
La reconstruction incomplète d’un droit à réparation des victimes..... 124
B) La réinterprétation de la justice transitionnelle à l’aune des normes
internationales .................................................................................................. 127
§2/
L’effort de création normative au service de la justice transitionnelle .... 130
A) La création par l’ONU d’un droit conventionnel de la justice
transitionnelle .................................................................................................. 130
B) La justice transitionnelle : un terreau de l’expansion du rôle de l’ONU
dans la formation coutumière ? ....................................................................... 133
1.
La justice transitionnelle face à la formation coutumière.................... 133
2.
La centralité des organes onusiens dans l’identification des normes
coutumières de la justice transitionnelle ........................................................ 136
3.
Une contribution de l’ONU à la formation de normes coutumières ? . 138
C)
L’adaptation du jus cogens aux objectifs de la justice transitionnelle ... 142
Section II Le refus de consécration d’un droit à la justice transitionnelle................ 146
§1/
L’absence de droit à la justice transitionnelle .......................................... 147
A)
L’impossible circonscription d’un droit à la justice transitionnelle ....... 147
B)
1.
L’application variable d’une obligation de justice transitionnelle ......... 149
La création limitée d’obligations ponctuelles de justice transitionnelle....
.......................................................................................................... 149
2.
L’absence de volonté onusienne de développement d’une obligation
générale de justice transitionnelle .................................................................. 153
§2/
L’émergence d’une exigence de justice transitionnelle ........................... 155
526
A) L’activisme des organes intégrés onusiens dans la promotion de la justice
transitionnelle .................................................................................................. 155
B) La justice transitionnelle comme exigence du maintien de la paix et de la
sécurité internationale ...................................................................................... 158
Chapitre 2. L’encadrement incomplet des mécanismes de justice transitionnelle ....... 161
Section I L’élaboration progressive de modèles de mécanismes de justice
transitionnelle ............................................................................................................. 162
§1/
Le développement de standards onusiens pour l’encadrement des
mécanismes de justice transitionnelle .................................................................. 163
A) Les garanties d’indépendance et d’impartialité des mécanismes de justice
transitionnelle .................................................................................................. 164
B)
Les garanties d’efficacité des mécanismes ............................................ 166
§2/
L’encadrement des mécanismes de justice transitionnelle par les politiques
onusiennes ............................................................................................................ 168
A) Le développement d’un cadre propice à la formulation d’une politique
onusienne ......................................................................................................... 169
B) Les préconisations onusiennes en matière de mécanismes de justice
transitionnelle .................................................................................................. 172
Section II L’absence de régulation de la coordination des mécanismes de justice
transitionnelle ............................................................................................................. 176
§1/
La difficile coordination des commissions vérité et des tribunaux pénaux
internationaux ....................................................................................................... 177
A) La construction d’une complémentarité idéalisée entre les procès pénaux
et les commissions vérité ................................................................................. 178
1.
Le dépassement progressif de l’exclusion mutuelle des commissions
vérité et des tribunaux pénaux ....................................................................... 178
2.
La prise de conscience des défis de la coordination ............................ 180
B) L’expérimentation inaboutie des modèles d’encadrement du partage
d’informations entre commissions vérité et tribunaux pénaux ........................ 181
1.
L’échec partiel de l’encadrement du partage d’informations entre les
commissions vérité et les juridictions pénales hybrides ................................ 181
a. L’expérience chaotique de la Sierra Léone ........................................ 182
b.
La portée limitée des innovations du modèle timorais ....................... 184
c.
L’absence de définition de cadre de coopération dans les expériences en
cours. ......................................................................................................... 187
2.
La préférence pour une protection stricte des informations des
commissions vérité vis-à-vis des tribunaux nationaux .................................. 189
§2/
L’apparente indifférence vis-à-vis des autres interactions des mécanismes
de justice transitionnelle ....................................................................................... 190
527
A) Le caractère limité des interactions entre les mécanismes de justice
transitionnelle .................................................................................................. 190
B) L’absence d’encadrement des interactions des mécanismes de justice
transitionnelle .................................................................................................. 192
Conclusion du Titre 2 ..................................................................................................... 195
Conclusion de la Partie 1 ................................................................................................ 197
PARTIE 2 :
L’APPLICATION DESORDONNEE DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE PAR L’ONU ................................................................. 199
TITRE 1: L’ADAPTATION LABORIEUSE DE L’ACTION ONUSIENNE AUX
OBJECTIFS DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE .................................................... 203
Chapitre 1. L’incertitude quant au degré d’internationalisation de l’action onusienne 205
Section I Le retrait progressif de l’implication onusienne dans la mise en œuvre de la
justice transitionnelle.................................................................................................. 206
§1/
Le recul partiel de l’implication directe de l’ONU dans les mécanismes de
justice transitionnelle............................................................................................ 206
A) L’inadéquation de la gestion intégrale par l’ONU aux objectifs de la
justice transitionnelle ....................................................................................... 207
B)
1.
2.
3.
L’hybridité : le bilan mitigé d’une action entre improvisation et ambition .
............................................................................................................ 210
Les tribunaux hybrides : la pérennisation d’une action improvisée .... 210
Les commissions vérité hybrides : une garantie internationale inaboutie .
.......................................................................................................... 215
L’échec de l’hybridation des programmes de lustration ..................... 218
§2/
Le développement d’un rôle de contrôle des actions menées en matière de
justice transitionnelle............................................................................................ 220
A)
Le contrôle exercé par l’ONU sur les mécanismes nationaux ............... 220
B)
La délégation limitée de l’action aux organisations régionales ............. 223
Section II L’ancrage national de la justice transitionnelle onusienne ...................... 226
§1/
A)
Les garanties onusiennes de l’appropriation nationale ............................ 226
Le consentement de l’État comme condition d’engagement de l’action 227
B) Les besoins des populations comme élément déterminant de la forme de
l’action ............................................................................................................ 231
C)
§2/
Les pratiques traditionnelles comme élément d’appropriation de l’action ..
............................................................................................................ 234
L’écueil d’une justice transitionnelle intraétatique. ................................. 237
A) Les limites de la justice transitionnelle étatique pour des conflits
transétatiques ................................................................................................... 238
B)
Les pistes pour une régionalisation de la justice transitionnelle ............ 240
528
Chapitre 2. Le recours maladroit à la justice internationale pénale comme mécanisme de
justice transitionnelle...................................................................................................... 245
Section I L’intégration délicate de la justice internationale pénale au sein de la
justice transitionnelle.................................................................................................. 246
§1/
La tentative d’adaptation des juridictions pénales internationales aux
objectifs de la justice transitionnelle .................................................................... 247
A) L’attribution ambitieuse des objectifs de la justice transitionnelle aux
juridictions pénales internationales ................................................................. 248
B) Le bilan mitigé des juridictions pénales internationales vis-à-vis des
objectifs de la justice transitionnelle ............................................................... 251
§2/
Le risque de dénaturation réciproque de la justice internationale pénale et
de la justice transitionnelle ................................................................................... 256
A) La moralité de la justice transitionnelle et le respect chancelant des
principes du droit international pénal .............................................................. 257
B) La justice pénale internationale et l’individualisation excessive de la
responsabilité au sein de la justice transitionnelle ........................................... 262
Section II Les réticences du Conseil de sécurité face à la justice internationale pénale
.................................................................................................................. 269
§1/
La question de l’opportunité de l’action pénale : la persistance du dilemme
entre paix et justice ............................................................................................... 270
§2/
Un engagement minimal pour l’efficacité de l’action pénale : le cas des
garanties de coopération des États........................................................................ 273
A)
L’abandon compréhensible du modèle vertical de coopération ............. 274
B)
La réticence coupable de la condamnation du refus de coopération ...... 278
Conclusion du Titre 1 ..................................................................................................... 281
TITRE 2: L’ADAPTATION DEFAILLANTE DE L’ONU FACE AU
DEVELOPPEMENT DE SON ACTION DANS LE DOMAINE DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE....................................................................................................... 283
Chapitre 1. L’institutionnalisation lacunaire de la justice transitionnelle onusienne ... 285
Section I La dispersion des compétences onusiennes en matière de justice
transitionnelle ............................................................................................................. 286
§1/
Une dispersion des compétences entre les structures intergouvernementales
.................................................................................................................. 287
A) La multiplication de compétences concurrentes au sein de la famille
onusienne ......................................................................................................... 287
B)
§2/
L’implication croissante des acteurs extérieurs ..................................... 294
Une dispersion des compétences entre les structures intégrées ............... 296
A)
Le leadership imparfait du Haut-Commissariat aux droits de l’homme 297
B)
Le maintien d’une concurrence au sein du Secrétariat........................... 301
529
Section II L’imperfection de la coordination opérationnelle de l’action de l’ONU . 304
§1/
A)
1.
2.
Le paradoxe onusien de l’éclatement de la coordination ......................... 305
Les insuffisances du nouveau dispositif de consolidation de la paix ..... 305
Les faiblesses inhérentes au dispositif de consolidation de la paix ..... 306
La dilution du dispositif au sein des mécanismes de coordination...... 308
B) Le refus légitime de l’institutionnalisation de la coordination avec les
acteurs extérieurs ............................................................................................. 311
§2/
Les limites de la coopération par l’intégration......................................... 315
A)
Les apports de l’intégration de la justice transitionnelle ........................ 316
B)
Les limites de l’intégration de la justice transitionnelle......................... 318
Chapitre 2. L’extériorité injustifiée de l’ONU vis-à-vis de la justice transitionnelle ... 321
Section I L’applicabilité souhaitable de la justice transitionnelle à l’ONU ............ 323
§1/
La prise en compte de l’évolution du maintien de la paix onusien .......... 323
A) L’évolution du contexte de l’action : la participation aux hostilités et
l’abandon partiel de l’impartialité des opérations de maintien de la paix des
Nations Unies .................................................................................................. 324
B) L’évolution des domaines d’intervention : opérations
multidimensionnelles, gouvernance onusienne et justice transitionnelle ........ 327
§2/
L’exclusion regrettable de la participation des agents onusiens aux
mécanismes de justice transitionnelle .................................................................. 331
A) L’absence d’engagement de la responsabilité pénale des agents de
maintien de la paix. .......................................................................................... 332
B) L’exclusion des agents onusiens des mécanismes extra-judiciaires de
justice transitionnelle ....................................................................................... 338
1.
L’approche restrictive de l’ONU face aux réparations ........................ 338
2.
Le flou de la situation des agents onusiens face aux commissions vérité .
.......................................................................................................... 344
Section II L’application par l’ONU d’une logique de protection de l’Organisation 347
§1/
Le caractère inabouti de l’élaboration d’un cadre juridique visant à la
responsabilisation de l’Organisation. ................................................................... 348
A)
L’encadrement juridique partiel de l’action de l’ONU .......................... 349
B)
Le développement insuffisant de garanties du respect du cadre juridique...
............................................................................................................ 354
§2/
A)
Les mirages de la responsabilisation de l’Organisation ........................... 358
Les déficiences de la protection des lanceurs d’alerte ........................... 359
B) La création de mécanismes inopérants : l’exemple du Panel consultatif
des droits de l’Homme au Kosovo .................................................................. 364
Conclusion du Titre 2 ..................................................................................................... 369
Conclusion de la Partie 2 ................................................................................................ 371
530
Conclusion générale ....................................................................................................... 373
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................. 379
ANNEXES......................................................................................................................... 455
Annexe I : Accords de paix et justice transitionnelle ..................................................... 455
Annexe II : Opérations de maintien de la paix et justice transitionnelle........................ 475
Annexe III : Missions politiques spéciales et justice transitionnelle ............................. 491
Annexe IV : Synthèse de l’action des opérations de paix dans le domaine de la justice
transitionnelle ................................................................................................................. 507
Annexe V : Bureaux-pays du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et justice
transitionnelle ................................................................................................................. 509
INDEX THÉMATIQUE.................................................................................................... 517
TABLE DES MATIERES ................................................................................................. 523