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Article Le Monde 2012 06 16- Phages

Le vol amphibie du moustique Sachant qu’une goutte a une masse jusqu’à 50 fois plus grande que celle de l’insecte, comment ce dernier n’est-il pas terrassé par la pluie ? C’est à cette question qu’un chercheur de l’Institut de technologie de Géorgie à Atlanta s’est attaqué. P A G E 7 La chirurgie contre l’excision Si les mutilations sexuelles régressent, elles touchent encore des millions de femmes. Une enquête française inédite prouve que des opérations réparatrices soulagent les victimes et améliorent leur vie sexuelle. P A G E 2 Ircam : des instruments virtuels inouïs L’Institut de recherche et coordination acoustique-musique a mis au point Modalys, un logiciel épatant qui reproduit artificiellement la physique des instruments de musique pour produire une palette de sons insoupçonnés. P A G E 3 Des virus pour combattre les bactéries Avant la découverte des antibiotiques, la médecine avait recours à des virus, les phages, pour lutter contre les infections bactériennes. La phagothérapie reste très utilisée en Géorgie, mais n’est guère prisée en Occident. Des chercheurs français ont entrepris de la réhabiliter. Ils obtiennent des résultats spectaculaires sur des patients victimes de bactéries multirésistantes. PAGES 4-5 Vue d’artiste de bactériophages T4 (aux allures de modules lunaires) infectant des bactéries. ALBRECHTGFX/PHOTOTAKE/ISM L’esprit en rondelles a modularité de l’esprit humain, une notion que nous devons au philosophe Jerry Fodor, est l’un des fondements des neurosciences. C’est l’idée qu’une large part de notre activité mentale dépend de compartiments spécialisés, reliés entre eux mais dédiés à des tâches bien précises. Ce n’est pas une simple hypothèse: des faits indiscutables le démontrent. Les avancées récentes de l’imagerie cérébrale, et peut-être plus encore les études de cas neurologiques, en apportent tous les jours des exemples spectaculaires. Telle patiente a perdu la capacité à reconnaître les visages après un accident vasculaire ayant endommagé la partie inférieure des lobes temporaux. Elle reconnaît les objets familiers, les monuments, les animaux et les fleurs, mais ne peut identifier son mari ou sa fille que lorsque ceux-ci se mettent à parler. Sans module « visage», cette femme, dont le cas avait été étudié par le professeur Michel Poncet à Marseille, évolue dans un monde où tous les individus qu’elle croise se valent. D’autres cas mettent en lumière la division cérébrale du travail mais aussi le degré d’imperméabilité à la L carte blanche Angela Sirigu Neuroscientifique, directrice de recherche Centre de neuroscience cognitive (CNRS-université Lyon-I) (PHOTO : MARC CHAUMEIL) Cahier du « Monde » N˚ 20965 daté Samedi 16 juin 2012 - Ne peut être vendu séparément conscience des opérations réalisées au sein de ces modules, comme ce patient atteint d’inattention spatiale à la suite d’une lésion de la région pariétale. Sa vision est normale, ses membres ne sont pas paralysés, mais il semble ignorer qu’il y a de la nourriture dans la moitié gauche de son assiette, qu’il y a de la barbe à raser sur sa joue gauche, qu’il dispose d’une main gauche pour aider la droite à boutonner sa chemise. Surtout, il n’a aucune conscience de cette anomalie: si le monde de ce patient paraît amputé d’une partie de la réalité, de son point de vue, ce monde, tel que son module « attention» le présente à sa conscience, est entier et complet. Plus étonnant encore, une lésion cérébrale peut compromettre des compartiments de la personnalité de l’individu, altérant les mécanismes neuronaux servant à réguler nos choix et désirs. Laurent Cohen, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), a décrit il y a quelques années le cas d’un homme sans histoire qui avait présenté une cleptomanie très particulière à la suite de la rupture d’un vaisseau sanguin irriguant le cortex orbitofrontal. A la vue d’une voiture dans la rue ou dans son entreprise, il montait dedans, faisait un tour, puis la ramenait chez lui ou à l’endroit où il l’avait « empruntée» ! Avant d’être reconnu comme problème médical, ce besoin irrépressible lui occasionna des séjours en prison pendant presque vingt ans. Voilà qui nous ramène à la question, abordée lors d’une précédente chronique, du libre arbitre et de la responsabilité individuelle. La société doit se protéger des imposteurs compulsifs et escrocs en tout genre, mais, au-delà des jugements moraux ou judiciaires, elle doit évoluer au rythme de la compréhension du cerveau humain et du déterminisme des comportements. La prochaine fois qu’il sera appréhendé au volant d’un véhicule qui n’est pas le sien, le patient de Laurent Cohen pourrait déclarer au gendarme, scanner à l’appui: «Mais, m’sieur l’agent, je n’y suis pour rien, c’est la faute à mon cerveau!» Combien de « cas» analogues côtoyons-nous, livrés à leur sort, sans reconnaissance ni prise en charge de leur handicap? Nous parvenons parfois à identifier les modules défectueux. Remplacer ou réparer la « pièce d’origine» reste, dans une large mesure, un objectif encore lointain. p 0123 2 SCIENCE & TECHNO Samedi 16 juin 2012 ACTUALITÉ Réparer les femmes excisées | Une étude françaisesans précédent démontreque la reconstruction du clitoris permet aux victimesd’excisionde moins souffrir, de retrouver leur identité et de s’épanouir sexuellement chirurgie Sandrine Cabut C ’est un pas de plus dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, et un espoir pour les millions de femmes qui en ont été victimes à travers le monde. Alors qu’un couple de Guinéens vient d’être condamné le 1er juin par la cour d’assises de la Nièvre à des peines de prison ferme (deux ans pour le père, dix-huit mois pour la mère) pour l’excision de leurs quatre filles, une étude française d’ampleur inédite confirme qu’une chirurgie reconstructrice peut diminuer sensiblement les douleurs de ces femmes et les aider à accéder au plaisir sexuel. Engagé depuis trente ans dans le combat contre les mutilations sexuelles féminines, inventeur dans les années1990d’unetechniquechirurgicale pour les réparer, l’urologue Pierre Foldès (hôpital de Poissy - Saint-Germain-en-Laye)rapporte dans The Lan- Les mutilations sexuelles concernent encore dans le monde 130 à 140 millions de femmes, ces dix dernières années cet (en ligne le 12 juin) les résultats de son expérience auprès de près de 3 000 femmes. Cette étude humanitaire et militante, financée par l’Association française d’urologie, est cosignée par le docteur Béatrice Cuzin (urologue, Lyon), qui a réalisé le suivi sexologique des patientes, et par la démographeArmelleAndro,del’Institut national d’études démographiques (INED). Quoiqueenrégressiondanslemonde, grâce à une mobilisation internationale qui a fait progresser la préventionetappliquerdesloisplusrépressives, les mutilations sexuelles concer- nent encore un nombre inacceptable de femmes: 130 à 140 millions ces dix dernières années, dont 92 millions en Afrique. Les conséquences à long terme peuvent être lourdes sur les plans psychologique mais aussi sexuel et médical, avec notamment des douleurs et des complications lors des accouchements. Mutilationsexuellelaplusfréquente,l’excisionestdéfinieparl’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une « ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres». L’infibulation, plus rare, correspond à un « rétrécissement de l’orifice vaginal par la création d’une fermeture, réalisée en coupant et en repositionnantles lèvres intérieures, et parfois extérieures, avec ou sans ablation du clitoris ». Réalisabledans tous les cas où le clitoris est atteint, l’intervention – elle dure moins d’une heure – mise au point par le docteur Foldès consiste à reconstruire celui-ci à partir de sa partie profonde, non excisée. La portion cicatricielle est enlevée, le clitoris restantest libéréet le gland repositionné. Situation unique au monde, cette chirurgie est remboursée en France depuis 2004. Dans une première étude, publiée en 2006, le chirurgien français avait démontré ses bons résultats anatomiques et l’amélioration à court terme de la fonction clitoridienne. La série prospective, publiée dans The Lancet, a inclus les 2938patientesopéréespar Pierre Foldès à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye entre 1998 et 2009. Agées en moyenne de 29 ans, la plupart ont été excisées entre 5 et 9 ans dans un pays d’Afrique de l’Ouest : Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire. Dans 564cas, la mutilation a été réalisée en France. Avant l’intervention, toutes les jeunes femmes ont été interrogées sur leurs motivations; leurs douleurs et leur satisfaction sexuelle ont été évaluées par une échelle en cinq points. « Les attentes principales étaient, pour 99 % d’entre elles, de retrouver leur identité ; 81 % espéraient améliorer leur vie sexuelle, et 29 % soulager leurs douleurs clitoridiennes», soulignent les auteurs, qui insistent sur la complexité d’appréhender les symptômes de ces femmes. «Au départ, j’ai opéré pour soulager les douleurs, puis jeme suisrenducompte que beaucoup JOËLLE JOLIVET de choses se cachent derrière des douleurs», racontePierreFoldès.« Il peuty avoir une discordance entre l’importance des lésions cliniques et les traces psychologiquesqu’elleslaissent»,ajoute Béatrice Cuzin. Un an après l’intervention, 866 femmes (29 %) ont été revues en consultation, une proportion à première vue modeste mais déjà remarquable dans un tel contexte. Le résultat anatomique s’avère satisfaisant, avecunclitorisexternenormalouvisible dans 70 % des cas, palpable dans 24 % des cas. Mais c’est surtout au niveau fonctionnel que les bénéfices sont le plus démonstratifs. Les douleurs se sont atténuées ou du moins ne se sont pas aggravées chez 821 des 840femmes qui en souffraient. Plus de la moitié des patientes ressentent des orgasmes, et 30 % du plaisir sans orgasme. Ainsi, parmi les 368quin’avaientjamaiséprouvéd’orgasme, 129 (35 %) y ont eu accès dans l’année qui a suivi la chirurgie. Au total,seulement20femmesdécrivent unedégradationdeleurplaisirsexuel. Des complications postopératoires (hématome,désunionde cicatrice,fièvre) sont survenues dans 5 % des cas. « Ces résultats n’ont pas seulement des implications chirurgicales, mais aussi socioculturelles, anthropologiques et psychosexuelles », écrivent Patrick Petignat (hôpital universitaire de Genève, Suisse) et ses collègues dans un éditorial associé à l’article. Cette publication dans un journal de référence, qui valide la technique, permettra-t-elle de la diffuser dans d’autres pays et de faire connaître cette possibilité aux principales intéressées? Pierre Foldès, qui opère de dix à quinze femmes chaque semaine, a déjà formé des confrères en Europe et en Afrique. Mais pour l’instant, dans les pays qui en auraient le plus besoin, cette chirurgie reconstructrice n’est pas encore une priorité. En France, de 55000 à 60 000femmes sont excisées, et environ 4 000 ont été opérées, estime la démographe Armelle Andro. « La situation est un peu nébuleuse dans notre pays, sans véritable recensement des centres qui pratiquent ces interventions, relèvele docteurBéatriceCuzin.L’idéal,en France comme ailleurs, serait de pouvoirorganiserl’offredesoinsavecquelques chirurgiens formés et des offres localesderééducation.Ilfautaussiprévoir un système d’évaluation.» p Une enquête sur le vécu de l’excision En France, plus de la moitié (55%) des femmes excisées ont déjà entendu parler de l’intervention de chirurgie réparatrice, mais seulement 5% de celles qui en sont informées y ont eu recours ou sont en cours de démarche. Les femmes intéressées par l’opération sont plutôt jeunes (moins de 35ans) et ont grandi en France. C’est l’un des résultats d’une étude réalisée dans cinq régions françaises par l’équipe d’Armelle Andro (INED) et publiée en 2009. Pour cette enquête, destinée à établir un état des lieux des mutilations sexuelles et de leurs conséquences dans notre pays, 714femmes excisées et 2168 non excisées ont été interrogées. >Sur le Web : Univ-paris1.fr/fileadmin/CRIDUP/Rapport_final_ExH_volet_quantitatif.pdf Des feuilles de lumière pour filmer les débuts de la vie Une nouvelle technique de microscopie permet de suivre le destin individuel des cellules au sein d’un embryon entier coce de drosophile et de la suivre à travers plusieurs cycles de division cellulaire. «Dans un de nos films, quatre cellules sélectionnéesauhasardontpuêtresuiviesviales divisions cellulaires ultérieures durant quatre heures », fait remarquer Philipp Keller. Les chercheurs américains et allemands ont filmé le développement d’un embryon de drosophile à partir de sa deuxième heure d’existence jusqu’au stade de l’éclosion larvaire, vingt-deux heures plus tard. Les deux équipes ont conçu une nouvelle configuration d’une technique d’imagerie appelée « microscopie de fluorescence à feuille de lumière ». Marc Gozlan n enjeu majeur en biologie du développement est de pouvoir suivre la dynamique complexe des cellules qui composent un embryon : il s’agit de décrypter le plan architecturalquisous-tendlaformationde l’organisme entier. Il faut pour cela disposer, d’une part, de systèmes optiques permettantde détecteret filmer les milliersde cellules qui se déplacent et se divisent à un rythmeeffréné;d’autrepart,d’outilsinformatiques assez puissants pour enregistrer, restituer et analyser des images couvrant la totalité de l’embryon. C’est le tour de force qu’ont réalisé deux équipes, aux Etats-Unis et en Allemagne, dont les travaux viennent d’être publiés en ligne dans la revue Nature Methods. « Pour atteindre cet objectif, une haute résolution spatiale et temporelle est essentielle pour suivre et distinguer des cellules au sein d’amas denses. Notre nouveau microscope permet pour la première fois d’étudier l’ensemble des mouvements et les divisions cellulaires lors du développement embryonnaire précoce», précise Phillip Keller, chercheur au Howard Hughes Medical Institute, à Ashburn (Virginie, Etats-Unis), investigateur principal de la première étude. Des résultats similaires ont été obtenus par l’équipe de Lars Hufnagel, du Laboratoire U Embryon de drosophile onze heures après fécondation. En haut, vue dorsale de l’embryon. En bas, vue ventrale. PHILIPP J. KELLER, HOWARD HUGHES MEDICAL INSTITUTE européen de biologie moléculaire (EMBL), à Heidelberg (Allemagne). Pour Philipp Keller, « l’imagerie quantitative à haute vitesse d’un embryon entier représente un défi technologique en raison de la taille importante de l’embryon et de la dynamique cellulaire très rapide au cours du développement précoce ». Le microscopemultivues,l’informatiqueen tempsréel et l’infrastructure de calcul développés par son équipe permettent de sélectionner n’importequellecelluled’unembryonpré- Quatre vues simultanées Le nouveau microscope consiste à illuminerà partirde deuxsourceslaserdiamétralement opposées une fine tranche de l’embryon. La fluorescence émise dans ce plan par les cellules, porteuses de molécules fluorescentes préalablement introduites dans l’embryon par voie génétique, est captée par deux détecteurs. Au total, quatre vues sont réalisées simultanément, qui sont ensuite fusionnées pour obtenir une image unique en trois dimensions – ce qui permet d’acquérir vingt fois plus d’images, sans risque de « manquer» un événement cellulaire, comme cela était le cas avec les techniques antérieures. « Le volume de données acquises correspondà l’enregistrementd’unDVDtoutesles treize secondes», précise Philipp Keller, qui ajoute avoir «enregistré pendant une vingtaine d’heures pour chaque embryon un volume total de données pratiquement équivalent aux archives des livres de la bibliothèque du Congrès ». Emmanuel Beaurepaire, chercheur au Laboratoire d’optiqueetbiosciencesdel’Ecolepolytechnique(Palaiseau),souligneque«parvenirà observer simultanément toutes les cellules de l’embryon précoce de drosophile est une belle avancée technologique». Des films réalisés par l’équipe américainepeuventêtreconsultéssurlesiteDigitalembryo.org. On peut par exemple visualiser la morphogenèse du cerveau, qui commence par la réunion de deux régions initialement distantes. De même, l’équipe allemande a posté douze séquences vidéo sur le site de Nature Methods. « La quantité d’informations recueillies au niveau d’un embryon entier, avec une vitesse d’acquisitionaussibrève,estimpressionnante,déclare Julien Vermot, chercheur à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg. Une étape significative vient d’être franchie dans la microscopie à feuille de lumière, technologie qui pourrait révolutionner l’imagerie microscopique du vivant dans les années à venir. Elle ouvre une nouvelle fenêtre d’observation sur un monde dans lequel les événements cellulaires se produisent à un rythme extrêmement rapide.» p actualité SCIENCE & TECHNO Un logiciel entre physique et musique | Imaginépar l’Ircam, Modalys est un outil qui reproduitartificiellementles instruments de musique pour les utiliserdans des modes de jeu inédits. Il s’appuie pour cela surla modélisation création Arthur de Pas U ne clarinette de cinq mètres de long, ça n’existe pas. Un moustique qui bourdonne dans une corde de guitare, ça n’existe pas. Un trompettiste qui souffle dans une « plaque », ça n’existe pas, ça n’existe pas… Et pourquoi pas ? Robert Desnos aurait apprécié le surréalisme du logiciel Modalys, mis au point par les chercheurs de l’Ircam(Institutde rechercheet coordination acoustique-musique) sous la houlette du chercheur René Caussé. L’objectif est de reproduire artificiellement les instruments de musique pour les utiliser ensuite dans des modes de jeu insoupçonnés. L’outil s’appuie sur la modélisation physique. « On ne cherche pas à reproduire le son en lui-même, comme les autres méthodes de synthèse « On ne cherche pas à reproduire le son en lui-même, mais le système physique responsable de la formation du son » Le mouvement des musiciens est capté pour être modélisé. René Caussé responsable de l’équipe acoustique instrumentale de l’Ircam sonore, mais le système physique responsable de la formation du son », explique René Caussé. Modalys décompose l’instrument en structures élémentaires auxmodes de vibrationconnus (plaque, corde, tube…). Puis elles sont assemblées, soit pour reproduire un instrument existant, soit pour en inventer de nouveaux. Et un algorithme résout les équations de propagation de l’ensemble. Pincer, frapper, frotter, souffler… Il ne reste plus qu’à exciter l’instrument. « Pour moi, le principal intérêt de la synthèse physique est de travailler sur une matièresonore très proche de la réalité des instruments, témoignele compositeur Philippe Manoury. Quand je compose une pièce, je veux que les parties virtuelles soient cohérentes avec le son des instruments réels. » IRCAM Ce type de synthèse est étudié depuis une trentaine d’année, et la première version de Modalys date de 1987. Philippe Manoury s’y est intéressé de très près dès 2007, lorsqu’il a créé Partita, sa pièce pour alto solo. «Je voulais que le jeu de l’altiste sur les cordes de son instrument excite en temps réel les cordes paramétrées dans le logiciel », raconte-t-il. L’idée était trop précoce par rapport aux avancées des scientifiques: temps de calcul trop longs, son obtenu trop rudimentaire.Lecompositeurrenonce. Partie remise. Car les chercheurs de l’Ircam étudient une nouvelle piste pour accroître le réalisme de Modalys : prendre en compte le geste du musicien dans la formation du son. Un jeune thésard et violoniste amateur, Matthias Demoucron, utilise pour cela un modèlesimpledeviolonqu’ilcontrôle avec les paramètressuivants: posi- tion de l’archet, vitesse de déplacement, force d’appui. Il effectue aussi des mesures sur les instrumentistes grâce à des appareils spécialement conçus et à un dispositif de capture du mouvement. Ces données sont ensuite analysées etmodélisées.«Les gainsobtenusont été au-delà de nos attentes, avec une qualitédesonvraimentprocheduviolon», se réjouit René Caussé. Les fruits de cette thèse et les progrès technologiques sur les temps de calcul permettent à Philippe Manoury de concevoir une nouvelle œuvre en 2010 : « J’ai composé une pièce pour quatuor à cordes, Tensio. La deuxième partie est basée sur le jeu virtuel d’une corde tendue au-dessus d’une caisse de résonance de violon. Je suis parti de gestes physiques naturels mais extrapolés à l’extrême. J’ai ainsiobtenudesrésultatssonoresparfaitement étonnants de la part d’un violon en paramétrant des régimes d’excitation inaccessibles humainement, avec une force d’appui maximaleetunevitessededéplacementde l’archetquasinulle.Dessortesdegouttelettes sonores aiguës qui m’ont enchanté.» Depuis, le compositeur poursuit son exploration de Modalys avec un autre instrument, le piano. Il décide d’utiliser à nouveau le logiciel pour sa pièce Echo-Daimonon : concerto où un pianiste dialogue avec un orchestre et des pianos virtuels. « Mon idée initiale était de placer, à l’aide de la pédale du pianiste, des doigts virtuels sur les cordes d’un des pianosartificiels.Enappuyantsurcette pédale, on aurait obtenu un accordage complètement différent.» Mais il se heurte à plusieurs difficultés. D’abord, les temps de calcul lui posent encore problème et il doit limiter le nombre de cordes modélisées. Puis le son de l’instrument lui paraît pauvre par rapport à un piano normal. « Le piano est un vrai cassetêteentermesdemodélisation,confirme René Caussé. On a résolu les questions liées à l’attaque avec la frappe du marteau et le comportement non linéaire du feutre qui recouvre la tête. Mais on a du mal au niveau de la résonanceaveclavibrationdescordescouplées à la structure.» En effet, sur un piano, une grande partiedes notesest produite par trois cordesunpeudésaccordées.Cedésaccord entraîne un échange d’énergie entre les cordes qui permet au son de durer plus. Par ailleurs, une corde qui vibrefait vibrer les autres parsympathie, rajoutant un halo sonore. Des phénomènes acoustiques que les chercheurs n’arrivent pas encore à reproduire rigoureusement. Philippe Manoury se heurte également à un problème acoustique : poserundoigtsurunecordeenétouffe la vibration, et le son obtenu est insuffisant pour couvrir un orchestre. Mi-mai, deux semaines avant la création de la pièce Salle Pleyel, il renoncefinalementàyutiliserModalys. Mais il reste optimiste : « Mes expériences,même si elles sontinfructueuses sur le moment, me permettent de découvrir de nouvelles idées. Et dès que les progrès de la recherche le permettent, je les réalise. » Car un piano avec une pédale qui actionne des doigts appuyant sur les cordes,ça n’existe pas. Et pourquoi pas ? p Conférence « Autour de Tensio », de Philippe Manoury, le 21juin à 18 heures, à l’Ircam, 1, place Igor-Stravinsky, Paris 4e. Visualiser les «tornades électriques» du cœur Une opération délicate permet d’éviter un emballement cardiaque responsable de la mort subite Florence Rosier ue se passe-t-il dans un cœur humain lorsqu’il entre en fibrillation ventriculaire, cet hyperemballement cardiaque lié à l’anarchie brutale du circuit électrique des ventricules cardiaques ? « De vraies tornades à 400 contractions par minute », précise le professeur Michel Haïssaguerre, pionnier de la rythmologie cardiaque interventionnelle au CHU de Bordeaux, retenu pour figurer parmi les six instituts hospitalo-universitaires (IHU) français créés en 2011. Pourlapremièrefois, une équipe de l’IHU de Bordeaux a visualisé in vivo, dans un cœur humain battant, cette « tornade électrique»quibalaielesventriculescardiaques.PrésentéeaucongrèsCardiostim, qui réunissait du 13 au 16 juin, à Nice, 5 000 spécialistes de l’électrophysiologie cardia- Q que, cette première a été rendue possible par un nouvel outil non invasif de cartographie en 3D de l’activité électrique du cœur. «Nousavonsobservédevéritables tourbillons, localisés à deux endroits, dans le cœur en fibrillation ventriculaire de ce patient, raconte le docteur Mélèze Hocini, auteur de cette observation.Montrée début mai au congrès de la Heart Rhythm Society à Boston, cette vidéo a fait le buzz.» « Cyclone » rythmique En France, 50 000 personnes meurent chaque année de mort subite par arrêt cardiaque – dont 50 % sont la conséquence directe d’une fibrillation ventriculaire. Ce « cyclone » rythmique rend le cœur incapable de se contracter, ce qui bloque l’éjection du sang dans l’organisme – et entraîne le décès de la personne si elle n’est pas réanimée dans les cinq minutes par un massage cardiaque ou un défibrillateur. La moyenne d’âge est de 65 ans, mais les victimes âgées de 20 ans à 30 ans ne sont pas rares. Bien évidemment, les chercheurs n’ont pas déclenché une fibrillation ventriculaire chez un patient par seul goût de la découverte! Cet homme de 58ans avait présenté une première fibrillation ventriculaire « ressuscitée», ayant bénéficié d’une réanimation rapide. La prise en charge habituelle est la pose d’un défibrillateurautomatiqueimplantable : un petit boîtier générateur d’impulsions, relié à des électrodes positionnées dans le cœur. «Lorsque ce dispositif détecte une arythmie ventriculaire, il délivre un choc électrique de haute énergie pour restaurer un rythme normal», explique le docteur Hocini. Après avoir posé un défibrillateur,les rythmologuesen testent toujours l’efficacité en déclenchantunefibrillationventriculaire. C’est lors de cette procédure classique que l’équipe bordelaise a observé le déchaînement de ces « cyclones ». Les médecins ont équipé le patient d’une veste munie de 252 électrodes couvrant toute la surface du cœur, recueillant point par point l’électrocardiogramme de surface. Couplé à un scanner (ou à une IRM) qui indique l’anatomie cœur-thorax, il permet, grâce à des procédés mathématiques de « signal inverse », de reconstituer une vue 3D dynamique des signaux électriques du cœur : à la fois très précis et non invasif, c’est « l’électrocardiogramme du futur », selon le docteur Hocini. «Sans sonde intracorporelle, ce système offre une vue panoramique de l’activité de l’ensemble du cœur à partir d’un seul battement cardiaque », s’enthousiasme le docteur Philippe Ritter, président de Cardiostim. « Cette technique nous permettra d’identifier des profils différents de fibrillation ventriculaire pour mieux les traiter», espère Mélèze Hocini. En 1998, l’équipe de Michel Haïssaguerre localisait les foyers àl’originedelafibrillationauriculaire, conduisant au traitement curatif de ce trouble du rythme très fréquent : l’ablation de ces foyersparuncathéterderadiofréquence introduit par la veine fémorale.Cetteablationestdésormais une opération de routine. En 2005, cette équipe montrait que les « étincelles » qui « allument» la fibrillation ventriculaire sont produites par les cellules de Purkinje. D’où l’idée d’appliquer la technique d’ablation aux 2% desfibrillationsventriculaires qui«ressuscitent ».« Avecundéfibrillateur,on éteintle feu mais pas lamèche,tandisqu’avecl’ablation par cathéter, c’est la mèche qu’on étouffe! », relève le docteur Ritter. Très délicate, l’opération est développéedepuisdeuxansparledocteurHocini:aprèsunefibrillation ventriculaire « ressuscitée», une centaine de patients ont été ainsi «ablatés par cathétérisme». p 0123 Samedi 16 juin 2012 3 téléscope Biologie Des cellules souches qui défient la mort Des cellules souches peuvent survivre sans dommage en milieu hostile, y compris plusieurs jours après la mort, en se mettant dans un « état dormant», selon les travaux d’une équipe française. A partir de 16cadavres (dont le plus âgé avait 95 ans), Fabrice Chrétien (Institut Pasteur) et ses collègues ont obtenu des cellules souches musculaires jusqu’à dix-sept jours après le décès. Mises en culture, celles-ci se sont multipliées et différenciées normalement en cellules musculaires. Ce même type de cellules souches a été retrouvé jusqu’à seize jours post mortem chez des souris. Les chercheurs ont aussi mis en évidence chez ces animaux des cellules souches de moelle osseuse viables au quatrième jour après la mort. En milieu hostile, ces cellules réduisent au minimum leur métabolisme, notamment en diminuant leur concentration en mitochondries (les usines de production d’énergie). Les chercheurs ont même constaté que les cellules souches musculaires privées d’oxygène à 4 ˚C survivent mieux que celles exposées à l’oxygène ambiant. Le professeur Chrétien envisage des recherches comparables sur d’autres cellules souches (peau, tumeur…). Selon lui, trois champs d’application sont possibles. « D’abord, c’est un outil incroyable pour étudier la capacité de ces cellules à s’adapter à un environnement dégradé, explique-t-il. C’est aussi une nouvelle source potentielle, simple et éthique, de cellules souches, en particulier musculaires et de moelle osseuse. Enfin, nous pourrons ainsi définir les propriétés d’un milieu qui permet aux cellules de s’endormir et d’être conservées dans de bonnes conditions.» > Chrétien, Tajbakhsh et al., « Nature communications», 1er juin. Préhistoire De l’art rupestre vieux de plus de 40 000 ans en Espagne De nouvelles datations, à l’uranium thorium, conduites dans des grottes du nord de l’Espagne, indiquent que celles-ci abritent les plus anciennes manifestations d’art rupestre en Europe. Dans la grotte d’El Castillo, en particulier, des dépôts de calcite recouvrant un disque rouge ont été datées à 40 800 ans, ce qui indique que cette marque faite d’ocre avait été déposée avant cette date sur la paroi. Des « mains négatives » ont été datées de la même manière à au moins 37 300ans et une figure en forme de massue (claviforme), à 35 600ans. Qui étaient les auteurs de ces figurations, bien antérieures aux œuvres pariétales de Castanet (37000 ans), Chauvet (31000 ans) et Lascaux (17 000ans) ? Difficile de le savoir car, à l’époque, la région était peuplée par l’homme de Neandertal, mais l’homme moderne venait lui aussi d’y arriver. (PHOTO : PEDRO SAURA) > Pike et al., « Science » du 15 juin. Innovation Moisson de prix L’Office européen des brevets a décerné ses cinq prix annuels de « l’inventeur européen», jeudi 14juin. Les Français Gilles Gosselin (CNRS) et Jean-Louis Imbach (université de Montpellier) ainsi que Martin L. Bryant (mort) ont été récompensés dans la catégorie « recherche» pour la mise au point d’un nouveau traitement contre l’hépatiteB, la Telbivudine, commercialisée par Novartis. Un autre prix de l’innovation, doté de 1million d’euros, le Millennium Technology Prize, a, lui, été remis par l’Académie finlandaise des technologies à l’Américain d’origine finlandaise Linus Torvalds, pour son développement du système d’exploitation Gnu/Linux, et au Japonais Shinya Yamanaka, pour sa technique de reprogrammation des cellules souches. > Epo.org (Office européen des brevets) et Technologyacademy.fi (Millennium Technology Prize). 4 0123 Samedi 16 juin 2012 SCIENCE & TECHNO événement Lesphages, des virus guérisseurs médecine Avantl’avènementdes antibiotiques,les médecins faisaient appel à ces microbespour enrayer les infections bactériennes.La phagothérapie,toujours utilisée en Géorgie,est introduite en France, maisen catimini Raphaëlle Maruchitch et Anuliina Savolainen (à Tbilissi) U ne date d’opération était programmée pour l’amputation du pied droit de Caroline Lemaire. Sa jambe devait être coupée à 12cm au-dessous du genou. « J’ai même eu la prothèse dans les mains», se souvient-elle. C’était en 2008. Pourtant, cette jolie femme de 43 ans a toujours son pied aujourd’hui. Elle a eu la chance de bénéficier d’une thérapie utilisée dans le passé: la phagothérapie. Alors que l’âge d’or des antibiotiques semble être révolu,cette ancienne thérapiesuscitede nouveaux espoirs. Elle consiste à utiliser les phages, virus naturelsdesbactéries,dans certainscas d’antibiorésistance. Ce traitement a connu ses premiers succès dans les années 1920. Mais les phages, plus précisémentles bactériophages,ont sombré dans l’oubli avec l’avènement de l’antibiothérapie, au milieu des années 1940. Seuls certains pays de l’Est, notamment la Géorgie, ont continué à les utiliser. C’est d’ailleurs à Tbilissi que les médecins se sont approvisionnés en bactériophages pour soigner Caroline Lemaire. Le docteur Dublanchet, microbiologiste, ancien chef de service au centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), s’emploie aujourd’hui à promouvoir la phagothérapie. Il a entraîné dans son combat le professeur Olivier Patey, infectiologue, chef de service toujours en exercice à Villeneuve-Saint-Georges. C’est dans cet établissement que Caroline Lemaire a été prise en charge, en 2008, alors qu’elle s’apprêtait à se faire amputer. Son calvaire débute en 1995, quand elle se luxe trois os du pied lors d’une grave chute. Au cours de son hospitalisation, elle contracte un staphyloco- Chiffres Multirésistances De 5 % à 10% des patients hospitalisés contractent une ou plusieurs infections lors de l’hospitalisation, selon l’Institut national de veille sanitaire (InVS, Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 26 avril 2011). En Europe, 25 000décès environ par an seraient dus à des infections liées à des bactéries multirésistantes qui n’ont pas pu être traitées faute d’antibiotique efficace, indiquait en 2009 un rapport du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies et de l’Agence européenne des médicaments. Coût Pour la société européenne, la facture annuelle des infections dues aux bactéries multirésistantes, est estimé à 1,5 milliard d’euros, selon ce même rapport. Antibiotiques De 1999 à 2009, le nombre de substances antibiotiques disponibles en France a diminué de 15 %, passant de 101à86. Au total, 25 substances ne sont plus commercialisées. Seules 10nouvelles substances (ou associations de substances) ont été mises sur le marché pendant cette période, selon un rapport d’expertise de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé publié en juin 2011. que doré. L’Augmentin, un antibiotique couramment utilisé, ne fonctionne pas et la plaie met plus d’une année à se refermer. Elle boite, souffre ; les complications s’enchaînent. « On a commencé à me parler d’amputation en 2003 », se souvientelle. Hors de question. Le calvaire continue, le pied ne cicatrise pas et, quatre ans plus tard, elle développe un DRESS (syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse) dû aux antibiotiques, pendant que l’on tente une nouvelle fois de la traiter. Cette fois-ci, l’amputation n’est plus juste une option. C’est à ce moment qu’un ami la met en contact avecl’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges.Le docteurDublanchetet le professeur Patey vont identifier les bactéries responsables de son infection et trouver les phages, commercialisés dans les pays de l’Est, qui la soigneront. Car, actuellement, il n’existe plus de phages thérapeutiques officiels en Occident. La phagothérapie souffre d’une image de vieille médecine et se heurte à beaucoup de scepticisme. Pourtant, depuis 2006, la Food and Drug Administration (l’administration américaine des produits alimentaires et médicamenteux) a autorisé l’usage Il n’existe plus de phages thérapeutiques officiels en Occident. La phagothérapie souffre d’une image de vieille médecine et se heurte à beaucoup de scepticisme de produits basés sur les phages en agroalimentaire. Le Listex, par exemple, une préparation hollandaise de phages qui s’attaquent aux bactéries responsables de la listériose, a été approuvé aux Etats-Unis, au Canada, et est potentiellement utilisable en Europe. « La démarche actuelle est plutôt d’essayer de rechercher des nouveaux mécanismes d’action pour les antibiotiques plutôt que de s’orienter vers des thérapies nouvelles », estime un médecin qui travaille au sein d’un service de maladies infectieuses. Christian Perronne, chef de service à l’hôpital Raymond-Poincaréà Garches, présidentdela Fédération française d’infectiologie, a quant à lui redécouvert la phagothérapie grâce au professeur Patey. « Il m’a montré ce qu’il avait fait avec le docteur Dublanchet et j’ai été impressionné par les résultats.» Il se dit « convaincu que, dans le cas de certaines infections osseuses difficiles à traiter, la phagothérapie pourrait jouer un rôle important ». Alain Dublanchet, Olivier Patey et Alain Asselineau, chef de service de chirurgie orthopédique et traumatologique à Villeneuve-Saint-Georges, se sont justement penchés sur le cas de plusieurs patients, atteints d’infections ostéo-articulaires, présentantdes bactériesmultirésistantesaux antibiotiques. Les résultats qu’ils décrivent sont épatants : tous les patients ont guéri. Le docteur Dublanchet compte personnellement « plusieurs dizaines de patients à [son] actif ». « Mon objectif est de traiter les infections graves avec des phages, comme compléments aux antibiotiques, explique-t-il. Jusqu’ici, je n’ai pas déclaré l’importation des phages rapportés de Géorgie et de Russie, ni demandé d’autorisation. Je suis extrêmement prudent car on m’attend au tournant.» Les phages ont été employés en Occident et ont figuré dans le Vidal, dictionnaire des médica- ments le plus connu, jusque dans les années 1970, mais aucune étude clinique n’a jamais été menée. Pourtant, à Tbilissi, l’Institut Eliava n’a jamais cessé son activité. Toute la production des phages de l’Union soviétique était concentrée ici. Aujourd’hui, l’Institut ne reste fonctionnel que grâce au soutiende structuresoccidentaleset de l’Etatgéorgien. Enfant, le président géorgien a lui-même été soigné avec succès par des phages, raconte Revaz Adamia, le directeur d’Eliava. « L’utilisation des phagesest complètementsansdanger. Nousne faisons que prendre dans la nature quelque chose qui y existe déjà et le multiplier», souligne-t-il. Les employés vont chercher des phages dans la rivière proche, vers l’évacuation des eaux usées. Onl’auracompris:lesphagessetrouventlàoùpullulent les bactéries. Les collections de phages de cet institut seraient les plus importantesdu monde, et parmi les collections bactériennes qu’on utilise pour cultiver les phages se trouvent les redoutablesStaphylococcusaureus(staphylocoquesdorés) ou les Yersinia pestis, responsables de la peste… Ce n’est sûrement pas par hasard que les Américains s’y intéressent aujourd’hui. La Defense Threat Reduction Agency (DTRA), fondée dans le but de « protéger les Etats-Unis et ses intérêts des armes de destruction massive », a investi dans la rénovation du bâtiment principal d’Eliava et des laboratoires et finance plusieurs projets scientifiques, notamment sur les bactériophages contre le choléra.Lapartierénovéebrille,à l’imagede laMaison Blanche, mais c’est dans l’autre partie que se trouve le laboratoirede la professeure Zemfira Alavidze, chercheur principal au sein de l’institut depuis quarante-cinq ans. Dans les couloirs sombres, les murs sont rayés par des traces de dégâts des eaux et la peinture verdâtre s’écaille. Zemfira Alavidze est spécialisée dans la sélection de phages spécifiques de bactéries de la famille des staphylocoques. Y compris les souches de Staphylococcus aureus, résistantes à la plupart des antibiotiques, qui avaient failli causer l’amputation du pied de Caroline Lemaire. Zemfira Alavidze saisit une boîte de Petri dans laquelle est étalé un bouillon de bactéries. Elle y applique ensuite des gouttes contenant différentes souches de phages. Quelques heures plus tard, on peut déjà constater des trous clairs dans le tapis de bactéries: à ces endroits, les phages ont détruit lesstaphylocoques.«J’ai troisenfantsettrois petitsenfants,etnousnoussommestoujourssoignésavec les phages. En Géorgie, les antibiotiques n’ont pas été utilisés en masse, ce que je considère comme une bonne chose. Aujourd’hui, on peut voir à quel point les bactéries sont devenues résistantes en Occident », explique la scientifique. Des cocktails de phages sont vendus dans la pharmacie de la clinique où l’on fait des diagnostics. Les Géorgiens y font la queue tous les matins pour se faire prélever des échantillons et trouver les phages correspon- dant à leur infection, telles les otites ou les angines. Ici, la vieille cure n’a pas été oubliée! Alain Dublanchet est lui aussi persuadé que la phagothérapiefonctionne. Mais il est également certain que cela ne peut se faire dans l’approximation et que la réintroduction doit être encadrée afin de ne pas reproduire les erreurs qui ont été faites avec le mésusage des antibiotiques. «Les phages connaissent récemment un effet de mode», analyse le microbiologiste. « J’ai tendance à tempérer tous ces élans. Il est tellement facile de préparer des phages! Cela pourrait conduire à des ennuis supérieurs à ceux que nous avons connus avec les antibiotiques. C’est notamment pourquoi nous sommes en train de constituer le Centre français d’étude de la phagothérapie (Cefep), pour définir des protocoles, des procédures d’utilisation; en bref, un bon usage des phages.» La première réunion constituante du centre a eu lieu le 6 juin, avec entre autres des représentants d’associations de patients, des infectiologues et des microbiologistes… Son objectif est d’obtenir une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative. Les ATU sont notamment utilisées lorsque l’efficacité et la sécurité d’emploi des médicaments en question sont présumées, en l’état des connais- Le pied de Caroline Lemaire a été sauvé avec l’a des phages. Aujourd’hui, la plaie a bien guéri e événement Les bactériophages détruisent la bactérie cible, créant ainsi des plages claires. C’est ainsi que leur efficacité est testée à l’Institut Eliava de Tbilissi. SCIENCE & TECHNO 0123 Samedi 16 juin 2012 5 Des prédateurs naturels des bactéries ANULIINA SAVOLAINEN Les phages n’attaquentpas les celluleshumaines maisciblent des micro-organismesspécifiques esbactériophages,courammentappelésphages, sont des virus spécifiques des bactéries. Ils sont présents dans l’environnement, dans des quantités dix fois supérieures aux bactéries. Nous en respirons, nous en buvons et en avalons chaque jour. Ils ont la particularité d’avoir une étroite spécificité d’espèce bactérienne; ils attaquent des bactéries en particulier, à l’opposé des antibiotiques qui ciblent de larges spectres. Contrairement à d’autres virus, ils n’attaquent pas les cellules humaines. « Certains phages peuvent provoquer des réactions immunitaires de la part de l’organisme, mais nous ne savons pas encore précisément comment ils sont perçus par le corps humain », indique Laurent Debarbieux, chargé de recherche à l’Institut Pasteur de Paris. En présence de bactéries, les phages les infectent et se multiplient en utilisant le matériel de leur hôte. Puis ils détruisent la paroi de la bactériepour se libérer, prêts à attaquerde nouvelles bactéries. Un cycle complet se déroule très rapidement, de quelques minutes à une heure. L Une efficacité variable La distinction entre les deux types de phages, tempérés et lytiques, est essentielle. A la différence des phages lytiques, les phages tempérés ont la capacité d’intégrer leur génome à celui de la bactérie hôte, et de se multiplier avec elle sans la détruire.En thérapie, seuls les phages lytiques, dits aussi « virulents», doivent être utilisés. Il faut donc s’assurer de leur nature lytique.Toutefois,les phages ne sont pas efficaces sur toutes les bactéries. « Ils fonctionnent assez bien pour les bactéries extracellulaires », explique Camille Locht, directeur de recherche à l’Inserm et directeur scientifique de l’Institut Pasteur de Lille. Mais les bactéries intracellulaires, comme Mycobacterium tuberculosis, responsable de la tuberculose, leur restent inaccessibles. L’un des écueils redoutés par Alain Dublanchet, microbiologiste, est la modification génétique des phages. En effet, dans la nature, les phages sances scientifiques. Car, pour le moment, le docteur Dublanchet et le professeur Patey ont cessé de traiter des patients. « Nous avons relancé la machine, mais nousne voulonspas continuerà bidouillercomme ça», commente le professeur Patey. Lesphages nepeuventplus se passerd’études cliniques et d’autorisations de mise sur le marché pour être commercialisés. Ils doivent emprunter le même chemin que s’ils étaient de toutes nouvelles molécules, jamais testées sur l’homme. Une question parlementaire avait d’ailleurs été émise à ce sujet, en 2011, demandant si le cadre réglementaire européen actuel pour les médicaments pouvait être modifié en vue de l’adoption en Europe de la phagothérapie. La Commission, dans sa réponse, a argué que « les bactériophages peuvent être réglementés au même titre que n’importe quel médicament» et que « si la substance active est une substance biologique qui est produite à partir d’une source biologique ou en est extraite, des exigences spécifiques sont requises dans le dossier d’autorisation de mise sur le marché ». Or, les phages sont des virus, à la frontière du vivant,et ils n’entrentpas dans la définition de «substance biologique produite ou extraite d’une source biologique». Ladéputée européenneCatherineTrautmann, à l’initiative de la question parlementaire, se dit déçue par la réponse. « Nous restons bizarrement aide du docteur Alain Dublanchet, qui l’a traité avec et l’ex-patiente mène une vie normale. ANULIINA SAVOLAINEN bloqués par une vision clinique du médicament, alors qu’il faut penser processus thérapeutique. » Mener des essais cliniques sur les phages, c’est justement ce à quoi s’emploie Laurent Debarbieux, chargé de recherche à l’Institut Pasteur de Paris. Il est l’un des seulschercheursen Franceà travaillersur leur utilisation dans un but thérapeutique. Il y a six ans, il est tombé sur un article intitulé « Stalin’s forgotten « Nous avons relancé la machine, mais nous ne voulons pas continuer à bidouiller comme ça » Olivier Patey infectiologue cure » qui traitait de l’usage des phages fait en Europe de l’Est. Sa curiosité a été piquée, et les phages thérapeutiques sont devenus son sujet de recherche. « Mon objectif est de mettre en place des expériences rigoureuses», résume-t-il. Il travaille notamment sur l’utilisationdes phagespour traiter les infectionspulmonaires, comme celles dues à la mucoviscidose. Les poumons « présentent l’avantage d’un accès rapide au site infectieux par les voies respiratoires, au moyen d’un aérosol », détaille Laurent Debarbieux. Les tests ont été effectués sur des souris sauvages, infectées par une dose létale de bactéries au niveau des poumons puis traitées avec des phages. Les résultats obtenus sont excellents – toutes les souris qui ont reçu des phages ont guéri, les autres sont mortes. L’étape suivante permettra de réaliser les tests chez des souris qui ont la mucoviscidose. Il est aussi prévu que des essais soient menés sur des crachats de patients atteints de mucoviscidose, en partenariat avec trois établissements hospitaliers. Le chercheur n’est pas le seul à trouver les résultats prometteurs. De son côté, le professeur Patey est en passe de commencer des essais précliniques sur des modèles animaux. Pour avoir une chance de voir les phages commercialisés, il est nécessaire que les industriels investissent. Or, les phages, issus de la nature, ne sont pas brevetables. Pherecydes Pharma, start-up opérationnelle depuis 2007, s’est penchée sur le développement de cocktails de phages qui, eux, sont brevetables. Trois cocktails sont en préparation: le premier, destiné aux infections de la peau, est en essais précliniques. Le deuxième est voué à combattre les infections respiratoires provoquées par les bacilles pyocyaniques. Enfin, le troisième cible le staphylocoque doré, dans les cas d’infections osseuses et articulaires profondes. Ce dernier cas est celui dans lequel était Caroline Lemaire au moment où elle a atterri entre les mains Bactériophages sur la bactérie « Escherichia Coli » 0104 : H4, souche 55989. INSTITUT PASTEUR/C. LE BOUGUÉNEC, L. DEBARBIEUX, P. BOMME, J-M.PANAUD font évoluer leurs protéines de reconnaissance des bactéries pour s’adapter aux mutations de celles-ci. Il est possible de reproduire ces mutations en laboratoire. Les phages variants obtenus sont donc des MGM, des micro-organismes génétiquement modifiés. Effectuer ces mutations en laboratoire apporterait entre autres l’avantage de faire évoluer les cocktails rapidement, plutôt que d’attendre que les phages s’adaptent naturellement. Mais l’idée dérange le docteur Dublanchet. « Modifier les bactériophages, c’est jouer les apprentis sorciers. Il faut être extrêmement prudent », martèle-t-il. p Ra. M. et An. S. du docteur Dublanchet, du professeur Patey et du docteur Asselineau. « Ils voulaient m’opérer d’une certaine façon, qui impliquait six mois d’hospitalisation. Je ne pouvais pas psychologiquement… Je leur ai proposé d’enlever la vis que j’avais à ce moment-là à travers le pied et de mettre un drain afin de permettre d’y déposer les phages. » C’est de cette façon que le docteur Asselineau va procéder. Caroline est opérée en avril 2009. Les phages sont administrés d’abord quotidiennement pendant un mois et demi, puis l’administration est espacée. En juillet, la plaie est refermée et les douleurs ont disparu. Aujourd’hui, le bouche-à-oreille a fait son effet et les demandes se multiplient. « Je reçois des appels toutes les semaines pour savoir si nous pouvons fournir des phages », explique le PDG de Pherecydes Pharma, Jérôme Gabard. Même chose à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. Pourtant, Alain Dublanchet, Olivier Patey et Alain Asselineau restent prudents. Ils insistent sur le fait que la phagothérapien’est pas une solutionmiracle. Caroline Lemaire, de son côté, n’a pas eu de rechute depuis le traitement. Et n’a plus de douleurs. « Je m’en suis quand même bien sortie », juge-t-elle aujourd’hui. p A l’Institut Eliava, en Géorgie, la professeure Zemphira Alavidze teste des bactériophages sur des souches de bactéries « Staphylococcus». ANULIINA SAVOLAINEN Les militaires intéressés La Direction générale de l’armement (DGA) subventionne les PME innovantes à caractère dual – c’est-à-dire qui présentent des intérêts tant dans le domaine civil que militaire – avec le dispositif Rapid, autrement dit Régime d’appui aux PME pour l’innovation duale. Dans ce cadre, elle a récemment octroyé 900 000 euros à la jeune société Pherecydes Pharma, qui travaille sur la production de phages thérapeutiques selon les bonnes pratiques de laboratoire et de fabrication. « L’intérêt de notre soutien à Pherecydes Pharma est de documenter l’efficacité et l’innocuité des phages, déclare Emmanuelle Guillot-Combe, responsable du domaine biologie et biotechnologies à la DGA. Les blessés de guerre peuvent être rapatriés avec des brûlures surinfectées par des bactéries multirésistantes. Nous pouvons alors nous retrouver face à des impasses thérapeutiques. » A l’avenir, la DGA pourrait envisager de soutenir des recherches sur l’inhalation de phages thérapeutiques dans le traitement des infections pulmonaires causées par des bactéries connues pour être de redoutables armes bactériologiques. L’intérêt des militaires n’étonne pas l’infectiologue Olivier Patey. « Ça fait longtemps qu’ils travaillent dessus ! La guerre bactériologique n’est pas une nouveauté. Par exemple, les bactéries de la maladie du charbon peuvent être manipulées pour être résistantes à tous les antibiotiques, donc l’armée a tout intérêt à trouver d’autres solutions. » Côté géorgien, le bacille de la maladie du charbon a déjà été objet d’études scientifiques au sein de l’Institut Eliava. Son directeur, Revaz Adamia, rappelle que les phages étaient massivement utilisés par l’armée soviétique : « Il leur était obligatoire d’en prendre en prévention contre les maladies intestinales s’ils allaient dans les régions chaudes de l’Asie centrale, par exemple – et cela marchait. » 6 0123 Samedi 16 juin 2012 SCIENCE & TECHNO Trompeuses lois des astres et du hasard rendez-vous bande passante LE LIVRE Deux petits livres démystifient l’astrologie et les erreurs de perspectives liées aux fausses coïncidences David Larousserie e petit éditeur du sud de la France Book-e-book poursuit la publication de courts manuels critiques destinés à pourfendre les croyances et autres pseudosciences. Après une démystification en règle des effets de la Lune sur les humains (Le Monde du 10 décembre 2011), voici deux textes contre l’astrologie et les pièges du hasard, des coïncidences ou des fausses lois des séries. Comme dans le cas de la Lune, il ne s’agit pas de pamphlets écrits par des scientistes arrogants désireux de se payer la tête de charlatans, mais d’ouvrages tentantdedévelopperl’espritcritiquedulecteur en lui apportant des connaissances et des manières de raisonner. L’opuscule sur l’astrologie est donc aussi un minitraité d’astronomie élémentaire. Et celui sur le hasard parle des probabilités. Dans le premier livre, Horoskopos, le lecteur découvrira que les critiques ne datent pas d’aujourd’hui. Quelques arguments sont connus. Il n’y a pas douze, mais treize constellations. Leur place dans le ciel varie avec la rotation de l’axe de la Terre, si bien que, en fonction des périodes, une date correspond à des signes différents. D’ailleurs, sur ces questions, les astrologues euxmêmes sont divisés entre courants. L’auteur pointe aussi des simplifications dans la description du ciel, et aussi des erreurs de calcul pour ce qui est de l’angle entredeux planètes,censérenforcerla « force» d’un signe. Mais le gros défautde l’astrologie concerne les raisons d’un effet des planètes ou des étoiles sur les comportements, les sentiments et les aléas de la vie. Ses partisans n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent : biomagnétisme, photoréception, synchronisation de cycles… Des mots certes savants mais des concepts très peu étayés. A noter que l’auteur promet un second tome destinéà dévoiler les trucs des astrologues servant à rédiger des prévisions suffisamment floues pour n’être jamais fausses et pour que chacun y trouve son compte. L Le paradoxe des anniversaires Dans le second livre, Comme par hasard!, le lecteur devra faire un peu de maths pour comprendre pourquoi des coïncidences apparemment mystérieuses ne le sont pas toujours.Ainsiduparadoxedit«desanniversaires », qui fait s’extasier devant le fait de rencontrer lors d’une soirée deux personnes nées le même jour. En fait, dès qu’il y a plus de 23 personnes, la probabilité de trouver deux dates anniversaires identiques est de plus de 50 %. Cela traduit la difficulté de notre cerveau à appréhender les situations. Dans ce cas, en reformulant différemmentle problème, on arrive à une conclusion différente. Ainsi, la probabilité que dans l’assembléeil y ait une personneayantla mêmedate anniversaire que « moi» est en effet très faible. Mais ce n’est pas la même question. Les auteurs détaillent aussi d’autres biais cognitifs comme notre tendance à « l’attente excessive d’étalement ». A pile ou face, on voudrait par exemple que quelques tirages aléatoires ressemblent à la situation où ce nombreest infini, autantde pile que de face. Et dès lors que ce n’est pas le cas on s’étonne et on cherche des causes mystérieuses. Ces erreurs d’appréciation auraient pourtant des vertus. Pour la survie de l’espèce, il vaut mieux se tromper en détectant des co-occurrences erronées de phénomènes, que de rater celles qui sont réelles et… fatales (comme l’association entre bruit de feulement et fauve). Pour certains psychologues évolutionnistes, si nous ne nous étonnions de rien, nous n’aurions pas survécu longtemps. Le regret est tout de même la brièveté de ces stimulations intellectuelles qui gagneraient à être étoffées, quitte à développer des arguments ou à multiplier les exemples et les sources. p Horoskopos, de Frédéric Lequèvre, et Comme par hasard !, de Nicolas Gauvrit et JeanPaul Delahaye, Book-e-book, 66 pages, 11 ¤. 14 C’est, en moyenne, le pourcentage de l’accroissement du risque de mourir le jour de son anniversaire, selon une étude conduite par des chercheurs de l’université de Zurich. Ils ont analysé les données de 2,3millions de personnes provenant des statistiques de la mortalité suisse sur une période de quarante ans (1969-2008). Passé l’âge de 60ans, la probabilité de trépasser le jour de son anniversaire est accrue de 11 % chez les hommes et de 18 % chez les femmes. La cause de la mort est principalement liée aux maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires (18,6%), plus souvent chez la femme que chez l’homme, ainsi qu’aux suicides et aux accidents, en particulier les chutes chez les hommes. Il a même été trouvé une augmentation de 10,8% des décès par cancer ce jourlà. Ces résultats, publiés en ligne dans Annals of Epidemiology, confortent l’hypothèse selon laquelle le « blues de l’anniversaire» peut être fatal. Sidney Bechet, Ingrid Bergman et Léon Zitrone en savent quelque chose! Chaque semaine, des membres de l’Ouvroir de bande dessinée potentielle (Oubapo) se relaient, inspirés par la science. Guide de la parfaite auto-stoppeuse IMPROBABLOLOGIE Livraisons Santé publique « Interdire le tabac. L’urgence ! » Le tabagisme tue directement chaque année environ 5 millions de personnes dans le monde, 60 000 en France. Il multiplie par trois le risque d’infarctus, est responsable de millions de cas de bronchites chroniques… Bref, « dans la hiérarchie macabre du risque, du danger, de la mortalité, le tabac éclipse très largement tous les autres risques sanitaires», écrit Martine Perez dans son dernier ouvrage. Dès lors, s’interroge ainsi la médecin-journaliste, rédactrice en chef de la rubrique sciences-médecine au Figaro, pourquoi un tel poison n’est-il pas encore interdit? A l’appui de sa démonstration, les principaux dangers du tabac pour la santé sont comparés aux risques – plus médiatisés mais infiniment moins importants selon l’auteure – liés au nucléaire, aux OGM, au bisphénol ou encore aux antennes-relais. > Martine Perez (Odile Jacob, 256 pages, 17,90 ¤). Pierre Barthélémy Journaliste et blogueur (Passeurdesciences.blog.lemonde.fr) (PHOTO : MARC CHAUMEIL) ne somme conséquente d’études a montré que, dans le choix d’une partenaire, les hommes prenaient particulièrement en compte l’attractivité physique de ces dames – tandis que celles-ci privilégiaient plutôt un statut social élevé et de bonnes perspectives financières (c’est ce que la science dit en tout cas…). Reste à définir les caractéristiques qui signent le pouvoir d’attraction des femmes. C’est là qu’entre en scène… l’autostoppeuse. Il s’agit d’un des outils d’expéri- U par un panel d’hommes avant l’expérience), se sont relayées sur le bord de la route en changeant régulièrement de perruque : brune, blonde ou châtain. Le test a confirmé que, même s’ils ne le reconnaissent pas toujours, les hommes préfèrent décidément les blondes, sans doute parce qu’ils les perçoivent comme plus jeunes, plus fertiles et en meilleure santé que les autres, comme l’ont montré plusieurs études. Pour la dernière expérience, le même protocole a été suivi à la différence que les complices avaient la même teinte de cheveux et que seule changeait la couleur de leur tee-shirt: noir, blanc, jaune, rouge, vert ou bleu. Ces coloris sont arrivés plus ou moins à égalité à l’exception du rouge, qui a fait s’arrêter plus d’un conducteur sur cinq, contre un sur sept en moyenne pour les autres. Associé à la femme fatale, le rouge est la couleur qu’exhibent, sur leur périnée, nos cousines les femelles babouins, macaques ou chimpanzés pendant leur phase fertile… Certains chercheurs estiment aussi que si le visage des femmes en période d’ovulation est jugé plus attractif, c’est peut-être aussi parce qu’il est plus vascularisé, donc plus rouge. Notons que les auto-stoppeuses de ces tests ne sont montées dans aucune voiture. A chaque fois qu’on s’arrêtait pour les prendre, les jeunes femmes expliquaient qu’il s’agissait d’une expérience. Les études ne précisent pas combien de conducteurs leur ont répondu: «Dommage…» p La novlangue de la recherche Documentaires Continents et volcans La chaîne Arte publie, en deux coffrets, dix documentaires sur les sciences de la Terre. Dans Le Peuple des volcans, le spectateur fait le tour du monde à la rencontre de cratères de toutes sortes, accompagné par des spécialistes. Malgré la violence de ces phénomènes, on découvre quelles vies, animales ou humaines, peuvent se développer alentour. Avec le second coffret, La Valse des continents, les volcans sont de retour mais ils sont associés à d’autres colères de la Terre comme les séismes et les tsunamis qui y sont associés. Ces cinq films racontent en fait nos origines à partir de cataclysmes, éruptions, érosions, tectoniques des plaques… Toutes les images sont évidemment superbes et les commentaires, accompagnés parfois de schémas animés, sont très pédagogiques. > « Le Peuple des volcans » et « La Valse des continents » (Arte Editions, 25 ¤). mentation favoris de Nicolas Guéguen, chercheur en sciences du comportement à l’université de Bretagne-Sud, qui a déjà eu les honneurs de cette chronique sur la science improbable. L’homme s’est fait une spécialité de manipuler l’apparence extérieure d’autostoppeuses complices et de mesurer leur impact sur le nombre d’arrêts des automobilistes. Prenons les trois dernières expériences qu’il a menées, dont les résultats ont respectivement été publiés en 2007, 2009 et 2010. Dans la première, partant de l’idée que la taille des seins est devenue un atout capital dans le jeu de la séduction, au point que des millions de femmes dans le monde ont fait augmenter leur tour de poitrine, il a eu recours à un petit stratagème. Il a recruté une complice peu dotée par la nature (bonnetA de soutien-gorge) et lui a fait lever le pouce sur une route bretonne. En ajoutant des prothèses de latex, elle pouvait à volonté remplir un bonnetB ou unC et avait pour instruction de changer de taille toutes les 100 voitures. Sans trop de surprise, le nombre d’arrêts d’automobilistes mâles a augmenté proportionnellement au tour de poitrine… Celui des conductrices n’a pas significativement bougé, comme cela a aussi été le cas dans les tests suivants. Pour la deuxième expérience, c’est la couleur des cheveux qui variait. Cinq jeunes femmes vêtues de la même manière, ayant le même tour de poitrine et un visage d’une attractivité équivalente (mesurée LES COULISSES DE LA PAILLASSE Marco Zito Physicien des particules, Commissariatàl’énergieatomique etauxénergiesalternatives (PHOTO : MARC CHAUMEIL) hat is the selling point of your analysis?» («Quel est l’argument de vente de votre analyse?») La question, posée par un chercheur américain, me laissa pantois. C’était il y a une dizaine d’années, dans la Californie des start-up, où l’idéologie du marché envahissait les cerveaux et s’imposait comme norme de communication. Je n’avais pas encore conçu mon créneau de recherche comme une lessive à vendre. En parallèle se développait une énorme W pression pour augmenter notre productivité qui transformait en profondeur notre façon de travailler. Il y a eu cette discussion animée sur le fait que la calibration (étalonnage) de mon détecteur aurait pris cinq minutes par jour. Cinq minutes ne me semblait pas excessif, mais rien à faire. Avec la rigidité d’un sergent de Marines, mon interlocuteur, responsable de cette partie du détecteur, voulait que le tout tienne en deux minutes. Peu importe si cela n’était pas raisonnable. Une collègue avait alors trouvé avec cette personne une parade formidable. Quand la discussion se corsait, elle passait en français et cela le rendait à l’instant plus calme, comme si chaque langue portait avec elle ses priorités idéologiques. Depuis, j’ai affiné mes armes. Chaque fois que je prépare mes demandes de financement, j’ai l’impression de me transformer en « commercial» de ma recherche. Et je remplis des pages de «selling points»! Mais ce processus de restructuration de la recherche s’est accéléré lui aussi. La volonté, dans les hautes sphères, de réduire nos budgets et nos effectifs est enrobée dans un discours de type marketing. On introduit des éléments de concurrence et même de marché dans un domaine où on ne produit pas de marchandises. Difficile en effet de déterminer la valeur commerciale d’un résultat scientifique, surtout là où il n’y a ni brevet ni retombées économiques immédiates. Comment estimer la découverte de la particule de Higgs par exemple? Cette restructuration s’accompagne d’une forte dose de novlangue, où tout est innovation, rationalisation, dynamisme, excellence. L’excellence en particulier est devenue incontournable: laboratoires d’excellence (« labex »), initiatives d’excellence… Voir le site de l’Agence nationale de la recherche (ANR): «L’ANR a pour mission d’augmenter la dynamique du système français de recherche et d’innovation en lui donnant davantage de souplesse. (...) Elle doit favoriser l’émergence de concepts, accroître les efforts de recherche sur des priorités économiques et sociétales, intensifier les collaborations public-privé et développer les partenariats internationaux.» Sur le site « Sauvons l’université», vous trouvez « Le “parlex” sans peine», petit manuel à l’usage des chercheurs encore maladroits dans cette pratique de l’«excellence» à tout prix. Comment générer des phrases creuses comme «L’innovation rationalise les complémentarités thématiques des Labex»? Il suffit de choisir un sujet parmi les mots « ambition», «partenariat», « innovation», « compétition», «performance» ; un verbe parmi « rationalise», « mobilise», « fertilise», « dynamise», « décloisonne» ; un complément d’objet direct parmi « facteurs», « processus», «atouts», « synergies», « transferts», etc. Vous pouvez ainsi générer 100000inepties qui semblent cacher une profonde réflexion stratégique. A quand un programme informatique qui génère tout seul d’excellentes demandes de financement? p rendez-vous D A N S L E S SCIENCE & TECHNO ù puis-je trouver un miroir parabolique? Chez qui acheter mon laser de pompe? Quelqu’un sait-il où se fournir en vis en molybdène? Comment est le service après-vente de l’entreprise XXX? Savezvous comment remplir le formulaireB12-3? Autant de questions qui pullulent sur des listes de diffusion bien particulières, réservées aux chercheurs, ingénieurs et techniciens des laboratoires français. Depuis 2000, le CNRS a en effet lancé des réseaux de « ressources et compétences technologiques» dans plusieurs domaines aussi variés et pointus que les hautes pressions, la mécanique, la microscopie électronique, les plasmas froids, les lasers à impulsions courtes ou l’administration d’un laboratoire et la démarche qualité en recherche… Vingt-deux de ces « laboratoires virtuels» existent aujourd’hui, concernant près de 10 000 agents (pas tous du CNRS puisque l’initiative est ouverte aux universitaires et autres organismes de recherche) répartis dans 500laboratoires. Deux nouveaux thèmes viennent de s’ajouter autour des développeurs de logiciels et de la question des bases de données. O Ces structures « sans mur» servent pour échanger des idées, des tuyaux ou des offres de postes par le truchement des listes de diffusion, mais aussi pour des actions de formation, la rédaction de livres de référence, la mise en ligne de cours, le partage d’informations… C’est surtout un moyen de rendre concrète l’idée d’interdisciplinarité, puisqu’une même technologie (d’imagerie, d’analyse de signal, de métrologie…) peut servir aussi bien à un biologiste qu’à un métallurgiste, un physicien ou un chimiste. Une initiative plébiscitée «A l’origine, à la fin des années 1990, le CNRS m’avait demandé de faire quelque chose d’intelligent autour de l’interdisciplinarité», se souvient Gérard Lelièvre, directeur de la mission Ressources et compétences technologiques (www.mrct.cnrs.fr), créée en 2000 à la suite de cette réflexion. « Je me suis appuyé sur deux forces de l’organisme: sa maîtrise des technologies et ses personnels.» « Pour lancer notre réseau, nous étions partis du constat qu’il y avait, à cause des départs à la retraite, un risque de pertes de compétences. Il devenait urgent de mettre en commun les savoirs et savoir-faire de notre communauté », rappelle JeanPaul Itié, qui a dirigé longtemps le réseau des hautes pressions ayant ser- vi de modèle aux autres. Depuis, le succès de l’initiative ne se dément pas. «A nos journées annuelles de rencontres, nous sommes obligés de refuser du monde», constate Brigitte GaillardMartinie, qui dirige le réseau de microscopie électronique et est directrice de recherche à l’INRA. «Ces rencontres réelles sont importantes. Des collaborations sont nées entre des biologistes qui travaillent sur des protéines à basse température et des métallurgistes pour qui les températures sont bien plus élevées », témoigne Pascal Lejay, du réseau de croissance cristalline. Ces réseaux techniques, bâtis sur l’échange et la formation, peuvent donc aussi donner naissance à de véritables projets scientifiques. Ainsi, la communauté des hautes pressions a poussé pour que le synchrotron Soleil, en région parisienne, soit équipé d’un dispositif permettant d’étudier des échantillons très contraints. « Cela aurait été impossible sans l’existence de ce réseau», constate Jean-Paul Itié. Gérard Lelièvre cite aussi des brevets et des contrats avec l’industrie issus de collaborations improbables. Le tout pour un budget d’environ 600000 euros. «Tout cela est permis grâce aux spécificités du CNRS qui sont sa vocation nationale en recherche et sa diversité des disciplines», rappelle Béatrice Cha- 7 Agenda L A B O S Des réseaux pour stimuler l’interdisciplinarité David Larousserie 0123 Samedi 16 juin 2012 tel, du réseau des lasers à impulsions courtes. D’ailleurs, de telles initiatives n’auraient pas d’équivalent à l’étranger. « Le CNRS a conscience de l’importance de ces réseaux mais ne doit pas diminuer ses efforts. Or il y a des baisses de crédits formation et nous avons du mal à financer notre prochaine réunion», témoigne un responsable de réseaux. La participation des autres acteurs de la recherche serait sans doute aussi bienvenue. Quoi qu’il en soit, «pour solidifier ce tissu», comme le dit Gérard Lelièvre, les responsables se retrouveront en novembre à Lyon pour imaginer des connexions entre tous ces réseaux. p Conférence « Héritage épigénétique dans le cerveau » En 2010, l’épigénétique a découvert que, dans le cerveau des souris, l’expression de 1 300 gènes dépend de leur origine, maternelle ou paternelle. La biologiste Catherine Dulac (Harvard), membre de l’Académie des sciences, animera le mardi 19 juin une conférence sur le thème de l’épigénétique et de son rôle dans la régulation du fonctionnement du cerveau. > Mardi 19 juin 2012, de 11 heures à 12 heures, Grande Salle des séances, Institut de France, 23, quai de Conti, Paris 6e. Exposition Un spécimen record de météorite Un an après la pluie de météorites qui s’est abattue sur le département de l’Essonne, le Muséum national d’histoire naturelle présente au public un rare spécimen. Cette pierre de 5,2kg, le plus gros échantillon connu, sera exposée, dès le 14 juin, dans le hall de la Grande Galerie de l’évolution. Elle y restera jusqu’au printemps 2013, puis elle sera transférée à la Galerie de minéralogie et de géologie, actuellement fermée pour rénovation. > Muséum national d’histoire naturelle, Grande Galerie de l’évolution, 36, rue GeoffroySaint-Hilaire, Paris 5e. Pourquoi la pluie n’écrase pas le moustique zoologie MarcGozlan Journaliste avid Hu, chercheur au département d’ingénierie mécanique et de biologie de l’Institut de technologie de Géorgie à Atlanta (Etats-Unis), explique avoir eu l’idée de son projet de recherche un soir d’été lorsque, sur le porche de sa maison, il vit que son fils de six mois venait d’être méchamment piqué au front par un de ces satanés moustiques alors qu’il pleuvait à verse. Il voulut alors comprendre comment ces frêles insectes se jouent des lourdes gouttes de pluie qui devraient les écraser, un moustique recevant en moyenne un impact toutes les 25 secondes. Sachant qu’un moustique de 3 millimètres a une masse de 2milligrammes et que celle d’une goutte de pluie pèse entre 4et 100milligrammes, cette dernière a donc une masse de 2à50fois plus grande que celle de l’insecte. Utilisant des caméras filmant 4000 images par seconde, les chercheurs ont soumis six moustiques à un jet d’eau de 9 mètres par seconde, dont les gouttes s’écoulaient à travers un fin grillage qui recouvrait une boîte en acrylique. La collision avec une goutte propulsait l’insecte D sur une distance équivalente à 13fois sa longueur, au terme de laquelle il parvenait à se détacher de la goutte avant de toucher le fond du récipient, en prenant la tangente pour atterrir sans encombre sur les parois de la boîte. Les six moustiques ont tous survécu à ce déluge. Les chercheurs ont ensuite soumis vingt anophèles à des conditions moins diluviennes. Ils ont observé que les impacts étaient trois fois plus nombreux sur les ailes et les pattes des moustiques, causant, selon le point d’impact, lacets, roulis et tangage chez le valeureux insecte. Là encore, celui-ci parvenait à retrouver sa position initiale en un centième de seconde. Lorsque la goutte le frappait de plein fouet, entre les ailes par exemple, l’insecte était entraîné à la même vitesse que la goutte. A chaque fois, le moustique parvenait à se séparer d’elle, mais non sans avoir chuté d’une distance de 5 à 20fois sa longueur. Autant dire que l’insecte a plutôt intérêt à ne pas voler trop près du sol s’il veut éviter un second impact qui lui serait fatal. Un « maître du tai-chi-chuan» En définitive, si l’affreux moustique survit à l’impact d’une goutte, il le doit surtout à sa faible masse. Telle est la principale conclusion de cette étude parue dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). Tout se passe comme si l’insecte choisissait non pas d’éviter les gouttes, mais de se déplacer passivement avec elles plutôt que de leur résister. Après impact, il devient un « passager clandestin» de la goutte, déclare David Hu, pour qui le moustique est le « maître incontesté du tai-chi-chuan, un art martial dont la philosophie consiste à évi- L’exosquelette du moustique lui permet d’encaisser des force de compression élevées. TIM NOWACK ter les forces de l’adversaire pour simplement les accompagner dans la même direction». Il semble aussi que le moustique utilise ses longues ailes et ses pattes pour faire pivoter le « couple» qu’il forme avec la goutte afin de s’en libérer. Au contact du moustique, la goutte ne perd qu’une petite partie de son élan (entre 2 % et 17%), mais provoque en revanche une énorme accélération de l’insecte de très faible masse : entre 100 et 300g (constante gravitationnelle), l’équivalent de 50à 150fois son poids, alors qu’un être humain ne supporte au maximum qu’une accélération de 25g. Les chercheurs évaluent la force d’impact qui s’exerce sur le moustique à 300à 600dynes, soit plusieurs dizaines de fois le poids de la bestiole, qui peut aisément la supporter. Car ces insectes ont la peau dure. Grâce à leur exosquelette, qui soutient et protège leur corps, ils peuvent encaisser des forces compressives de 3 000à 4000dynes. «Son exosquelette est si résistant qu’il peut supporter l’équivalent du poids de 1 000autres moustiques sur sa tête et être capable de revoler», souligne David Hu. Ce chercheur estime qu’il reste beaucoup à apprendre du comportement des insectes dans les rafales de vent, le brouillard et autres conditions climatiques défavorables. Son prochain projet consistera à étudier comment les moustiques s’accommodent de la rosée du matin. Encore une histoire d’eau. p affaire de logique franceinter.fr MATHIEU VIDARD 14h - La tête au carré avec chaque vendredi la chronique de la rédaction du cahier Science&techno 0123 8 Samedi 16 juin 2012 SCIENCE & TECHNO technologie Des écrans souples pour bientôt ? Depuis plusieurs années, l’avènement d’écrans flexibles est donné pour les mois suivants. Et puis plus rien. Début juin à Boston, lors de la conférence SID sur les écrans, plusieurs constructeurs, dont Sony, ont présenté des prototypes, sans date de commercialisation. Mais l’initiative de Samsung laisse penser que ce serpent de mer de l’électronique pourrait enfin émerger : le géant coréen a annoncé au printemps la mise en production de tels écrans, et le dépôt en mars auprès du Bureau américain des brevets d’un nom de marque pour cette technologie, baptisée Youm. Samsung avait déjà présenté en 2010 et 2011 des prototypes de tels dispositifs lors de foires internationales. En avril, sur son site, il a décrit la technologie, qui diffère des écrans LCD classiques et dérive de ceux faisant appel à des diodes électroluminescentes organiques (OLED). Ces diodes sont déjà intégrées dans les écrans de télévision ou de téléphone mobile grâce à des matrices actives, appelées Amoled, qui permettent de gérer chaque pixel, c'est-à-dire chaque point de l’image, par le biais de transistors dédiés. Le Youm de Samsung s’affranchit de la rigidité de ces écrans en remplaçant les couches de verre par des films plastiques. L’effet obtenu est certes la flexibilité, mais aussi une robustesse à toute épreuve : des vidéos montrent que l’écran souple résiste sans dommage à des coups de marteau ! Les écrans des téléphones et des tablettes sont actuellement protégés par des films en verre trempé. La société américaine Corning Inc. fournit ainsi ses films Gorilla à un grand nombre de constructeurs. Elle a annoncé début juin la mise en production d’un film flexible, nommé Willow, qui serait produit sur des rotatives, à un moindre coût, et dont beaucoup supputent qu’il pourrait entrer dans la production de «gadgets» à écran souple. Téléphone Galaxy Skin (prototype) Technologies Youm Exemple de technologies actuelles OLED Anode Film polarisant 4 Film Encap Substrat de verre ou de plastique Cathode Matrice du film TFT 3 Film organique Couche organique (OLED) 2 Ecran d’affichage 1 Film TFT composé de transistors LCD Filtres en verre avec des films polarisants Rétroéclairage fluorescent Film TFT et électrodes Ecran Cristaux liquides Filtre de couleurs Ecran Film TFT et électrodes Face Dos INFOGRAPHIE LE MONDE SOURCE : CEA-LETI En Israël, un œil de silicium prend le volant uand le site de la revue Scientific American s’interroge sur les progrès de l’intelligence artificielle au cours du dernier demi-siècle, il retient deux superordinateurs d’IBM –Deep Blue (qui a battu le champion du monde d’échecs) et Watson, vainqueur à Jeopardy – ainsi qu’une société israélienne quasi inconnue: Mobileye. La puissance de cette dernière tient dans une puce d’à peine un centimètre carré baptisée « EyeQ ». Mais son algorithme est capable d’interpréter en temps réel tout ce que voit une simple caméra fixée sur une voiture pour empêcher les accidents ou en réduire l’impact. Pour voir comment ça marche, je suis allé faire un tour avec Ofir Atia, ingénieur de la compagnie. Faute d’essayer d’écraser un piéton (ça fait partie des tests… avec des mannequins), j’ai constaté que la caméra repère les véhicules: EyeQ calcule la vitesse relative du plus proche et celle de notre voiture et avertit par un gros bip quand on est trop près. Elle freine (brutalement s’il Q TOUR DU MONDE DE L’INNOVATION FrancisPisani Journaliste et blogueur (winch5.blog.lemonde.fr) (PHOTO : MARC CHAUMEIL) le faut), sauf si le conducteur donne un coup de volant. Elle détecte les piétons sur le bord de la route et freine automatiquement s’ils traversent pour éviter l’accident ou, si la vitesse est trop grande, pour en atténuer l’impact. Capable de faire plusieurs choses à la fois, à la différence des hommes (je ne parle pas des femmes), le système lit les panneaux de signalisation et indique la vitesse à respecter. Il signale quand on change de voie sans mettre son clignotant. La nuit, il change des codes aux phares en fonction de la circulation. La caméra « voit tout » : la puce analyse ce que la caméra voit et donne des ordres aux « actionneurs » (actuators), qui avertissent, serrent les ceintures de sécurité ou freinent. Autant de contributions à ce que les spécialistes nomment la « conduite autonome », quand la voiture n’aura plus besoin de nous. Cofondateur de Mobileye, Amnon Shashua est professeur de vision par ordinateur et apprentissage machine à l’Universi- té hébraïque de Jérusalem. Il m’a affirmé avoir imaginé dès 1999 – date de la création de la société – qu’il serait un jour possible d’assurer la sécurité d’un véhicule grâce à une seule caméra – «pour la même raison que quand on ferme un œil on ne devient pas aveugle» – quand on était alors convaincu qu’il en faudrait deux (ce qui coûte beaucoup plus cher). Comme la Silicon Valley La technologie de Mobileye se trouve déjà sur certaines voitures de GM, Volvo et BMW, et sera bientôt offerte en option sur Citroën et Honda entre autres. En septembre, un total de 1 million de véhicules en auront été équipés. Shashua compte en outre sur les autorités états-uniennes et européennes qui poussent à l’adoption d’appareils d’assistance à la conduite. A 150dollars, le coût du dispositif complet se rapproche du chiffre magique de 100 dollars à partir duquel les constructeurs automobiles peuvent envisager de l’intégrer. Mobileye a été rete- nue récemment lors d’une exposition scientifique parmi les 45inventions israéliennes les plus importantes. Et pourtant, m’a expliqué Shashua, « je savais [dès1999] que l’algorithme pouvait être développé, mais pas dans un milieu universitaire». Il a donc créé sa société pour pouvoir réunir les fonds nécessaires avec l’aide de Yissum, le fonds d’investissement de l’Université hébraïque, en échange d’une participation au capital. Les affaires vont bien et la compagnie pourrait être bientôt évaluée à 1milliard de dollars selon le site israélien Ynetnews.com. Shashua est convaincu que, à part dans la Silicon Valley, l’innovation n’a vraiment lieu qu’en Israël. « C’est dans notre ADN comme nation, estime-t-il, à la différence de ce qu’on voit en Europe ou en Inde. Nous avons les algorithmes Israël les plus avancés. En informatique, Israël est un empire.» p A Eurosatory, des innovations pour les militaires et les civils Exosquelette, caméra perce-muraille, gant détecteur de métaux… Des technologies duales étaientprésentées au Salon militaire Dominique Gallois e Salon de la défense et de la sécurité terrestres, Eurosatory, qui a fermé ses portes le 15 juin, a été l’occasion de présenter des innovations réalisées par de jeunes entreprises françaises. Particularité, elles sont duales : elles peuvent servir aux militaires comme aux civils. L L’exosquelette qui décuple les forces Les Américains l’ont appelé HULC, en référenceau célèbregéant vert,les Japonaisont choisi HAL, inspiré du nom de l’ordinateur intelligent de 2001 : l’odysssée de l’espace, les Français auront désormais leur robot collaboratif (« cobot ») appelé « Hercule ». « Nous avons préféré une référence à la mythologie», explique Serge Grygorowicz, à l’origine de cette invention qu’il a développée dans son entreprise Rb3d, basée à Auxerre.«LesAméricainsutilisentl’hydraulique, les Japonais des capteurs qui détectent l’influx nerveux, nous c’est intégralement électrique», précise-t-il. Sur le stand de la Direction générale de l’armement (DGA), une militaire soulève sanseffortunecaissede16kg,enayantl’impression de porter 1 kg : le reste étant supporté par les bras de l’exosquelette en aluminium. Sur son dos, la charge de 40kg est perçue comme pesant 2 kg, un sur chaque bretelle, car ce ne sont plus les muscles qui portent le poids mais la structure du robot. Hercule détecte les mouvements et les accompagne en supportant les efforts grâce aux jambes et aux bras mécatroniques, dispositif alliant mécanique, électronique et informatique. Le poids est ainsi transféré d’un pied sur l’autre pendant la marche, et quand la jambe est en l’air, on ne perçoit aucun effort. Les batteries lithium-ion ont une autonomie de quatre heures avec une chargede40kg. Lesperformancesd’Hercule seront augmentées, souligne Vincent Mauvisseau, directeur adjoint de Rb3d, car les militaires veulent 80 à 100 kg dans le dos et 40kg pour les bras. Si ce programme est soutenu depuis deux ans et demi par la DGA, il intéresse aussi les industriels, notamment ceux du BTP. Il faudra attendre2015 pour une commercialisation. L’exosquelette Hercule a été développé par l’entreprise Rb3d. EUROSATORY/DGA La caméra qui voit à travers les murs Sur l’écran, l’image ressemble à un tableau impressionniste aux couleurs rouge et bleue constellées parfois de points jaunes. Le rouge dessine et colorie la forme d’un corps, et le bleu révèle celle d’une bouteille portée sur l’abdomen. « Nous avons conçu un système de détection passif », raconte Christophe Gaquière, responsable de MC2Technologies, en commentant cette image obtenue grâce à une caméra qui capte les ondes électromagnétiques émises par le corps humain… dans une autre pièce : « C’est comme pour le téléphone portable, les ondes traversent les murs. » Leur fréquence est plus élevée, de 40 à 50 gigahertz, contre 1 giga pour les téléphones. Elles s’inscrivent en rouge sur l’écran, et en bleu, une couleur froide, si le signal ne passe pas. Outre la détection de personnes au-delà de cloisons, la Millicam90 peut déceler les explosifs, de la drogue et des armes. De quoi intéresser les aéroports, car elle peut être employée pour analyser les bagages abandonnés. « Cela permet une levée de doute», préciseM. Gaquière,quidéveloppe cette caméra à Villeneuve-d’Ascq, près de Lille, avec le soutien de la DGA. L’appareil est portable, il ressemble à une borne de 80 centimètres de haut et de 50 centimètres de large pesant 45 kg, dotée d’un écran. Une première caméra a été vendue à une société pour analyser les paquets. Le gant détecteur de métaux Sur le stand du GIGN, Emmanuel Thaunay fait essayer aux délégations son gant détecteur de métaux conçu par sa société Gapse, spécialisée dans la protection de biens et de personnes et basée à Angers. Dans la paume de la main, une bobine de détection reliée à un boîtier électrique permet de déceler toute présence métallique. Elle émet alors une vibration équivalant à trois vibreurs de téléphone que seull’utilisateur perçoit dans sa main. « La discrétion est d’autant plus forte qu’il n’y pas besoin de palper les gens, il suffit d’approcher le gant », commente M. Thaunay. Ce résultata été permisgrâce à la miniaturisation du système de détection, divisé par deux comparé aux systèmes des palettes de détection utilisées pour les contrôles. p