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Antiutopies apocalyptiques et posthumaines

After the Second World War and after the discovery of the atomic bomb, apocalyptic fears have intensified in modern literature, giving rise to a series of antiutopian writings, in which human civilization as we know it comes to an end in the wake of various catastrophes. Authors of antiutopias often populate their post-apocalyptic worlds with characters or groups of survivors that suffer anthropological, moral, or spiritual mutations. Technological and genetic manipulations engender robotic (Karel Čapek) or mechanized individuals (David Bunch) and decerebrated (T. J. Bass) or post-human mutants (Margaret Atwood). In these antiutopias, post-humanity is usually not only the heir but also a witness to the extinction of the human race, providing a testimony for the “last man on earth.”

Caietele Echinox, vol. 34, 2018: Posthumanist Conigurations 241 Corin Braga Antiutopies apocalyptiques et posthumaines Apocalyptic and Posthuman Dystopias Abstract: After the Second World War and after the discovery of the atomic bomb, apocalyptic fears have intensiied in modern literature, giving rise to a series of antiutopian writings, in which human civilization as we know it comes to an end in the wake of various catastrophes. Authors of antiutopias often populate their post-apocalyptic worlds with characters or groups of survivors that sufer anthropological, moral, or spiritual mutations. Technological and genetic manipulations engender robotic (Karel Čapek) or mechanized individuals (David Bunch) and decerebrated (T. J. Bass) or post-human mutants (Margaret Atwood). In these antiutopias, post-humanity is usually not only the heir but also a witness to the extinction of the human race, providing a testimony for the “last man on earth.” Keywords: Dystopia; Apocalypse; Posthumanism; Mutation; Margaret Atwood; T. J. Bass; David Bunch; Gordon R. Dickson; Karel Čapek. Corin Braga Université Babeș-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie [email protected] DOI: 10.24193/cechinox.2018.34.19 L e thème qui semble avoir obsédé le plus les antiutopistes contemporains est la in du monde, de l’humanité et de notre civilisation. Frank Kermode pense que l’imagination apocalyptique est structurellement liée aux mécanismes de la littérature, que toute narration est imbue par un « sens de la in » ou un « sens inal » (« the sense of en ending »), repris à l’« apocalyptisme naïf » de la culture populaire1. Cette situation est d’autant plus vraie en ce qui concerne le genre utopique, qui se donne pour but de mener, par expérimentation imaginaire, les prémisses d’un état de choses actuel à ses conséquences ultimes. Et si les utopies pointent vers un monde idéal et spirituel, situé au bout du vecteur de l’histoire et du progrès, dans une sorte de transcendance de la perfection immuable, les antiutopies ne peuvent qu’échouer dans la matière brute, la boue, l’inconscient, le néant. L’apocalypse est la juste in de toute pratique antiutopique qui n’hésite pas d’assumer ses principes directeurs. Les visions apocalyptiques jouissent d’une tradition plurimillénaire, à partir des textes des deux Testaments et des apocryphes intertestamentaires2 et post-testamentaires. Après la « crise de la pensée 242 européenne » (Paul Hazard) et le « désenchantement du monde » (Marcel Gauchet), les représentations religieuses ont cédé la place aux « apocalypses sécularisées »3. Au xixe siècle et dans la première moitié du xxe, ces évocations de destruction globale sont plutôt rares. On peut en citer Archéopolis d’Alfred Bonnardot (1859), After London ; or, Wild England de Richard Jefferies (1885), A Crystal Age de William Henry Hudson (1887), Deluge de Sidney Fowler Wright (1927), ou Ravage de René Barjavel (1943). Cependant c’est l’invention et la mise à l’épreuve de la bombe atomique, à la in de la Deuxième Guerre mondiale, qui a rouvert les angoisses de la ruine totale et inale. Si le « vril » d’Edward Bulwer-Lytton (1871) et le « krakatit » de Karel Čapek (1922) sont des énergies et des substances imaginaires capables de détruire la planète, voilà qu’avec la découverte de la ission et puis de la fusion atomique de telles armes deviennent réalité. C’est toujours René Barjavel qui, parmi les premiers, imagine des conlagrations qui anéantissent notre civilisation. Dans Le diable l’emporte (1948), une migration des pingouins au pôle, interprétée comme des manœuvres militaires, détermine les grandes puissances à utiliser des armes (à base d’« eau dure ») qui brûlent la planète, font fondre les glaces polaires et provoquent la montée des océans. Dans Une rose au paradis (1981), une bombe universelle déclenche toutes les autres bombes du globe, démontrant que le « paradis » humain est condamné et que, sur la Terre, « le diable l’emporte ». La fascination morbide des armes de destruction massive ampliie le potentiel apocalyptique de tous les autres dangers qui accompagnent le « progrès » de l’humanité. Corin Braga Prenons comme un des exemples les plus complets en ce sens he End of the Dream de Philip Wylie (1972). Comme tout contestataire du progrès technologique, vu en état d’antagonisme avec la nature, Wylie part de l’axiome que he more sophisticated the technology devised by man, the faster it erodes the environment.4 Le roman rassemble presque toutes les catastrophes possibles (et probables) qui menacent notre civilisation : radiations solaires, panes globales d’électricité, pollution avec des matériaux radioactifs issus des sources nouvelles d’énergie, nuages toxiques, contamination du sol et des rivières, mort des océans et disparition de l’équilibre écologique. La dévastation du milieu ambiant est favorisée par les intérêts inanciers des grandes corporations et des gouvernements, ainsi que par le comportement irresponsable de la population. La dépendance des facilités de la technologie, le consumérisme deviennent une sorte de Némésis qui, malgré les avertissements lancés par des gens avertis, ne peuvent être enrayés. La récession industrielle sévit, l’agriculture s’efondre, la famine fait ravage, les grandes cités à l’instar de New York déchoient. La régression matérielle s’associe à la déchéance morale de l’humanité, de manière que l’histoire peut dorénavant être présentée comme « a tale of human degradation, ignorance and hate, of disinterest, apathy and absence of compassion »5 Les valeurs disparues ne sont plus tout à fait celles de l’éthique chrétienne, mais de l’humanisme laïc moderne ; toutefois, le processus de sélection antiutopique Antiutopies apocalyptiques et posthumaines des catégories du mal n’en est pas moins évident. Jusqu’ici, le texte de Philip Wylie s’inscrit dans le pacte de vraisemblance d’une dystopie, navrante certes, mais néanmoins possible. Mais l’imaginaire apocalyptique pousse vite la situation vers des catastrophes successives de plus en plus graves. Le premier « cataclysme mondial », le « black blight », des « spores de l’air » issus d’une recombinaison fatale des polluants actifs, détruit la lore, provoque la famine, la violence et les tueries dans les villes, la manie homicide, la dépopulation du globe. Le deuxième cataclysme (prévu pour 1998), l’apparition des « vibes », des parasites carnivores agressifs créés par la radioactivité des usines d’énergie, anéantit la vie des océans et des côtes continentales. Enin, le troisième cataclysme, l’activation artiicielle involontaire des volcans de l’Antarctique, mène jusqu’en 2011 à la montée de l’océan planétaire de 70 mètres et l’engloutissement de la plupart des États côtiers. Les survivants de l’humanité, 50 millions d’individus, se regroupent dans quelques « districts de sauvetage ». Le protagoniste du roman, Miles Smythe, un combattant actif des politiques suicidaires qui ont provoqué les catastrophes, est un des chefs des survivants, retiré dans sa réservation naturiste de Faraway, devenue la cité centrale du District Deux (l’Europe et l’ancienne Union Soviétique forment le District Un). On dirait que, avec ces communautés, l’humanité aura une chance de recommencer de presqu’à zéro, que le texte de Wylie est une antiutopie critique. Mais lors d’une assemblée mondiale des représentants de ces noyaux de civilisation, Miles apprend que Faraway vient d’être 243 détruit par une menace inconnue, tout aussi efroyable que les autres léaux globaux, ce qui nie toute ombre d’espoir à un roman sombre et accusateur. Pour la plupart, les antiutopistes n’abordent pas toute la panoplie de cataclysmes possibles, ils en choisissent un assez puissant pour provoquer l’apocalypse de notre civilisation et en explorent le développement. Après les expériences traumatisantes de Hiroshima et Nagasaki, l’arme atomique devient l’instrument suprême pour la destruction inale. Les romans de cette classe se situent d’habitude après l’holocauste, dans un avenir où les survivants de l’humanité seront revenus à des formes plus primitives de vie et seront confrontés à de nouveaux dangers issus soit de la nature transformée par les radiations, soit des petites communautés elles-mêmes, ayant régressé moralement au barbarisme et à la violence. Les textes qui exploitent l’angoisse d’un holocauste atomique abondent. La confrontation des États-Unis avec l’Union Soviétique et la Chine communiste inspire Philip K. Dick à prévoir, dans Dr Bloodmoney, Or, How We Got Along After the Bomb (1965), un accident nucléaire global qui détruit l’environnement et provoque l’apparition de mutants. Dans he Eleventh Commandment: A Novel of a Church and Its World de Lester del Rey (1962), après la destruction de Rome, les Américains choisissent un nouveau Pape et quittent l’Église du Vatican pour appliquer, aux États-Unis, le commandement de Dieu concernant la multiplication de l’homme. Dans he Keeper de Barry Faville (1986), l’apocalypse atomique aura anéanti toutes les bibliothèques et les livres, et donc la mémoire et la culture humaines. Une Terre ravagée 244 est aussi le décor du cycle Dark Future de James Lawrence (1992), composé de he Revengers, Beyond the Grave et he Horned God he Plague. Les protagonistes des romans apocalyptiques chercheront des possibilités de s’évader d’un monde dévasté par des holocaustes nucléaires dans de petites utopies ambiguës rescapées au désastre. Kim Stanley Robinson prévoit, dans he Wild Shore (1984), une guerre atomique en 1987 qui détruit, par la détonation de quelque 3000 bombes, les grandes villes des ÉtatsUnis et dont les survivants refondent, sur la côte ouest, une communauté pastorale vivant de l’agriculture et de la pêche. John Wyndham, dans he Chrysalids (1955), imagine un cataclysme nucléaire qui ruine la civilisation technologique actuelle. Dans un futur non-précisé, une communauté rurale du Labrador ayant survécu à la catastrophe se rappelle vaguement que les « anciens » avaient été exterminés par la « tribulation ». Dans les termes d’une mentalité collective plutôt mythique, ces gens simples traitent le désastre passé comme une punition envoyée par Dieu pour châtier les péchés de ces « Old People » qui jouaient frivolement avec les forces divines, donc précisément comme une apocalypse. Les lieux de refuge des derniers représentants d’une humanité décimée sont des plus divers, îles isolées, le monde souterrain, la Lune et les planètes, etc. Dans Die Gelehrtenrepublik: Kurzroman aus den Rossbreiten d’Arno Schmidt (1957), le protagoniste Charles Henry Winer visite une île artiicielle mobile, dans le Paciique, sur laquelle a été créée une « république des savants », en contraste avec le reste des ÉtatsUnis hantés par des mutants. Dans Journey Beyond Tomorrow de Robert Sheckley Corin Braga (1962) ne survivront à un cataclysme majeur que les habitants des îles du Paciique, les Polynésiens, qui reconstruiront, dans mille ans, une société physiocrate, primitive mais plus sereine. Pour A. M. Lightner, dans he Day of the Drones (1969), les survivants du Désastre global seront quelques tribus africaines, qui érigeront en Afria (le nouveau nom du continent), après cinq cent ans, une société mono-raciale paciique. Victor Kelleher se penche, dans Taronga (1986), sur les survivants en Australie d’une guerre globale qui ravage et change la face de notre planète. Sheri S. Tepper, dans Gate to Women’s Country (1988), reprend le thème des Amazones, imaginant que, dans trois cents ans, après qu’une guerre globale aura divisés les États-Unis en plusieurs nations, une communauté de femmes fondera une écotopie matriarcale. Dans Facial Justice de Leslie Poles Hartley (1960), une guerre atomique oblige ce qui reste de l’humanité à vivre dans le sous-sol, où malheureusement s’instaure une nouvelle dictature. Chez Louise Lawrence, Andra (1971), c’est toujours dans des cités souterraines que survivra l’humanité dans deux mille ans, après que la guerre aura stoppé la rotation de la Terre et la surface de la planète deviendra un désert de glaces. Dans Kaf auch Mare Crisium d’Arno Schmidt (1960), les survivants de la Troisième Guerre mondiale trouvent refuge sur les deux colonies fondées par les Américains et les Soviétiques sur la Lune. Le héros de he Pritcher Mass de Gordon R. Dickson (1972) participe à un projet spatial pour contacter, par des énergies télépathiques, d’autres mondes capables d’accueillir une humanité fuyant la Terre. D’autres auteurs choisissent d’autres cataclysmes globaux pour mettre en scène Antiutopies apocalyptiques et posthumaines l’anéantissement de notre civilisation. Chez John Wyndham, dans he Day of the Triids (1951), l’humanité du futur sera annihilée par une maladie qui la rendra aveugle et remplacée par une espèce de plantes intelligentes. Dans he Winchester Trilogy (composée de he Prince in Waiting, 1970 ; Beyond the Burning Lands, 1971 ; Sword of the Spirits, 1972) de John Christopher [Christopher Samuel Youd], l’Angleterre future aura régressé, à cause d’un désastre écologique, à une société médiévale, guerrière et mystique, dirigée par des chefs militaires et des voyeurs préchrétiens ayant commerce avec les « esprits ». La Terre de he Pritcher Mass de Gordon R. Dickson (1972) est infestée par des spores qui provoquent la mort par sufocation. Les enfants de Children of Morrow par H. M. Hoover (1973) parcourent un monde dévasté par un cataclysme écologique (pollution de l’air et des eaux) qui aura exterminé non seulement l’humanité, mais aussi les animaux, les oiseaux, les poissons et la majorité de la lore. La jeune protagoniste de he Girl Who Owned a City par O. T. Nelson (1975) déambule dans un monde ou un virus mortel aura tué tous les individus au dessus de douze ans. Parfois la catastrophe est due à des causes plus obscures, comme dans Shadow of the Glomm-World de Roger Elridge (1977) ou he Awakening Water de G. R. Kesteven (1977) et ses manifestations sont des plus étranges, côtoyant la littérature fantastique ou « fantasy ». La cité isolée de Bellona, dans Dhalgren de Samuel R. Delany (1974), vit des événements inexplicables : apparition de deux lunes dans le ciel, lever d’un soleil gigantesque, transformations de l’espace citadin, rues et immeubles qui changent de place, incendies qui ne 245 consomment pas les édiices, dilatation ou contraction du temps, etc. Les antiutopies féministes, à commencer par he Handmaid’s Tale de Margaret Atwood (1985), ne manquent pas à l’appel de l’apocalypse. Le plus consistent est peut-être le cycle de romans de Suzy McKee Charnas he Holdfast Chronicles, composé de Walk to the End of the World (1974), Motherlines (1978), he Furies (1994) et he Conqueror’s Child (1999). Dans un avenir post-apocalyptique, les femmes (« fems ») seront réduites, de même que chez Katharine Burdekin et Margaret Atwood, à de simples instruments de reproduction, à un « cheptel » à la disposition des mâles agressifs. La dégradation de la femme ne sera qu’une des manifestations d’une décadence catastrophique, qui touchera à la famille, aux enfants, à la natalité et inalement à l’extinction de notre race. Les couples se désagrègent et les enfants abandonnés et traumatisés deviennent des laissés-pourcompte, comme dans he Memoirs of a Survivor de Doris Lessing (1974). Perdus, traités brutalement par les adultes, les enfants se regroupent dans des bandes pour se défendre et, parfois, pour chercher des lieux meilleurs pour vivre, comme dans les romans Ransome Revisited (1975) et he Travelling Man (1976) d’Elisabeth Mace. Ce type d’intrigue deviendra, dans les récits post-apocalyptiques adressés au public adolescent, un parcours initiatique qui donnera aux jeunes la chance de sortir du labyrinthe. Dans les textes pessimistes sur la in du monde, la dégradation de la condition de la femme et de l’enfant sont les symptômes de l’épuisement génétique de notre espèce. Les désastres nucléaires, chimiques, 246 écologiques, biologiques, auront malformé et fait tarir le génome humain. Dans he Lockdown de Dixon Block (2014), après la guerre atomique qui aura lieu au XXIe siècle, les parents devront obtenir un permis pour concevoir des enfants et l’État imposera un tri des nouveau-nés, les partageant entre « purs » et « impurs », les seconds étant ceux soufrant de mutations, malformations, maladies congénitales. L’aboutissement d’une telle involution ne peut être que la disparition de l’humanité par une infécondité généralisée, comme il arrive dans he Children of Men de P. D. James (1993), ou par la disparition de la « pulsion de vie », du désir et du plaisir de vivre, par des suicides dirigés, comme dans Ends de James Hughes (1971). Ce développement nous amène aux thèmes du « dernier homme », ou dernier témoin d’une humanité sur le point de disparaître, et de la « post-humanité », à ce que les antiutopistes imaginent qu’adviendra à notre race ou après. Dans la littérature moderne, ces thèmes apparaissent déjà avec les romans de Mary Shelley he Last Man (1926) et Frankenstein (1818). Ils témoignent du changement de paradigme culturel, de la dépréciation de la vision religieuse du monde et de l’avènement d’une vision athée, positiviste et scientiste. Remplaçant Dieu dans sa posture de créateur de l’homme, les savants modernes usurpent le rôle de démiurge et se proposent de prendre à leur compte la création, à l’instar de Frankenstein aspirant à imprégner un cadavre composé de toutes pièces d’une force galvanique vitale. Malheureusement, le plus souvent le résultat n’est pas des meilleurs, l’homme conçu de cette manière risque d’être un monstre. Si une mutation « naturelle » de la race humaine peut produire des Corin Braga individus à caractéristiques supérieures, des surhommes, à l’instar d’Odd John d’Olaf Stapledon (1935) et d’autres X-Men, sujets parfaits pour une utopie évolutionniste, les manipulations mènent d’habitude à des mutants qui compromettent le génome humain et font le sujet d’antiutopies. Individus malformés par les radiations d’une guerre atomique ou autre catastrophe chimique ou biologique, mutants produits par des manipulations génétiques irresponsables, golems auxquels on insule la vie par des moyens douteux, hommes avec des prothèses et d’autres dispositifs mécaniques censés augmenter leurs capacités, robots et androïdes engendrés pour dégrever l’humanité de ses travaux pénibles, clones et simulacres, intelligence artiicielle qui aspire à remplacer l’homme, toutes ces igures construisent le thème d’une post-humanité. L’homme-machine, l’homme mécanique, l’automate de Descartes et de l’Âge de la Raison trouve son successeur dans le robot moderne. Le mot a été inventé par Karel Čapek, dans la pièce de théâtre R.U.R. (Rossum’s Universal Robots) (1920), sur la racine slave « rabót/a » (travail, labeur), pour suggérer la condition de substituts attribuée à ces créatures artiicielles. Au cours du vingtième siècle, l’imaginaire collectif a ixé les robots dans l’image d’un être mécanique, en métal ou en plastique, mais les robots originaux de Čapek sont organiques, ils possèdent des corps biologiques, mettant mieux en relief l’orgueil démiurgique qui est à l’origine de leur création. À l’instar du Dr. Moreau de H. G. Wells, isolé sur une île inconnue pour mener en secret ses recherches, le jeune savant Rossum avait commencé son étude Antiutopies apocalyptiques et posthumaines sur le protoplasme organique toujours sur une île, respectant ainsi la condition d’isolement de toute expérimentation (anti) utopique. Son ambition était rien moins que de « détrôner », littéralement, Dieu, en montrant que la création de l’homme n’est pas tributaire de l’intervention divine, qu’elle peut être reproduite par la science et la technologie. Et, en efet, sa découverte devrait avoir toutes les chances d’améliorer l’existence de l’humanité. Non seulement l’île est perçue comme un paradis restauré, mais la civilisation humaine entière reçoit la « bonne nouvelle » d’une richesse sans limites, d’une utopie matérielle basée sur le travail des robots. Mais le rêve de Harry Domin, le président de R.U.R., et de ses collaborateurs de rehausser leurs semblables à la condition d’un surhomme nietzschéen se heurte aux limitations génétiques et morales de l’homme. Harry a l’occasion tragique de constater que personne n’abhorre plus l’homme que l’homme même. Imprégnés du gène de la compétition, de la violence et de la haine, les diférents gouvernements, au lieu d’utiliser les robots pour faire de notre planète une terre d’abondance et de loisir, les transforment en soldats pour mener des guerres de domination. La confrontation mondiale qui s’ensuit met in à notre civilisation, alors que l’infécondité généralisée et l’hécatombe des populations revêtent les dimensions d’une apocalypse de l’humanité. Les gens de R.U.R. sur leur île deviennent littéralement les « derniers hommes » du globe. L’histoire ne s’arrête cependant pas avec la disparition de notre race, car les créatures iniront par remplacer leurs créateurs. Les robots acquièrent une conscience de soi qui leur fait assumer des personnalités 247 et des qualités humaines, puis se révoltent contre leurs maîtres et les exterminent dans ces mêmes guerres qu’ils avaient initiées. L’homme est tenu à payer ainsi son crime métaphysique, celui d’avoir « tué » Dieu, se retrouvant à son tour dans la position de dieu victime. Primus et Hélène, les premiers robots à jouir de la panoplie complète des sentiments humains, deviennent le nouveau couple d’Adam et Ève sur Terre. La morale antiutopique de Čapek est de montrer que les hommes, à cause de leurs agissements lucifériens, céderont la place d’« héritiers du Royaume » à une humanité créée artiiciellement. Avant de commencer à peupler la fantaisie d’Isaac Asimov et autres auteurs de SF, les robots sous la forme de machines en acier font leur entrée dans le bref récit de Frigyes Karinthy Utazás Faremidoba [Voyage à Faremido] (1916), quatre ans avant R.U.R. Il s’agit d’une suite aux Voyages de Swift, dans laquelle Gulliver est sauvé d’un naufrage par une machine volante autonome, sans pilote. Il est déposé dans un territoire plaisant, admirable, qu’il nomme, d’après les notes d’une mélodie jouée par une sorte de radio, Fa-re-mi-do. Le pays est peuplé de machines que Gulliver prend pour les auxiliaires d’une civilisation humaine, mais qui se dévoilent bientôt être des machines pensantes, ayant développé leur propre société. Dans un dialogue avec ses hôtes, Gulliver découvre que les machines, créées initialement pour aider les hommes, se sont perfectionnées jusqu’à dépasser leurs créateurs. Devenues conscientes, elles sont arrivées à la conclusion que la vie organique est forcement imparfaite et limitée, incapable d’harmonie et d’ordre, et que seules les machines peuvent aspirer à la perfection. 248 L’humanité s’avère être un obstacle à ce progrès, elle ne fait que détruire et parasiter la grande machine qu’est la Terre ellemême, d’où la conséquence logique que notre espèce doit disparaître pour céder la place aux robots. La morale antiutopique qu’en tire un commentateur, Czigányik Zsolt, est que « a harmonious, non-violent world is only possible without mankind, the ultimate destructive and self-destructive force in the universe ».6 Sidney Fowler Wright arrive à la même conclusion, que l’humanité sera usurpée par les machines, dans le récit « Automata » de son recueil he New Gods Lead (1932). Ce thème anxieux fournira l’intrigue de nombreux romans et ilms de science-iction, parmi lesquels la franchise he Terminator (1984), Terminator 2: Judgment Day (1991), Terminator 3: Rise of the Machines (2003), Terminator Salvation (2009), Terminator Genisys (2015) et Terminator: he Sarah Connor Chronicles (série de télévision 2008-2009), ou la trilogie he Matrix (1999, he Matrix Reloaded, 2003, et he Matrix Revolutions, 2003). La dimension apocalyptique de ces visions est mise en avant déjà par des titres comme « Judgment Day ». Mais il y a une variante plus insidieuse de la victoire de la machine sur l’homme : au lieu de prendre tout simplement la place de l’humanité sur la planète, les machines sont capables de phagocyter l’être humain de l’intérieur, de refaire, membre par membre et organe par organe, l’anatomie de notre espèce. Les prothèses, qu’elles corrigent ou qu’elles augmentent les capacités de l’individu, en sont le premier pas. En 1930, Miles J. Breuer imaginait déjà, dans he Man with the Strange Head, des grefes métalliques pour remplacer rien moins que Corin Braga la tête, et donc la personnalité humaine. Paradise and Iron, le titre du « roman » qui accueille ces récits publiés dans Amazing Stories Quaterly, est contre-utopique, dénonçant les paradis technologiques. L’atrophie physique et mentale de l’humanité à cause des machines est également le sujet de Der Orchideenkäig de Herbert W. Franke (1963), intitulé par antiphrase « ein utopischer Roman ». De fait, la « robotisation », bien qu’elle connote la déshumanisation, la massiication des individus, devait répondre à une aspiration plus profonde de l’homme, celle de vaincre la condition périssable et mortelle de la chair. Remplacer le corps biologique par un corps métallique, plus résistant, remplaçable, et donc presque indestructible, permettrait d’atteindre l’immortalité. Dans Moderan, David R. Bunch (1971) fait une démonstration « d’école » du procédé de réduction à l’absurde de ce thème, en explorant à quelles conséquences inhumaines (ou post-humaines) mène le désir d’éternité mis en pratique grâce à la technologie. Le protagoniste de Bunch est un stratège militaire rescapé à la (Troisième ?) Guerre mondiale. Les radiations et la pollution ont rendu la Terre quasi invivable et c’est pourquoi le gouvernement central (« Ruthless Central », l’« élite-élite » du Capitole) a décidé de tout transformer, utilisant à fond la technologie. Après l’apocalypse atomique, ces « dieux » du futur engendrent une « terre nouvelle » et un « homme nouveau ». Toute la surface de la planète, empoisonnée, est nivelée par de grandes machines et puis mise sous plastique. Les océans sont séchés ou glacés et également couverts de plastique. La lore et la faune, exterminées, sont Antiutopies apocalyptiques et posthumaines remplacées par des plantes et des animaux artiiciels métalliques. L’homme nouveau, à son tour, est transformé par des opérations chirurgicales complexes en un être d’acier, qui ne conserve que quelques lanières (« strips ») de chair et de peau prises dans le métal. Traumatisés par l’apocalypse nucléaire qu’ils on vécu, menacés de l’extinction, les rescapés ne trouve meilleure solution que de se rendre indestructibles. Chaque « maître » reçoit une forteresse (« stronghold »), avec laquelle il s’assimile physiquement. Ici il mène une vie artiicielle, avec des huiles pour nourriture, des femmes-robots pour amantes, et les guerres avec les voisins pour passe-temps. L’homme du futur est pratiquement une machine : And now I’m all ’replacements’ – heart, brain, blood, nerves, everything – all metal now, all automatic, all programmed – wonderful! And you know something? I never dream at night. How could I dream at night? I’m all turned of when I turn in7. Le reste de l’humanité, encore de chair et d’os, vit dans des « bubble-domes », servant aux maîtres, qui se demandent cependant s’il ne faut pas exterminer toutes ces reliques d’un passé biologique. L’enjeu de cette é/in-volution future est, comme nous l’avons dit, la vie éternelle. David R. Bunch met en place une sotériologie athée prométhéenne, un salut ofert par la science et la technologie, qui transforme les hommes non pas dans des esprits réunis au ciel, mais dans des automates qui jouissent d’une pérennité physique. Or, cette promesse faite par une conception matérialiste, à l’encontre de 249 l’eschatologie chrétienne, est adressée au corps et ruine l’âme. Le prix à payer pour l’immortalité est la perte de l’humanité. Si la peur de la mort donne de la profondeur à notre vie spirituelle, nous rendant humbles et ouverts à la paix et à la beauté, la perspective d’une vie sans in nourrit l’égocentrisme et la violence. Les « maîtres » des forteresses doivent faire la guerre et chérir la haine pour supporter le poids de l’ennui et du néant spirituel. Et la démonstration antiutopique continue. Le récit du « maître » de Stronghold 10 est présenté comme un manuscrit découvert et commenté par un personnage d’un avenir bien plus lointain. La voix de cet (pseudo)éditeur du texte appartient à un membre de « Essenceland Dream People », une civilisation où la nature métallique des habitants de Moderan a été sublimée dans une nature énergétique. Tous les individus y sont des ondes qui n’ont plus de corps matériel. De même que le narrateurmachine, le narrateur-radiation est euphorique, exposant sa condition comme l’idéal accompli. Mais on se rend compte, malgré lui, que cette condition est non seulement soumise au contrôle totalitaire d’un « Love Dictator », mais aussi bien évanescente, sans prise sur les faits réels, et fragile, puisqu’elle dépend tout bêtement du fonctionnement des machines émettant les rayons. L’immortalité oferte par la science athée et la technologie matérielle est un facteur de damnation de l’humanité. L’apocalypse atomique (mais aussi chimique, biologique, écologique ou autre), quand elle n’extermine complètement l’humanité, provoque des mutations et des transformations qui rendent manifestes la déchéance, l’involution et inalement l’extinction de notre espèce. Les exemples 250 abondent, sur le modèle des Éloï et des Morlocks de H. G. Wells. Dans Gray Matters de William Hjortsberg (1971), après la Troisième Guerre mondiale, les hommes survivent comme des « Cerebromorphs », des cerveaux sans corps maintenus dans des énormes cuvettes connectées à des ordinateurs. Dans he Winchester Trilogy (he Prince in Waiting, 1970 ; Beyond the Burning Lands, 1971 ; Sword of the Spirits, 1972) de John Christopher [Christopher Samuel Youd], dans un avenir post-catastrophe les naissances monstrueuses auront créé de nouvelles races humaines, les « dwarfs » et les « polymufs ». Dans Natural History de Justina Robson (2003), l’humanité future engendrera, par manipulation de gènes animaux, une nouvelle race, « the Forged », qui traiteront leurs créateurs de « unevolved ». Un des romans les plus représentatifs pour le thème de la post-humanité est Half Past Human de T. J. Bass (homas Joseph Bassler) (1971). Dans un futur non-précisé, l’humanité aura monté à 3000 milliards d’individus. Pour survivre, même sans désastres atomiques ou écologiques, elle aura dû réorganiser son mode de vie, sa forme de civilisation. Le Big ES (« Earth Society ») vit dans d’immenses édiices, de millions d’habitants, isolés de l’extérieur. Les autres grandes espèces animales auront disparu presque en totalité et la surface de la planète sera entièrement cultivée par des machines (« agromecks »), produisant des protéines ain de nourrir cette immensité humaine. Seulement, pour s’adapter à la vie dans ces termitières architecturales, l’humanité aura été soumise à une ingénierie génétique, pour créer une race capable de supporter les grandes collectivités. Le résultat en sont les Nebish, hommes à quatre Corin Braga doigts au pied, qui sont efectivement de bons citoyens des ruches (« complacent hive citizens »). Ils sont en principe androgynes, mais peuvent être « polarisés », recevoir un sexe et, sur approbation spéciale, concevoir des enfants. De toute façon, bien qu’exempts de maladies, ils ne vivent en moyenne que 25-30 ans. Les habilités nécessaires pour chaque métier sont programmées, et les familles occupant un appartement sont formées par allocation des individus. Pour éviter les turbulences sociales, les névroses et les suicides, les citoyens sont fournis en diférentes drogues et bénéicient de consultations psychologiques. Somme toute, « homo superior » est une race qui a perdu le pouvoir d’adaptation au milieu naturel, la curiosité, l’initiative et l’esprit d’aventure, pour vivre une (pseudo)utopie de termites. Ce qui reste de l’ancienne humanité, les hommes à cinq doigts au pied, est une race persécutée et en voie de disparition. Bien qu’elle ait eu son époque de gloire technologique, quand elle a commencé à explorer les astres, elle n’a su résoudre le problème du surpeuplement. Maintenant, les individus qui ont « le mauvais gène » vivent en dehors des ruches, comme des primitifs et des cannibales, chassés comme des trophées par les Nebish. Exilés de ce que les mutants perçoivent comme une Utopie, et les lecteurs comme une antiutopie, ils ofrent le spectacle poignant d’une humanité déchue, traquée par les successeurs qu’elle a créés. Toutefois, son sort n’est pas encore scellé, une promesse messianique exprimée par des prophètes tel Moses (!) Eppendorf, rassemble les « suivants d’Olga » et les aide à échapper à la poursuite des gens de la ruche. Olga, ce Dieu qui fait des Antiutopies apocalyptiques et posthumaines « miracles » (technologiques) pour sauver son « peuple », s’avère être l’intelligence artiicielle d’un navire astral créé trois mille ans auparavant pour coloniser les astres. C’est elle qui rassemble les spécimens de l’ancienne humanité, les seuls détenteurs de la capacité d’adaptation, pour les emmener sur une planète de la constellation du Sagittaire. La Terre des mutants « half past human » est condamnée parce qu’elle a perdu le potentiel d’évolution, cependant que les survivants de « homo sapiens » bénéicient d’une chance de recommencement, d’une Terre de promesse, d’un nouveau Jardin d’Éden astral8. Une des œuvres les plus achevées et troublantes sur la in de notre civilisation et l’avènement d’une posthumanité est la trilogie de Margaret Atwood composée des romans Oryx and Crake (2003), he Year of the Flood (2009) et MaddAddam (2013). Dans un futur non-précisé, mais non pas trop lointain, la Terre entrera dans un cycle néfaste ponctué par une série de catastrophes : surindustrialisation, qui débouche sur un désastre écologique, disparition de la majorité des espèces animales (un jeu, Extinctathon, est créé pour inventorier les animaux morts), surpeuplement et désintégration des villes dans des quartiers de travail et quartiers résidentiels barbelés, créant les zones contrastives des « pleeblands » (pour les déshérités du sort) et des « compounds » (pour les riches), épidémies et maladies dégénératives, fonte des calottes polaires et montée du niveau de l’océan planétaire, etc. Les évolutions les plus dangereuses concernent la génétique. Plusieurs multinationales comme OrganInc font des expérimentations sur la possibilité de créer des mutants, à l’instar des « pigoons » (destinés au prélèvement d’organes), les poules sans 251 têtes (pour la viande), les « spoat/giders » (de spider + goat, pour des ils de soie très résistants, utilisés dans la confection de vestes anti-boulets), les « snats » (de snake + rat), les « rakunks », les « wolfvogs », les « bobkittens ». L’humanité est en proie à une véritable ièvre démiurgique démente, jouant sans contrôle et responsabilité sur les possibilités de combinaison des génomes. L’orgueil suprême, en passe de devenir la Némésis de notre race, est la tentation de produire une nouvelle classe d’hommes. Crake, le surnom d’un savant génial, modiie le contenu génétique des embryons pour obtenir des mutants avec des caractéristiques supérieures au standard humain. « Les enfants de Crake » jouissent d’une période de maturation accélérée, ils peuvent guérir leurs soufrances et maladies par des incantations collectives qui produisent une vibration organique, ils ont des « thermostats corporels » qui les rendent indépendants des climats, ils ont une digestion répétée, à la manière des ruminantes, qui leur permet de digérer toute catégorie de plantes, ils peuvent régler les humeurs et odeurs de leurs corps pour se protéger des prédateurs, ils s’accouplent de manière programmée, ce qui élimine la compétition et la violence. L’expérience est même très proche de l’obtention de l’immortalité. Dans son laboratoire de recherches nommée « Paradice », Crake produit des mutants innocents comme des enfants. Il joue rien moins qu’à Dieu créant de nouveaux Adam et Ève dans le Jardin d’Éden. Et puisque les premiers hommes ont transgressé l’interdit de leur Créateur, perdant la condition d’être pur, sans péché et malheurs, mais aussi la jeunesse éternelle et la félicité, Crake décide que ses « enfants » doivent bénéicier de leur propre chance 252 dans l’histoire. Ainsi arrive-t-il à la solution misanthropique extrême, celle d’exterminer la race humaine dans sa totalité, par un virus JUVE (« Jetspeed Ultra Virus Extraordinary »9) inexorable, pour faire table rase sur la Terre. Son ami Jimmy est un « dernier homme » survivant à l’apocalypse virale, chargé d’éduquer la nouvelle humanité. L’antiutopie de Margaret Atwood démontre par réduction à l’absurde que la prétention luciférienne d’améliorer la nature humaine par manipulation génétique inira non pas par l’épanouissement de notre espèce, mais par son extinction et remplacement par une post-humanité. En avançant vers les dernières décades du xxe siècle, et surtout après 1989 et la in de la Guerre Froide, la pression des anxiétés eschatologiques semble se relâcher et la plupart des antiutopies apocalyptiques deviennent « critiques », à savoir commencent à entrevoir des solutions de sortie du cauchemar. Par exemple, dans he Memoirs of a Survivor de Doris Lessing (1974), la protagoniste, l’adolescente Emily, et son animal de compagnie Hugo, un mixte entre chien et chat, semble avoir peu de chances de survie dans une Angleterre détruite par une catastrophe, où les rescapés vivent dans des bandes qui écument les villes. Mais elle a acquis, peut-être par mutation, l’étrange pouvoir de traverser l’espace et le temps en méditant devant un mur de son appartement, de manière qu’à la in elle pourra s’évader en traversant le mur vers un monde meilleur. Ou, dernier exemple, dans he Pritcher Mass de Gordon R. Dickson (1972), la Terre, infestée par le « rot », des spores qui provoquent la sufocation, est devenue invivable. Une petite partie de l’humanité, comparée à Job de la Bible, vit dans des Corin Braga dômes clos hermétiquement. Sa dernière espérance est de construire un dispositif insolite, portant le nom du savant Pritcher, capable d’uniier les pouvoirs spirituels paranormaux des individus de la planète. À l’aide de cet appareil, les scientiiques espèrent trouver d’autres planètes proches dans la galaxie, où l’humanité pourrait migrer en masse. Le héros du roman, Chaz, réussit efectivement à mettre en marche le dispositif paranormal et à entrer en contact avec une autre civilisation, une confédération galactique. Malheureusement, Mantis, l’être qui répond au message et joue en quelque sorte le rôle de gardien de l’entrée dans la sur-dimension psychique, indique que, pour l’humanité, « All the doors are closed »10. Le refus n’est pas si radical qu’il pourrait paraître, ce que signale le représentant de la civilisation galactique c’est que la solution pour l’humanité n’est pas de quitter sa planète mais de réagir et réparer le désastre. La leçon à apprendre est qu’il existe, dans le cosmos, une sorte de « universal ethics », des lois concernant l’interrelation des êtres vivants entre eux et avec le milieu. But we have to obey the ones we can see if we want to survive. If we try to ignore them, we’ll become extinct. he responsibility not to foul your own nest is a primitive law.11 Et, en efet, Chaz réussit par l’intermédiaire de la « Pritcher Mass » à uniier les psychés des individus et à éliminer la peste de la planète. La morale est que, au bord de l’abîme, réduite à l’extrémité de ses ressources, confrontée à l’extinction, l’humanité sera obligée et trouvera les moyens de révoquer l’apocalypse. Antiutopies apocalyptiques et posthumaines 253 BIBLIOGRAPHIE Atwood, Margaret, MaddAddam, New York, Nan A. Talese/Doubleday, 2013 Atwood, Margaret, Oryx and Crake, London, Bloomsbury, 2003. Éd. cit. : Virago Press, London, 2009 Atwood, Margaret, he Handmaid’s Tale, Toronto, McClelland and Stewart, 1985. Éd. cit. : London, Vintage Books, 2010 Atwood, Margaret, he Year of the Flood, New York, Doubleday, 2009. Éd. cit. : Virago Press, London, 2010 Block, Dixon, he Lockdown, Amazon Digital Services, 2014 Barjavel, René, Le diable l’emporte, Paris, Denoël, 1948 Barjavel, René, Ravage. Roman extraordinaire, Paris, Denoël, 1943 Barjavel, René, Une rose au paradis, Paris, France Loisirs, 1981 Bass, T. J., Half Past Human, New York, Ballantine Books, 1971. Éd. cit. : London, Gollancz, 2014 Bonnardot, Alfred, Archéopolis, Paris, Castel, 1859 Breuer, Miles J., Paradise and Iron (Complete Novel), Amazing Stories Quaterly, Summer 1930. Éd. cit : Miles J. 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Margaret Atwood, he Year of the Flood, New York, Doubleday, 2009. Éd. cit. : Virago Press, London, 2010, p. 398. 10. Gordon R. Dickson, he Pritcher Mass, Garden City, New York, Doubleday, 1972. Éd. cit. : New York, TOR Books, 1983, p. 151. 11. Ibidem, p. 246.