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Le statut phonologique de m dans les langues kwa

RÉSUMÉ Cette étude est une approche minimaliste de la consonne m considérée comme la seule nasale phonologique dans les langues Kwa. Elle rejette cette analyse étant donné que dans certaines de ces langues, notamment en Ebrié et en Avikam, m est la réalisation phonétique de l'implosive ɓ. S'appuyant sur les données empiriques de telles langues auxquelles s'ajoutent celles d'autres langues du même groupe, l'étude démontre dans une perspective minimaliste que m, dans toutes les langues Kwa où il a été retenu comme phonème, est en variation complémentaire avec ɓ qui est sa forme sous-jacente. ABSTRACT This study is a minimalist approach of the consonant m analyzed as the only phonological nasal in the Kwa languages. It rejects this analysis given that in some of these languages, in particular in Ebrié and in Avikam, m is the phonetic realization of the implosive ɓ. Relying onto the empirical data of such languages and those of other languages from the same linguistic group, the study demonstrates through a minimalist interpretation that m, in all the Kwa languages where it was retained as phoneme, is in a complementary distribution with ɓ which is its underlying structure.

1 Le statut phonologique de m dans les langues kwa Dr Bogny Yapo Joseph, Maître de Conférences ([email protected]) & Krouwa Stéphanie Tanoa, Doctorante ([email protected]) RÉSUMÉ Cette étude est une approche minimaliste de la consonne m considérée comme la seule nasale phonologique dans les langues Kwa. Elle rejette cette analyse étant donné que dans certaines de ces langues, notamment en Ebrié et en Avikam, m est la réalisation phonétique de l’implosive ɓ. S’appuyant sur les données empiriques de telles langues auxquelles s’ajoutent celles d’autres langues du même groupe, l’étude démontre dans une perspective minimaliste que m, dans toutes les langues Kwa où il a été retenu comme phonème, est en variation complémentaire avec ɓ qui est sa forme sous-jacente. Mots-clés : Langues kwa, analyse minimaliste, Interface Syntaxe-Phonologie, implosive, réalisation phonétique. ABSTRACT This study is a minimalist approach of the consonant m analyzed as the only phonological nasal in the Kwa languages. It rejects this analysis given that in some of these languages, in particular in Ebrié and in Avikam, m is the phonetic realization of the implosive ɓ. Relying onto the empirical data of such languages and those of other languages from the same linguistic group, the study demonstrates through a minimalist interpretation that m, in all the Kwa languages where it was retained as phoneme, is in a complementary distribution with ɓ which is its underlying structure. Key-words: Kwa languages, minimalist analysis, Syntax-Phonology Interface, implosive, phonetic realization. 2 1. Introduction Les études effectuées sur la phonologie des langues Kwa accorde le statut de phonème à la nasale m, à l’opposé des autres i.e. n, ɲ et ŋ considérés comme des réalisations phonétiques respectives des représentations phonologiques l ou ɗ, j, et w (Héraut 1982, Kouadio 1996, Kossonou 2007, Ehilé 2009, entre autres). Tous ces travaux démontrent sur la base de la méthode de la paire minimale et de la méthode distributionnelle que n, ɲ et ŋ apparaissent en contexte nasal et que l ou ɗ, j et w n’apparaissent qu’en contexte oral ; ils sont donc en distribution complémentaire (Cf. exemples 1). Seul m s’oppose à sa correspondante orale b et est analysé, par voie de conséquence comme un phonème (voir exemples 2). (1). Distribution complémentaire n/l, ɲ/j et ŋ/w a. nā̰ / lā “beau-père”/“intestin” b. ɲá̰ / já “(se)fermenter”/“(se) rassembler” c. ŋɔ̰̄ / wɔ̄ “kapokier”/“hanche” (2). Opposition m/b a. mɛ̰̀ / bɛ̰̀ “milan, sein”/“grenade,esp.” b. mʌ̰̀ / bʌ̰̀ “pince(s)”/“grain” Comme l’on le constate, il existe deux interprétations différentes pour le trait de nasalité des consonnes. Cependant la prise en compte de la distribution des segments à l’Interface Syntaxe-Phonologie révèle que les sons s’influencent et se modifient au contact les uns des autres. Il convient donc d’identifier les traits inhérents afin de les séparer des traits extrinsèques. Dans cet article, nous proposons une analyse uniformisée des nasales et une interprétation de la nasalité sur la base du paradigme minimaliste (Chomsky 1995, 3 Pollock 1997, Samuels 2009 2011, Bogny 2014). Nous vérifierons l’hypothèse que m dans les langues Kwa est la réalisation phonétique de ɓ. La section 2 présente les faits étudiés en rappelant en (2.1) le traitement phonologique appliqué aux consonnes nasales des langues Kwa dans les travaux antérieurs et en en faisant une analyse critique en (2.2). La section 3 réanalyse les données qui servent habituellement à prouver le statut phonologique de m en montrant les limites de la méthode de la paire minimale en (3.1) et en les réinterprétant en (3.2) dans une perspective minimaliste. En accord avec Chomsky (op.cit.)1, nous admettons que le Minimalisme a pour objectif de découvrir ou de construire la plus petite propriété susceptible d’expliquer ou de rendre compte d’un ensemble de phénomènes qui paraissent ou qui sont apparemment différents les uns des autres. Le Programme Minimaliste (dernier développement de la Grammaire Générative- 1995) admet dans son approche phonologique que le phonème est une matrice de traits phonologiques abstraits2. Cette approche intègre aussi la dimension diachronique du langage (Samuels 2009). Pour la Phonologie Minimaliste, en effet, les contraintes qui ont cours dans une langue donnée s’appliquent tant dans son évolution que dans sa synchronie. La description synchronique ne devrait pas occulter la dimension diachronique (historique). De plus, certains faits phonologiques ne peuvent être élucidés qu’en étant interprétés à l’Interface Syntaxe-Phonologie fondée sur une corrélation syntaxe/phonologie (Inkelas and Zec 1990, Marfo 2005).). Avec cette approche, cette étude vérifie que m, à l’instar de n, ɲ et ŋ, est une réalisation phonétique. 2. Les faits Cette section rappelle le traitement phonologique appliqué aux nasales des langues Kwa et donne une analyse critique des résultats. 2.1 Les nasales dans le système consonantique des langues Kwa Les résultats des travaux effectués sur le système consonantique des langues Kwa ont en général abouti à la mise en évidence de quatre consonnes nasales : m, n, ɲ et ŋ (Hérault 1982). Dans certaines de ces langues, notamment en Avikam et en Ebrié, ces nasales sont les réalisations phonétiques respectives des consonnes orales ɓ, l, j et w qui sont leurs représentations phonologiques (Cf.3). Dans d’autres, notamment en Agni, en Akyé et en Baoulé n, ɲ et ŋ sont respectivement en distribution complémentaire avec l, 1 2 Voir aussi Pollock 1997, Samuels op.cit., Bogny op.cit. Le phonème est substance-free, i.e. ses traits phonologiques sont abstraits et sa réalisation phonétique n’est pas toujours (ou forcément) sa réplique exacte. 4 j et w ; seul m, selon ces travaux, n’admet pas de distribution complémentaire avec sa correspondante orale b (Cf. (3), (4) et (5)). (3). Distribution complémentaire m/ɓ, n/l, ɲ/j, ŋ/w en Ebrié a. m/ɓ mɛ̰̀ mà 1SG venir.Acc ‘Je suis venu’ ɛ̀ ɓà 3SG venir.Acc ‘Il est venu’ *ɛ̀ ɓà̰ b. n/l ɛ̰́nɛ̰̄má̰ ‘chenilles’ lɛ̀ ‘chenille’ c. ɲ/j ɛ̰́ɲá ‘arbres’ ájá ‘arbre’ d. ŋ/w ɛ̰̀ŋwɔ́ ‘chats’ àwɔ́ ‘chat’ (4). Distribution complémentaire n/l, ɲ/j et ŋ/w en Akyé a. nɔ̰̀ɔ̰᷆ / lɔ̀ɔ᷆ “flambeau”/ “escargot, esp” 5 b. ɲi ̰̄ / jī “(le) derrière”/ “père” c. ŋṵ̀ “entrer”/ wù “adosser” (5). Opposition m/b en Akyé a. mɛ̰̀ “milan” / bɛ̰̀ “malheur” b. mʌ̰̄ “fait de boire” / bʌ̰̄ “langue” Tout comme en Agni, en Akyé et en Baoulé, b apparaît autant en contexte oral que nasal en Ebrié. Cela est prouvé par les exemples en (6) où b bien qu’apparaissant dans un contexte nasal ne se nasalise pas contrairement à ɓ qui se réalise nasal dans les mêmes conditions (3a). (6). b en contexte nasal a. mɛ̰̀ bò 1SG.Acc attendre3 ‘J’ai attendu’ b. ɛ̀ bò 2SG.Acc attendre ‘Tu as attendu’ c. bā "coût" d. bā̰ "palmier, esp." 2.2 Analyse critique de l’opposition m/b b en Ebrié a la même caractéristique que b en Agni, en Akyé et en Baoulé : il se réalise autant en contexte oral que nasal. En Ebrié b apparaît dans les deux contextes parce qu’il n’a pas de correspondant nasal. A l’opposé, ɓ n’apparaît qu’en contexte oral parce que m est sa réalisation nasale (Cf 3(a) et (4) repris respectivement en (7) et (8)). Ainsi le verbe ɓà (‘venir’) se réalise mà en contexte nasal (7a). C’est donc la consonne ɓ qui se réalise m en contexte nasal. 3 Acc (ou ACC) = Accompli ; Inacc = Inaccompli ; LOG = Logophorique ; PL = Pluriel ; Poss = Possessif ; PROG (ou Prog)= Progressif ; Cont = Continu, HAB (ou Hab) = Habituel ; SG = Singulier. 6 (7). Nasalisation de ɓ a. mɛ̰̀ mà 1SG venir.Acc ‘Je suis venu’ b. ɛ̀ ɓà 3SG venir.Acc ‘Il est venu’ (8) Non nasalisation de b en Ebrié a. mɛ̰̀ bò 1SG.Acc attendre ‘J’ai attendu’ b. ɛ̀ bò 2SG.Acc attendre ‘Tu as attendu’ L’absence apparente de la réalisation phonétique ɓ dans les langues Agni, Akyé et Baoulé semble être la raison pour laquelle des linguistiques ont opposé b à m. On remarque, néanmoins que même dans certaines langues Kwa comme l’Ehotilé où ɓ n’existe pas, des occurrences de b se nasalisent en contexte nasal (9). Les occurrences de b en (9b) montrent que cette consonne se comporte morphologiquement en contexte nasal comme l’implosive ɓ. En effet, dans le corpus en (9) le marqueur de pluriel – le morphème m – nasalise les occurrences de b en (9b) mais non celles de b en (9a). Cette variation suggère qu’il faut postuler l’existence de deux sortes de b dans cette langue (Ehotilé). Dans les exemples en (9a) b se comporte comme son homologue des langues Kwa telles que l’Ebrié ; en (9b) par contre b a la même distribution que l’implosive ɓ de l’Ebrié ou de l’Avikam. La nasalisation de l’occurrence de b dans les items en (9b) est prédictible : elle a lieu en contexte nasal, notamment au contact du morphème segmental nasal du pluriel. Une seule hypothèse semble s’imposer ici : la deuxième occurrence de b dans les items en (9b) est en structure sous-jacente une implosive, en l’occurrence ɓ. 7 (9) a. Items Pluriel Glose OŸbO⁄ mŸbO⁄⁄ bagage eŸbjE mŸbjE⁄0 chaise beŸnaŸ0 mŸbeŸna0Ÿ limite EŸb¸¤sEŸ mŸb¸¤sEŸ salutation Pluriel Glose bloŸnù mloŸnuŸ rouge oŸbo¤ù mŸmo¤uŸ animal EŸbuŸaŸn¸⁄ mŸmuŸaŸn¸⁄ mouton EŸblà mŸmlaŸ femme bleŸfēn¸⁄ mŸmleŸfēn¸⁄ adolescent b. Items La structure morphophonématique de mlònù est N-blònù où N- est le morphème segmental (nasal) du pluriel. Dans cet item, il nasalise la consonne initiale b et s’élide parce que dans la structure sous-jacente il n’existe pas de préfixe morphologiquement marqué ; c’est ce qu’indique la forme bloŸnù du singulier. Dans les quatre autres items de (9b), au contraire, la nasale est maintenue en guise de vestige de classe nominale (voir le correspondant vocalique au singulier). Les faits décrits ici s’expliquent à l’Interface Syntaxe-phonologie dans une corrélation Syntaxe/Phonologie (Inkelas and Zec op.cit., Marfo op.cit.). 3. Réanalyse des données de l’opposition b/m Les données empiriques des langues Kwa permettent deux interprétations possibles de m: - m est la réalisation phonétique de ɓ en contexte nasal - m est en opposition avec b. Le fait que deux différentes interprétations soient possibles pour un même phénomène les rend toutes deux ad’hoc. De plus, les données de l’Ehotilé en (9) révèlent qu’il importe de postuler l’existence d’une représentation phonologique pour m en Agni, en Akyé et en Baoulé à l’instar de n, ɲ et ŋ. 8 3.1 m allophone de ɓ dans les langues Kwa L’occurrence de m est prédictible dans certaines langues Kwa, notamment en Ebrié où il est en distribution complémentaire avec l’implosible ɓ (Cf. 2.1). Selon les données de l’Ehotilé en (9b), la nasale m analysée comme phonologique dans les autres langues Kwa (Agni, Akyé et Baoulé) est probablement identique à celle rencontrée en Ebrié. Pour mieux analyser les deux types de nasale, il faut considérer le paramètre dialectologique (diachronique) en comparant les données empiriques de toutes ces langues. Notre hypothèse est que la réalisation phonétique b qui correspond à la réalisation m dans les items en (9b) est une implosive ɓ dans sa structure sous-jacente. Les supposées paires minimales sont apparentes car pour certaines variations, il faut en rechercher la cause en diachronie : les contraintes agissant aujourd’hui l’ont toujours été. C’est la transversalité des contraintes. La sous-section en (3.2) vérifie cette hypothèse. 3.2 Une interprétation minimaliste de m Les faits linguistiques tels que ceux observés dans la variation phonétique de m ne peuvent être adéquatement interprétés que par la prise en compte de l’aspect diachronique ou dialectologique des données. En effet, les contraintes qui s’appliquent à un segment particulier dans une langue d’un groupe donné devraient être vérifiées dans les autres membres du même groupe. Ces contraintes sont donc transversales (Bogny 2014). La dimension dialectologique des données empiriques montre que la nasalité de m est prédictible dans les langues Kwa. Elle n’est donc pas une propriété (un trait) intrinsèque. C’est ce que démontre le phénomène de la nasalisation dans des contextes qui se situent à l’Interface Syntaxe-Phonologie (Inkelas and Zec op.cit., Marfo op.cit.). La nasalisation observée ici est comparable à la lénition des occlusives dans les langues Bia comme l’Agni et le Nzema ou l’upstep du ton Haut en Akyé (Bogny 2013a et 2013 b). Dans ces langues, en effet, les segments et suprasegments subissent des modifications dans une corrélation entre syntaxe et phonologie. Par exemple, la consonne occlusive se lénifie en fricative sous l’influence du trait [+Cont] de la voyelle lorsque celle-ci la précède immédiatement ((10c&c’), (11c&c’)). En Akyé, le ton Haut s’élève d’un cran et se réalise super-haut lorsqu’il est immédiatement suivi d’un (autre) ton non-haut (12b)4. 4 Remarquez le changement de ton Haut à Très-Haut en comparant la transcription phonétique en (12b) et sa correspondante morphématique. 9 (10) Agni a. mɩ̰̌ bá 1SG.PROG venir ‘Je suis en train de venir’ b. mɩ̰̀ bá 1SG.HAB venir ‘J’ai l’habitude de venir’ c. mà̰ wá 1SG.RES venir ‘Je suis venu’ a'. mɩ̰̌ kɔ́ 1SG.PROG partir ‘Je suis en train de partir’ b'. mɩ̰̀ kɔ́ 1SG.HAB partir ‘J’ai l’habitude de partir’ c'. mà̰ hɔ́ 1SG.RES partir ‘Je suis parti’ (11). Nzema a. mʌ̰̀ lɛ́ bà 1SG PROG venir “Je suis en train de venir” b. mʌ̰̀ 1SG bà HAB.venir “Je viens” c. mʌ̰̀ ɣà 1SG-ACC venir “Je suis venu” a’. mʌ̰̀ lɛ́ kɔ̀ 1SG PROG partir “Je suis en train de partir” 10 b'. m̀ kɔ̀ 1SG HAB.partir “Je pars” c’. mʌ̰̀ hɔ̀ 1SG ACC.partir “Je suis parti” (12). Akyé a. wɔ̀ àbà̰dé ʃɛ̀ 3SG.Inacc patates douces manger.Inacc ‘Il mange (les) patates douces’ b. wa̋jɔ᷅ wɔ̋ àbà̰dé ʃɛ̀ ó àjɔ̀ ɔ̄ wɔ́-ɔ̄ àbà̰dé ʃɛ̀ 3SG.Poss propos Inacc 3SG.LOG Inacc patates.douces manger.Inacc ‘Il dit qu’il mange (les) patates douces’ Les sons sont des manifestations de matrices qui sont elles-mêmes des paquets de traits phonologiques. Les matrices, pour rappel, sont abstraites et ne se manifestent pas toujours telles quelles. Cela signifie que l’implosive ɓ, par exemple, peut se manifester sans le trait implosif ([+LENIS]) ; c’est exactement ce qui se passe pour les items de l’Ehotilé en (9b) dont les deux premiers exemples sont retranscrits avec ɓ à la place de b en (13a). On comprend dès lors pourquoi b alterne avec m dans ces items. Ainsi donc toutes les occurrences de m dans les langues Kwa sont, selon notre hypothèse, des réalisations phonétiques de ɓ en contexte nasal. En (13b), les deux premiers exemples des items de (9a) dans lesquels il n’y a pas d’alternance b/m sont repris. (13) Ehotilé a. Items Pluriel Glose ɓloŸnù mloŸnuŸ rouge oŸɓo¤ù mŸmo¤uŸ animal b. Items Pluriel Glose OŸbO⁄ mŸbO⁄⁄ bagage eŸbjÉ mŸbjE⁄0 chaise 11 Les données en (14a) prises en Agni vérifient aussi l’hypothèse de l’existence de l’implosive ɓ dans les langues Kwa. Ainsi, en (14a) le b de bàá qui est en fait ɓ en structure sous-jacente, se nasalise au contact de m, morphème du pluriel ; mais en (14b) le b de bɔ̰́ qui n’est pas implosive en structure sous-jacente n’est pas nasalisé et reste tel quel. (14) Agni a. bàá “enfant (SG)” màá “enfants (PL)” b. bɔ̰́ “sentir” En Akyé, la deuxième personne du pluriel est la forme nasalisée de celle du singulier : bū (2SG) / mṵ́ (2PL). Selon notre hypothèse il convient de transcrire ɓū plutôt que bū. Par ailleurs, cette implosive, comme son homologue en Gouro, a un trait dépressif (ton Bas) qui abaisse d’un cran le ton Haut du pronom de deuxième personne du singulier (Tchagbalé 1985, 1998). En fait, la forme (forte) nominale des pronoms a un schème tonal Haut. Mais celui de la deuxième personne du singulier seul se réalise Bas (15). (15) Akyé a. mɛ̰́ ‘moi’ b. bū ‘toi’ c. (w)ó ‘lui’ d. á̰ ‘nous’ e. mṵ́ ‘vous’ f. bá ‘eux’ Les nasales m, n, ɲ et ŋ sont donc les réalisations phonétiques respectives des représentations phonologiques ɓ, l, j et w. Une langue telle que l’Akyé aura le système consonantique que voici (16)5. 5 Bogny (2014 :42) 12 (16) Tableau des consonnes phonologiques de l’Akyé Labiales Dentales Palatales Vélaires Occlusives Sourdes p Sonores b t c k d ɟ Fricatives Sourdes f Sonores v s ʃ Affriquées Sourdes ts tʃ Sonores dz dʒ l j Sonantes ɓ Labiovélaires kp gb w 4. Conclusion L’approche minimaliste de m a permis d’harmoniser les analyses des faits. On retiendra que m apparaît, dans les langues Kwa, comme la correspondante nasale de l’implosive ɓ même si celle-ci n’existe pas phonétiquement dans certaines de ces langues (le phonème étant, par définition, une matrice de traits phonologiques abstraits). Dans tous les cas, la représentation phonologique de m est ɓ. m devrait donc être remplacé par ɓ dans le système consonantique des langues Kwa. Cette interprétation minimaliste a été rendue possible grâce à l’étude comparative transversale dialectologique des données empiriques. C’est donc une approche diachronique (en rapport avec l’évolution des langues) qui permet d’élucider des phénomènes tels que celui de phonèmes sous-jacents qui n’ont pas de réalisation phonétique identique (« isosonique »). Cette étude vérifie, au demeurant, que le phonème en tant que structure abstraite n’a pas toujours (ou forcément) une sa réalisation phonétique qui soit sa réplique exacte. Bibliographie BOGNY, Yapo J. 2013a "Le ton très-haut à l’Interface Morphosyntaxe-Phonologie en Akyé" in Sudlangues n°20, décembre 2013, pp. 94-112. BOGNY, Yapo J. 2013b "La lénition consonantique à l’Interface Syntaxe- Phonologie dans les langues Bia" in Annales de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, N°19, Vol.2, Université d’Abomey-Calavi. pp. 4-23. 13 BOGNY, Yapo J. 2014. Arguments, Marqueurs Aspecto-Modaux et Ordre des Mots dans les Langues Kwa : Une Approche Minimaliste. Thèse d’Etat ; Université Félix HouphouëtBoigny de Cocody. CHOMSKY, Noam1995. The Minimalist Program, MIT Press. EHILE, Laurent 2009. L’afima, parler agni de la s/p de Maféré : étude phonologique et Grammaticale, thèse pour le doctorat unique, ILA, Université de Cocody-Abidjan. HERAULT, Georges 1982. 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