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Nader El-Bizri, “Ibn al-Haytham et le problème de la couleur”, Oriens-Occidens: sciences, mathématiques et philosophie de l’antiquité à l’âge classique (Cahiers du Centre d’Histoire des Sciences et des Philosophies Arabes et Médiévales, CNRS). Vol. 7 (2009), pp. 201-226

O R IEN S セ OCCIDENS S cien ces, Mathematiques et Philosophie de I'Antiquite a l'Age 'classique A m N AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR NADER EL-BIZRI (Universite de Cambridge) 1- REMARQUES PRELIMINAIRES SUR LA COULEUR Les prolongements conceptuels du « probleme de la couleur » (al-lawn) chez al- Hasan Ibn al-Haytham (Alhazen ; mort apres 1041 AD) sont etroitement lies 1 ases recherches plus generales sur la lumiere (al-q,avl) et la vision H。ャM「セイIN Ibn al-Haytham indique dans son Livre de I 'Optique (Kitiib al-mandzir; De aspectibuslPerspecttvaf que tout corps opaque (jism kathij) porte une couleur (I, 2 [12]), laquelle est une propriete visible (mana ュオ「セ。イI ; la couleur se mele a la lumiere et se propage avec elIe, et sa forme est semblable a celle de la lumiere (sicnu al-lawn shabiha bi-siirat al-daui' ; I, 3 [113]). II ajoute que la couleur est une « forme » Hセイ。I dans le corps opaque colore (al-lawn siira fi Je remercie Monsieur Roshdi Rashed d'avoir relu une premiere version de ce texte ; ses remarques m' ont aide a affiner les propositions de cette etude et m' ont permis declaircir quelques obscurites dans Ie developpement de rna recherche. Je voudrais aussi remercier Madame Helene Bellosta pour son aide precieuse lors de la redaction de cet article. 2 Al- Hasan Ibn al-Haytham, Kitdb ai-manazir, ed, A. I. Sabra, Kuwait, 1983 et 2002 ; Ibn al-Haytham (Alhazen), The Optics of Ibn al-Haytham, Books I-III, tr. A. I. Sabra, London, Warburg Institute, 1989. Les references a cet ouvrage seront signalees dans Ie texte comme suit: les numeros des maqalat (livres) seront indiques en chiffres romains (1, II, III, etc.), les [usiil (chapitres) seront notes en chiffres arabes (1, 2, 3, I etc.), et les paragraphes seront inclus entre [ ]. Il faut peut-etre aussi souligner que les sections traitant du probleme des couleurs dans cet ouvrage majeur se trouvent essentiellement dans les trois premiers Livres (maqaliit) de ce texte sur la vision directe, rnais surtout dans Ie troisierne chapitre du Livre I (al-maqiila al-filii). 202 Nader EL-BIZRI al-jism ; I, 3 [133-136]) et nullement une quelconque entite [accidentelle] interposee entre l'oeil et la lumiere (laysa shay' ciiriq, bayna al-basar wa-al-<f,aul). En outre, les couleurs accompagnent toujours la lumiere (al-alwiin tashab abadan al- aduxi' ; I, 3 [141]); elles apparaissent plus clairement et plus dis- tinetement lorsque l'intensite de la lumiere qui les eclaire est plus forte Hiセ 3 [114-116]), car leur perception (idriik) n'est possible qu'en presence de l'eclairage (I, 4 [20-26]). Ibn al-Haytham precise aussi que la lumiere et la couleur qui l'accompagne sont emises ensemble par les corps Hケセ、オイゥョ maan Can al-ajsiim ; I, 3 [1 29-131]) et que ce qui est usuellement affirme de la lumiere s'applique aussi a la couleur (mii yasduq Calii al-daui' yasduq Calii al-alwiin ; I, 6 [88]). Pour etayer certaines de ces observations, Ibn al-Haytham entreprend de les verifier experimentalemcnt (i tibar ; experimentatio ; I, 3 [118-120li, en utilisant une camera obscura (bayt <f,ayyiq mU,?-lim) : une petite chambre noire dont les surfaces laterales interieures blanches sont placees dans l'ombre (assombries). Ce dispositif, delimite par des murs blancs (judriin bayfjii') non eclaires, cornporte une large ouverture controlee (thuqb faSil}) au travers de laquelle les rayons du soleiI penetrent a linterieur de l'espace et eclairent une surface coloree en rouge/pourpre (al}mar urjuuxini ; purpura /rubens) situee sur le sol de cette chambre (arq, al-bayt). L'experimentateur (al-muCtabir) observera que : lorsque la lumiere solaire penetre a l'interieur de la chambre a travers l'ouverture de maniere a n'eclairer que la surface coloree en rouge/pourpre placee sur Ie plancher, alors la rougeur vive de cette surface illumine les murs blanes de cet espaee par la radiation de sa « forme ». Cette surface pourpre irradie (tushriq) ainsi une lumiere avee laquelle se propage sa couleur rouge, de sorte que sa forme apparait sur les murs blanes a I'interieur de I' installation, comme si elle etait lumineuse en elle-meme 4 . De la meme maniere, Ibn al-Haytham observe qu'une muraille blanche assombrie (i.e. non eclairee et situee dans l'ombre) recoit les formes des couleurs scintillantes (alwiin mushriqa ; I, 3 [114, 125]) des objets colores adjacents, en les faisant apparaitre sur sa surface. C'est Ie cas, par exemple, du vert brillant de C On etudiera les divers sens de la notion d' « i tibar » dans la Section IV (<<L' experimentation ») de notre etude. 4 Une semblable observation experimentale (i( tibar) est confirmee par Kamal aI-Din al-Farisl dans son Kitab tanqih. ai-maniizir li -dhauii al-basar wa -al-basa'ir Hyderabad, Osmania Oriental Publications Bureau, 1928-1929,2 vol. ; voir vol. II, p. 331-335, sur la generation des couleurs (Ii kayfiyyat tawallud al -aluxins , 3 C IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 203 plantes ou d'arbres intensement ensoleilles dont les formes apparaissent sur un mur blanc voisin, lui meme non eclaire. De meme, la couleur d'un corps transparent apparait sur une muraille blanche adjacente situee dans I'ombre (al-?-ill), lorsque ce corps est fortement eclaire (I, 4 [24-25]). Bien qu' lbn al-Haytham maintienne que « la forme de la couleur » d'un objet opaque eteclaire est intrinsequement melee it « la forme de la lumiere » qu ' il ernet, et que Ie comportement de l'une est semblable it celui de l'autre (alalwiin ma'tiiJa 'alii at-aduxi' uia-siuuarihas, il n'en attribue pas moins it la couleur une realite existentielle et objective, independante de celIe de la lumiere (I, 3 [134-139]). Malgre cela, l'explicitation du probleme de la couleur est methodologiquement et epistemologiquement reliee par lui it I'etude de la lumiere''. II en resulte done que, preciser ce qu'il en est de la couleur, selon l'Optique d'lbn al-Haytham, necess itera que nous explicitions sa theorie de la lurniere. 11- LUMIERE« SUBSTANTIELLE» ET LUMIERE« ACCIDENTELLE» Ibn al-Haytham utilise, dans son Optique, Ie terme traditionnel de « forme» (sura ; forma) pour definir la couleur (al-lawn) et la lumiere (al-rfaul), sans preciser l'usage particulier qu'il entend faire de cette notion. II explicitera plus tard, dans son Discours de fa lumiere (Qawl fi al-tf,aw,)6 comment ce terme « forme »s'applique it la lumiere. Ibn al-Haytham se propose, dans son Discours de fa lumiere, d'enonccr lcs theses des philosophes/physiciens H。セスjヲゥ「 "ilm al-falsafa) et celles des matheal-ta'iilim) sur la lumiere, en essayant, dans une certaine maticiens Hセj[ゥ「 mesure, de ne pas choisir entre les unes et les autres. 11 distingue alors, pour la lumiere, dans le Discours, deux « formes » soumises aux memes regles d' irradiation (ishriiq ; emission) et de propagation (imtidiid) : l'une etant « substanIbn al-Haytham ne cherche pas a ordonner une refutation « ontologique » des « doctrines metaphysiques » de l'irrealite de la couleur, notamment celles que I'on trouve posterieuremcnt dans les meditations philosophiques plus recentes de Galilee, Descartes, Boyle, Locke ou Hurne. 6 Roshdi Rashed, « Le Discours de la lumiere d'Ibn al-Haytham (Alhazen) : Traduction francaise critique », Revue d'histoire des sciences, vol. 21, (1968) ; reimp, 5 dans Roshdi Rashed, Optique et mathemattque : Recherche sur l'histoire de fa pensee scientifique en arabe (Aldershot : Variorum, 1992), chapitre V. Version arabe : alHasan Ibn al-Haytham, Majmil rasa'il Ibn al-Hastham; Hyderabad, Osmania Oriental Publications Bureau, 1938-1939, second chapitre intitule : Risiila fi al-tlaui', 204 Nader EL-BIZRI tielle (premiere) » (fj.,aul jaioluui [awwal]), et I'autre « accidentelle (seconde) » 7 (fj.,aul Caradi [thaml ) . La lumiere accidentelle (seconde) est emise par un corps opaque eclairs selon les memes principes d'irradiation et de propagation que la lumiere substantielle (premiere) qui emane d'un corps lumineux en lui-meme (mu4i' min dhatih)8 . Cette lumiere accidentelle, emise par les corps opaques eclaires, ne doit pas etre confondue avec la lumiere reflechie dont la trajectoire est determinee par la loi de la reflexion (al-in Cikiis)9. La lumiere accidentelle est emise par les corps opaques eclaires de la merne maniere que la lumiere lO substantielle qui emane des corps lumineux en eux-memes . Cependant, la lumiere accidentelle, seule, est accompagnee par la couleur de ces corps et se melange a elle, toutes deux - lumiere substantielle et lurniere accidentelle etant cependant soumises aux memes principes d'emission et de propagation rectiligne. Ibn al-Haytham indique, dans son Discours de la lumiere, que les philosophes/physiciens maintiennent que toute notion (macnii) qui constitue l'essence (ma'iyya) d'un corps physique sera sa « forme substantielle » isiira jawhanyya). II ajoute egalement que la question de l'essence releve des sciences physiques (al-Culiim 。ャMセ「イゥケIL tandis que I'etude de l'emission (kayfiyyat alishriiq), de la forme et de la figure de la lumiere (shakl al-daio' wa hay'atih), Rashed, « Discours de fa lumiere » (Optique et mathematique, V), p. 198. 8 Roshdi Rashed, « Optique geometrique et doctrine optique chez Ibn al-Haytham », Archive for History of Exact Sciences, vol. 6 (1970), p. 271-298 ; voir p. 277 ; reimp, dans Optique et mathematiques, II. Roshdi Rashed, « Lumiere et vision: L'application des mathematiques dans l'optique d'Ibn al-Haytham », dans Roemer et fa vitesse de fa lumiere, ed. R. Taton, Paris, Librairie 1. Vrin, 1978, p. 19-44 ; voir p. 33 ; reimp. dans oーエゥセオ・ et mathematiques, IV. Dans Ie Discours de fa lumiere de fa lune (Risiila fi dau? al-qamar), Ibn alHaytham montre que la lurniere qui rayonne de la lune lorsque Ie soleil l'eclaire emane d'elle Hケセ、オイ Canh) par une emission qui apparait comme etant celle des corps lumineux en eux-memes (ajsiim mudi'a min dhawiiliha), et non pas comme un lumineux par reflexion (inCikiis), ou rayonnement resultant de corps polis (ajsiim セ。アャI d'une irradiation passant a travers des corps transparents (ajsiim mushiffa) transmetteurs de la lumiere. Ibn al-Haytham, Majmii c rasd'il Ibn al-Hastham; op. cit. (huitieme chapitre),p.17-18. \0 Pour verifier ce phenomene, Ibn al-Haytham le traite mathematiquement sur la base d'experiences systernatiques faites avec des variantes de la camera obscura. Voir: Rashed, « Optique geometrique et doctrine optique » (Optique et mathematique, II), p: 274, 276 ; Rashed, « Lurniere et vision» (Optique et mathematique, IV), p. 25. 7 IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 205 necessitent un recours aux sciences mathematiques (al-Culiim セャMエ。cゥュコケIN Neanmoins, Ibn al-Haytham reconnait que les opinions des philosophes/ physic iens different quant a la conception de la quiddite des couleurs, et que l' incertitude regne en ce domaine. La propagat ion de la lumiere - qu'elle soit substantielle ou accidentelleobeit aux memes lois de I'optique. La lumiere (substantielle ou accidentelle) peut penetrer dans les mil ieux transparents, et lorsque des corps opaques sont eclaires, ils emettent une lumiere accidentelle. La lumiere (substantielle ou acc idente lle) existe independamment et exterieurement a la vision, et elle a la propriete de se propager a travers les corps transparents, selon des trajectoires rectilignes ('alii al-sumiit al-mustaqima) et dans to utes les directions, selon une emission/irradiation « spherique », L'ensemble des droites virtuelles H。ャMォィオエゥセ al-mutawahhama), selon lesquelles la lumiere se propage, constitue le « cone visuel » virtuel Hュ。ォィイuセ al-shuCiij. Ces trajectoires rectilignes peuvent etre paralleles ou secroiser, mais dans tous les cas, les lumieres ne se melangent pas, alors que la couleur, elle, se me Ie a la lumiere accidentelle qu'elle accompagne (1,3 [141])12. Selon Ie Discours de la lumiere, les mathematiciens (oshab al-taCiilim) considerent pour leur part que la lumiere emise par un corps lumineux en luimeme est une « chaleur de feu » Hセ。イゥ niinyya) qui apparait dans Ie corps lumineux comme Ie feu parait dans Ie corps qui Ie porte (al-jism al-hamil li-alniir). Quand Ibn al-Haytham se refere dans Ie Discours de la lumiere aux « geome tres », il entend essentiellement Euclide et Ptolernee ; quant a la definition de la lumiere comme « chaleur de feu », c'est celie qu'il attribue, semble-til, a Empedocle et a Platona Rashed, « Discours de fa lumiere » (Oplique et mathematique, V), p. 205. 12 Rashed, « Optique geornetrique et doctrine optique » (Optique et mathematique, 11.), p. 273 ; Rashed, « Lurniere et vision» (Oplique et mathematique, IV), p. 25. 11 206 Nader EL-BIZRI Ibn al-Haytham prefere en outre, dans son Discours de fa lumiere, remplacer Ie tenne « rayon» (shuCiij, lorsqu'il est question de la propagation de la lumiere, par Ie terme « fo rme» (#ira), pour ne pas risquer de confondre cette notion avec le « rayon visuel » des mathematiciens (« cone visuel » ; makhnit al-shuCiij13. De plus, Ie « rayon lumineux » geornetrique est pour lui isomorphe au « rayon lumineux » physique lequel, dans sa materialite, occupe un espace et possede une largeur ; ainsi I'agent Iumineux n'existe lui-memo que dans I'espace et Ie temps merne si ce phenomene est dissirnule aux sens (ghayr mal}.siis) 14. III- LE TOURN ANT METHODOLOGIQUE ET LE VOCABULAIRE TRAD IT IONNEL DES « FO RMES» Pour clarifier la separation existentielle entre la realite objective de la couleur (lJ,aqtqat al-laum) et celie de la lumiere il nous faut revenir a la methodologie d'Ibn al-Haytham, et a sa reforme historique et epistemique de I' optique. La distinction doctri naire faite par les philosophes/physiciens entre lumiere « substantielle » et lurniere « accidentelle » ne semble pas porteuse de sens pour I' etude de la propagation, de la reflexion et de la refraction, ou de la diminution de la luminosite du fait de I' eloignernent des sources d' emission. Ibn al-Haytham replace l'opposition traditionnelle chez les philosophes/ physiciens entre «forma substantialis » (#ira jawhanyya) et «forma accidentalis » (#ira C ara¢iyya), dans Ie contexte d'une distinction entre « des milieux plus • 15 ou moms transparents » . La distinction entre lumiere substantielle et lumiere accidentelle ne semble pas pertinente pour I'etude de la propagation, puisque les deux formes de lumiere sont soumises aux memes regles. Cette opposition prend en revanche toute sa valeur Iorsqu'il traite du probleme de la couleur. La separation entre forme su bstantielle et forme accidentelle semble etre « vide » dans I' etude des 13 Rashed, « Discours de fa lumiere » (Optique et mathematique, V), p. 199-200, 205. Les opinions des geometres concernant Ie « rayon visuel » (ou « cone visuel » ; makhriit al-shu?Y) evoquent essentiellement les traditions d' Euclide et de Ptolemee, en incluant aussi des references a celles d'Empedocle et de Platon. Voir: Platon, Timaeus, ed. et tr. R. G. Bury, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1999, gc ed., Loeb Classical Library, vol. IX (Timee 45 B, 5g C) . Rashed, « Lumiere et vision» (Optique et mathematique, IV), p. 27. 15 Rashed, « Optique geometrique et doctrine optique » (Optique et mathematique, II), p. 277 ; Rashed, « Lumiere et vision» (Optique et mathematique, IV), p. 26. 14 IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 207 conditions de la propagation de la lumiere, et sa signification methodologique n' apparait clairement qu'avec l'etude des couleurs. Parmi les multiples questions que souleve l'optique, il en est une qui se trouve methodologiquernent situee au point de rencontre des autres ; c'est celle qui conceme la couleur et son lien avec les phenomenes lumineux. Seule la lumiere accidentelle est accompagnee par la couleur et se melange a elle selon les memes lois de I' optique, tandis que la lumiere substantielle ne subit aucun melange. De plus, seuls les corps opaques dotes effectivement de couleurs renvoient des lumieres accidentelles ; l'ceil recoit la couleur me lee a la lumiere qui l'accompagne, car la couleur rr'apparait effectivement a la vision que SOllS l'action de I' eclairage I6. La forme de la couleur, comme celle de la lumiere accidentelle, se propage dans toutes les directions (emission « spherique ») selon des droites menees de tout point de la surface eclairee du corps opaque colore, et penetre les milieux transparents, que I'ceil soit absent ou present. Les couleurs, com me les lumieres, ont une propagation rectiligne et « punctiforme ». Dans l'etude de la propagation, la seule difference qui subsiste entre les deux « formes» de la Iumiere (outre la distinction entre leurs natures physiques) est une difference de « milieux plus ou moins trans parents ». La force conceptuelle de la distinction entre lumiere substantielle et lumiere accidentelle est reactivee, dans une certaine mesure, pour etayer I'opposition entre couleur et lumiere, et pour postuler I' independance existentielle de la couleur. Le tra itement des couleurs est partie integrante du renouvellement de la doctrine optique. La survivance du langage traditionnel, ou plutot la reanimation conceptuelle de son vocabulaire, contribue ainsi a une reforme methodologique et epistemique. Les representations traditionnelles sont alors mises au service des nouvelles normes d'une recherche reformatrice, dans laquelle on postule que les couleurs sont des objets de geometric autant que des phenomenes physiques. On peut relever ainsi un double mouvement : de la doctrine (ideologic) optique (selon les philosophes/physiciens) a l'optique geometrique, et de celle-ci a une doctrine optique reformee et nouvelle'<. Ibn al-Haytham affirme de facon generale la necessite de composer sciences 16 Rashed, « Optique geornetrique er doctrine optique » (Optique et mathematique, II), p. 278-28 1 ; Rashed, « Lumiere et vision » (Optique et mathematique, IV), p. 34-35. 17 Rashed, « Optique geometrique et doctrine optique »tOptique et mathematique, II), p. 298. 208 Nader EL-BIZRI mathematiques et sciences physiques ; puis il recense les doctrines de ses predecesseurs, tant geometres que philosophes/physiciens, pour montrer leurs contradictions et la diversite de leurs opinions; il exprime ensuite ses doutes concernant leurs theses, et presente enfin les elements de sa propre reforme. II se propose ainsi d' introduire la certitude de la demonstration geometrique dans I'etude du phenomene physique, et de rapporter a une situation experimentale les diverses notions en j eu. Les donnees de I'observation immediate sont alors etudiees a partir de demonstrations mathematiques, de deductions logiques, et de verifications experimentales.l'' L'i'tibiir (experimentation) consiste ici a rapporter, au moyen de la geometric, certaines notions a une situation experimentale, afin de realiser physiquement une experience de pensee qui n'etait pas realisable auparavant, et qui ne pouvait pas etre correctement pensee avant cette « experimentation »19. On trouve ainsi deux genres de rationalite dans la methode d'Ibn al-Haytham pour l'etude de la vision et des phenomenes lumineux., comme ille precise lui-meme au debut de ses ceuvres : I' Optique, Du Halo, De I 'arc-en-ciel, et Ie Discours de la lumiere'". II est cependant necessaire dindiquer que Ie rapport ains i institue entre geometric et physique, .soumis aux normes de la composition des preuves mathematiques et experimentales, releve « d'isomorphisme de structure» et « nullement d'une synthese ». Les facons de composer rnathematiques et physique sont diverses : leurs rapports sont ceux d'isomorphismes de structure, de regulation de la physique par la geometric, et d'application des mathematiques a des notions physiques informes 2 1• IV- L'EXPERIMENTAT ION Ibn al-Haytham est, sembIe-t-il, I'un des premiers savants pour qui l'experimentation ne constitue pas seulement une nonne de methodologie empirique, mais Rashed, « Optique geornetrique et doctrine optique » (Optique et mathematique, 11.), p. 272-273 ; Rashed, « Lumiere et vision» (Optique et mathematique, IV), p. 2323. 19 Rashed, « Lumiere et vision» (Optique et mathematique, IV), p. 43. 20 Rashed, « Lumiere et vision » (Optique et mathematique, IV), p. 20-21. II faut peut-etre souligner ici que la composition methodologique des mathematiques et de la 18 physique n'intervient qu'au niveau de l'etude des phenomenes sublunaires et que cette methode ne figure pas dans le Traite de fa lumiere de fa fune d'Ibn al-Haytham tRisala fi rf.aw' al-qamar) ; voir: Ibn al-Haytham, Majmi? al-rasii'il; chapitre VIII. 21 Rashed, « Lumiere et vision» (Optique et mathematique, IV), p. 27,42. IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 209 fait partie, necessairement et integralement, d'une theorie des preuves, et pour qui egalement l' optique est porteuse d'une valeur apodictiquev'. II a ainsi contribue it reformer les criteres de la connaissance scientifique et it introduire les normes d'une preuve mathematique, inductive et experimentale. Avant Ibn al-Haytham et son successeur Kamal al-Din al-Farisi (mort en 1320 AD) Abu Sacci al-fAla' ibn Sahl (l'un des grands mathematiciens de la seconde moitie du X" siecle) avait invoque la notion d'« i'tilxir », avec Ie sens d'experience, dans son Traite sur les instruments ardents (Kitiib al-lJ,arriiqiit), mais sans en faire toutefois une methode de preuve. En ne retenant de la refraction que les aspects geometriques, Ibn Sahl etait parvenu it devoiler un principe qui n'est autre que la loi dioptrique connue plus tard sous le nom de « loi de refraction de Snell », laquelle designe une formule utilisee dans le calcul de la refraction de la lumiere lors de son passage d'un milieu transparent it un autre dote d'un indice de refraction different. En contraste avec cette methode gcometrique, l'exigence experimentale (entre autres) d'Ibn al-Haytham l'a conduit it une certaine « regression theorique » lors de I'etude de ce merne 23 phenomene, lui masquant cette loi de la refraction . On trouve divers usages techniques du tenne « i tibar » (« experimentation ») chez Ibn al-Haytham, en relation avec les multiples formes que prend sa methode de composition des sciences rnathernatiques avec les sciences physiques. Les sens diversifies du terme « experimentation » different selon les disciplines optiques qui les utilisent, et selon les nonnes adoptees pour realiser la composition des mathematiques et de la physique. En optique geometrique, 1'« i tibiir » se presente comme une technique experimentale qui aide it C 22 Roshdi Rashed, Geometry and Dioptrics in Classical Islam, London, al-Furqan Islamic Heritage Foundation, 2005, p. 181. 23 Cette loi (« loi de refraction de Snell »), qui porte Ie nom du mathematicien Snellius Willebrord (mort en 1626), a ete aussi etudiee par Thomas Harriot (mort en 1621) et par Rene Descartes (mort en 1650). Comme Roshdi Rashed I'a indique : « To the names of Snell, Harriot and Descartes we must henceforth add that of Ibn Sahl » ; voir: Rashed, Geometry and Dioptrics, p. 63, 152 ; Roshdi Rashed, « A Pioneer in Anaclastics : Ibn Sahl on Burning Mirrors and Lenses », Isis, 81 (1990), p. 464-491. Pour Ibn Sahl, la dioptrique etait essentiellement une geometric des lentilles ardentes (al-Cadasiit al-anuhriqas soumises a une verification experirnentale (iCtibiir ; voir Rashed, Geometry and Dioptrics, p. 108, note 4). Voir les traites d'Ibn Sahl (dans Rashed, Geometry and Dioptrics) : « Instruments ardents » (Kitiib al-!}arriiqiit ; p. 76143) ; « Dioptre spherique » (al -kiisir al -kariyy ; p. 186-213) ; « Lentille spherique » i al-t adasa al-kaiiyya; p. 214-223). 210 Nader EL-BIZRI controler, au moyen de la geometric, des propositions deja determinees sur le plan linguistique ; en optique physique, la methode de l' « iCtibiir » consiste a rapporter, a I' aide de la geometric, des notions physiques semantiquement indeterminees au plan d'une situation experimentale qui constituera leur mode d'existence ; l'experience n'est done pas uniquement un moyen empirique de controle, rnais elle foumit en outre un « plan d'existence » a des notions syntactiques structurees ; en optique meteorologique, cette methode est utilisee dans le cadre d'une reproductionsimplificatrice et analogique des modeles artificiels de certains phenomenes naturels ; l'experience devient ainsi un moyen de realiser physiquement un objet de pensee non realisable auparavant; pour la theorie de la vision, la notion d' « iCtibiir » designe une observation simple et . 24 attentive . II faut egalement distinguer les methodes et les normes experimentales determinees par le processus systematique de l' « iCtibiir », chez Ibn al-Haytham, de la conception de « l' experience » comme : 4!1te1.pta ou rreipc, selon Aristote ou Galien. Selon Ibn al-Haytham, 1'« iCtibiir » designe une procedure complexe et variee de verification experimentale. Les traductions latines proposaient les termes «experimentatio »ou «experimentum »pour traduire la notion d' « iC tiliir », et « experimentator » pour designer le « mu'tabir » (« l'experimentateur »), L'experimentation repose systematiquement chez Ibn al-Haytham sur des epreuves de verification controlees, des inferences inductives et des demonstrations mathematiques. Selon lui, les erreurs des philosophes/physiciens s'expliquent essentiellement par Ie fait qu'ils ont fonde leurs doctrines optiques sur la 25 perception immediate, qui peut etre une source d'erreurs . D'apres lui, leurs observations n'etaient pas menees d'une facon exhaustive, et n'etaient pas verifiees experimentalernent. S'il est vrai qu'Ibn al-Haytham a rehausse lc niveau epistemologique des criteres de verification de I'observation, son mode d' experimentation constitue une methode de preuve, mais pas encore une Rashed, Geometry and Dioptrics, p. 1041-1044 ; Rashed, « Lumiere et vision » (Optique et mathematique, IV), p. 42-43. J'ai aussi considere cette notion d'experimentation ailleurs dans Nader EI-Bizri, « Variations autour de la notion d'experience dans la pensee arabe », dans Nadia Tazi (ed .), Les mots du monde : L 'experience, Paris, La Decouverte, 2004. p. 39-58. 25 Saleh Beshara Omar, Ibn al-Haytham's Optics: A Study of the Origins of Experimental Science, Minneapolis, Bibliotheca Islamica, 1977. p. 59-60. Matthias Schramm, Ibn al-Haytham Weg zur Physik, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1963, p. 12. 24 IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 211 methode de decouverte.". Sa strategic de recherche reste essentiellement orientee vers les preuves, meme si elle implique une procedure qui peut bien conduire a des decouvertes. Controlee et adequaternent outillee, eIle esquisse un processus rudimentaire de repetition experirnentale des preuves indissociables. 27 de son approche theorique, mathernatique, et inductive . Le role de l'induction est ici Ie fait de s'appuyer sur I'observation de regularites experirnentales passees pour presager leur repetition. C'est ainsi que l'on construit des generalisations, des lois, ou des predictions. Bien qu' Aristote ait fait usage de cette demarche inductive, il lui accordait un statut inferieur au syllogisme. Quant a Ptolemee, il effectuait ses « experimentations» sans y faire appel en to ute rigueur. C'est cela, entre autres, que corrige la reforme experimentale d'Ibn alHaytham. Les sens, qui sont faillibles, sont entraines a la precision et a l' attention au detail, et controles au travers l'experimentation dans leur identification des variables et des regularites. Grace aux methodes inductives et mathematiques, l'experimentation est sauvee de la faillibilite des sens. CeIa presuppose que I' on fasse un effort afin d' affiner I'observation reflechie, et que I' on prenne appui, dans certaines situations experimentales, sur des instruments precis, des outiIs, ou des dispositifs experimcntaux (camera obscura) susceptihies d' amelioration, afin de parvenir ades constatations plus exactes. v­ LA QUESTION DE LA « T RANSPARENCE» Ibn al­Haytham indique que tous les corps physiques, transparents (mushiffa) ou opaques (kathifa), ont une puissance receptrice de la lumiere (qiiwwa qiibila lial-f/,aw') ; tandis que les corps transparents ont en outre la capacite (puissance) de transmettre la lumiere (qiiwwa mu'addiya li -al_f/,aw,)28. On trouve, selon les opinions presentes dans le Discours de fa lumiere, une distinction entre une transparence pure et celle qui comporte un degre dopacite ; c'est tout particulierement le cas des corps trans parents sublunaires (al-ajsiim al-mushiffa mil diin al-falak), qui fixent une certaine quantite minimale de lumiere et ernettent ainsi une faible lumiere accidentelle (air, eau, mat ieres 26 A. 1. Sabra, « The Astronomical Origin of Ibn al­Haythams Concept of Experiment n, dans Actes du xtr congres de l'histoire des sciences, Paris 1968, Tome III­A, Paris, Blanchard, 1971, p. 133­136 . 27 Omar, Ibn al-Haytham 's Optics, p. 62­65. 28 Rashed, « Discours de fa lumiere » (Optique et mathematique, V), p. 207­208. 212 Nader EL-BIZRI vitreuses, humeurs [ai-ru{iibat] transparentes). Ibn al-Haytham precise cependant que si I'on se rapporte it I'examen mathematique, il n'y a pas de limites selon I'imagination (ai-wahm) dans la purete de la transparence, meme si les philosophes/physiciens (selon l'opinion du « logicien » [I'aristotelicien], ¥ily,ib ai-man!iq) maintiennent que la transparence des corps est limitee par la transparence de la sphere celeste (shaftf ai-falak)29. Ibn al-Haytham evoque dans ce contexte une etude de son predecesseur Ibn Sahl intitulee : ai-Burhiin calii anna al-falak laysa huwa fi ghiiyat al-safii' (La preuve que la sphere celeste n'a pas une extreme transparence'[", Ibn Sahl montre dans sa preuve mathematique que pour chaque corps transparent it existera, selon Yimagination, un autre corps plus transparent que lui (kui ¥ifin huwa md lahu fi ai-wahm alja minh) ; la sphere celeste (al-falak) n'est done pas Ie corps Ie plus transparent selon I'imaginaire mathematisant. Ibn al-Haytham tente d'expliciter cette etude d'Ibn Sahl et de la resumer geometriquement. AI-FarisI, la rappelle egalement dans son Toncib al-mcndzir; en soulignant que les corps transparents sublunaires (ai-ajsiim ai-mushiffa md dim ai-falak) possedent toujours un certain degre d'opacite (kathiifa), et que la transparence du corps celeste (shaftf ai-falak) est concue comme etant la plus pure selon les physiciens, tandis que les mathematiciens maintiennent qu'il n'y a pas de limite a la transparence'". La difference des transparences sera alors theorisee via l'etude geometrique des angles de refraction ramenee a une situation experimentale (yu ctabar ikhtiliif al-shafi] bi-zawiiya ol-in:i!iiJ). Si Ie milieu transparent fixe la lumiere, comme une forme se fixe sur un corps, c'est du fait que sa transparence n'est pas pure et qu'il possede une certaine opacite, et ce qui n'a pas quelque degre d'opacite ne sera pas percu (Iii yudrak shay) illii idhii kiina fth ba'd al- ka thiif a)32. En faisant intervenir la question de la transparence, dans son traitement du probleme de la couleur, Ibn al-Haytham refute la theorie aristotelicienne du o1.a <pa vec;33. Selon lui, la propagation de la lumiere (et de la couleur qui Rashed, « Discours de la lumiere » (Optique et mathematique, V), p. 201,223. . Voir l'edition critique arabe du traite d'Ibn Sahl avec la traduction anglaise (Proof that the Celestial Sphereis not of Extreme Transparency) : Rashed, Geometry and Dioptrics, p. 146 [angIais], p. 147 [arabe]. 31 AI-FarisI, セャアョ。t al-mandzir ; vol. II, p. 404-406. 32 Cette proposition d'Ibn al-Haytham sera aussi affirmee apres lui par al-Farisf : t。ョエセ ai-manazir ; vol. I, p. 17-20. 3 On trouve des paralleles a propos de cette question avec la tradition anterieure de 29 30 IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 213 l'accompagne) selon des trajectoires rectilignes «(alii sumiit khu#i! mustaqima), . dans un mi lieu transparent (al-shajif), est une particularite physique (khassa !abrIyya) de la lumiere (et de la couleur), et non pas une particularite des corps transparents (al-ajsam al-mushiffa). En outre, la forme de la lumiere (et celle de la couleur) ne se melangent pas aux milieux transparents (Iii tamtazij fi alhauxi' wa - al-ajsiim ai-mushiffa ; I, 6 [53, 85-87]). A ristote a indique que l'objet de la vue (oparov) est la couleur (XPwJla) qui est it la surface des choses qui sont propter se visibles (De Anima, 418a 263 1 ; 422a 14) ; car, selon lui, la couleur se trouve it la surface H イ」QNアL。カ HセI des corps H。キ セ 。 Gc QN ; Physique 210a 29-31, 210b 4_5)34. De plus, Ie corps transparent (o 1.a q,a vt c;), qui est invisible (voire, peine visible; De Anima, 418b 26-27), et qui est en lui-rneme non colore, est le milieu qui recoit les couleurs. En outre, chaque couleur a le pouvoir, selon sa nature, de faire passer en acte ce qui est transparent (nav at セ KLVT]nKOV eon 'COD Ka'C' €vtpY€l.av PQN。\ャ^クカッ セ L Kat 'COD'C' €oTIV aU'COD ti q,fuu;), et elle est ainsi invisible sans la lumiere (q,w'COc;) qui est concue comme etant I'actualite de ce qui est transparent (De Anima, 418a 31-32 ; 418b 9-11). D'ailleurs, la lumiere est un phenomene qu i ressemble it la presence (rcapouo(a) de quelque chose comme le feu dan s ce qui est transparent (De Anima, 418b 15). Le diaphane est potentiellement transparent et sa transparence est actualisee avec la lumiere, done en recevant les couleurs. Quand la lurniere est presente dans le milieu transparent, celui-ci est actualise et il transmet la couleur de l'objet visible it l'ceil, D'apres la theorie aristotelicienne de la VISion, ce a l'optique mathernatique d'al-Kindi qui n'est pas aussi reformee et nouvelle que celle d'Ibn al-Haytham. L'optique geornetrique d'Euclide, une recension par Theon sur l'optique de Ptolemee, et Ie Timee de Platon (67°-68°) ont tous pennis I'elaboration de la theorie de la couleur par al-Kindl, qui refuta quelques aspects de l' explication aristotelicienne de la coloration a partir d'une these sur le diaphane. Voir: AbO Yusuf Ya'qub b. Ishaq al- Kindl, Kitab fi 'ilal ikhtiliiJ al -manazir wa fi al-barahin alhandasiyya al-lati yajib iC!ii)uhii lahu (De Aspectibus) ; ed. du Latin et traduction : Roshdi Rashed, (Euvres philosophiques et scientifiques d'al-Kindi, vol. 1 : L 'optique et la catoptrique, Leiden, E. J. Brill, 1997 ; David C. Lindberg, « Al-KindI's Critique of Euclid's Theory of Vision », Isis, vol. 62,.no. 24 (1971), p. 469-489. Voir aussi : Abu Yiisuf Yaqub b. Ishaq al-Kindi, Rasa'il al-Kindi al-Jalsafiyya, ed. Muhammad 'Abd al-Hadl AbU Rlda, Le Caire, Dar at-finr at-CarMf, 1950-1953,2 vols. ; voir vol. II pour Ie traite sur le corps colore. 34 Aristote, De Anima, ed. David Ross, Oxford, Oxford University Press, 1961; Aristote, Physics (lpUCHKTl), ed. David Ross, Oxford, Oxford University Press, 1936. 214 Nader EL-BIZRI phenomene est soi-disant « explique » par « l'intromission de la forme» de l'obj et visible dans l'ceil, Contre cette these aristotelicienne, l'optique geornetrique montre que la transparence est une capacite receptrice des couleurs et non pas -Ia raison -de la coloration. La purete de la transparence necessite done l'absence de coloration. Selon la theorie aristotelicienne, il nous semble .que plus unechose est transparente, plus elle sera co loree, car la couleur borne la transparence, et elle apparait ainsi comme etant l'extremite limitante du trans5 parent (eoxa 1"OC; ; eo xa't 1"l.(X)3 • II me semble que cette conception aristotelicienne des couleurs et de la transparence correspond a la definition du 1"01tOC; du Livre Delta de la Physique, qui a ete refutee suivant la geometrisation du lieu (makiin ) par Ibn al-Haytham''", et pour laquelle : « Ie lieu d'un corps est la surface primaire et interne du corps contenant, qui est immobile et en contact avec Ie contenu » (OO'tE 1"0 1"OU rreplixovto<; TItpac; OOctVll1"OV 1tpW'tov,1"ofu wnv 0 1"0m><;; ; Physique, IV 212a.20-21). Cette question merite encore une etude approfondie, qui touchera aussi a la definition mathematisee du lieu (al-makan) par Ibn al- Haytham comme « vide imagine» ial-khala' al-mutakhayyal) rempli par Ie corps concu comme etant un espace (extensio)37. On observe aussi des allusions aux couleurs dans la Metaphysique d' Aristote et son De Sensu: Aristote, Metaphysics, ed. David Ross, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; 1057b 9 ; Aristote, De Sensu [and De Memoria], ed. et tr. G. R. T. Ross, Cambridge, Cambridge University Press, 1906 ; 459b 8-9. On trouve de meme une distinction platonicienne entre xーキセ\ク Ol<XKPlllKOV (separation de la couleur) et xーキセ\ク oUyKpnlKov (melange de la couleur) ; notamment, que des particules tres fines penetrent et dilatent la vision tandis que les plus grandes particules la compressent; produisant respectivement Ie blanc et Ie noir ('1:0 セ OtaKplUK6V n); セ AruKoV); E voir: Platon, Timee, 67 (Timaeus, op. cit.). En outre, la variation des transparences des entites physiques resulte, semble-t-il, des differences entre « les proportions des elements» qui les constituent: l' air etant Ie plus transparent, puis I' eau, ensuite Ie feu, et finalement la terre. 36 Ibn al-Haytham, « Qawlfi al-makdn tTraite sur le lieu) », edition critique et traduction: Roshdi Rashed, Les mathematiques infinitesimales du IX au xr siecle, vol. 4, London, al-Furqan Islamic Heritage Foundation, 2002, p. 666-685. 37 J'ai examine la definition du lieu par Ibn al-Haytharn ailleurs ; voir: Nader EIBizri, « A Philosophical Perspective on Alhazen's Optics », Arabic Sciences and Philosophy, 15,2 (2005), p. 189-218 ; Nader El-Bizri, « La perception de la profondeur : Alhazen, Berkeley et Merleau-Ponty », Oriens-Occidens, 5 (2004), p. 171-184 ; Nader EI-Bizri, « In Defence of the Sovereignty of Philosophy: Al-Baghdadi's Critique of Ibn al-Haytham's Geometrisation of Place », Arabic Sciences and Philosophy, 17, 1 (2007), p. 57-80 ; Nader El-Bizri, « Le probleme de l'espace », dans Graziella Federici Vescovini et Orsola Rignani (ed.), Oggetto e spazio : Fenomenologia del!'oggetto. 35 IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 2 15 Quoi qu'il en soit, la definition aristotelicienne des couleurs a partir d'une theorie du diaphane est inversee par Ibn al-Haytham qui souligne que plus un corps est transparent, mo ins colore et moins visible il est. Ce n'est pas alors le transparent qui produit la couleur, mais, c'est plutot l'emission par la surface eclairee d' un co rps dense et opaque, de la forme de la couleur avec la forme de la lumiere accidentelle qui l'accompagne. Les surfaces opaques et colorees des objets se presentent comme des obstacles bloquant la penetration de la lumiere et fixant la vision. Le purement transparent n'est done pas visible, et il est marque par une absence de couleur. VI- LA REC ENSION DE L'OPTIQUE : L' ARC-EN-CIEL ET LES COULEURS L'etude de l'arc-en-ciel (qaws quwJ;,) occupe une place importante dans l'histoire de l'optique metcor o logique" . Ibn al-Haytham a peut-etre hativement soumis l'ex plication de ce phenomene a des notions issues de la catoptrique et fixees suivant une hypothese geometrique''l', C'est pourtant, la methode d'Ibn al-Haytham - composer mathematiques et physique dans le plan d'une situation experimentale - ainsi que les nouvelles nonnes, mathematiques et experimentales, de sa reforme de l'optique, qui ont donne a Kamal aI-DIn al-Farisi les moyens necessaires pour reussir a expliquer la coloration de l'arc-en-ciel. Comme Ibn al-Haytham, al-Farisi fait preuve de l'esprit positif d'un savant attache aux donnees objectives et reelles et aux faits empiriques determines en outre par la composition des mathematiques et de la physique, et verifies par le biais d' une situation experimentale. En outre, les etudes d'Ibn al-Haytham (et celles d'al-Farisi apres lui), portant sur des phenomenes associes a la refraction forma e cosa dai secoli XIII-XIV ai post-cartesiani, « Micrologus » 24, Firenze, SISMEL - Edizioni del Galluzzo, 2008, p. 59-70. 38 Roshdi Rashed, « Le modele de la sphere transparente et l'explication de l'arcen-ciel : Ibn al-Haytham, al-Farisi », Revue d'histoire des sciences, 23 (1970), p. 109140 ; voir p. 109 ; reimp. dans Optique et mathematiques, III. Voir aussi les etudes suivantes sur la recession d'al-Farisi : Mustafa Nazif, « Kamiil al-Din al -Farisi wa bacq, buhuthin fi "ilm. al-dau/ », La societe egyptienne de / 'histoire des sciences, 2 (1958), p. 63-100 (Publications of the Egyptian Society for the History of Science) ; Roshdi Rashed, « Kamal al-Din, Abu'IvHasan Muhammad ibn al -Hasan al-Farisi », Dictionary of Scientific Biography, vol. VII, ed. Charles Coulston Gillispie, New York, Charles Scribner's Sons, 1973, p. 212-219. 39 Rashed, « Le modele de la sphere transparente et l'explication de l'arc-en-ciel » (Optique et mathematique, Ill) p. 110. 2 16 Nader EL-BIZRI de la lumiere a travers des corps transparents ayant des indices de refraction differents, reposent sur les travaux fondateurs d'Ibn Sahl en dioptrique, ains i que sur leurs propres efforts pour donner plus de precision a cette discipline. Amesureque progre sse "la""co nnalssance objective, Ie champ de la recherche et de ses applications s'approfond it et s'etend ; surgissent alors de nouvelles exigences theoriques et methodologiques, Le point de depart d'al-Farisr est l'aboutissement des travaux d'Ibn al-Haytham (ainsi que la dioptrique d'Ibn Sahl) ; il entend poursuivre cette recherche et reformer certains de ses concepts, tout particulierement en ce qui concerne l'arc-en-ciel. AI-FarisI a beneficie de l'evolution de l'optique resultant des efforts scientifiques fondateurs de ses predecesseurs ; it a eu plus de « flex ibilite methodologique » dans son traitement des couleurs, car il n'a pas ete confronte aux contraintes imposees par l'epistemologie reformatrice d'Ibn al-Haytham. La these d'Ibn al-Haytham - que la couleur a une realite existentielle et obj ective distincte de celIe de la lumiere (I, 3 [134-139]) - a ete rejetee par alFarisi qui a mo ntre dans son Tanqib que la lumiere engendre d'elle-meme les couleurs selon leurs divers angles de refraction (ziiwiyat al-in'i!iij) lors de leur passage d'un milieu transparent a un autre (min shafifilii iikhar) ayant un indice . diffe de re'fr action I terent40 . Selon al-Farisi, l' arc-en-ciel apparait a un observateur bien place lorsque les rayons du soleil se refractent dans les gouttelettes d'eau resultant de la condensation des nuages. Apparaissent ainsi deux arcs separes par une region obscure et presque decoloree, eux-memes formes de bandes concentriques donnant les couleurs du spectre ; Ie premier, interieur (resultant de deux refractions et d'une reflexion entre elles), et, Ie second, exterieur (produit par deux refractions et deux reflexions) - Les couleurs du premier arc, de I' exterieur a I' interieur sont : rouge, jaune, vert, bleu et violet; ensuite il y a une bande obscure presque decoloree ; et puis, inversement, les couleurs du second arc de linterieur a l'exterieur sont: violet, bleu, vert,jaune et rouge'". Al-Fari si a eu recours dans sa recherche sur l'arc-en-ciel a une experirnenAl-Farist, Tanqih; vol. II, p. 258-409. __ 41 Al-Farisi, Tanqih; vol. II, p. 340-342. On trouve des paralleles, sans l'evidence d'une transmission textuelle, entre Ie Tanqili d'al-Farisi et Ie De iride et radialibus impressionibus de l' Allemand Theodoricus Teutonicus [ed, 1. Wurschmidt, dans Rei/rage zur Geschichte der Philosophie des Miltelalters, XII, 5-6 (1914)] ; toutefois, ces deux savants ont directement beneficie, chacun seion sa voie, de la recherche d'Ibn 40 a1-Haytham. IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 217 tation ( i' tibiir) fondee sur une analogie entre un objet synthetique et fabrique (une sphere massive en verre remplie d'eau) et un objetlphenomene naturel (la gouttelette de pluie)42. La geometric lui a permis d'etudier le phenomene de la propagation de la lumiere dans un objet naturel par le biais d'une analogie avec un objet fabrique qui lui a servi de. modele pour cette etude. Cette methode de recherche a beneficie de la reforme des.normes de l'optique par Ibn al-Haytham ainsi que du developpement de la dioptrique dfi it Ibn Sahl. Ibn al-Haytham avait tente d'etudier Ie phenornene de l'arc directement, en partant d'hypotheses geornetr iques, sans avoir recours it l'experience, il avait pense que les elements de son etude optique etaient directement accessibles, et il n'avait pas rente de construire une situation experimentale pour verifier ses hypotheses 43. AI-FarisI en revanche a fonde sa recherche sur les nouvelles normes methodologiques (mathernatiques et experimentales) introduites par son predecesseur Ibn alHaytham, ainsi que sur une lecture reformatrice de la Physique du Kitab alShifii' d' Ibn Slna (Avicennej'". AI-FarisI a ainsi reformule et accompli Ie projet inacheve d'Ibn al-Haytham. II a egalement transforme la these physique d'Ibn Sina (que l'arc est produit par la reflexion des rayons du soleil sur la totalite des gouttelettes d' eau dispersees dans I'atmosphere au moment OU les nuages se transforment en pluie), en l'adaptant a un autre contexte, ne retenant qu'une seule gouttelette de pluie comme objet naturel de sa recherche au lieu de la totalite des gouttes d'eau dispersees dans I'atmosphere, et remplacant la reflexion par la refraction45. II a aussi beneficie de son etude « quantitative » de la sphere ardente (Risala fi al-kura al-mulpiqa)46 - initiee par Ibn al-Haytham et reposant sur la dioptrique d' Ibn Sahl - it laquelle correspond son usage experimental du modele de la fiole en verre remplie d'eau pour expliquer l'arcen-ciel. La methode d'al-Farisi ne demandait pas simplement de savoir operer Rashed, « Le modele de la sphere trans parente et I'explication de l'arc-en-ciel » H o ー エ ゥ セ オ ・ et mathematique, III), p. 110-113. 4 Rashed, « Le modele de la sphere transparente et I'explication de l'arc-en-ciel » (Op t!(jue et mathematique, III), p. 119-120. Voir particulierernent les Metaux et /es meteores, partie V du « Livre de la Physique» du Kitiib al-Shifa' d'lbn Slna (Avicenne), ed. Ibrahim Madkour et aI., Le Caire, 1965. 45 Rashed, « Le modele de la sphere transparente et I'explication de l'arc-en-ciel » Hoーエセ 42 オ ・ et mathemalique, III), p. 120-122. Al-Farisl, Traite sur fa sphere ardente (Risiila fi al-hura ai-muhriqay; ed. et tr. Rashed, Geometry and Dioptrics, p. 256-293 (voir aussi dans ce texte : le traite d'Ibn alHaytham sur la sphere ardente qui a ete redige apres son Optique ; p. 224-255). 2 18 Nader EL-BIZRI grace a un instrument experimental (la fiole en verre remplie d'eau situee dans une camera obscura), et de connaitre sa structure conceptuelle (l'etude de la sphere ardente), mais egalement de batir sur cette connaissance scientifique, prefigurant ains i les « representationsfonctionnelles » en mathematiques'". L'analogie entre I'objet fabrique et I'objet naturel presuppose que les regles de la propagation de la lumiere sont exactement les memes: la gouttelette d'eau ne possede pas une enveloppe en verre comme la fiole remplie d'eau, mais la transparence du verre pur et celie de I'eau sont (quasiment) semblables. La difference entre l' objet naturel et I'objet fabrique est « neutralisee » dans Ie cadre d' une experimentation assuree d'un statut geometriquel''. AI-Fans. parvient a expliquer Ie phenomene de l'arc a travers des variantes experimentales de la camera obscura ; ce sont les refractions et les reflexions de la lumiere a travers son mode le qui font apparaitre les couleurs de l'arc49 • Une nouvelle theorie de la couleur est constituec, reformant les doctrines traditionnelles qui interpretaient les couleurs comme produits d'un melange de lumiere et so d'obscurite, de blanc et de noir . Les couleurs, pour al-FarisT, resultent de deux ou plusieurs images (formes) de lumiere projetees sur un ecran (ou recues par I'ceil). Les couleurs sont donc des phenomenes lumineux de refraction et de reflexion, et leur multiplicite est une fonction des positions d'images produites par des combinaisons de refractions et de reflexions et de leurs intensites lumineuses. Les couleurs de l'arc proviennent ainsi de l'image d'une source lumiSl neuse forte parvenant a I'ceil par des refractions et des reflexions successives • La methode d'al-Farisi lui permit ainsi d'etudier experimentalement et geometriquement un phenomene naturel peu accessible et difficile a manier. On rencontre ainsi un double mouvement methodique qui inaugure un nouveau type d'expose scientifique : parti de la reforme de l'optique operee par Ibn alRashed, Geometry and Dioptrics, p. 170, 177 ; Matthias Schramm, « Steps Towards the Idea of Functions: A Comparison Between Eastern and Western Science in the Middle Ages », History of Science, vol. 4, Cambridge, Heffer, 1965, p. 70-103, voir p. 8 1. Dans son Traite sur la sphere ardente, al-Farisl deploie une methode de calcul qui est nornmee : « qaws al-khiliif » (« l'arc de difference »). 48 Rashed, « Le modele de la sphere transparente et I'explication de l'arc-en-ciel » 124-125. (Optivue et mathematique, iョLセN 4 Rashed, « Le modele de la sphere transparente et I'explication de l'arc-en-ciel » Hoーエセオ・ et mathematique, III), p. 13 1-133. Supra note 35. 51 Rashed;« Le modele de la sphere transparente et I'explication de l'are-en-ciel » tOptique et mathematique, III), p. 135-136; al-Farisi, Tanqih; vol. II, p. 337. 47 IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 219 Haytham, il s'accomplit dans la revision de son projet par al-Farisi ; on passe d' une doctrine physique de l'optique de I'arc it une optique geometrique de ce phenomene, puis it une doctrine physique renouvelee, empiriquement et .' 52 matheematiquement. VII- LES COULEURS ET LA VISION Dans I' Optique Ibn al-Haytham distingue la perception de la couleur (idrak allawn) de celle de la lumiere (idriik al-£jawJ) dans son traitement de leurs « proprietes visibles » (al-maciini al-mubsara ; intentiones visibilesi. Cepe ndant, it maintient egalement que la couleur n' est perceptible qu' avec I'eclairage (I, 4 [20-26]) et affinne que la sensation pure (mujarrad al-I},iss) est simplement une impression de la lumiere ou de la couleur sur I'organe de la vue サ。ャM「セイI independamment du discernement et de la mesure (al-tamjiz wa-al-qiyiis). Ibn al-Haytham precise aussi que la premiere des proprietes visibles qui est percue d'un corps opaque eclaire est sa couleur, si la vue est en bonne sante et si les conditions de vision sont optimales. Ce qui est percu par une sensation pure (mujarrad al-hisst est la lumiere en tant que lumiere (al-daur bi-nui huwa £jaw) et la couleur en tant que couleur (al-lawn bi-md huwa lawn; color in eo quod est color; 1"0 。セキーク 'Ii NI。セキーク Rien d'autre que la lumiere et la couleur, melees en perception visuelle, n' est perceptible it partir de la sensation pure, la vingtaine d'autres proprietes visibles n'est percue que via la mediation du discemement, de la mesure comparative, et de la connaissance, avec l'aide de l' imagination et de la memoire (al-tamyiz rva-al-qiyiis, al-ma'rifa, al-khayiil wa-al-dhikr; II, 3 [52]). La faculte de jugement (al-quwwa al-mumayyiza ; virtus distinctivai et la reconnaissance (al-macrifa) determine l'essence (rnahiyya ; rnaJiyya) de cette couleur percue si elle est familiere ; sinon l'identite d' une forme de couleur rare sera comparee par le qiyds (la mesure comparative) avec une autre couleur chromatiquement proche. Ce qui est diffuse des corps et recu par la vue n'est que la forme de la couleur et celle de la lumiere qui ne se melangent pas dans l'air ou dans les corps transparents (Iii tamtazij ji al-hauxi' wa-al-ajsiim al-mushiffa ; I, 6 [53, 85-87]) ; done, comme on l'a indique precedemment, la realite de la couleurest independante de celie du « diaphane ». 11 faut souligner cgalement que la Rashed, « Le modele de la sphere transparente et I'explieation de l'arc-en-ciel » (Optique et mathematique III), p. 139-140. 52 220 Nader EL-BIZRI perception de la couleur par une sensation pure est anterieure it la reconnaissance de sa quiddite (miihiyya ; mii'iyya) ; et cela reaffirme que fa perception (alidriik) est un phenomene temporel (yastaghriq zaman) meme si sa duree n'est pas ressentie (II, 3 [53-60]). A u niveau phys iologique, cela necessite Ie passage du temps pour que la lumiere et la forme de la couleur qui l'accornpagne puissent etre recues par Ie demier sentant (al-l}iiss al-ahhir ; sentiens ultimum) situe dans fa partie anterieure du cerveau (muqaddam al-dimiigh). Ceci suppose effectivement la penetration de la Iumiere it travers la surface de I' ceil, son cristallin (aljalidIyya), sa vitreuse (al-zujiijiyya), vers la cavite du nerf optique (al-rosaba aljawjii' ) qui est connecte avec Ie nerf commun (al-i asaba al-mushtaraka) et qui unifie les formes des choses sensibles selon la vision binoculaire ( al-siira almuttahida li-cl-mubsar al-wiihid; I, 5 [1-39] ; I, 6 [69-82]). La vision est predisposee it etre affectee par la couleur (al-basar mutahaya' li-al-ta'aththur bi-al-lawn) et par la lumiere it partir de la reception de leurs formes qui laissent des traces (iithiir) dans l'oeil pendant une certaine duree tempore lie qui est ressentie (zamiin mahsiis ; I, 6 [91-93]). Neanmoins, la propagation de la lumiere et de la forme de la couleur qui I'accompagne se fait pendant une duree temporelle tres breve et non ressentie. L'irradiation est concue subsequemment comme un mouvement spatial qui se deroule dans Ie temps (elle se manifeste alors comme un phenomene de l'etendue et de la duree), Meme si la realite des couleurs est determinee par Ie realisme associe it la lumiere, les couleurs ne sont pourtant pas simplement des attributs de la luminosite percus independamment de la nature physiologique de l'reil. Les couleurs apparaissent elles-rnemes dans la perception selon un conditionnement « anthropomorp hique » (<< anthropo-centrique »). La realite des co uleurs, en etant objective, aura d'emblee une determination subjective d'apres la structu re de l' ceil humain et de sa reception des rayons lumineux. En outre, elle est porteuse d'une marque noetique et psychologique associee it la perception et au role du discemement, de la mesure comparative, de la reconnaissance, de 53 I'imagination et de fa mernoire dans I'experience visuelle . La realite objective 53 L'objectivite est concue ici apartir de la notion d'obiectum qui implique deja une subjectivite qui lui est intrinsequement presente. De meme, la subjectivite donnee selon l'idee de subiectum evoque le concept du U1tOlCelIlCVOV ; notamment ce qui est pose comme fond objectif. Done, il y a un entrelacement conceptuel entre l'objectivite et la IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 221 et lum ineuse des couleurs apparait it. travers la perception humaine ou celle qui lui est semblable, mais cela ne sign ifie pas necessairement qu'elle n'a pas de realite objective (rneme si on la considere comme les philosophes du XVIr siecle, comme etant une « qualite secondaire» des corps visibles). Ibn al-Hayt ham admet, au niveau theorique, qu'il est possible que les couleurs continuent a se propager selon des trajectoires rectilignes Calii alsumiit al-mustatpma) y com:pris dans l'obscurite totale i al-saliim al-tamm), en so ulignant, en consequence, que les corps transparents (al-ajsiim al-mushiffa) acceptent (taqbal) les formes des couleurs comme its obtiennent les formes des lumieres, avec ou sans eclairage (lJ,a4ar al-dau/ aw lam yalJ,tjur) et en presence de l'ceil ou en son absence. Malgre cela, il indique que l'on peut concevoir que les formes des couleurs ne s'etendent (Iii tamtad) dans les corps transparents qu' avec I'eclairage par la lumiere (ishriiq al-dau/), qui est une condition necessaire pour voir les couleurs, meme si on suppose que celles-ci ont toujours une existence objective en-soi (wujiid dhiiti). L'eclairage constitue alors une des conditions de la vision des couleurs mais ne determine pas leur existence ; la lumiere represente alors un conditionnement optique et non ontologique des couleurs. Ibn al-Haytham indique que les opinions (et tout particulierement les opinions philosop hiquesi different it. propos de la conception de la qui ddite des couleurs, 1' ince rtitude regnant en ce domaine, mais que ce n'est pas Ie cas en ce qui conceme la question de leur etre ou de leur existence (anniyya ; annalui mawjiida ; qu'elles existent) laquelle est affirmec par l'evidence observationnelle (I, 3 [136-137]). L' eclairage en tant que cause de l' apparition de la couleur CiUat zuhiir al -lawn) ne conditionne pas sa realite existentielle mais determine la possibilite de sa perception. Les couleurs existent reellement mais n'apparaissent it. la vue qu'eclairecs, la vivacite de leur irradiation variant avec l'intensite de l' eclairage grace auquel elles se devoilent. A l-Farisi rejette la these d'Ibn al-Haytham en soulignant qu'elle n'a pas cte verifiee (ghayr muhaqaqr ; car, dit-il, lorsqu'il n'y a pas de lumiere il n'y a pas de couleurs (idhii intafi al-dato' intafi al-lawn). La couleur est ainsi conditionnee par la lurniere (al-lawn mashriit bi-al-daui r; et elle n'a pas d'existence en-soi ithubut fi-nafsih) , avec la lumiere ou sans elle (iqtaran bihi subjectivite distinction. l'une rapporte toujours l'idee de l'autre en depit et au-dela de leur 222 Nader EL-BIZRI £/,aU!' aw lii)54. Comme on l'a montre precedemment, pour lui, la realite non perceptible des couleurs en l'absence de lumiere n'est pas verifiable; negliger cela ne mene qu' a des speculations vides et non susceptibles de preuves (al--Lawn idliii - kana 'alii J;,aqiqatin .·iva-qad ghiiba 'an al-hiss, -lam yaqum 'ala wujiidihi daliZ). En cherchant a elucider la distinction existentielle entre la couleur et la lurniere (dans l'Optique) avec des donnees observationnelles, Ibn al-Haytham precise que la rougeur (il},miriir) du visage a cause de la timidite (al-khajal), ou son jaunissement (iHiriir) cause par la peur, manifestent des circonstances selon lesquelles une variation de coloration apparait dans les memes conditions d' eclairage (al-daso' al-mushriq 'alii al-wajh fi al-lJiilatayn wiil},id). II nous semble ici qu' il ne tient pas compte, dans cet exemple, de la distinction qu'il fera lui-meme plus tard, dans son Discours de la lumiere, entre lumiere substantielle et lumiere accidentelle. II ne fait pas la difference, dans le contexte de l'Optique, entre la lumiere qui eclaire Ie visage et celle qui est emise par lui, et que modifie un changement de l' etat du visage lui-meme et de sa coloration physiologique, sous une lumiere qui n'a pas varie. Les couleurs appartiennent au champ sensoriel, et la lumiere a une certaine disposition a faire surgir une « sensation » de couleur dans I'ceil, lequel est predispose en sa sensibilite a recevoir la lurniere ; la vraie nature des couleurs n' est ici qu'apparence. Selon Ibn al-Haytham, la lumiere a la caracteristique d'etre recue par l'organe de la vue (al-basan, lequel est predispose a etre affecte par I'eclairage, en etant aussi chromatiquement impressionnable. Pour tout objet colore eclaire, la lumiere accidentelle qu' il emet est toujours accompagnee par la forme de sa couleur. La lumiere et la couleur melee a elle parviennent ensemble a I'ceil ; cette observation decrit Ie phenomene physique de la vision, dont l'analyse geometrique nous explique la structure du comportement (I, 6 [1-3,6-11]). Si l'on percoit plusieurs objets colores comme etant toujours separes, en depit de la multiplicite des « data sensuels » de coloration recus par l'oeil, il doit y avoir une structure de la vision normale qui organise et ordonne la reception de leurs couleurs pour pouvoir les percevoir comme etant celles d' objets colores distincts. Ibn al-Haytham explique ce phenornene a partir d'une analyse «punctiforme » de la vision selon une correspondance de point point (I, 6 [12, 18- a 54 AI-FariSI, Tanqih, vol . I, p. 48-49 . IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 223 19]). Si l'on imagine une ligne droite virtuelle liant uri point sur la surface de l'objet percu a l'organe de la vue, il faut que cette ligne droite soit perpend icula ire la surface de l'ceil pour que la suite de son trajet travers le cristallin (aljalidiyyai et la cavite oculaire soit dans le prolongement rectiligne ; sinon le trajet de la lumiere subira une reflexion a la surface de l' ceil, ou une refraction lors de son passage a travers cette surface avec une deviation dans le cristallin. La lumiere et la couleur se propagent de tout point de l'objet j us qu' a l'ceil suivant les « no nna les » a la cornee, et elles parviennent ainsi au cristallin sans se refracter. On a ainsi « une correspondance biunivoque entre l'ensemble des po ints de l'objet et l'ensemble des points de l'oeil ­ le cristallin »55 (ceux de l'image etendue qui est constituee dans l'oeil), Les formes sont renvoyees a l'ceil qui recoit les lumieres des objets visibles selon des trajectoires particulieres. Les rayons du « cone visuel [virtuel] » Hュ。ォィイuセ al-shuCiij, d'apres l'etude geornetrique de la vision, se refractent, sauf celui qui est normal a la surface de l'ceil, De me me, la reflexion montre une resistance maximale sur la normale, et, ゥョカ・イウュセエL cette resistance sera minimale pour la refraction.". Ibn al­Haytham etablit une theorie corpusculaire de la lum iere qui n'aboutit cependant pas a un atomisme physique. II evoque ainsi la plus petite entite lumineuse : une particule de lumiere qui a une magnitude minuscule et qui n'est pas percue par l' organe .de la vue. Il a egalement concu la propagation de la lumiere comme une irradiation « spherique » dans toutes les directions d'un ensemble infini de droites issues du me me point-source de la surface eclairee. Chaque point de la surface eclairee d'un objet colore irradie, dans toutes les directions (spheriquement), selon des trajectoires rectilignes virtuelles et infinies. Une seule ligne partant de ce point sera perpendiculaire a la surface de l' eeil, et celle­ci correspond a un seul point sur l'image resultante dans l'ceil du fait de sa reception de la lumiere suivant la normale. L'analyse de ce phenomene optique passe par la structure geometrique du « cone visuel [virtuel] » Hュ。ォィイuセ al-shud") dont lc vertex est imagine comme etant situe au centre de l' ceil, et la bas e sur les surfaces visibles des corps percus, Ce modele mathernatique de la vision de rive analogiquement des enonces des mathemat iciens H。 セャスゥ 「 al-taalim ; セ 。 ・tj セ 。QBNkッサIL et il est applique a une nouvelle theorie de la vision. Cette structuration geomctrique dessine ainsi Ie parcours de la a a Rashed, « Lumiere et vision» (Optique et mathematique, IV), p. 39,42. 56 Rashed, « Optique geometrique et doctrine optique » (Optique et mathematique, II), p. 281 et suiv., 294. 55 1" 224 Nader EL-BIZRI propagation lumineuse selon des trajectoires rectilignes qui convergent au centre de l'oeil (' alii al-khutiit al-mustaqima al-mutaliiqiya 'inda rnarkaz al57 「 セ 。 イ I . La perception de la couleurIcomme celle de la lumiere et de toutes les proprietes visibles) depend de conditions optiques optimales. Le corps colore doit etre bien eclaire, et dans le plan de la vue, pour que sa co uleur soit percue avec clarte ; une transparence subtile doit etre interposee entre la vue et son objet (car les co rps transparents sublunaires ont un certain degre d' opacite), et les yeux doivent egalement etre en bonne sante. Il est aussi vital que l'eclairage soit intense en quantite et qualite, et que la distance (al-bucd) qui separe l'ceil de la position (waft) des choses percues soit moderee. Il est de meme indispensable qu'une certaine duree temporelle, plus ou moins breve, se passe, pour pennettre a l'observateur de reconnaitre l'essence de la couleur visible (I, 2 [126] ; I, 8 [1-11D. II faut cependant preciser que la vis ion est confrontee a des pos sibilites d' erreur (nghld! al-basan, c'est le cas des effets de la saturation de certaines couleurs (shaba' al-aluiin), de leur assimilation a des tonalites avoisinantes d'ou resultent des effets visuels colores (I, 3 [114-121, 124]) qui ressemblent au « pointillisme » en peinture, ou menent parfois a une diminution de leur vivacite avec la reflexion (les formes des couleurs s'affaiblissent avec la reflexion ; suuiar al-aludn tad uf ayf/-an bi-ol-in'ihas ; IV, 2 [17]).58 VIII- LA VARIANCE ET LA CONSTANCE DE L'APPARIT ION DES COULEURS En traitant la question des couleurs dans I' Optique, Ibn al-Haytham evoque un phenomene de coloration qu'il designe du nom de : « taqazili », Selon al-Farisi, ce tenne derive, semble-t-il, de l'expression : « qaws quzali » {l'arc-en-ciel ; ip1.<; - hiidhih al-lafia ma'khiidha min qaws quzalJ,).59 Cette apparition particuliere de coloration est attribuee par Ibn al-Haytham a la reflexion (alincikiis), tandis qu'al-Farisi montre qu'elle resulte plus frequemment de la refraction (al-taoizil: kama qad tahdutn bi-al-in'ihas, fa-innahii qad taluiutli ayf/-an bi-ol-in'ita]'; toa-al-in'ita] ashadd ta'thiran fi f},udiithiha).60 . Rashed, « Discours de fa lumiere » (Optique et mathematique, V), p. 215. Al-Farist, Tanqih; vol. II, p. 335. 59 Al-Filrisl, Tamqih; vol. 1, p. 46. 60 AI-Faris!, Tanqll}, vol. 1, p. 47 ; et vol. II) p. 337 . 57 58 IBN AL-HAYTHAM ET LE PROBLEME DE LA COULEUR 225 Les taqiizih; que l'on observe sur le plumage du paon (al-tiiwiis), ou avec les couleurs du tissu/vete ment (al-thawb) que l'on appelle : « Abu qalamiin », ainsi qu ' avec certai nes colorations chimiques obtenues par teinture H。ャMセ「ゥァィ ; I, 6 [100]), sont toutes autres que les couleurs propres des objets opaques taiwan al-ajsiim al-kathifa ; 1,3 [132-133]; 11,3 [218]). Ibn al-Haytham evoque aussi dans ce contexte une espece de reptile de couleur changeante que l'on nomme egalement : « Abu qalamiin » (I, 4 [25] ; II, 3 [218]) ; ce terme, semblet-il, renvoie aux noms grecs : unoK<XAaJ..Lov ou xaJ..La l.AeWV (Ie cameleon ; all}irbii'). Ibn al-Haytham evoque aussi Ie cas de la bioluminescence, en considerant un genre d' insectes ayant la propriete d' etre lumineux dans l' obscurite (phosphorescence), comme la luciole (mouche a feu ; lampyridae ; I, 4 [16]). Les colorations qui apparaissent comme taqdzih. sur des objets quelconques ne sont pas fixes comme les couleurs propres des corps, car elles varient avec la mod ification des positions (awfjil) de ces corps, et avec le changement de leurs conditions d'eclairage, et meme, dans certains cas, avec I'erosion des pigmentations ou des tonalites de leurs surfaces (comme on l'observe avec la materialite des structures architecturales et de leurs couleurs physico-chimiques), La variance et la temporalite des colorations associees aux phenomenes de taqiizih renvoient egalement a la question de la constance de la parution des cou1eurs dans la vision directe. La « variance » de la coloration selon les phenomenes de taqiizih; et la perception que l'on en a, nous confrontent egalement, au niveau phenomenologique, et du point de vue des donnees objectives de la vision directe, a 1a question de la « constance» de I'apparition des couleurs, malgre le changement de certains asp ects de leur parution a travers leur presence. La constance de la couleur dans I'experience associee a la vision directe est reelle et n'est pas une convention; mais 1a perception elle-rneme des couleurs admet des variations de coloration selon l'eclairage (notamment, d'apres la qualite et la quantite de la lurniere qui eclaire les choses colorees). Le phenomene de variance dans la parution d'aspects est aussi associe a la modification de l'angle de vision, de la perspective, de l'orientation, du mouvement, et des reflets. Toutefois, nous reconnaissons la couleur en sa constance malgre Ie changement (taghayyur) de ses aspects visuels. Une certaine couleur invariable demeure cornme un fond sous ses variations optiques pour notre attitude reflechie, et a le caractere d'une presence presque non sensoriel Ie. 226 Nader EL-BIZRI La couleur s'offre sous differents modes d'apparaitre selon que nous modifions notre position spatiaLe en La contemplant. Une seuLe perception peut engLober dans son unite une multiplicite de modifications d'aspects. Nous voyons ainsi un corps colore dont la couLeur ne change pas, malgre tine modifi cation de la position des yeux, de L'orientation du corps, de son mouvement, des reflets changeants ; car, Le regard ne cesse de vibrer ou de se deplacer sur ce qui est percu, On percoit La couLeur comme etant invariante sous differentes formes donnees de La meme matiere sensible; Le changement d'aspects visuels est inseparabLe des modifications dans la structure dynamique et coherente de l'apparenee de la couLeur. On constate ainsi des variations selon que Ia vision est peripherique, centraLe, monocuLaire, binoculaire, breve ou prolongee, autant qu' avec Ies modifications des conditions d'eclairage et les reflets. Pourtant, La constance de Ia couleur est un phenomene attribue a l'invariance de I'objet colore auquel elle est associee, et qui est lui-rnerne fonde sur une conscience primordiale du monde comme horizon de toutes nos perceptions". Cependant, l'application du theme de la couleur a des exigences esthetiques nous expose aussi a une certaine antinomie. Si un peintre regarde un papier blanc place dans l'ombre, it ne le verra pas encore « blanc» dans Ie contexte de la mise en eeuvre de sa peinture ; it verra plutot sa « couleur » comme elle estdonnee dans la vision directe et selon son apparence phenomenale. L'attaque contre la conception mathernaticienne des couleurs se manifeste ulterieurernent dans la pensee romantique de la « philosophie 61 naturelle ». Un penseur comme Goethe, en reaction contre l'elan « mathematisant » de I'Op ticks de Newton, traitera la couleur comme « un phenomene present devant l'ceil, l'esprit et le corps », et qui les met tous en jeu. Voir : J. W. Von Goethe, Traite des couleurs, Paris, Triades, 1980.