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Exemples de reformulations

Dans mon article "princeps" (Revue "Marges Linguistiques") intitulé "Linguistique et psychanalyse : pour une approche logiciste", la "Présentation sommaire de l'A.L.S.©" annonce : « Il existe dans une langue comme le français des sous-langues subjectives (les « parlers ») qui, bien que différentes, se comprennent tant bien que mal en se retraduisant l'une dans l'autre. »... 1) Règles du jeu dialogique en cas de consensus... 2) Règles du jeu dialogique en cas de conflit... 3) Enfin la reformulation peut s'observer non dans un dialogue, mais chez une seule et même personne.

Exemples de reformulations attestées d’un parler “A.L.S.©” dans un autre Jean-Jacques Pinto, juillet 2017 En guise d’introduction, voici un texte “au deuxième degré” où le philosophe Friedrich Schleiermacher entrevoit, dès 1813, dans Des différentes méthodes du traduire, le phénomène de traduction intralinguale ou reformulation, qui est au cœur même de l'Analyse des Logiques Subjectives© : « N'avons-nous pas souvent besoin de traduire le discours d'une autre personne, tout à fait semblable à nous, mais dont la sensibilité et le tempérament sont différents ? Lorsque nous sentons que les mêmes mots dans notre bouche auraient un sens tout à fait autre ou, du moins, un contenu tantôt plus faible, tantôt plus vigoureux que dans la sienne, et que, si nous voulions exprimer exactement la même chose que lui, nous nous servirions, à notre manière, de mots et de tournures tout à fait différents, il semble, quand nous voulons définir plus précisément cette impression et en faisons un objet de pensée, que nous traduisons. » [souligné par nous] (traduction Antoine Berman). Dans mon article "princeps" (Revue Marges Linguistiques) intitulé Linguistique et psychanalyse: pour une approche logiciste, la Présentation sommaire de l'A.L.S.© annonce : « Il existe dans une langue comme le français des sous-langues subjectives (les « parlers ») qui, bien que différentes, se comprennent tant bien que mal en se retraduisant l’une dans l’autre. » 1) Plus bas les "Règles du jeu dialogique" précisent : « Lorsqu'il y a consensus, le locuteur retraduit dans son parler les mots de l'autre ». En voici un exemple, tiré du livre Modernes et après - Les Immatériaux, éditions Autrement, 1985 : « E. T. — [à propos de la philosophie] Et il y a ce déclin aujourd'hui, car on s'aperçoit tout d'un coup qu'avec les déplacements d'intérêt, la reine est nue. La nudité de la philo devient décevante. J.-F. L. — Oui, si tu veux. Mais plutôt que nudité qui est une bonne chose, je dirais une espèce de sclérose de l'enseignement de la philo dans les institutions ». (Conventions : série A en italique, série B en gras, souligné = valorisé, non-souligné = dévalorisé). E. T. donne à nue et nudité (série A) une valeur négative, confirmée par l'allusion au conte "le roi est nu" et par l'adjectif décevante. Ceci, joint au mot dévalorisé déclin (série A), montre qu'il adopte (momentanément dans ce dialogue) le point de vue introverti. J.-F. L. est dans le consensus ("Oui, si tu veux"), mais adoptant (durablement dans ce dialogue) le point de vue extraverti, il valorise la nudité et remplace ce mot A par le mot B sclérose, qu'il dévalorise. Voici un autre exemple, tiré d'une interview de Nina Berberova par Bernard Pivot (Émission Apostrophes,1992, ): « Pivot : — À un certain moment vous dites que les gens vous disent comme ça [avec admiration] "Ah ! Mais Nina, tu es un roc" , et vous leur répondez "je ne suis pas un roc, je suis un fleuve". Pourquoi ?… Berbérova : — Parce que je bouge , parce que je bouge ». Pivot semble donner à roc (série B) une valeur positive (point de vue momentanément introverti), comme les admirateurs de Nina Berberova dont il cite les propos. Il se trouve fondé à demander pourquoi Berberova refuse roc pour le remplacer par fleuve. Berberova a rejeté le mot B roc, qu'elle dévalorise, et l'a remplacé par le mot A fleuve, qu'elle valorise. Contredisant ses admirateurs en adoptant le point de vue extraverti, elle procède à une reformulation, mais toujours dans le consensus. En réponse à Pivot, elle justifie son choix par le mot A bouger, également valorisé. 2) Toujours dans les "Règles du jeu dialogique", mais cette fois en cas de conflit, je décris le Désaccord sur la forme (avec ou sans désaccord sur le contenu) entre locuteurs de parler différents, et précise: « Parfois, alors même qu'on est d'accord sur le contenu, le désaccord naît sur la manière de le formuler. La conviction "intime" de chaque protagoniste que son identification vaut mieux que celle de l'autre conduit à un affrontement où la logique "fantasmatique" prend le relais de la logique "cognitive" ». En voici un exemple, tiré des Actes d'un Colloque de psychanalyse : Lors d'un échange entre deux psychanalystes, l'une prêche en termes introvertis la modération ("on peut reprendre les choses quand même d'une manière moins passionnelle", etc.), et l'autre s'emporte en termes majoritairement extravertis ("extraordinaire complexité de la vie", etc.). Alors qu'ils sont d'accord sur le contenu (En psychanalyse, d'abord la pratique, ensuite la théorie), le désaccord va porter sur la formulation : « Elle — "toute théorie analytique repose (B+) sur de la clinique. Lui. — Pas repose, exprime ! (A+) ». Cet exemple sera bientôt analysé plus en détail. Autre exemple tiré d'une pièce de Carlo Goldoni, Le menteur. Celui-ci réplique à son interlocuteur : “ Imbécile ! Ce ne sont pas des mensonges ! Ce sont de spirituelles inventions nées de ma fertile intelligence et de mon esprit vif et brillant. ” Dans cette paradiastole (requalification des faits), le menteur retraduit mensonges (série A, dévalorisé dans la bouche de son interlocuteur introverti) par des mots de la série A qu'il valorise (pointde vue extraverti) : spirituelles, inventions, fertile, vif, brillant. L'auteur de la présentation pour le Théâtre du Gymnase fait d'ailleurs le diagnostic de mythomanie chez un hystérique masculin (un des aspects du parler “changement/destruction”) : "Le menteur est menteur parce qu’il ne supporte pas sa réalité et qu’il raconte une sorte de vie rêvée, riche, enthousiasmante où il se voit comme un séducteur à la Don Juan, un Don Juan maladroit qui s’invente lui-même au fur et à mesure de ses rencontres dans cette Venise que Laurent Pelly a revisitée d’une manière très fellinienne". 3) Enfin la reformulation peut s'observer non dans un dialogue, mais chez une seule et même personne, revêtant alors la forme rhétorique de l'autocorrection, v o i r e d e la rétractation. Dans ce court extrait du texte : "Quand nos lèvres se parlent", Cahiers du GRIF n°12, 1976, p.26, Luce Irigaray commence un plaidoyer féministe où les hommes n'ont pas vraiment le beau rôle... : « Comment le dire ? Que tout de suite nous sommes femme. Que nous n'avons pas à être produite telle par eux, nommée telle par eux, sacrée et profanée telle par eux. Que cela est toujours déjà arrivé, sans leur travail. Et que leur(s) histoire(s) constitue le lieu de notre déportation. Ce n'est pas que nous ayons un territoire propre, mais leurs patrie, famille, foyer, discours, n o u s emprisonnentdans des espaces clos où nous ne pouvons continuer à nous mouvoir. À nous vivre. Leurs propriétés, c'est notre exil. Leurs clôtures, la mort de notre amour. L e u r s mots, l e bâillon d e n o s lèvres. C o m m e n t parler pour sortir d e l e u r s cloisonnements, quadrillages, distinctions, oppositions : vierge / déflorée, pure / impure, innocente / avertie ... Comment nous désenchaîner d e c e s termes, nous libérer de leurs catégories, nous dépouiller de leurs noms. Nous dégager, vivantes, de leurs conceptions ? Sans réserve, sans blanc immaculé qui soutienne le fonctionnement de leurs systèmes. » Dans cette envolée en langue « extravertie » apparaît un intrus : le mot déportation, mot de la série A ici fugacement dévalorisé, comme si l'auteur basculait brièvement dans le point de vue introverti. Elle se corrige aussitôt e n déme ntant le présupposé inhére nt a u verbe déporter (« transporter une personne hors de son pays, de son milieu d'origine », CNRTL) : « Ce n'est pas que nous ayons un territoire propre », et, à la faveur d'un "mais" adressé à un virtuel contradicteur, elle réintègre prestement son dialecte extraverti, où l'on retrouve la dévalorisation des mots "B" tels que emprisonnent, clos, propriétés, clôtures, mort, bâillon, cloisonnements, quadrillages, distinctions, oppositions, termes, catégories, noms, réserve, blanc immaculé, systèmes, et la valorisation concomitante des mots "A" tels que mouvoir, vivre, sortir, désenchaîner, libérer, dépouiller, dégager, vivantes... [ D'autres exemples viendront dans une version augmentée de ce texte ] On lira avec intérêt l'article "Usages polémiques de la reformulation" : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/34/98/55/PDF/3396.pdf