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AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ

AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ Licence 2 Sciences de l’homme, anthropologie, ethnologie ​Anthropologie d​u moyen-Orient Année universitaire 2016/2017 Tribus et État en Jordanie : construction et représentation des identités au prisme de l’Etat-nation. ​​ Pierné Vivien 1 ​Introduction Située dans le croissant fertile de la Mésopotamie, la Jordanie a conservé des traces historiques de toutes les civilisations qui l’ont successivement occupée. Suite au démantèlement territorial de l’empire ottoman finalisé par le traité de Versailles en 1919, l'Émirat de Transjordanie est créé de toute pièce par les européens. ​En 1946, l’Émirat obtient l’indépendance et devient alors le Royaume hachémite ​de Jordanie. Il est devenu depuis, l’un des état des plus stables et des plus sûr du Proche-Orient​. À partir des années 1950, l’État jordanien, basé à Amman, décide de commencer une série de mesures politiques et culturelles visant à fabriquer une identité nationale. Le but du processus est d’unifier par un consensus “national”, une population ayant des origines, des confessions et des cultures différentes sur un territoire donné qui rappelons le, ne constituait pas d’entité autonome jusqu’en 1921. La Jordanie offre ainsi un des exemples les plus récents de processus de fabrication d’une identité nationale tel que décrit par Hosbawm. [Hobsbawm&Ranger,1998] ​La construction de ce roman national offre au peuple jordanien une cohérence historique, tribale et religieuse, servant à la fois à légitimer le pouvoir en place mais aussi à faire de la population de la “Jordanie imaginée” une communauté qui se reconnaît en tant que nation. Dans ce dossier il s’agira donc de se demander ; Quel rôle joue l’identité tribale dans le processus identitaire nationale Jordanienne ? Comment s’articulent la spécificité réelle du tribalisme et le projet d'Etat-nation? Pour cela nous commencerons par dénoncer l’habitude de présenter les termes de tribu et d'État comme antithétiques et présenterons notre analyse de la relation de pouvoir? Nous montrerons que, conformément à la thèse khaldounienne confirmée par de nombreux anthropologues contemporains depuis, l’ordre étatique et l’ordre tribal, loin s’opposer, se superposent, se confortent et même se légitiment entre eux. Participant ainsi au sentiment nouveau d’une appartenance “nationale”. En s’appuyant sur de nombreux ouvrages et monographies, nous nous attacherons à démontrer que le 2 processus de nationalisation s’est construit en s’appuyant sur des éléments culturels hétérogènes préexistants. Il s’agit montrer de comment la patrimonialisation et l'institutionnalisation ont été des outils politiques afin de concilier les différentes composantes socioculturelles et ethniques présentes sur le territoire. A la lumière de ces apports, nous nous demanderons comment se réinvente une identité qui, comme l’aurait dit Lowie, est formée « de chiffons et de fragments », (dont la religion, le tribalisme ou encore l’arabisme), ayant été habilement cousus ensemble selon un projet politique et identitaire piloté par la dynastie Hachémite. Enfin dans un dernier temps, nous nous emploierons à montrer comment sont pensées et vécues l’identité et le roman national au niveau local et tribal, aux travers d’études de cas d’institutions locales comme la Madafa et le ​Diwan​, qui illustrerons nos propos précédents autant que l’articulation symbolique des deux identités. ​ I- ​Le poid du tribalisme dans la construction de l’Etat jordanien C’est en 1916, avec la “révolte Arabe” menée par l’armée des Hachémites du Hedjaz que ce qui allait devenir l'État Jordanien s’est fondé par l’allégeance des tribus envers la dynastie Hachémite. Le royaume hachémite de Jordanie à donc toujours considéré les tribus jordaniennes comme étant le socle de son pouvoir, [Bonte&Hounet, 2009]. Si en 1946 l’indépendance ne fut pas accompagnée de révolte anticoloniale, les années 1950 furent cependant fortement marquées par l’anticolonialisme. Dans ce contexte, comme les bédouin étaient une force armée sous control britannique, une opposition du peuple contre le statut juridique spécifique des Bédouins émerge dans la société jordanienne, certains nationalistes voient en eux l'emprise du pouvoir britannique. Tandis qu’en 1958, la territorialisation et la sédentarisation s’accentuent, le royaume hachémite intervient davantage pour l’intégration des Bédouins, les lois et politiques rendent l’économie bédouine de plus en plus dépendante de l'État. Ceux qui résistent à la sédentarisation ou qui ne respectent pas les nouvelles frontières internationales se voient confisquer leur bétails et leurs troupeaux. En compensation l’Etat Jordanien proposa des activités économiques nouvelles, dans l’agriculture, l’armée ou encore via les compagnies pétrolières. En 1960, les modalités de votes sont modifiées, au même titre que la 3 population hadari (sédentaire), les Bédouins peuvent dorénavant voter et les élites des tribus deviennent par conséquent mieux intégrées dans les structures étatiques (cour tribale,conseil législatif, parlement) . L’état facilite l'accès à des prêts financier pour les chef de tribus loyaux (cheikhs) qui, en retour, maintiennent l’ordre public des tribus. [Froment, 2014]. Enfin, en 1976 une loi annulant toute spécificités juridiques particulières au statut de Bédouin parachève le processus juridique d’unification nationale “par le haut”. Cependant cette même loi interdit le vote aux membres de la Légion arabe, et comme une large partie des Bédouins sert dans l’armée, cette loi maintient mécaniquement les Bédouins et l’armée dans l’allégeance sinon, l’alliance au régime ​II- Le model hachémite: superposition de l’ordre tribal et Étatique l’Etat conforte les tribus tandis qu’elles même le soutiennent en retour, renforçant ainsi son emprise politique sur l’ensemble du territoir. L’ordre tribal et l’ordre étatique semblent donc loin d’être antithétiques. De plus, bien que l’intégration structurelle des tribus dans le paradigme de l’état nation se soit faite par l’intégration tardive des chefs dans le processus étatique, par le biais des élections, les tribus jouaient déjà un rôle majeur dans les fondement même du pouvoir et système Hachémite. En effet, ne serait-ce que par le fait que la Royauté Hachémite tire sa légitimité politique par le droit lignager tribal et, puisque les hachémites se revendiquent de la tribue ​Quraychites dont est issus ​le clan de Mahomet qui porte le nom de ​Hâchim (​Hachémites​). [Chatelard, 2009]. C’est donc par leurs appartenance tribale et le droit lignager qui la régit que les Hachémite tirent leurs pouvoir politique et leurs légitimité. Par conséquent, l’ordre étatique et l’ordre tribal, loin de s’opposer, se superposent habilement et offrents une double grille de lecture, participant largement au consensus national. ​Le brillantissime visionair Ibn khaldoun avait, au XIV siecle déja, fort habilement analysé le rapport politique dualiste mais non dichotomique Etat/ Tribus, bien que le cas jordanien pousse la théorie à son paroxysme évolutif potentiel. 4 Comme nous l’avons précédemment évoqué, le régime Hachémite à “jordanisé” les tribus et le système socio-politique juridiquement, par “le haut”, et inscrivant sa légitimité dans deux systèmes producteurs de sens que sont l’ordre tribal et l’ordre étatique.[chatelard, 2009]. Toutefois un autre processus “par le bas” vient compléter le processus de Jordanisation de la société, au travers de la réappropriation des pratiques patrimoniales. Ce processus syncrétique “d’invention d’une identité et d’une tradition“ comme l’aurait formulé Eric hobsbawm, d’une identité formée «de chiffons et de fragments »,comme l’aurait dit Lowie, fut l’objet d’un vaste investissement populaire et gouvernemental pour en fixer les contours.[Lowi, 1935 ; hobsbawm, 1995]. Comme Jospeh Massad l’a souligné dans son oeuvre ​Colonial Effects. The Making of National Identity in Jordan​, les Britanniques ont amplement participé à « l’invention » de l’identité jordanienne durant la période mandataire. Ceci en ayant considérablement modifiée la culture bédouine ( introduction du thé, du keffieh à carraux blanc, du riz, de la musique ect..) et en ayant durablement stabilisés des conceptes par écrit tel que le “tribalisme” dans un monde oral. [Massad, 2001]. Le pouvoir Hachémite ne s’est pas limité à s’approprier des conceptions et des pratiques administratives héritées des colons mais en a également créé de nouveaux. En s’inscrivant dans des circonstances politiques nouvelles, l’État jordanien et les autorités tribales se sont étonnamment adaptés aux représentations postcoloniales et se les sont réappropriés à leurs propres fin. Ainsi, quand en 1985, le tribalisme fût de plus en plus attaqué dans le débat public parce que jugé “primitif” et “régressif”, le Roi Hussein fût obligé d’intervenir face à ce risque de division. Il ré-affirma habilement sa volonté de la primauté de l’union nationale en présentant le tribalisme et l’ascendance bédouine comme symboles et ferments d’une identité nationale. Le compromis réside dans la réaffirmation du tribalisme comme socle identitaire national. ​« ​Il s’agit d’un compromis où nationalisme et tribalisme semblent finalement bien conciliés ; et il semble que la stratégie du roi est donc d’œuvrer en faveur des Bédouins pour mieux asseoir son pouvoir ​». [Froment,2014] III - La patrimonialisation, outil de ​réaffirmation du tribalisme comme socle identitaire national 5 Une fois les rêves d​’extensions panarabe de la royauté Hachémite réduits à néants par les retournement politiques régionaux, il fallut à la royauté s’assurer de son maintien au pouvoir à une époque où tout le moyen Orient était en proie à des luttes armées. Comme le jeun État de jordanie était composé de populations diverses ayant des sensibilité religieuses différentes, il fallu s’assurer de maintenir la paix et l’unité politique sur le territoir récemment unifié. Comme nous l’avons évoqué, c’est en s’appuyant sur l’ordre tribal que l’état va s’appuyer symboliquement et politiquement pour affirmer son autorité, sa légitimité, et son projet national. A cette fin, peu après l’obtention de l’indépendance, sous la forme d’une monarchie parlementaire, l’État jordanien décide d’entreprendre une série de mesures politiques sociales et culturelles. Ces mesures politiques toucheront stratégiquement plusieurs domaines tel que l’éducation, l'histoire, l’ethnologie, l’art, l’archéologie. Grâce aux revenus du pétrol, l’Etat Jordanien se lance aussi dans de vastes programmes de développement s’inspirant du modèle occidental de l’état-nation, doublé d’une politique culturelle visant à fabriquer une identité unitaire pour la population. Ainsi, sous l’impulsion de la dynastie Hachémite, furent construites de nombreuses universités et des pôles de recherches, l’Etat encourageait la population à élever son niveau social par l’éducation scolaire, le sédentarisme, l’alphabétisation systématique, la poursuites des études dans le secondaire tout en se lançant lui même parallèlement dans la conversion de son modèle économique vers un modèle plus industriel et libéral. «Une grande machine est mise en place par les autorités jordaniennes dans le but de constituer ce que certains auteurs ont appelé l’identité « pan-jordanienne Il s’agit d’une identité inventée, construite par le haut, qui contient des éléments hétérogènes et qui vise à intégrer les nombreuses composantes culturelles, religieuses et ethniques de la population. » ​ .​ [Maffi, 2006;1] Sans compter que l’urbanisation galopante et l’afflux de populations vers les villes fut important et joua également un grand rôle dans la diffusion et la pérennisation de se système de sens. La jordanie, ayant offert l’avantage d’une stabilité et d’une sûreté relative comparée à ses voisins du moyen-Orient et de l'engouement du gouvernement pour ces recherches, que l’Etat a ensuite instrumentalisé à ses propres fin, nous disposons aujourd’hui d’une large palette de travaux sur la société jordanienne. Beaucoup d’anthropologues ayant des sensibilités théoriques différentes 6 ont permis la production d’un panel bibliographique sur le sujet d’une richesse et d’une diversité thématique étonnante. C’est en opérant arbitrairement une sélection d’éléments hétérogènes venant de toutes les composantes de la sociétés jordanienne, que l’Etat créer une identité syncrétique dont elle légitime la véracité en instrumentalisant les travaux dont elle fait l’objet. Travaux qui furent paradoxalement souvent produit dans le paradigme colonial. Ainsi, nombres de vieux travaux, dont des monographies tribales, comme par exemple celle de jausse de madaba, furent minutieusement étudiées par différents acteurs pour trouver des preuves de leur légitimité, de leur ascendance, des propriétées de leurs familles ect… [Chatelard, 1999] Selon la perspective historique jordanienne, les populations tribales pourraient êtres définies comme « toute la population transjordanienne et arabe faisant remonter ses origines dans le pays, dans les frontières d’après 1921, mais qui vivaient déjà là avant que ces frontières soient effectivement mises en place» [Froment, 2014]. Il y a toutefois un écart théorique en ces définitions et l’interprétation que s’en sont fait les pouvoirs politiques coloniaux puis jordaniens, voir les tribus elles mêmes : d’abord et depuis toujours en Jordanie, les tribus, même chrétiennes, se sont de tous temps considérées comme bédouines. Dans de nombreux travaux scientifiques, le terme de même de « Bédouins » semble un synonyme de « groupes tribaux ». [Froment, 2014] Bien que les représentations coloniales aient jeté le doute avec une dichotomie Etat/ribu largement diffusées dans les vieilles études anglo-saxonnes, l’organisation politique de l’Etat aussi bien que la représentation sociale de l’identité nationale semblent s’articuler et s’appuyer sur l’ordre et l’imaginaire tribal. L’Etat n’aura d’ailleur de cesse de réaffirmer et de stabiliser l’identité et la filiation tribale en lui donnant les moyens de fixer et légitimer par l’écrit une histoire traditionnellement orale. [Bocco, 1995 : Maffi, 2004] Pour les groupes voulant conforter leurs statut au nouveau prisme de l’état nation jordanien, Il est important de démontrer sa “Jordanité“ selon le modèle gouvernemental, et donc par son affiliation tribale et ses origines bédouines. C’est dans ces joutes identitaires que l’ethnographie occidentale trouvera une place et se fera ré-appropriée et instrumentalisé, sinon capitalisé par ses objets d’éude. « Toute une littérature tribale qui s’exprime soit sous forme de généalogies (Abu Khusa, 1989 ; ’Uwaidyal-’Abbadi, 1986), soit sous forme de recueils de poésie bédouine et de descriptions des us et coutumes (al-’Azayzi, 1984), fait référence à l’ouvrage de Frederick Peake ​History and Tribes of Jordan (1958), ayant fixé la nomenclature des tribus transjordaniennes à l’époque où il exerçait encore en tant qu’haut 7 fonctionnaire mandataire. Son ouvrage,qui depuis fut traduit en arabe dans une version révisée, est devenu la source incontournable de la littérature tribale jordanienne».​ ​[chatelard, 1999:179] Dés les années 1980, l'institutionnalisation du phénomène patrimonial est largement implantée dans les différentes composantes la population et pénètre le domaine domestique où de nouvelles formes de pratiques patrimoniales émergent parallèlement à la version gouvernementale. L’anthropologue Irén Maffi à relever plusieures formes de ce qu’elle appelle des “formes populaires de patrimonialisation”. Parmis lesquelles le musée de famille​, ​l​e ​diwan ​et la ​madafa ou encore l​es musées domestiques​. [Maffi, 2006] Ces expositions qui prennent différentes formes dans différents contextes, sont l’expression des projections de l'identité personnelle, confessionnelle ou tribale dans le roman national. Dans son article La patrimonialisation en Jordanie », elle souligne que les objets exposés étaient sensiblement les mêmes que ceux qui étaient patrimonialisés par l’Etat. Le fait de les avoir choisis comme illustratifs de la culture locale montre donc que celle-ci a intégré l’image construite et diffusée par le discour Hachemite officiel. Ainsi, l’adoption du concepte patrimonial et des pratiques d’expositions ne font que la refléter la pénétration de la propagande étatique dans les représentations locales, aussi bien que dans le tissu social. Comme le soulignent de nombreux auteurs, [Bocco, 1995 ; Shryock, 1997 ; Maffi, 2006] cette tendance à la bédouinisation d’une partie de l’espace domestique se remarque dans beaucoup de maisons. Elle semble refléter l’adoption de l’identité nationale jordanienne telle que représentée dans le discour officiel. Irèn Maffi rapporte ​«Un anthropologue jordanien appartenant à une tribu de la région d’Irbid me racontait une fois que son père était en train de transformer le salon de sa maison en une qa’a ‘arabiyya (salon arabe) avec tous les objets rituels pour la préparation du café, les tapis bédouins, les matelas et les coussins, alors qu’il avait toujours eu un salon meublé dans le « style occidental ». À son avis, pour son père, c’était une manière d’affirmer son autorité au niveau local, revendiquant le rôle de cheikh à travers les objets qui sont censés incarner l’identité tribale traditionnelle.» ​[Maffi, 2009:7 ]. ​IV - La madafa comme allégorie du dialogue entre identité tribale et nationale 8 Comme la finalité de notre propos vise à illustrer la représentation tribale de l’identité nationale en Jordanie au prisme de l’état-nation, soit la représentation nationale au niveau local, nous proposons maintenant d’étudier l’évolution du lieu traditionnel de la mémoire tribal en Jordanie; la Madafa et le Diwan, termes renvoyant à une institution d’origine tribale et bédouine encore présente dans la plupart des pays arabes. Destinés à accueillir les personnes extérieures au cercle familiale, la madafa et le diwan visent à faire valoir le prestige politique et historique de l'hôte, la ​madāfa est un haut lieu de la mémoire tribale, pressentis par excellence pour exposer les collections patrimoniales [Layne 1994], c’est le lieu où se construit la mémoire d’un groupe [Maffi 2004]. En Jordanie l’institution se présente soit sous la forme d’une pièce attenante à la maison [maffi 2004], soit comme une construction séparée de l’habitation du chef tribal, mais munie d’une entrée indépendante, soit encore comme une salle de réception au sein de la maison [Jungen 2004] . Toujours selon Iren maffi, “les termes « ​Madāfa » et « ​diwan » sont interchangeables bien que, dans la plupart des cas, la ​madāfa désigne un espace collectif qui représente la tribu ou une de ses branches, alors que le ​diwan est, lui, strictement rattaché à un cheikh ou à une personnalité de prestige mais ne représente pas la tribu de manière collective [maffi,2004]. Enfin la madafa est surtout le lieu où se négocie, sur un triple plan symbolique, la relation entre les différentes versions tribales du passé et le discours historique officiel. Premièrement par sa fonction d’arêne politique domestique, en tant que lieu de négociation réel entre les tribus et l’Etat. Deuxièmement, par son aspect symbolique, puisqu’elle est le lieux de la mémoire, où s’exposent les diverses collections patrimoniales représentant la tribue et son positionnement politique, expression directe du niveau de pénétration du discour officiel. Mais enfin et surtout, métaphoriquement, par sa conception bipartite même, en deux salle séparée, métaphore du lien entre les deux identités continues. Andrew Shryock note que la salle traditionnelle et la salle moderne communiquent, ce qui symboliserait la continuité entre le passé et le présent [Shryock, 1997]. En Jordanie, la séparation dichotomique de la ​madāfa en deux pièces , l’une se voulant “ traditionnelle” et l’autre se voulant “moderne”, semble être devenu une norme observée sur tout le territoire, comme en attestent de nombreux travaux [Husbani, 1997 ; Jungen, 2004 ; Bocco 1996]. 9 Certains d’entre eux notent qu’elles représentent les deux faces de la «tradition et de l’identité tribale » telles qu’elles sont perçue et vécues, interprétées et représentées aujourd’hui dans le Royaume hachémite de Jordanie. Avec d’une part, «la tribu aux ​temps des cheikhs ​», et d’autre part, «la tribu sous l'ère hachémite», [Jungen 2004 ; Shryock 1997]. La séparation de la madafa est donc l’expression directe, matérielle et symbolique du consensus national, d’autant plus que certains auteurs comme L.Layne pense que la pratique de l’exposition est également pour le groupe une manière de «faire don » au roi de soi-même, et donc à la fois d’établir un rapport de dépendance entre la tribu et le souverain​, ​tout comme une manière de réaffirmer une spécificité culturelle locale par rapport aux représentations de l’identité nationale, au travers d’un média symbolique propre à la culture dominante des Hachémite. [Layne, 1994] ​ V- Exemple d’un ​diwan​ comme incarnation de négociation identitaire En nous appuyant sur des sources attestées, nous allons maintenant faire le portrait d’un diwan et l’inventaire des objets qui y sont présents. ​Dans la perspective théorique des représentations sociales [Abric,1994], [Jodelet,1989], [Moscovici, 1961], ​«​l’analyse du type de rapport sensible ou idéologique qu’un individu ou un groupe entretient avec l’objet représenté constitue un axe de recherche important. La nature du lien ou de la «relation» que le groupe entretient avec l’objet de représentation constitue en effet un opérateur de choix pour rendre compte des processus associés à la formation, la structuration, le fonctionnement, la dynamique ou encore les effets des représentations sociales sur une pratique.​», ​[Dany &Abric, 2007:138]. Soit, les pratiques patrimoniales et de leurs instrumentalisation aux seins des ​diwan et ​madafa ​sont les signes de la pénétration du discours Hachémite. Peu importe que les acteurs contestent ou non l'historiographie jordanienne officiel par son biais, ils en adoptent en tout cas le langage. Le patrimoine ainsi utilisé comme idiome politique devient un moyen d’expression identitaire et politique privilégié, montrant de fait la profonde mutation subie par ce modèle culturel d’origine exogène. Les patrimoines fabriqués contribuent à faire naître différentes communautés imaginées, 10 nationales, régionales, ou religieuses, tout en gardant comme cadre de référence commun celui des pratiques et des discours patrimoniales Étatiques. Etudions maintenant l’exemple d’un Diwan en partant d’un cadre d’analyse s’inspirant grandement d’une vision constructiviste de la tradition [Hobsbawm & Ranger 1983 ; Hobsbawm 1995 ; Lenclud 1987] se révélant être un bon outil de déconstruction des pratiques patrimoniales récemment légitimées ou naturalisée. Pour voir comment s’articulent et se pensent la récente identité nationale au niveau local. La description que donne Irène Maffi de la madafa des Adwan de la Tribu Balqa, également observée par Athur shyrock, [Shryock 1997], donne une idée assez précise de son aménagement intérieur. Comme souvent en Jordanie, celle-ci est composée de deux pièces. ​«​Dans la salle “traditionnelle”, le mobilier est “bédouin authentique” : le long des murs, des matelas recouvrent des tapis bédouins séparés par des selles de chameaux. Au centre, des services à thé et des cafetières sont disposés sur des petites tables basses. Dans un coin, un grand brasero garde au chaud les instruments nécessaires à la préparation du café à l’ancienne. D’anciens sabres, poignards et pistolets sont cloués aux murs à côté des photographies du cheikh Sa’ud al-cAdwan, de son père, Mani’, et du roi Hòussein, tous vêtus de l’habit bédouin traditionnel.[...] Une grande assiette de paille tressée souligne l’hospitalité du lie​u. ​» ​[​Maffi, 2009:19] Tandis que dans la salle « occidentale », le mobilier contraste par sa modernité puisqu’elle décrit que les matelas sont remplacés par de grands fauteuils, que les services à thé sont en cuivre, et que des tapis persans récents traduisent un certain luxe. A ce titre, les objets ici représentés sont ceux qu’on pourrait appeler des sémiophores, objets traduisant le type de rapport qu'une société décide d'entretenir avec le temps. Par ailleur, dans son observation rapportée en français par Irène Maffi, Andrew Shryock note que la communication entre les deux salles symbolisent la continuité entre le passé et le présent, et que cette continuité s’exprime aussi dans la correspondance des objets exposés. En effet la salle “occidentale” reproduit la salle “Bédouine authentique”, en substituant une version occidentalisée ou modernisée aux objets anciens, exprimant ainsi une continuité certaine. [Shryock, 1997 ; Maffi, 2006 ] De plus, comme le note différents auteurs, les objets exposés,comme des instruments ou bien des ustensils pour la préparation du café, des fuseaux en bois pour tisser, etc... sont quasiment les mêmes qui ont été patrimonialisés par l’État. La typologie des objets exposés est donc la même, 11 même si l’agencement symbolique de tel ou tel objet varie en fonction des spécificités tribales ou confessionnelles, soulignant une fois de plus la nature syncrétique de la patrimonialisation. Non seulement l’agencement de la madafa et des diwans et la correspondance des objets constituent des indicateurs cruciaux pour rendre compte de la continuité symbolique entre les identités ( tribales d’une part et le sentiment d’appartenance nationale d’autre part), mais certains d’entre eux sont encore plus révélateurs du processus identitair syncrétique ayant opéré en Jordanie. Il s’agit de la patrimonialisation d’objets “étrangers” ne relevant absolument pas d’une quelconque légitimité artisanale ni même Bédouine mais qui sont pourtant présentés comme faisant pleinement partie du folklore jordanien. Ce qui montre bien que l’identité Jordanienne actuelle s’est non seulement nourrie de son héritage Bédouin, mais également d’élément extérieurs ayant été pleinement assimilés comme étants Jordaniens authentiques. En effet, les objets collectionnés et exposés bien qu’ils ne soient pas produit par l’artisanat local sont toutefois utilisés par les Jordaniens en tant que signifiant l’identité locale. ​« ​Les stéréotypes valent alors plus que la réalité du passé : la kufiyya à petits carreaux blancs et rouges quoiqu’elle ne soit pas du tout traditionnelle, est souvent exposée en tant qu’objet symbolisant l’ancienne culture trans-jordanienne, les armes utilisées à l’époque ottomane, tout en étant souvent de production européenne, sont considérées incarner la culture guerrière locale, etc. Au-delà de leur authenticité, ces objets, en tant qu’objets patrimonialisés par l’État, servent de référence à une identité déjà bien établie, l’identité jordanienne officielle ou hachémite qui a été fabriquée par les Britanniques et la dynastie au pouvoir.​»​, [Maffi, 2006:1]. Ainsi, malgré l’origine inventée de l’identité de ces objets, ils ont toutefois été classés dans la catégorie dîte de ”culture traditionnelle”. Dorénavant ces objets sont perçus comme étant authentiques. Ceci a été rendu possible grâce au fait que la culture officielle ait repris les thèmes des cultures locales, ​« ​bien qu’elle les ait dé-contextualisés et réinscrits dans une autre constellation de sens. D’où la possibilité pour certaines familles et certains individus de réclamer les objets patrimonialisés par l’État en tant que patrimoine familial, tribal ou local.​» [Maffi, 2004:16] ​ ​» De nombreux travaux soulignent d’ailleurs que, ces objets dont l’authenticité n’a prit forme que dans les récentes péripéties de l’Histoire jordanienne, sont même présents et exposés dans la pièce se voulant “bédouine authentique” des madafa et diwan, [Bocco, 1998 ; Maffi, 2006]. Ce qui 12 montre la pénétration, non seulement du système et du discours Hachémites au coeur des localités, mais aussi l’impacte de celui-ci sur les représentations même du traditionnel, du légitime, de l'identité, et donc de leur propre identité. Soit non seulement la pratique patrimoniale s’est répandue comme forme de discours identitaire et politique diffusée par la pensée dominante, (Hachémite) , mais les pratiques syncrétiques même sur lesquelles se base le consensus national ont gagné l’ensemble du territoire. Il est d’ailleur intéressant de relever que même certaines communautés palestiniennes, arrivées dans le pays lors des dernières grandes vagues de migrations de réfugiés palestiniens, ont adoptés ce mode d’expression patrimonial pour figurer leurs propre spécificités identitaires et l’inclure dans le paradigme Jordanien. Dans ce cas, le processus de jordanisation de l’identité et son aspect patrimonial peuvent parfaitement entrer dans les 3 types de traditions inventées énumérées par Eric Hobsbawm : Celles établissant ou symbolisant la cohésion sociale ou l’appartenance à des groupes, des communautés réelles ou artificielles, celles établissant ou légitimant des institutions, des statuts ou des relations d’autorité ou encore celles dont le but principal est la socialisation, l’inculcation des croyances, des systèmes de valeur et des codes de conduite, [Hosbawm, 1995]. Conclusion Pour conclure, nous avons vu tout au long de ce dossier que le système Hachémite repose principalement sur ses liens historiques avec les tribus, et ce depuis son fondement puisque c’est dans l’ordre et la tradition tribale que le clan Hachem puisa les ressources premières de sa domination. Nous avons vu que malgré les conclusions hâtives des travaux anglo-saxon du XX siècle, il n’existe pas de dichotomie entre l’Etat et la tribu. Qu’au contraire, le pouvoir Hachémite tire d’elles à la fois sa légitimité de droit traditionnel, son emprise politique et sa force coercitive potentielle. Tandis que lui même assure aux tribus leur prospérité et leur intégration. Comme l’avait démontré l’analyse du pouvoir d’Ibn khaldoun au XIV siècle, transposable encore de nos jours, même dans le paradigme 13 récent de l’Etat nation-Jordanien. Ce système d’organisation dualiste fut poussé à son paroxysme par le jeun état jordanien en fixant l’identité tribale et bédouinne comme socles identitaire et base du processus de fabrication d’une identité Jordanienne. Nous ensuite montré comment et par quel moyens et outils politiques s’est construit le consensus national et son “roman historique”. Pour cela, nous avons longuement démontrer que la patrimonialisation et à l’instrumentalisation des conceptes et travaux coloniaux jouairent un rôle majeur dans la construction de cette nouvelle identité syncrétique, assez large pour que toute les factions de la société puissent s’y reconnaître et s’y inscrire. Enfin, aux travers de l’institution de la ​madafa et du ​diwan ​nous avons montré, nous avons montré plus particulièrement comment s’articulent et se représentent les différentes particularités entre l’échelle locale et l’échelle nationale, et donc le continuum entre la bédouinité traditionnelle et la modernité Jordanienne dans le système Hachémite. 14 Bibliographie: 15 - - Ababsa Myriam ,Rami Farouk Daher​, 2011 : « Villes, Pratiques urbaine et construction nationales en Jordanie, Beyrouth, ​Presses de l’Ifpo​ ». 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