Le sino-tibétain : polysynthétique ou isolant ?*
Guillaume Jacques
11 décembre 2016
Référence : Jacques, Guillaume 2016. Le sino-tibétain : polysynthétique
ou isolant ?, K. Pozdniakov (ed.) Comparatisme et reconstruction : tendances
actuelles, Faits de langue 47 :61-74.
1 Introduction
Un des problèmes les plus fondamentaux et des plus difficiles de la linguistique historique du sino-tibétain est la question de reconstruction de la
morphologie. En effet, la famille sino-tibétaine est peut-être celle présentant la plus grande diversité typologique de toutes les langues du monde.
A côté de langues presque prototypiquement isolantes, telles que le chinois,
le karen ou le lolo-birman, on trouve des langues polysynthétiques comme
le rgyalronguique ou le kiranti. On trouve aussi des langues d’un degré de
complexité morphologique intermédiaire, comme le tibétain ancien, qui bien
que dépourvu d’indexation personnelle, a une morphologie très irrégulière
et synchroniquement opaque1
Il n’y a aucune particularité typologique non-triviale qui soit partagée
par toutes les langues de la famille.
Certains auteurs tels que LaPolla (2003) proposent que quelques affixes
de voix peuvent être d’origine proto-sino-tibétaine, mais qu’en revanche les
marques d’indexation personnelle sur le verbe dans des groupes de langues
tels que le rgyalronguique et le kiranti sont des innovations qui ne peuvent
pas être reconstruite jusqu’à la proto-langue. D’autres, tels que van Driem
(1993) et DeLancey (2010), proposent au contraire que ce sont les langues
*
Je souhaite remercier un relecteur anonyme pour ses commentaires. Le corpus japhug
est disponible sur le site Pangloss (Michailovsky et al. 2014). Cette recherche a été financée par le projet HimalCo (ANR-12-CORP-0006) et l’opération de recherche LR-4.11
‘‘Automatic Paradigm Generation and Language Description’’ du Labex EFL (financé par
l’ANR/CGI). Les abréviations utilisées sont les suivantes : auto autobénéfactif, dem démonstratif, fact factuel, irr irréel, pfv perfectif, pst passé, refl réfléchi, sens sensoriel,
transloc translocatif. Les termes ‘dé-expérienceur’ et ‘tropatif’ sont définis dans Jacques
(2012c) et Jacques (2013a) respectivement.
1
Voir Hill (2005), Jacques (2010b, 2012b), Hill (2014b,a), Hill & Zadoks (2015) concernant la reconstruction interne du verbe tibétain.
1
rgyalronguiques et kiranties qui sont conservatrices, et celles à morphologie
réduite qui ont innové en perdant leurs marques d’indexation sans laisser de
trace.
Un débat de ce type n’est pas restreint au sino-tibétain. En niger-congo,
une autre macro-famille, une controverse similaire a lieu (voir Güldemann
2008 et Hyman 2011).
Il est trop tôt pour prétendre apporter une réponse définitive à cette
controverse. Le présent travail se propose un but moins ambitieux : évaluer, dans le cas d’une des langues à la morphologie la plus complexe de la
famille, quelle proportion de cette morphologie est transparente et récemment grammaticalisée, et quel résidu de formes potentiellement anciennes
peuvent se comparer raisonnablement au kiranti ou à d’autres branches du
sino-tibétain.
Cette tâche est un préliminaire indispensable à tout travail plus général
sur la famille, et des études comparables seront nécessaires à terme sur toutes
les langues à morphologie riche de la famille.
Ce travail comportera tout d’abord une présentation générale du gabarit
verbal des langues rgyalronguiques, suivi, pour plusieurs domaines de ce
gabarit (marques de mouvement associé, de voix, de TAM et d’indexation),
d’une évaluation des innovations évidentes et des archaïsmes potentiels.
2 Le gabarit verbal des langues rgyalronguiques
Les langues rgyalronguiques sont connues pour leur morphologie polysynthétique très complexe (Jacques 2012d, Lai 2013, Sun 2014) et typologiquement inhabituelle. En effet, avec les langues athabasques, sioux (et
à moindre mesure le iénisséen et le caucasique du nord-ouest), les langues
rgyalronguiques font partie des très rares langues langues majoritairement
préfixante et strictement verbe-finale (Jacques 2013b), une anomalie typologique d’autant plus intéressante dans une perspective diachronique.
N’est pas rare de trouver dans les textes des formes verbales pourvues
de plus de quatre préfixes, telles que 1 ou 2.
(1) ma-ɕ-thɯ-tɯ-ʑɣɤ-βde
ma nɤ-pi
neg-transloc-imp-2-refl-jeter car 2sg.poss-frère.aîné
ɲɯ-ɤkhu
sens-appeler
Ne vas pas te jeter (dans l’eau), ton frère t’appelle. (le corbeau, 25)
(2) tɯrme ra tɕe nɯ ma
homme pl lnk dem à.part
a-mɤ-ɕ-tɤ-z-nɯ-snɯ-ɲaʁ
irr-neg-transloc-pfv-caus-denom-cœur-être.noir
2
ra
devoir :fact
Qu’on ne la laisse plus aller faire du mal aux gens ! (fushang he
yaomo, 162)
Aucune forme verbale ayant plus de six préfixes et un nom incorporé n’est
attestée dans les textes. Plus qu’une réelle contrainte sur la complexité des
formes, cette absence est fortuite ; il est possible de construire des formes
verbales plus complexes. A partir de 2, on peut par exemple produire la
forme suivante avec huit préfixes et un nom incorporé :
(3) a-mɤ-ɕ-tɤ-tɯ́ -wɣ-z-nɯ-snɯ-ɲaʁ
irr-neg-transloc-pfv-2-inv-caus-denom-cœur-être.noir
ra
devoir :fact
Qu’on ne le laisse pas aller te faire du mal !
La structure potentielle maximale du verbe japhug est présentée dans le
tableau 1.
3
Tab. 1 : Le gabarit verbal du japhug (les cases grisée indiquent les préfixes directionnels)
a-
1
mɯ-
ɕɯ-
tɤ-
mɤ-
ɣɯ-
pɯ-
2
3
etc.
4
tɯ-
wɣ-
ʑɣɤ-
sɯ-
rɤ-
nɤ-
a-
nɯ-
sɤ-
5
6
7
8
9
10
11
ɣɤ-
noun
Σ
-t
-a
rɯ-
12
etc.
13
-nɯ
-ndʑi
14
15
16
17
18
4
1. irréel a- and ɯβrɤ-, interrogatif ɯ́ -, conatif jɯ-
10. tropatif nɤ-, applicatif nɯ-
2. négation ma- / mɤ- / mɯ- / mɯ́ j-
11. passif a- / déexperienceur sɤ-
3. mouvement associé ɕɯ- and ɣɯ-
12. autobénéfactif
4. préfixes directionnels (tɤ- pɯ- lɤ- tʰɯ- kɤ- nɯ- jɤ- , tupjɯ- lu- cʰɯ- ku- ɲɯ- ju-) appréhensif ɕɯ-
13. autres préfixes dérivationnels nɯ- ɣɯ- rɯ- nɤ- ɣɤ- rɤ-
5. deuxième personne (tɯ-, kɯ- 2→1 andta- 1→2)
6. inverse -wɣ- / générique S/O kɯ-, progressif asɯ-.
7. réfléchi ʑɣɤ8. causatif sɯ-, abilitatif sɯ9. antipassif sɤ- / rɤ-
14. racine nominale
15. racine verbale
16. passé 1sg/2sg transitif -t
17. 1sg -a
18. autres suffixes d’indexation personnelle (-tɕi, -ji, -nɯ,
-ndʑi)
3 Négation
Certains auteurs (tels que LaPolla 2003) proposent de reconstruire des
préfixes négatifs pour la proto-langue. Si les langues conservatrices de la
famille ont en effet toutes des préfixes de négations qui semblent apparentés,
ces préfixes correspondent à des marques de négations indépendantes en
chinois (Djamouri 1991) ou en lolo-birman.
A moins de supposer un phénomène de dégrammaticalisation dans ces
langues, il est préférable d’admettre que les préfixes de négation dérivent
d’anciens adverbes négatifs ; en l’absence de morphologique commune entre
branches éloignées (comme celle commune au pumi et au tangoute, voir
Jacques 2011), l’hypothèse nulle est que le système de préfixes négation
s’est développé de façon indépendante à travers la famille.
4 Mouvement associé
En comparaison avec les langues tacananes (Guillaume 2009) ou pamanyounganes (Koch 1984) où cette notion a été développée, le système de
mouvement associé en japhug est relativement simple, ne comprenant que
deux préfixes, les cislocatif ɣɯ- et le translocatif ɕɯ-.
Ces deux préfixes sont grammaticalisés des verbes de mouvement ‘venir’
ɣi et ‘aller’ ɕe respectivement, à parti d’une construction paratactique ou en
série, et non d’une construction à complément de but (Jacques 2013b).
La place des préfixes de mouvement associé diffère selon les langues rgyalronguiques : ils apparaissent après les marques de négation mais avant les
préfixes directionnels en japhug et après ceux-ci en situ. Néanmoins, on ne
peut pour autant en conclure que mouvement associé est un développement
indépendant en rgyalrong du nord et en situ. En effet, on trouve un verbe
irrégulier transitif -ru ‘aller chercher’, qui requiert l’emploi d’un préfixe de
mouvement associé dans toutes les langues où il a été décrit, comme l’illustrent les exemples suivants :
(4) ɕ-tɤ-ru-t-a
(Japhug)
transloc-pfv :haut-aller.chercher-1sg
(5) rə-ɕɐ-rô-ŋ
(Situ)
pfv :haut-transloc-aller.chercher-1sg
Je suis allé le chercher.
Si la grammaticalisation des verbes de mouvement avait eu lieu de façon
indépendante en situ et en japhug, on ne pourrait s’attendre à l’existence
d’un verbe irrégulier de ce type, d’autant qu’il présente les correspondances
phonétiques régulières d’un mot hérité.
En revanche, l’absence de marque comparable, y compris y khroskyabs
(Lai 2013), langue pourtant très proche, indique qu’il doit s’agir d’une in5
novation restreinte aux quatre langues rgyalrong (japhug, tshobdun, zbu et
situ).
5 Système de voix
Le japhug et les autres langues rgyalronguiques ont des systèmes de voix
très riches, presque exclusivement marqué par des préfixes (voir Lai 2013,
Jacques 2014b, Sun 2014 pour des descriptions générales). Le seul suffixe de
voix est l’applicatif en -t (à propos duquel voir Michailovsky 1985, Jacques
2015a en kiranti), qui n’apparaît que dans la paire ɣi ‘venir’ / ɣɯt ‘apporter’
(< *wit).
A l’exception de ce suffixe, de la prénasalisation anticausative et de l’autobénéfactif (Jacques 2012c, 2015c), on peut démontrer que tous ces préfixes
sont secondaires.
Le préfixe réfléchi ʑɣɤ- du japhug peut s’expliquer comme résultant de
l’incorporation du pronom de troisième personne singulier *wəjaŋ sous sa
forme réduite (Jacques 2010d ; voir Sun 2014 pour une explication alternative). Ce préfixe n’est même pas cognat avec le réfléchi ʁjæ- du khroskyabs
(Lai 2013 : 156-7), et il s’agit d’une innovation définitoire du groupe rgyalrong (japhug, tshobdun, zbu, situ).
Les autres marques de voix (passive, antipassif, causatif, applicatif),
comme l’indique le tableau 2, présentent toutes une ressemblance à la fois
formelle et sémantique avec une série de préfixes dénominaux. Comme il
est possible de le montrer en utilisant la morphologie irrégulière (Jacques
2014b), cette ressemblance peut s’expliquer par un chemin de grammaticalisation en deux étapes.
Tout d’abord, un verbe à l’origine transitif ou intransitif est nominalisé au moyen de l’infinitif nu (marqué uniquement par un préfixe possessif
coréférent avec le S/P). Ce passag par un stade de nom d’action neutralise
la transitivité du verbe. Ensuite, ce verbe nominalisé reçoit une marque de
dénominalisation, et redevient verbal, avec une nouvelle transitivité déterminée par le préfixe dénominal.
Ce chemin de grammaticalisation rend compte de l’origine de l’antipassif
et de l’applicatif, qui semblent être des innovations spécifiquement rgyalrongs, pas même partagées avec le khroskyabs (Jacques 2014b).
Cette explication est également possible pour le passif et le causatif
(Jacques 2015b), ce qui ouvre une question de chronologie, car on retrouve
à l’extérieur des langues rgyalronguiques des traces claires de préfixes causatifs et passifs apparemment cognats à ceux du japhug et d’autres langues
rgyalrong. Cela suggère donc que, si certaines marques de voix sont secondaires et ont été récemment grammaticalisées à partir du dénominal, dans
le cas d’autres marqueurs la grammaticalisation a pu avoir lieu à une date
plus ancienne, d’autant que les préfixes dénominaux correspondants existent
6
Tab. 2 : Correspondances entre marques de voix et préfixes dénominaux en
japhug
forme voix
préfixe dénominal correspondant
rɤnɯsɯasɤ-
antipassif
applicatif
causatif
passif sans agent
dé-expérienceur
rɤ-(verbe intransitif dynamique)
nɯ- (verbe transitif dynamique)
sɯ- (verbe transitif instrumental)
a- (verbe statif)
sɤ- (verbe statif exprimant une propriété)
aussi dans les autres langues.
L’incorporation nominale en rgyalronguique elle aussi est secondaire
(Jacques 2012d, Lai 2013), et tire son origin d’un chemin de grammaticalisation comparable à celui des marques de voix. On trouve en japhug trois
construction possibles (6), la construction (iii) objet / verbe, la construction
(ii) avec incorporation et (i) avec verbe léger et un nom d’action composé
nom-verbe.
(6)
(i) cɯ-pʰɯt
nɯ-βzu-t-a
pierre-enlever pfv-faire-pst-1sg
(ii) nɯ-ɣɯ-cɯ-pʰɯt-a
pfv-derivation-pierre-enlever-1sg
(iii) cɯ
nɯ-pʰɯt-a
pierre pfv-enlever-1sg
J’ai enlevé les pierres (du champs).
De (iii), on peut dériver un nom d’action cɯ-pʰɯt ‘action d’enlever les
pierres’, qui peut ensuite servit soit d’objet avec un verbe léger (i), soit
subir une dérivation dénominale comme en (ii) avec le préfixe ɣɯ- dans ce
cas précis.
En khroskyabs, la marque de dérivation est parfois perdue sous l’effet
de changements phonétiques, si bien que le passage par un stade dénominal
n’est plus transparent (voir Lai 2013 : 185-9), et n’est révélé que par la
comparaison avec les langues rgyalrongs.
6 Système de TAM
La quasi-totalité des catégories de TAM en japhug font intervenir dans
leurs marquages des préfixes directionnels. On en trouve quatre séries (tableau 3, voir aussi Jacques 2014a : 266) selon les différents tiroirs verbaux.
La ressemblance de ces préfixes avec les adverbes et noms locatifs correspondants est frappante (tableau 3). Si toutefois certains préfixes sont
7
forcément récents, il n’est toutefois pas certains que le système de préfixes
directionnels dans son ensemble le soit.
Les préfixes ‘vers le bas’ pɯ-, pjɯ- etc présentent la même consonne
initiale que le nom locatif ɯ-pa ‘bas’. Même si des cognats de ce nom existent
en tangoute (Jacques 2014c) et en zbu (ɐvéʔ, Gong Xun, p.c.), aucune autre
langue de la famille ayant des préfixes directionnels n’a construit celui du
‘bas’ à partir de ce nom. Il s’agit d’une innovation du japhug, impliquant
une grammaticalisation de ce nom locatif comme préfixe.
Toutefois, dans certains dialectes japhug on trouve la forme inanalysable
co- pour l’inférentiel à la place de pjɤ-. La forme pjɤ- est évidemment analogique et co-, immotivée, doit être plus ancienne.
Il est donc possible que la relative régularité et la similitude entre préfixes
directionnels et adverbes ou noms locatifs n’impliquent pas nécessairement
que le système lui-même soit récent ; il est possible que ce système ait subi
plusieurs couches de réfections et de régularisations.
Tab. 3 : Préfixes d’orientation en japhug
perfectif imperfectif perfectif inférentiel adverbe /
3→3’
inférentiel nom locatif
haut
bas
amont
aval
est
ouest
tɤpɯlɤtʰɯkɤnɯ-
tupjɯlucʰɯkuɲɯ-
tapalatʰakana-
topjɤlocʰɤkoɲɤ-
atu
ɯ-pa
alo
athi
akɯ
andi
Dans tous les cas, il n’y pas lieu de supposer que ces préfixes remontent
à plus haut que le groupe macro-rgyalronguique contenant rgyalronguique,
tangoute, muya, pumi et quelques autres langues non-tibétaines du Sichuan.
Parmi les autres marques de TAM, on compte le préfixe progressive asɯ-,
le passé transitif -t- et le prospectif/conatif jɯ-.
Le suffixe de passé transitif -t ou -z selon les dialectes s’observe aux formes
1/2sg→3 du perfectif et de l’inférentiel des verbes transitifs en japhug. On
trouve des cognats -z en zbu et en tshobdun (voir Sun 2014), et l’on peut
sans doute comparer ce marqueur avec le suffixe du passé -s en situ, bien
que celui-ci n’apparaissent qu’à la troisième personne singulier des verbes
intransitifs (Lin 2003). Il n’est pas inconcevable que ce suffixe soit apparenté
au suffixe de passé du tibétain ancien, et à d’autres suffixes du même type
dans diverses langues de la famille.2 Cette question ne peut être traitée de
2
Voir Huáng (1997) pour une proposition dans ce sens, qui utilise toutefois des matériaux de langues comme le rmaïque (qiang) qui ont perdu les consonnes finales et ne
peuvent en aucun cas avoir préservé un suffixe *-s proto-sino-tibétain de passé ou de
8
façon satisfaisante tant que la phonologie historique de toutes les langues de
la famille est mieux connue, en particulier le destin des coda -s qui sont le
plus souvent érodées par des changements phonétiques.
Le préfixe de progressif asɯ/az- quant à lui pourrait provenir de la combinaison du préfixe dénominal statif a- avec le participe oblique sɤ- (‘être
dans X’ > ‘être en train de faire X’).
7 Système d’indexation personnelle
L’antiquité du système d’indexation personnelle sur le verbe est sans
aucun doute le point le plus controversé de la linguistique historique des
langues sino-tibétaines. Certains auteurs considèrent que le type représenté
par les langues isolantes de la famille, sans indexation de personne, représentent l’état de la proto-langue (LaPolla 1992, 2003, 2012, Zeisler 2015),
tandis que d’autres soutiennent l’idée que les langues à morphologie riches
telles que le rgyalronguique et le kiranti ont préservé un système d’accord
ancien, perdu en chinois et en tibétain (Bauman 1975, van Driem 1993,
DeLancey 1989, 2010, 2011, 2014, Jacques 2010a, 2012a).
Le tableau 4 illustre la ressemblance entre pronoms, préfixes possessifs
et suffixes d’indexation personnelle (des verbes intransitifs) en japhug. Il
est clair que dans cette langue les pronoms dérivent des préfixes possessifs
ajoutés à une base -ʑo < *-jaŋ, et que ce sont les préfixes qui constituent le
matériau ancien. Les suffixes d’indexation sont très semblables aux préfixes,
et pourraient avoir été récemment rénovés. Ces données suggèreraient, au
moins pour les suffixes, un chemin de grammaticalisation semblable à celui
suggéré par Comrie (1980) pour le bouriate, à savoir une grammaticalisation
des pronoms comme suffixes à partir de constructions à dislocation à droite.
Cette conclusion n’est néanmoins pas la seule possible. Certaines langues
rgyalronguiques présentent une morphologie moins concaténative et régulière en ce qui concerne les suffixes de personne ; c’est le cas notamment du
zbu (Gong 2014) et du situ, où le suffixe de première personne singulier a de
nombreux allomorphes distincts, dont certains irréguliers, du stau (Jacques
et al. 2014).
Il est donc tout aussi vraisemblable de supposer que le japhug a subi une
régularisation massive de son système de marquage personnel suffixal.
Indépendamment de l’origine des suffixes d’indexation, les préfixes ne
peuvent pas avoir été récemment innovés (Jacques 2012a et DeLancey 2014).
C’est le cas en particulier de la marque tɯ- de seconde personne en japhug et
le préfixe d’inverse wɣ- (voir Jacques 2010c, Gong 2014, Lai 2015 pour une
description synchronique détaillée de la marque d’inverse en japhug, en zbu
et en khroskyabs), qui ne présentent aucune ressemblance avec des pronoms
indépendants ou avec des préfixes possessifs.
perfectif.
9
Tab. 4 : Pronoms et marques possessives
préfixe possessif affixes d’indexation
pronom
personne
aʑo, aj
nɤʑo, nɤj
ɯʑo
anɤɯ-
Σ-a
tɯ-Σ
Σ
1sg
2sg
3sg
tɕiʑo
ndʑiʑo
ʑɤni
tɕindʑindʑi-
Σ-tɕi
tɯ-Σ-ndʑi
Σ-ndʑi
1du
2du
3du
iʑo, iʑora, iʑɤra
nɯʑo, nɯʑora, nɯʑɤra
ʑara
inɯnɯ-
Σ-ji
tɯ-Σ-nɯ
Σ-nɯ
1pl
2pl
3pl
Il est instructif de comparer le système d’indexation du japhug (rgyalrong) avec celui du bantawa (kiranti) (données tirées de Jacques 2010c,
Doornenbal 2009). Afin de permettre une meilleure lisibilité, seules les formes
du singulier sont incluses dans les tableaux 5 et 6.
Tab. 5 : Système d’indexation du japhug, singulier
1
2
3
1
2
3
ta-Σ1
kɯ-Σ1 -a
wɣɯ́ -Σ1 -a
tɯ́ -wɣ-Σ1
Σ3 -a
tɯ-Σ3
Σ3 / wɣ-Σ1
intr
Σ1 -a
tɯ-Σ1
Σ1
Tab. 6 : Système d’indexation du bantawa, singulier
1
2
3
1
2
3
Σ-na
tɨ-Σ-ŋa
ɨ-Σ-ŋa
nɨ-Σ
Σ-uŋ
tɨ-Σ-u
Σ-u
intr
Σ-ŋa
tɨ-Σ
Σ1
Les deux paradigmes, s’ils présentent d’indéniables différences, notamment en ce qui concerne les formes locales 1→2 et 2→1 (on peut montrer
que celles-ci sont refaites en japhug, voir Jacques to appear), ont également
des ressemblances non triviales ne pouvant s’expliquer ni comme dues au
contact (puisque ces langues sont séparées par des milliers de kilomètres et
entourées de langues sans systèmes d’indexation), ni par un développement
parallèle à partir de pronoms indépendants.
10
Le préfixe de seconde personne de forme tV- tout d’abord se distingue
dans ces deux langues aussi bien des pronoms indépendants que des préfixes
possessifs, et ne peut provenir d’une grammaticalisation récente. La forme
3sg→2sg nɨ-Σ du Bantawa est due à la fusion entre deux préfixes nɨ- (originellement 3pl agent) et tɨ- (seconde personne) qui sont maintenus distincts
en puma, la langue la plus proche du bantawa, où l’on a 3sg→2sg tʌ-Σ vs
3pl→2sg ni-tʌ-Σ. (Bickel et al. 2007), deux formes devenues identiques en
bantawa.
En bantawa comme en japhug, outre le préfixe de seconde personne, on
trouve des préfixes inverse wɣɯ- (<*wə-) et ɨ- (<*u) apparentés historiquement à la forme 3→1. En japhug, il existe des formes non-locales 3→3 directes et inverses (voir Jacques 2010c pour une description de leur différence
fonctionnelle). On peut expliquer les formes du bantawa en admettant que
la distinction directe/inverse aux formes non-locales a été réanalysée comme
une opposition de nombre : Σ-u est la forme 3sg→3, tandis que ɨ-Σ correspondant à la forme inverse du japhug est devenue la marque de non-singular
3du/pl→3sg. Notons que plusieurs dialectes du situ présentent exactement
la même évolution que celle supposée ici pour le bantawa, en particulier celui
de Khrochu (Sun 2015) et celui de Bragdbar (Zhang accepted).
Aux formes 3→2, il est possible que la forme inverse ait été absorbée
par le préfixe de seconde personne en Bantawa (*(nV)-tV-u- > *nɨ-), tandis
qu’elle est maintenue distincte dans les langues rgyalrong.
La seule autre différence significative entre les deux paradigmes est la
présence d’un suffixe -u aux formes directes en bantawa. Ici, c’est le japhug
qui a innové en ayant perdu cette marque, qui se retrouve en situ (sous la
forme -w, exclusivement au 2/3sg→3, voir Lin 2003) et indirectement en
stau (ou le suffixe 1sg→3 -w remonte à *-uŋ ou *ŋu,3 voir Jacques et al.
2014).
On peut donc proposer que l’ancêtre commun du rgyalronguique et du
kiranti avait un système comme celui présenté dans le tableau 7. Comme les
lois phonétiques sont imparfaitement connues, seules des pré-reconstructions
(marquées par **) sont données ici. Ce modèle est très proche de celui proposé par DeLancey (2014) ; la différence principale concerne la reconstruction
des formes locales que je juge pour le moment impossible, car elles ont dû
subir dans chaque langue des réfections répétées (Heath 1998).
3
La phonologie historique du Stau n’a pas encore été complètement élucidée, mais en
faveur de cette hypothèse, on peut remarquer que la marque d’ergatif -w dans cette langue,
homophone avec celle de 1sg→3, correspond à l’instrumental ŋwu du tangoute.
11
Tab. 7 : Modèle de système d’indexation commun au rgyalronguique et au
kiranti
1
2
3
1
2
3
X
**wə-Σ-ŋ(a)
**tə-wə-Σ
**Σ-u-ŋ(a)
**tə-Σ-u
**Σ-u / **wə-Σ
intr
**Σ-ŋ(a)
**tə-Σ
**Σ1
X
Comme le souligne à juste titre DeLancey (2014), un tel système n’a pu
avoir été grammaticalisé qu’une fois. Non seulement les morphèmes qui le
composent sont apparentés, mais leurs fonctions et la structure du système
sont typologiquement rares. En particulier (1) le marquage direct / inverse
du rgyalronguique et du kiranti est unique en Eurasie (2) la co-occurrence
de préfixes et de suffixes dans le même paradigme.
La question la plus fondamentale de la typologie du proto-sino-tibétain
est donc une question de chronologie : le système kiranto-rgyalronguique est
une innovation de ce sous-groupe (comme le propose LaPolla 2003) ou est
il proto-sino-tibétain. La présence possible de traces fossiles de ce système
dans des langues ayant perdu le système d’indexation (Jacques 2010a) soutiendrait la second hypothèse, mais ces données sont difficiles à interpréter.
8 Conclusion
Si les langues rgyalronguiques présentent un gabarit verbal complexe,
il est possible de montrer qu’une grande partie de cette morphologie est
récente.4
La morphologie ancienne, qui mérite d’être comparée avec d’autres
langues et est possiblement d’origine sino-tibétaine, comprend (1) les préfixes dénominaux (2) quelques préfixes et suffixes de voix (3) une partie du
système d’indexation personnel. Avant de pouvoir prétendre avancer dans la
reconstruction de la morphologie du proto-sino-tibétain, un certain nombre
de préliminaires s’imposent.
Tout d’abord, une reconstruction fiable de la morphologie et de la phonologie du proto-rgyalronguique et du proto-kiranti est indispensable, ce
qui requiert davantage de recherches de terrain sur toutes ces langues (en
particulier, la collection de davantage de textes).
Ensuite, il est important de rechercher toutes les traces potentielles de
morphologie fossilisée dans les langues à morphologie moins riche, en particulier en tibétain et en jingpo, mais également en lolo-birman et en chinois.
4
Les formes non-finies, qui pourraient aussi être en partie anciennes, n’ont pas été
traitées ici.
12
Enfin, une étude de la phylogénie qui ne soit pas basée sur la morphologie (afin d’éviter la circularité) doit être mise en place pour déterminer
si oui ou non les langues rgyalronguiques et kiranties appartiennent à un
sous-groupe commun, ou si au contraire ce sont des langues très éloignées
phylogénétiquement.
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