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entreprises sur les marchés mondiaux

Les entreprises sur les marchés mondiaux : nouveaux enjeux, nouvelles méthodes, nouvelles données L ’ouverture de l’économie française et, plus généralement, son insertion dans le mouvement généralement qualifié de mondialisation sont des préoccupations constantes de l’opinion et ceci a déjà trouvé un écho dans plusieurs numéros consacrés à la question par Économie et Statistique : en 1994, sur le thème « Ouvertures à l’Est et au Sud » ; en 1997, sur « Progrès technique, commerce international et marché du travail » ; et en 1999 sur « Intégration économique et localisation des entreprises ». Depuis de nombreuses années, la question de l’emploi domine, sans doute à juste titre, le débat macro-économique en France et, de manière générale, en Europe continentale. Identifier, notamment parmi le progrès technique et l’ouverture des économies, les facteurs responsables de la montée du chômage et/ou des inégalités sur le marché du travail est un enjeu essentiel, et les économistes « internationalistes » ont été nombreux à s’atteler à cette tâche depuis une dizaine d’années. De la même façon, en étudiant les déterminants de la localisation des entreprises multinationales et de l’attractivité des territoires, les chercheurs améliorent la compréhension de mécanismes fondamentaux pour les équilibres du marché du travail. Enfin, l’économie internationale a montré depuis longtemps que l’impact de l’ouverture des frontières sur les marchés de facteurs est d’autant plus important, toutes choses égales par ailleurs, lorsqu’elle se réalise avec des pays différents en termes de rémunérations et de dotations de ces facteurs. Une ouverture à l’Est et au Sud pour un pays du Nord contient donc, a priori, des risques d’ajustements plus forts du marché du travail. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 5 En ce sens, ce numéro spécial d’Économie et Statistique traduit la permanence de ces préoccupations du public comme la continuité des travaux des économistes spécialistes du domaine. Il aborde toujours les questions de l’impact de l’ouverture des économies sur le marché du travail, de l’attractivité des territoires et de l’ouverture à l’Est et au Sud. Pour autant, ce numéro est également le reflet du dynamisme et des profonds renouvellements de la discipline. Il intègre un ensemble de travaux qui témoignent des innovations nombreuses qu’ont connues récemment les champs théoriques et empiriques d’analyse des échanges internationaux. Ces innovations sont de trois ordres : de nouveaux enjeux, de nouvelles méthodes, de nouvelles données. La multiplication des accords régionaux et des systèmes de préférences commerciales De nouveaux enjeux : outre les questions soulevées précédemment, l’économie internationale se concentre aujourd’hui régulièrement sur le thème des stratégies d’ouverture des économies, soit le triptyque multilatéralisme-régionalisme-préférences commerciales. L’ouverture de nouvelles négociations commerciales multilatérales s’est faite sous le signe du développement (Doha Development Round). Elles devraient se concentrer sur la libéralisation des marchés de biens agricoles, mais aussi manufacturés, des services, sur la question des droits de la propriété intellectuelle et de la facilitation des échanges. Le multilatéralisme reste donc un enjeu essentiel du commerce international, malgré l’apparent accroissement des difficultés et des tensions dans le processus de négociations dont l’échec de la Conférence ministérielle de l’OMC à Cancún en septembre 2003 est le meilleur témoin. Néanmoins depuis dix ans, les accords régionaux se multiplient. Le régionalisme a même eu tendance à devenir la forme privilégiée de coopération commerciale internationale. La littérature économique récente y voit des comportements d’autoassurance ou d’auto-protection (Wu, 2003). Quasiment tous les pays du monde sont actuellement membres d’un accord régional, ou en passe de le devenir (1). Alors que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne compte que 146 membres (comptage officiel de l’OMC en date d’octobre 2003), plus de 170 accords régionaux, d’après l’OMC, sont actuellement en vigueur, une majorité d’entre eux ayant été signés au cours des dix dernières années. Aujourd’hui, des accords importants sont en cours de négociation, le Pacte des Amériques, ou encore un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, pour ne citer que deux des plus importants en termes de poids économique. L’Union européenne est aussi concernée par le biais de son élargissement à l’Est. Ce numéro revient sur cette dernière question en réexaminant notamment le potentiel de croissance des échanges entre les deux zones, l’impact direct des flux actuels sur les créations d’emplois, la structure actuelle de ce commerce et son évolution récente. 1. D’après la base MacMaps (Bouët, Fontagné et Mimouni, 2003), seuls Cuba, le Nigeria, l’Iran, la Mongolie, Nauru, les îles Marshall et les îles Vierges américaines ne font pas actuellement partie d’un accord commercial bilatéral ou régional, ou ne font pas l’objet d’un traitement préférentiel – cet accord pouvant être en cours de négociation. Même le Japon et la Corée du Sud, qui étaient les derniers pays industrialisés à ne pas avoir d’accord régional, ont pris récemment part au mouvement en signant un premier accord en 2002 avec Singapour pour le Japon (entré en vigueur le 30/11/2002) et avec le Chili pour la Corée du Sud (signé le 24/10/2002). 6 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 Une forme voisine de coopération internationale est constituée par le réseau des préférences commerciales accordées de façon unilatérale par un grand nombre de pays du Nord aux pays en développement. L’Union européenne a ainsi « empilé » les préférences : Système généralisé de préférences, accord de Cotonou, accord « Tout Sauf les Armes », etc. Les États-Unis ont favorisé les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes et plus récemment les pays africains avec l’AGOA (African Growth Opportunity Act). Deux questions fondamentales se posent à propos des préférences commerciales. Ces régimes constituent-ils un levier efficace de promotion des exportations des pays en développement ? Des accords régionaux et multilatéraux peuvent-ils remettre en cause l’efficacité des préférences ? Paradoxalement, les préférences commerciales ne sont généralement pas totalement utilisées par les pays qui y sont éligibles (2). Ceux-ci exportent aussi au taux de la nation la plus favorisée (NPF), c’est-à-dire sous le régime commun auquel le pays importateur s’est engagé auprès de l’OMC. Pourquoi ces pays renoncent-ils aux avantages qui leur sont accordés par les pays riches ? Les règles d’origine, contenues dans tous ces systèmes préférentiels, constituent certainement la cause majeure de cette faible utilisation des préférences. Si ces réglementations permettent de lutter efficacement contre les détournements de commerce, elles apparaissent souvent trop restrictives. Les économistes internationalistes commencent à étudier de manière conséquente ce type de problème (Estevedeordal, 2000). Les taux d’utilisation des régimes préférentiels semblent en tout cas varier sensiblement selon le pays exportateur, le type de produit concerné, le régime de règle d’origine adopté ou selon la marge préférentielle concédée par rapport au régime multilatéral. Avec la remise en cause de leur efficacité, les préférences commerciales sont, ou apparaissent, menacées par les négociations commerciales multilatérales et l’extension des accords régionaux. Les pays d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes, par exemple, insistent beaucoup sur la menace actuelle d’érosion des marges préférentielles que leur ferait subir le Doha Round. Ce numéro aborde ce thème par le biais de l’impact de l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale (Peco) sur l’efficacité des accords euro-méditerranéens. L’intégration de ces dix nouveaux pays constitue a priori une menace de concurrence sur les avantages comparatifs des pays méditerranéens et un risque d’éviction pour les investissements directs. L’impact de l’élargissement sur ces pays bénéficiant d’une « discrimination positive » est toutefois plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. En effet, le marché de l’Union européenne aura une taille sensiblement supérieure après l’élargissement. Par conséquent, tous les pays disposant d’un accès préférentiel à ce marché bénéficieront de cet accroissement, relativement aux pays dont les exportations tombent sous le régime de la nation la plus favorisée. Sans trancher systématiquement sur le bilan de ce type de processus, la théorie économique apporte donc une réponse nuancée et met en évidence la possibilité d’effets positifs. 2. Selon la Cnuced, les exportations des Pays les Moins Avancés (PMA) vers l’Union européenne n’utilisaient ainsi les taux préférentiels auxquels ils ont droit que pour environ 30 % de leur valeur totale en 1999 – cf. UNCTAD (2001). Mais ces évaluations sont sujettes à caution car lorsque un taux préférentiel n’est pas utilisé, ce peut être parce que l’exportateur utilise un autre régime préférentiel. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 7 Autre enjeu actuel de l’économie internationale, l’internationalisation des firmes. Celleci est à l’origine de la constitution de grands groupes multinationaux. Ce processus suscite de nombreuses interrogations : quelle est la logique suivie, d’un point de vue sectoriel et géographique ? Comment mesurer cette internationalisation ? Ce processus n’implique-t-il pas des évolutions annexes très problématiques (gouvernance et contrôle des groupes, endettement, etc.) ? Quel est l’impact de l’internationalisation des firmes sur les rémunérations des facteurs travail et capital ? Là encore, ce numéro aborde largement ce thème récurrent de l’économie internationale par le biais de la mesure de l’internationalisation, de l’étude de la croissance récente de l’endettement de quelques grands groupes ainsi que de comparaisons internationales de rémunérations du travail et du capital. Des améliorations méthodologiques fondamentales Des nouvelles méthodes : des améliorations méthodologiques fondamentales parcourent l’économie internationale depuis quelques années. D’abord, celle-ci intègre de plus en plus les méthodes et les résultats de l’économie industrielle. Les emprunts à ces modèles sont en réalité la norme depuis la fin des années 1970 et la naissance de la théorie du commerce international en concurrence imparfaite. La « Nouvelle théorie du commerce international » a largement bénéficié des innovations méthodologiques des économistes industriels. La phase actuelle intègre les avancées récentes de l’analyse de la structure interne de la firme en situation d’information asymétrique. Cet enrichissement permet notamment de comprendre la réaction des firmes, en termes d’organisation interne, à l’ouverture des économies et à la globalisation. Ce nouveau cadre permet de dépasser largement les enjeux traditionnels fixés par le débat Krugman-Thurow du début des années 1990. Ce débat cherchait à départager le progrès technique et le commerce avec les pays du Sud comme facteur explicatif de la montée des inégalités sur le marché du travail dans les pays du Nord. Le nouveau cadre permet de comprendre que les innovations sont très souvent endogènes au changement d’environnement que constitue la libéralisation commerciale. Les progrès scientifiques sont parfois liés à l’assouplissement de certaines contraintes techniques. Ainsi, la très forte augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs a permis une meilleure qualité et une plus grande sophistication des Modèles d’équilibre général calculable (MEGC) au cours des dernières années. Les MEGC sont des outils précieux de simulation et d’aide à la décision, qui font l’objet d’une large demande sociale et politique. Ces instruments d’évaluation ont récemment intégré, après la concurrence imparfaite au cours des années 1980, la différenciation verticale et horizontale des produits, la dynamique endogène, les imperfections sur les marchés de facteurs, la modélisation des investissements directs à l’étranger, etc. L’apport décisif de nouvelles bases de données Des nouvelles données : on a enfin assisté, au cours de ces dernières années, à des progrès décisifs dans la qualité et la disponibilité des sources statistiques utilisées par les économistes « internationalistes ». 8 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 Une partie de ces progrès est liée à l’émergence d’une littérature empirique importante et influente qui s’attache à expliquer les comportements des acteurs des échanges internationaux, d’où l’importance de disposer de données individuelles. Les phénomènes analysés dans ces études concernent par exemple les facteurs explicatifs de la décision d’exporter (Roberts et Tybout, 1997a et 1997b) et la mise en évidence de coûts fixes importants dans cette décision. De même, la recherche d’éventuelles externalités technologiques entre les filiales de multinationales et les firmes locales de pays en développement a très fortement bénéficié de l’existence de données individuelles concernant les établissements (Aitken et Harrison, 1999). Un dernier exemple est l’utilisation d’enquêtes pour tenter d’identifier l’impact redistributif de l’ouverture internationale. O’Rourke et Sinnot (2001), ainsi que Mayda et Rodrik (2001) cherchent ainsi à expliquer l’attitude des individus quant à l’ouverture des frontières de leur pays selon leur niveau de qualification et leur secteur d’appartenance pour tester les prédictions du modèle factoriel et du modèle à facteurs spécifiques. L’utilisation de nouvelles bases de données et de nouvelles méthodes économétriques a donc permis à la fois de proposer de nouveaux « angles d’attaques » pour des questions existantes (affinant très souvent les résultats de manière importante) et de poser de nouvelles questions, pour lesquelles les données individuelles sont indispensables. L’exploitation de ces nouvelles sources d’information enrichit réellement l’analyse économique. Au sein des bases de données individuelles, celle construite par Pierre Biscourp et Francis Kramarz grâce à l’appariement des fichiers d’entreprises et de ceux des transactions internationales offre des informations par entreprise sur les secteurs d’appartenance, l’emploi total, la structure de l’emploi par qualification, les opérations d’exportation et d’importation, les types de produits échangés, les pays d’origine et de destination. Dès lors, les effets de l’internationalisation sur le comportement des firmes, leur réaction en matière d’organisation peuvent être analysés d’une manière plus détaillée à l’aide d’analyse micro-économétriques. Ensuite, on citera également la disponibilité de bases sur le commerce international bilatéral à un niveau très désagrégé (Eurostat et sa base Comext, notamment), sur la protection commerciale intégrant les accords régionaux et les préférences commerciales (les données du NBER pour les échanges des États-Unis récemment mis à disposition par Robert Feenstra et John Romalis, la création de la base mondiale MAcMaps par l’ITC (Cnuced et OMC) et le Cepii). Les progrès accomplis grâce à ces nouvelles sources sont là aussi importants. Les données de commerce et de protection douanière des États-Unis à un niveau extrêmement fin pour la dernière décennie ont par exemple permis de mettre en évidence des effets de création de commerce très importants liés à l’Alena et d’identifier précisément les secteurs pour lesquels les craintes de détournement de commerce sont justifiées (Romalis, 2002). À l’autre extrémité du spectre, et concernant les données sectorielles, force est de constater l’importance du phénomène d’extension du réseau GTAP (Global Trade Analysis Project). Conçu depuis l’Université de Purdue aux États-Unis, ce consortium développe de façon partagée une base de données à partir de procédures normalisées pour des modélisations en équilibre général calculable pouvant couvrir jusqu’à 76 zones géographiques, 57 secteurs d’activité et 5 facteurs de production. Cette base, à la fois riche et flexible, permet de multiplier les travaux d’analyse et de concentrer les efforts sur la modélisation. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 9 L’économie internationale s’est ainsi fixé de nouveaux objectifs tout en se donnant les moyens de satisfaire cette nouvelle ambition. Ce numéro d’Économie et Statistique tente d’illustrer cet enrichissement thématique et méthodologique. Il comprend douze articles regroupés en quatre parties : ouverture et inégalités sur le marché du travail, attractivité, endettement et rentabilité, ouverture à l’Est et au Sud. Son contenu est complété par des commentaires d’économistes sur un article particulier ou, à deux reprises, sur deux articles dont les thèmes apparaissaient proches. Cette structure article/commentaire permet d’enrichir considérablement le débat. Le progrès technique est endogène au commerce international Les quatre premiers articles ont trait à l’incidence de l’ouverture d’une économie sur le fonctionnement et les équilibres du marché du travail. Ils sont novateurs et dépassent à la fois la vision traditionnelle de la théorie néo-classique, l’approche de la nouvelle économie internationale à la Helpman-Krugman fondée sur la prise en compte de l’imperfection de la concurrence, et le débat, maintenant ancien, qui oppose mondialisation et progrès technique dans les responsabilités de la montée des inégalités. L’article de Mathias Thoenig et Thierry Verdier est consacré aux inégalités entre travail qualifié et travail non qualifié, et part du refus de l’alternative classique progrès technique ou commerce international comme force d’accroissement de ces inégalités. Il soutient en fait que le progrès technique est lui-même endogène au commerce international. En s’appuyant sur l’idée d’innovation défensive de Neary (2002), il montre qu’en réponse à la croissance de la concurrence entre firmes qui fait suite à l’ouverture d’une économie, celles-ci innovent et font parallèlement appel à une maind’œuvre plus qualifiée. Cette séquence s’applique non seulement au commerce NordSud (non-respect des droits de la propriété intellectuelle), mais aussi au commerce NordNord (renforcement de la concurrence sur les produits, d’où intensification de la recherche technologique pour récupérer des profits monopolistiques). Certaines conclusions sont fondamentales. D’une part, on a souvent dit que le commerce international Nord-Sud n’était pas responsable de la croissance des inégalités car les flux en jeu sont trop faibles (cet argumentaire est souvent repris sous le nom de « critique de Krugman » (3)). Or, l’argument de l’innovation défensive montre que des flux commerciaux importants ne sont pas nécessaires pour expliquer une croissance de la demande de travail qualifié provoquée par l’ouverture. D’autre part, dans ce cadre, le commerce Nord-Nord peut aussi être responsable de la croissance des inégalités sur le marché du travail. Selon le rapport 2002 de l’OMC (4), 42 % des exportations mondiales résultaient de flux entre les différents pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord en 2001. Pour cette même année, 77,2 % des importations de l’Europe de l’Ouest en 2001 provenaient des trois principales puissances commerciales : Europe de l’Ouest elle-même (66,4 %), Amérique du Nord (8 %), Japon (2,8 %). L’Amérique du Nord importait, quant à elle, à hauteur de 55,3 % en provenance de ces mêmes trois groupes de partenaires (Amérique du Nord, 25,8 % ; Europe de l’Ouest, 19,6 % ; Japon, 9,9 %). La possibilité 3. Krugman a développé ses arguments sur ce thème dans de nombreuses références. La version la plus simple est certainement celle de son ouvrage de 1995 Pop Internationalism (traduit en français sous le titre La mondialisation n’est pas coupable).Le numéro spécial du Journal of International Economics publié en 2000, fait également un tour très complet de la question. 4. http ://www.wto.org/english/res_e/statis_e/statis_e.htm 10 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 d’obtenir de forts effets redistributifs dans le cadre d’échanges entre pays riches est donc un élément essentiel du débat, compte tenu de la distribution actuelle des flux commerciaux mondiaux. Enfin, Thoenig et Verdier proposent une étude empirique qui utilise des données d’entreprises et qui explicite le mécanisme de l’innovation défensive. Exporter requiert toujours plus de main-d’œuvre qualifiée L‘article d’Éric Maurin, David Thesmar et Mathias Thoenig fait la différence entre services de fabrication et services d’administration et de commercialisation à l’intérieur d’une entreprise pour vérifier la relation selon laquelle la réaction des firmes à l’ouverture n’est pas tant une réaction d’innovation de produit que la nécessité pour celles-ci de posséder une main-d’œuvre plus qualifiée pour assurer l’administration d’une opération d’exportation et la commercialisation du même produit à l’étranger. Exporter serait donc à l’origine d’une demande plus forte de travail qualifié et ce, quelle que soit la destination du produit. La combinaison de trois sources statistiques permet aux auteurs de constituer un panel de 5 900 entreprises avec production, emploi total, exportations et marché de destination, structure des emplois par fonction et qualification sur 1988-1992. Globalement, les entreprises exportatrices utilisent plus intensément le travail qualifié (25 % de plus). Ceci est vrai dans toutes les fonctions internes de l’entreprise, mais surtout dans les services d’administration et de commercialisation. De plus, les auteurs montrent qu’exporter requiert toujours plus de main-d’œuvre qualifiée, mais encore plus quand on exporte vers le Sud. L’ouverture restructure les marchés du travail L‘article de Daniel Mirza est important puisqu’il s’agit de la mise en évidence d’une relation entre parts de marché à l’exportation et salaires. La relation testée est fondée sur un modèle en équilibre partiel, un oligopole sur le marché des produits superposé à un modèle de négociation interne entre employeurs et syndicats sur le partage de la rente. Dans sa forme réduite, le modèle prédit que les salaires réels par branche d’activité dépendent des parts de marché locales et à l’exportation, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Deux éléments conditionnent la liaison entre parts de marché à l’exportation et salaires : d’un côté, une part de marché plus grande à l’exportation signifie des profits plus importants ; de l’autre, un pouvoir syndical suffisamment fort permet une redistribution de ces profits plus importants aux salariés. L’auteur prolonge donc la problématique de Borjas et Ramey (1995) ; il montre que dans la majeure partie des secteurs, une croissance des ventes locales ou des exportations affecte positivement les salaires réels. L'ouverture internationale peut donc profiter aux salariés des entreprises exportatrices. Dans un second temps, deux effets sur la demande de main-d’œuvre sont estimés sur chaque marché : d’une part, un effet de substitution main-d’œuvre locale/main-d’œuvre étrangère et d’autre part, un effet de demande. L’ouverture provoque une baisse générale des prix qui accroît la demande de produits locaux et de produits étrangers, donc un accroissement de demande des deux types de main-d’œuvre. Les deux effets sont positifs ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 11 sur la main-d’œuvre locale impliquée dans la production destinée à l’exportation. L’ensemble des effets est vérifié dans le cadre d’une régression expliquant la demande de travail des pays de l’OCDE. La globalisation agit donc par des effets visibles de créations d’emplois et/ou d’augmentations de salaires dans les secteurs exportateurs et de destructions d’emplois dans les secteurs les plus exposés à la concurrence des importations. Elle intervient aussi par le biais d’effets indirects, macro-économiques, comme une baisse du niveau général des prix. Ces effets visibles de créations et de destructions d’emplois se retrouvent dans la contribution de Pierre Biscourp et Francis Kramarz qui mesurent des corrélations entre demande de travail, nature et intensité de l’internationalisation. Leur base de données permet de relier, pour une même entreprise, son comportement international (exportatrice ou importatrice), l’intensité, l’origine ou la destination de ses transactions, l’importance de sa main-d’œuvre, sa répartition entre différentes fonctions (production, commercialisation, administration) et sa qualification. Les auteurs montrent ainsi que l’internationalisation est majoritairement associée à une diminution des emplois de production, et une baisse de la demande de travail non qualifié dans l’emploi de production. Une analyse de variance confirme que l’internationalisation est, le plus souvent, associée à des destructions d’emplois et à une baisse de l’emploi ouvrier. Au total, cette première partie met tout d’abord à jour l’existence de conséquences positives et négatives de l’ouverture des frontières sur le marché du travail. Il est même possible qu’à certaines périodes, l’impact ait été globalement négatif en termes d’emploi. Mais elle montre également un effet restructurant de l’ouverture sur ce marché, non pas uniquement par le bas (concurrence des pays à bas salaires), mais aussi par le haut (réorganisation des entreprises françaises pour profiter de l’accroissement de la taille des marchés sur lesquelles elles interviennent, recentrage du travail autour des activités de commercialisation et d’administration de l’entreprise, réaction par l’innovation, etc.). On peut même penser, comme le note Marc Gurgand dans son commentaire, que l’internationalisation joue sur des mécanismes plus généraux, et que l’accroissement des pressions concurrentielles et la recherche d’une plus grande flexibilité demandent toujours plus de capital humain. La difficile mesure de l’attractivité des territoires La notion d’attractivité des territoires est un thème central depuis une dizaine d’années. Elle est liée au problème des délocalisations et des investissements directs à l’étranger, et semble avoir évincé les inquiétudes sur les notions de compétitivité et de solde commercial. Le rapport récent du Conseil d’analyse économique sur la compétitivité (Debonneuil et Fontagné, 2003) est très instructif à cet égard, comprenant une large part directement consacrée à l’attractivité du territoire français et notamment au rôle de la fiscalité. En fait, une très grande partie des propos tenus sur la notion d’attractivité manque de fondements théoriques solides et donc souvent de rigueur dans les arguments avancés. Ce défaut fait écho au manque de cadre unique de référence dans la littérature 12 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 académique. Autre problème, les études statistiques sont délicates en raison de l’insuffisance de données et de la difficulté à construire des indicateurs adéquats : c’est le cas notamment pour les problèmes de fiscalité car les législations dans ce domaine sont particulièrement complexes à appréhender. Pourtant, il existe plusieurs cadres théoriques ainsi que des applications empiriques associées qui peuvent fournir des éléments importants et rigoureux au débat. D’où l’importance d’une étude d’ensemble sur la question, afin de situer de manière synthétique les problématiques et de mettre en exergue les difficultés communes que rencontrent ces études. Benoît Cœuré et Isabelle Rabaud rappellent que les déterminants théoriques de l’attractivité sont la taille de la demande locale, le nombre de firmes déjà présentes (qui peut représenter une force d’attraction – bénéficier d’externalités positives – ou une force de dispersion – trop forte concurrence), le coût du travail, l’existence de mesures fiscales incitatives, la qualité du capital humain et celle des infrastructures publiques. Par ailleurs, les décisions de localisation se font de manière séquentielle. Les résultats des études économétriques montrent l’importance de la taille du marché local et des considérations fiscales. Un des enseignements de cet article est le contraste entre les analyses empiriques fondées sur un questionnement théorique préalable d’une part et la myriade d’indicateurs d’attractivité/compétitivité proposés par divers organismes d’autre part. Même si la construction de tels indicateurs paraît de prime abord potentiellement riche en enseignements, le peu de lisibilité et de discernement dans leur construction rend leur interprétation difficile et souvent énigmatique, au vu de la volatilité des classements selon l’indicateur et l’année retenus. Toute conclusion définitive dans ce domaine est, comme le rappellent les auteurs, souvent fragilisée par l’absence de données de qualité et la très grande difficulté de construire des indicateurs synthétiques pertinents. Les problèmes d’indisponibilité et de faible qualité des données touchent également les approches économétriques, mais plus dans leur application pratique que dans leur conceptualisation. À cet égard, le tour d’horizon des données françaises disponibles sur les investissements directs de Cœuré et Rabaud se révélera extrêmement utile pour guider les investigations des chercheurs dans le domaine. L’internationalisation des entreprises ne se fait pas au détriment des marchés locaux Les deux contributions suivantes permettent de confirmer des conclusions économétriques déjà établies ou de construire des nouveaux indicateurs statistiques sur la mondialisation. Jean-Louis Mucchielli et Florence Puech confirment le caractère séquentiel des décisions de localisation de firmes multinationales françaises dans sept pays européens. Ils montrent que ces firmes choisissent d’abord la nation hôte, puis la région d’accueil, en privilégiant des variables qui n’interviennent chacune qu’à une séquence du processus : le coût du travail pour le territoire national, le nombre d’entreprises déjà présentes (force d’agglomération) et la taille du marché local, au niveau de la région. François Benaroya et Édouard Bourcieu cherchent à construire des indicateurs adéquats pour saisir le phénomène complexe d’internationalisation des firmes. Ils partent du constat selon lequel la très grande majorité des indicateurs de mondialisation ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 13 des firmes repose sur la dichotomie national/étranger, comme par exemple, la part des effectifs du groupe employés à l’étranger. Rien n’indique dans ces indicateurs la répartition des activités de la firme à l’échelle planétaire. Ils proposent alors d’appliquer des indices d’Herfindahl et évaluent pour chaque groupe un indicateur signifiant le nombre de pays dans lesquels il intervient, en exploitant la base de données Dun et Bradstreet. On peut alors pondérer cet indicateur pour intégrer la taille économique du marché d’accueil. Ils évaluent finalement un degré de mondialisation en rapportant cet indicateur au nombre de pays présents dans la base. En fait, deux questions sont posées : les grandes firmes françaises ont-elles récemment accru leur internationalisation ? Considèrent-elles le marché mondial comme unique, comme un « village global » ? L’étude montre que les firmes ont récemment encore accru leur degré de mondialisation, mais qu’il existe une marge de croissance de cet indicateur ; autrement dit, les grands groupes mondiaux privilégient encore fortement leur marché local. Ce résultat est intéressant en ce qu’il vient nous rappeler l’utilité d’une analyse rigoureuse de certaines idées reçues (comme la « mort » des frontières nationales et de la distance dans un monde « globalisé » par exemple) qui sont parfois assénées avec beaucoup d’assurance mais reçoivent peu de soutien empirique sérieux. Les difficultés des évaluations financières de l’internationalisation des entreprises L’actualité économique est souvent alimentée par des nouvelles concernant des volets financiers de la mondialisation. En effet, les nouvelles stratégies d’internationalisation des firmes les conduisent à mettre en œuvre de vastes opérations de fusions et acquisitions internationales. Ainsi, dans son édition de 2002, le World Investment Report (5) évalue les flux entrants d’investissements directs à l’étranger (IDE) et la valeur des fusions et acquisitions respectivement à 735 et 601 milliards de dollars en 2001. Des problèmes concomitants apparaissent : endettement important, variabilité de la rentabilité, gouvernance de ces firmes mondiales, croissance de la rémunération du capital, etc. Tous ces points alimentent de nombreuses appréhensions au sein du public, en particulier vis-à-vis des firmes qui semblent ainsi devenir anonymes car opaques et sans signe distinctif apparent (notamment sans signe de nationalité). L’internationalisation comme l’omniprésence ainsi que la complexité des liens financiers nourrissent en effet le fantasme d’organisations industrialo-financières apatrides, homogènes et mues par le seul profit. Cette situation semble signifier le déclin de diversités nationales au travers d’une convergence, ou d’une uniformisation, au profit de normes souvent dictées par le monde anglo-saxon. En un sens, les conclusions de Philippe Askenazy confirment l’établissement au niveau mondial d’une norme en matière de partage de la valeur ajoutée. Certes, la littérature économique a régulièrement commenté l’ampleur de la chute, en France, de la part des salaires dans la valeur ajoutée à l’inverse des États-Unis. Parallèlement, la rentabilité du capital serait plus forte aux États-Unis. Cependant, en utilisant des données sectorielles et détaillées des comptes nationaux, Philippe Askenazy modifie très largement la perception de ces deux phénomènes et confirme la convergence à l’œuvre dans un 5. http ://r0.unctad.org/wir/pdfs/wir02ove_a4.en.pdf 14 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 certain nombre de caractéristiques du marché du travail telles que des modalités de rémunération introduisant un partage du profit ou encore le développement de formes d’emploi indépendant. Au total, les deux économies apparaissent relativement similaires, tant en termes de rentabilité du capital que de partage de la valeur ajoutée, et les spécificités nationales semblent bien s’effacer au profit de standards internationaux. En quittant le domaine des données sectorielles ou nationales pour celui des informations des quotidiens économiques, on perçoit parfois un malaise dû au grand écart apparent entre ces diverses sources d’information. C’est par exemple le cas lorsqu’on est perplexe devant la stagnation, voire la régression, de l’activité nationale de certaines branches industrielles et la bonne santé, ou même l’expansion, de groupes multinationaux appartenant à ces branches. Ces contradictions apparentes, qui plaident parfois pour l’aspect mystérieux de ces firmes et souvent pour leur opacité, font l’objet d’éclaircissements notables de la part de Lise Dervieux. Celle-ci utilise les rapports annuels et les comptes consolidés entre 1977 et 2001 de 32 groupes non financiers rentrant dans la composition du CAC 40 et représentant au total 15 % de la production française pour tenter de caractériser l’internationalisation du système productif français. La progression des effectifs mondiaux de ces groupes est particulièrement forte sur la période d’observation, de 50 % environ, ce qui contraste totalement avec l’effritement des effectifs de ces mêmes firmes sur le sol français. Encore plus impressionnante est la hausse des immobilisations incorporelles mondiales de ces entreprises, quoique cette statistique regroupe des éléments très disparates : fonds commerciaux, logiciels spécifiques, parcs d’abonnés payants, fonds éditoriaux, etc. Dans le même temps, la difficulté de ces mesures, ou plutôt la déconnexion croissante entre les réalités perçues sur un plan national et sur un plan global, concrétise l’opacité que confère aux entreprises leur mouvement au-delà des frontières nationales. De fait, on peut réellement parler d’une certaine autonomisation des firmes par rapport à leur base nationale, ce qui confirme le sentiment diffus d’anonymat consécutif à une perte de nationalité. Cette très forte internationalisation des grandes entreprises rend en fait urgente l’adoption de normes comptables allant dans le sens d’une plus grande homogénéité internationale et d’une plus grande transparence. L’article suivant nuance quelque peu la crainte répandue d’une uniformité spatiale et de pertes des repères nationaux. En effet, après un exposé des difficultés méthodologiques rencontrées, Claude Picart observe que l’internationalisation des grands groupes français a entraîné une forte croissance de leur endettement sur la période 1984-2001. Ainsi, pour les sous-périodes 1989-1993 puis 1997-2001, la très forte détérioration des ratios d’endettement ne concerne en fait que quelques grands groupes cotés, le reste des entreprises françaises ayant au contraire tendance à se désendetter. Cette évolution est donc liée aux opérations de mondialisation et notamment à la grande vague de fusions et d’acquisitions, concernant quelques dizaines de groupes. Le plus remarquable est que cet endettement est centralisé au sein de ce qui subsiste comme base nationale au milieu de ce processus de multinationalisation, ceci infirmant le sentiment d’anonymat et surtout le diagnostic de la finance « apatride » en en montrant la distribution dans l’espace. Quelques conséquences pour l’UE de l’ouverture vers l’Est et le Sud Jusqu’à la fin des années 1980, les économies du Nord ont plutôt privilégié une ouverture avec d’autres pays du Nord, c’est-à-dire des échanges internationaux entre ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 15 économies similaires. En témoignent les statistiques du commerce international, la part croissante des échanges intra-branche depuis les années 1960, mais aussi la moindre libéralisation observée dans les secteurs où les pays en développement ont un avantage comparatif (agriculture, agro-alimentaire, textile-habillement) et le peu d’accords régionaux Nord-Sud observés avant 1990. Depuis cette date, les économies du Nord apparaissent davantage sensibilisées à une ouverture à des économies dont le revenu par tête est inférieur : multiplication des préférences commerciales, accord de libre-échange nord-américain, élargissement de l’Union européenne à l’Est, Round du développement, etc. C’est un type d’ouverture nouveau qui est ici en jeu et ses implications économiques à long terme devraient être différentes. Vincent Aussilloux et Michaël Pajot étudient les conséquences potentielles, en termes d’emploi et de commerce, de l’élargissement de l’Union européenne en se concentrant sur six Peco. La méthode des contenus en emploi, même si elle apparaît statique et quelque peu fruste, permet de montrer que les échanges actuels de la France avec ces six pays génèrent plus d’emploi qu’ils n’en feraient perdre par les quantités importées. Mais c’est avant tout l’excédent commercial de la France qui explique ce résultat, car bien évidemment, le contenu en emploi des exportations de la France vers cette zone est, en général, plus faible que celui des importations. À l’aide d’une équation gravitaire, les auteurs montrent que le potentiel de croissance des échanges commerciaux entre ces pays est important, notamment les exportations des Peco vers l’Union européenne à 15, excepté pour la Hongrie. Une analyse structurelle tend à conclure à une inadéquation des exportations de ces pays à la demande européenne. De la même façon, le potentiel de croissance des investissements directs de l’Europe vers ces pays est encore fort. Cette étude montre bien la dynamique prévisible des relations économiques Union européenne-Peco. L’approfondissement de l’intégration entre ces deux groupes de pays peut-il avoir également des conséquences sensibles sur des pays tiers ? Hedi Bchir, Yvan Decreux et Michel Fouquin étudient les conséquences de l’élargissement de l’Union européenne vers les pays d’Europe de l’Est sur les relations commerciales euro-méditerranéennes. Il s’agit d’un problème central, tant on a mis en évidence ces dernières années le risque d’éviction que couraient les pays méditerranéens à l’occasion de ce processus d’élargissement : risque sur leurs exportations de produits industriels et de textile et habillement notamment, risque d’une réorientation des investissements directs des pays de l’Union européenne actuelle vers les Peco. Parallèlement à l’élargissement de l’UE aux Peco, la mise en place des accords Euroméditerranée ouvrira les frontières méditerranéennes aux produits industriels européens, alors que la réciproque est acquise depuis presque dix ans, et que rien n’est encore signé dans le domaine agricole. Il s’agit donc d’un processus asymétrique dont les dangers potentiels ont souvent été soulignés. Une modélisation en équilibre général calculable permet très justement de resituer les termes du débat en donnant une estimation des effets de ces divers accords. Ainsi l’analyse montre bien que les avantages comparatifs des uns et des autres ne sont pas les mêmes et que les risques d’éviction sont minimes. Par ailleurs, l’ouverture des frontières européennes aux produits agricoles des pays méditerranéens représenterait pour eux une 16 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 source de croissance non négligeable de leurs exportations, alors que les effets sur la production agricole européenne seraient faibles. * * * Plus encore peut-être que tous les autres champs de l’économie, l’économie internationale est exposée au débat public, notamment sur le thème des bienfaits et des méfaits de la mondialisation. La science économique peut alors apparaître déconnectée de l’opinion publique, surtout lorsqu’elle est décrite comme unanimement libreéchangiste. Or l’économie internationale ne défend pas le thème de la « mondialisation heureuse » : l’ouverture a depuis longtemps été analysée comme l’origine d’un mouvement restructurant de l’appareil productif et d’un conflit redistributif interne. Les analyses théoriques et empiriques actuelles illustrées par les contributions à ce numéro en sont en ce sens le prolongement, car elles décrivent l’ouverture comme un processus de disparition et de renforcement d’entreprises et, au sein de celles-ci, de modification de la demande de travail, entre services et entre qualifications. Le bilan n’est certes pas toujours facile à établir, d’autant plus qu’il peut dépendre de facteurs structurels (qualité des institutions internes, capacité de l’économie à innover, à capter les nouvelles technologies, etc.), politiques (stratégie et rythme d’ouverture, degré de complexité des politiques commerciales, etc.) et de paramètres géographiques. Il est néanmoins important de dépasser la présentation simpliste qui est souvent faite des implications de politique économique de la recherche dans ce domaine, pour pouvoir utiliser ses résultats. Un exemple particulièrement représentatif de cette tendance est la reconnaissance du facteur institutionnel dans le processus de développement : Rodrik et al. (2002) montrent dans un article très récent que l’ouverture au commerce ne semble pas exercer d’influence significative sur le revenu par tête des pays en développement indépendamment de la « qualité » de ses institutions, même si l’ouverture peut avoir un impact positif indirect au travers d’une amélioration des institutions. Désamorcer certaines des peurs (ou des enthousiasmes) excessifs de l’opinion publique vis-à-vis de l’internationalisation de l’économie française passera certainement en partie par un travail « pédagogique » de ce type, mené à la fois par les spécialistes et les décideurs. Antoine Bouët Catt et Cepii Thierry Mayer Université de Paris-Sud, Cepii, Ceras et CEPR ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 363-364-365, 2003 17 BIBLIOGRAPHIE Aitken B.J. et Harrison A.E. (1999), « Do Domestic Firms Benefit from Direct Foreign Investment ? Evidence from Venezuela », American Economic Review, vol. 89, n˚ 3, pp. 605618. Baldwin R. (1995), « A Domino Theory of Regionalism », in Expanding European Regionalism : The EU's New Members, Baldwin R, P. Haaparanta and J. Kiander (eds.), Cambridge University Press. Borjas G. et Ramey V. (1995), « Foreign Competition, Market Power, and Wage Inequality », Quarterly Journal of Economics, vol. 110, n˚ 4, pp. 1075-1110. Mayda A.M. et Rodrik D. (2001), « Why are some Individuals (and Countries) more Protectionist than Others? », NBER Paper, n˚ 8461. Neary P. (2002), « Foreign Competition and Wage Inequality », Review of International Economics, vol. 10, n˚ 4, pp. 680-693. O’Rourke K.H. et Sinnott R. 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