Nurt SVD 1 (2015)
Bardesane - philosophe chrétien d'Édesse
Izabela Jurasz
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Née en 1972. Études à l’Université de Varsovie (histoire de l’art), au Pontificio Istituto
Orientale à Rome (théologie orientale), à l’Institut catholique de Paris (théologie
patristique) et à l’Université Paris IV-Sorbonne (philosophie ancienne).
I
l n'est pas facile de préciser qui était Bardesane: un philosophe? un théologien? un
hérétique? un astrologue? Toutes ces questions viennent du fait que Bardesane est devenu
un hérétique aux yeux des générations postérieures. Selon le témoignage d’Eusèbe de Césarée
– qui pourtant l’admire beaucoup – Bardesane
«avait d’abord été de l’école de Valentin, mais il la méprisa et réfuta la plupart des
fables de cet homme, et il se parut à lui-même d’être revenu à l’opinion plus
orthodoxe. Cependant, il ne parvint pas à laver complètement la tache de l’ancienne
hérésie»1.
Nous savons que Bardesane est né vers 154, probablement à Édesse. Son nom BarDaïsan veut dire «le Fils du Daïsan», de la rivière qui arrose Édesse. Cependant, la famille de
Bardesane venait d'une autre ville – Mabboug, où son père était le prêtre d'un culte païen.
C'est à Mabboug, près du grand sanctuaire de la déesse Atargatis, où le jeune Bardesane a
reçu sa première formation intellectuelle. Envoyé à Édesse, capitale du petit royaume
d'Osrohène, il y a poursuivi ses études, mais il a aussi rencontré les chrétiens. Déjà chrétien, il
a perfectionné ses connaissances en philosophie à Apamée et Antioche, les grandes villes de la
Syrie gréco-romaine. Grâce à sa grande érudition, il est devenu un personnage important à la
cour du roi Abgar, le premier roi chrétien d'Édesse. Il est mort en 222, en Arménie, où il
s’était réfugié après la suppression du royaume d'Osrohène par Caracalla.
Bardesane devait être un personnage très connu à son époque, car il existe à son sujet
de nombreuses mentions chez les historiens grecs et latins. Julius Africanus (+250) mentionne
1
Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique IV, 30, 3; G. Bardy (éd.), Sources chrétiennes 31, Paris 1952, p.
215.
2
la rencontre avec «le Parthe» Bardesane à la cour d’Abgar, roi d’Édesse 2. Eusèbe de Césarée
(+340) parle beaucoup de lui et il a même conservé de longs passages de l’un de ses écrits.
Sozomène (+450) parle des hymnes composées par son fils Harmonius selon les mètres et les
modes musicaux grecs et de la réaction qu’elles provoquèrent chez Éphrem le Syrien 3. Pour
l’auteur de la Réfutation de toutes les hérésies il est à la fois un polémiste antimarcionite
«arménien» et représentant de la gnose valentinienne4.
Célèbre de son vivant, Bardesane est aussi le premier auteur chrétien de la langue
syriaque. Cependant, son œuvre est difficile à classer. Les auteurs postérieurs traitent
Bardesane comme hérétique, ce qui explique une quasi-disparition de ses écrits originaux.
Paradoxalement, ceux qui l’ont combattu, ont souvent sauvegardé des fragments de ses écrits.
Le meilleur exemple est celui d’Éphrem le Syrien (+373) qui cite Bardesane dans les
Réfutations en prose contre Mani Marcion et Bardesane et les Hymnes contre les hérésies5. En
comparaison avec lui, les témoignages des autres auteurs sont beaucoup plus modestes, même
si très nombreux6. Un des admirateurs de Bardesane fut Eusèbe de Césarée qui cite dans la
Préparation évangélique un très long fragment d’un dialogue intitulé en grec Sur le destin,
mais plus connu sous son titre syriaque Livre des lois des pays7. Ce Livre n’a pas été écrit par
Bardesane lui-même, mais par son disciple nommé Philippe, peu après la mort du maître ou
peut-être même encore de son vivant8. Les autres écrits de Bardesane ne nous sont pas
parvenus, mais Eusèbe de Césarée parle de Dialogues contre les Marcionites, ainsi que de
«très nombreux autres ouvrages», dont il loue l’«éloquence puissante»9.
Édesse, ville de Bardesane
2
Julius Africanus, Cestes I, 20; cf. J.-R. Vieillefond, Les Cestes de Julius Africanus. Etude sur l’ensemble des
fragments avec édition, traduction et commentaire, Florence 1970, p. 184-185.
3
Sozomène, Histoire ecclésiastique III, 16,5-7; A.-J. Festugière, G. Sabbah (éds), Sources chrétiennes 418, Paris
1996, p. 151-153. Éphrem lui-même atteste aussi dans les Hymnes contre les hérésies 53, 5 que c’est Bardesane
lui-même qui a composé des hymnes et les psaumes avec leur musique, et qu’il a aussi introduit des mesures.
4
Cf. Refutatio VII, 31 et VI, 35.Cette œuvre était jadis attribuée à Hippolyte de Rome.
5
Éphrem, Prose Refutations of Mani, Marcion and Bardaisan, v. 1 – C.W. Mitchell (éd.), London 1912, v. 2 –
A.A. Bevan, F.C. Burkitt (éds), London 1921; Ephrem, Hymni contra Hæreses, E. Beck (éd.), Corpus
Scriptorum Christianorum Orientalium / Scriptores Syri 76-77, Leuven 1957.
6
Dernière édition des sources bardesanites récolte environ quarante témoignages sur Bardesane; cf. Bardesane,
Contro il fato, I. Ramelli (éd), Edizioni Clemente, Roma / Edizioni Studio Domenicano, Bologna 2009.
7
Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique VI, 10,1-49; E. Des Places (éd.), Sources chrétiennes 266, Paris
1980.
8
Le texte a été découvert par l'orientaliste W. Cureton en 1845. Depuis, il a eu de nombreuses éditions en des
langues modernes. Nous utilisons ici la traduction française: F. Nau, Bardesane l’astrologue, le Livre des lois des
pays, Paris 1899.
9
Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique IV, 30; p. 215.
3
Pour comprendre la complexité de la pensée de Bardesane, il convient de dire
quelques mots sur le milieu religieux et culturel qui fut le sien, à savoir la ville d’Édesse. De
fondation grecque, nommée ainsi en souvenir d’Édesse en Macédoine, cette ville fut le centre
d’une série de forteresses au nord de la Mésopotamie, dressées par les Séleucides. Cependant,
à cause des invasions successives, elle devint une ville à la fois grecque et orientale, avec des
citoyens parthes et arabes. Sa vie intellectuelle dépendait donc d’Athènes, d’Antioche, de
Pergame et de Smyrne, mais aussi de Babylone et de Séleucie-Ctésiphon. À l’aube de l’ère
chrétienne, le territoire de l’Osrhoène devint un état tampon entre Rome et les Parthes et la
scène de guerres qui durèrent tout le IIe siècle.
Édesse, selon d’Eusèbe de Césarée, fut une ville très chrétienne. Eusèbe raconte
comment son attachement au Christ commence avec l’invitation qui lui fut adressée par le roi
Abgar ; comment ses évêques se succèdent depuis l’époque apostolique ; comment la gloire
de ses martyrs fait d’elle le centre spirituel de la Syrie 10. À l’époque de Bardesane, le
christianisme édessenien a déjà produit des écrits en langue syriaque: les Odes de Salomon,
les Actes de Thomas et une version du Nouveau Testament harmonisé nommée Diatessaron.
Cependant, le christianisme d’Édesse possédait ses traits spécifiques, inconnus des
chrétiens du monde gréco-romain11. Plutôt judéo-chrétien dans ses origines, ce christianisme a
gardé une certaine influence des religions païennes orientales, parmi lesquelles se
distinguaient les cultes des divinités hellénistiques locales, les cultes de l’Empire sassanide et
la religion des Mages chaldéens. Au IIe siècle, on trouve à Édesse une forme du christianisme
hétérodoxe, très proche du judéo-christianisme, mais marqué par les croyances païennes
locales. On note également la présence du marcionisme, des diverses formes de la gnose et
plus tard encore du manichéisme. Il s’agit en fait d’une forme locale du christianisme, dont
certaines caractéristiques ont été au IVe siècle qualifiées d’«hérétiques» par rapport à
l’orthodoxie nicéenne12.
Des nombreuses traditions religieuses et philosophiques qui se rencontrent dans
l’œuvre de Bardesane ont rendu difficile la qualification unique de sa pensée comme
philosophie, astrologie ou encore comme théologie. L’histoire de la recherche montre
combien l’attachement à telle ou telle dénomination fut important, sinon décisif, pour
l’interprétation de cette pensée13. Pour montrer sa complexité, nous allons présenter deux
10
Cf. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique I, 13; IV, 30.
Cf. W. Bauer, Rechtgläubichkeit und Ketzerei im ältesten Christentum, Tübingen 1934 [réimpr. 1964], p. 6-48.
12
Cf. H.J.W. Drijvers, Cults and Beliefs at Edessa, Leyden 1980; idem, Rechtgläubigkeit und Ketzerei im
ältesten syrischen Christentum, in: Symposium Syriacum 1972, Orientalia Christiana Analecta 197, Rome 1974,
p. 291-308.
11
4
thèmes abordés par Bardesane de manière très originale: la théologie de la création et la
question du libre arbitre.
Cosmogonie de Bardesane
L’explication de la genèse et de la nature de l’univers par Bardesane a été largement
connue et commentée pendant des siècles. Cependant, dans la mesure où nous ne disposons
pas des écrits provenant de notre auteur lui-même, toute étude de sa cosmogonie est fondée
sur des témoignages tardifs, datant du VIe jusqu’au XIIIe siècle14.
Pour montrer comment la pensée de Bardesane a été transmise quelques siècles plus
tard, nous citerons la description de sa doctrine donnée par l’historien nestorien de la fin du
VIe siècle, Barhadbešabba d’Arbaïa. Sans entrer dans une polémique, il classe néanmoins
Bardesane parmi les «anciennes hérésies»:
«La cinquième hérésie est celle des Daïsanites. Ceux-ci disent [qu’il y a] beaucoup
d’êtres (ītyē) et le chef et le maître de tous n’a pas été connu de personne. Ils donnent
aussi aux éléments (ēstuksē) l’appellation d’êtres (ītyē). Ils s’expriment ainsi: le monde
résulta d’un hasard. Comment? La lumière était d’abord à l’orient, le vent en face d’elle
à l’occident, le feu au sud, les eaux en face de lui au nord, leur maître en haut et leur
ennemi, qui est dans l’obscurité, en bas. Par suite d’un hasard, les êtres (ītyē) se mirent
en mouvement, [l’un] rampa et arriva sur un autre et leur force intérieure des uns et des
autres fit irruption; les lourds descendirent et les légers montèrent et ils se mélangèrent
entre eux. Dès lors, tous sautaient et fuyaient et ils se réfugiaient dans les miséricordes
du Très-Haut. Alors, au bruit répété du mouvement, descendit une grande voix; c’est le
Verbe et la Parole de la pensée (meltō w-memrō d-tarʿitō). Il retrancha du milieu des
êtres purs l’obscurité, qui fut chassée (et) tomba à sa place inférieure, et il sépara les
[êtres]. Par le mystère [signe] de la croix, il établit chacun d’eux à sa place. De leur
mélange il fit le monde, lui fixa le temps et lui posa la limite dans laquelle il doit rester.
Quant à ce qui cesse d’être purifié, il viendra à la fin, le purifiera et s’exprimera ainsi:
13
L’histoire de la recherche sur Bardesane est résumée par H.J.W. Drijvers, Bardaisan of Edesse, 1966, p. 1-59 et
A. Camplani, Rivisitando Bardesane. Note sulle fonti siriache del bardesanismo sulla sua collocazione storicoreligiosa, «Cristianesimo nella storia», n. 19, 1998, p. 526-542.
14
Les plus importants témoignages au sujet de la cosmologie bardesanite proviennent de l’historien nestorien
Bardhadbešabba d’Arbaïa (fin du VIe siècle) et de Théodore bar Koni (VIIIe siècle) l’auteur du Livre des
Scolies, nestorien lui-aussi, ainsi que d’auteurs monophysites: du Traité sur les hérétiques de Maruta de
Maipherkat (Ve siècle), du Traité sur la résurrection des corps écrit par Jean de Dara (première moitié du IX e
siècle) ou plutôt par Mosé bar Kepha (+903). Chez ces auteurs se trouvent les principales descriptions de la
cosmogonie de Bardesane. D’autres informations sont transmises par les écrivains syriaques médiévaux, des X eXIIIe siècles: Agapius de Mabboug, Michel le Syrien et Barhebraeus.
5
Cet être (ītyō), qui fit irruption sur un autre, a été agité et il l’a chassé en bas. L’obscurité
noire est montée et elle a noirci les êtres resplendissants. En plus de cela, ils [= les
Daïsanites] amènent le sort du destin, suppriment la liberté de l’homme et nient la
résurrection des corps. Tous sont habillés en blanc, dans la pensée que quiconque
s’habille de blanc est du côté du bien et (quiconque s’habille) en noir est du côté du mal.
Bien que ceux-ci ne rejettent pas les Écritures, ils reçoivent en plus de nombreuses
révélations»15.
Ce long texte introduit au cœur de la cosmologie de Bardesane. Le récit commence par
la description des êtres-éléments primordiaux nommés ītyē ou ēstuksē16. En syriaque, ce
premier terme ītyō (pl. ītyē) signifie l'être, tandis que le second est une translittération du grec
στοιχεῖον (stoicheion) et signifie l'élément primordial. Ces ītyē, les êtres-éléments: la lumière,
le vent ou souffle, le feu et l'eau disposés selon les quatre points cardinaux ; en plus leur
«maître» en haut et l’obscurité en bas. Cette disposition a été détruite par le hasard, cause
d’un mouvement chaotique et dangereux pour les êtres-éléments eux-mêmes. Dans cette
mésaventure ils ont réclamé la miséricorde du Très Haut – appelé elayā à la manière
vétérotestamentaire – qui a envoyé à leur secours la «grande voix» nommée aussi «le verbe et
la parole de la pensée». Notons que quelques siècles plus tard, Jean de Dara et Mosé bar
Kepha, vont préciser que ce «verbe et parole de la pensée» est Jésus-Christ. Grâce à
l'apparition de la «parole de la pensée» l’obscurité a été retranchée du milieu du chaos et les êtreséléments établis à leur place par le «mystère de la croix». Avec la disposition des ītyē, la «parole
de la pensée» a fixé aussi le temps et les limites du monde. La fin du monde correspond à une
sorte de jugement sur l'obscurité – l'être-élément coupable du chaos et de l'obscurcissement des
autres.
Ce récit de l'origine du monde se retrouve chez les autres auteurs; souvent modifié
dans les détails, bien que certains points demeurent inchangés: le drame cosmique des ītyē
ébranlés et la formation du monde par l'intervention de la «parole de la pensée» qui consiste à
retrancher la ténèbre du mélange des ītyē. Quant aux êtres-éléments ītyē, leur nombre peut
varier de trois à sept. Éphrem les appelle parfois perdē – atomes ou parcelles de la
substance17. Cela montre que le terme ītyē, forgé par Bardesane, n'a pas été facile à
15
F. Nau (éd.), Histoire de Barhadbeshabba ‘Arbaïa – première partie, «Patrologia Orientalis», v. 23, n. 2, Paris
1932, p. 191-192. Cf. A.J.M. Davids, Zur Kosmogonie Bardaisans. Textkritische Bemerkungen, «Zeitschrift der
Deutschen Morgenländischen Gesellschaft», n. 120, 1975, p. 32-42; T. Jansma, La notice de Barhadbesabba
‘Arbaïa sur l’hérésie des Daisanites, in: Mémorial Mgr G. Khoury-Sarkis, Louvain, Impr. Orientaliste, 1969, p.
91-106.
16
17
Cf. E. Beck, Bardaisan une seine Schule bei Ephrëm, «Le Muséon», n. 91, 1978, p. 273-280.
Cf. S. Ephraim’s Prose Refutations of Mani, Marcion, and Bardaisan, v. II, p. 220.
6
comprendre par les générations postérieures. Par exemple, aux Xe-XIIIe siècles on explique
que les ītyē sont des «forces», «principes» ou «natures»18.
Au point de vue de la doctrine chrétienne, la plus importante question concerne le
rapport entre les ītyē et le Dieu Créateur. Selon le témoignage de Barhadbešabba que nous
avons cité, c'est le «Très-Haut» qui envoie sa «parole de la pensée» (memrō d-tarʿitō) pour
secourir les ītyē et créer l'univers, mais il reste d'autres questions. Qui est le «maître» des ītyē,
situé au-dessus, à l'opposé de l'obscurité? Qui est la «parole de la pensée»? Le Christ, comme
veulent certains? Ou bien plutôt une puissance divine, au sens que le terme «Parole de Yahvé»
reçoit dans certains passages de l'Ancien Testament (cf. Sg 16,12. 26; Sg 18,15; Es 40,8; Jr
46,13)?
Il n'y a pas de raison de douter du christianisme de Bardesane – le dialogue Sur les
lois des pays en témoigne clairement; cependant il faut admettre qu'il s'agit d'une forme très
archaïque du christianisme, encore proche du monothéisme juif. Cependant, on peut trouver
aussi des traces de la philosophie platonicienne. La mention de la croix qui régit la disposition
des ītyē rappelle la lecture de Platon par Justin Martyr, qui concluait à l’existence de «l’univers
en forme de croix» (Apol 60). La même idée se rencontre dans d'autres textes du IIe siècle: les
Odes de Salomon et Le Pasteur d'Hermas, l’homélie pascale de Pseudo-Hippolyte et chez
Irénée de Lyon (Démonstration de la prédication apostolique)19. La «parole de la pensée» qui
organise les ītyē en forme de la croix, aurait donc comme modèle philosophique l’Âme du
monde du Timée, relu par les philosophes médio platoniciens du temps de Bardesane20.
Les écrits antibardesanites d’Éphrem
Le rapport entre les ītyē et le Dieu Créateur a été minutieusement étudié par Éphrem.
Toutefois, il combat Bardesane avec les autres hérétiques de son époque, ce qui l'amène
parfois à une certain nombre de simplifications. Cette polémique se développe dans les
Hymnes contre les hérésies – destinées au grand public, et les Réfutations en prose contre
Mani, Marcion et Bardesane qui s’adressent à un certain Hypatius, personnage cultivé et
formé en philosophie.
18
Agapius de Mabbog, Kitâb al-‘Unwân (Histoire universelle), A. Vasiliev (éd.), Patrologia Orientalis VII / 4,
Paris 1948, p. 520; Chronique de Michel le Syrien, VI, 6; J.B. Chabot (éd.), v. 1/2, p. 110; F. Nau (éd.), Les
hérésies christologiques d’après Bar Hébraeus, in: Documents pour servir à l'histoire de l'Église nestorienne,
Patrologia Orientalis XIII / 2, Paris 1974, p. 255-256.
19
Cf. J. Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Paris 1991, p. 340-353; M. Fédou, La vision de la Croix
dans l’œuvre de saint Justin, «Recherches Augustiniennes», n. 19, 1984, p. 78-80.
20
Le plus proche serait Albinus ou Alcinoos (+150), dont Bardesane probablement a connu les écrits, selon le
témoignage d'Éphrem; cf. A. Gioè (éd., tr.), Filosofi medioplatonici del II secolo d.C. Testimonianze e frammenti,
Bibliopolis, [s. l.], 2002, p. 80-81; 90-93.
7
Les arguments polémiques sont réduits à ce qu’il y a de plus simple: l’opposition entre
le Créateur et les créatures, entre l’Être unique et les êtres-éléments ītyē:
«Si un seul Dieu est proclamé, il proclame un seul "être" (ītyō) ; parce qu’il n’y qu’un
seul Dieu, et l’être est aussi un seul. Il n’y a qu’un [seul] dans les deux: être et Dieu; et
le tout est saisi par un seul nom. Aucun autre Dieu n’est placé [à côté de Dieu], c'est une
bêtise que d’en mettre par essence cinq [êtres] à côté de lui21».
Le vocabulaire théologique d’Éphrem est beaucoup plus précis que celui de Bardesane,
entre autres à cause de la polémique anti-arienne. Éphrem utilise le terme ītutō qui signifie en
syriaque l'hypostase, mais aussi la substance divine. Or, ītyō et ītutō, en dehors de leur
contexte théologique, indiquent l'être, ce qui existe en soi. Ainsi Éphrem est soucieux de
distinguer entre les «êtres» de Bardesane et Dieu tant que l'unique «être», selon la révélation
faite à Moïse.
«Moïse témoigne [pour] nous qu’aucun autre n’a été appelé par le nom de l’Être
(ītutō); ils sont nommés "dieux" et non "êtres" (ītyē); sous un nom il enseigne le goût
de sa bonté et sous l’autre nom il fait savoir la puissance de son être, afin qu’on puisse
connaître les deux. Il a révélé le nom à Moïse, il s’est appelé "Je suis" par lui-même;
c’est le nom de l’être (ītutō); jamais il n’avait appelé par ce nom quelqu’un d’autre.
Parce qu’il en appelle beaucoup par leurs noms, il a réservé un [seul] nom, afin qu’on
puisse connaître qu’il est le seul être (ītyō) et aucun autre22».
On peut constater que ces deux termes ont été traités comme des synonymes, comme
le montre le fragment suivant: «Or, parce qu’ītutō est quelque chose d’unique et que rien ne
peut recevoir sa marque [= le même nom], il [= Bardesane] a marqué ainsi le nom odieux de
l’obscurité, parce qu’il l’a appelé ītyō»23. Selon Éphrem, l’erreur de Bardesane aurait consisté
à élever les êtres-éléments au rang des puissances divines. Dans la mesure où le terme ītyē
peut s’appliquer aussi aux planètes, cette idée serait alors un écho du polythéisme astral venu
de l’Empire perse. Selon Éphrem, Bardesane serait un astrologue, un païen, qui prône le vieux
culte des astres:
«Ainsi la charité t’oblige nécessairement, mon frère, à supporter la répétition de leurs
[= des bardesanites] paroles au sujet des êtres (ītyē) et des perturbateurs, des astres et
21
Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 3,5; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 169 / Scriptores
Syri 76, p. 11-12.
22
Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 53,11-12; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 170 /
Scriptores Syri 77, p. 204.
23
Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 41,7; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 170 / Scriptores
Syri 77, p. 166; cf. E. Beck, Bardaisan und seine Schule…, op. cit., p. 276.
8
des signes du Zodiaque; [du] corps [qui vient] du mauvais [et] qui ne ressuscitera pas;
[de] l’âme [qui vient] de Sept, sans parler de tout le reste»24.
Dans la strophe citée, on peut constater que les ītyē sont les astres, compris comme des
puissances célestes et qu’ils sont également des composants de l’âme et du corps humains. Ce
dernier aspect de la critique des êtres-éléments par Éphrem est le plus proche de la pensée de
Bardesane, livrée par son disciple dans le dialogue Sur les lois des pays.
Le Livre des lois des pays
La lecture du Livre des lois des pays permet d’éclairer le concept bardesanite des ītyē,
qui a causé tant de difficultés à Ephrem. Ce texte permet de réaliser à quel point l’horizon
théologique de Bardesane fut différent de celui d’Ephrem. Vivant aux IIe-IIIe siècle, dans un
milieu chrétien ayant ses propres préoccupations (comme polémique contre les religions
locales), Bardesane garde des points communs avec les auteurs judéo-chrétiens ou encore les
apologistes. Aujourd’hui les idées bardesanites combattues par Éphrem comme hérétiques
devraient être regardées plutôt comme archaïques.
Le Livre des lois des pays (LLP) est un dialogue entre Bardesane – assisté de ses
disciples – et les représentants du polythéisme astral dont le porte-parole est un certain Avida.
Le culte des astres suppose que les planètes décident la course du monde et que l’homme soit
privé du libre arbitre. Or, Bardesane s’oppose à ce culte et défend la liberté non seulement des
hommes, mais de toutes les créatures, y compris celle des êtres-éléments25.
Contrairement à ce qu’Éphrem lui reproche, Bardesane confesse un seul Dieu
Créateur, tout-puissant, parce que tout ce qui existe a besoin de lui (LLP 47). Néanmoins, son
discours se déroule à l’intérieur du débat sur la liberté des hommes et celle des éléments.
Bardesane affirme que les ītyē sont bien créés; créés pour l’homme, car celui-ci est «à l’image
d’Elohim». Ainsi l’homme est au-dessus des êtres-éléments et sa liberté est plus grande que la
leur.
«Aussi considérez combien grande fut la miséricorde de Dieu envers l’homme: il lui
fut donné une liberté supérieure à celle de tous les éléments (ēstuksē) dont nous avons
24
Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 53,4; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 170 / Scriptores
Syri 77, p. 202-203.
25
Cf. T. Hegedus, Necessity and Free Will in the Thought of Bardaisan of Edessa, «Laval théologique et
philosophique», n. 59, 2003, p. 333-344. Aussi A. Dihle, The Theory of Will in Classical Antiquity, Berkeley 1982.
9
parlé, afin de se vaincre lui-même, à l’aide de cette liberté, de se conduire divinement
et de se mêler aux anges qui possèdent aussi le libre arbitre»26.
Nous avons déjà signalé que Bardesane appelle les êtres-éléments parfois ītyē et
parfois ēstuksē. Son souci est d’affirmer la souveraineté suprême de Dieu ainsi que la liberté
de toutes les créatures, même celles qui sont assujetties au commandement et au jugement:
«Il [Bardesane] me répondit: "Ce n’est pas en tant qu’ils sont déterminés, ô Philippe,
que les éléments (ēstuksē) seront jugés, mais en tant qu’ils ont une puissance (šultonō)
[propre] en eux. Car les êtres (ītyē) ne sont pas privés de leur nature quand ils sont
ordonnés mais uniquement de la force qu’ils avaient quand ils étaient intacts, car ils
perdent dans le mélange de l’un avec l’autre et sont soumis à la force de leur créateur. Ils
ne seront pas jugés en tant qu’ils sont soumis, mais par ce qui leur est propre"»27.
Dans ce texte, Bardesane affirme que même les ītyē possèdent une sorte de liberté,
qu’il appelle «puissance en eux», «force qu’ils avaient quand ils étaient intacts» ou encore
«force d’intégrité». Il semble que toutes ces expressions reposent sur la même idée
fondamentale, celle d’une puissance intérieure, propre aux éléments avant qu’ils ne se soient
mélangés entre eux et surtout avec l’obscurité. Une fois privés de cette puissance, ils sont
désormais soumis à la puissance du Créateur. Il s’agit probablement d’une même propriété
des ītyē, qui garantit leur liberté, en les délivrant de la loi du destin.
Plus loin dans le Livre des lois des pays on trouve d’autres informations sur ce qu’est
cette «puissance» et comment elle est communiquée aux diverses catégories des êtres:
«La sagesse de Dieu leur est supérieure, elle qui a établi les mondes, l’homme et
l’ordre des conducteurs, et a donné à chaque chose la puissance (šultono) qui convient
à chacune d’elle, je veux dire que la puissance appartient à Dieu, aux anges, aux
dominateurs et aux conducteurs, aux éléments (ēstuksē), aux hommes et aux animaux,
mais tous ces ordres dont je viens de parler n’ont pas puissance sur tout, car le Puissant
(šalit) est unique, mais ils sont puissants par quelque côté et impuissants par d’autres,
comme je l’ai fait remarquer, afin qu’en tant qu’ils sont puissants apparaisse la bonté
de Dieu, et tant qu’ils sont faibles ils reconnaissent qu’ils ont un maître»28.
Les catégories d’êtres dotés de la puissance après Dieu sont appelées «anges,
dominateurs, conducteurs, éléments (ēstuksē), hommes et animaux». Ces appellations
ressemblent à celles qui se trouvent en Col. 1,16, où l’apôtre Paul parle des hiérarchies de
26
Livre des lois des pays 9; Patrologia Syriaca 1 / 2, Paris, 1907, col. 548 (édition du texte syriaque et traduction
latine). Traduction française : F. Nau, Bardesane l’Astrologue…, op. cit., p. 31.
27
Livre des lois des pays 10, Patrologia Syriaca 1 / 2, col. 548-549 ; cf. F. Nau, op. cit., p. 32.
28
Livre des lois des pays 19; Patrologia Syriaca 1 / 2, col. 567-568; cf. F. Nau, op. cit., p. 38-39.
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puissances spirituelles nommées «trônes, seigneuries, principautés et puissances». Dans les
deux cas, il s’agit des formes du polythéisme astral, d’un culte de puissances célestes dont les
astres faisaient partie. En Col. 2,8 et 20 nous trouvons même le terme stoicheia – l'équivalent
grec des ēstuksē. Cependant, pour l'apôtre Paul «les éléments du monde (τὰὰ στοιχεῖὰ τοῦ
κόσμου)» sont opposés au Christ29. Lorsqu’il écrivait aux Colossiens, l’apôtre visait une
dérive doctrinale, appelée parfois «hérésie de Colosses», caractérisée par une forte influence
de la pensée religieuse du judaïsme hellénistique, syncrétiste, avec peut-être aussi une
orientation mystique. Le judaïsme tardif connaissait assez bien une telle spiritualisation des
éléments primordiaux, devenus des puissances célestes, médiateurs entre Dieu et le monde,
peut-être au même sens que les anges30.
Un autre écho du judaïsme tardif dans la pensée du Bardesane est l'idée de placer la
sagesse à la tête de la création comme étant celle qui «établit les mondes». Cette expression
renvoie à l’Ancien Testament, où la sagesse est présentée comme agent de la création et
puissance divine personnifiée (cf. Prov. 8,22). La référence à la Sagesse dans le Livre des lois
des pays éclaire aussi la notion de «Parole de la pensée» qui apparaît dans les textes
cosmologiques. Pour Bardesane la Sagesse établit le monde et l’ordonne, elle donne «à
chaque chose la puissance qui convient». Aussi bien la Sagesse que la «Parole de la pensée»
organisent les ītyē et leur communiquent la puissance. Tout comme la Sagesse de l'Ancien
Testament a été rapidement interprétée au sens christologique (cf. 1Col. 1,24), de même la
«Parole de la pensée» bardesanite a reçu une lecture christologique. Cependant,
l'identification de la Sagesse ou la «Parole de la pensée» (memrō d-tarʿitō) avec le Christ a été
probablement voulue par Bardesane lui-même. Dans le Livre des lois des pays il y a à peine
une petite mention du Christ – le Messie – comme celui dont les chrétiens portent le nom. Son
œuvre consiste aussi à créer la «nouvelle famille de nous autres chrétiens que le Messie a
placée en tout pays et en tout lieu par son arrivée» et qui est gouvernée par la «loi du Messie»
qui décide les actes de ceux qui sont «désignés par le nom seul du Messie» (cf. LLP 46). Cette
manière de présenter l'action du Christ à l'égard de l'Église et du monde entier représente une
certaine analogie avec l'action créatrice de la Sagesse ou Parole de la pensée à l'égard de
l'univers. Cependant, il y a un manque frappant d'articulation entre l'humanité et la divinité du
Christ qui plus tard a donné lieu à l'accusation d'hérésie à l'égard de Bardesane.
29
G.H. Van Kooten, Cosmic christology in Paul and the pauline school: Colossians and Ephesians in the context
of Graeco-Roman cosmology, Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 171, Tübingen 2003.
30
Les sources de cette doctrine: 1 Hénoch 43,1.2; 80,6; 2 Hénoch 4,1; Testament de Levi 3,8; Philon
d’Alexandrie De Cher. 127.
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Les rapports entre Dieu Créateur et les créatures font surgir la même difficulté
d'interprétation postérieure d'une pensée archaïque. Dans le Livre des lois des pays, le terme
puissance (šultono) signifie sans doute le degré de communion avec Dieu Créateur, appelé le
Puissant (šalit). Bardesane ne manque pas de remarquer que «le Puissant est unique», ce qui
non seulement marque la différence entre Dieu et les êtres, mais instaure plutôt une sorte de
communion entre eux. Dans le contexte du débat de son époque, cette idée permet à
Bardesane d'affirmer que toutes les créatures – jusqu'aux éléments primordiaux – bénéficient
d'un certain degré de liberté et ne sont pas soumises aux lois du destin, déterminé par les
astres. Deux siècles plus tard, ces mêmes propos deviennent incompréhensibles, voire
hérétiques. Si Éphrem le Syrien défend la distinction entre le Créateur et la création, il le fait
dans le contexte de son époque, celui d'une crise gnostique et une autre, arienne. Ces
interlocuteurs sont bien différents de ceux de Bardesane. Au IVe siècle, le débat porte sur le
rapport entre le Père et le Fils, sur les deux natures du Christ, sur la divinité de l'Esprit Saint...
Indépendamment de questions dogmatiques, le besoin du moment était aussi d'utiliser un
vocabulaire théologique précis. Tout cela a été loin des préoccupations de Bardesane.
Il en reste néanmoins que les idées bardesanites ont connu une longévité étonnante,
allant jusqu'au XIIIe siècle. Malgré les difficultés de reconstruction et d'interprétations, la
pensée de Bardesane interpelle les chercheurs par son originalité. Elle reste un mélange
unique dans son genre, où se rencontrent les systèmes religieux et philosophiques, le
christianisme primitif et le judaïsme hellénisé, l'astrologie chaldéenne et la philosophie
grecque.
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Izabela Jurasz
Bardesane – philosophe chrétien d'Édesse
Résumé
Bardesane (+222) est le premier auteur chrétien de la langue syriaque. D’origine
païenne, Bardesane s’est converti au christianisme à Édesse, probablement au cours de ses
études de philosophie. Il fut conseiller des rois d’Édesse, connu au-delà du royaume à cause
de ses vastes connaissances dans différents domaines. Il eut de nombreux disciples et l’école
de pensée fondée par lui fut mentionnée encore au XIII e siècle. Cependant, le philosophe
Bardesane fut vite compté parmi les hérétiques. Éphrem le Syrien (+373) trouva dans ses
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écrits des éléments de doctrines gnostiques. À cause de cette critique, les écrits originaux de
Bardesane furent perdus. Aujourd’hui nous pouvons reconstruire sa pensée à partir du Livre
des lois des pays (un dialogue rédigé par ses disciples) et aussi à partir des écrits polémiques
d’Éphrem. Le but de l’article est de présenter le personnage de Bardesane et son œuvre et
aussi de résumer les thèmes originaux de sa pensée: la cosmologie, la christologie, la
conception du libre arbitre. Sans aucun doute, il s’agit d’une doctrine très originale,
syncrétiste, qui correspond à un stade archaïque de la théologie chrétienne. Bardesane est
considéré aujourd’hui comme le représentant par excellence du christianisme syriaque,
édessenien, avec toutes ses différences par rapport au christianisme de langues grecque et
latine.
Izabela Jurasz
Bardaisan the Christian Philosopher of Edessa
Summary
Bardaisan (died in 222) is the first Christian author who wrote in Syriac. Being of
pagan origin, he accepted Christianity in Edessa, probably when he was studying philosophy.
Due to his outstanding and comprehensive education, he was not only an advisor to the kings
of Edessa, but a personality known beyond the borders of the Kingdom of Osroene. He was
surrounded by a large group of students, and the philosophical school he created is mentioned
in literature up to the thirteenth century. However, from a theological point of view, Bardaisan
was regarded by posterity as a heretic. Ephrem the Syrian (+373) found in his writings
elements of Gnostic doctrine. Because of this criticism, the original texts by Bardaisan were
destroyed and forgotten. Today we can reconstruct his ideas based on the Book of the Laws of
the Countries (a dialogue written by his students) as well as on the basis of polemical writings
of Ephrem the Syrian. The purpose of this article is to present the person and work of
Bardaisan and to synthesize his thoughts concerning cosmology, Christology, and the concept
of "free will." His original, syncretic form of doctrine corresponds to the early form of
Christian theology. Today, Bardaisan is considered to be an outstanding representative of
Syriac Christianity (from Edesse) which is significantly different from the Christianity that
uses the Greek and Latin languages.
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Izabela Jurasz
Bardesanes – chrześcijański filozof z Edessy
Streszczenie
Bardesanes (zm. 222) jest pierwszym chrześcijańskim autorem piszącym w języku
syryjskim. Będąc z pochodzenia poganinem, przyjął chrześcijaństwo w Edessie,
prawdopodobnie w czasie studiów filozoficznych. Ze względu na wybitne i wszechstronne
wykształcenie był nie tylko doradcą królów Edessy, ale osobistością znaną poza granicami
królestwa Osroene. Otoczył się liczną grupą uczniów, a utworzona przez niego szkoła
filozoficzna jest wzmiankowana w literaturze aż do XIII wieku. Jednak z teologicznego
punktu widzenia Bardesanes uważany był przez potomnych za heretyka. Efrem Syryjczyk
(+373) dopatrzył się w jego pismach elementów doktryny gnostyckiej. Z powodu tej krytyki,
oryginalne teksty Bardesanesa zostały zniszczone i zapomniane. Dzisiaj możemy odtworzyć
jego idee na podstawie Księgi praw narodów (dialog napisany przez jego uczniów), jak
również w oparciu o pisma polemiczne Efrema Syryjczyka. Celem artykułu jest
zaprezentowanie osoby i dzieła Bardesanesa oraz syntetyczne ujęcie jego przemyśleń
dotyczączch kosmologii, chrystologii oraz konceptu „wolnej woli”. Jego oryginalna,
synkretyczna doktryna odpowiada wczesnej formie chrześcijańskiej teologii. Dzisiaj
Bardesanes uważany jest za wybitnego przedstawiciela chrześcijaństwa syryjskiego
(edesseńskiego) – znacząco różnego od chrześcijaństwa posługującego sie językami greckim i
łacińskim.