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"Bardesane - philosophe chrétien d'Edesse", NURT 137, 2015, p. 80-93.

Bardesane (+222) est le premier auteur chrétien de la langue syriaque. D’origine païenne, Bardesane s’est converti au christianisme à Édesse, probablement au cours de ses études de philosophie. Il fut conseiller des rois d’Édesse, connu au-delà du royaume à cause de ses vastes connaissances dans différents domaines. Il eut de nombreux disciples et l’école de pensée fondée par lui fut mentionnée encore au XIIIe siècle. Cependant, le philosophe Bardesane fut vite compté parmi les hérétiques. Éphrem le Syrien (+373) trouva dans ses écrits des éléments de doctrines gnostiques. À cause de cette critique, les écrits originaux de Bardesane furent perdus. Aujourd’hui nous pouvons reconstruire sa pensée à partir du Livre des lois des pays (un dialogue rédigé par ses disciples) et aussi à partir des écrits polémiques d’Éphrem. Le but de l’article est de présenter le personnage de Bardesane et son œuvre et aussi de résumer les thèmes originaux de sa pensée: la cosmologie, la christologie, la conception du libre arbitre. Sans aucun doute, il s’agit d’une doctrine très originale, syncrétiste, qui correspond à un stade archaïque de la théologie chrétienne. Bardesane est considéré aujourd’hui comme le représentant par excellence du christianisme syriaque, édessenien, avec toutes ses différences par rapport au christianisme de langues grecque et latine.

Nurt SVD 1 (2015) Bardesane - philosophe chrétien d'Édesse Izabela Jurasz [email protected] Née en 1972. Études à l’Université de Varsovie (histoire de l’art), au Pontificio Istituto Orientale à Rome (théologie orientale), à l’Institut catholique de Paris (théologie patristique) et à l’Université Paris IV-Sorbonne (philosophie ancienne). I l n'est pas facile de préciser qui était Bardesane: un philosophe? un théologien? un hérétique? un astrologue? Toutes ces questions viennent du fait que Bardesane est devenu un hérétique aux yeux des générations postérieures. Selon le témoignage d’Eusèbe de Césarée – qui pourtant l’admire beaucoup – Bardesane «avait d’abord été de l’école de Valentin, mais il la méprisa et réfuta la plupart des fables de cet homme, et il se parut à lui-même d’être revenu à l’opinion plus orthodoxe. Cependant, il ne parvint pas à laver complètement la tache de l’ancienne hérésie»1. Nous savons que Bardesane est né vers 154, probablement à Édesse. Son nom BarDaïsan veut dire «le Fils du Daïsan», de la rivière qui arrose Édesse. Cependant, la famille de Bardesane venait d'une autre ville – Mabboug, où son père était le prêtre d'un culte païen. C'est à Mabboug, près du grand sanctuaire de la déesse Atargatis, où le jeune Bardesane a reçu sa première formation intellectuelle. Envoyé à Édesse, capitale du petit royaume d'Osrohène, il y a poursuivi ses études, mais il a aussi rencontré les chrétiens. Déjà chrétien, il a perfectionné ses connaissances en philosophie à Apamée et Antioche, les grandes villes de la Syrie gréco-romaine. Grâce à sa grande érudition, il est devenu un personnage important à la cour du roi Abgar, le premier roi chrétien d'Édesse. Il est mort en 222, en Arménie, où il s’était réfugié après la suppression du royaume d'Osrohène par Caracalla. Bardesane devait être un personnage très connu à son époque, car il existe à son sujet de nombreuses mentions chez les historiens grecs et latins. Julius Africanus (+250) mentionne 1 Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique IV, 30, 3; G. Bardy (éd.), Sources chrétiennes 31, Paris 1952, p. 215. 2 la rencontre avec «le Parthe» Bardesane à la cour d’Abgar, roi d’Édesse 2. Eusèbe de Césarée (+340) parle beaucoup de lui et il a même conservé de longs passages de l’un de ses écrits. Sozomène (+450) parle des hymnes composées par son fils Harmonius selon les mètres et les modes musicaux grecs et de la réaction qu’elles provoquèrent chez Éphrem le Syrien 3. Pour l’auteur de la Réfutation de toutes les hérésies il est à la fois un polémiste antimarcionite «arménien» et représentant de la gnose valentinienne4. Célèbre de son vivant, Bardesane est aussi le premier auteur chrétien de la langue syriaque. Cependant, son œuvre est difficile à classer. Les auteurs postérieurs traitent Bardesane comme hérétique, ce qui explique une quasi-disparition de ses écrits originaux. Paradoxalement, ceux qui l’ont combattu, ont souvent sauvegardé des fragments de ses écrits. Le meilleur exemple est celui d’Éphrem le Syrien (+373) qui cite Bardesane dans les Réfutations en prose contre Mani Marcion et Bardesane et les Hymnes contre les hérésies5. En comparaison avec lui, les témoignages des autres auteurs sont beaucoup plus modestes, même si très nombreux6. Un des admirateurs de Bardesane fut Eusèbe de Césarée qui cite dans la Préparation évangélique un très long fragment d’un dialogue intitulé en grec Sur le destin, mais plus connu sous son titre syriaque Livre des lois des pays7. Ce Livre n’a pas été écrit par Bardesane lui-même, mais par son disciple nommé Philippe, peu après la mort du maître ou peut-être même encore de son vivant8. Les autres écrits de Bardesane ne nous sont pas parvenus, mais Eusèbe de Césarée parle de Dialogues contre les Marcionites, ainsi que de «très nombreux autres ouvrages», dont il loue l’«éloquence puissante»9. Édesse, ville de Bardesane 2 Julius Africanus, Cestes I, 20; cf. J.-R. Vieillefond, Les Cestes de Julius Africanus. Etude sur l’ensemble des fragments avec édition, traduction et commentaire, Florence 1970, p. 184-185. 3 Sozomène, Histoire ecclésiastique III, 16,5-7; A.-J. Festugière, G. Sabbah (éds), Sources chrétiennes 418, Paris 1996, p. 151-153. Éphrem lui-même atteste aussi dans les Hymnes contre les hérésies 53, 5 que c’est Bardesane lui-même qui a composé des hymnes et les psaumes avec leur musique, et qu’il a aussi introduit des mesures. 4 Cf. Refutatio VII, 31 et VI, 35.Cette œuvre était jadis attribuée à Hippolyte de Rome. 5 Éphrem, Prose Refutations of Mani, Marcion and Bardaisan, v. 1 – C.W. Mitchell (éd.), London 1912, v. 2 – A.A. Bevan, F.C. Burkitt (éds), London 1921; Ephrem, Hymni contra Hæreses, E. Beck (éd.), Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium / Scriptores Syri 76-77, Leuven 1957. 6 Dernière édition des sources bardesanites récolte environ quarante témoignages sur Bardesane; cf. Bardesane, Contro il fato, I. Ramelli (éd), Edizioni Clemente, Roma / Edizioni Studio Domenicano, Bologna 2009. 7 Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique VI, 10,1-49; E. Des Places (éd.), Sources chrétiennes 266, Paris 1980. 8 Le texte a été découvert par l'orientaliste W. Cureton en 1845. Depuis, il a eu de nombreuses éditions en des langues modernes. Nous utilisons ici la traduction française: F. Nau, Bardesane l’astrologue, le Livre des lois des pays, Paris 1899. 9 Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique IV, 30; p. 215. 3 Pour comprendre la complexité de la pensée de Bardesane, il convient de dire quelques mots sur le milieu religieux et culturel qui fut le sien, à savoir la ville d’Édesse. De fondation grecque, nommée ainsi en souvenir d’Édesse en Macédoine, cette ville fut le centre d’une série de forteresses au nord de la Mésopotamie, dressées par les Séleucides. Cependant, à cause des invasions successives, elle devint une ville à la fois grecque et orientale, avec des citoyens parthes et arabes. Sa vie intellectuelle dépendait donc d’Athènes, d’Antioche, de Pergame et de Smyrne, mais aussi de Babylone et de Séleucie-Ctésiphon. À l’aube de l’ère chrétienne, le territoire de l’Osrhoène devint un état tampon entre Rome et les Parthes et la scène de guerres qui durèrent tout le IIe siècle. Édesse, selon d’Eusèbe de Césarée, fut une ville très chrétienne. Eusèbe raconte comment son attachement au Christ commence avec l’invitation qui lui fut adressée par le roi Abgar ; comment ses évêques se succèdent depuis l’époque apostolique ; comment la gloire de ses martyrs fait d’elle le centre spirituel de la Syrie 10. À l’époque de Bardesane, le christianisme édessenien a déjà produit des écrits en langue syriaque: les Odes de Salomon, les Actes de Thomas et une version du Nouveau Testament harmonisé nommée Diatessaron. Cependant, le christianisme d’Édesse possédait ses traits spécifiques, inconnus des chrétiens du monde gréco-romain11. Plutôt judéo-chrétien dans ses origines, ce christianisme a gardé une certaine influence des religions païennes orientales, parmi lesquelles se distinguaient les cultes des divinités hellénistiques locales, les cultes de l’Empire sassanide et la religion des Mages chaldéens. Au IIe siècle, on trouve à Édesse une forme du christianisme hétérodoxe, très proche du judéo-christianisme, mais marqué par les croyances païennes locales. On note également la présence du marcionisme, des diverses formes de la gnose et plus tard encore du manichéisme. Il s’agit en fait d’une forme locale du christianisme, dont certaines caractéristiques ont été au IVe siècle qualifiées d’«hérétiques» par rapport à l’orthodoxie nicéenne12. Des nombreuses traditions religieuses et philosophiques qui se rencontrent dans l’œuvre de Bardesane ont rendu difficile la qualification unique de sa pensée comme philosophie, astrologie ou encore comme théologie. L’histoire de la recherche montre combien l’attachement à telle ou telle dénomination fut important, sinon décisif, pour l’interprétation de cette pensée13. Pour montrer sa complexité, nous allons présenter deux 10 Cf. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique I, 13; IV, 30. Cf. W. Bauer, Rechtgläubichkeit und Ketzerei im ältesten Christentum, Tübingen 1934 [réimpr. 1964], p. 6-48. 12 Cf. H.J.W. Drijvers, Cults and Beliefs at Edessa, Leyden 1980; idem, Rechtgläubigkeit und Ketzerei im ältesten syrischen Christentum, in: Symposium Syriacum 1972, Orientalia Christiana Analecta 197, Rome 1974, p. 291-308. 11 4 thèmes abordés par Bardesane de manière très originale: la théologie de la création et la question du libre arbitre. Cosmogonie de Bardesane L’explication de la genèse et de la nature de l’univers par Bardesane a été largement connue et commentée pendant des siècles. Cependant, dans la mesure où nous ne disposons pas des écrits provenant de notre auteur lui-même, toute étude de sa cosmogonie est fondée sur des témoignages tardifs, datant du VIe jusqu’au XIIIe siècle14. Pour montrer comment la pensée de Bardesane a été transmise quelques siècles plus tard, nous citerons la description de sa doctrine donnée par l’historien nestorien de la fin du VIe siècle, Barhadbešabba d’Arbaïa. Sans entrer dans une polémique, il classe néanmoins Bardesane parmi les «anciennes hérésies»: «La cinquième hérésie est celle des Daïsanites. Ceux-ci disent [qu’il y a] beaucoup d’êtres (ītyē) et le chef et le maître de tous n’a pas été connu de personne. Ils donnent aussi aux éléments (ēstuksē) l’appellation d’êtres (ītyē). Ils s’expriment ainsi: le monde résulta d’un hasard. Comment? La lumière était d’abord à l’orient, le vent en face d’elle à l’occident, le feu au sud, les eaux en face de lui au nord, leur maître en haut et leur ennemi, qui est dans l’obscurité, en bas. Par suite d’un hasard, les êtres (ītyē) se mirent en mouvement, [l’un] rampa et arriva sur un autre et leur force intérieure des uns et des autres fit irruption; les lourds descendirent et les légers montèrent et ils se mélangèrent entre eux. Dès lors, tous sautaient et fuyaient et ils se réfugiaient dans les miséricordes du Très-Haut. Alors, au bruit répété du mouvement, descendit une grande voix; c’est le Verbe et la Parole de la pensée (meltō w-memrō d-tarʿitō). Il retrancha du milieu des êtres purs l’obscurité, qui fut chassée (et) tomba à sa place inférieure, et il sépara les [êtres]. Par le mystère [signe] de la croix, il établit chacun d’eux à sa place. De leur mélange il fit le monde, lui fixa le temps et lui posa la limite dans laquelle il doit rester. Quant à ce qui cesse d’être purifié, il viendra à la fin, le purifiera et s’exprimera ainsi: 13 L’histoire de la recherche sur Bardesane est résumée par H.J.W. Drijvers, Bardaisan of Edesse, 1966, p. 1-59 et A. Camplani, Rivisitando Bardesane. Note sulle fonti siriache del bardesanismo sulla sua collocazione storicoreligiosa, «Cristianesimo nella storia», n. 19, 1998, p. 526-542. 14 Les plus importants témoignages au sujet de la cosmologie bardesanite proviennent de l’historien nestorien Bardhadbešabba d’Arbaïa (fin du VIe siècle) et de Théodore bar Koni (VIIIe siècle) l’auteur du Livre des Scolies, nestorien lui-aussi, ainsi que d’auteurs monophysites: du Traité sur les hérétiques de Maruta de Maipherkat (Ve siècle), du Traité sur la résurrection des corps écrit par Jean de Dara (première moitié du IX e siècle) ou plutôt par Mosé bar Kepha (+903). Chez ces auteurs se trouvent les principales descriptions de la cosmogonie de Bardesane. D’autres informations sont transmises par les écrivains syriaques médiévaux, des X eXIIIe siècles: Agapius de Mabboug, Michel le Syrien et Barhebraeus. 5 Cet être (ītyō), qui fit irruption sur un autre, a été agité et il l’a chassé en bas. L’obscurité noire est montée et elle a noirci les êtres resplendissants. En plus de cela, ils [= les Daïsanites] amènent le sort du destin, suppriment la liberté de l’homme et nient la résurrection des corps. Tous sont habillés en blanc, dans la pensée que quiconque s’habille de blanc est du côté du bien et (quiconque s’habille) en noir est du côté du mal. Bien que ceux-ci ne rejettent pas les Écritures, ils reçoivent en plus de nombreuses révélations»15. Ce long texte introduit au cœur de la cosmologie de Bardesane. Le récit commence par la description des êtres-éléments primordiaux nommés ītyē ou ēstuksē16. En syriaque, ce premier terme ītyō (pl. ītyē) signifie l'être, tandis que le second est une translittération du grec στοιχεῖον (stoicheion) et signifie l'élément primordial. Ces ītyē, les êtres-éléments: la lumière, le vent ou souffle, le feu et l'eau disposés selon les quatre points cardinaux ; en plus leur «maître» en haut et l’obscurité en bas. Cette disposition a été détruite par le hasard, cause d’un mouvement chaotique et dangereux pour les êtres-éléments eux-mêmes. Dans cette mésaventure ils ont réclamé la miséricorde du Très Haut – appelé elayā à la manière vétérotestamentaire – qui a envoyé à leur secours la «grande voix» nommée aussi «le verbe et la parole de la pensée». Notons que quelques siècles plus tard, Jean de Dara et Mosé bar Kepha, vont préciser que ce «verbe et parole de la pensée» est Jésus-Christ. Grâce à l'apparition de la «parole de la pensée» l’obscurité a été retranchée du milieu du chaos et les êtreséléments établis à leur place par le «mystère de la croix». Avec la disposition des ītyē, la «parole de la pensée» a fixé aussi le temps et les limites du monde. La fin du monde correspond à une sorte de jugement sur l'obscurité – l'être-élément coupable du chaos et de l'obscurcissement des autres. Ce récit de l'origine du monde se retrouve chez les autres auteurs; souvent modifié dans les détails, bien que certains points demeurent inchangés: le drame cosmique des ītyē ébranlés et la formation du monde par l'intervention de la «parole de la pensée» qui consiste à retrancher la ténèbre du mélange des ītyē. Quant aux êtres-éléments ītyē, leur nombre peut varier de trois à sept. Éphrem les appelle parfois perdē – atomes ou parcelles de la substance17. Cela montre que le terme ītyē, forgé par Bardesane, n'a pas été facile à 15 F. Nau (éd.), Histoire de Barhadbeshabba ‘Arbaïa – première partie, «Patrologia Orientalis», v. 23, n. 2, Paris 1932, p. 191-192. Cf. A.J.M. Davids, Zur Kosmogonie Bardaisans. Textkritische Bemerkungen, «Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft», n. 120, 1975, p. 32-42; T. Jansma, La notice de Barhadbesabba ‘Arbaïa sur l’hérésie des Daisanites, in: Mémorial Mgr G. Khoury-Sarkis, Louvain, Impr. Orientaliste, 1969, p. 91-106. 16 17 Cf. E. Beck, Bardaisan une seine Schule bei Ephrëm, «Le Muséon», n. 91, 1978, p. 273-280. Cf. S. Ephraim’s Prose Refutations of Mani, Marcion, and Bardaisan, v. II, p. 220. 6 comprendre par les générations postérieures. Par exemple, aux Xe-XIIIe siècles on explique que les ītyē sont des «forces», «principes» ou «natures»18. Au point de vue de la doctrine chrétienne, la plus importante question concerne le rapport entre les ītyē et le Dieu Créateur. Selon le témoignage de Barhadbešabba que nous avons cité, c'est le «Très-Haut» qui envoie sa «parole de la pensée» (memrō d-tarʿitō) pour secourir les ītyē et créer l'univers, mais il reste d'autres questions. Qui est le «maître» des ītyē, situé au-dessus, à l'opposé de l'obscurité? Qui est la «parole de la pensée»? Le Christ, comme veulent certains? Ou bien plutôt une puissance divine, au sens que le terme «Parole de Yahvé» reçoit dans certains passages de l'Ancien Testament (cf. Sg 16,12. 26; Sg 18,15; Es 40,8; Jr 46,13)? Il n'y a pas de raison de douter du christianisme de Bardesane – le dialogue Sur les lois des pays en témoigne clairement; cependant il faut admettre qu'il s'agit d'une forme très archaïque du christianisme, encore proche du monothéisme juif. Cependant, on peut trouver aussi des traces de la philosophie platonicienne. La mention de la croix qui régit la disposition des ītyē rappelle la lecture de Platon par Justin Martyr, qui concluait à l’existence de «l’univers en forme de croix» (Apol 60). La même idée se rencontre dans d'autres textes du IIe siècle: les Odes de Salomon et Le Pasteur d'Hermas, l’homélie pascale de Pseudo-Hippolyte et chez Irénée de Lyon (Démonstration de la prédication apostolique)19. La «parole de la pensée» qui organise les ītyē en forme de la croix, aurait donc comme modèle philosophique l’Âme du monde du Timée, relu par les philosophes médio platoniciens du temps de Bardesane20. Les écrits antibardesanites d’Éphrem Le rapport entre les ītyē et le Dieu Créateur a été minutieusement étudié par Éphrem. Toutefois, il combat Bardesane avec les autres hérétiques de son époque, ce qui l'amène parfois à une certain nombre de simplifications. Cette polémique se développe dans les Hymnes contre les hérésies – destinées au grand public, et les Réfutations en prose contre Mani, Marcion et Bardesane qui s’adressent à un certain Hypatius, personnage cultivé et formé en philosophie. 18 Agapius de Mabbog, Kitâb al-‘Unwân (Histoire universelle), A. Vasiliev (éd.), Patrologia Orientalis VII / 4, Paris 1948, p. 520; Chronique de Michel le Syrien, VI, 6; J.B. Chabot (éd.), v. 1/2, p. 110; F. Nau (éd.), Les hérésies christologiques d’après Bar Hébraeus, in: Documents pour servir à l'histoire de l'Église nestorienne, Patrologia Orientalis XIII / 2, Paris 1974, p. 255-256. 19 Cf. J. Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Paris 1991, p. 340-353; M. Fédou, La vision de la Croix dans l’œuvre de saint Justin, «Recherches Augustiniennes», n. 19, 1984, p. 78-80. 20 Le plus proche serait Albinus ou Alcinoos (+150), dont Bardesane probablement a connu les écrits, selon le témoignage d'Éphrem; cf. A. Gioè (éd., tr.), Filosofi medioplatonici del II secolo d.C. Testimonianze e frammenti, Bibliopolis, [s. l.], 2002, p. 80-81; 90-93. 7 Les arguments polémiques sont réduits à ce qu’il y a de plus simple: l’opposition entre le Créateur et les créatures, entre l’Être unique et les êtres-éléments ītyē: «Si un seul Dieu est proclamé, il proclame un seul "être" (ītyō) ; parce qu’il n’y qu’un seul Dieu, et l’être est aussi un seul. Il n’y a qu’un [seul] dans les deux: être et Dieu; et le tout est saisi par un seul nom. Aucun autre Dieu n’est placé [à côté de Dieu], c'est une bêtise que d’en mettre par essence cinq [êtres] à côté de lui21». Le vocabulaire théologique d’Éphrem est beaucoup plus précis que celui de Bardesane, entre autres à cause de la polémique anti-arienne. Éphrem utilise le terme ītutō qui signifie en syriaque l'hypostase, mais aussi la substance divine. Or, ītyō et ītutō, en dehors de leur contexte théologique, indiquent l'être, ce qui existe en soi. Ainsi Éphrem est soucieux de distinguer entre les «êtres» de Bardesane et Dieu tant que l'unique «être», selon la révélation faite à Moïse. «Moïse témoigne [pour] nous qu’aucun autre n’a été appelé par le nom de l’Être (ītutō); ils sont nommés "dieux" et non "êtres" (ītyē); sous un nom il enseigne le goût de sa bonté et sous l’autre nom il fait savoir la puissance de son être, afin qu’on puisse connaître les deux. Il a révélé le nom à Moïse, il s’est appelé "Je suis" par lui-même; c’est le nom de l’être (ītutō); jamais il n’avait appelé par ce nom quelqu’un d’autre. Parce qu’il en appelle beaucoup par leurs noms, il a réservé un [seul] nom, afin qu’on puisse connaître qu’il est le seul être (ītyō) et aucun autre22». On peut constater que ces deux termes ont été traités comme des synonymes, comme le montre le fragment suivant: «Or, parce qu’ītutō est quelque chose d’unique et que rien ne peut recevoir sa marque [= le même nom], il [= Bardesane] a marqué ainsi le nom odieux de l’obscurité, parce qu’il l’a appelé ītyō»23. Selon Éphrem, l’erreur de Bardesane aurait consisté à élever les êtres-éléments au rang des puissances divines. Dans la mesure où le terme ītyē peut s’appliquer aussi aux planètes, cette idée serait alors un écho du polythéisme astral venu de l’Empire perse. Selon Éphrem, Bardesane serait un astrologue, un païen, qui prône le vieux culte des astres: «Ainsi la charité t’oblige nécessairement, mon frère, à supporter la répétition de leurs [= des bardesanites] paroles au sujet des êtres (ītyē) et des perturbateurs, des astres et 21 Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 3,5; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 169 / Scriptores Syri 76, p. 11-12. 22 Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 53,11-12; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 170 / Scriptores Syri 77, p. 204. 23 Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 41,7; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 170 / Scriptores Syri 77, p. 166; cf. E. Beck, Bardaisan und seine Schule…, op. cit., p. 276. 8 des signes du Zodiaque; [du] corps [qui vient] du mauvais [et] qui ne ressuscitera pas; [de] l’âme [qui vient] de Sept, sans parler de tout le reste»24. Dans la strophe citée, on peut constater que les ītyē sont les astres, compris comme des puissances célestes et qu’ils sont également des composants de l’âme et du corps humains. Ce dernier aspect de la critique des êtres-éléments par Éphrem est le plus proche de la pensée de Bardesane, livrée par son disciple dans le dialogue Sur les lois des pays. Le Livre des lois des pays La lecture du Livre des lois des pays permet d’éclairer le concept bardesanite des ītyē, qui a causé tant de difficultés à Ephrem. Ce texte permet de réaliser à quel point l’horizon théologique de Bardesane fut différent de celui d’Ephrem. Vivant aux IIe-IIIe siècle, dans un milieu chrétien ayant ses propres préoccupations (comme polémique contre les religions locales), Bardesane garde des points communs avec les auteurs judéo-chrétiens ou encore les apologistes. Aujourd’hui les idées bardesanites combattues par Éphrem comme hérétiques devraient être regardées plutôt comme archaïques. Le Livre des lois des pays (LLP) est un dialogue entre Bardesane – assisté de ses disciples – et les représentants du polythéisme astral dont le porte-parole est un certain Avida. Le culte des astres suppose que les planètes décident la course du monde et que l’homme soit privé du libre arbitre. Or, Bardesane s’oppose à ce culte et défend la liberté non seulement des hommes, mais de toutes les créatures, y compris celle des êtres-éléments25. Contrairement à ce qu’Éphrem lui reproche, Bardesane confesse un seul Dieu Créateur, tout-puissant, parce que tout ce qui existe a besoin de lui (LLP 47). Néanmoins, son discours se déroule à l’intérieur du débat sur la liberté des hommes et celle des éléments. Bardesane affirme que les ītyē sont bien créés; créés pour l’homme, car celui-ci est «à l’image d’Elohim». Ainsi l’homme est au-dessus des êtres-éléments et sa liberté est plus grande que la leur. «Aussi considérez combien grande fut la miséricorde de Dieu envers l’homme: il lui fut donné une liberté supérieure à celle de tous les éléments (ēstuksē) dont nous avons 24 Ephrem, Hymnes Hymni contra Hæreses 53,4; Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 170 / Scriptores Syri 77, p. 202-203. 25 Cf. T. Hegedus, Necessity and Free Will in the Thought of Bardaisan of Edessa, «Laval théologique et philosophique», n. 59, 2003, p. 333-344. Aussi A. Dihle, The Theory of Will in Classical Antiquity, Berkeley 1982. 9 parlé, afin de se vaincre lui-même, à l’aide de cette liberté, de se conduire divinement et de se mêler aux anges qui possèdent aussi le libre arbitre»26. Nous avons déjà signalé que Bardesane appelle les êtres-éléments parfois ītyē et parfois ēstuksē. Son souci est d’affirmer la souveraineté suprême de Dieu ainsi que la liberté de toutes les créatures, même celles qui sont assujetties au commandement et au jugement: «Il [Bardesane] me répondit: "Ce n’est pas en tant qu’ils sont déterminés, ô Philippe, que les éléments (ēstuksē) seront jugés, mais en tant qu’ils ont une puissance (šultonō) [propre] en eux. Car les êtres (ītyē) ne sont pas privés de leur nature quand ils sont ordonnés mais uniquement de la force qu’ils avaient quand ils étaient intacts, car ils perdent dans le mélange de l’un avec l’autre et sont soumis à la force de leur créateur. Ils ne seront pas jugés en tant qu’ils sont soumis, mais par ce qui leur est propre"»27. Dans ce texte, Bardesane affirme que même les ītyē possèdent une sorte de liberté, qu’il appelle «puissance en eux», «force qu’ils avaient quand ils étaient intacts» ou encore «force d’intégrité». Il semble que toutes ces expressions reposent sur la même idée fondamentale, celle d’une puissance intérieure, propre aux éléments avant qu’ils ne se soient mélangés entre eux et surtout avec l’obscurité. Une fois privés de cette puissance, ils sont désormais soumis à la puissance du Créateur. Il s’agit probablement d’une même propriété des ītyē, qui garantit leur liberté, en les délivrant de la loi du destin. Plus loin dans le Livre des lois des pays on trouve d’autres informations sur ce qu’est cette «puissance» et comment elle est communiquée aux diverses catégories des êtres: «La sagesse de Dieu leur est supérieure, elle qui a établi les mondes, l’homme et l’ordre des conducteurs, et a donné à chaque chose la puissance (šultono) qui convient à chacune d’elle, je veux dire que la puissance appartient à Dieu, aux anges, aux dominateurs et aux conducteurs, aux éléments (ēstuksē), aux hommes et aux animaux, mais tous ces ordres dont je viens de parler n’ont pas puissance sur tout, car le Puissant (šalit) est unique, mais ils sont puissants par quelque côté et impuissants par d’autres, comme je l’ai fait remarquer, afin qu’en tant qu’ils sont puissants apparaisse la bonté de Dieu, et tant qu’ils sont faibles ils reconnaissent qu’ils ont un maître»28. Les catégories d’êtres dotés de la puissance après Dieu sont appelées «anges, dominateurs, conducteurs, éléments (ēstuksē), hommes et animaux». Ces appellations ressemblent à celles qui se trouvent en Col. 1,16, où l’apôtre Paul parle des hiérarchies de 26 Livre des lois des pays 9; Patrologia Syriaca 1 / 2, Paris, 1907, col. 548 (édition du texte syriaque et traduction latine). Traduction française : F. Nau, Bardesane l’Astrologue…, op. cit., p. 31. 27 Livre des lois des pays 10, Patrologia Syriaca 1 / 2, col. 548-549 ; cf. F. Nau, op. cit., p. 32. 28 Livre des lois des pays 19; Patrologia Syriaca 1 / 2, col. 567-568; cf. F. Nau, op. cit., p. 38-39. 10 puissances spirituelles nommées «trônes, seigneuries, principautés et puissances». Dans les deux cas, il s’agit des formes du polythéisme astral, d’un culte de puissances célestes dont les astres faisaient partie. En Col. 2,8 et 20 nous trouvons même le terme stoicheia – l'équivalent grec des ēstuksē. Cependant, pour l'apôtre Paul «les éléments du monde (τὰὰ στοιχεῖὰ τοῦ κόσμου)» sont opposés au Christ29. Lorsqu’il écrivait aux Colossiens, l’apôtre visait une dérive doctrinale, appelée parfois «hérésie de Colosses», caractérisée par une forte influence de la pensée religieuse du judaïsme hellénistique, syncrétiste, avec peut-être aussi une orientation mystique. Le judaïsme tardif connaissait assez bien une telle spiritualisation des éléments primordiaux, devenus des puissances célestes, médiateurs entre Dieu et le monde, peut-être au même sens que les anges30. Un autre écho du judaïsme tardif dans la pensée du Bardesane est l'idée de placer la sagesse à la tête de la création comme étant celle qui «établit les mondes». Cette expression renvoie à l’Ancien Testament, où la sagesse est présentée comme agent de la création et puissance divine personnifiée (cf. Prov. 8,22). La référence à la Sagesse dans le Livre des lois des pays éclaire aussi la notion de «Parole de la pensée» qui apparaît dans les textes cosmologiques. Pour Bardesane la Sagesse établit le monde et l’ordonne, elle donne «à chaque chose la puissance qui convient». Aussi bien la Sagesse que la «Parole de la pensée» organisent les ītyē et leur communiquent la puissance. Tout comme la Sagesse de l'Ancien Testament a été rapidement interprétée au sens christologique (cf. 1Col. 1,24), de même la «Parole de la pensée» bardesanite a reçu une lecture christologique. Cependant, l'identification de la Sagesse ou la «Parole de la pensée» (memrō d-tarʿitō) avec le Christ a été probablement voulue par Bardesane lui-même. Dans le Livre des lois des pays il y a à peine une petite mention du Christ – le Messie – comme celui dont les chrétiens portent le nom. Son œuvre consiste aussi à créer la «nouvelle famille de nous autres chrétiens que le Messie a placée en tout pays et en tout lieu par son arrivée» et qui est gouvernée par la «loi du Messie» qui décide les actes de ceux qui sont «désignés par le nom seul du Messie» (cf. LLP 46). Cette manière de présenter l'action du Christ à l'égard de l'Église et du monde entier représente une certaine analogie avec l'action créatrice de la Sagesse ou Parole de la pensée à l'égard de l'univers. Cependant, il y a un manque frappant d'articulation entre l'humanité et la divinité du Christ qui plus tard a donné lieu à l'accusation d'hérésie à l'égard de Bardesane. 29 G.H. Van Kooten, Cosmic christology in Paul and the pauline school: Colossians and Ephesians in the context of Graeco-Roman cosmology, Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 171, Tübingen 2003. 30 Les sources de cette doctrine: 1 Hénoch 43,1.2; 80,6; 2 Hénoch 4,1; Testament de Levi 3,8; Philon d’Alexandrie De Cher. 127. 11 Les rapports entre Dieu Créateur et les créatures font surgir la même difficulté d'interprétation postérieure d'une pensée archaïque. Dans le Livre des lois des pays, le terme puissance (šultono) signifie sans doute le degré de communion avec Dieu Créateur, appelé le Puissant (šalit). Bardesane ne manque pas de remarquer que «le Puissant est unique», ce qui non seulement marque la différence entre Dieu et les êtres, mais instaure plutôt une sorte de communion entre eux. Dans le contexte du débat de son époque, cette idée permet à Bardesane d'affirmer que toutes les créatures – jusqu'aux éléments primordiaux – bénéficient d'un certain degré de liberté et ne sont pas soumises aux lois du destin, déterminé par les astres. Deux siècles plus tard, ces mêmes propos deviennent incompréhensibles, voire hérétiques. Si Éphrem le Syrien défend la distinction entre le Créateur et la création, il le fait dans le contexte de son époque, celui d'une crise gnostique et une autre, arienne. Ces interlocuteurs sont bien différents de ceux de Bardesane. Au IVe siècle, le débat porte sur le rapport entre le Père et le Fils, sur les deux natures du Christ, sur la divinité de l'Esprit Saint... Indépendamment de questions dogmatiques, le besoin du moment était aussi d'utiliser un vocabulaire théologique précis. Tout cela a été loin des préoccupations de Bardesane. Il en reste néanmoins que les idées bardesanites ont connu une longévité étonnante, allant jusqu'au XIIIe siècle. Malgré les difficultés de reconstruction et d'interprétations, la pensée de Bardesane interpelle les chercheurs par son originalité. Elle reste un mélange unique dans son genre, où se rencontrent les systèmes religieux et philosophiques, le christianisme primitif et le judaïsme hellénisé, l'astrologie chaldéenne et la philosophie grecque. *** Izabela Jurasz Bardesane – philosophe chrétien d'Édesse Résumé Bardesane (+222) est le premier auteur chrétien de la langue syriaque. D’origine païenne, Bardesane s’est converti au christianisme à Édesse, probablement au cours de ses études de philosophie. Il fut conseiller des rois d’Édesse, connu au-delà du royaume à cause de ses vastes connaissances dans différents domaines. Il eut de nombreux disciples et l’école de pensée fondée par lui fut mentionnée encore au XIII e siècle. Cependant, le philosophe Bardesane fut vite compté parmi les hérétiques. Éphrem le Syrien (+373) trouva dans ses 12 écrits des éléments de doctrines gnostiques. À cause de cette critique, les écrits originaux de Bardesane furent perdus. Aujourd’hui nous pouvons reconstruire sa pensée à partir du Livre des lois des pays (un dialogue rédigé par ses disciples) et aussi à partir des écrits polémiques d’Éphrem. Le but de l’article est de présenter le personnage de Bardesane et son œuvre et aussi de résumer les thèmes originaux de sa pensée: la cosmologie, la christologie, la conception du libre arbitre. Sans aucun doute, il s’agit d’une doctrine très originale, syncrétiste, qui correspond à un stade archaïque de la théologie chrétienne. Bardesane est considéré aujourd’hui comme le représentant par excellence du christianisme syriaque, édessenien, avec toutes ses différences par rapport au christianisme de langues grecque et latine. Izabela Jurasz Bardaisan the Christian Philosopher of Edessa Summary Bardaisan (died in 222) is the first Christian author who wrote in Syriac. Being of pagan origin, he accepted Christianity in Edessa, probably when he was studying philosophy. Due to his outstanding and comprehensive education, he was not only an advisor to the kings of Edessa, but a personality known beyond the borders of the Kingdom of Osroene. He was surrounded by a large group of students, and the philosophical school he created is mentioned in literature up to the thirteenth century. However, from a theological point of view, Bardaisan was regarded by posterity as a heretic. Ephrem the Syrian (+373) found in his writings elements of Gnostic doctrine. Because of this criticism, the original texts by Bardaisan were destroyed and forgotten. Today we can reconstruct his ideas based on the Book of the Laws of the Countries (a dialogue written by his students) as well as on the basis of polemical writings of Ephrem the Syrian. The purpose of this article is to present the person and work of Bardaisan and to synthesize his thoughts concerning cosmology, Christology, and the concept of "free will." His original, syncretic form of doctrine corresponds to the early form of Christian theology. Today, Bardaisan is considered to be an outstanding representative of Syriac Christianity (from Edesse) which is significantly different from the Christianity that uses the Greek and Latin languages. 13 Izabela Jurasz Bardesanes – chrześcijański filozof z Edessy Streszczenie Bardesanes (zm. 222) jest pierwszym chrześcijańskim autorem piszącym w języku syryjskim. Będąc z pochodzenia poganinem, przyjął chrześcijaństwo w Edessie, prawdopodobnie w czasie studiów filozoficznych. Ze względu na wybitne i wszechstronne wykształcenie był nie tylko doradcą królów Edessy, ale osobistością znaną poza granicami królestwa Osroene. Otoczył się liczną grupą uczniów, a utworzona przez niego szkoła filozoficzna jest wzmiankowana w literaturze aż do XIII wieku. Jednak z teologicznego punktu widzenia Bardesanes uważany był przez potomnych za heretyka. Efrem Syryjczyk (+373) dopatrzył się w jego pismach elementów doktryny gnostyckiej. Z powodu tej krytyki, oryginalne teksty Bardesanesa zostały zniszczone i zapomniane. Dzisiaj możemy odtworzyć jego idee na podstawie Księgi praw narodów (dialog napisany przez jego uczniów), jak również w oparciu o pisma polemiczne Efrema Syryjczyka. Celem artykułu jest zaprezentowanie osoby i dzieła Bardesanesa oraz syntetyczne ujęcie jego przemyśleń dotyczączch kosmologii, chrystologii oraz konceptu „wolnej woli”. Jego oryginalna, synkretyczna doktryna odpowiada wczesnej formie chrześcijańskiej teologii. Dzisiaj Bardesanes uważany jest za wybitnego przedstawiciela chrześcijaństwa syryjskiego (edesseńskiego) – znacząco różnego od chrześcijaństwa posługującego sie językami greckim i łacińskim.