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Néandertaliens et hommes modernes au Proche-Orient

1989, Bulletin de la Société préhistorique française

Liliane Meignen B. Vandermeersch A.-M. Tillier H. Laville B. Arensburg O. Bar-Yosef A. Belfer-Cohen P. Goldberg Y. Rak E. Tchernov Néandertaliens et hommes modernes au Proche-Orient In: Bulletin de la Société préhistorique française. 1989, tome 86, N. 10-12. pp. 354-362. Citer ce document / Cite this document : Meignen Liliane, Vandermeersch B., Tillier A.-M., Laville H., Arensburg B., Bar-Yosef O., Belfer-Cohen A., Goldberg P., Rak Y., Tchernov E. Néandertaliens et hommes modernes au Proche-Orient. In: Bulletin de la Société préhistorique française. 1989, tome 86, N. 10-12. pp. 354-362. doi : 10.3406/bspf.1989.9892 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1989_hos_86_10_9892 Bulletin de la SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 1989 /TOME 10 / 12 JN éandertaliens et hommes modernes au 1 roche-Orient Chronologie et comportements culturels par L. Meignen, B. Vandermeersch, A. -M. Tillier, H. Laville, B. Arensburg, O. Bar Yosef, A. Belfer-Cohen, P. Goldberg, Y. Rak et E. Tchernov L'occupation humaine au Proche-Orient durant le Paléolithique moyen est caractérisée par la présence de deux populations morphologiquement différentes, les Néandertaliens et les Hommes de type moderne, toutes deux associées à un même type d'industrie, le Moustérien. De longues controverses existent depuis de nombreuses années à propos des relations phylétiques entre ces deux groupes. Les interprétations en présence sont de façon schématique les suivantes : — les Néandertaliens du Proche-Orient seraient plus anciens que les Hommes de type moderne, dont ils pourraient être les ancêtres ; cette hypothèse a été largement soutenue par M. Wolpoff (1981), E. Trinkaus (1983) et A. Jelinek (1981, 1982) ; — les Hommes modernes auraient précédé les Néandertaliens dans cette région ; l'origine des Hommes modernes serait donc indépendante du stock néandertalien européen. Défendue par F. Clark Howell (1959) et C.S. Coon (1962), cette hypothèse a été confortée par les travaux de B. Vandermeersch sur les squelettes de la grotte de Qafzeh (1981) et renforcée par des études récentes (Vandermeersch, Stringer, Tillier, Brauer in Mellars and Stringer, 1989). Dans ce contexte, les données chronologiques concernant les restes humains sont donc considérées comme base nécessaire à la progression de la ré flexion sur le sujet. En l'absence de repaires en chronologie absolue, ce qui fut longtemps le cas pour les périodes et la région qui nous concernent, les éléments de datation étaient fournis par les études géologiques (le plus souvent en référence aux n iveaux marins) et les résultats de la biostratigraphie (principalement les Rongeurs). A la suite des r echerches effectuées par A. Jelinek sur les industries provenant de la longue séquence de Tabun, des données métriques sur ces assemblages ont égale ment été utilisées comme critère de datation relative. Même si ce type de raisonnement est largement discutable, les conclusions en ont été souvent exploi téespar les anthropologues anglophones, en particul ier comme argument en faveur de la l'c hypothèse. Le débat durait depuis de nombreuses années, sans qu'aucune interprétation chronologique ne semble obtenir un large consensus. Et le bilan synthétique effectué par A. Jelinek, en 1981, lors du colloque sur la Préhistoire du Levant, soulignait cette impasse. Seule une série de datations absolues dans les sitesclés pouvaient désormais faire progresser la discus sion, ou du moins permettre de poser le problème anthropologique en des termes plus précis. C'est dans ce contexte que O. Bar Yosef et B. Vander meersch ont mis au point un programme de r echerche pluridisciplinaire franco-israélien dans le cadre du Ministère des Relations Extérieures. / - MISE EN ŒUVRE ET FONCTIONNEMENT DU PROGRAMME Lorsqu'il a débuté en 1982, le programme avait pour principal objectif d'établir une nouvelle chronostratigraphie des sites impliqués dans l'origine de l'Homme moderne, comme préliminaire à une étude de l'évolution des industries et des types humains durant la période considérée. La méthode proposée consistait à reprendre des fouilles limitées dans 2 gisements moustériens (grottes de Kébara et d'Hayonim) pour récolter des données nouvelles 355 L'aspect original de ce projet était la volonté de réunir les différents spécialistes impliqués durant la majeure partie de la campagne de fouille. L'équipe de base fut donc composée de 10 chercheurs, français et israéliens, représentant les principales disciplines (2 en géologie, 3 en préhistoire, 4 en anthropologie, 1 en paléontologie ; voir liste des auteurs) travaillant ensemble chaque année sur le terrain. A cette équipe fut adjointe immédiatement une spécialiste de data tions absolues, étant donné l'orientation de nos recherches. Vu l'ampleur de la fouille et le degré de complexité de la stratigraphie, la présence de plu sieurs spécialistes de disciplines complémentaires ne fut jamais superflue, en particulier dans le choix des zones « stratégiques » à fouiller pour répondre aux problèmes de chacun (échantillonnage pour l'étude des microfaunes, des industries lithiques, secteurs permettant une meilleure compréhension des phéno mènes géologiques, par exemple). La présence de cette équipe de base a permis souvent de longs débats sur les méthodes de fouille à adopter, des compromis à trouver pour répondre aux préoccupations de chacun. Les difficultés rencontrées pour la compré hension de l'ensemble des phénomènes de dynami que du remplissage (dépôts anthropiques, déformat ions et ruptures dues aux soutirages karstiques, érosion) puis des actions postérieures au dépôt (phénomènes géochimiques, bioturbations) n'ont pu être résolues que par la confrontation sur le terrain des différents spécialistes. L'orientation de nos travaux, avec des préoccupat ions nettement chronostratigraphiques au départ, s'est vue progressivement élargie en fonction des possibilités offertes par le terrain, au fur et à mesure de la fouille, et des centres d'intérêt qu'elles susci taient dans l'équipe. La découverte d'une sépulture dès 1983 a permis, bien sûr, le développement d'un large volet anthropologique dans le programme, mais aussi une étude comparative des pratiques funéraires au Paléolithique moyen. L'abondance des structures de combustion largement préservées — phénomène peu fréquent au Paléolithique moyen — nous a conduit à poser de nouvelles questions, à tenter une recherche d'organisation spatiale autour de ces foyers s'intriquant les uns dans les autres ; et donc à entreprendre un large décapage dans la zone centrale de l'habitat. Les données de terrain et les personnal ités en présence ont modifié le projet et les mé thodes de fouille ; une perspective plus orientée vers l'étude des comportements des deux populations a ainsi pu être développée, préoccupation qui s'est d'ailleurs généralisée ces dernières années dans les recherches effectuées sur le Paléolithique moyen, malgré les difficultés rencontrées pour ces périodes anciennes. Mais les données importantes et diversi fiéesobtenues dans les grottes de Kébara et de Qafzeh ont permis d'aborder le problème sur des bases favorables (sépultures, structures de combust ion, matériel lithique en bon état). L'équipe s'est donc enrichie de nouveaux spécialistes tracéologues pour la compréhension de l'utilisation des outils, paléobotanistes et géochimistes pour l'étude des foyers, archéozoologue et géochimiste encore pour la démonstration de structures... Le programme com porte donc maintenant deux points forts : — chronologie et relations phylétiques des Néandertaliens et des Hommes modernes au ProcheOrient ; — comparaison de leurs comportements culturels. : : : dans un cadre chronostratigraphique précis et à corrëler ces résultats avec ceux obtenus durant ces 20 dernières années dans 3 autres sites importants grottes de Oafzeh (fouilles Vandermeersch), de Tabun (fouilles Jelinek) et d'Amud (fouilles Suzuki, Takai et Watanabe). Le programme de fouille dans la grotte de Kébara touche à son terme ; celui de la grotte d'Hayonim devrait lui faire suite. Étant donné son importance dans la problématique posée, la grotte de Qafzeh a fait partie intégrante de nos travaux durant ces dernières années pour le pr ogramme de datation bien sûr, mais aussi pour les recherches dans le domaine des comportements (étude des pratiques funéraires, des traditions techni ques sur le silex). L'acquisition simultanée de l'ensemble des données et leur exploitation par une même équipe devait permettre une meilleure com préhension du Paléolithique moyen et de son cadre chronologique dans cette région. // - METHODES ET RESULTATS Notre but n'est pas de faire un catalogue exhaustif de toutes les méthodes mises en œuvre dans ce projet, mais de souligner, sur quelques grands thèmes, l'apport des méthodes choisies à la résolu tiondes problèmes archéologiques posés. A - Etude des 2 populations, de leurs relations chro nologiques et phylétiques Ce thème est largement traité dans un autre article de cet ouvrage (Meignen et al.) ; méthodes et résul tatsne seront donc que brièvement évoqués. Il est cependant important de souligner ici la contribution du squelette Kébara 2 à la connaissance de l'anatomie des populations néandertaliennes. En effet, grâce à son excellent état de conservation, des informations nouvelles sont apportées sur les diffé rents segments de la colonne vertébrale et leurs 356 Ces importantes données anthropologiques, com binées avec celles provenant des Hommes modernes de Qafzeh autorisent à considérer ces deux sites comme représentatifs des deux populations, pour traiter du problème chronologique. Les méthodes de datation relative (en particulier, les données géologiques (Farrand, 1979) et biostratigraphiques (Tchernov, 1981, 1988)) avaient conduit O. Bar Yosef et B. Vandermeersch, dès 1981, à proposer un âge de Tordre de 100 000 ans pour les Hommes modernes de Qafzeh. Mais les réticences observées devant cette proposition nous ont incités à la mise en œuvre d'un programme de datations absolues par la méthode de la thermoluminescence d'abord, puis par celle de la résonance de spin électronique. Des analyses С 14 par accélérateur de particules avaient été programmées en 1983 — alors les performances annoncées nous en laissaient l'espoir — mais les limites de la méthode nous ont rapidement contraints à abandonner ce projet. L'ensemble des résultats, cohérents non seulement entre eux mais aussi avec ceux obtenus dans la grotte de Skhul (Stringer et ai, 1989) où de nombreux restes d'Hommes modernes ont été découverts, contribue à établir, cette fois-ci de façon difficilement contestable, l'ancienneté de ces hommes fossiles, présents dès la fin du stade 5 au Proche-Orient. Dans l'état actuel des recherches, les Néandertaliens sem blent arriver plus tardivement dans la région, le stock néandertalien européen n'interviendrait donc pas dans les origines de l'Homme moderne. L'apport de ces méthodes physiques de datation est donc incontestablement fondamental ; ces résul tats radio-chronologiques, parce qu'ils sont nom breux (plusieurs échantillons pour chaque date), cohérents entre eux et avec les données antérieure ment obtenues en chronologie relative, semblent jouer en quelque sorte un rôle d'arbitrage dans les discussions, alors qu'un faisceau de données anthro pologiques, géologiques et biostratigraphiques n'avaient pas emporté la conviction. Ils permettent d'envisager de traiter de questions jusqu'alors restées théoriques, telles, par exemple, la contemporanéité éventuelle des deux populations dans un territoire restreint comme le Mont Carmel, par la confrontation des âges obtenus pour les restes humains de Skhul, Kébara et Tabun. В - Comportements culturels Le Proche-Orient constituait un excellent modèle pour comparer les comportements de ces deux popul ations morphologiquement distinctes. Quelques points ont pu être développés, mais de façon inégale dans les deux sites. / - Comportements techniques sur le silex Le silex, élément le mieux conservé, constitue souvent la base de nos interprétations. Nous avons choisi d'en faire une lecture technologique tentant d'appréhender les choix effectués par les préhistori ques tout au long de la chaîne opératoire de fabrica tion des outillages. Différentes séquences peuvent être mises en évidence dans cet enchaînement, dont l'étude a parfois nécessité l'intervention d'autres spécialistes : — approvisionnement en matières premières mise en évidence des choix effectués parmi les matériaux disponibles, cartographie des gîtes natur els, identification des provenances problématiques par détermination des éléments traces en activation neutronique (F. Frachtenberg, Institute of Archeol ogy,Jérusalem) ; — fabrication des supports : l'établissement des schémas diacritiques sur les produits du débitage et les nucleus aboutit à la compréhension des objectifs (les produits recherchés) et à celle de l'enchaînement des gestes techniques pour y parvenir. Les moustériens de Kébara recherchaient des supports subtrian gulaires (éclats ou pointes) qu'ils obtenaient selon un système de débitage Levallois récurrent. L'objectif des préhistoriques à Qafzeh semble avoir été la recherche d'éclats Levallois courts et larges obtenus selon le même système récurrent. Mais l'agencement des enlèvements de préparation des nucleus diffère légèrement, unipolaire à Kébara, centripète à Qaf zeh. Les modes de gestion des blocs de matière première montrent globalement cependant le même degré de complexité ; — façonnage et utilisation des outillages : les deux méthodes de la tracéologie ont été mises en œuvre de façon à pouvoir confronter les données. Les premiers résultats de la méthode au fort grossissement (J. Shea, Harvard University, USA) mettent en évidence sur certains supports (subtriangulaires) des traces d'emmanchement et une utilisation probable comme pointes de projectile. Les résultats prélimi naires de l'examen d'une série de pointes Levallois par la méthode au fort grossissement (S. Beyries, ERA 28 du CRA) semble confirmer ces observat ions. L'intérêt de ce type d'approche est de mettre en évidence des traditions techniques qui peuvent aider : rapports à la cage thoracique, sur le bassin (condui sant à une reconsideration de l'hypothèse précédem ment avancée par E. Trinkaus quant à l'interpréta tion de la morphologie particulière du bassin chez les Néandertaliens) mais aussi sur l'os hyoïde, le seul actuellement découvert pour le Paléolithique moyen. Rappelons que cet os fragile permet de discuter les aptitudes de ces derniers concernant la parole. 357 à la caractérisation d'un groupe humain. Les mé thodes un peu sophistiquées comme la tracéologie qui demande un investissement de temps important permettent cependant une approche plus fine du problème. Dans le contexte de notre recherche, il était intéressant d'acquérir des réponses dans ce domaine des comportements, pour les deux populat ionsconcernées, un certain nombre d'anthropolo gues et de préhistoriens, le plus souvent anglosaxons, il faut l'avouer, ayant tendance à minimiser les capacités des Néandertaliens. ••*. ~. ****** ■ ■•' 2 - Organisation de l'habitat ■v. '_■ ■». s1.-« /: ««к-.*" •"■•-•, *-■'-•:* '■ Ч,."*-*-- Fig. 2 - Stratification des foyers moustériens de Kéhara. Les niveaux blancs sont formés de cendres blanches. Les niveaux noirs sont formés de charbons. de leurs combustibles selon leur emplacement dans la grotte devrait permettre d'entrevoir le rôle qu'ils ont pu jouer dans l'habitat. — concentrations délimitées d'ossements = fosses ? De façon générale, l'habitat moustérien dans les niveaux antérieurement fouillés présentait un agen cement net des restes fauniques (Schick and Stekelis, 1977) dans la zone centrale fouillée (80 m2 environ), les ossements étaient concentrés sur une large bande de 2 à 3 m contre la paroi Nord, mêlés à de nombreux grands déchets de débitage (nucleus, grands éclats de décorticage, blocs testés) — ce qui avait conduit Stekelis à nommer cette zone « kitchenmidden » — . Par ailleurs, pour les niveaux concernés, le reste de la surface de la grotte ne présentait aucun reste osseux notable. Ces éléments pouvaient laisser supposer l'existence d'un phéno mène de conservation différentielle des os, avec un effet positif de la paroi calcaire. : Deux points intéressants ont pu être développés dans la grotte de Kébara. compte tenu des éléments rencontrés : — structures de combustion : Les niveaux moustériens de Kébara se caractéri sent par une superposition et une imbrication de foyers exceptionnellement bien conservés (fig. 1 et 2). Ces derniers semblent de morphologie variable dans différents secteurs de la grotte ; la question est donc de savoir s'ils ont tous eu la même signification. L'identification des combustibles s'est faite par ana lyses anthracologique (certains charbons de bois atteignent 5-6 cm) (U. Baruch, Institute of Archeol ogy,Jerusalem) et carpologique (de nombreuses graines ont été récoltées par flottation) (M. Kislev, Tel Aviv). Les études micromorphologiques ont décelé la présence dans ces foyers d'éléments plus surprenants : de nombreux phytolithes, dont la dé termination est en cours (A. Rosen, Weizmann Institute) de façon à identifier s'ils proviennent d'herbacées ou non ; présence de guano également qu'il est possible de caractériser aussi en analyses chimiques. L'étude combinée de la morphologie des foyers et Fig. 1 - Foyer mnustérien de l'unité XII de Kébara. 358 La première exception à cette situation fut la découverte du squelette néandertalien en excellent état de conservation (cf. l'os hyoïde) trouvé just ement dans cette zone vierge de restes osseux. En outre, le décapage effectué dans la zone centrale de l'habitat à partir de 1987, a mis en évidence la présence de concentrations nettes d'ossements, sou vent fragmentés mais parfois de grande taille (sca pula entière, par exemple), voire en connexion anatomique (extrémités de pattes). La lre structure (fig. 3), la plus évidente, présente une forme plus ou moins circulaire, d'un mètre de diamètre environ, comportant une zone centrale, de teinte blanchâtre, contenant la majorité des ossements ; elle est ceintu rée par une auréole de sédiment brun foncé, de contour plus ou moins régulier, mais toujours pré sente sur toute l'épaisseur de la structure. Cet ensemble a été fouillé sur une épaisseur de 45 cm, sans que la base ne soit atteinte. L'examen des relevés de terrain laissés part Stekelis confirme l'existence de cette même structure depuis le niveau — 6,20 m (décrite comme un large foyer contenant de nombreux os). Cette accumulation de restes osseux se développe donc actuellement sur une profondeur de 85 cm. Les contours de la zone de concentration des os montrent des limites assez constantes à travers les différents décapages, trop réguliers pour un simple amas d'une telle épaisseur. D'autre part, l'observation des esquilles, à l'œil nu. ne montre pas de traces de chauffe (des analyses sont en cours pour vérification) ; il ne s'agit donc pas d'un foyer dans lequel auraient été jetés des os ; mais la confusion était possible, vu l'apparence de cet en semble (zone centrale blanche, auréole périphérique sombre). Non loin de cette structure, dans le même déca page, deux autres concentrations sont observables : la structure 2, aux contours plus irréguliers, montre, sur l'épaisseur fouillée, une densité moindre des os et un état de conservation inégal. La structure 3, plus petite et proche de la concentration 2, se caractérise par une couleur jaune marquée du sédiment et la présence d'os à l'état poudreux (« fantômes ») qu'il est impossible de prélever. terrain, par spectrométrie en infra-rouge (« Fourier Transform Infra Red Spectroscopy = FTIR »), comp létées par des analyses aux RX. Les analyses ont pu être réalisées sur place, dans la grotte, grâce au prêt d'un appareillage portable aimablement consenti par Midac Company (USA) afin d'en tester les capacités dans des conditions particulières — ce qui fut larg ement positif. L'intérêt d'un tel dispositif est bien entendu un travail inter-actif entre laboratoire et fouille, un meilleur choix de l'échantillonnage pour lequel on procède d'abord selon un large quadrillage, puis, au vu des résultats obtenus, de plus nombreux prélèvements sont faits seulement dans les secteurs significatifs ou problématiques. Dans ce type de collaboration, l'obligation dans laquelle se trouve le préhistorien d'énoncer clairement le problème qu'il veut résoudre et les données dont il dispose déjà, le dialogue avec un non-archéologue qui en résulte, sont autant d'éléments positifs qu'il faut mettre à l'actif du travail interdisciplinaire sur le terrain. Dans ce cas précis, et dans bien d'autres au cours de ce projet, les écueils de « jargon » propre à chaque science ont été évités ou du moins vite nivelés grâce à une concertation constante dès le début des re cherches. Les premiers résultats des analyses chimiques montrent d'une part, une distribution de calcite indépendante de celle des concentrations en os : de ce fait, l'hypothèse d'une meilleure conservation due à l'effet de la paroi calcaire, par exemple, peut être éliminée. D'autre part, dans le décapage central, une série de prélèvements systématiques, dans et horsstructures, montrent une concentration plus nette d'hydroxy-apatitc (phosphate de calcium) dans les structures et une absence fréquente de ce phosphate hors-structures. Mais un quadrillage plus systémati que de la surface centrale devra être effectué dans un proche avenir, pour l'acquisition de résultats définit ifs. L'âge Paléolithique moyen de ces structures ne fait aucun doute étant donné leur position médiane dans l'épaisseur des niveaux moustériens. Les ossements récoltés dans la structure 1 ont fait l'objet d'une étude taphonomique (J. Speth, Univers ityof Michigan). Des résultats préliminaires (J. Speth, communication personnelle) font état de nombreuses traces de décarnisation sur le matériel provenant de cette concentration, plus abondantes que sur les ossements provenant de la zone contre paroi. Avant d'affirmer le caractère anthropique de ces concentrations, il convenait bien sûr d'éliminer les éventuelles interprétations d'origine naturelle. Un phénomène de conservation différentielle des os, dû à des actions géochimiques postérieures au dépôt pourrait en effet être la cause de cette situation (différences de pH dans divers secteurs de la grotte, phénomène de « dripping »). Des études géochimi ques ont donc été entreprises dans ce but (S. Weiner Weizmann Institute), effectuées directement sur le Bien que ces résultats doivent être encore mani pulés avec précaution, l'interprétation de ces struc tures comme fosses à détritus peut être sérieusement envisagée — ce qui constitue un élément totalement nouveau pour le Paléolithique moyen. Cette hypo thèse devra cependant être étayée par de nouvelles analyses géochimiques et par des résultats plus comp lets de l'étude archéozoologique (présence d'évent uelsremontages ou d'appariement d'os sur l'épais seurde la structure). 359 к кил к л II к ,о v I 111 FAUNE RICHE EN FRAGM D'OS CONCRETIONS DE PHOSPHATES INDUSTRIE LITHIOUE PIERRE г ■'-- E SÉDIMENT BRUN Fig. 3 - Plan de la structure 1 de l'unité X de Kébara (dessin .1. Chevalier). = =- = SEDIMENT NOIR = 360 3 - Pratiques funéraires Le phénomène des pratiques funéraires est com mun aux deux populations, Néandertaliens et Hommes modernes : il faut signaler à Qafzeh, l'un ique sépulture double (Q9/Q10) du Paléolithique moyen et la seule sépulture à offrande certaine (Qafzeh 11) (Vandermeersch, 1970, 1982). La présence simultanée, à la fouille, des anthropol ogues,des géologues et des préhistoriens lors de la découverte du squelette Kébara 2 a conduit à la fois à un enregistrement détaillé des données de terrain concernant la fosse dans laquelle le squelette repos ait, mais aussi à une large discussion des méthodes de fouille qu'il convenait d'appliquer dans une telle situation. Le travail minutieux de préparation du squelette (effectué par M. Chech, CRFJ Jérusalem) accompagné d'un enregistrement (dessins et photos) des différents stades d'avancement, l'étude détaillée de la position des os par les anthropologues ont permis de déduire certaines limites non décelables de la fosse et l'enchaînement probable des gestes qui ont entouré l'inhumation. Ainsi il semble qu'à Kébara, un pas soit franchi dans la complexité des pratiques funéraires, avec une intervention ultérieure (prélève ment du crâne) sur une sépulture primaire ; ce point n'a pu être mis en évidence que par des observations fines et un raisonnement déductif émis par des spécialistes. animales), sur l'organisation du territoire de vie, qui se développent, en sont de bons exemples, qui font appel à d'autres disciplines (archéozoologie, pétro graphie, géomorphologie...). Il est indéniable que nombre de problèmes archéo logiques ne peuvent être traités sans l'apport de méthode de laboratoire. Le cas des datations abso lues, dans le cadre de notre programme, est démonstr atif.Les résultats obtenus mettent un point final aux controverses sur l'âge des Hommes de type moderne ; il reste aux tenants de la première hypo thèse à moduler leurs interprétations phylétiques sur ces bases. Ces nouvelles données apportent des éléments de réflexion qui induisent de nouvelles interrogations plus fines — ce qui est le fonctionne ment progressif normal de la recherche. Tout cela ne représente que le cas classique d'une approche pluridisciplinaire. Mais le point le plus positif de notre projet est, sans aucun doute, durant ces 8 dernières années, une collaboration perma nentesur le terrain des différents spécialistes, entraî nantune interaction profonde et suivie, d'année en année, entre travail de terrain et recherches en laboratoire. Cette interaction est sans doute plus développée du fait des rencontres régulières et pro longées. En effet, la confrontation des points de vue sur de longues périodes permet un mûrissement des questions, une argumentation plus détaillée des di verses hypothèses, une précision lentement acquise des problèmes posés, à force de discussions. Cette approche dynamise ensuite le travail poursuivi par chacun en laboratoire durant l'année. Pour reprendre succinctement des éléments déjà évoqués lors de la description de nos travaux, on peut faire un bilan des points positifs d'une telle organisa tion ; une collaboration journalière sur le terrain, c'est surtout : Tout au long de la présentation des recherches — le choix concerté des zones stratégiques à entreprises qui précède, apparaît clairement la com fouiller pour répondre aux questions posées par plémentarité des différentes disciplines pour répon chaque spécialiste, aux nécessités de leur échantillon dreaux questions posées. Les travaux pluridiscipli nage (industries lithiques, faune et surtout micro naires en laboratoire permettent bien sûr un affinefaune, et secteurs permettant la compréhension de ment des interrogations : les recherches tracéologiphénomènes particuliers tels les soutirages, par ques, par exemple, précisent la partie « utilisation » exemple) ; de la chaîne opératoire ; les études paléobotaniques, micromorphologiques et géochimiques complètent la — des discussions sur les méthodes de fouille, compréhension des foyers dont la typologie est différemment conçues selon la formation de chacun définie sur le terrain. Il est, depuis longtemps déjà, et les spécialités, méthodes que l'on modulera en impensable de séparer les recherches préhistoriques fonction du problème posé et de l'évolution de la de toutes ces études. Ce qui est un peu plus récent fouille ; sans doute, c'est pour le Paléolithique moyen, — un nivellement des problèmes de vocabulaire l'investissement fait depuis quelques années dans des travaux plus détaillés sur les comportements socio spécialisé, la coexistence entraînant dès le début la culturels, domaine qu'il est très difficile d'aborder nécessité de se comprendre, d'énoncer clairement les pour ces périodes, vu les données dont on dispose ; problèmes aussi bien que les éventuelles voies de mais les recherches sur les stratégies d'approvisio résolution (possibilités des méthodes maîtrisées par nnement (matières premières mais aussi ressources chacun) ; les barrières de langage ne s'installent donc /// - BILAN D'UNE COLLABORATION «AR CHÉOMÈTRES ET PRÉHISTORIENS » 361 Arensburg В., Bar Yosef O., Chech M., Goldberg P., La ville H., Meignen L., Rak Y., Tchernov E., Tillier A.M. and Vandermeersch B. (1985) — Une sépulture néandertalienne dans la grotte de Kébara (Israël). 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La ville Paléontologie E. Tchernov Collaborateurs scientifiques : Datations H. Valladas, H. Schwarcz, R. Grùn Tracéologie S. Beyries, J. Shea Géochimie S. Weiner Archéozoologie J. Speth Anthracologie U. Baruch Carpologie M. Kislev : : : : : : pas. Et sur ce point, l'expérience faite des analyses en spectrométrie infra-rouge sur le terrain est démonst rative, le dialogue était quotidien. Le géochimiste lui-même est le premier demandeur pour répéter la formule ; — une sorte de « formation permanente », pour chaque membre de l'équipe, une forme d'enrichiss ement intellectuel incontestable dans des domaines où il serait impossible de suivre la bibliographie (anthro pologie, par exemple) ; — un aspect formateur également pour les étu diants, souvent déjà en cours de thèse ou de PhD, qui participent aux discussions. La recherche interdisciplinaire sur la fouille en traîne bien entendu le cumul des compétences et la complémentarité des interprétations. La complexité de la dynamique du remplissage (mise en place des sédiments, mais aussi déformations et ruptures dues au soutirage karstique, érosions, actions géochimi ques et nombreuses bioturbations postérieures au dépôt) n'aurait pu être éclaircie sans la participation active des différents spécialistes et les lectures com plémentaires que chacun en a fait. L'acquis du travail de laboratoire, en micromorphologie et en géochimie par exemple, aide ensuite à l'interprétation de ter rain : de nombreux phénomènes de concrétionnement ou de « digestion » chimique postérieurs au dépôt, masquent les structures, les litages, faussant ainsi la lecture de la stratigraphie sur le terrain. La connaissance de ces phénomènes en facilite le repé rage. La grotte de Kébara justifiait un tel investiss ement, par l'intérêt du problème posé, la complexité du site et son ampleur. Mais alors que l'on pouvait craindre une certaine lourdeur de la « machine pluridisciplinaire » et d'une direction partagée de la fouille, le bilan scientifique est particulièrement positif, le travail de groupe offrant un aspect dynamis ant dans la confrontation des résultats. 362 : : : ( 1988). — Les sépultures néanderthaliennes du Proche-Orient état de la question. Paléorienl, 14/2. pp. 130-136. Trinkaus E. (1983). — The Shanidar Neanderthals, New York, Academic Press. Vallaoas IL, Joron J.L., Vali.adas G., Arensburg В.. Bar Yosef O.. Belfer-Coiien A., Goldberg P., Laviu.e H., Meignen L.. Rak Y.. Tchernov E., Till ier A.M. and Vandermeersch B. (1987) — Thermoluminesc ence dates for the Neanderthal burial site at Kebara in Israël. Nature. 330, pp. 159-160. Vai.ladas H., Reyss J.L., Joron J.L., Valladas G., Bar Yosef O. and Vandermeersch B. (1988) — Thermoluminesc ence dates lor the Mousterian Proto-Cro-Magnons from Qaf zeh Cave (Israël). Nature, 331, pp. 614-616. Vandermeersch B. 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