Academia.eduAcademia.edu

L’approvisionnement en eau

2012, Archéologia

L’APPROVISIONNEMENT EN EAU Le siège d’Alésia a sans doute duré deux mois. Comment Gaulois et Romains ont-ils vécus ces longues semaines d’attente, et notamment comment fut résolue la question cruciale de l’eau ? CI-DESSUS. Reconstitution des fortifications romaines. Photo © C. Jachymiak, SEM Alésia ’APPROVISIONNEMENT en eau durant le siège d’Alésia a été instrumentalisé depuis qu’est née la controverse sur la localisation du site. Tous les détracteurs l’ont abordé à charge contre les assiégés, en s’en tenant à une analyse succincte et orientée, et en méconnaissance totale de la situation. Sur un site aussi vaste, qui englobe le MontAuxois, deux vallées, les plateaux alentours et une plaine, une question aussi cruciale demande à être envisagée de manière globale et pluridisciplinaire. Le débat se pose dans des termes bien définis. Quelle était la contrainte hydrogéologique* lors du siège de 52 av. J.-C. ? Le site d’Alise-Sainte-Reine a-t-il pu répondre aux besoins d’une population confinée dans des conditions extrêmes sur l’oppidum, mais aussi à ceux de l’assiégeant, sans doute plus nombreux et lui L aussi soumis au confinement au moins pendant les derniers jours du siège ? Un sujet actuel La question de la gestion de l’eau sur le site d’Alésia pendant le siège de 52 av. J.-C. a été reprise récemment dans le cadre d’un travail universitaire (J. Vidal, L’eau sur le site d’Alésia : du siège à l’époque moderne, une ressource naturelle et sa gestion par l’homme, Mémoire de Master Archéosciences et Géo-environnement, Dijon, Université de Bourgogne, 2008). L’étude a porté sur la compréhension de la répartition des ressources en eau à l’échelle de tout le site. Elle a fait appel aux moyens scientifiques modernes pour comprendre le système hydrogéologique à partir de la quantification de la production d’eau, de son 79 L’APPROVISIONNEMENT EN EAU évolution saisonnière et du fonctionnement des circulations. Les données recueillies ont été corrélées à celles fournies par l’archéologie. Les contraintes naturelles Le Mont-Auxois (407 m) et les plateaux d’altitudes équivalentes de son entourage immédiat – la montagne de Flavigny, le mont Pennevelle, la montagne de Bussy et le mont Réa – appartiennent à la région du “Haut-Auxois”. Appelée également “Auxois des plateaux”, elle est constituée de tables calcaires en lanières orientées nordouest-sud-est dominant d’étroites vallées aux pentes marneuses incisées par les cours d’eau. Au pied du Mont-Auxois, seulement relié au plateau par le col du Pennevelle, s’écoulent en direction de l’ouest les deux rivières responsables de son isolement, l’Oze au nord et l’Ozerain au sud. En aval, la plaine alluviale s’élargit, atteignant près de 4 km. La série stratigraphique du Mont-Auxois comme des monts environnants est 80 CI-DESSUS. Les sources accessibles aux assiégés. Carte R. Imbach, d’après J. Vidal constituée d’une superposition de niveaux calcaires et de niveaux marneux. Cette succession sédimentaire régit la distribution de la ressource en eau. C’est le niveau des calcaires du Bajocien qui constituent les falaises de 30 m qui ceinturent l’oppidum. Le secteur d’Alise-Reine-Reine est soumis à un climat intermédiaire entre le climat océanique et le climat semi-continental de latitudes tempérées. La pluviométrie moyenne annuelle s’établit aux alentours de 850 mm, ce qui correspond à un volume théorique total de 824 000 m3 par an sur les 97 ha du sommet du plateau. Elle alimente les rivières et les nappes souterraines. Les paramètres essentiels du système hydrogéologique – pluie et substrat – n’ayant pas évolué de façon notable depuis le Ier siècle av. J.-C., les valeurs mesurées peuvent être appliquées comme base de réflexion sur l’approvisionnement en eau durant le siège. Rivières et sources Les ressources en eau sont de deux natures, les eaux superficielles (rivières, lacs, etc.) et souterraines (nappes et sources). Dans les vallées, les deux rivières qui traversent le site d’est en ouest et celle qui arrive par le nord sont alimentées par l’émergence de la nappe alluviale qui repose sur le niveau marneux du Lias. En conséquence, même si leur étiage peut être sévère, ces deux cours d’eau en tête du bassin hydrographique de la Seine ne sont jamais asséchés. Sur les plateaux, la superposition des différentes strates du substrat géologique se traduit par un étagement des nappes souterraines. À la base de chaque strate calcaire, un niveau marneux (peu perméable) retient l’eau et constitue un niveau aquifère souterrain. Ces aquifères s’écoulent par des sources pérennes sur les flancs du pourtour du Mont-Auxois et des plateaux voisins. Les emplacements et l’histoire de ces sources sont connus par des observa- tions sur le terrain et complétés par l’archéologie et l’étude de documents d’archives. Le croisement de ces données géologiques et archéologiques démontre un mécanisme hydrogéologique stable du site, qui n’a pas évolué depuis l’époque du siège. Les repérages des sources sur le terrain et les mesures de débits permettent ainsi de comprendre les contraintes que pose la répartition des ressources en eau sur le site. Le réexamen des vestiges archéologiques s’est appuyé sur ce modèle hydrogéologique. Il a permis d’appréhender le rôle que ces contraintes hydrologiques ont pu jouer dans une situation exceptionnelle en densité de population et de confinement. Quel fut le rôle de l’eau dans la répartition des effectifs et l’organisation des belligérants au sein des fortifications ? Au vu des informations données par César au long de son récit, le siège commence à la fin de l’été 52 av. J.-C. Cette période correspond aux débuts de l’intensification progressive de la pluviométrie annuelle. Le siège se serait déroulé dans des conditions comparables aux moyennes actuelles des mois d’août et septembre, ce qui nous situe en période de fin d’étiage, lors de la reprise des pluies et du rechargement des nappes. Les mesures collectées en été donnent ainsi un bon ordre de grandeur pour observer les quantités d’eau qui pouvaient être disponibles pour les combattants autour du Mont-Auxois. Les assiégés Avec 24 000 litres journaliers au plus bas du débit, les seules sources qui jaillissent au sommet du plateau, à la pointe est de l’oppidum, ont dû largement répondre aux besoins de la population mandubienne. Dès le repli de Vercingétorix et de toute son armée, la situation change. Les assiégés sont soumis à des conditions d’extrême densité et de confinement qui ont nécessité le recours à d’autres points d’eau. L’espace auquel les assiégés avaient accès ne se limitait pas au sommet du plateau. César apporte à ce sujet quelques indices. Il précise que la cavalerie de Vercingétorix établit son camp à l’est de l’oppidum et le fortifie – ce qui montre bien qu’il se trouve à l’extérieur des emprises qui bénéficient d’une défense naturelle ou artificielles. D’autre part, à l’occasion de l’épisode du combat de cavalerie et de ses conséquences, il est clair que, dans un premier temps, une partie de l’infanterie gauloise au moins a campé à l’extérieur de la place avant que Vercingétorix ne la fasse rentrer. L’espace accessible aux assiégés correspond à la zone encerclée des fortifications césariennes, à laquelle on retranche les abords situés à portée de l’artillerie romaine. Cette portée avoisine 250 m à l’époque tardo-républicaine. On constate alors que les assiégés sont privés de l’accès aux rivières. Cependant, la production de l’hydrologie souterraine du MontAuxois en fin d’été s’établit à un peu plus de 170 000 litres quotidiens déversés sur les pentes par une vingtaine de sources, localisées majoritairement audessus de 350 m d’altitude. L’ensemble de ces ressources était accessible aux assiégés car hors de portée de l’artillerie. Ainsi, c’est au pied des falaises, où s’écoulent plus de 125 000 litres par jour, qu’il faut chercher l’approvisionnement principal des assiégés. Des fortifications avancées permettaient de protéger l’accès à ces zones de pied d’escarpement, la descente en était facilitée par des poternes, comme celle fouillée dans les falaises qui surmontent la source des Celliers en 1975. Le sort des animaux, très consommateurs d’eau, a été réglé dès les premiers jours du siège : Vercingétorix renvoie sa cavalerie et distribue l’abondant bétail réuni par les Mandubiens. De plus, avec seulement un mois de vivres pour un siège qui en dura peut-être le double, ces mêmes animaux représentaient un potentiel de nourriture qu’on imagine mal ne pas être consommé. Restaient les hommes. Même dans l’hypothèse où l’effectif de 80 000 donné par César reflète la réalité, force est de constater qu’il y a sur le Mont-Auxois un potentiel hydrologique suffisant pour alimenter l’ensemble des assiégés. L’assiégeant La gestion de l’eau a aussi représenté un élément logistique majeur pour l’assiégeant. Les rivières ont été intégrées au dispositif des lignes d’investisse- ment romain, pour des raisons pragmatiques – elles constituaient un obstacle naturel – et sans doute stratégiques – elles ne pouvaient plus être utilisées par les assiégés. Ces mêmes rivières traversent en quatre endroits les lignes d’investissement. Elles présentent un passage d’eau de 80 millions de litres quotidiens en période estivale. La localisation de ces points d’eau a dû dicter une organisation spatiale spécifique à l’intérieur des lignes romaines. C’est dans leurs environs que devaient être parquées les bêtes de somme et une bonne partie des chevaux de cavalerie. Dans un certain nombre de cas, l’altitude à laquelle jaillissent les sources et leur proximité par rapport aux cantonnements a représenté un atout considérable. C’est notamment le cas du flanc sud qui bénéficie de sept sources. À elle seule, la source située a mi-distance entre le camp “B” et le castellum “11” (théoriquement occupés par 3 500 et 500 soldats), offre un débit estival de près de 200 000 litres journaliers. Ailleurs, la ressource en eau est plus éloignée et sa gestion a dû impliquer davantage de contraintes : quatre sources ont été incluses à l’intérieur des lignes qui constituent le flanc nord. Les sources font défaut dans le secteur du mont Réa, mais les retranchements laissent un large accès à l’Oze. L’archéologie a montré que l’armée romaine avait recouru ponctuellement à des palliatifs. Les fouilleurs du Second Empire ont reconnu en 1861 un puits intégré dans les lignes d’investissement de la plaine des Laumes, qui était évidemment un secteur dépourvu de source. Sur la montagne de Flavigny, le creusement du fossé du titulum de la porte nord du camp “A” pourrait avoir été l’occasion d’aménager un accès à un niveau aquifère souterrain. Il est certain que jusqu’à l’arrivée de l’armée de secours, l’armée romaine a pu largement recourir aux ressources naturelles des alentours, notamment pour son approvisionnement en eau. La Brenne dans la plaine et neuf sources, dont certaines sont caractérisées par un débit important, sont situées à moins d’un kilomètre de la circonvallation. Claude Grapin, Jonhattan Vidal 81