L’APPROVISIONNEMENT EN EAU
Le siège d’Alésia
a sans doute duré
deux mois. Comment
Gaulois et Romains
ont-ils vécus ces
longues semaines
d’attente, et
notamment comment
fut résolue la
question cruciale
de l’eau ?
CI-DESSUS. Reconstitution
des fortifications romaines.
Photo © C. Jachymiak, SEM Alésia
’APPROVISIONNEMENT en eau durant
le siège d’Alésia a été instrumentalisé depuis qu’est née la controverse sur la localisation du site. Tous les
détracteurs l’ont abordé à charge contre
les assiégés, en s’en tenant à une analyse succincte et orientée, et en méconnaissance totale de la situation. Sur un
site aussi vaste, qui englobe le MontAuxois, deux vallées, les plateaux alentours et une plaine, une question aussi
cruciale demande à être envisagée de
manière globale et pluridisciplinaire.
Le débat se pose dans des termes bien
définis. Quelle était la contrainte hydrogéologique* lors du siège de 52 av. J.-C. ?
Le site d’Alise-Sainte-Reine a-t-il pu
répondre aux besoins d’une population
confinée dans des conditions extrêmes
sur l’oppidum, mais aussi à ceux de l’assiégeant, sans doute plus nombreux et lui
L
aussi soumis au confinement au moins
pendant les derniers jours du siège ?
Un sujet actuel
La question de la gestion de l’eau sur le
site d’Alésia pendant le siège de
52 av. J.-C. a été reprise récemment
dans le cadre d’un travail universitaire
(J. Vidal, L’eau sur le site d’Alésia : du
siège à l’époque moderne, une ressource naturelle et sa gestion par
l’homme, Mémoire de Master
Archéosciences et Géo-environnement,
Dijon, Université de Bourgogne, 2008).
L’étude a porté sur la compréhension
de la répartition des ressources en eau
à l’échelle de tout le site. Elle a fait
appel aux moyens scientifiques
modernes pour comprendre le système
hydrogéologique à partir de la quantification de la production d’eau, de son
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L’APPROVISIONNEMENT EN EAU
évolution saisonnière et du fonctionnement des circulations. Les données
recueillies ont été corrélées à celles
fournies par l’archéologie.
Les contraintes naturelles
Le Mont-Auxois (407 m) et les plateaux
d’altitudes équivalentes de son entourage immédiat – la montagne de
Flavigny, le mont Pennevelle, la montagne de Bussy et le mont Réa – appartiennent à la région du “Haut-Auxois”.
Appelée également “Auxois des plateaux”, elle est constituée de tables
calcaires en lanières orientées nordouest-sud-est dominant d’étroites vallées
aux pentes marneuses incisées par les
cours d’eau. Au pied du Mont-Auxois,
seulement relié au plateau par le col du
Pennevelle, s’écoulent en direction de
l’ouest les deux rivières responsables de
son isolement, l’Oze au nord et l’Ozerain
au sud. En aval, la plaine alluviale s’élargit, atteignant près de 4 km.
La série stratigraphique du Mont-Auxois
comme des monts environnants est
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CI-DESSUS. Les sources accessibles aux assiégés.
Carte R. Imbach, d’après J. Vidal
constituée d’une superposition de niveaux
calcaires et de niveaux marneux. Cette
succession sédimentaire régit la distribution de la ressource en eau. C’est le niveau
des calcaires du Bajocien qui constituent
les falaises de 30 m qui ceinturent l’oppidum. Le secteur d’Alise-Reine-Reine est
soumis à un climat intermédiaire entre le
climat océanique et le climat semi-continental de latitudes tempérées. La pluviométrie moyenne annuelle s’établit aux
alentours de 850 mm, ce qui correspond à
un volume théorique total de 824 000 m3
par an sur les 97 ha du sommet du plateau. Elle alimente les rivières et les
nappes souterraines.
Les paramètres essentiels du système
hydrogéologique – pluie et substrat –
n’ayant pas évolué de façon notable
depuis le Ier siècle av. J.-C., les valeurs
mesurées peuvent être appliquées
comme base de réflexion sur l’approvisionnement en eau durant le siège.
Rivières et sources
Les ressources en eau sont de deux
natures, les eaux superficielles
(rivières, lacs, etc.) et souterraines
(nappes et sources). Dans les vallées,
les deux rivières qui traversent le site
d’est en ouest et celle qui arrive par le
nord sont alimentées par l’émergence
de la nappe alluviale qui repose sur le
niveau marneux du Lias. En conséquence, même si leur étiage peut être
sévère, ces deux cours d’eau en tête du
bassin hydrographique de la Seine ne
sont jamais asséchés.
Sur les plateaux, la superposition des
différentes strates du substrat géologique se traduit par un étagement des
nappes souterraines. À la base de
chaque strate calcaire, un niveau marneux (peu perméable) retient l’eau et
constitue un niveau aquifère souterrain.
Ces aquifères s’écoulent par des sources
pérennes sur les flancs du pourtour du
Mont-Auxois et des plateaux voisins.
Les emplacements et l’histoire de ces
sources sont connus par des observa-
tions sur le terrain et complétés par l’archéologie et l’étude de documents d’archives. Le croisement de ces données
géologiques et archéologiques démontre un mécanisme hydrogéologique
stable du site, qui n’a pas évolué
depuis l’époque du siège.
Les repérages des sources sur le terrain
et les mesures de débits permettent ainsi
de comprendre les contraintes que pose
la répartition des ressources en eau sur
le site. Le réexamen des vestiges archéologiques s’est appuyé sur ce modèle
hydrogéologique. Il a permis d’appréhender le rôle que ces contraintes hydrologiques ont pu jouer dans une situation
exceptionnelle en densité de population
et de confinement. Quel fut le rôle de
l’eau dans la répartition des effectifs et
l’organisation des belligérants au sein
des fortifications ?
Au vu des informations données par
César au long de son récit, le siège
commence à la fin de l’été 52 av. J.-C.
Cette période correspond aux débuts de
l’intensification progressive de la pluviométrie annuelle. Le siège se serait
déroulé dans des conditions comparables aux moyennes actuelles des mois
d’août et septembre, ce qui nous situe
en période de fin d’étiage, lors de la
reprise des pluies et du rechargement
des nappes. Les mesures collectées en
été donnent ainsi un bon ordre de grandeur pour observer les quantités d’eau
qui pouvaient être disponibles pour les
combattants autour du Mont-Auxois.
Les assiégés
Avec 24 000 litres journaliers au plus
bas du débit, les seules sources qui jaillissent au sommet du plateau, à la
pointe est de l’oppidum, ont dû largement répondre aux besoins de la population mandubienne.
Dès le repli de Vercingétorix et de toute
son armée, la situation change. Les
assiégés sont soumis à des conditions
d’extrême densité et de confinement
qui ont nécessité le recours à d’autres
points d’eau.
L’espace auquel les assiégés avaient
accès ne se limitait pas au sommet du
plateau. César apporte à ce sujet
quelques indices. Il précise que la cavalerie de Vercingétorix établit son camp
à l’est de l’oppidum et le fortifie – ce qui
montre bien qu’il se trouve à l’extérieur
des emprises qui bénéficient d’une
défense naturelle ou artificielles.
D’autre part, à l’occasion de l’épisode
du combat de cavalerie et de ses conséquences, il est clair que, dans un premier temps, une partie de l’infanterie
gauloise au moins a campé à l’extérieur de la place avant que Vercingétorix ne la fasse rentrer.
L’espace accessible aux assiégés correspond à la zone encerclée des fortifications césariennes, à laquelle on
retranche les abords situés à portée de
l’artillerie romaine. Cette portée avoisine 250 m à l’époque tardo-républicaine. On constate alors que les
assiégés sont privés de l’accès aux
rivières. Cependant, la production de
l’hydrologie souterraine du MontAuxois en fin d’été s’établit à un peu
plus de 170 000 litres quotidiens déversés sur les pentes par une vingtaine de
sources, localisées majoritairement audessus de 350 m d’altitude. L’ensemble
de ces ressources était accessible aux
assiégés car hors de portée de l’artillerie. Ainsi, c’est au pied des falaises, où
s’écoulent plus de 125 000 litres par
jour, qu’il faut chercher l’approvisionnement principal des assiégés. Des fortifications avancées permettaient de
protéger l’accès à ces zones de pied
d’escarpement, la descente en était
facilitée par des poternes, comme celle
fouillée dans les falaises qui surmontent la source des Celliers en 1975.
Le sort des animaux, très consommateurs d’eau, a été réglé dès les premiers
jours du siège : Vercingétorix renvoie sa
cavalerie et distribue l’abondant bétail
réuni par les Mandubiens. De plus, avec
seulement un mois de vivres pour un
siège qui en dura peut-être le double,
ces mêmes animaux représentaient un
potentiel de nourriture qu’on imagine
mal ne pas être consommé. Restaient
les hommes. Même dans l’hypothèse
où l’effectif de 80 000 donné par César
reflète la réalité, force est de constater
qu’il y a sur le Mont-Auxois un potentiel
hydrologique suffisant pour alimenter
l’ensemble des assiégés.
L’assiégeant
La gestion de l’eau a aussi représenté
un élément logistique majeur pour l’assiégeant. Les rivières ont été intégrées
au dispositif des lignes d’investisse-
ment romain, pour des raisons pragmatiques – elles constituaient un obstacle naturel – et sans doute
stratégiques – elles ne pouvaient plus
être utilisées par les assiégés. Ces
mêmes rivières traversent en quatre
endroits les lignes d’investissement.
Elles présentent un passage d’eau de
80 millions de litres quotidiens en
période estivale. La localisation de ces
points d’eau a dû dicter une organisation spatiale spécifique à l’intérieur des
lignes romaines. C’est dans leurs environs que devaient être parquées les
bêtes de somme et une bonne partie
des chevaux de cavalerie.
Dans un certain nombre de cas, l’altitude à laquelle jaillissent les sources et
leur proximité par rapport aux cantonnements a représenté un atout considérable. C’est notamment le cas du flanc
sud qui bénéficie de sept sources. À
elle seule, la source située a mi-distance entre le camp “B” et le castellum
“11” (théoriquement occupés par
3 500 et 500 soldats), offre un débit estival de près de 200 000 litres journaliers.
Ailleurs, la ressource en eau est plus
éloignée et sa gestion a dû impliquer
davantage de contraintes : quatre
sources ont été incluses à l’intérieur
des lignes qui constituent le flanc nord.
Les sources font défaut dans le secteur
du mont Réa, mais les retranchements
laissent un large accès à l’Oze.
L’archéologie a montré que l’armée
romaine avait recouru ponctuellement
à des palliatifs. Les fouilleurs du Second
Empire ont reconnu en 1861 un puits
intégré dans les lignes d’investissement
de la plaine des Laumes, qui était évidemment un secteur dépourvu de
source. Sur la montagne de Flavigny, le
creusement du fossé du titulum de la
porte nord du camp “A” pourrait avoir
été l’occasion d’aménager un accès à
un niveau aquifère souterrain.
Il est certain que jusqu’à l’arrivée de
l’armée de secours, l’armée romaine a
pu largement recourir aux ressources
naturelles des alentours, notamment
pour son approvisionnement en eau.
La Brenne dans la plaine et neuf
sources, dont certaines sont caractérisées par un débit important, sont
situées à moins d’un kilomètre de la circonvallation.
Claude Grapin, Jonhattan Vidal
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