Academia.eduAcademia.edu

Tours observations

Voile islamique : Interactions et insertion sociale : essai d’approche comparative L’exemple de la ville de Tours. Maurice Mauviel (, 20 septembre 2024) Discerner les pensées sourdes, les besoins sourds du peuple : Ce qui est indispensable pour cette tâche, c'est un intérêt passionné pour les êtres humains, quels qu'ils soient, et pour leur âme, une capacité de se mettre à leur place et de faire attention aux signes des pensées non exprimées, un certain sens intuitif de l'histoire en cours d'accomplissement , et la faculté d'exprimer par écrit des nuances délicates et des relations complexes (. Simone Weil, L’enracinement, 1943) Objectifs de l’étude Elle a pour but de mettre en lumière le rapport existant entre le port du voile ainsi que de la tenue islamique et les échanges interindividuels ou collectifs dans la ville de Tours dont la population noire est particulièrement importante, celle-ci est constituée de Noirs de confession musulmane et de Noirs non musulmans. Ces derniers étant probablement les plus nombreux. La ville compte également une population originaire d’Afrique du Nord , moins nombreuse, ainsi que des ressortissants originaires d’Afghanistan , de Tchétchénie et de pays proches . Quelques terrains d’observation ont été privilégiés : L’île Balzac près du Cher, dans le quartier des Fontaines, L’autobus 10 reliant le quartier des Fontaines et le centre- ville et celui-ci, notamment l’aire proche de l’hôtel de Ville et de la gare de Tours toute proche. 1.L’île Balzac près du Cher dans le quartier des Fontaines La population noire de Tours réside, pour une grande part, au sud de la ville, dans le quartier dit des Fontaines. Une diaspora originaire d’Afrique du Nord, moins importante, y habite également. Le quartier des Fontaines se trouve près d’un grand parc aménagé entre deux bras du Cher, appelé l’île Balzac. Ce vaste espace permet de riches observations comparées sur le comportement d’individus de sexe, d’âge, d’origine sociale ou culturelle différents : regroupements de jeunes ou de familles en fin de semaine, promenades matinales ou vespérales de femmes, d’hommes , de couples, accompagnés ou non d’un ou de plusieurs chiens, femmes voilées se déplaçant avec leurs enfants, adeptes du footing, du cyclisme, voire de la trottinette . Peu de quartiers populaires urbains bénéficient d’un tel espace dans leur quartier. Un certain nombre de promeneurs n’y habitant pas s’y rendent afin de profiter des grands espaces plantés d’arbres qui sont enserrés par les deux bras du Cher. Une promenade de deux kilomètres environ, aménagée à quatre ou cinq mètres au-dessus du fleuve, est extrêmement fréquentée, tous les jours de la semaine. Elle permet de faire de multiples comparaisons. Ce qui frappe d’abord c’est le nombre très important de femmes, d’hommes et de couples accompagnés d’un chien ou de plusieurs chiens. Les dames seules étant les plus nombreuses. Bien souvent l’une d’entre elles interrompt sa progression pour s’entretenir avec une autre promeneuse, qu’elle ne connaît pas nécessairement, l’entretien peut se prolonger. Les hommes d’âge mûr, seuls, et les couples ne résistent pas à bavarder avec un passant. A certains moments, en début de matinée notamment, le nombre des promeneurs se compte par dizaines. Quelques jeunes gens et jeunes filles, seuls bien souvent, le téléphone à la main, et parfois un casque sur les oreilles, promènent également un animal mais ne cherchent guère le contact. Toutes ces personnes sont Européennes, à l’exception de quelques couples mixtes, réunissant une Française accompagnée d’un Noir non musulman. Les femmes voilées qui fréquentent la voie bordant le Cher ne sont jamais accompagnées d’un animal et n’entrent pas en relations avec les Européens ou Européennes. Elles les croisent sans leur accorder un regard. Ou, peut-être, un regard de mépris car la Musulmane repousse le contact du chien, impur, notamment sur son visage. La caninophilie, souvent poussée à l’extrême dans nos sociétés contemporaines, est l’un des obstacles à l’intégration sociale des Musulmans, elle passe bien souvent inaperçue. Cf.  George Devereux, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion, 1980 ( édition originale anglaise, 1967.) Certains jeunes Maghrébins, conduisent un chien en laisse mais ne jouent pas avec lui. Il a un rôle fonctionnel (crainte d’un vol, soutien aux dealers ?) En général les femmes voilées qui empruntent cette voie sont accompagnées d’une amie ou d’une parente, d’enfants jouant implicitement le rôle de chaperon. C’est plutôt l’après-midi qu’on les voit portant un jeune bébé ou poussant un landau. On n’observe pas d’échanges entre elles et la population européenne. Dès 18 heures et même un peu avant elles disparaissent du paysage. La métamorphose comportementale, vestimentaire et culturelle, conséquences des grandes chaleurs des étés 2022 et 2023 a permis de mettre en relief des différences moins visibles par temps ordinaire, des initiatives nouvelles frappantes. Dans l’île Balzac comme dans les autobus ou dans le centre-ville. L’été 2022 un certain nombre de personnes se sont regroupées afin de jouir de la fraîcheur, relative, sous un arbre dans l’île Balzac. Ses dimensions sont telles qu’il n’est pas difficile de trouver un emplacement où l’on puisse s’isoler. L’un de ces groupes était constitué d’une famille européenne, élargie aux amis, venue avec ses chiens. Pique-nique familial et amical avec ses cris joyeux, ses jeux, ses plaisanteries… L’autre groupe réunissait des jeunes gens et jeunes filles européens, venus se réjouir ensemble. Deux ou trois chiens étaient de la fête. A quatre cents mètres de ces deux réunions on a pu voir, dans l’après-midi, arriver sept ou huit femmes voilées accompagnées d’enfants, dont plusieurs en bas âge. Aucun homme n’était présent et aucun animal. Alors qu’animation et agitation régnaient chez les Européens, les femmes voilées échangeaient des propos à voix basse, dans une grande sobriété de gestes, veillant sans cesse sur leurs enfants. Les Maghrébins n’apprécient guère ce genre de réunions mixtes. On imagine qu’un certain nombre d’entre eux avaient rejoint à ce moment le bar proche du centre commercial du quartier, « Le Balzac », fréquenté uniquement par les hommes. Jeudi 15 août 2024 j’ai assisté à un spectacle très drôle qui souligne combien la sociabilité entre les groupes de musulmanes voilées qui se réunissent, parfois, seules avec leurs enfants, dans l’île Balzac, en cette époque de fortes chaleurs et la sociabilité des Noirs non musulmans, est très différente. Un groupe de femmes, d’hommes et d’enfants noirs est passé sur le large sentier, bitumé depuis peu, qui serpente au-dessus de la rive sud du Cher. Hommes et femmes poussaient des chariots, remplis à ras bord (dont un caddie emprunté à grand magasin !) on devinait des sièges, de la victuaille, des coussins… Il était une heure de l’après-midi et le groupe allait probablement s’installer jusqu’à la nuit tombante, après avoir choisi un arbre dans un coin paisible de l’île. Derrière lui on aperçut, à une centaine de mètres en arrière, une jeune femme portant un sac et faisant rouler, comme un cerceau, et non sans mal, une table ronde de jardin, en bois. Les pieds ayant été repliés et assujettis. J’ai aperçu le groupe emprunter le pont qui conduit au vaste espace boisé, sillonné de sentiers qui se trouve entre les deux bras du Cher. Ce spectacle étonnant donne des indications sur la sociabilité interne de ces hommes, de leurs compagnes et des enfants. Très soudée, elle relève assurément de la famille étendue africaine, les denrées, les coussins et la table ronde sont l’indice d’un mode de vie et de relations sociales très différentes de celle que l’on trouve dans la famille musulmane. Celle-ci va rarement dans l’île, seules quelques personnes du sexe féminin s’y rendent avec leurs enfants l’après-midi mais elles n’y prennent pas leur repas. On ne verra jamais hommes, femmes et enfants d’une famille musulmane maghrébine de ce quartier emportant sièges et tables. Leurs maris ne se joignent pas à elles. Quelques exceptions chez les Noirs : Le dimanche 15 septembre 2024 une famille composée d’une femme voilée, de son mari et de trois enfants, a pris place sous un arbre dans l’île Balzac, non loin d’une allée très passagère, afin d’y passer un moment : elle avait emporté une grande couverture pour son confort. Certains signes (vêtements, jouets des enfants…) indiquaient que cette famille appartenait à une strate sociale assez aisée. Aucun animal domestique ne l’accompagnait. On peut rapprocher les observations qui précèdent d’un spectacle auquel j’ai assisté dans l’île Balzac le 8 juillet 2024, vers 10 heures du matin, à l’occasion d’une manifestation sportive organisée par plusieurs associations, se déroulant pendant trois jours. Deux stands de jeux au ballon étaient destinés à la jeunesse. Dans le premier d’entre eux une jeune fille noire, en pantalon et tee-shirt, jouait avec ses partenaires européens plus jeunes qu’elle. Un peu nonchalante car elle était plus âgée que ses compagnons. Bien intégrée socialement. Dans le second groupe une jeune fille noire, en short (14 ans ?), se démenait activement tout en écoutant attentivement l’animateur. Non musulmane comme la première. Nous étions au tout début des vacances scolaires d’été. A cette heure les jeunes filles musulmanes seules ne pratiquaient pas d’activités sportives avec les autochtones et ne déambulaient pas dans l’île Balzac. Observation à rapprocher de celle-ci : des jeunes gens (garçons et filles) jouaient sur un terrain de basket-ball le 5 septembre 2025 dans le parc Mirabeau de Tours. Deux jeunes filles noires non musulmanes faisaient partie de la partie amicale improvisée. 2.L’autobus 10 reliant le quartier des Fontaines et le centre de la ville Le déplacement vers le centre-ville, par l’autobus numéro 10 pour le travail, les courses, les soins médicaux… est, contrairement à l’île Balzac, un espace restreint permettant faire des observations rapprochées dans un laps de temps assez court. Selon l’heure de la journée les populations diffèrent par le sexe, l’âge, la religion… C’est entre 17 heures trente et 18 heures trente que l’on peut procéder aux observations les plus riches : dans le sens « centre-ville » vers le quartier des Fontaines, lorsque voyageurs et voyageuses rejoignent leur domicile. Voyageuses surtout. A cette heure les passagers de l’autobus sont des femmes noires en majorité. Si on ajoute les Maghrébines (et quelques Maghrébins hommes, minoritaires), la population d’origine étrangère excède souvent soixante-dix pour cent des voyageurs. L’espace réduit ainsi que les attentes à l’arrêt de l’autobus permettent parfois l’intervention de l’observateur. Par les grandes chaleurs des étés 2022 et 2024 les femmes noires non musulmanes, court vêtues, exhibaient sans se préoccuper du regard des voyageurs, cuisses, bras et dos nus. Leur jean ou leur jupe serrée exposait à l’œil des voyageurs des seins et postérieurs souvent généreux. Plusieurs d’entre elles, mères de famille, s’efforçaient de trouver un emplacement pour le landau de leur enfant. L’encombrement du véhicule contraint les voyageurs désirant descendre à prendre des initiatives verbales pour gagner la sortie. Deux contrastes frappent l’observateur. Assises sur un siège, si possible à l’écart, discrètes, et comme repliées sur elles, des musulmanes voilées dissimulent leurs formes dans d’amples robes, évitant tout échange, tant que faire se peut. Les voyageuses européennes seules font preuve de discrétion et de réserve. Parfois, si l’occasion et la proximité le permettent, quand je crois reconnaître une Maghrébine je lui adresse prudemment quelques mots en langue française ou arabe. Sa famille étant absente, elle accepte aimablement, d’échanger quelques mots. Second contraste : contrairement aux mères de famille noires, d’âge moyen les jeunes filles noires non musulmanes de la nouvelle génération affichent bien souvent un tout autre comportement, très proche de celui des Européennes. Alors que les musulmanes de leur âge ne voyagent plus après 18 heures trente, à quelques exceptions près, et rarement seules, les jeunes filles noires non musulmanes fréquentent le bus plus tardivement et ne craignent pas d’être seules à voyager. L’exemple qui suit, observé l’été 2022, vers 18 h30, à la descente de la station Stendhal de la ligne 10 (quartier des Fontaines) m’a frappé. Descendu moi-même à cet arrêt je me suis attardé discrètement pour recueillir les propos de trois ou quatre jeunes filles noires, vêtues comme les autres filles européennes en cet été accablant (short, robes courtes, épaules et dos découverts…) Elles s’entretenaient avec des jeunes filles françaises, projetant une sortie en commun le soir. Pendant cette conversation sont passées deux jeunes filles voilées, se hâtant vers leur domicile sans échanger avec les jeunes filles de leur quartier qui bavardaient et plaisantaient avec animation. Une demi-heure plus tard les jeunes musulmanes auront déserté l’autobus et la rue. Les Musulmanes du quartier des Fontaines vivent bien souvent en autarcie. La plupart d’entre elles (si on excepte les femmes âgées) maîtrisent le français. L’utilisation généralisée du téléphone portable, notamment dans les rues du centre-ville, favorise le repli sur la famille et la communauté et met en lumière la quasi absence d’interactions sociales. Quelques rares femmes voilées conduisent une automobile afin de se rendre dans les grands magasins situés de banlieue. J’en ai aperçu une, seule dans son véhicule, à Chambray-Les-Tours, fief de nombreuses grandes surfaces. On peut voir également, mais rarement, quelques jeunes filles voilées chevauchant une trottinette, en centre-ville mais pas dans le quartier des Fontaines. A l’arrêt du bus il m’arrive de demander un renseignement à l’une des femmes voilées qui attend à mes côtés. Les réponses sont, la plupart du temps, aimables mais l’échange doit se faire, nécessairement, à l’écart de la communauté. Un jour, afin de provoquer un échange, j’ai interrogé une voisine noire voilée attendant l’autobus 10 en centre-ville au sujet de l’appareil à cuire le riz qu’elle venait d’acquérir (elle pressait sur ses genoux le carton qui le contenait.) Elle me répondit avec spontanéité et amabilité, m’expliquant comment elle allait l’utiliser et me suggéra d’en acquérir un car il était, selon elle, très pratique. Seule, échappant au regard de sa communauté elle fit preuve d’une grande spontanéité et même d’humour. J’aurais aimé poursuivre l’entretien. Les interactions dans le centre-ville Je crois que la scène suivante à laquelle j’ai assisté, en 2022, dans une pizzeria proche de la cathédrale Saint-Gatien, a été à l’origine de cette chasse aux observations en divers lieux. Alors que je commence à prendre mon repas dans une pizzéria vers 21 heures, de retour du cinéma d’essai proche, entrent dans l’établissement deux jeunes filles noires d’une vingtaine d’années, souriantes, très à l’aise. Elles se dirigent vers le bar, donnent un rapide baiser au patron, entament une brève conversation chaleureuse avec lui agrémentées de plaisanteries de bon aloi. Puis, pressées, elles quittent l’établissement : tout indiquait qu’elles en étaient des habituées. Je ne me souvenais pas d’avoir assisté à une scène semblable dans le passé. Au cours des deux années qui se sont écoulées depuis la scène que je viens d’évoquer j’ai pu, chaque jour, vérifier combien les jeunes filles et jeunes femmes noires, non musulmanes (elles sont très nombreuses à Tours), multiplient les contacts et échanges avec les autochtones Dans l’espace public mais aussi, de plus en plus dans l’espace privé. Leurs mères, celles qui appartiennent probablement à la génération venue d’Afrique, continuent de vivre en partie selon les règles de leur communauté d’origine, mais leur comportement, les vêtements qu’elles portent, se modifient insensiblement. L’adaptation vestimentaire, culinaire, comportementale, mais aussi professionnelle et culturelle, des femmes noires âgées de moins de trente à trente-cinq ans est surprenante. On peut en observer de multiples exemples, que ce soit dans le milieu des lycéens, des employés des bars, restaurants et commerces, de la poste principale, des banques (où les hommes sont plus nombreux). Alors que dans beaucoup d’autres villes les Noirs (des hommes surtout) travaillant dans les restaurants sont souvent relégués dans d’étroites cuisines que la clientèle ne fait qu’apercevoir, les brasseries et restaurants du centre-ville de Tours emploient beaucoup de femmes et d’hommes noirs, aux côtés des serveurs et maîtres d’hôtel européens. Dans un établissement réputé pour la qualité de son poisson, toujours dans le centre, c’est un plaisir pour le client de bavarder un instant avec une serveuse noire avenante, souriante et efficace dans le service. Il s’agit toujours de jeunes gens et de jeunes filles non musulmanes. A Tours on ne fait pas appel, ou fort peu, au personnel féminin d’Europe de l’Est comme dans de nombreuses autres villes. Je glane quelques observations récentes effectuées dans des populations diverses par l’âge ou le statut : Avenue Grammont, mardi 18 juin 2024, une Noire (non musulmane) déambule sur un trottoir en compagnie de deux Européennes. Les trois jeunes filles portent des vêtements adaptés à la saison, leurs bras et leurs épaules dénudés. Alors qu’elles échangent avec animation des propos qui les font rire et s’attardent ici ou là, elles croisent deux jeunes musulmanes en tenue traditionnelle et portant un voile qui évitent tout contact, tout arrêt intempestif. Deux mondes qui s’ignorent. Alors que les jeunes africaines non musulmanes se promènent seules ou en groupe, celles qui sont voilées partent faire des emplettes toujours accompagnées d’une ou deux amies, d’une sœur. Elles ne s’attardent pas, sauf exception. Autre exemple (juillet 2024,) concernant de tous jeunes gens. Un vendredi, en fin d’après-midi, deux voitures s’engagent dans la rue V, en centre-ville, et recherchent un emplacement pour stationner. De la première automobile de couleur rouge descend la conductrice, une jeune Noire qui demande au chauffeur européen du second véhicule de l’aider à faire un créneau. De cette voiture surgissent deux jeunes Européennes. Un vif entretien enflamme le quatuor. Je saisis quelques bribes de la conversation : il s’agit de décider où passer la soirée (nous sommes un vendredi d’été). La décision étant prise, tout le monde prend place dans la voiture rouge et la conductrice noire démarre en trombe. Autre exemple quasi contemporain du précédent. Nous sommes au restaurant Le Bontemps, avenue de Grammont, établissement peu onéreux et très fréquenté, notamment par une clientèle jeune. A quelques mètres de la table que j’occupe, un couple dîne près d’une fenêtre. Il est environ 21 heures : une jeune Noire, vêtue avec une certaine recherche de bon goût, a pris place, face à un compagnon européen. Beaucoup de retenue chez la jeune femme très à l’aise. Les deux convives, âgés d’environ 25 ans, sont probablement insérés dans la vie professionnelle : la jeune Noire a une profession qui la rend autonome. Leur conversation est animée ,très cordiale. On pense à des compagnons de travail qui ont décidé de se retrouver un vendredi soir pour partager un repas. Comme la jeune femme goûte discrètement, parfois, le contenu de l’assiette de son compagnon on pourrait penser qu’un début d’intimité les réunit et qu’ils se connaissent depuis un certain temps. Je suis trop éloigné du couple pour saisir quelques mots de leur conversation. Il est impossible de concevoir une scène semblable avec une femme noire voilée. Dans les jours qui suivent ce vendredi, sur un trottoir de l’Avenue Grammont où je m’attardais pour procéder à des observations en passant près des nombreux restaurants proches de l’Hôtel de Ville, j’ai vu que certaines tables accueillaient des groupes de clients dans lesquels un certain nombre de Noirs et de Noires partageaient leur repas avec des amis européens. On voyait également des jeunes filles Noires, par groupe de deux ou trois, bavardant gaiement en attendant qu’on les serve à leur table. Le mercredi 31 juillet, sous la chaleur écrasante, d’autres jeunes femmes noires déambulaient près des magasins et bars, court vêtues, souriantes, très à l’aise et croisaient de temps à autre de jeunes femmes voilées qui, désirant passer inaperçues dans l’espace public, s’efforçaient habilement d’éviter contacts et échanges. Cependant on observe ici et là quelques évolutions, par exemple une mère ou une sœur accompagnant une jeune fille (lycéenne) ne portant pas de voile. Quelques jeunes filles voilées font parfois preuve d’ostentation dans l’espace public mais je n’ai fait que de rares observations à ce sujet, la réserve et le souhait d’éviter les échanges hors de la communauté, l’emportent le plus souvent. Rue de Bordeaux, un jour de l’été 2003, trois grandes Maghrébines élégantes, voilées, vêtues d’un ample vêtement blanc dissimulant leur corps, progressaient lentement au milieu de la rue piétonnière, s’arrêtant souvent comme si elles désiraient défier les passants. Ostentation probable à laquelle, au moins de mon point d’observation, personne ne prêta attention. Les bars proches de l’hôtel de ville, très nombreux, sont des lieux privilégiés dans lesquels amis et amies se donnent rendez-vous pour bavarder et consommer un rafraîchissant (l’été est fort chaud à Tours). Ce qui facilite grandement la tâche de l’ethnographe urbain. Celui-ci est frappé par la socialisation rapide des personnes jeunes du sexe féminin noir, non musulmanes. Socialisation qui concerne également les femmes d’un âge plus avancé. Il n’est donc pas étonnant d’observer de plus en plus de couples mixtes : Noir non musulman et Européenne mais aussi Européen et femme noire non musulmane. Il n’est pas rare de croiser ces couples, surtout dans le centre-ville où ils viennent faire des emplettes et rencontrer des amis. Mais aussi quelques jeunes couples (Européen et femme noire) avec un enfant dans un landau. J’ai eu tout loisir d’assister à la complexité et à la richesse des échanges et des relations sociales d’un couple constitué d’un Européen et d’une femme noire, le 24 juin 2024, depuis la terrasse d’un bar, situé au centre de la rue de Bordeaux où se trouvent de nombreux commerces. Ce couple, d’âge moyen (une quarantaine d’années) qui se promenait dans cette rue piétonne rencontra, par hasard, un couple d’Européens, faisant manifestement partie du cercle de leurs amis. Leur échange se prolongea une demi-heure, dans la rue réservée aux piétons. Au bout d’un certain temps, un autre couple, (des Européens) survint et s’entretint quelques minutes avec eux, puis s’éloigna. L’échange amical entre les deux premiers couples se poursuivit pendant une dizaine de minutes puis ils se séparèrent. Tout indique que cette dame africaine est bien insérée socialement y compris dans les espaces privés. La rue de Bordeaux, qui n’est pas très longue, relie l’avenue de Grammont, longue artère centrale, à la gare de Tours proche. Cette voie très fréquentée par les chalands est également sillonnée de voyageurs roulant leurs valises. Terrain d’observation fructueux où défilent voyageurs en partance ou de retour. À y regarder d’un peu près les différences, similitudes et métamorphoses sautent aux yeux pour qui prend le temps de regarder. Un plaisir singulier et une tendresse pour la diversité humaine vous saisissent bien souvent en ce lieu. Un ballet incessant de jeunes filles noires. Seules ou en petits groupes. Elles portent, qui un short très court, qui une robe blanche fendue qui laisse voir une cuisse ferme, qui une robe d’un beau rouge sur laquelle déferlent de longues tresses noires jusqu’au bas du dos, qui un chignon original et charmant. Leurs vêtements sont très variés mais toutes ont abandonné la tenue traditionnelle, peut être réservée aux fêtes familiales. Vendredi 6 septembre, vers 17 heures, de nombreuses jeunes filles noires, seules ou à deux déambulaient, en tenue d’été, (jeans et shorts) rue de Bordeaux ou avaient pris place à la terrasse d’un bar. Je m’aperçus soudain que l’une d’entre elles consommait avec deux jeunes filles européennes. Même après-midi : Une voyageuse noire, valise à la main qui venait probablement de descendre du train, s’attarda longuement dans la rue avec une amie qu’elle venait de retrouver , portable en main : éclats de rires retentissants, amples démonstrations gestuelles. Contraste avec le comportement des jeunes femmes voilées qui, par ces fortes chaleurs, ont souvent adopté le jean et un ample vêtement de couleur qui, cependant, dissimule leurs formes. Mais elles évitent les contacts et échanges. Contraste frappant avec les Noires volubiles et sociables dont les bras les épaules, le dos et les jambes affrontent le soleil sans ostentation, sans s’inquiéter, semble-t-il, du regard des passants. Une scène vue en fin d’après-midi à l’angle de l’Avenue de Grammont et de la rue de Bordeaux illustre ce fossé social et culturel. Un petit groupe de jeunes gens, constitué de garçons et de filles noirs, s’attarde longuement à l’entrée de la rue de Bordeaux, sous les arbres. Tous portent des shorts ou des jeans troués et échangent entre eux force plaisanteries. Un jeune homme les rejoint et l’animation redouble ponctuée de gestes éloquents. La petite bande joyeuse emprunte, toujours animée, la rue de Bordeaux. Quelque temps après elle reviendra à son point de départ. A aucun moment le groupe ne suscite l’hostilité (par un regard ou un geste) de la population autochtone : l’habitude a probablement joué son rôle dans la population européenne. Des scènes semblables de groupes mixtes ne s’observent pas chez les jeunes musulmans et jeunes musulmanes. Cette révolution dans la manière de se vêtir, de consommer, de se comporter, de communiquer… intéresse également ce que les psycho-anthropologues, appellent la kinésique (étude des gestes et mouvements du corps dans la communication). C.f. l’ouvrage précurseur de Ray. L. Birdwhistel , Kinesics and Context : Essay on Body Communication, Pennsylvania University Press, 1970. Les communautés présentes à Tours n’ont pas le même rapport au corps. Les différences que l’on peut observer dans ce domaine sont un bon indicateur de la rapidité de l’évolution et de l’adaptation à la société d’accueil, de la communauté noire non musulmane. La kinésique comparée met également en évidence le repli sur soi, individuel et collectif : celui que l’on peut souvent observer chez les femmes musulmanes notamment. Dans cette perspective l’observation comparée des rapports corporels que des individus isolés, réunis en petits groupes, ou en couples, (accompagnés ou non d’enfants), se déplaçant dans l’espace public peut être fructueuse. Arrêtons-nous sur le couple. Dans la société maghrébine, si l’on excepte une mince strate de la population, celle qui est mondialisée, l’homme et sa compagne excluent les contacts physiques dans l’espace public mais aussi dans l’espace privé en présence de membres de la famille ou d’amis. Il y a quelques années, à l’occasion d’un voyage en Algérie, je fus invité à prendre un repas dans une famille algérienne vivant dans une coquette maison à Hussein Dey, (banlieue d’Alger.) Cette famille appartenait à la moyenne bourgeoisie aisée, les époux parlaient un excellent français et travaillaient tous les deux. Au cours de ma visite, l’épouse effleura de la main, à deux ou trois reprises, amicalement mais discrètement, l’épaule de son mari. Dès que nous eûmes quitté leur logis, l’ami algérien qui m’accompagnait me fit observer, sans tarder, que les initiatives gestuelles de cette femme l’avaient très surpris, car cela ne se pratique jamais dans une société qu’il connaît bien. Je me suis souvenu que je n’avais pas observé de tels gestes dans les familles musulmanes qui m’avaient accueilli chez elles, à diverses reprises. En revanche dans la communauté noire non musulmane de Tours il n’est pas rare d’observer l’aisance et la spontanéité avec lesquelles les couples de jeunes gens ont adopté, avec une pointe d’originalité, les gestes de camaraderie fréquents dans notre pays. L’été 2023, un couple de Noirs, qui venait de sortir de la gare en fin de matinée, se dirigea vers un bar tout proche. Les petites valises originales, l’élégance discrète des vêtements… tout indiquait qu’il appartenait à une strate privilégiée de la société. La jeune femme, tout en marchant, taquinait son compagnon en lui donnant des tapes amicales, répétées, en riant. Comportement que les couples constitués de Noirs et d’Européens adoptent assez vite. Il ne s’observe pas dans un couple de Musulmans. J’ai eu la chance d’en prendre conscience très tôt. Un exemple. Un jour, dans le village du Sersou steppique où j’enseignais je m’entretenais avec le grand-père de l’un de mes meilleurs élèves que j’aperçus à quelque distance. Je lui fis signe de nous rejoindre sans m’apercevoir que je ne respectais pas une règle intangible. Il ne devait absolument pas se trouver à nos côtés dans l’espace public. En conséquence T. s’immobilisa à plus de trois ou quatre mètres de nous. Il lui était interdit de franchir une frontière invisible, quasi sacrée. Les Maghrébins accompagnent rarement leurs épouses, leurs sœurs ou leurs mères à la promenade ou dans les magasins pour faire les courses. Ils fréquentent parfois les bars du centre-ville mais préfèrent ceux de leur quartier. Presque toujours avec des amis, rarement seuls. Mariés, ils doivent éviter que leurs épouses, c’est-à-dire, dans une certaine mesure, leur intimité familiale, puisse être dévoilée :cette intimité étant interdite aux coreligionnaires de leur quartier qu’ils pourraient croiser. S’ils accompagnent leurs épouses ils se gardent de leur tenir le bras, respectant la tradition, c’est-à-dire qu’ils précédent d’un pas ou deux leur femme. Cependant les comportements, à ce sujet, évoluent dans la nouvelle génération. J’ai observé, en août 2024, deux maris de couples de Musulmans donnant le bras à leurs épouses voilées. Signe d’une certaine adaptation, timide, à la société d’accueil. Au début du mois d’août 2024, j’ai pu observer, quelques minutes, vers 22 heures trente, non loin de la place Plumereau dans le vieux Tours, un couple de Musulmans d’Afrique du Nord, accompagnés de deux enfants (l’épouse était voilée) qui avaient pris place à la terrasse d’un établissement peu fréquenté, Ils évitaient tout contact corporel en public. Le mari avait choisi un endroit à l’écart, souhaitant voir l’animation, d’assez loin. Indice d’une curiosité prudente. Ce genre de situation implique un contact très limité avec la société dite d’accueil. Ici un bref échange lors de la commande près du serveur. Le 5 août 2022 au bar le Continental, proche de l’Hôtel de Ville, un jeune homme maghrébin assis à une table de la terrasse se lève pour accueillir trois amis avec lesquels il avait rendez-vous. Leurs corps se plient, le plus naturellement du monde à un baiser et des salutations ancestrales, celles qui lient les êtres de sexe masculin. Non loin d’eux trois Algériens, d’âge moyen, sirotent un café en échangeant des propos ponctués de temps à autre par des gestes propres à leur communauté. Ces trois adultes (des retraités peut-être), comme les jeunes qui consomment des coca-colas sont repliés sur leur petit groupe et ignorent les autres consommateurs On ne voit jamais de femmes dans ce type de réunion. Alors que de plus en plus d’hommes et de femmes appartenant à la nouvelle petite bourgeoisie noire, non musulmane, de la ville fréquentent bars et restaurants on n’y encontre jamais (sauf exception rarissime) de familles maghrébines de statut social similaire. Ainsi le samedi 3 août 2024, entre 14 heures et 14 heures 40, avenue Grammont et rue de Bordeaux, restaurants proches hôtel de ville (Continental, Univers…) un couple de Noirs et leurs trois enfants achevaient leur repas en terrasse tandis qu’un jeune Européen et une Noire déjeunaient de l’autre côté non loin de deux femmes noires assisses à une table proche. Près de la caisse un couple de Noirs attendait pour régler son adition. La chaleur, la période estivale, la fin de la semaine incitent beaucoup de personnes à fréquenter l’un de ces nombreux établissements. Vendredi 23 août 2024, de la terrasse d’un petit restaurant, avenue Gramont, j’ai vu passer, entre 13heures 20 et 14 heures 30 une bonne douzaine de jeunes filles noires, par deux ou seules, jeans, shorts très courts, jupes serrées, croupes non dissimulées mais point provocatrices, l’une d’entre elles portait une jolie coiffe. S’immobilisent pour échanger des propos, sourires, regarder une vitrine… Pendant ce temps une musulmane passe : mère de famille, voilée poussant un landau. Vêtement enveloppant noir ; une jeune fille voilée, seule, se hâte pour traverser la rue. Pas d’arrêt pour jeter un œil aux devantures de magasins, semblent préoccupées d’atteindre leur destination finale au plus tôt On observe, depuis quelque temps, à Tours, l’apparition d’une ébauche de petite bourgeoisie noire non musulmane qui commence à adopter les habitudes sociales, comportementales et culturelles des Tourangeaux . Par exemple on peut croiser dans le magasin bio-cop du centre, dont les produits sont souvent sophistiqués et onéreux, quelques dames noires, aux gestes mesurés, vêtues avec soin, venues faire leurs emplettes aux côtés de locaux férus de légumes et fruits au label bio. Dans une banque du centre-ville deux employés noirs, portant un costume avec gilet, reçoivent le public avec amabilité et compétence. Indice d’une insertion sociale mais aussi culturelle. L’entretien que j’ai eu quatre ouvriers maghrébins permet de distinguer ce qui relève de l’insertion professionnelle de l’insertion sociale et culturelle. Un employé marocain d’une entreprise de plomberie, avec lequel j’ai pu bavarder, m’a informé qu’il était satisfait de son emploi, maintenant qu’il maîtrise bien sa discipline et que ses rapports avec son patron sont bons. Marocain il est très fier de son pays et du roi. La télévision par satellite et les réseaux sociaux permettent désormais d’être en contact quasi permanent avec le pays. De nombreux Maghrébins vivent quasi uniquement avec les réseaux sociaux et la télévision du pays qu’ils ont quitté. Hommes femmes maghrébins ont souvent moins de rapports avec la culture et la société dite d’accueil qu’il y a cinquante ans. Les jeux olympiques récents ont mis en relief ce fossé ainsi que les conséquences du conflit permanant entre l’Algérie et le Maroc. Conflit qui touche les rapports parfois difficiles qu’entretiennent les ressortissants de ces deux pays vivant sur le sol français. La fierté marocaine (qui s’est exprimée avec force chez l’ouvrier avec lequel je me suis entretenu) enracinée dans l’histoire qui se heurte souvent à la pathologie algérienne faite d’un singulier ressentiment envers l’ancienne puissance coloniale et le pays frère voisin ne facilitent pas toujours les relations avec les ressortissants des deux pays. Le plombier marocain avec lequel j’ai bavardé en est une illustration. Les familles et les petits groupes d’hommes de confession musulmane fréquentent de moins en moins les lieux d’échanges et de socialisation intense que sont les. parcs, bars et restaurants si nombreux dans certains quartiers de Tours, où nombre d’observations ont été faites. Un Islam plus strict, la crainte d’enfreindre aux interdits en matière d’alimentation, le souci, pour l’homme de mettre son épouse à l’écart des périls, les en éloigne. Ce qui réduit davantage les occasions d’échanges et la possibilité des emprunts, culturels, comportementaux, culinaires… Phénomène dû au rigorisme ambiant, plus ou moins conscient, mais aussi au regroupement familial. Il y a une cinquantaine d’années on pouvait encore voir, lors des pauses ou à la fin de la journée de travail, un certain nombre d’ouvriers maghrébins partager une bière (en dehors de la période du Ramadan) avec des collègues de travail européens et bavarder un moment avec eux. Scènes très rares aujourd’hui. Le spectacle que nous offrent les restaurants et les bars du centre de Tours ou de nombreux jeunes couples constitués d’Européens et de femmes noires (ou de Noirs aux côtés d’Européennes consomment, échangent et plaisantent dans la bonne humeur met en relief le repli sur l’entre-soi d’une bonne partie de la communauté musulmane. Ce qui frappe le plus à Tours, par rapport à d’autres villes, c’est le nombre grandissant d’Européens, d’âge différent, que l’on peut voir aux côtés d’une jeune fille ou d’une femme noire. Mais toutes les femmes voilées ne résident pas la ville ou ses faubourgs. Le plombier marocain avec lequel je me suis entretenu habite dans une petite ville située à une bonne vingtaine de kilomètres de Tours ainsi qu’un Maghrébin, (dont je n’ai pas noté le pays de d’origine), qui entretient des chaudières à gaz chez un chauffagiste dont l’entreprise s’est installée dans une bourgade également située hors de Tours. Je rapproche ces deux cas de ce que j’ai pu observer dans une petite ville au Nord de Caen et dans un village du sud de cette ville. Les femmes voilées isolées dans ces lieux peuvent être privées de contacts avec leurs amies et leurs familles et n’avoir que peu d’échanges avec les habitants du pays où elles résident. Dans une grosse bourgade, proche de la mer, au nord de Caen, la communauté maghrébine est inexistante. Une famille algérienne y vit. Je n’avais aucune information sur la situation professionnelle de mari lorsque je résidais dans cette localité. J’ai vu, à diverses reprises son épouse voilée faire des courses, aller à la pharmacie (toujours avec son jeune enfant à ses côtés). Elle se déplaçait sans ostentation aucune et on peut augurer que ses nombreux déplacements lui ont permis de multiplier les échanges avec les locaux et de s’adapter un peu au contexte local. Il n’en va pas de même si le mari est très rigoriste. Dans un village situé à 15 kilomètres au sud de Caen réside une famille musulmane (la seule du petit pays) dans une maison assez cossue dont elle est propriétaire. Les habitants ne rencontrent jamais l’épouse voilée qui ne sort que dans l’automobile conduite par son mari. Il n’y a aucun commerce dans le village et tout un chacun doit se rendre, pour faire ses emplettes, à une grosse bourgade située à cinq kilomètres. Si le mari veut acheter de la viande hallal (ce qui est fort probable) il doit se rendre à Caen. Il s’agit ici d’un cas un peu limite mais il souligne combien les propos que l’on lit au sujet du voile islamique ne prennent guère en compte les conditions sociales, familiales, géographiques, professionnelles … dans lesquelles les jeunes filles ou femmes mariées voilées évoluent. Bien souvent on observe une régression dans l’insertion sociale et culturelle par rapport à la situation qui prévalait il y a une quarantaine d’années. L’apparition de la parabole pour la télévision m’avait déjà alerté. Progressivement nombre de Maghrébins ont cessé d’ouvrir les chaînes de télévision française et, beaucoup de femmes voilées se contentent désormais de regarder les chaînes de leur pays. Le smartphone a renforcé cette tendance à s’isoler de la société française. Il existe des exceptions, notamment chez les plus jeunes. Paradoxalement, en Algérie, les chaînes françaises sont très regardées, probablement plus que par les émigrés vivant en France qui ont besoin d’un pays un peu mythique, en partie imaginaire. Une algérienne qui nous a longtemps aidés à la maison à Alger est devenue, au fil des ans (ainsi que toute sa famille) une grande amie. Il y a quelques années je fus surpris de l’entendre parler, au téléphone, elle maîtrisait la langue française bien mieux que lorsque je l’ai connue à Alger après l’indépendance. Comme j’exprimais mon étonnement elle me répondit qu’elle suivait des émissions dans lesquelles auditeurs et animateurs jouent avec les mots et les lettres de la langue française. Naturellement de telles émissions ne sont pas suivies par les jeunes générations algériennes, sauf exceptions. Une fraction de la population noire de Tours et de villes comme Blois et Vendôme est de confession catholique (notamment celle qui est originaires du Gabon, présente à Vendôme. Elle célèbre les fêtes religieuses (baptême, Confirmation…) de manière visible. .   1