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Mais où est la Savoie ?

2022, Savoie, des Questions qui dérangent.

Cet article correspond à la première question du livre de "Savoie, des Questions qui dérangent." Question pas si triviale qu'elle n'y parait. Les limites de la Savoie : une géométrie variable en fonction du temps et des positionnements historiographiques.

GÉOGRAPHIE - SOCIÉTÉ Mais où est la Savoie ? Et que signifie géographiquement « la Savoie » ? Cette première question est en fait moins simple qu’elle n’en a l’air. La Savoie, un département ? Administrativement, la Savoie (73) est aujourd’hui un département français qui se distingue de la HauteSavoie (74). Pourtant, les « Hauts-Savoyards » se considèrent tout autant Savoyards que les Savoyards du sud. Ils possèdent la même culture, la même histoire. Voilà qui est donc un peu compliqué... Cette division apporte beaucoup de confusion. Les départements 73 « Savoie » et 74 « Haute-Savoie » actuels ne sont qu’une division administrative arbitraire aux yeux des Savoyards. 12 Géographie - Société La mémoire d’un ancien duché Quand les Savoyards parlent de Savoie, ils désignent en général les frontières de l’ancien duché de Savoie, tel qu’il était identifié en 1860, avant l’annexion par la France, c’est-à-dire un territoire rassemblant les deux départements actuels. La Savoie désigne dans ce cas indifféremment les départements 73 et 74. Avant cette date, ce territoire était divisé en sept provinces, respectant les bassins de vie de l’époque. L’une de ces sept provinces se nommait la « HauteSavoie », elle n’avait rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Elle avait comme chef-lieu Albert-Ville, qui prit ce nom en hommage au roi de Savoie-Sardaigne CharlesAlbert (règne de 1831 à 1848). Cette « Haute-Savoie » de l’époque rassemblait plusieurs sous-divisions administratives : les mandements d’Ugine, de Beaufort et de Faverges. Elle était située de part et d’autre des deux départements actuels. Notons que si les départements français ont été configurés sur le principe d’atteindre le chef-lieu en moins d’une journée de cheval depuis n’importe quel point de leur territoire, ceci ne s’applique pas aux départements de la Savoie, pas plus qu’aux autres départements alpins d’ailleurs. Leur superficie est semblable aux autres. Mais leur configuration montagnarde fait qu’il faut suivre de profondes vallées et parfois gravir de hautes montagnes pour se déplacer. C’est ainsi que 13 Savoie, des questions qui dérangent pour se rendre du village de Bonneval-sur-Arc à Chambéry, il faut parcourir 146 kilomètres, dévaler 2000 mètres en vertical, et pour cela : plus de deux heures de voiture, malgré l’existence aujourd’hui d’une autoroute. La Savoie décomposée en petites provinces correspondant aux principales vallées et bassins de populations avait donc tout son sens. C’est d’ailleurs dans des dimensions semblables que sont configurés les cantons suisses. Un État transalpin oublié Par « Savoie », il faut entendre aussi un territoire bien plus large. Car ce duché que nous venons de décrire était une composante d’un plus grand pays s’étendant de part et d’autre des Alpes. Les Piémontais prononcent souvent cette expression : « au temps de la Savoie ». Ce grand pays alpin rassemblait en effet la principauté de Piémont, mais aussi le duché d’Aoste, le comté de Nice, l’île de Sardaigne à partir de 1720, et à partir de 1814, la division de Gênes, qui correspond à l’actuelle région italienne de Ligurie. Les blasons des monarques de Savoie, comme celui ici de Victor Amédée II, le premier des rois (règne 1713-1730), expriment la composition des Etats de Savoie à leur époque. On retrouve au cœur l’aigle du Saint Empire romain germanique et la croix de Savoie. 14 Cet ancien État européen, aujourd’hui disparu, est désigné tantôt comme « les États de Savoie » (Stati Sabaudi en italien), en référence à la dynastie de Savoie qui l’administra, tantôt comme « le royaume de Sardaigne », car les souverains de Savoie acquirent la couronne royale en prenant possession de la Sardaigne. Pour autant, cette mention à la Sardaigne est trompeuse, car il s’agissait avant tout d’un État principalement alpin et « de terre ferme ». L’île de Sardaigne n’en était qu’une possession un peu lointaine. La capitale de ce grand territoire était Turin, au cœur du Piémont. Géographie - Société Turin : le palais royal de Savoie-Sardaigne et le drapeau du Piémont. Une ville surprenante qu’il faut absolument visiter, et que l’on arrive à décoder dès lors que l’on prend conscience de son ancien statut royal. L’esprit de la Savoie y est fortement présent avec sa bannière abondamment affichée, mais aussi par les nombreuses marques culturelles et architecturales que les monarques de cette dynastie millénaire ont installées et reproduites dans l’ensemble de ce royaume. Pour bien nous faire comprendre dans la suite de cet ouvrage, nous mentionnerons cet ancien pays sous le nom des « États de Savoie », ou du « royaume de Savoie-Sardaigne », la première étant son appellation historique jusqu’au XVIIIe siècle, la seconde étant la plus explicite pour désigner ce royaume administré par la maison de Savoie durant 141 ans. L’adjectif désignant cet ancien pays est très souvent exprimé par les termes de « sarde », « piémontais », quand ce n’est pas « italien ». Nous verrons que ces 15 Savoie, des questions qui dérangent 16 Géographie - Société termes sont inexacts et induisent en erreur. Nous utiliserons dans ce cas l’adjectif « sabaudien », le mieux approprié pour désigner l’ensemble des États de Savoie. Les résidences de la maison de Savoie à Turin sont classées au patrimoine de l’UNESCO. Haut : le pavillon de chasse de Stupinigi. Droite : l'armurerie royale de Turin est considérée comme l'une des plus riches collections d'armes et d'armures anciennes au monde. Bas : la basilique de Superga, sur les hauteurs de Turin, construite suite à la victoire des armées sabaudiennes et autrichiennes, lors du siège de Turin exercé par l'armée du royaume de France sous Louis XIV, en 1706. 17 Savoie, des questions qui dérangent Un État à géométrie variable au fil des siècles L’histoire de la Savoie s’inscrit dans une emprise encore bien plus large. Le territoire de la maison de Savoie a évolué au cours des siècles. Yverdon, sur les rives du lac de Neuchâtel, ainsi qu’une part importante de la Suisse romande, Bourg-en-Bresse dans le département de l’Ain, Barcelonnette dans les Alpes de HauteProvence, sont des villes qui ont connu une riche période savoyarde. De nombreuses communautés villageoises se sont développées sous la protection des comtes et ducs de Savoie à partir de la fin du Moyen Âge en Romandie, c’est-à-dire dans ce qui constitue aujourd’hui la Suisse francophone, mais aussi dans le Bugey, le Pays de Gex, la Bresse : autrement dit, l’actuel département de l’Ain, ou encore dans les hautes vallées de l’Ubaye et du Verdon. De nombreuses traces de cette histoire savoisienne demeurent. Nous en découvrons certaines dans la seconde partie de cet ouvrage, à l’occasion de questions historiques que nous ne manquerons pas de soulever. n En 1388, les Niçois signent un contrat de dédition les liant à la Savoie, et se mettent ainsi sous sa protection. Depuis cette époque, l’armoirie du comté de Nice porte l’aigle du Saint-Empire romain germanique. Savoyards et Niçois n’ont pas oublié cette histoire. 18