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L'art contemporain, ou comment communiquer le chaos

2014, Hermès

RomaEuropa L'art contemporain, ou comment communiquer le chaos Andy Warhol, le pape du pop art, provoque dans les années 1960 une rupture nette avec les pratiques artistiques des décennies précédentes. Son oeuvre et sa façon de communiquer bouleverseront les relations que les artistes entretiendront avec leurs commanditaires et les médias, et annonceront les dérives d'une information qui substituera progressivement ses commentaires à la parole de l'artiste. La tentative de prendre en otage le créateur, de le rendre complice d'une société qui le consommerait comme un produit, confondant communication et publicité, déclenche une réaction paradoxale dans les formes et les communications de l'art contemporain. Andy Warhol s'est voulu miroir de son époque et David Bourdon (1989), ancien critique d'art du Village Voice, s'est demandé pourquoi admirateurs et détracteurs n'avaient « entrevu que des reflets indistincts, fugitifs et contradictoires » de son action. « Ses admirateurs n'auraient retenu qu'un expert en élégance, l'apothéose de la culture populaire. Ses détracteurs eux voyaient en lui le singulier mélange de roublardise, un m'as-tu-vu patenté, un opportuniste cynique et manipulateur qui a sali la grandeur de l'art par son mercantilisme et son désir frénétique

Monique Veaute RomaEuropa L’art contemporain, ou comment communiquer le chaos Andy Warhol, le pape du pop art, provoque dans les années 1960 une rupture nette avec les pratiques artistiques des décennies précédentes. Son œuvre et sa façon de communiquer bouleverseront les relations que les artistes entretiendront avec leurs commanditaires et les médias, et annonceront les dérives d’une information qui substituera progressivement ses commentaires à la parole de l’artiste. La tentative de prendre en otage le créateur, de le rendre complice d’une société qui le consommerait comme un produit, confondant communication et publicité, déclenche une réaction paradoxale dans les formes et les communications de l’art contemporain. Andy Warhol s’est voulu miroir de son époque et David Bourdon (1989), ancien critique d’art du Village Voice, s’est demandé pourquoi admirateurs et détracteurs n’avaient « entrevu que des reflets indistincts, fugitifs et contradictoires » de son action. « Ses admirateurs n’auraient retenu qu’un expert en élégance, l’apothéose de la culture populaire. Ses détracteurs eux voyaient en lui le singulier mélange de roublardise, un m’as-tu-vu patenté, un opportuniste cynique et manipulateur qui a sali la grandeur de l’art par son mercantilisme et son désir frénétique 150 de devenir l’égal des stars ». Andy Warhol a bâti sa carrière en s’appropriant les images des produits archiconnus aux États-Unis, en détournant à son compte la gloire et la célébrité de ses sujets depuis la soupe Campbell ou le Coca-Cola jusqu’à Marylin Monroe. Il a converti son nom en marque distribuée et cotée sur le marché international. Son art était fait de provocations et c’est en occupant le devant de la scène, savourant les polémiques qui attiraient la presse et déclenchaient des ondes de choc, qu’il affirmait son art. Même s’il se prêtait à tout ce qui pouvait faire parler de lui, il n’a jamais cédé à ce que beaucoup considéraient comme des conditions inacceptables. C’est lui qui imposait ses « inventions artistiques » qui torpillaient les idées traditionnelles sur l’originalité dans l’art en fabriquant des multiples. Les médias se pliaient à ses visions singulières, car jamais il n’accepta la banalité de la vulgarisation de son message. « À l’avenir chacun aura son heure de gloire » fut l’une de ses boutades maintes fois reprise. Menace ou prémonition ? La question mérite d’être posée. Il n’a échappé à personne que depuis quelques années, les télévisions du monde entier proposent les mêmes séries de télé-réalité. Selon HERMÈS 70, 2014 L’art contemporain, ou comment communiquer le chaos François Jost (2007), cet engouement est à rapprocher d’un autre phénomène, celui de l’art contemporain qui projette « l’objet commun dans le musée en revendiquant d’utiliser le banal, les déchets et les poubelles ». Le célèbre urinoir de Marcel Duchamp, « la Fontaine », serait « le signe avant coureur de la promotion des loft à œuvre “culte” ». Joseph Macé-Scaron (2007) s’interroge sur ce qui est à l’œuvre dans l’art. « Comment en vient-on à donner de la valeur à la reproduction mécanique ? Comment […] l’art a-t-il fini par se dissoudre dans les médias ? » A moins, comme le suggère Umberto Eco (2004), que ce que l’on est tenté de lire comme une banalisation n’est peut-être que l’amenuisement de l’espace entre art de la provocation et art de la consommation. S’il semble exister encore deux niveaux entre art « cultivé » et art « populaire » dans ce climat défini comme postmoderne, il s’y offre à la fois de nouvelles expérimentations, des revisitations de la tradition. De leur côté, les médias de masse ne présentent plus aucun modèle unifié, aucun idéal de beauté. On peut retrouver dans la publicité destinée à ne durer que quelques semaines les expériences des avantgardes, voire des modèles des années 1920, 1930, 1940 et les formes désuètes du xixe siècle […] à côté des drag queens et des cyborg […] dans une orgie de la tolérance et un syncrétisme total Pour tenter de comprendre l’évolution de l’art contemporain à la lumière de la communication, il convient, très brièvement, de resituer historiquement cette période et d’en donner les enjeux. Il est d’usage de considérer toutes les œuvres produites depuis 1945 comme appartenant à l’art contemporain, la phase dite moderne qui la précède allant de 1850 à 1945. Pour notre argument, il a semblé plus significatif d’analyser les quarante dernières années du xxe siècle et de faire l’impasse sur les premiers dynamiteurs de codes que sont les dadaïstes, actifs durant la Première Guerre mondiale (1916) en Suisse. Je m’attacherai HERMÈS 70, 2014 au domaine des arts plastiques, mais le scénario est le même pour le théâtre, la danse, la musique ou la littérature – d’autant que l’art contemporain s’affirme d’emblée comme une transgression des frontières entre domaines artistiques. Si l’abandon d’un découpage souvent académique, qui taillait un costume trop étroit pour l’esprit vagabond des créateurs, a permis l’émergence d’artistes hybrides comme Cage, Trisha Brown, ou aujourd’hui William Kentridge et Jan Fabre, il s’est paradoxalement accompagné d’une atomisation des rôles et d’une multiplication d’intermédiaires autour des artistes et de leurs pratiques hors cadre que Daniel Buren (2011) dénonce comme les usurpateurs qui tentent de se hisser au niveau des créateurs. « La santé ébouriffante que l’on prête » à l’art contemporain, dit-il dans la revue L’Œil, masque la réalité « d’un domaine qui, sur le plan de la pensée, est au bord de la faillite ». Cette prise de position fait partie des premiers signes de révolte d’un artiste qui refuse l’appauvrissement des débats portés par des commentateurs qui sous prétexte de médiations s’emparent de la parole de l’artiste. Pour un artiste, s’exposer, c’est prendre le risque de la communication : il dévoile son univers, plus ou moins lisible, révèle ses « obsessions », ses combats et s’offre ou provoque le regard de l’autre, dont il attend la réaction. Cette forme de dialogue n’est jamais simple et demande une écoute réciproque, une négociation nécessaire qui n’édulcore pas le message, un temps long dans l’échange. Sachant que les enjeux entre les interlocuteurs ne sont pas les mêmes, le risque du refus, du conflit ou du mépris menacent. Car la malédiction qui hante la communication c’est l’incommunication. Pourtant, la conscience d’un échec probable n’a jamais découragé les artistes, à juste titre puisqu’ils trouvent mécènes, collectionneurs et musées pour accueillir leurs œuvres. C’est précisément dans le paradoxe de l’incommunicabilité à l’œuvre dans la communication décuplée par la complexité des œuvres contemporaines et le foisonnement 151 Monique Veaute des styles que le monde académique s’offrira le rôle de médiateur, interprète du chaos. D’emblée, chercheurs, historiens de l’art et spécialistes se sont attelés à la tâche cyclopéenne de qualifier des objets qui refusaient d’être catégorisés et de nommer des courants qui fuyaient les champs balisés. Les publications se sont multipliées, catalogues raisonnés et archives rassemblèrent une documentation exceptionnelle sur la vie, les méthodes de travail, les matériaux utilisés par les artistes. Naîtront les premières revues L’Œil puis Art Press qui vient de fêter ses quarante ans ; elles resteront des références intellectuelles défendant leurs choix mais ouvertes à la parole de l’artiste et à la production pluridisciplinaire. Une fracture s’opérera autour des nouvelles tendances de l’art, en particulier à propos des formes les plus populaires. E. H. Gombrich, dans son Histoire de l’Art (2001), propose une lecture distanciée du conflit. Le « mouvement connu sous le nom de pop art propose des idées qui ne sont pas difficiles à comprendre. J’y ai fait allusion en parlant du fâcheux désaccord entre l’art dit “appliqué”, “commercial” qui fait le cadre de notre vie courante, et l’art pur qui, tel qu’il apparaît dans les galeries et les expositions, se présente pour beaucoup comme une énigme. Le clivage a naturellement représenté un défi pour les historiens de l’art, ils ont pris l’habitude de défendre ce que les gens de “goût” méprisent… Toutes les autres formes d’anti-art sont devenues, elles aussi, sujet d’étude pour les intellectuels. Ils ont adopté l’exclusivisme et les prétentions de l’art “abhorré” ». L’exemple du style Camp, hommage au kitch, soutenu par Susan Sontag, en est une illustration. « Pourquoi, soutient Gombrich, n’en serait-il pas de même qu’en musique ? Un type de musique, la pop music, a en effet conquis les masses et les séduit jusqu’à la dévotion la plus hystérique… Le travail de l’historien consiste à rendre les faits artistiques intelligibles, celui du critique à porter un jugement de valeur » (Gombrich, 2009). C’est ce qui va se passer. Effet de mode ou conséquence de la complexité des messages de l’artiste et des théories 152 plus ou moins contradictoires des analystes, les médias vont se faire les paladins de l’art contemporain « longtemps méprisé et incompris » écriront Pauline Simons et Jérôme Béglé (2009) qui, dans le Figaro Magazine, salueront ceux qui « remettent en marche une machine qui s’était grippée ». Qui sont-ils, ces secouristes de l’art contemporain, et comment vont-ils s’employer à remettre en marche ce qu’ils appellent une machine ? On les trouve dans la prolifération de journaux, hebdomadaires, mensuels, site internet qui se spécialisent depuis quelques années dans les arts plastiques et qui exaltent la galaxie qui gravite autour des créateurs. Beaux arts, KunstForumInternational, ArtNews, FlashArt pour n’en citer que quelques-uns, les publications américaines comme ArtForum exportent leurs formats en les adaptant dans les différents pays comme le font des magazines populaires tels que Marie Claire ou Elle. Rien de ce qui se passe dans la faune des adeptes de l’art contemporain ne leur échappe. Leurs contenus entremêlent « gossip », annonces d’expositions, biennales et foires qui se multiplient sur la planète, ils publient les manifestes annonçant un nouveau courant ou concept, révèlent avec gourmandise la trahison d’un artiste envers son mécène ou galeriste, se font l’écho des polémiques entre curateurs, dévoilent les achats d’un collectionneur en vue comme gage de la valeur de l’artiste… Critiques et curateurs deviennent grâce à ces médias les nouveaux protagonistes de l’art et la chose artistique l’aliment qui nourrit les discours noyés dans un roman de mœurs entre mondanités affaires et rivalités. Ce qui est à l’œuvre dans le passage de la communication à la médiation académique, puis à l’information, c’est la banalisation de la spécificité de l’artiste. Il devient peu à peu un acteur secondaire d’un reality show. À ce propos, les palmarès publiés chaque année par Art Review, Art Magazine et le « Power 100 » de Forbes qui priment les stars de l’art et mettent sur les mêmes plans artistes, curateurs, critiques, collectionneurs et directeurs HERMÈS 70, 2014 L’art contemporain, ou comment communiquer le chaos de musée sont révélateurs. Tout cela rassure, l’information conseille, donne des clés de lecture compréhensibles, incite le public avec des arguments qui n’ont plus rien à voir avec la production artistique et qui semble réaliser le projet lancé par Andy Warhol : rendre l’art populaire et le sortir de son ghetto. La dérive ne s’arrête pas là. Quand l’argent définit la valeur d’une œuvre, quand le marché de l’art s’empare du produit et le transforme en symbole de prestige et hisse l’acquéreur en garant de l’importance et de l’authenticité de l’artiste, l’art devient publicité. Les foires se substituent peu à peu aux biennales et deviennent les grands rendezvous où les stars du cinéma, de la pop music et les milliardaires de la planète s’arrachent les œuvres à coup de millions au grand bonheur des médias qui s’en font largement l’écho. Certains acteurs du marché notent dans les décisions d’achat la prééminence actuelle des phénomènes de mimétisme. Le galeriste Hervé Loevenbruck (cité dans Bollon, 2007) explique « aujourd’hui pour beaucoup d’acheteurs il faut exhiber sur les murs de son appartement le dernier cri de l’art qui se vend ou que collectionne telle ou telle vedette du cinéma… tout en faisant de bonnes affaires ». Patrice Bollon y trouve l’explication « à l’incroyable succession des vagues : une année on monte en épingle l’art russe, l’année suivante l’art chinois… et l’on voit aux États-Unis des peintres de plus en plus jeunes qui atteignent des cotes faramineuses ». Certains artistes jouent le jeu. Génies de l’art ou des affaires. Murakami dessine ses fleurettes manga sur les sacs Vuitton et s’expose dans les galeries de Versailles. Les dignes conservateurs du château pensent redonner ainsi un coup de jeune à la royale demeure et y attirer presse et people. Le Marie-Antoinette de Sofia Coppola relève du même kitch. Jeff Koons, la star du New pop, multiplie ses cœurs enrubannés et ses caniches géants qui s’arrachent à coup de dollars. L’art de devenir un artiste en vue devient indépendant de son talent. Le parcours est balisé et connu, mais il faut susciter l’engouement d’un HERMÈS 70, 2014 critique influent susceptible de provoquer un effet boule de neige décisif. Relativiser le rôle négatif du collectionneur « millionnaire » est important. Krzysztof Pomian nous rappelle dans son livre Collectionneurs, amateurs et curieux qu’ils sont à l’origine de la création des musées. Leurs galeries privées ouvertes à une élite deviendront les musées publics du xviiie siècle auxquels ils légueront leurs collections. Riches marchands, princes et prélats ont affirmé leur prestige tout en finançant la production artistique. Il cite une singularité américaine qui mérite une digression. « Entre […] 1865 et le krach de 1929, les collections d’art aux ÉtatsUnis ont connu leur âge d’or […] quand on étudie la population des collectionneurs on est immédiatement frappé par la place qu’y occupent les femmes et par l’importance de leurs rôles […] et l’impact qu’elles ont eu dans la création des musées […] qui s’ouvriront de manière exponentielle sur le territoire américain sur leurs impulsions. Elles privilégieront les formes les plus innovatrices avec Van Gogh, Picasso, Cézanne, Renoir […] plus ouvertes à une rupture, même radicale avec la tradition. » Pomian émet l’hypothèse d’un lien entre les collectionneuses et leurs choix pour imposer l’acceptation d’un nouveau statut de la femme dans la société. Promotion sociale, symbole identitaire, rien de nouveau donc si ce n’est l’entrée des médias dans le cercle fermé de l’art contemporain. La faute à Andy Warhol ? Duchamp et Warhol ont refusé le ghetto, ont défié la communication et, pensant la maîtriser, ils ont cassé les codes et refusé que l’art soit l’affaire d’une élite. Le pop art de Warhol se voulait accessible, populaire, ses multiples et ses papiers peints un refus du carcan des matériaux nobles, ses portraits de stars un hommage à la séduction. Quand Duchamp installe son bidet dans le musée, il faisait aussi un pied de nez aux cathédrales du goût qui sanctifient ce 153 Monique Veaute qu’elles présentent. Ces gestes participaient d’une liberté, de l’affranchissement des codes trop rigides de la société et annonçaient le bouleversement des mœurs et des pratiques culturelles. Les dizaines de frigidaires alignés plus ou moins vides ou remplis, de produits raffinés ou pauvres, exposés dans le pavillon de la République tchèque à la biennale de Venise retrouvent les gestes provocateurs des premiers dynamiteurs contre une société de consommation et ses injustices. Les sculptures de Bertrand Lavier transforment les objets de la vie quotidienne en symboles et les salles de musée en supermarchés. Que ces œuvres soient prisées, qu’une installation de vieux journaux ou qu’une montagne de fripes fassent la couverture des revues, qu’importe, car la liberté de créer est totale et ce que l’information avait dénaturé et l’argent célébré ouvre un espace où les artistes révèlent in fine une formidable capacité de résistance en se jouant du système qui tentait de les piéger. Si les médias, l’argent et les people avaient besoin d’eux pour alimenter leurs fantasmes ou leurs business, eux étaient nécessaires au système. Si certains se sont pliés, d’autres se sont retirés d’un barnum incompatible avec leurs recherches et ont su trouver des interlocuteurs à l’écoute. Mais le retrait n’a pas tenté la majorité des artistes qui, forts de leur popularité, ont revendiqué la centralité de leurs projets et su imposer leurs exigences sur la présentation de leur travail comme le raconte Boltanski dans « La vie possible de Christian Boltanski » ou refusant de participer à des manifestations qui dénaturaient leurs messages comme Yannis Kounellis. D’autres encore ont dépassé les limites imposées. Paradoxe ou reprise en main, la provocation est devenue une des conditions pour se faire entendre. Certains exemples sont significatifs. Damien Hirst – celui dont on a dit qu’il jugeait sa réussite au nombre de zéros qu’atteignaient ses œuvres dans les ventes publiques – a récemment délaissé ses requins ou ses moitiés de veau enchâssés dans des vitrines remplies de formol et exhibé 154 un crâne humain serti de diamants. Cette représentation contemporaine de la vanité est courante dans l’histoire de l’art. Sa vanité rappelle que le masque « bling bling » dont a été affublé l’art participe de la mort. Maurizio Cattelan, autre idole de l’art, n’en finit pas de manifester son mépris à ses commanditaires ou à dénoncer leurs manquements. Un bras d’honneur de plusieurs mètres trône devant la Chambre de commerce de Milan qui l’avait invité à la célébrer. À Palerme, c’est une copie du célèbre écriteau Hollywood, à la même échelle, qu’il a installé sur le dépotoir d’ordures aux abords de la ville sicilienne que les édiles faisaient mine d’ignorer. Son ultime pied de nez, il l’a adressé aux médias en créant une revue d’art qu’il a intitulé Toilet Paper et, au grand dam de ses collectionneurs, il a décidé de ne plus créer d’œuvre et met désormais sa renommée, sa marque, son nom comme logo au service d’un projet, le Crepaccio, qui invite sans sélection de jeunes artistes à s’exposer dans des espaces incongrus et surtout les moins institutionnels. La liste est trop longue des rebelles à la médiation. Pourtant, il est impossible de faire l’impasse sur la « performance », une forme artistique qui ne produit pas d’objet et qui met l’artiste en présence directe avec le visiteur. Marina Abramovic a accueilli 100 000 personnes au Museum of Modern Art, huit heures par jour, pendant un mois dans un tête-à-tête où son interlocuteur décidait du temps nécessaire à leur rencontre. Une conclusion est-elle possible ? La communication fait partie des xxe et xxie siècles. Internet et l’explosion des réseaux sociaux en révèlent le sens profond : pouvoir s’exprimer, échanger, se confronter, exister. Être en lien direct avec l’autre était possible dans une société cloisonnée et hiérarchisée mais la société de consommation du xxe siècle s’était donnée la publicité, avait créé les marques pour communiquer HERMÈS 70, 2014 L’art contemporain, ou comment communiquer le chaos ses produits dans un langage de séduction aussi efficace que simple. Ceux qui voulaient échapper au ghetto et combattre les lieux communs ou sortir de l’anonymat ont tenté d’utiliser les mêmes moyens. Ceux qui refusaient les compromis, essayant de sauver leurs spécificités, devenaient inaudibles ou se condamnaient au retrait dans leur tour d’ivoire. Si la communication horrifie les puristes, c’est parce qu’elle contient les germes de l’information et les tentatives de vulgarisation qui peuvent déformer ou, pire, dénaturer son objet. Risquer la communication malgré ses avatars n’en est pas moins un passage nécessaire dans notre société avide de savoir, curieuse de comprendre et soucieuse de « transparence ». R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES Bollon, P., « L’art contemporain est-il pure spéculation ? », Marianne, 20 oct.-27 oct. 2007. Jost, F., Le Culte du banal. De Duchamp à la télé-réalité, Paris, CNRS éditions, 2007. Boltanski, C. et Grenier, C., La Vie possible de Christian Boltanski, Paris, Seuil, 2007. Jost, F., De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ?, Paris, CNRS éditions, 2011. Bourdon, D., Andy Warhol, Paris, Flammarion, 1989. Macé-Scaron, J., L’Homme libéré, Paris, Plon, 2004. Buren, D., « Le système dérape », L’œil, n° 638, 2011. Macé-Scaron, J., « De Warhol à Endemol », Marianne, 27 oct.2 nov. 2007. Buren, D., Les Écrits, 2 vol. (1965-1996 et 1996-2012), Paris, Centre national des arts plastiques/Flammarion, 2012. Eco, U., Histoire de la beauté, Paris, Flammarion, 2004. 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