La Revue Nouvelle
La casta ou l’obsession antiprogressiste de Milei
Laura Calabrese (ULB, ReSIC) & Sol Montero (UNSAM, Conicet)
Depuis l’arrivée d’une figure libertarienne au pouvoir, l’Argentine découvre l’obsession
antiprogressiste présente dans d’autres pays. Encouragé par les échecs de la gauche péroniste
(au pouvoir de 2003 à 2015, ensuite de 2019 à 2023), le nouveau président Javier Milei surfe
sur le mécontentement justifié de la population pour installer un climat de menace
permanente envers ses ennemis politiques. La figure du progressiste incarne pour lui, mais
aussi pour une partie des Argentins, l’épouvantail idéal, coupable à la fois de la faillite
économique, de la prolifération du féminisme, de l’hypertrophie de l’État et de la corruption.
Ce qui est intéressant dans cette obsession antiprogressiste est qu’elle est à la fois locale et
internationale. Elle puise dans une haine antipéroniste traditionnelle1 et se nourrit d’un
imaginaire conservateur ou même putschiste, qui fait résurgence quarante ans après la fin de
la dictature militaire. Mais elle partage, voire emprunte, beaucoup d’éléments à un discours
réactionnaire de circulation transnationale, que l’on peut retrouver dans le libertarianisme
nord-américain, le mouvement réactionnaire français ou le conservatisme d’extrême droite
brésilien. A partir de procédés caricaturaux, ces discours construisent des figures menaçantes
dont le but est de disqualifier les adversaires en tant que sujets politiques. La figure de la
caste, l’un des piliers du discours de Milei depuis la campagne présidentielle de 2023, incarne
ces adversaires de manière paradigmatique. La caste est un concept avec une trajectoire
surprenante et d’une efficacité redoutable dans le discours politique. Il englobe sous une
même dénomination l’establishment politique, économique et culturel progressiste.
Aux origines du concept
Dans son sens politique contemporain, le mot casta est popularisé grâce au livre des
journalistes italiens Sergio Rizzo et Gian Stella La casta. Così i politici italiani sono diventati
intoccabili, paru en 2007, qui dénonce “l’aristocratie inamovible” représentée par une classe
politique qui use et abuse des privilèges de l’État. En Espagne, Íñigo Errejón, l’un des
fondateurs du parti de gauche Podemos, signe la préface à la traduction espagnole du livre et
introduit le concept dans le discours du mouvement, fondé en 2014. Plus tard, il expliquera
que le concept servait à désigner la fracture entre les classes privilégiées et le reste des
citoyens, dépassant ainsi le clivage gauche/droite à partir d’une posture que le parti assume
1
Le péronisme se définit comme une mouvance nationale et populaire. Ce mouvement et son opposition
structurent la politique argentine depuis 1945, remplaçant le clivage gauche-droite. S’il y a un
antipéronisme qui se constitue sur la base d’une critique de l’organisation verticaliste et corporative du
mouvement, un autre versant, aux relents racistes, se nourrit du rejet de sa composante populaire.
Péronisme et antipéronisme peuvent tous les deux se situer tant à gauche qu’à droite de l’échiquier
politique.
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comme “populiste”, selon leurs propres mots2. Dans la mouvance du 15M (le Mouvement des
indignés), l’usage du mot caste cherchait à dénoncer les “minorités privilégiées”, c’est-à-dire
les classes propriétaires protégées par l’État et ses institutions.
En 2015, Podemos abandonne le concept, mais celui-ci a déjà été adopté par les journalistes
et commentateurs et fait désormais partie du lexique politique. Lorsqu’éclate le scandale
autour de la maison de vacances du numéro un de Podemos, Pablo Iglesias, celui-ci est accusé
d’appartenir à la caste qu’il entend combattre. Dans la foulée, le parti d’extrême droite Vox
s’approprie le concept. Selon le politologue espagnol José Rama, le mot vient prendre la place
d’autres concepts employés dans le passé par le mouvement d’extrême droite : “La caste
désigne ce qui était autrefois qualifié d’"anti-Espagne", d’"ennemis de la patrie" ou de
"progressistes" (los progres en espagnol) »3.
En Argentine, le journaliste conservateur Luis Gasulla publie en 2021 le livre La casta, La patria
somos nosotros (“La caste. La patrie, c’est nous”)4, un réquisitoire contre le kirchnérisme5,
qu’il accuse de corruption, de privilèges mal acquis et d’hypocrisie :
“Le péronisme est devenu une caste de gouvernants et de syndicalistes millionnaires, des
seigneurs féodaux qui s’éternisent au pouvoir. La version K [kirchnériste] a perfectionné ces
méthodes ; elle est aujourd’hui la nouvelle oligarchie. Ils créent des lois mais ne les respectent
pas. Ils jurent lutter contre un pouvoir hégémonique fantasmé, mais accumulent plus de
pouvoir qu’aucun autre gouvernement démocratique récent, en détruisant les institutions et
en minant les contre-pouvoirs”.
Sur le compte Twitter de Milei, la mention la plus ancienne du concept remontre à 2015, mais
c’est à partir de 2021 qu’il commence à l’utiliser couramment, lorsqu’il entre en campagne
pour un siège de député.
La trajectoire contemporaine de casta en espagnol rappelle celle de beaucoup d’autres
concepts politiques provenant de la gauche et utilisés par la droite conservatrice ou l’extrême
droite. Un exemple paradigmatique est celui de « bataille culturelle », une notion qui découle
Dans de nombreux articles, discours et entretiens, Errejón a déclaré que Podemos était l’expression d’un
“populisme de gauche” en Europe. Il revendique les figures d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe comme des
référents idéologiques.
3
Gómez Urzaiz, B. (26 juillet 2021). “La casta, el talismán léxico que migró de Podemos a Vox”. El País. URL:
4
Le titre parodie le slogan de Cristina Fernández de Kirchner “La patrie, c’est l’autre”, qui cherche à rendre moins
abstraite la notion de patrie en la déplaçant vers ces “autres” qui auraient besoin de la protection de l’État.
5
Le kirchnérisme est un mouvement péroniste de gauche, émergeant en 2003 lors de l'accession à la présidence
de Néstor Kirchner. Sous son mandat, le pays parvient à se remettre de la crise économique et à liquider la dette
contractée auprès du FMI. Par la suite, Cristina Fernández de Kirchner, sa femme, lui succède et gouverne
pendant deux mandats successifs.
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du concept d’« hégémonie culturelle » du philosophe marxiste Antonio Gramsci6,
actuellement mobilisé par les droites radicales. Toutefois à la différence de ce dernier,
l’appropriation de casta opère un changement de sens important, car le mot est utilisé contre
ses énonciateurs premiers avec une connotation provocatrice et polémique. Dans ce sens,
elle évoque plutôt les détournements sémantiques décrits par Victor Klemperer dans son
étude sur la langue du Troisième Reich7, laquelle modifiait le parcours des mots courants en
changeant leur sens et en augmentant leur fréquence d’usage dans le langage de tous les
jours. Elle rappelle aussi le parcours du mot totalitaire, qui surgit comme une dénonciation
du fascisme et est rapidement repris par Mussolini pour décrire le fonctionnement d’un État
qui prendrait toute la place, au point d’éclipser les individus.
Un mot au sens plastique
La carrière contemporaine de casta et ses usages polémiques en font un « concept
politique », au sens que donne l’historien Reinhardt Koselleck à cette notion, c’est-à-dire une
unité lexicale qui condense les débats d’une époque et qui façonne l’action sociale. Comme
tous les concepts politiques, il s’adapte aux contextes et aux intentions des locuteurs. Le sens
des concepts politiques est donc éloigné de leur sens stable et de leur étymologie, car la
diversité d’usages et appropriations le chargent progressivement de couches de sens.
Il faut dire que les caractéristiques du mot casta le prédisposent à des usages assez variés. Il
s’agit de ce qu’on appelle en linguistique un nom collectif, c’est-à-dire un nom singulier qui
désigne pourtant une pluralité d’éléments et les amalgament sous une seule entité, sans pour
autant spécifier quels sont ces éléments. Car contrairement à « la police » (composée de
policiers) ou à « la gauche » (composée de gens qui votent à gauche), on ne sait pas
exactement qui compose « la caste ». Comme le souligne la linguiste Michelle Lecolle, ces
caractéristiques contribuent à construire un sens homogène et globalisant propice à la
généralisation. En l’absence d’un sens plus ou moins établi, c’est l’usage et la mémoire
collective qui vont faire office de dictionnaire. Il faut donc observer comment l’expression
circule pour comprendre le sens que lui donnent les énonciateurs.
En contraste avec l’usage qu’en faisait Podemos, pour qui le mot caste visait le monde
politique, Milei considère que tous les hommes et femmes politiques appartiennent à une
caste (ou plutôt LA caste), ce qui lui permet de valoriser sa position d’outsider.
Cependant, la dénomination va bien au-delà, comme l’a écrit Milei dans un tweet durant la
campagne présidentielle :
Selon Gramsci, le changement social ne s’impose pas par le pouvoir mais par la culture, entendue au sens large.
Le discours devient ainsi un terrain de lutte pour les différents groupes idéologiques, qui se battent pour établir
leur domination sur les représentations collectives.
7
LTI. La langue du III Reich en édition française.
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LA CASTE c’est : 1. Politiciens voleurs 2. Cadres planqués 3. Syndicats transfuges 4.
Journaleux corrompus 5. Professionnels complices (@JMilei 10/10/2023)
À mesure que le terme casta se répand dans le discours social, son sens devient plus créatif,
englobant souvent des acteurs qui, intuitivement, ne seraient pas considérés comme faisant
partie des groupes dominants. Ainsi, appartiennent à « la casta » les chômeurs, les retraités,
les professeurs universitaires ou les syndicalistes, par opposition aux « Argentins
travailleurs ». Ces secteurs sont pointés du doigt pour leur proximité avec le pouvoir, pour
avoir soutenu un discours hégémonique ou avoir fait partie des gouvernements kirchnéristes
successifs. Dans ce sens, le vocable caste a un fonctionnement similaire au syntagme fake
news tel qu’il était utilisé par Donald Trump lorsqu’il était président, qui servait tout
simplement à discréditer ceux qui ne partageaient pas ses points de vue. Loin de l’insulte
classique en politique, qui sert à dégrader l’adversaire, ces dénominations disqualifient le rival
qui devient illégitime.
Féru de slogans, Milei intègre le mot caste à des phrases courtes et percutantes qui circulent
bien à l’oral comme dans les réseaux sociaux : “caste ou liberté”, “la caste tremble” ou “la
caste a peur”. Ces slogans dévoilent une des principales caractéristiques de l’expression, à
savoir la désignation d’un collectif avec lequel on ne peut ni négocier ni débattre, et qu’il est
donc impératif de supprimer. Les membres de la caste craignent le moment où les privilèges
mal acquis leur seront retirés. Ces slogans sont une promesse, un acte de wishful thinking
dont la seule énonciation constitue une argumentation. Ils prospèrent dans un climat
politique où le dégagisme est dominant. Il ne faut pas oublier qu’en 2001, au plus fort de la
crise politique et économique en Argentine, le mot d’ordre de la population était “que se
vayan todos” (“qu’ils dégagent tous”). La haine progressiste de Milei envers “la caste” évoque
ce mouvement, où la politique devait à tout prix être remplacée par des initiatives excentrées.
Une dénomination couronnée de succès
Comme beaucoup d’éléments de langage provenant de formations politiques radicales, le
concept de caste a rapidement trouvé sa place dans le discours public, comme s’il venait
nommer quelque chose de perceptible mais d’innommé. Le mot a gagné en popularité à un
tel point que, en dépit de sa nature polémique et de sa signification vague, il est repris par
des personnalités provenant d’autres formations politiques et par le grand public. Si le sens
du mot est rarement interrogé, les hommes et femmes politiques vont en revanche débattre
sur qui appartient ou non à la caste. Quant aux journalistes, ils l’adoptent comme une
catégorie politique descriptive, la remettant rarement en question. Au plus fort de sa
circulation, le nom devient un adjectif dans des phrases telles que “un tel est très caste”, une
construction que l’espagnol permet, passant de la nomination de la chose à la nomination
d’une qualité de la chose. De la sorte, la caste n’est plus seulement un groupe dont l’existence
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est rarement questionnée, mais un attribut de l’individu, quel que soit le groupe auquel il
appartient.
Comme tous les concepts adoptés par le langage politique d’une époque, la popularité de
caste doit être interrogée. Elle signe le succès d’un discours libertarien que l’Argentine ne
connaissait pas, mais aussi celui de l’extrême droite nationaliste que le pays n’avait plus connu
depuis le retour de la démocratie. Par son alliance avec des milieux conservateurs, Milei
récuse le récit majoritaire sur la dictature militaire (1976-1983), en questionnant le consensus
politique sur les crimes contre l’humanité, le nombre de victimes et la portée de la violence
de l’État. C’est dans ce contexte qu’il réactive un lexique et un imaginaire anticommunistes
datant de la période du terrorisme d’État : communiste, gauchiste (zurdo, zurdaje), rouge
(rojo), qui renvoient au discours des forces armées.
Le décalage temporel entre les années 1970 et l’actualité a créé cependant des nuances dans
l’actualisation de cet imaginaire anticommuniste, d’autant plus qu’aujourd’hui peu de gens
se réclament de cette idéologie, y compris au Parlement où les marxistes sont très
minoritaires et plutôt de tendance trotskiste. Dans son actualisation contemporaine, ce
lexique cible non seulement des acteurs liés au secteur politique, mais aussi la société civile :
élites économiques, politiques et culturelles, artistes, féministes, universitaires et
scientifiques accusés d’accumuler des privilèges, fussent-ils symboliques. L'élasticité
sémantique de ce lexique est telle que Milei a traité son rival Horacio Rodríguez Larreta
(candidat de droite à la présidentielle et alors maire de Buenos Aires) de “gauchiste de
merde”. Dans ce contexte, l’insulte sous-entendait que Larreta n'incarnait pas véritablement
les principes du libéralisme économique.
Le recours au discours anticommuniste illustre, entre autres, la dépréciation des concepts
politiques au sein des discours conservateurs. Dans son actualisation contemporaine, la
notion du gauchiste a subi une évolution significative. Si autrefois elle servait à discréditer
certains courants non orthodoxes du communisme, aujourd’hui elle véhicule l’idée
d’hypocrisie. Aussi, gauchiste évoque l’idée d’une fausse gauche, désignant des groupes qui
se revendiquent populaires (à l’instar du péronisme), mais qui en réalité font partie intégrante
des élites. L’accusation la plus fréquemment adressée aux progressistes réside ainsi dans leur
tartufferie, que l’on retrouve dans d’autres dénominations en circulation en Europe telles que
« gauche bobo » ou « gauche caviar ».
Un succès au-delà des frontières
En effet, les désignations de l’ennemi incarnées dans l’expression caste s’insèrent dans un
réseau plus large de formules, arguments et discours antiprogressistes en vogue dans
plusieurs pays (les États-Unis, la France et dans une moindre mesure la Belgique). Ces discours
actualisent l'idée d’une bataille culturelle qu’il faut remporter contre le progressisme, dans le
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but de façonner les représentations collectives et, in fine, les agendas politiques. Sur les
réseaux, on constate que caste partage beaucoup de caractéristiques avec des dénominations
qui circulent en Europe et aux États-Unis, à commencer par celle de wokisme. Ce vocable
permet de transformer en mouvement homogène des groupes militants, voire des sensibilités
politiques, souvent contradictoires.
La critique antiwokiste s’est aussi patiemment construite dans le temps, propulsée par des
fantasmes complotistes, la circulation stratégique du discours conservateur, des réseaux
sociaux attachés aux discours extrémistes, mais aussi des frustrations bien réelles envers la
gauche et envers certains excès des mouvements progressistes. Il faut également tenir
compte des caractéristiques des écosystèmes médiatiques. En Argentine, comme au Brésil,
en France et aux Etats-Unis, la forte concentration médiatique aux mains de quelques groupes
conservateurs et la présence importante de chaines d’information en continu peuvent
expliquer en partie les phénomènes du type Milei, Bolsonaro, Zemmour ou Trump. La bataille
culturelle engagée par une nébuleuse réactionnaire, de nature antiintellectuelle, complotiste,
anti-élites et dégagiste, trouve écho dans un vaste mouvement antiprogressiste en Europe et
dans les Amériques.
Preuve que l’obsession antiprogressiste de Milei n’est pas un phénomène solitaire, son
discours au Forum économique mondial de Davos en janvier 2024, à peine élu, mobilisant un
imaginaire de Guerre froide, n’a pas causé un tollé :
“L’Occident est en danger (…) car ceux qui sont censés défendre les valeurs occidentales sont
dominés par une vision du monde qui, inexorablement, conduit au socialisme et en
conséquence à la pauvreté (...) Les principaux leaders du monde occidental ont abandonné
leurs valeurs au profit de différentes versions de ce qu’on appelle le collectivisme”.
À première vue, on pourrait avoir l’impression que le discours de Milei a émergé de nulle part,
mais à bien y regarder, on observe une multiplicité d’événements qui ont convergé vers cette
radicalisation de l’espace politique. Tout d’abord, une polarisation entre le péronisme et
l’antipéronisme qui n’a cessé de monter en intensité ces dernières années, ainsi qu’un
désarroi généralisé qui a ouvert la voie royale à des discours extrêmes. Sur ce point, la gauche
a une part de responsabilité, moins du fait de ses échecs (qui ne sont pas plus grands que
ceux de la droite), que par le fait d’avoir approfondi la traditionnelle confrontation entre
formations politiques, phénomène désigné en Argentine sous le terme “la grieta” (la brèche,
la fissure). Si contrairement à la gauche européenne, le kirchnérisme a été porteur d’un vrai
projet politique progressiste, celui-ci a été particulièrement clivant, dans un pays déjà très
divisé politiquement. À ce propos, il n’est pas inutile de rappeler que Cristina Fernández de
Kirchner a longtemps utilisé la notion de bataille culturelle. En 2008, elle affirmait que la lutte
contre le pouvoir n’était pas seulement économique, mais qu’elle relevait principalement
d’une lutte sur le plan culturel, en particulier en ce qui concerne les médias, concentrés
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autour d’un monopole conservateur. Ce n’est pas un hasard si La France insoumise, une
formation basée sur une vision agonistique de la politique, s’est inspiré du kirchnérisme
comme un idéal de populisme de gauche8.
En deuxième lieu, on observe une fatigue croissante au progressisme, provoquée par une
réaction aux gouvernements de gauche successifs, qui ont accompagné des mouvements
sociaux tels que le droit à l’IVG, la promotion des politiques de genre et des organismes de
droits humains, la réactivation des procès aux militaires, le soutien à la recherche des enfants
volés pendant la dictature, ou encore l’appui aux langues amérindiennes. C'est dans ce
contexte que se cristallise le discours antiprogressiste, plus précisément pendant le deuxième
mandat de Cristina Fernández. La figure du « progre » (raccourci de “progressiste”), déclinée
dans sa version plus insultante « progresía » (le suffixe ajoute clairement une couche
péjorative, que l’on peut apprécier en français dans un mot comme « macronie »), cristallise
ce rejet.
Le discours antiprogressiste de Milei n’est finalement que la synthèse d'une série d’éléments
préexistants dans le contexte local : opposition antipéroniste, rejet des politiques de gauche,
misogynie envers une femme présidente, échecs du kirchnérisme, résurgence de tendances
antidémocratiques et concentration médiatique, pour ne mentionner que les plus
significatifs. Ces facteurs se sont solidarisés pendant la crise du covid et ont convergé vers un
climat politique favorable à l’élection de Milei. Or, ces éléments propres au contexte local
s’insèrent dans une conjoncture internationale, où les pays développés accordent une
légitimité croissante à des discours antidémocratiques qui ciblent principalement le
progressisme ou ce qui est fantasmé comme tel. Loin des postures eurocentriques qui
pensent les phénomènes latino-américains comme prisonniers d’un “populisme” endémique
(où “populisme” est surtout utilisé comme synonyme de démagogie ou de zèle
antidémocratique), l’obsession antiprogressiste de Milei est le symptôme d’un malaise global.
8
Nous donnons à ce concept le sens qu’il a dans les projets politiques natifs, notamment en Amérique
latine, sans aucune préconception négative.