Academia.eduAcademia.edu

LES CHEMINS DU SALUT

lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie

La catéchèse chrétienne parle du Salut, sans souvent expliquer en quoi il consiste. Cette étude a pour ambition d'éclairer sa signification, de l'usage du mot dans la tradition juive à son aboutissement dans la doctrine de la théosis, déification, exprimé par les pères de l'Eglise.

LES CHEMINS DU SALUT "Le Seigneur est ma lumière et mon Salut" La Première Alliance, le Nouveau Testament, la liturgie et les pères utilisent le mot "Salut" sans toujours expliquer la ou les notions que ce mot recouvre. Nous voyons plus ou moins clairement sa signification. Toutefois, le mot Salut n'a pas toujours le même sens dans le courant de l'histoire des juifs, saint Paul en fait le sujet de l'action du Logos incarné, il trouve son accomplissement dans l'œuvre de saint Irénée qui explique que le Salut est l'objectif de toute l'Economie est la vision de Dieu. "La gloire de Dieu c’est l’homme vivant et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu". Irénée établit une identité entre la vision et la vie: "Les hommes verront donc Dieu afin de vivre, devenant immortels par cette vue et atteignant jusqu’à Dieu". Nous allons donc examiner l'évolution de la conception du "Salut" dans les Ecritures, la pensée juive, l'attente du messie, puis dans la tradition chrétienne avec les Ecrits de la Nouvelle Alliance et enfin des premiers Pères de l'Eglise. Quelques précisions de vocabulaire Le mot "Salut" renvoie dans notre culture aux termes bibliques qui impliquent l’idée de "sauver ". Or les dérivés du grec sozo et le latin salus qui est à l’origine de "Salut" se réfèrent essentiellement à "mettre hors de danger", ce qui va jusqu’à la conservation de la vie, au fait d’échapper à la mort. L'hébreu est plus riche: En hébreu, haṣalah, correspond exactement à cette mise hors de danger. Une seule occurrence dans l'A.T. - Esther 4, 14Un autre équivalent de "Salut" est le mot pedut dérivé de la racine p-d-h. Il correspond à l’idée de "délivrance". En contexte, il se réfère à la libération ou au sauvetage. -Psaume 111, 9 ; 130, 7 ; Isaïe 50, 2-. 1 Ge’ulah généralement traduit par "rédemption ", un terme qui comporte une charge théologique. Or "rédimer " signifie surtout "racheter" au sens le plus concret du terme. Il est très significatif que sur les quatorze occurrences bibliques de ge’ulah, huit proviennent du chapitre 25 du Lévitique qui concerne le droit de rachat de la terre – laquelle ne pourra être vendue à perpétuité car elle appartient à Dieu –, ainsi que le rachat d’autres propriétés ou le rachat de la liberté d’un homme que sa détresse économique a contraint à se vendre comme esclave. Le mot est encore attesté deux fois dans deux versets consécutifs de Jérémie -32, 7-8- à propos du droit de préemption d’un champ. Enfin, il est employé deux fois dans le livre de Ruth -4, 6-7- à propos du droit de rachat des biens d’un défunt. Le terme ge’ulah apparaît donc dans la Bible comme un mot clé de la vie économique de l’ancien Israël et, à première vue, est fort éloigné du sens spirituel qu’il a pu acquérir par la suite. La septante propose le mot lutrosis rachat/ rédemption d'un esclave -Lév 25,48- le psaume 110,9 LXX loue le Seigneur pour ses grandes œuvres en faveur d'Israël: "[le seigneur] a envoyé la rédemption à son peuple, il a intimé son alliance pour toujours, son Nom est saint et redoutable". Toutefois Lutrosis acquiert une signification plus haute chez le prophète Esaïe dans ses magnifiques versets sur l'homme qui vient de la vendange: "Quel est Celui qui vient d’Édom, avec un manteau rouge; qui vient de Bosra, si beau dans sa robe, si redoutable dans sa force. C’est moi qui viens parler sur la justice et le jugement de Salut. Pourquoi tes vêtements sont-ils rouges, comme s’ils sortaient du pressoir? Je suis plein de la grappe foulée, et nul homme des nations n’est venu avec moi; je les ai foulés dans ma colère, je les ai broyés comme de la poudre, et j’ai fait couler leur sang sur la terre. Car voici le jour de ma vengeance pour eux, et voici l’année de la Rédemption. J’ai promené mes regards, et nul n’est venu me secourir; j’ai cherché, et je n’ai trouvé nul secours. Et mon bras les a délivrés, et ma colère est survenue. Je les ai foulés dans ma fureur, et j’ai fait couler leur sang à terre. Je me suis souvenu de la miséricorde et des vertus du Seigneur, en toutes les grâces qu’il nous a faites Es.63,2-7 Enfin, le mot hébreu associé le plus fréquemment à la notion de "Salut' est yeshu‘ah (soixante-quinze occurrences) avec sa variante féminine teshu‘ah (trente-quatre occurrences) ou masculine yesha‘ (trente-six occurrences). Yeshu‘ah est rarement attesté: ce terme désigne alors la victoire -I Samuel 14, 45ou le secours attendu de Dieu -Exode 14, 13 ; II Chroniques 20, 17- ou d’un homme -II Samuel 10, 11-. On le trouve en revanche dans les grands poèmes intégrés dans le récit biblique: cantique après la traversée de la mer Rouge -Exode 15, - bénédiction de Jacob à ses fils -Genèse 49, 18-, ou cantique de Moïse -Deutéronome 32, 15-, cantique d’Anne, mère de Samuel -I Samuel 2, 1-, cantique de David sauvé de ses ennemis II Samuel 22, 51-. Surtout, yeshu‘ah est un mot clé des psaumes (quarante-trois 2 occurrences) et des écrits prophétiques. (vingt exemples dont dix-huit chez le seul Isaïe). L’importance des prophéties d’Isaïe dans la constitution de l’idée messianique pare le Salut promis de tonalités plus spirituelles, sans toutefois que le sens premier soit absent: "au jour du Salut je te secourrai "-49, 8-, "que mon Salut paraisse jusqu’à l’extrémité de la terre "-49, 6-, "qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager […] qui proclame le Salut"-52, 7-, "tous les confins de la terre verront le Salut de notre Dieu" -52, 10-, "mon Salut subsistera perpétuellement" -51, 6-, "ma justice subsistera perpétuellement et mon Salut de génération en génération " -51, 8-. Ces paroles fortes, détachées du contexte historique, ont un impact profond sur l’âme humaine. Elles entretiennent l’espérance: "En Lui nous espérions afin qu’il nous sauve. C’est Dieu, nous espérions en Lui ; exultons, réjouissons-nous de son Salut"-25, 9-. A la proclamation du Salut provenant de Dieu, s'ajoute le pressentiment d'un Messie, envoyé pour accomplir le Salut de Dieu. La liturgie du temps de préparation à la fête de la nativité, l'avent, aime à méditer le verset d'Isaïe "cieux, répandez d'en haut votre rosée et que les nuées fasse pleuvoir le juste, que la terre s'ouvre et produise le Salut. -45,8 selon vetus italia & vulgate(Bien d'autres psaumes implorent le Salut, utilisez une concordance si vous cherchez l'exhaustivité). Le psalmiste sait que le Salut est une source de félicité: "Je jubilerai en ton Salut" -9, 15-, "j’ai confiance en ta grâce, que mon cœur jubile en ton Salut" -13, 6-. Quel est donc le contenu de ce Salut attendu? Nos textes s’en expliquent parfois : bénédictions et longue vie -Ps 21, 4-5-, paix, bonnes nouvelles -Isaïe 52, 7-, être tiré de danger, ramené d’exil, vivre en harmonie avec la Loi divine, subvenir à ses besoins, ne pas connaître une mort prématurée, être entouré de ceux que l’on aime et se réjouir avec eux. Il en ressort que l'attente du Salut se mêle à l'espoir du bonheur. La racine hébraïque du mot yeshu‘ah ou yesha‘ se retrouve dans une formule familière hosanna. Il s’agit d’une acclamation: "sauve-nous de grâce" prise du Psaume 118, 25 chanté lors des pèlerinages à Jérusalem et qui continue de faire partie de la liturgie des fêtes juives. La liturgie chrétienne lie cet hosanna à l'entrée du Seigneur à Jérusalem lors de la fête des Rameaux. L'idée du Salut est enrichie à celle du Règne de Dieu, paix et bonheur -Is 52,7- et de celle du Roi eschatologique Sauveur, "Réjouis-toi grandement, Sion, ma fille, annonce à haute voix, Jérusalem, ma fille: Voilà que ton Roi vient à toi, juste et sauveur, et il est plein de douceur, il est monté sur un âne, et sur un ânon, petit de l’ânesse". - Zacharie 9,9- 3 La demande du Salut dans la prière et la réponse divine L’impératif simple hosha‘ "sauve !" peut être considéré comme le message essentiel des psaumes où il est très présent avec quelques variantes: "Lève-toi, sauve-moi mon Dieu " -Ps 3, 8-, "sauve ton serviteur, mon Dieu" -Ps 86, 2-, " sauve ton peuple" -28, 9-, "sauve tes bien-aimés par ta droite et réponds-nous" -60, 7 ; 108, 7-, " sauve-moi par ta grâce" – ps 6, 5 ; 31, 17 ; 109, 26-, "sauve-moi par ton Nom" -ps 44, 3- La prière est tantôt individuelle: "je suis à toi, sauve-moi" -ps119, 94-, " tends vers moi ton oreille et sauve-moi" -ps71, 2-, "secours-moi et je serai sauvé " -ps119, 117; tantôt collective: "sauve-nous notre Dieu, rassemble-nous de parmi les nations pour que nous rendions grâce à ton saint Nom" -ps106, 47-, "éclaire ta face et nous serons sauvés"-ps 80, 4, 8, 20-. Le psalmiste n’attend de Salut que de Dieu, "car il est vain le Salut de l’homme" -Ps 60, 13 & 108, 13-. Toutefois, si le Salut/secours peut se manifester par la puissance même du Seigneur, comme la traversée à pieds secs de la mer rouge lors de l'exode -Ex.14,21-, Dieu envoie aussi des hommes providentiels, David "Faites-le [David] donc roi, car le Seigneur a dit de David: Par la main de mon serviteur David, je sauverai/délivrerai Israël des mains des Philistins et de tous ses ennemis". -2 Sam 3,18-, Samson "parce que, dès le sein de sa mère, l’enfant sera Nazir de Dieu, et c’est lui qui commencera à sauver/délivrer Israël des Philistins.-Jg 13,5sq-, Gédéon "L’ange du Seigneur le regarda, et lui dit: Marche en ta force, et tu sauveras/délivreras Israël des mains de Madian. Voilà que pour cela je t’envoie.-Jg 6,14- (la septante utilise des dérivés du verbe "sozo sauver" là où nos traductions françaises parlent de délivrance). Le Salut dans l'attente eschatologique Le prophète Sophonie, bien qu'il donne au jour du Seigneur une description hallucinante à l'origine de l'hymne latine du "dies iraie/jour de colère" pour l'office des morts-1,14-18-, est d'abord celui qui décrit l'amour du Seigneur en termes les plus attendrissants " Le Seigneur ton Dieu est avec toi. Le ToutPuissant te sauvera: il te rendra la joie, il te rajeunira de son amour; en toi il sera ravi de joie, comme en un jour de fête". -3,17- Sophonie décrit la libération de Jérusalem comme le glorieux avenir du monde nouveau: "Attends-moi, dit le Seigneur jusqu’au jour où je me lèverai (de ma résurrection (LXX), où je rendrai témoignage; car mon jugement s’exercera dans l’assemblée des nations pour y recevoir les rois et répandre sur eux toute ma colère, parce que au feu de ma jalousie toute la terre périra".-3,8- Réjouis-toi, Sion, ma fille, proclame ton allégresse, Jérusalem, ma fille; tressaille et réjouis-toi de tout ton cœur, Jérusalem, ma fille. Le Seigneur t’a remis tes iniquités; il t’a racheté des mains de tes ennemi. Le roi d’Israël, qui est le Seigneur, est au milieu de toi" -3,14-15- " 4 Le Seigneur ton Dieu est avec toi; le Tout-Puissant te sauvera: il te rendra la joie; il te rajeunira de son amour; en toi il sera ravi de joie, comme en un jour de fête.-3,17. (Traductions septante) Au-delà du contexte historique de la lutte entre Israël et les chaldéens, le prophète Habacuc pose la question de la justice de Dieu. Si elle tarde, ce n'est pas que Dieu manque de puissance, il est le maître souverain du cosmos, des empires et des hommes, mais il faut attendre son heure, il faut vivre dans la loyauté: " le Seigneur me parla, et me dit: "Écris ta vision, écris-la clairement sur une tablette, afin qu’on la lise couramment. Car ta vision est véritable; elle se réalisera au temps marqué; elle ne sera point vaine. S’il ne vient pas encore, attends-le; car celui qui vient ne tardera point. Celui qui se retire de moi, mon cœur ne se complaira pas avec lui; le juste vivra de sa foi en moi".-2,1-3- (LXX et vetus italica, Rom 1,17); NB la version des massorètes et les traductions modernes ne personnifient pas "celui qui doit venir", il s'agit pour elles de la vision qui se réalisera. "Celui qui vient" renvoie pour la tradition patristique à 3,3-4 Dieu viendra de Théman, et le Saint de la montagne ténébreuse de Pharan. Sa majesté est le vêtement des cieux, et la terre est pleine de sa louange. Sa splendeur sera comme la lumière; il a dans sa main la puissance et la force. Il a fait un puissant amour. Devant sa face ira la Parole. ( Logos selon LXX & vulgata antiqua) Habacuc conclut: Pour moi, je tressaillirai dans le Seigneur, je mettrai ma joie en Dieu, mon Sauveur". -3,18L'attente messianique Les Ecrits "intertestamentaires", que nous appelions autrefois "apocryphes", pour ceux qui sont juifs ont été rédigés entre le 3è siècle avant la naissance de Jésus et le début du second de notre ère. Ils nous donnent beaucoup de renseignements sur la mentalité religieuse de cette période et son attente de l'intervention divine. Les éditeurs anciens se sont étonnés de thématiques très proches du christianisme et en ont conclu rapidement à une interpolation chrétienne, ce qui est exact dans quelques rares cas. Aujourd'hui comme l'indique le présentateur des " Ecrits intertestamentaires" dans la bibliothèque de la Pléiade, "il n'a pas de raisons linguistique, scripturaires et historiques pour mettre en doute l'origine juive de la plupart des logia dits "messianiques". Beaucoup ont été écrits dans des périodes de détresse politique et sociale d'Israël et veulent donner espoir du Salut. Ils n'ajoutent pas d'information sur la définition exacte de la notion de Salut, la paix et la victoire sont les principaux 5 thèmes. "grand est ton espoir, ô Sion, la paix et ton attente du Salut se réaliseront" dit le psaume 22 d'un recueil de Qumran. Le Testament de Dan (1er Siècle avant le Christ) ouvre une nouvelle perspective, le Salut n'est pas étranger avec la présence effective de Dieu au milieu de son peuple: "Vous retournant vers le Seigneur vous obtiendrez miséricorde, il vous conduira dans son sanctuaire et il vous donnera la paix. Le Salut du Seigneur se lèvera pour vous de la tribu de Judas et de Lévi.<> Les saints se reposeront en Eden, et dans la Nouvelle Jérusalem, les justes se réjouiront, elle qui est l'éternelle gloire de Dieu <> car le Seigneur sera au milieu d'elle, vivant avec les hommes". -5,8-13Il est probable que "le Salut du Seigneur" désigne un envoyé de Dieu. L'idée centrale est celle d'une restauration future d'Israël dispersé, le peuple de Dieu recouvrera sa souveraineté, et Dieu, de Jérusalem régnera sur les nations. Dieu sera de nouveau présent en son temple. Il en est ainsi dans le "Testament de Benjamin": " le temple de Dieu sera votre lot et le dernier sera plus glorieux que le premier, les douze tribus y seront rassemblées avec toutes les nations, jusqu'à que le Seigneur envoie son Salut par la visite d'un prophète unique. Il entrera dans le premier temple, là le Seigneur sera insulté et il sera élevé sur le bois. Le rideau du temple sera déchiré et l'Esprit de Dieu descendra sur les nations, comme un feu qui se répand. Et montant du shéol, il passera de la terre au ciel. Je sais quelle sera son humilité sur la terre et sa gloire dans le ciel. <> --9,2-5- Gardez les commandements de Dieu jusqu'à que le Seigneur révèle son Salut à toutes les nations. <> 10,5 Certains critiques du siècle dernier voudraient reconnaître dans tous les versets cités plus haut une interpolation chrétienne, rien n'est moins certain, en effet la mention de l'élévation sur le bois se trouve notamment dans les textes hébreux de Qumran. Saint Irénée cite Deutéronome 28,66 selon la Septante en commentant l'ingratitude du peuple de Moïse "celui qui les as créés et faits dans le Principe, le Logos, se montrera dans les derniers temps, suspendu au bois pour nous racheter et vivifier, et ils ne croiront pas en lui: ta Vie sera suspendue sous tes yeux et tu ne croiras pas en ta Vie" - AH IV,10,2 6 Quelques manuscrits du psautier canonique commencent le psaume 96 (LXX 95) par cet invitatoire "Chantez au Seigneur un chant nouveau, chantez au Seigneur toute la terre, car le Seigneur règne par le bois". 95,1. Saint Justin le martyr, dans son dialogue avec Tryphon le Juif, cite ainsi ce passage "Dis parmi les nations, le Seigneur règne par le bois". Le psautier copte a canonisé la mention du "règne par le bois" en le reportant au verset 10: "Dites aux nations: Le Seigneur a pris son règne par le bois car il a affermi le globe de la terre, et il ne sera plus ébranlé; il jugera les peuples avec droiture". Cette lecture selon la septante aussi est citée par Tertullien, Augustin, Cassiodore, le pape Léon, Grégoire de Tours, sans compter son usage dans la liturgie latine. Seul le passage suivant sur la résurrection et celui de Dieu Roi des cieux sous la forme d'homme pose question d'une interpolation d'une christologie chrétienne primitive? "Alors nous aussi nous ressusciterons [littéralement: nous nous lèverons] chacun de notre tribu adorant le Roi des cieux, qui parait sur la terre sous la forme d'un homme humble, et tous ceux qui auront cru en lui sur la terre se réjouiront avec lui. Alors tous ressusciteront, les uns pour la gloire, les autres pour le déshonneur, et le Seigneur jugera d'abord Israël pour l'injustice commise envers lui, car quand Dieu vient en chair, comme libérateur, ils ne crurent pas en lui". 10,7-8 Auparavant, le testament de Benjamin fait l'éloge de "Joseph, homme bon et saint" qui n'a pas retenu contre ses frères leur volonté de se débarrasser de lui et qui pria son père Jacob d'intercéder pour que le Seigneur aussi ne leur imputât pas le péché de leur méchanceté. Jacob couvrit Joseph de baisers et dit: "En toi s'accomplira la prophétie sur l'Agneau de Dieu et le Sauveur du monde. Celui qui est sans tache sera livré pour les criminels, celui qui est sans péché mourra pour les impies dans le sang de l'Alliance, pour le Salut des nations et d'Israël". -3,8On a soupçonné ici aussi des retouches chrétiennes, mais en fait la prophétie fait référence aux "chants du serviteur" dans le livre d'Esaïe 52,13 & 53,12, et pour l'Agneau de Dieu à Esaïe 53,7. Le sang de l'Alliance fait réminiscence au sang de l'Agneau pascal qui protège les enfants d'Israël -Exode 12, 5+13- et au Roi libérateur de Zacharie 9,11. Un siècle avant les testaments des patriarches, soit environ deux siècles avant la naissance du Christ Jésus, le livre d'Hénoch 1 (connu entièrement par le texte éthiopien, puis par des fragments araméen trouvés à Qumrâm) présente un mystérieux 7 "Fils de l'Homme, Elu de Dieu" qui s'il n'est pas donné comme Dieu possède des liens étroits qui l'unissent à son Seigneur: " J'ai vu Celui qui détient le principe des jours, sa tête était comme de la laine blanche et avec lui, un autre, dont le visage avait une apparence humaine <> J'ai interrogé sur ce Fils de l'Homme <> C'est le Fils de l'Homme auquel appartient la justice, la justice a demeuré avec lui, et c'est lui qui révèlera tous les trésors des mystères car c'est lui que le Seigneur des esprits a élu.<> -1Hen. 46, 1-3Pour répondre à la question sur l'identité du Fils de l'Homme, Hénoch, un peu plus loin, exalte, "celui qui est resté caché auprès de Dieu avant la création du cosmos, et qui par son nom les justes seront sauvés". "Ce Fils de l'Homme fut appelé auprès du Seigneur des Esprits et son nom fut prononcé en présence du Principe des jours. Avant que soient créés le soleil et les signes, avant que les astres du ciel soient faits, son nom a été proclamé devant le Seigneur des Esprits. Il sera un bâton [de secours] pour les justes, ils s'appuieront sur lui sans risque de trébucher. Il sera la lumière des nations, l'espoir de ceux qui souffrent dans leur cœur. C'est pour cela qu'il est devenu l'Elu et celui qui a été caché devant le Seigneur dès avant la création du monde et jusqu'à l'avènement du siècle. <> C'est par son Nom que [les justes] seront sauvés et par sa volonté qu'il est devenu leur vie." -1Hén.48,2-7Ainsi nous constatons que le Salut, certes vient du Dieu de tous les Esprits, et aussi qu'il sera l'œuvre d'un être transcendant dont le Nom préexiste auprès de Dieu, partageant son trône, exerçant le jugement. "Rien ne disparaît devant le Seigneur des Esprits, rien ne peut disparaître. Ceux qui habitent la hauteur céleste <> béniront l'Elu, ils l'exalteront et le glorifieront avec sagesse, rendus sages par la Parole et l'Esprit de Vie. Le Seigneur des Esprits aura placé l'Elu sur le trône de gloire, et il jugera toute l'œuvre des saints dans la hauteur céleste, et pèsera leur œuvre dans la balance. <> Tous prendront la parole d'une seule voix pour bénir, glorifier, exalter et sanctifier le Nom du Seigneur des Esprits. -1Hén 61,5-9L'Elu qui se confond avec le Fils de l'Homme exerce le Jugement puis réside parmi les justes, il est l'instrument de la paix éternelle, les justes seront sauvés ce jour-là. " Ce jour-là, mon Elu s'assiéra sur le trône de gloire et triera les actions [des pécheurs qui renient le nom du Seigneur des Esprits]. <> Ceux qui auront eu recours à mon Nom saint et glorieux, ce jour-là je ferai 8 habiter mon Elu parmi eux, je transformerai le ciel et en ferai une bénédiction, une lumière pour l'éternité. -Hen 45,3,4<> Les justes seront dans la lumière du soleil et dans la lumière de la vie éternelle. Les jours de leur vie n'auront point de fin. Hen 48,3- Les justes et les élus seront sauvés ce jour-là <> le Seigneur des Esprits demeurera sur eux et avec ce Fils de l'Homme, ils mangeront, se coucheront, et se lèveront pour toujours, ils revêtiront un vêtement de gloire, le vêtement de la vie que donne le Seigneur des Esprits". 1Hen 62,13-16 Telle est à la veille de la naissance de Jésus l'espérance d'Israël sur le Salut qui passe par un messie. Cette manière de voir des mystiques et mouvements spirituels qui galvanise l'attente, n'est certes pas partagée par tous, en particulier pour beaucoup des docteurs de la Loi qui y voient que billevesées et tentatives de mettre en cause leur légitimité. Pour eux, le Salut se borne à l'observation des préceptes de la Loi et des pratiques dérivées. On prête au Rabbi Johanan ben Zakkaï ce propos désabusé:"Si tu es en train de planter une bouture et qu'on annonce le messie, plante d'abord ta bouture, puis va à la rencontre du messie". Bibliographie: Collectif, sous la direction d'André Dupont-Sommer et Marc Philonenko, La Bible, Ecrits intertestamentaires, La Pléiade, Gallimard 1987 La Nouvelle Alliance Avec les textes de la Nouvelle Alliance, le mot "Salut" laissera de plus en plus la place à celui de "Sauveur", sans pour cela qu'il soit laissé complètement de côté. Dès les premières paroles de l'Evangile, le récit de l'annonciation de la naissance de l'enfant de Marie de l'Esprit Saint et la Puissance du Très Haut, l'ange Gabriel nous révèle sa mission par son nom: "l’ange lui dit: Ne crains point, Marie, car tu as trouvé grâce devant Dieu, et voici tu concevras en ton sein et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Yeshoua/Jésus". -Luc 1,30-31- Certes "Yeshoua" (en grec "Iésoùs", en araméen, yēšū‘), est un nom répandu qui a donné notamment Josué. Il a certainement d'abord signifié "Dieu sauve!" comme un cri d'appel à d'aide, puis comme confession d'une action divine "Dieu Sauve'" dans le sens "Dieu est notre Sauveur". Lors de l'annonciation, le nom de Jésus prend un sens particulier puisque l'ange ajoute: "Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera sur la maison de Jacob 9 éternellement, et il n’y aura pas de fin à son règne". -Luc 1, 32-33- Il y a ici une affirmation implicite de la messianité de Jésus, qui vient répondre à l’attente populaire d’un "Messie fils de David". Alors que Jésus ne se désigne jamais lui-même par ce titre, c’est ainsi que la foule l’acclame lors de l’entrée à Jérusalem: "Hosanna au fils de David" . "Fils de David", c’est ainsi que l’interpellent les hommes du peuple, comme le mendiant aveugle de Jéricho -Mc 10, 48 ; Luc 18, 38-, ou les deux aveugles -Mt 9, 27 et 20, 31-, qui crient: "Aie pitié de nous, Seigneur, fils de David ", ou encore la Cananéenne qui l’implore -Mt15, 22-. Au vu des guérisons accomplies par Jésus, la foule se demande: "N’est-ce pas là le fils de David ?" -Mt12, 23-. Dans les passages parallèles de deux autres évangiles qui évoquent l’entrée à Jérusalem, Jésus est appelé "roi" -Lc 19, 38- ou "roi d’Israël" -Jn 12, 13- et en Mc 11, 10, " le règne de David notre père" qui est béni en sa personne. L'ange annonce explicitement aux bergers la naissance du Sauveur: "l’ange leur dit: Ne craignez point, car voici je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple: C’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur (soter substantif dérivé de sozein = Sauveur/Libérateur), qui est Christ, Seigneur. -Lc 2,10-11- Le vieillard Siméon, lors de la présentation de Jésus au temple reconnait la messianité de l'enfant, gloire d'Israël en chantant le Salut et lumière pour tous les peuples. "Maintenant, Maître, laisse s'en aller ton serviteur en paix, selon ta parole car mes yeux ont vu ton Salut (soterion), que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple d’Israël".-Lc 2,29-32Jusqu'ici, nous comprenons bien que ce Jésus est notre Sauveur, mais nous ne voyons pas très clairement ce qu'il apporte de plus dans la conception juive du Salut. Une première réponse nous sera donné par l'apôtre Paul: "Béni est le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les lieux célestes en Christ, selon qu’il nous a élus en lui, avant la fondation du monde, afin que nous fussions saints et irrépréhensibles devant lui. Dans l’amour (agapé), nous ayant prédestinés pour nous adopter pour lui par JésusChrist, selon le bon plaisir de sa volonté, à la louange de la gloire de sa grâce, par laquelle il nous a rendus agréables en son Bien-aimé en qui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés, selon la richesse de sa grâce qu’il a fait abonder envers nous en toute sagesse et intelligence, nous ayant fait connaître le mystère de sa volonté, selon son bon plaisir, qu’il avait auparavant résolu en lui-même, pour l’exécuter dans l’économie de l’accomplissement des temps, de réunir toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre, ayant été prédestinés, suivant la résolution de celui qui opère 10 toutes selon le conseil de sa volonté. Afin que nous soyons à la louange de sa gloire, nous qui avons auparavant espéré en Christ en qui vous aussi, ayant entendu la parole de la vérité, l’Evangile de votre Salut, et ayant cru en lui, vous avez été scellés du Saint-Esprit". -Eph 1,3-13- Ainsi se dessine la mission du Logos incarné comme Sauveur: Comme le Logos de Dieu récapitule en lui toute la création avant même la fondation du monde, 4 "De ce qui a été fait en lui, était vie".-Jn 1, 4- son incarnation dans la chair va lui permettre de récapituler en lui ce qui était égaré par le péché d'Adam. Origène puis saint Irénée et saint Athanase, nous le verrons plus tard, en feront le sujet du mystère de l'incarnation. La vie avec Dieu, en Dieu, était compromise par le péché d'Adam, le Christ Jésus vient, par son obéissance à la volonté de son Père et par le sang de sa croix il permet à l'humanité de retrouver la vie en l'Esprit Saint. Il s'agit de nettoyer, renouveler l'image de Dieu en l'Homme, les pères parleront de "Nouvelle Création" annoncée par la venue du Royaume. Le Salut apporté par le Logos fait chair est pour nous l'invitation à vivre une nouvelle vie désormais en lui, comme greffés sur lui, pour reprendre l’image de la vigne chez saint Jean. Par notre communion à son corps et son sang nous devenons un avec lui, source de notre Salut comme le dit la prière de communion de la liturgie copte de saint Basile: "Rends-nous dignes, ô notre Roi, de participer à ton saint corps et à ton précieux sang pour la pureté de notre âme, de notre corps et de notre esprit, et pour la rémission de notre péché et de nos fautes, afin que nous devenions un même corps et un même esprit avec Toi. Amen". Le Sauveur pourtant ne dédaigne pas la vision juive du Salut, car comme signe de sa puissance, il guérit les malades, fait se lever quelques-uns qui s'étaient endormis du sommeil de la mort, et "il se laisse insulté et élevé sur le bois". " Personne n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel. Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, de même il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Car Dieu n’a point envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par (di' à travers) lui". -Jn 3,13-17. La référence au serpent d'airain –Nbre 21,9- intervient dans le contexte de l'entretien de Jésus avec Nicodème -Jn 2, 23-3, 21.31-36-, entièrement orienté vers la révélation du Salut. Déjà le livre de la Sagesse confirmait dans l'épisode du serpent d'airain un signe du Salut: " [le peuple au désert] éleva un signe de Salut, comme mémorial de ta loi. Et celui qui se tournait vers lui n’était point sauvé pour avoir 11 regardé ce signe, mais à cause de toi, Sauveur universel". -Sg 16,6-7- L'auteur du livre de la Sagesse insiste sur le Salut apporté par Dieu Sauveur. Christ dans Jean, annonce que le Fils de l'homme élevé sur le bois est véritablement celui qui donne la vie éternelle en ceux qui croient en lui l'envoyé du Père. Le signe de la croix destiné à mettre en relief la miséricorde divine, sert à raviver la mémoire (eis anamnèsin) du peuple. Ce symbole de Salut (symbolon echontes sôtèrias) rappelle la constance du dessein divin orienté vers le Salut et la vie. Oserions-nous en conclure avec saint Jean que cette exaltation sur le bois est le chemin vers le don de la vie éternelle? Deux concepts nouveaux éclairent le Salut chrétien: celui du Royaume et celui de Vie éternelle. Participer au Royaume de Dieu Être sauvé, dans les évangiles synoptiques, c'est avoir part au Royaume de Dieu, annoncé et préparé par Jésus. Le thème principal de la bonne nouvelle apportée par Jésus est l'arrivée du Royaume de Dieu: " Jésus alla dans la Galilée, prêchant l’Evangile de Dieu, et disant: Le temps est accompli, et le Royaume (basiléia) de Dieu est proche, convertissez-vous, et croyez à l’Evangile -Mc. 1, 1415- & Mt. 4, 17- Il faut noter que par convention, nous pouvons traduire le seul mot basiléia 1. par Royaume comme un espace concret, ou abstrait propre à l'intériorité d'une personne, ou un territoire gouverné par le roi céleste: Royaume céleste, Royaume de Dieu, du Père, du ciel, des cieux, du Christ, communauté des croyants vivant de l'enseignement du Christ, communauté des saints. 2. par Règne: le Règne de Dieu: puissance effective et acceptée de Dieu dans la communauté humaine et sur la création qui entraîne un état de perfection résultant de la reconnaissance individuelle ou collective de cette action divine, maintenant et à la fin des temps. C'est dans ce sens que nous disons dans la prière dominicale, "que ton Règne vienne". Ce règne de Dieu présente deux phases, l'une terrestre, l'autre "dans le monde à venir". Le règne et le Royaume de Dieu s'établissent d'abord sur terre, pour nous c'est sur terre que se prépare le Salut. La deuxième et la troisième demande de la prière du 12 Seigneur, montrent que Dieu doit régner dans les âmes; que sa volonté doit être la règle de toutes volontés et désirs. Le Royaume de Dieu est quelque chose qui se désire et se cherche en cette vie. "Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses [nourriture, boisson] vous seront données par surcroit". -Mt- 6, 33.La justice du Royaume est chose individuelle, c'est une disposition intérieure. Jésus déclare: "Le Royaume de Dieu ne vient point de manière à être observé ; et l’on ne dira point : Voici, il est ici, ou voici, il est là ; car voici, le Royaume de Dieu est au milieu de vous.-Lc. 17,20-21- c'est-à-dire, il n'attire pas les regards, mais il est déjà commencé avec ma venue sur terre, et avec un peu d'attention on peut le découvrir. De même, la parabole de la semence qui croît d'elle-même, celles du grain de sénevé et du levain, montrent que le Royaume s'établit en ce monde, qu'il a d'humbles débuts et se développe graduellement -2 Mt. 13, 31sq; Lc. 18, 21-. Dans la parabole du semeur, nous voyons le Royaume se fonder dans les âmes par la prédication de l'évangile. La semence, qui représente l'évangile, n'est pas le Royaume lui-même, elle n'est que le moyen qui l'établit; mais à la façon dont elle lève et croît dans la bonne terre, elle fait entrevoir une formation qui va aller en se développant. Le grain de sénevé représente le Royaume de Dieu semé sur terre, il germera et se développera, au commencement, sans manifestation éclatante. Sans doute ce fait spirituel intérieur est un aspect remarquable de l'action de Dieu. Il est prémices du Royaume. Le règne de Dieu commence. On en voit l'aurore, son action salutaire se fait déjà sentir dans la lutte contre le mal et dans la transformation intérieure de l'humanité. Cette transformation et cette vie intérieure des âmes s'accomplissent par l'acceptation de l'évangile. En ce sens il est individuel, chacun le reçoit particulièrement comme un héritage et ainsi devient enfant du Royaume. Le Royaume des cieux est un héritage préparé dès l'origine du monde. -Alors le Roi dira à ceux qui seront sa droite: Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, possédez en héritage le Royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde." -Mt. 25, 34- Toutefois, les paraboles où le Royaume est figuré par un champ, un filet, un repas de noces, indiquent, le caractère social et collectif du Royaume. Comme le chante l'anaphore sahidique de saint Dioscore, "Dieu est un dans son Royaume", et Jésus, dans sa grande prière sacerdotale prie le Père pour que les invités du Royaume soient un en lui dans son Royaume: "que tous ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous."-Jn 17,11-23- C'est un grand mystère que nous fêtons à la Pentecôte, Dieu un, par son Esprit Vivifiant nous unit dans sa gloire. La fête de l'Esprit Saint est la lumière de notre Salut. Le Royaume de Dieu doit s'accomplir en Règne par la "parousie ", c'est-à dire la venue du Fils de l'homme "dans les nuées avec beaucoup de puissance et de gloire" 13 Jésus viendra "dans la gloire de son Père". Les circonstances qui accompagneront l'avènement du Fils de l'homme nous transportent dans un monde nouveau, échappant aux lois physiques de notre monde actuel. Alors s'accomplira, en effet, un renouvellement de la création que l'évangile selon saint Matthieu rend par un mot plein d'incertitude: palingenesia – Ce mot semble devoir s'entendre, moins d'un bouleversement cosmique à la suite duquel aurait lieu comme une seconde création, mais d'un nouvel état. Jésus s'est probablement servi d'un terme équivalent au syriaque almà hadiâ "monde nouveau " ou "temps nouveau ". En tout cas, le terme traduit l'idée d'une transformation profonde qui atteindra la création et les membres du Royaume. S'établira alors l'épanouissement de la justice pour chaque membre du Royaume: vie de gloire et de bonheur: "les justes brilleront comme le soleil dans le Royaume de leur Père". Cette lumière qui provient de la gloire du Père est aussi une métaphore du Salut. On est sauvé individuellement, en ce monde, ou plutôt on est mis dans la voie du Salut, en participant au Royaume de Dieu établi sur terre, participation qui est pour chacun une promesse de vie éternelle. Eternelle ne veut pas dire seulement sempiternelle mais dans l'éternité même de Dieu. A l'homme qui veut en devenir membre il faut cette justice qui est celle de l'adhésion à celle du Père: "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice". -Mt. 6, 33Avec la foi, l'amour dispose au Salut. Tout membre du Royaume doit aimer Dieu de toute son âme, et le prochain comme lui-même. Ce sont les deux grands commandements de la Nouvelle Alliance comme de la Première. A un scribe qui met ces deux commandements au-dessus de tous les holocaustes et de tous les sacrifices Jésus dit: "Tu n'es pas loin du Royaume des cieux." -2 Mc. 12, 34La vie éternelle: Les deux expressions "entrer dans le Royaume" et posséder "la vie éternelle" sont pratiquement synonymes, elles représentent le terme de l'œuvre du "Salut". Jésus présente la vie éternelle comme la seule chose désirable, la Vie éternelle avec le Dieu de Vie. Le grec de l'Alliance Nouvelle, la koiné, utilise trois termes, zôè, psychè et bios que le français traduit par un seul mot vie. Essayons d'y voir clair. -Zoè: a) l'état de celui qui possède de la vitalité, ou qui est animé, par extension toute âme vivante; b) la plénitude absolue de vie qui appartient à Dieu, et à Christ Logos de Vie qui a vivifié la nature humaine par la création en lui, son incarnation par la naissance de la Vierge Marie et de l'Esprit Saint, puis par sa mort et sa résurrection. - Psychè: souffle de vie, traduit parfois par âme. 14 - Bios: durée de vie, moyens internes et externes qui permet de conserver la vie psychè. Le don de la vie à l'anthropos (l'Homme, le genre humain) est à l'origine de sa création. "Pour faire l’anthropos, Dieu pétrit de la poussière de la terre, et sur sa face, il souffla son souffle de vie (pnoèn zoès) , et l’anthropos devint une âme vivante (psychèn zôsan)". -Gn 2,7Ce souffle de vie pnoèn zoès , l'Adam l'a profané par la chute, toutefois son âme/psychè reste capable de vie. C'est par la reprise de la création dans l'incarnation du Logos que l'anthropos devient capable de recevoir à nouveau pleinement le Souffle de Vie manifesté par la descente de l'Esprit-Saint lors de la Pentecôte. C'est surtout dans l'évangile de Jean et sa première épître que nous entendons que Jésus annonce le don de la vie éternelle à ceux qui croient en lui, parce qu'il est le Fils du Père. "Dans le principe était le Logos, et le Logos était vers Dieu, et le Logos était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui pas une seule chose ne fut faite. De ce qui a été fait en lui, était vie (zoè). Et la vie était la lumière des hommes". Jn 1, 1-4- La vie éternelle (zôè aiônion) se reçoit dans la foi. "Que quiconque croit en [le Fils de l'Homme]ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle". (zoèn aôinion) -Jn 3,15- Les textes johanniques sont nombreux à établir une équivalence entre "croire au Fils" et "avoir la vie éternelle." La vie donnée par Jésus est éternelle, elle vient de Dieu. Dans la similitude du berger et des brebis, Jésus qui se présente à la fois comme la porte de la bergerie et le bon berger dit: "Le voleur ne vient que pour dérober, et pour tuer et pour détruire, moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie (zoèn), et qu’elles l’aient en abondance. Je suis le bon berger; le bon berger donne sa vie (psychèn) pour ses brebis". -Jn 10, 1-10. Celui qui donne sa vie/psychè manifeste sa capacité de donner la vie/zoè. Ce faisant c'est la vie éternelle qu'il communique, la vie même de Dieu. Lorsqu'il s'identifie au berger, Jésus présente son projet de vie (zôè) comparé au programme du voleur de brebis. Jésus propose un approfondissement de la parabole du bon pasteur. Dans ces versets il parle du don de sa vie/psychè, le Christ dépose sa vie (psychè) pour nous. En Jn 10, 11-18, Le terme psychè renvoie certainement à la vie humaine de Jésus le Logos incarné. 15 Il a donné (ou déposé) librement sa vie/psychè; il franchit par la croix les portes de la mort. Il livre sa vie pour nous. Le "donner sa vie" n'est pas traduit par des termes de mort, mais au contraire par le mouvement du don de vie. La mort de Jésus dans la tradition johannique n'est pas une fin désastreuse, elle manifeste l'accomplissement de l'amour, le don pour la vie. "Or, avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble (télos/accomplissement) à son amour". -Jn 13,1Jésus reprend le jour de la dédicace sa similitude des brebis raisonnables et ajoute à l'adresse des judéens incrédules: "Mes brebis entendent ma voix, et moi, je les connais, et elles me suivent; et moi, je leur donne la vie éternelle (zoèn aiônion) , et elles ne périront jamais, et nul ne les ravira de ma main". -Jn 10,27-28- Personne donc ne peut posséder cette vie éternelle en dehors du Seigneur Jésus ou sans lui. C’est ce que Jean exprime sans équivoque dans sa première épître: "Celui qui a le Fils a la vie (zoèn), celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie (zoèn). " -5:12-. Il est intéressant de discerner dans le chapitre 10 de l'évangile les trois nuances de vie, zôè, psychè, zôè aiônion. Zôè aiônion. La vie éternelle, est le concept essentiel qui sera développé dans la première épître de Jean. La première épître de Jean commence fort, si on peut dire: " Ce qui était dès le commencement [ou dans le Principe], ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la Parole de la vie (logou tès zoès), et la vie (zoè) a été manifestée, et nous l’avons vue, et nous en rendons témoignage, et nous vous proclamons la Vie éternelle (zoèn tès aionion) qui est auprès du Père et qui nous a été révélée. Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous ayez, vous aussi, communion (koinonia/participation) avec nous; et notre communion (koinonia/participation) à nous est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. Et nous écrivons ces choses, afin que notre joie soit parfaite." -1 Jn 1-4 La vie éternelle "qui est auprès du Père" est la vie dont les personnes divines jouissent en eux-mêmes hors du temps et de lieu. "Si ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous, vous demeurerez, vous aussi, dans le Fils et dans le Père. Et voici la promesse que luimême nous a faite: la vie éternelle". 1Jn 2,24-25 La vie éternelle, vie qui appartient aux personnes divines, et donc au Seigneur Jésus comme Théanthropos (Dieuhomme), peut se communiquer aux croyants. Dans sa prière adressée au Père, le Seigneur dit que Dieu a donné à son Fils "autorité sur toute chair" et ajoute: "afin que, quant à tout ce que tu lui as donné, il leur donne la vie éternelle " -Jean 17:2-. Qui sont ceux que le Père lui a donnés ? Bien des versets nous indiquent les conditions nécessaires pour recevoir la vie éternelle. Il faut croire au Fils de l’homme -Jn 3:15-, au Fils de Dieu -3:16, 36-, au Père qui l'a envoyé -Jn 5:24-. 16 Jean résume dans la première épître ce que croire implique: " celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu est véritablement parfait en lui, à ceci nous connaissons que nous sommes en lui. Celui qui dit demeurer en lui, doit marcher aussi lui-même comme lui a marché". -1Jn 2,5-6- Ce qui fait écho, aux paroles même du Sauveur: "Amen, amen, je vous dis que celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ; et il ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. -Jn 5,24- La tournure "passer de la mort vers la vie" ou " dans la vie" se lit en fonction de la première résurrection. La mort de Jésus proclame la vie; elle est une preuve de l'amour accompli jusqu'au comble. Croire et aimer sont les deux faces d'une même réalité, au sens où elles se réfèrent à la mort comprise comme don de la vie éternelle de Jésus. "Car Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Car Dieu n’a point envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.-Jn 3,17-18. Pour le projet de Dieu sur le monde, "être sauvé" correspond à avoir la vie éternelle. Cette vie en Dieu correspond au Salut définitif qui sera notre bonheur dans la lumière divine. L'expression "afin que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle" vient en parallélisme synonymique avec celle " afin que le monde soit sauvé". Jean a écrit son évangile pour que les croyants adhèrent à la proposition de la Vie, il conclut son témoignage en 20, 31: "ceci a été écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et pour que en croyant vous ayez la Vie (Zoèn) en son Nom". Il faut croire au Seigneur Jésus qui est venu du sein du Père pour vivre véritablement homme sur la terre et donner sa Vie pour le Salut du monde. " Moi, je suis le pain de vie zoèn qui est descendu du ciel: si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement " -Jean 6:51-La suite de ce verset sousentend que le Logos de Dieu est devenu homme pour redonner par sa croix la vie: "Or le pain aussi que moi je donnerai, c’est ma chair, laquelle moi je donnerai pour la vie zoès du monde ". " Si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie zoèn en vous-mêmes". Le Seigneur se présente d’abord sous la figure du "pain de vie ", le "pain vivant descendu du ciel". 17 Puis il introduit la pensée de sa mort pour la vie du monde. "Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est une vraie nourriture, et mon sang est un vrai breuvage. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, ainsi celui qui me mange, vivra lui aussi par moi". -Jn 6,57-58 Jésus termine son discours sur le pain de vie : "Car c’est ici la volonté de mon Père : que quiconque discerne le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour." -6:40-. Le croyant a la même vie que le Seigneur, mais il y a toutefois une différence. Le Seigneur a "la vie éternelle" en lui-même, tandis que le croyant l’a seulement en Christ. Pour illustrer cette différence, pensons, selon la similitude même de Jésus, au cep et au sarments de la vigne. Il est clair qu’il y a la vie dans les sarments, les feuilles et le raisin, mais c’est la vie du cep. Le sarment a la vie à cause du cep qui le porte. "Demeurez en moi, et moi en vous. Comme le sarment ne peut pas porter de fruit de lui-même, à moins qu’il ne demeure dans le cep, de même vous non plus [vous ne le pouvez pas], à moins que vous ne demeuriez en moi. Moi, je suis le cep, vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit; car, séparés de moi, vous ne pouvez rien faire". -Jn 14,- "Et c’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ ". -Jn 17:3-. Ce passage montre que la capacité de connaître Dieu, et son Fils qu’il a envoyé, est la caractéristique centrale de la vie éternelle. Nous jouirons de cette relation avec Dieu et avec son Fils durant l’éternité, mais déjà maintenant, la possession de la vie éternelle nous rend capables d’avoir communion avec les personnes divines. Quiconque croit à la vie éternelle, la possède maintenant. Ce n’est pas simplement une promesse pour le futur, mais une bénédiction dont nous pouvons jouir dès à présent, sur la terre. Jean déclare : "Je vous ai écrit ces choses afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au Nom du Fils de Dieu » -1 Jean 5:13Lumière éternelle Curieusement la Première Alliance ne met pas la Lumière parmi les noms divins. Toutefois la lumière fait partie des plus nombreuses occurrences du vocabulaire du Tanakh, la Bible hébraïque. 18 La lumière est un signe qui manifeste quelque chose de Dieu tout en cachant ce qu'est vraiment la divinité. Elle est le vêtement dont Dieu se drape. "Seigneur, ô mon Dieu, tu es très grand, tu es revêtu de gloire et de majesté. Tu es enveloppé de lumière comme d’un manteau. -Ps 104,1-2 LXX 103La lumière est un attribut de Dieu, reflet de sa gloire, c’est-à-dire de son être particulier. Lorsque Dieu apparaît dans la lumière, des rayons de bienfaisance sortent de ses mains. (Comment ne pas discerner ici la doctrine de la lumière incréée qui maintient la création "dans le domaine de Dieu"). "Sa splendeur sera comme la lumière. Il a dans sa main des rayons [de puissance], et de sa force il a fait un puissant amour". - Hab 3,4- C'est pourquoi le psautier appelle le Seigneur à faire resplendir sa lumière sur le "croyant" qui, d'ailleurs quoiqu'on puisse dire, ne peut être que "pratiquant". Croire vraiment c'est mettre sa vie sous le regard de Dieu et avoir "confiance" dans sa parole. "Fais lever sur nous la lumière de ta face, Seigneur". -Ps 4,7"Le Seigneur est ma lumière et mon Salut: qui craindrais-je?" -Ps 27,1"En toi est la fontaine de vie. Et dans ta lumière nous verrons la lumière"-Ps 35,10 LXX 36 "Envoie sur moi ta lumière et ta vérité, elles m’ont guidé, elles m’ont conduit sur ta montagne sainte et dans tes tabernacles". -Ps 43,3 LXX 42 " Car ce n’est point l’épée de nos pères qui les a mis en possession de notre héritage ; ce n’est point leur bras qui les a sauvés, mais c’est ta droite et ton bras, et la lumière de ta face, parce que toi tu t’es complu en eux". -Ps 44,4 LXX 43 Ces psaumes et bien d'autres montrent que la prière, est plus particulièrement " mémoire de Dieu et de ses œuvres" que l'on peut reconnaître dans et par sa lumière. La lumière comme "la fontaine de vie", les eaux vives, est un besoin essentiel au maintien des forces vitales de tout ce qui vit. Le prophète Esaïe est appelé le proto-évangéliste, car tout son livre est un appel à la conversion pour la venue du messie qu'il annonce marchant dans la lumière de Dieu. "Peuples qui marchez dans les ténèbres, voyez une grande lumière; et vous qui habitez dans la région ténébreuse de l'ombre de la mort, la lumière resplendira sur vous".-Es 9,119 "Et maintenant venez, maison de Jacob, et marchons à la lumière du Seigneur". -Es 2,5- Esaïe parle de sa propre mission comme celle d'un messie, et ainsi annonce que sera celle du grand Messie: "Je me réunirai au Seigneur, et je serai glorifié devant lui, et mon Dieu sera ma force. Et il m’a dit : C’est déjà pour toi une grande chose d’être appelé mon serviteur, d’établir les tribus de Jacob et de ramener Israël dispersé; mais voilà que je t’ai choisi pour être l’alliance des races, la lumière des nations, le Salut de tous, jusqu’aux extrémités de la terre". -Es 49, 6- Et il ajoute: Voici ce que dit encore le Seigneur: Au temps opportun, je t’ai exaucé, au jour du Salut, je t’ai porté secours, je t’ai formé, et je t’ai choisi pour l’alliance des nations, pour l’apaisement de la terre, pour la possession d’héritages dépeuplés. Et tu diras à ceux qui sont dans les chaînes: sortez, et à ceux qui sont dans les ténèbres: venez à la lumière". Es 49,8-9Jérusalem renouvelée et sanctifiée recevra la lumière et sera pour toutes les nations le lieu de la gloire du Seigneur. "Resplendis, Jérusalem, resplendis de lumière; car ta lumière est venue, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voilà que les ténèbres enveloppent la terre, et que les nations sont dans l’obscurité; mais le Seigneur apparaîtra sur toi, et sa gloire va se montrer en toi. Et les rois viendront à ta lumière, et les nations à ta splendeur". -Is 60,1-3- "tes remparts seront appelés Salut, et tes portes, Louanges. Et ce ne sera plus le soleil qui éclairera tes jours, ni la lune tes nuits ; mais le Seigneur sera ta lumière éternelle, et Dieu ta gloire. -Is 60,19Deux siècles avant la naissance du Sauveur le livre de la Sagesse discerne dans la lumière quelque chose de l'essence divine. En personnalisant et chantant l'éloge de la Sagesse divine, il indique qu'elle est un reflet de la lumière éternelle effusion de la gloire de Dieu, supérieure à la lumière créée: "Car [la Sagesse] c’est un souffle de la puissance de Dieu; c’est une émanation pure de la gloire du Tout-Puissant. C’est pourquoi rien de souillé ne pénètre en elle. C’est la splendeur de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la puissance de Dieu, et l’image de sa bonté. Unique, elle peut tout, immuable, elle renouvelle tout; et de génération en génération, pénétrant dans les âmes saintes, elle forme les amis de Dieu et les prophètes. -Sg 7,25-28Le Siracide, une cinquantaine d'année avant la naissance du Christ, reprend à son compte le lien entre la Sagesse et la Lumière: "La sagesse a été créée avant toutes choses, et la lumière de l’intelligence dans l’éternité". -Si 1,4- 20 Le Zohar/livre de la splendeur rédigé par rabbi Shimon ben Yochaï vers la fin du 1er siècle, parlera de la "lumière cachée" c’est-à-dire la "lumière divine présente dans la création qui sera seulement révélée par le Messie". Dans la nouvelle Alliance la lumière eschatologique promise par les prophètes est devenue réalité, Jésus le Messie, est Lumière du monde: quand Jésus commence de prêcher en Galilée, l'oracle d'Esaïe -9-1-, cité par saint Mathieu, s'accomplit -Mt 4,16-. Avant même sa manifestation, les cantiques rapportés par Luc saluent-ils en lui dès l'enfance le Soleil levant qui doit illuminer ceux qui se tiennent dans les ténèbres. Ainsi Zacharie annonce au huitième jour de sa naissance la mission de Jean le baptiste " tu marcheras devant la face du Seigneur, pour préparer ses voies afin de donner à son peuple la connaissance du Salut par la rémission de leurs péchés, à cause de la tendre miséricorde de notre Dieu, par laquelle le soleil levant nous a visités d’en-haut: pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, afin de diriger nos pieds dans le chemin de la paix". -1,76-78- Le vieillard Siméon, lors de la présentation de Jésus au temple, rend grâces au Seigneur de voir en ses jours en la personne de Jésus le Salut tant attendu: "mes yeux ont vu ton Salut, que tu as préparé en présence de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple d’Israël.-Lc 2,30-32- en cf Is 42,6; 49,6-. Dès l'ouverture de son évangile "Jean par la force du Logos, élève notre intelligence vers les hauteurs célestes", et explique que la création est l'œuvre du Logos de Dieu et que Jésus est ce même Logos ayant pris chair pour nous. "Tout a été fait par lui [le Logos], et sans lui pas une seule chose ne fut faite. De ce qui a été fait en lui, était vie. Et la vie était la lumière des hommes".-Jn 1,3-4 " C’était là la véritable lumière qui éclaire tout homme venant au monde". Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu". -Jn 1,9-10- Lors de son entretien avec Nicodème, Jésus déclare qu'il est nécessaire de croire en celui qui sera élevé [sur le bois] "Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, de même il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Or voici le jugement : c’est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière ; car leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal, hait la lumière et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient reprises. Mais celui qui pratique la vérité, vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faites en Dieu". -Jn 3,14-21- Son 21 action illuminatrice découle de ce qu'il est lui-même: le Logos même de Dieu, "vie et lumière des hommes". Tant que Jésus vécut ici-bas, la Lumière divine qu'il portait en lui demeura voilée sous l'humilité de la chair. Toutefois, elle devint perceptible à des témoins privilégiés, dans une vision exceptionnelle: la Transfiguration. Ce visage qui resplendit comme le soleil, ces vêtements éblouissants comme la lumière -Mt 17,2 - n'appartiennent plus à la condition mortelle des hommes, ils anticipent sur l'état du Christ ressuscité et monté à la droite du Père, qui apparaîtra à Paul dans une lumière éclatante -Ac 9,3; 22.6; 26,13- . En effet, la lumière qui resplendit de la face du Christ est celle de la gloire de Dieu car c'est en qualité de Fils de Dieu qu'il est "le resplendissement de sa gloire, et l’empreinte de son être, et soutenant toutes choses par la parole de sa puissance, après avoir fait la purification des péchés, [il]s’est assis à la droite de la Majesté, dans les lieux élevés. -He 1,3-. Seulement Dieu le seul souverain "possède l’immortalité, [et] demeure dans une lumière inaccessible, et aucun des hommes n’a vu, ni ne peut voir, à qui appartiennent l’honneur et la puissance éternelle. Amen" -1Tm 6,16 Nous pouvons l'appeler lui le donateur de Vie " Père de la lumière de qui provient tout bien et don parfait" -Jc 1,17-, car, comme dit saint Jean, " il est lui-même Lumière." -1 Jn 1,5- Tout ce qui est lumière provient de lui, depuis la création de la lumière physique au premier jour "En [le Logos] était la vie et la vie était la lumière des hommes", Jn 1,4- jusqu'à l'illumination de nos cœurs par la lumière du Christ, "Car le Dieu "qui a dit que la lumière resplendisse du sein des ténèbres", a resplendi dans nos cœurs. -2 Co 4,6Recevant la lumière dans nos cœurs, nous sommes invités par le baptême, (appelé aussi Illumination) à suivre le Sauveur et mener notre vie en conformité à son enseignement. Alors nous pouvons espérer la merveilleuse transfiguration promise aux justes dans le Royaume. " les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père" -Mt 13,43-. Cette lumière que nous avons vu lors de la transfiguration du Messie Jésus et que Dieu désire transmettre à ses amis selon un tropaire de la fête: "Tu t'es transfiguré sur le mont Thabor, ô Sauveur, pour indiquer l'échange que feront les 22 mortels avec ta gloire, lors de ta seconde et redoutable venue. Seigneur illumine notre esprit." En cette fête de la transfiguration, nous bénissons les fruits de la terre: "Seigneur Saint, tu as voulu montrer sur la montagne la gloire de ton Fils bien-aimé, la lumière incréée transfigurant son corps et ses vêtements. Tu illumines le cosmos par les rayons de la splendeur divine, bénis ces fruits de la terre par ta bénédiction céleste et sanctifie-les par ta Parole créatrice, afin qu'ils apportent à tes fidèles la joyeuse santé de l'âme et du corps. Qu'ils soient le signe de la joie du paradis retrouvé et de la foi en la promesse: "Quand le Christ apparaîtra nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est". La lumière de la transfiguration n'est pas une lumière créée, elle est rayon vivifiant de la divinité. C'est par cette lumière que Dieu communique la vie, le mouvement et l'être. Jésus dit aux pharisiens: "Je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la Vie". -Jn 8,12Saint Paul écrit aux Ephésiens "à présent vous êtes lumière dans le Seigneur; marchez comme des enfants de Lumière" -5,8- Cette marche dans la lumière est un chemin vers la Lumière, aussi après le passage de la mort, l'Eglise célèbre le quarantième jour appelé dans la tradition égyptienne, "l'entrée dans la Lumière". La progression dans la lumière est sans fin. Avoir la lumière de la Vie est l'accomplissement de notre Salut. Les pères apologètes La question du Salut est très liée chez les apologistes à celle de la liberté. Contre les déterminismes stoïciens et gnostiques, ils insistent sur la responsabilité de l'homme. Selon la lettre à Diognète, le Christ est venu persuader l'homme sans annihiler sa liberté. Clément d'Alexandrie -Le Salut comme guérison La première question à traiter lorsque l’on parle du Salut, est de se demander si effectivement on a besoin d’être sauvé? Et si oui, de quoi? Pour Clément, c'est une évidence, l’humanité est malade, ce qui nécessite donc l’intervention d’un médecin : "Au sens propre, on appelle médecine le soin des maladies du corps; c’est un art qu’enseigne la sagesse humaine. Mais le Logos du Père est le seul médecin des infirmités morales de l’homme: il est le guérisseur et le 23 thaumaturge sacré qui délivre l’âme malade. <> La médecine, selon Démocrite, soigne les maladies du corps, mais c’est la sagesse qui débarrasse l’âme de ses passions. Notre bon Pédagogue, lui, qui est la Sagesse et le Logos du Père, et qui a créé l’homme prend soin de sa créature tout entière: il en soigne à la fois le corps et l’âme, lui, le médecin de l’humanité, capable de tout guérir". Le Pédagogue, I, 2, Clément n'oppose pas l’âme et le corps et considère la personne humaine comme fondamentalement une. Par ailleurs, sans sous-estimer la gravité du péché, la lecture du péché-Salut en terme de maladie-guérison permet une approche positive et complète de l’être humain. Plutôt que d’insister sur la culpabilité et de présenter l’homme comme un coupable qui doit être châtié, ce qui dominera ensuite la théologie occidentale pendant plusieurs siècles, Clément préfère insister sur le danger qu’il court et le besoin d’être sauvé. L’être humain est considéré comme une victime à secourir, plutôt qu’un coupable à punir. Le remède est apporté par le Logos qui est le "Médecin" par excellence Déjà dans la Première Alliance, Dieu, déclare: "Mon peuple est comme celui qui n'a aucune connaissance, tu as repoussé la connaissance, je te repousserai à mon tour" -Osée4,6- Le Logos fait chair, Jésus, précise: " Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, JésusChrist". -Jn 17,3-. La connaissance de Dieu est le commencement de la sagesse et les prémisses du Salut. Clément comme saint Paul utilise le grec "gnose". La "véritable gnose", comme dira plus tard saint Irénée, ne s’acquiert pas d’un seul coup, mais nécessite un cheminement en plusieurs étapes : "Or donc, le guide céleste, le Logos, recevait le nom de "protreptique/celui qui encourage" lorsqu’il nous invitait au "Salut <> Mais pour l’instant c’est comme guérisseur et conseiller tout à la fois que, se succédant à lui-même, il exhorte celui qu’il a d’abord converti, et, notamment, il promet la guérison des passions qui sont en nous. Nous lui donnerons le seul nom de "Pédagogue", qui lui convient bien: le pédagogue, en effet s’occupe de l’éducation et non de l’instruction; son but est de rendre l’âme meilleure, non pas de l’enseigner; et il introduit à la vie vertueuse, non pas à la vie de science. Sans doute, le même Logos est également le maître chargé d’enseigner, mais ce n’est pas pour maintenant. Le Logos qui enseigne a pour charger d’exposer et de révéler les vérités doctrinales". Le Pédagogue, I, 1, 1-2 24 La première étape est donc de prendre conscience du besoin de Salut puis de répondre favorablement à l'appel de Dieu et ainsi devenir apte à recevoir l’enseignement du Logos. Le "vrai gnostique" se caractérise principalement par deux attitudes: l’absence de passion et l’amour véritable de la Vérité. Cet état de gnostique n’est pas réservé à une élite, tous peuvent l'atteindre. -Le Salut comme déification Est-ce simplement pour éliminer le péché que le Christ s’est incarné? Ou l’incarnation a-t-elle une finalité plus grande prévue de toute éternité que la chute n'a pas supprimé ? Clément répond à cette question par l’affirmatif: "oui, je dis bien, le Logos de Dieu est devenu homme, afin qu’à vous encore, ce soit un homme qui apprenne comment un homme peut devenir Dieu". Le Protreptique, 1, 8 "Il semble donc bien que la plus grande de toutes les connaissances soit la connaissance de soi-même, car celui qui se connaît lui-même aura la connaissance de Dieu et, ayant cette connaissance, sera rendu semblable à Dieu" . Le Pédagogue, III, 1,1 Réunissant des regards divers qui convergent tous vers le déroulement de l’histoire du Salut, la déification a pour origine l’inscription primordiale de la vocation divine dans l’homme en tant qu’être créé “à l’image de Dieu”. Ayant déchu de cette condition originaire de participation à la divinité, à cause de son éloignement en raison de la désobéissance au commandement de Dieu, l’homme est attiré à nouveau vers Dieu par l’intervention salvifique du Messie dans l’histoire. Une pareille dynamique implique la conformation au Christ Dieu fait homme, sans que la différence ontologique entre l’homme et Dieu ne soit jamais annulée. L'universalité du Salut Clément explique l’offre universelle du Salut et la responsabilité de chacun: le Salut n’est pas quelque chose qui est imposé aux hommes par la force, mais c’est une invitation de Dieu. Le Logos "exhorte" et "persuade ", mais les hommes ont la responsabilité de répondre favorablement à cet appel. Le Salut ne se fait pas sans l’homme et celui-ci est appelé à contribuer activement à cette œuvre de Salut. C'est ce que la théologie orthodoxe appelle "la Synergie" de l'action divine et de la libre participation de l'anthropos. Ainsi, 25 l'humanité reçoit le Salut mais est appelé à y participer en l'accueillant non seulement par un renouveau de l'obéissance à Dieu mais aussi avec action de grâce. Stromates, VII, 2, 9. Le grand Origène Origène reprend les intuitions de Clément sur la pédagogie du Logos et la déification. Le Logos par une saine pédagogie sait s'adapter aux capacités de chacun, il est le Médiateur céleste qui sait soigner et guérir les maladies de l'âme, il est la nourriture des hommes à qui il transmet celle qu'il reçoit du Père, c’est-à-dire sa propre divinité. " ne t'étonne pas que le Logos de Dieu soit appelé "chair et pain, lait et aussi légumes" et diversement nommé selon l'aptitude des croyants ou la capacité de ceux qui le reçoivent <> Dieu s'adresse par sa Parole aux hommes comme à des petits enfants pour s'adapter à eux". Hom sur Jérémie 1,8 Origène dans sa deuxième homélie sur Jérémie prend l'exemple du médecin qui envoie un de ses disciples pour soigner une simple maladie mais qui vient en personne pour guérir une maladie grave qui requiert "la présence du maitre lui-même, c'est alors que le grand médecin en personne, les reins ceints, vient opérer cette dangereuse blessure". La source de notre Salut, selon Origène, est la chair du Logos incarné, sa parfaite humanité. Au contact de cette chair habitée par le Logos divin nous recevons la grâce. Comme la femme victime de perte de sang est guérie par seulement le contact du vêtement de Jésus, aussi notre baptême en son nom nous rend conforme à lui. Ainsi, que l'on touche "le corps du Logos" qu'est l'Ecriture, comme jadis le "corps historique" et aujourd'hui le "corps eucharistique", on touche la "chair sainte du Logos de Dieu et la personne du Logos nous remplit et nous transforme en elle, nous déifiant. "Il faut donc ouvrir son âme à la venue du Logos" -contre Celse livre 4,6- Car la parole de Dieu incite à la conversion et la communion avec Dieu, elle respecte toujours le libre arbitre. Il appartient à chacun d'ouvrir ou de fermer son cœur mais c'est le Logos qui agit et transforme et suscite le goût de Dieu. Les véritables disciples "voyaient que la Puissance qui est descendue jusqu'à la nature humaine et aux vicissitudes humaines, qui a pris une âme et un corps d'homme, contribuerait, parce qu'elle est objet de foi, en même temps que les réalités divines, au Salut des croyants. Ceux-ci voient 26 qu'avec Jésus la nature divine et la nature humaine ont commencé à s'entrelacer, afin que la nature humaine, par la participation à la divinité soit déifiée, non dans Jésus seul mais en tous ceux qui, avec foi, adoptent le genre de vie que Jésus a enseigné, et qui élève à l'amitié de Dieu et à la communion avec lui quiconque vit suivant les préceptes de Jésus". Contre Celse, livre 3,28 Dans son commentaire de la quatrième demande de la Prière du Seigneur "donne-nous notre pain supersubstantiel" , Origène nous dit que c'est ce pain qui nous fait enfants de Dieu. "Celui qui reçoit le pain supersubstantiel affermit son cœur et devient enfants de Dieu.<> Le pain supersubstantiel est unique, nous devons demander d'en être rendus dignes et d'être déifiés par lui le Logos qui dans le principe est en Dieu. de la Prière, 27,13 Dans son interprétation du Psaume 81, Origène nous enseigne que le processus de déification investit l’homme en sa totalité: non seulement l’esprit et l’âme, mais aussi le corps. La déification de l'homme dans toute sa dimension tripartite est pleinement compatible avec son enseignement de la résurrection de la chair, à partir de la réflexion sur le corps ressuscité du Christ. La déification de l’homme, engage même le corps selon le modèle du Christ ressuscité, elle débouche finalement sur l’immortalité et l’incorruption retrouvées mais surtout sur la pleine acquisition de la condition "d'enfants adoptifs de Dieu". En ce sens, comme citée plus haut l’économie du Salut accomplit graduellement la communion entre Dieu et l’homme, car elle parvient à "entrelacer la nature divine avec la nature humaine et à rendre celle-ci divine. Il nous faudra bien comprendre sur cette communion parfaite s'accomplira "graduellement". C'est lors de la venue du monde à venir, que les sanctifiés, déifiés, contempleront le Père face à face en tant "qu'enfants adoptifs" dans le Fils unique. "Celui qui a vu le Fils a vu le Père qui l'a envoyé, c'est dans le Fils que l'on voit le Père comme le Fils le voit. <> Et je pense que ce sera la fin, lorsque le Fils remettra le Royaume à Dieu le Père, et que Dieu sera tout en tous". commentaires sur Jean 20, VII,47 Il est rejoint ici par saint Irénée qui lui aussi enseigne la nécessité de la progression vers la claire "vision de Dieu qui est la vie de l'homme". 27 Saint Irénée Saint Irénée, bien qu'un auteur du deuxième siècle, est le père qui a le plus maîtrisé l'ensemble de la Tradition qu'il a reçu des premiers disciples des apôtres. Il nous la transmise dans toute sa pureté avec calme et ferme conviction en témoin contagieux de la foi. Son enseignement nous donne envie de prier et spontanément rendre grâces. Il est tout près de la source de la Bonne Nouvelle, et avec lui, plus proches de la source, nous recevons l'Eau Vivifiante la plus pure. Dans ses écrits, il rassemble dans l'unité d'une symphonie toute l'histoire du Salut. Sa symphonie spirituelle comprend tous les thèmes de ce que nous devons savoir de la science théologique, il les présente avec de beaux leit-motiv qui en parcourent son œuvre. Il répond aux grandes interrogations de ceux qui aujourd'hui s'interrogent sur la foi orthodoxe par sa vision joyeuse de l'histoire du Salut. Il nous faut, pour bien saisir la foi transmise par saint Irénée sur l'œuvre du Salut, examiner ses grands enseignements qui "récapitulent" toute l'économie divine: la création, la chute, le Logos toujours présent à la création, l'incarnation du Logos en vue de la rédemption, la récapitulation de toute l'histoire de l'humanité dans le Logos fait chair, et enfin le Salut complet dans la claire "vision de Dieu qui est la vie de l'Homme". La création Le Dieu d'Irénée est ordonné et sait où il va avec ce qu'il a créé. La réalisation du dessein de Dieu est progressive dans le temps. "Le créateur, c'est Dieu lui-même: le Père a tout créé par ses mains qui sont le Fils et l'Esprit: Pour nous, nous gardons la règle de vérité, selon laquelle il existe un seul Dieu tout-puissant qui a tout créé par son Logos, a tout organisé et a fait de rien toutes choses pour qu'elles soient, selon ce que dit l'Écriture: Par le Logos du Seigneur les cieux ont été affermis, et par le Souffle de sa bouche existe toute leur puissance; et encore: Tout a été fait par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait. De ce "tout", rien n'est excepté: le Père a fait par lui toutes choses, soit visibles, soit invisibles, soit sensibles, soit intelligibles, soit temporelles en vue d'une économie, soit éternelles. <> c'est par son Logos et son Esprit qu'il fait tout, dispose tout, gouverne tout, donne l'être à tout. C'est lui qui a fait le cosmos, car le cosmos fait partie de ce "tout", lui qui a modelé l'homme. (AH I,22,1) 28 Le vrai Dieu, c'est un Dieu et Père transcendant qui se révèle créateur. Par sa main, il répand ses bénédictions sur le cosmos, il partage sa lumière éternelle sur la terre comme au ciel: "Car sa main embrasse toutes choses: c'est elle qui illumine les cieux, qui illumine aussi ce qui est au-dessous-du cieI. (AH, IV, 19) Certainement, ce monde est bien en désordre, rempli de catastrophes, de violence des éléments, des hommes et des animaux. Pourtant Irénée veut y discerner la symphonie de la création à laquelle l'Homme doit être attentif pour qu'il puisse chanter un cantique d'action de grâces envers Dieu pour avoir créé, pour lui un monde si diversifié et en même temps ordonné. Comment donc alors expliquer la souffrance? L'harmonie du monde n'exclut pas des couacs retentissants, un désaccord entre les différents éléments qui tendent à poursuivre chacun son propre objectif. Irénée, appliquant le principe de réalité, constate les notes discordantes et que celles-ci troublent l'homme. Il pose l'idée que le monde est certes "beau et bon" comme le dit le livre de la Genèse, mais qu'il n'est pas sorti des mains de Dieu en état de perfection, mais changeant, composé et transitoire, bref en évolution, librement vers l'accomplissement de la perfection tel que le Père l'a conçu dans son esprit, préformé en lui-même. "Si le monde est tel qu'il est, c'est que Dieu l'a fait tel, après l'avoir conçu dans son esprit. Ou, si l'on préfère, c'est que le Père a voulu que le monde fût en sa présence tel exactement qu'il avait conçu en son esprit, c’est-àdire, composé, changeant et transitoire. Mais, si le monde est tel que le Père l'avait préformé en lui-même, pleinement valable est la création du Père. Appeler fruit de la déchéance, et produit d'ignorance ce qui a été conçu par le Père est un énorme blasphème". (AH II 3,2) L'anthropos créé à l'image et la ressemblance Le Adam, c’est-à-dire l'anthropos, l'Homme, comme l'a traduit la septante, est créé à l'image et la ressemblance -Gn1,26,27-. Irénée précise si l'homme a été fait à l'image de Dieu, c'est plus précisément à l'image du Logos qui devait s'incarner qu'il a été fait. La vérité de tout cela apparut lorsque le Logos de Dieu se fit homme, se rendant semblable à l'homme et rendant l'homme semblable à lui, pour que, par la ressemblance avec le Fils, l'homme devienne précieux aux yeux du Père. Dans les temps antérieurs, en effet, on disait bien que l'homme avait été fait à l'image de Dieu, mais cela n'apparaissait pas, car le Logos était encore invisible, lui à l'image de qui l'homme avait été fait: c'est d'ailleurs pour ce motif que la ressemblance s'était facilement perdue. Mais, lorsque le Logos de Dieu se fit chair, il confirma l'une et l'autre : il fit apparaître l'image dans toute sa vérité, en devenant lui- 29 même cela même qu'était son image, et il rétablit la ressemblance de façon stable, en rendant l'homme pleinement semblable au Père invisible par le moyen du Logos dorénavant visible. (AH 5, 16,2) Le thème de l'Image et de la ressemblance possède une double entrée: 1.L'Anthropos est créé à l'image de Dieu le Logos, 2. le Logos lui-même est "l'image du Dieu invisible". Col 1,15. Irénée précise qu'ici intervient pour l'anthropos un processus de progrès: "Dieu sera glorifié dans l'ouvrage par lui modelé, lorsqu'il l'aura rendu conforme et semblable à son Fils. C'est l'homme tout entier qui devient à l'image et la ressemblance <> l'homme accompli, c'est le mélange et l'union de l'âme qui a reçu l'Esprit du Père, et qui a été mélangée à la chair modelée selon l'image de Dieu". (AH V,6,1) La chute Irénée est amené à mentionner la rupture de la communion de l'Adam avec Dieu. La chute fait perdre à l'anthropos la perspective de la participation à l'Esprit, il est privé ainsi de sa participation à Dieu représentée par la ressemblance. L'Anthropos demeure dans son état "d'inachevé", le Salut consistera à l'accomplissement du Projet divin: "Trois choses constituent l'Anthropos accompli: la chair, l'âme et l'Esprit. L'une d'elle sauve et forme, à savoir l'Esprit, une autre est sauvée et formée, à savoir la chair, une autre se trouve entre celles-ci, à savoir l'âme qui tantôt suit l'Esprit et prend son envol grâce à lui, tantôt se laisse persuader par la chair et tombe dans les convoitises terrestres". (AH V,9,1) L'anthropos a été modelé par les Mains de Dieu. Il est modelé en vue de la Vie. Semblable à Dieu, il a reçu la liberté. Il ne peut accéder à la Vie pour laquelle il a été fait, que par la communion à Dieu, qui l'appelle à faire Alliance avec lui. Cette communion à Dieu ne peut se faire que par un acte libre de l'Homme qui s'engage sur la voie de la perfection: une loi lui fut donnée, une limite pour qu'il se conçoive lui-même comme un être limité, et, dit Irénée, "afin qu'il sut qu'il avait pour Maître le Seigneur de toutes choses". Or, l'anthropos ne le garda pas ce commandement: Adam désobéit. L'Homme n'observa pas le commandement de Dieu, mais il lui désobéit, égaré par l'ange qui, par suite de la jalousie et de l'envie qu'il éprouvait à l'égard de l'homme pour les nombreux dons que Dieu lui avait accordés, provoqua tout ensemble sa propre ruine et fit de l'homme un pécheur en le persuadant de désobéir au commandement de Dieu. Dieu chassa l'homme hors de sa face, le déplaça et le fit habiter sur un chemin, près du Jardin, puisque le Jardin ne reçoit pas de pécheur. (DA 16) 30 A cette occasion, Irénée souligne la permanence du plan salvifique: si au moment de la création Dieu avait le dessein de créer l'homme à son image et à sa ressemblance, après la chute, Dieu, restant fidèle à ce dessein, décide de ramener à lui l'homme en vue de lui rendre la ressemblance. (AH. II, 18,1). Il mourra, mais cette mort même est accordée par Dieu avec miséricorde, pour faire cesser le péché, et le Salut d'Adam ne peut être mis en doute. "Au commencement, lors de la transgression d'Adam, Dieu ne maudit pas Adam lui-même, mais la terre qu'il travaillerait. De même la femme fut condamnée aux peines, aux fatigues, aux gémissements, aux douleurs de l'enfantement, à la servitude sous la domination de son époux: de la sorte, n'étant pas maudits par Dieu, ils ne périraient pas de façon définitive, et d'autre part, ne restant pas impunis, ils ne pourraient mépriser Dieu. Par contre, toute la malédiction retomba sur le serpent qui les avait séduits". Adv. Haer. II, 23, 3 C'est avec indulgence, avec piété et avec tendresse, qu'Irénée parle de l'Adam. "Adam a été séduit par un autre, sous prétexte d'immortalité. Et aussitôt il est saisi de crainte et il se cache, non avec le sentiment qu'il pourrait échapper à Dieu, mais rempli de confusion à la pensée qu'après avoir transgressé le précepte de Dieu, il n'est plus digne de paraître en sa présence et de converser avec lui. Or la crainte du Seigneur est le commencement de l'intelligence, l'intelligence de la transgression engendre le repentir, et Dieu dispense sa bonté à ceux qui se repentent. <> Il était terrifié par la crainte de Dieu; Aussi, pour réprimer l'ardeur pétulante de sa chair, car il avait perdu son esprit ingénu et enfantin et il en était venu à la pensée du mal, il s'entoura, lui et son épouse, d'un frein de continence, dans la crainte de Dieu.<> Dieu eut de la haine pour celui qui avait séduit l'homme, tandis que pour l'homme qui avait été séduit, il éprouva peu à peu de la pitié. Et c'est aussi pour ce motif qu'il le chassa du paradis et qu'il le transféra loin de l'arbre de vie. Non qu'il lui refusât par jalousie cet arbre de vie, comme d'aucuns ont l'audace de le dire, mais il le fit par pitié, pour que l'homme ne demeurât pas à jamais transgresseur, pour que le péché qui était en lui ne fût pas immortel et que le mal ne fût pas sans fin et incurable. Il arrêta ainsi la transgression de l'homme, interposant la mort et faisant cesser le péché, lui assignant un terme par la dissolution de la chair qui se ferait dans la terre, afin que l'homme, cessant enfin de vivre au péché et mourant à ce péché, commença à vivre pour Dieu. AH III, 23, 5-6 "L'Adam n'est qu'un enfant", s'exclame Irénée. Il n'a pas pleinement conscience de tout ce que veut dire "désobéir à son Créateur", tout ce qu'implique une rupture de cet ordre. Il est créé libre pour grandir et soit glorifié 31 "Dieu pouvait donner dès le commencement la perfection à l'Anthropos, mais l'anthropos était incapable de la recevoir, car il n'était qu'un petit enfant." A.H. IV, 38,1 Saint Irénée n'est pas le seul à invoquer le motif de l'enfantillage pour expliquer le péché d'Adam. Saint Théophile d'Antioche (183†) dans une apologie du christianisme destinée à un ami païen lui avait vanté la gloire du culte et lui reprochait sa foi chrétienne lui écrit à propos: "L'homme avait été créé dans un état intermédiaire, n'étant ni tout à fait mortel, ni entièrement exempt de la mort, mais il pouvait être l'un ou l'autre. Il en était de même du paradis qu'il habitait, il tenait, par sa beauté, le milieu entre le ciel et la terre. Ces mots, pour travailler, veulent dire pour garder les commandements de Dieu, afin qu'il ne se perdît point par la désobéissance, ainsi que le malheur arriva. L'arbre de la science était, sans doute, bon en lui-même aussi bien que son fruit; et ce n'était point l'arbre, comme le pensent quelques-uns, qui était mortel, mais bien la transgression du précepte. Car cet arbre ne renfermait autre chose que la science, et la science est toujours bonne, lorsqu'on en fait un bon usage. Or, Adam nouvellement né était en quelque sorte un enfant, et ne pouvait encore recueillir le fruit de la science. En effet, les enfants ne peuvent manger du pain aussitôt après leur naissance, mais on leur donne d'abord du lait, puis ils reçoivent une nourriture plus solide, à mesure qu'ils avancent en âge. Et voilà ce qui serait arrivé à Adam: Dieu lui défendit donc de toucher à l'arbre de la science, non point par jalousie, comme le pensent quelques-uns, mais parce qu'il voulait mettre son obéissance à l'épreuve. Il voulait encore que l'homme persévérât longtemps dans cette candeur, cette simplicité de l'enfance. Et n'est-ce pas un devoir sacré aux yeux de Dieu et des hommes, qu'on se soumette à ses parents avec candeur et simplicité ? et si les enfants doivent être soumis à leurs parents, à plus forte raison doivent-ils l'être à Dieu, qui est le père de tous. Théophile d'Antioche, traité à Autolycus, chapitre 24. Traduction de l'abbé M. de Genoude, 1838 L'incarnation du Logos Si le péché d'Adam est certes pour Irénée un enfantillage, il ne néglige pas sa conséquence fâcheuse: l'éloignement de l'humanité de la source de vie et le frein à l'accomplissement de sa croissance vers le devenir envisagé par le créateur. Aussi le Logos du Père, par l'entremise de qui toutes choses ont été faites, vient homme parmi les hommes, visible et palpable, afin de détruire la mort, faire apparaître la vie, opérer la communion de Dieu et de l'Anthropos. Pour Irénée, c'est dans la logique de la création que le Logos devienne homme, car le 32 sentiment de l'évêque de Lyon, est qu'il n'y a pas à l'origine un homme parfait brusquement déchu, mais un être imparfait capable de progresser sans cesse qui devait s'achever, se perfectionner et s'accomplir à l'image du Logos et avec son aide. C'est donc dans l'ordre de la création que le Logos devienne homme, et pas principalement en raison du péché d'Adam. Pour Irénée, le Salut consiste à "passer de la condition psychique du premier Adam à la condition spirituelle du nouvel Adam, Jésus-Christ". C'est ainsi qu'il comprend comme tous meurent en Adam, en Christ tous recevront la vie. -1Co 15,22- En effet, affirme Irénée, "c'est dans la chair que le Seigneur est venu nous rendre à la vie, afin que, comme nous mourons tous en Adam parce que psychiques, nous vivions tous dans le Christ parce que spirituels, après avoir rejeté, non l'ouvrage modelé par Dieu, mais les convoitises de la chair, et avoir reçu I'Esprit Saint." (AH 5,12,3). C'est ce passage qu'est venu accomplir le Christ Jésus, le nouvel Adam qui communique l'Esprit Saint, parce qu'il est le Logos de Dieu fait homme. C'est en tant qu'homme véritable et Dieu parfait que Jésus accomplit en effet le Salut, le passage de la condition psychique à la condition spirituelle. Par son incarnation le Logos rend l'image visible et stabilise le don de l'Esprit qui porte la ressemblance à sa perfection. Celle-ci fut perdue par l'Adam. Mais, Irénée insiste sur l'ébauche qu'elle était en Adam par rapport à celle que le Christ possède et transmet. En l'Adam la ressemblance n'était qu'un commencement, ce qui fait partie de la condition d'enfance d'Adam. Avec le Christ la ressemblance devient greffe de l'Esprit, c'est à dire présence permanente. "Le Logos, qui dès le Principe est en Dieu, lui par qui tout a été fait et qui était toujours présent au genre humain, ce même Logos dans les derniers temps, au moment fixé d'avance par le Père, s'est uni à l'œuvre qu'il avait modelée, s'est fait homme capable de souffrir. <> Lorsqu'il s'est incarné et s'est fait homme, il a récapitulé en lui-même la longue série des hommes et nous a procuré le Salut en raccourci [dans sa chair], de sorte que ce que nous avions perdu en Adam, c'est33 à dire le fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, nous le recouvrions dans le Christ Jésus". (AH III18,1) Ainsi Jésus le Logos fait de sa naissance dans la chair et de toute sa vie terrestre le raccourci de toute l'histoire de l'humanité: par sa naissance dans la chair, il remonte à l'origine, embrasse tout le passé, et atteint en lui, pour nous la finalité du projet du Père. Ce grand mystère du Salut passe par la croix et la résurrection pour défaire le péché d'Adam. "Ainsi, en remettant les péchés, le Seigneur n'a pas seulement guéri l'homme, il a aussi révélé clairement qui il était. En effet, si personne ne peut remettre les péchés, sinon Dieu seul, et si le Seigneur les remettait et guérissait l'homme; il est clair qu'il était le Logos de Dieu devenu Fils de l'Homme, ayant reçu du Père le pouvoir de remettre les péchés parce qu'il était homme et parce qu'il était Dieu, afin que, comme homme; il souffrit avec nous, et que, comme Dieu, il eût pitié de nous et nous remît les dettes dont nous étions débiteurs à l'égard de Dieu notre Créateur. David faisait ainsi connaître par avance la rémission qu'a procurée la venue du Seigneur. Cette rémission par laquelle il a détruit le document qui attestait notre dette et l'a cloué à la croix, afin que comme par le bois nous étions devenus débiteurs à l'égard de Dieu, par le bois, nous recevions la remise de notre dette. (AH V 17,3) Ainsi donc, ce Logos qui nous a été caché, 1'économie du bois nous l'a manifesté, ainsi que nous venons de le dire. Car, puisque nous l'avions perdu par le bois, c'est par bois qu'il est redevenu, visible pour tous, montrant en1ui-même la hauteur, la longueur et la largeur et, comme l'a dit un des anciens, rassemblant par l'extension de ses mains les deux peuples, vers un seul Dieu. <> (AH V 17,4) Car, l'auteur du monde, c'est en toute vérité le Logos de Dieu. C'est lui notre Seigneur, lui-même dans les derniers temps, s'est fait homme, alors qu'il était déjà dans le monde et qu'au plan invisible s'étend à la création entière, se trouvait imprimé en forme de croix dans la création entière, en tant que Logos de Dieu gouvernant, et disposant tout. Voilà pourquoi il est venu dans son propre domaine, s'est fait chair et a été suspendu au bois, afin de récapituler toutes choses en lui-même. (AH V18,3) Saint Irénée dans "la démonstration de la Prédication apostolique" reprend le thème de la croix et développe la double raison de la cruxifixion: a) le bois fut l'instrument de la désobéissance du paradis, le Fils de Dieu Fils de l'Homme répond, par le bois de la croix auquel il sera suspendu, dans l'obéissance la plus extrême de sa condition d'homme mortel. 34 b) Il fallait surtout qu'il rende visible dans l'extension de ses mains dans la forme de la croix, l'invisible amour de Dieu dans toutes ses dimensions, imprimé en forme de croix dans l'univers. La croix cosmique est croix de gloire. "Et ce péché auquel le bois avait donné naissance a été effacé par le bois de l'obéissance, sur lequel a été cloué le Fils de l'homme, obéissant à Dieu; ainsi, en abolissant la science du mal, il a introduit et distribué la science du bien. Et comme le mal est de désobéir à Dieu, obéir à Dieu est le bien. Voilà pourquoi le Logos parle par la bouche du prophète Isaïe, en révélant d'avance ce qui doit s'accomplir, puisqu'être prophète, c'est annoncer l'avenir. Or, le Logos, par ce moyen, parle en ces termes: "Je ne refuserai pas et ne contredirai pas. J'ai présenté mon dos aux coups et mes joues aux soufflets, et je n'ai pas soustrait mon visage à d'ignominieux crachats" -Is 50, 6-. Or, par l'obéissance qu'il a pratiquée jusqu'à la mort en étant attaché sur le bois, il a détruit l'antique désobéissance provoquée par le bois. Logos tout-puissant de Dieu, sa présence invisible s'étend à la création entière et en soutient la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur: tout est gouverné par le Logos de Dieu. Il a été crucifié, lui le Fils de Dieu, en ces quatre dimensions, lui dont l'univers portait déjà l'empreinte cruciforme. S'étant rendu visible, il devait nécessairement manifester de manière sensible, sur la croix, son action invisible. Car c'est lui qui illumine les hauteurs, c'est-à-dire les cieux, qui scrute les profondeurs de la terre, il parcourt l'étendue de l'Orient à l'Occident, il atteint l'immense espace du Nord au Midi, et appelle à la connaissance de son Père les hommes partout dispersés". (DA 34) Tout est récapitulé en Christ Par l'incarnation du Logos créateur, l'union du créé et de l'Incréé se réalise en Jésus. L'incorruptible se fait corruptible pour donner à la créature l'amitié avec Dieu qu'il avait au tout début de la création et la filiation divine: 35 "Telle est la raison pour laquelle le Logos de Dieu s'est fait homme: Pour que l'anthropos, en se mélangeant au Logos et en recevant ainsi l'adoption filiale, devienne fils de Dieu. Nous ne pouvions en effet avoir part à l'incorruptibilité et à l'immortalité que si nous étions unis à l'incorruptibilité et à l'immortalité. Mais comment aurions-nous pu être unis à l''incorruptibilité, si celles-ci ne s'étaient préalablement faites cela même que nous sommes, afin que ce qui était corruptible fut absorbé par l'incorruptibilité, ce qui mortel par l'immortalité, afin que nous recevions l'adoption filiale". (AH III, 19 1) Le cœur de la christologie d'Irénée, et donc de son enseignement reçu des Anciens, est sa notion de récapitulation empruntée à saint Paul, anakephalaïosis "Il nous a fait connaître le Mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’il avait formé par avance en lui [le Christ], pour le réaliser lors de la plénitude des temps: tout récapituler dans le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. -Ep 1, 9-10-, que la bible Osty traduira "tout rassembler dans le Christ", certains résumeront: "À la place d'Adam, le Christ". Le terme récapitulation est souvent traduit dans les Bibles populaires par tête ou chef ce qui est la même chose. Cependant, le mot est un terme beaucoup plus vaste et veut dire beaucoup plus que ces traductions. a) Une première possibilité d’interprétation utilise le substantif. Alors est exprimée l’idée que le "Christ Tête" est le Sauveur de son Corps. La théologie du "Christ Tête" a été popularisée par Jean Chrysostome. (Jean-Marc Dufort, La récapitulation paulinienne dans l’exégèse des Pères", Sciences ecclésiastiques 12, (1960). Chrysostome l’utilise à profusion dans ses homélies pour construire une théologie christique. Moyennant le substantif qu’il attribue au terme paulinien, il prêche une théologie du Christ Tête de l'Eglise b) Dans le grec classique, Platon et Strabon emploient le verbe dans le sens de "résumer, faire la somme" Jean-Marc Dufort, La récapitulation paulinienne dans l’exégèse des Pères, Sciences ecclésiastiques 12, (1960), p. 33) , si nous choisissons cette possibilité, nous pouvons comprendre que le Logos prend en charge par son incarnation, toute la création en assumant en lui, tout le créé. Cette interprétation est proche de la prédication de saint Irénée. c) Il ne faut certainement pas négliger la première partie du mot grec, la particule avant la racine Kephaloo soit le ana. Ana peut avoir d'une part, un sens itératif. La récapitulation aurait alors le sens d’une refonte complète et d’une "nouvelle création", ou mieux dit, d’un "renouvellement à partir des origines". Cette traduction encore plus proche de l'ensemble de la doctrine d'Irénée, doit être comprise comme "Création nouvelle, renouvelée". D'autre part, "anô d'en haut", "prendre les choses d'en haut pour les mener à leur fin", c’est-à-dire "accomplir". (Bernard Sesboué, Tout récapituler dans le Christ, Desclée Paris, 2000) "Appliqué à l’œuvre du Christ, le mot récapitulation désigne ce travail de reconstitution et de restauration de l’humanité selon le plan primitif de Dieu. <> 36 le Christ nouvel Adam, restaure l’harmonie troublée". (Adhémar Alès, La doctrine de la récapitulation en saint Irénée, Revue des Sciences Religieuses, 6 (1916), p. 189) Nous retiendrons l’idée de renouveler afin de parfaire, de parachever et de mener à terme la création en rendant le Adam l'Anthropos conforme à l'image de la gloire de Dieu, comme le chante l'Eglise dans ses anaphores eucharistiques. 'Dans ta bonté, tu ne t'es pas détourné de ta créature, qui par sa désobéissance, a rompu la communion avec toi, son Bienfaiteur. En ces derniers jours, par ton Fils unique Jésus Christ, tu t’es manifesté à nous, qui étions plongés dans les ténèbres et l’ombre de la mort. Lui qui est le resplendissement de ta gloire, qui porte tout par sa puissante Parole, est venu sur terre et a vécu, homme parmi les hommes, il a déposé sa magnificence en se conformant à notre corps de faiblesse, pour récapituler en lui toute la création, donner à l'univers la paix par le sang de la Croix, opérer la communion de Dieu et de l'humanité, nous faire partager la Vie qu'il possède en plénitude, nous rendre conformes à l'image de sa gloire. En effet, il plut à celui qui est dans ton sein, Dieu et Père, ton Fils unique, né de la sainte Mère de Dieu et toujours vierge Marie, de condamner le péché du monde dans sa propre chair, pour que ceux qui étaient morts en Adam retrouvent la Vie en lui. Il s'est donné lui-même à la mort. Il descendit aux enfers par la Croix. Ressuscité le troisième jour, il ouvre à toute chair la voie de la résurrection d'entre les morts.. -anaphore orientale selon saint BasileLe projet de la récapitulation est très bien exposé dans la "Démonstration de la prédication apostolique". Irénée parle la volonté première de Dieu, celui de la récapitulation par le Christ. Voici la règle de notre foi, le fondement de l'édifice et ce qui donne fermeté à notre conduite: Dieu Père, incréé, qui n'est pas contenu, invisible, un Dieu, le Créateur de l'univers; tel est le tout premier article de notre foi. Mais comme deuxième article: Le Logos de Dieu, le Fils de Dieu, le Christ Jésus Notre-Seigneur qui est apparu aux prophètes selon le genre de leur prophétie et selon l'état des économies du Père; par qui toutes choses ont été faites; qui en outre, à la fin des temps, pour récapituler toutes choses, s'est fait homme parmi les hommes, visible et palpable, pour détruire la mort, faire apparaître la vie et opérer une communion de Dieu et de l'homme. Et comme troisième article: Le SaintEsprit par lequel les prophètes ont prophétisé et les Pères ont appris ce qui concerne Dieu, par qui les justes ont été guidés dans la voie de la justice, et qui, à la fin des temps, a été répandu d'une manière nouvelle sur notre humanité pour renouveler l'homme sur toute la terre en vue de Dieu. (Démonstration 6) La récapitulation est pour Irénée, une reprise dans le Christ de la totalité depuis l'origine. Dieu n'abandonne pas son projet du Salut de l'humanité, que la chute 37 d'Adam avait interrompu, et reprend son œuvre entière depuis le commencement, pour la résumer, l'assumer, la recréer et l'achever dans son Fils incarné, qui devient pour nous comme un second Adam. La chute de l'homme ayant entraîné la perte de la race humaine toute entière, le Fils de Dieu dut se faire homme, afin de réaliser, comme tel, une nouvelle création de l'humanité. "Comme le Seigneur était homme afin d'être éprouvé, de même il était aussi le Logos afin d'être glorifié: d'un côté le Logos se tenait en repos lorsque le Seigneur était éprouvé, outragé, crucifié et mis à mort, de l'autre, l'homme était "absorbé" lorsque le Seigneur vainquait, supportait la souffrance, montrait sa bonté, ressuscitait et était élevé au ciel. Ainsi donc le Fils de Dieu, notre Seigneur, tout en étant le Logos du Père, était aussi le Fils de l'homme: car il avait reçu une naissance humaine de Marie, issue de créatures humaines, et créature humaine elle-même. C'est pourquoi aussi le Seigneur lui-même nous a donné un signe dans la profondeur et dans la hauteur, sans que l'homme l'eût demandé. Car jamais celui-ci ne se fut attendu à ce qu'une Vierge devint enceinte tout en demeurant vierge, et mît au monde un Fils, nul ne serait attendu à ce que le fruit de cet enfantement fût "Emmanuel Dieu avec nous", à ce qu'il descendît dans les profondeurs de la terre pour y chercher la brebis perdue, c'est-à-dire son propre ouvrage par lui modelé, et à ce qu'il remontât ensuite dans les hauteurs pour offrir et remettre à son Père l'homme ainsi retrouvé." Adv. Haer. III, 19, 3 Le Logos incarné vient donc recouvrer l'humanité, la reprendre, la "récapituler", ce qui est à dire que l'Adam, l'Anthropos nouveau est là, et avec lui toute nouveauté. Le Logos incarné reprend en lui toute l'humanité et même tout l'univers créé, et aussi en tant que Nouvel Adam, il reprend, "récapitule" toute l'histoire du premier Adam, il la rénove, la restaure, la répare: "son obéissance détruit la désobéissance". La récapitulation unit les choses de la terre à celles du ciel. Les hérétiques ignorent que le Logos de Dieu, le Fils Unique qui était de tout temps présent à l'humanité, s'est uni et mêlé, selon le bon plaisir du Père, à son propre ouvrage par lui modelé, et s'est fait chair. Et c'est ce Logos fait chair qui est Jésus-Christ notre Seigneur, et c'est lui qui a souffert pour nous, qui est ressuscité pour nous, qui reviendra dans la gloire pour ressusciter toute chair, faire apparaître le Salut et appliquer la règle du juste jugement à tous ceux qui subiront son pouvoir. Il n'y a donc qu'un seul Dieu, le Père, et un seul Christ, Jésus, notre Seigneur, qui est passé à travers toutes les "économies" et qui a tout récapitulé en lui-même. Dans ce "tout" est aussi compris Adam, l'anthropos, cet ouvrage modelé par Dieu. Il a donc récapitulé aussi 38 l'homme en lui, d'invisible devenant visible, d'insaisissable, saisissable, d'impassible, passible, de Logos, homme. Il a tout récapitulé en lui-même, afin que tout comme le Logos de Dieu a la primauté sur les êtres supra célestes, spirituels et invisibles, il l'ait aussi sur les êtres visibles et corporels, assumant en lui cette primauté et se constituant lui-même la tête de l'Eglise, afin d'attirer tout à lui au moment opportun. (AH III, 16, 6) Son obéissance détruit la désobéissance qui fut cause de notre mort. Irénée, après avoir parlé du Christ nouvel Adam, montre à ses côtés la nouvelle Eve, la Vierge Marie. La nouvelle Eve Irénée emploie pour signifier la mission de Marie le terme fort de "dénouement" Marie dénoue les nœuds faits par Eve. Le Logos fait chair, reçoit sa naissance d'une terre vierge. Cette terre, ce sont les entrailles de la Vierge Marie. La naissance humaine et divine de Jésus vient refaire, récapituler la naissance d'Adam l'Anthropos: Voici donc le thème du Nouvel Adam et de la Nouvelle Eve. Luc présente une généalogie allant de la naissance de notre Seigneur à Adam et comportant soixante-douze générations: il rattache de la sorte la fin au commencement et donne à entendre que le Seigneur est celui qui a récapitulé en lui-même toutes les nations dispersées à partir d'Adam, toutes les langues et toutes les générations des hommes, y compris Adam luimême. C'est aussi pour cela que Paul appelle Adam lui-même la "figure de celui qui devait venir". Car le Logos, Artisan de l'univers, avait ébauché d'avance en Adam la future économie de l'humanité dont se revêtirait le Fils de Dieu, Dieu ayant établi en premier lieu l'homme psychique afin, de toute évidence, qu'il fût sauvé par l'Homme spirituel. En effet, puisqu'existait déjà celui qui sauverait, il fallait que ce qui serait sauvé vînt aussi à l'existence, afin que ce Sauveur ne fût point sans raison d'être. Parallèlement au Seigneur, on trouve aussi la Vierge Marie obéissante, lorsqu'elle dit : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole ". Eve, au contraire, avait été désobéissante: elle avait désobéi alors qu'elle était encore vierge. Car de même qu'Eve, ayant pour époux Adam, et cependant vierge encore car "ils étaient nus tous les deux" dans le paradis "et n'en avaient pas honte" : créés peu auparavant, ils n'avaient pas de notion de la procréation; il leur fallait d'abord grandir, et seulement ensuite se multiplier, de même donc qu'Eve, en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain, de même Marie, ayant pour époux celui qui lui avait été destiné par avance, et cependant vierge encore, devint en obéissant, cause de Salut pour elle-même et pour tout le genre humain. C'est pour cette raison que la Loi donne à celle qui est fiancée à un homme, bien qu'elle soit encore vierge, le nom d' "épouse" de celui qui l'a prise pour fiancée, signifiant de la sorte le retournement qui s'opère de 39 Marie à Eve. Car ce qui a été lié ne peut être délié que si l'on refait en sens inverse les boucles du nœud, en sorte que les premières boucles soient défaites grâce à des secondes, et qu'inversement les secondes libèrent les premières: il se trouve de la sorte qu'un premier lien est dénoué par un second et que le second tient lieu de dénouement à l'égard du premier. Ainsi également le nœud de la désobéissance d'Eve a été dénoué par l'obéissance de Marie, car ce que la vierge Eve avait lié par son incrédulité, la vierge Marie l'a délié par sa foi". -AH. III, 22, 3-4Marie qui défait les nœuds, tableau du 17è S. en l'église d'Augsburg Saint Justin (165†) avait déjà mis en parallèle la désobéissance d'Eve et l'obéissance de Marie: "Nous comprenons enfin que [le Christ], s'est fait homme par la Vierge, de sorte que c'est par la voie qu'elle avait commencée que prit fin aussi la désobéissance venue du serpent. Ève était vierge, sans corruption: en concevant la parole du serpent, elle enfantait désobéissance et mort. Or la vierge Marie conçut foi et joie lorsque l'ange Gabriel lui annonça la Bonne Nouvelle que l'Esprit du Seigneur viendrait sur elle, et que la puissance du très haut la couvrirait de son ombre, et qu'à cause de cela l'être Saint qui devait naître d'elle serait Fils de Dieu; et elle répondit: «Qu'il m'arrive selon ta parole» Il fut donc enfanté par elle, celui dont, nous l'avons montré, parlent tant d'Écritures, celui par qui Dieu détruit le serpent avec les anges et les hommes qui lui ressemblent." – Justin, dialogue avec Thryphon Marie est appelée par Irénée indirectement la terre vierge. Une terre féconde comparable à celle que Dieu utilise dans la Genèse pour former Adam. Marie donne réellement par sa virginité la substance au Créateur pour former le corps de Jésus. Elle est un fondement important dans l'histoire du Salut. Elle vient par son obéissance redonner Vie au genre humain. Un autre endroit où Irénée parle de Marie et d'Ève se situe dans la Démonstration de la prédication apostolique. Dans ce passage, Marie est présentée vraiment être celle qui récapitule Ève. Mais avant de la récapituler, Irénée dit bien "c'est à cause de la vierge docile à la Parole de Dieu que l'homme est sauvé". En deuxième lieu 40 seulement, Marie est présentée comme une avocate qui détruit la désobéissance engendrée par Ève. "D'où vient donc la substance de la première créature ? De la volonté et de la sagesse de Dieu et d'une terre vierge, "car Dieu n'avait pas fait pleuvoir, dit l'Ecriture, avant que l'homme fut fait, et il n'y avait encore pas d'homme pour travailler la terre". C'est donc de cette terre, pendant qu'elle était encore vierge, que Dieu prit du limon et façonna l'homme, principe de notre humanité. Récapitulant en lui cet homme, le Seigneur assuma la même économie de corporéité que lui, en naissant de la Vierge par la volonté et la Sagesse de Dieu, afin de montrer, lui aussi, l'identité de sa "corporéité" par rapport à Adam et de se faire celui qui était décrit au début: l'homme selon l'image et la ressemblance de Dieu. De même que ce fut par le fait d'une vierge qui avait désobéi que l'homme fut frappé, tomba et mourut, de même aussi, c'est par le fait de la Vierge qui a obéi à la Parole de Dieu, que l'homme ranimé a, par la Vie, reçu la vie. Car le Seigneur est venu chercher la brebis qui avait péri, et c'est l'homme qui avait péri. Et s'il ne s'est pas fait autre chair façonnée, quelle qu'elle soit, mais si par cette même vierge qui tenait sa race d'Adam, il a conservé la ressemblance de cette chair façonnée, c'est parce qu'il fallait qu'Adam fût récapitulé dans le Christ - afin que ce qui est mortel fut absorbé et englouti par l'immortalité; il fallait aussi qu'Eve fût récapitulée en Marie - afin qu'une vierge, se faisant l'avocate d'une vierge, détruisît et abolît la désobéissance d'une vierge par l'obéissance d'une vierge. Et la transgression qui avait été commise par le moyen du bois, fut détruite par le moyen de l'obéissance sur le bois, selon laquelle, par obéissance à Dieu, le Fils de l'homme fut cloué sur le bois, abolissant la science du mal et introduisant et procurant la science du bien. Et il est mal de désobéir à Dieu, de même qu'obéir à Dieu est un bien". -Dém. 32-3- Marie est le lieu de l'incarnation, elle porte celui qui est le Salut du genre humain. Marie est en vérité un élément et une condition essentielle de la récapitulation de tout en son Fils. Venance Fortunat (609 †) écrira bien plus tard une hymne à la Vierge, célèbre dans la liturgie latine: il joue avec l'anagramme entre le salut de Gabriel ave et le nom d'Eve Eva, mère de la vie. "Salut, Etoile de la mer, tendre Mère de Dieu, toujours vierge, heureuse porte du ciel. En recevant ce salut –Ave- de la bouche de Gabriel, enracine-nous dans la paix, changeant le nom d'Eve –Eva -.<> Montre-toi notre mère, qu'il agrée par toi nos prières, celui qui, né pour nous, accepta d'être ton fils". 41 La vision de Dieu Le Dieu unique est à la fois le Transcendant et le Créateur. Les "gnostiques" divisaient Dieu, présentant un Dieu suprême, inconnaissable, incompréhensible, incommunicable, et un autre Dieu démiurge, créateur de la matière. Irénée ne nie pas l'existence d'un Dieu transcendant. Mais il affirme que Dieu est unique: le Dieu transcendant est le Dieu Créateur. Il se fera connaître librement, graduellement, à sa créature. Bien que transcendant, il se révélera par amour. "Selon sa grandeur, Dieu est inconnu de tous les êtres faits par lui, car personne n'a scruté son élévation, ni parmi les anciens, ni parmi les contemporains. Cependant, selon son amour, il est connu en tout temps, grâce à celui par qui il a tout créé. Celui-ci n'est autre que son Logos, notre Seigneur Jésus-Christ qui, dans les derniers temps, s'est fait homme parmi les hommes, afin de rattacher la fin au commencement, c'est-à-dire l'homme à Dieu. Voilà pourquoi les prophètes, après avoir reçu de ce même Logos le charisme prophétique, ont prêché à l'avance sa venue selon la chair, par laquelle le mélange et la communion de Dieu et de l'homme ont été réalisés selon le bon plaisir du Père. Dès le commencement, en effet, le Logos a annoncé que Dieu serait vu des hommes, qu'il vivrait et converserait avec eux sur la terre et qu'il se rendrait présent à l'ouvrage par lui modelé. Adv. Haer. IV, 20, 4 Dieu sera vu de l'homme. La "vision de Dieu". Un autre leitmotiv de saint Irénée: Dieu a été vu selon le mode prophétique, il a surtout été vu dans l'Incarnation du Fils de Dieu, et il sera vu dans l'Esprit. Il y a progression dans le temps. Le thème de la vision de Dieu se rattache au thème de l'unité du Dieu à la fois transcendant et Créateur. Il dépend aussi du thème de l'économie. Par lui-même, l'homme ne pourra jamais voir Dieu; mais Dieu, s'il le veut, sera vu des hommes, de ceux qu'il veut, quand il veut et comme il veut. Car Dieu peut tout: vu autrefois par l'entremise de l'Esprit, selon le mode prophétique, puis vu par l'entremise du Fils selon l'adoption, il sera vu encore dans le royaume des cieux selon la paternité, l'Esprit préparant d'avance l'homme pour le Fils de Dieu, le Fils conduisant au Père, et le Père donnant l'incorruptibilité et la vie éternelle, qui résultent de la vue de Dieu pour ceux qui le voient. Adv. Haer. IV, 20, 5 Dieu se laisse voir selon son dessein, et il se révèle peu à peu. Ce thème dépend du thème de l'éducation progressive de Dieu. Car l'anthropos, être créé, limité, est un être en devenir. Son but dernier est de communier à Dieu, de recevoir la 42 vie par la vision de Dieu. Ce but s'atteint à travers le temps, l'homme est soumis à une loi de maturation. "Tu n'es pas incréé, ô homme, et tu n'existes pas depuis toujours avec Dieu comme son propre Logos, mais grâce à sa suréminente bonté, après avoir reçu présentement le commencement de ton existence, tu apprends peu à peu les "économies" du Dieu qui t'a fait. AH. II, 25, 3-4 < > Tel est donc l'ordre, tel est le rythme, tel est l'acheminement par lequel l'homme créé et modelé devient à l'image et à la ressemblance du Dieu incréé: le Père décide et commande, le Fils exécute et modèle, l'Esprit nourrit et fait croître, et l'homme progresse peu à peu et s'élève vers la perfection, c'est-à-dire s'approche de l'Incréé. Car il n'y a de parfait que l'Incréé, et celui-ci est Dieu. Quant à l'homme, il fallait qu'il vînt d'abord à l'existence, qu'étant venu à l'existence, il grandît, qu'ayant grandi, il devînt adulte, qu'étant devenu adulte, il se multipliât, que s'étant multiplié, il prît des forces, qu'ayant pris des forces, il fût glorifié, et enfin qu'étant glorifié, il vît son Seigneur. Car c'est Dieu qui doit être vu un jour, et la vision de Dieu procure l'incorruptibilité, et "l'incorruptibilité fait être près de Dieu". AH . IV, 38, 3 De plus l'homme et Dieu ont à s'accoutumer l'un à l'autre. Le Logos reçoit la chair, habitant l'homme pour s'habituer à lui, mais aussi pour habituer l'homme à recevoir Dieu. De même l'Esprit s'habitue à habiter dans l'anthropos, il le fera dans le principe en reposant sur le Logos. L'homme doit s'habituer à Dieu, à porter et à saisir Dieu. C'est pourquoi Paul dit : "Dieu a enfermé toutes choses dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde ". Il parle de l'anthropos qui, après avoir désobéi à Dieu et avoir été rejeté de l'immortalité, a ensuite obtenu miséricorde par l'entremise du Fils de Dieu, en recevant la filiation adoptive qui vient par lui. <> Car cet anthropos-là, <> demeurant dans son amour, dans la soumission et dans l'action de grâces, recevra de lui une gloire plus grande, progressant jusqu'à devenir semblable à celui qui est mort pour lui. Celui-ci, en effet, s'est fait " à la ressemblance de la chair du péché ", pour condamner le péché dans la chair et, ainsi condamné, l'expulser de la chair, et pour appeler d'autre part l'anthropos à lui devenir semblable, l'assignant ainsi pour imitateur à Dieu, l'élevant jusqu'au royaume du Père et lui donnant de voir Dieu et de saisir le Père, lui, le Logos de Dieu qui a habité dans l'homme et s'est fait Fils de l'homme pour accoutumer l'homme à saisir Dieu et accoutumer Dieu à habiter dans l'homme, selon le bon plaisir du Père. AH III, 20, 2 43 Dans la vision de Dieu, l'anthropos aura acquis la perfection Le Salut repose dans la vision grandiose de la participation sans retour à la Vie par la vue de la lumière divine participation à la Vie même de Dieu. De même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, de même, ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. Or vivifiante est la splendeur de Dieu. Ils auront donc part à la Vie, ceux qui voient Dieu. Tel est le motif pour lequel celui qui est insaisissable, incompréhensible et invisible s'offre à être vu, compris et saisi par les hommes: c'est afin de vivifier ceux qui le saisissent et qui le voient. Car si sa grandeur est inscrutable, sa bonté aussi est inexprimable, et c'est grâce à elle qu'il se fait voir et qu'il donne la Vie à ceux qui le voient. Car il est impossible de vivre sans la vie, et il n'y a de vie que par la participation à Dieu, et cette participation à Dieu consiste à voir Dieu et à jouir de sa bonté. AH IV, 20, 5 <>À la fin, le Logos du Père et l'Esprit de Dieu, en s'unissant à l'antique substance de l'ouvrage modelé, c'est-à-dire d'Adam, ont rendu l'homme vivant et parfait, capable de comprendre le Père parfait, afin que, comme nous mourrons tous dans l'homme animal, ainsi nous soyons tous vivifiés dans l'homme spirituel. Jamais, en effet, l'Adam n'a échappé aux Mains de Dieu, auxquelles parlait le Père lorsqu'il disait: "Faisons l'Homme à notre image et à notre ressemblance". Et c'est pourquoi, à la fin, "non par la volonté de la chair ni par la volonté de l'homme", mais par le bon plaisir du Père, les Mains de Dieu ont rendu l'homme vivant, afin qu'Adam devienne à l'image et à la ressemblance de Dieu. AH V, 2, 3 La vie de l'Homme est la vision de Dieu Le logos montre Dieu le Père. "Qui me voit, voit le Père" -Jn 14,9- L'anthropos ne peut voir Dieu le Père, mais le Père céleste veut bien se donner à voir dans son Fils unique revêtu de notre chair. La vue pour saint Irénée est un sens essentiel pour la communication qui entraîne la communion perdue en Adam. Dans son commentaire de l'aveugle-né -Jn 9, 1-41-Irénée explique que le remodelage avec la boue de l'aveugle renvoie à la création, puis au modelage de chacun des hommes dans le sein maternel par le Logos qui nous modèle dans le secret. L'aveugle en question c'est l'humanité tout entière: nous naissons aveugles à la véritable lumière et c'est de cela qu'ultimement le texte parle, puisque c'est dans ce chapitre que Jésus est amené à dire: " Je suis la lumière ". Ici Jésus reprend le geste de la création d'Adam en Gn 2 : l'homme est fait de poussière de la terre et du Souffle qui vient de la bouche de Dieu " Adonaï Dieu forma l'adam, l'anthropos, de la poussière de la terre (’adamah), il souffla dans ses narines un 44 souffle de vie, et l'adam devient un être vivant." Gn 2, 7. Pour l'aveugle, la boue est faite de salive et de terre: une terre devenue sèche s'humidifie et cela donne lieu à un remodelage. Jésus reforme l'homme, il le remodèle. Ce remodelage des yeux de l'aveugle est la démonstration du tout par une simple partie, afin que l'Anthropos acquiert la vision de Dieu. AH; V, 15,3- 16,1 Les hommes verront donc Dieu afin de vivre, devenant immortels par cette vue et atteignant jusqu'à Dieu. Jésus le messie en renouvelant l'Anthropos <> C'est bien Dieu le Père qui se donne à connaître, l'Esprit prête son assistance, le Fils fournit son ministère, le Père notifie son bon plaisir et l'homme est rendu parfait en vue du Salut. <> Sans doute celui qui opère tout en tous est-il invisible et inexprimable, quant à sa puissance et à sa grandeur, pour tous les êtres faits par lui; toutefois il leur est nullement inconnu pour autant, car tous apprennent par son Logos qu'il n'y a qu'un seul Dieu Père, qui soutient toutes choses et donne l'existence à toutes, selon ce que dit le Seigneur: Dieu, personne ne l'a jamais vu, le Fils unique-engendré, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui l'a révélé. <...> Le Logos s'est fait dispensateur de la grâce du Père pour le profit des hommes: pour eux il a accompli de si grandes économies, montrant Dieu aux hommes et présentant l'homme à Dieu, sauvegardant l'invisibilité du Père pour que l'homme n'en vienne pas à mépriser Dieu <> et en même temps rendant Dieu visible aux hommes par de multiples économies, de peur que, privé totalement de Dieu, l'homme en perdit jusqu'à la notion de son existence. Car la gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme c'est la vision de Dieu. Si déjà la révélation de Dieu par la création donne la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Logos donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu". AH lV, 20, 4 à 7 Voir aussi: http://coptica.free.fr/Files/n_73_vie_de_l_homme_vision_de_dieu.pdf ¤ Bibliographie non exhaustive - Saint Irénée, La dernière édition de Réfutation de la fausse gnose, contre les Hérésies, a été publiée en 12 volumes dans la collection "Sources Chrétiennes" par Adelin Rousseau et Louis Doutrelou 1979 et années suivantes. - Saint Irénée, démonstration de la prédication apostolique, -L-M Froidevaux, démonstration de la prédication apostolique, traduction de l'arménien, SC n° 62,1959& A.Rousseau SC 406, 1995 - Bernard Sesboué, Tout récapituler dans le Christ, Desclée, 2000 - Donna Singles, L'homme debout, Cerf 2008 45 Saint Athanase Athanase a une conception traditionnelle sur la nature de l’homme, qu’il conçoit comme un être fragile, issu du non-être, mais destiné pourtant à une Vie éternelle par la participation à Dieu qui possède la Vraie Vie et qui lui communique cette vie. Ce n'est qu'en restant en communion avec Dieu, que l'Anthropos se maintient dans la Vie. Les êtres ne sont pas faits spontanément, comme s'ils n'avaient pas été l'objet d'une Providence, ni à partir d'une matière préexistante, comme si Dieu était impuissant, mais du non-être et sans qu'elles aient existé d'aucune façon auparavant, Dieu a suscité toutes choses dans l'être par le Logos, comme il le dit par Moïse: "dans le Principe, Dieu créa le ciel et la terre". (Sur l'incarnation du Verbe 3.) Par sa Parole créatrice, le Logos ne cesse d'être présent à son univers et vivifie tout, mais reste extérieur à la nature de la création en raison de sa divinité. "Car étant présent dans l'univers, [le Logos] ne participe pas [à la nature de] tous les êtres, mais ce sont eux plutôt qui reçoivent de lui vie et nourriture. Ainsi, par son Logos, le Seigneur de l'universelle providence et maître de l'univers, Dieu crée, gouverne, conserve et illumine cette création qui subsiste dans son intégrité, tant et aussi longtemps qu'elle participe à l'Être véritable de l'Image du Père. Car de même qu'il vient tout entier par ses puissances en chacun et en tous, distribuant toutes choses avec largesse [...] puisqu'il contient toutes choses, qu'il se trouve à la fois en toutes et en chaque partie, et s'y montre invisiblement, de même, puisqu'il donne à tout être l'ordre et la vie » Sur l'incarnation du Verbe 17. 1; Ainsi, présent dans toute la création, il reste extérieur à tout par son essence, mais il est en tout par ses énergies, ordonnant toutes choses et développant partout vers toutes choses sa providence, vivifiant un chacun et tous les êtres à la fois, contenant l'univers sans être contenu par lui, mais demeurant en son seul Père tout entier et à tous égards. Sur l'incarnation du Verbe 17. 6; & 18. 6.. Pour qu’il puisse réaliser une relation très personnelle, Dieu a créé l'anthropos, selon son image le Logos, icône parfaite du Père, et l’a doté de l’esprit, pour lui permettre de voir Dieu selon l’image duquel il a été fait. 46 A cause de son insouciance et de la tromperie du démon l’homme n’a pas réussi à garder la pureté de son esprit, pureté qui lui garantissait la contemplation de l’image, il se détourna de son Créateur. Mais Dieu, dans son amour infini, n’a pas voulu laisser l’homme dans cet état déplorable et a envoyé dans le monde son propre Logos pour qu’en sa qualité d’image parfaite de Dieu, il renouvelle l’homme fait selon l’image, et qu’en assumant une humanité réelle, il le libère du péché et de la mort par sa mort et sa résurrection. Le Logos comprenait, en effet, que la corruption des hommes ne pouvait pas être éliminée autrement, sinon par le seul fait de mourir. Or, il était impossible que mourût le Logos, qui est immortel et Fils du Père. Aussi il prend pour soi un corps capable de mourir, afin que, participant au Logos qui est audessus de tout, ce corps devienne apte à mourir pour tous, demeure incorruptible grâce au Logos logé en lui et fasse désormais cesser la corruption en tous par la grâce de la résurrection. Sur l'incarnation du Verbe 26. 1. Lorsqu'il évoque la mort du Christ, Athanase utilise un vocabulaire de figure sacrificielle. Il désigne ainsi le corps (soma) du Logos comme une offrande (prosphora) présentée à son Père auprès de qui il intercède en faveur des pécheurs. Il prend chair pour offrir son propre temple (naos) pour annuler la dette contractée par les transgresseurs et libérer ceux-ci de la malédiction de la loi par son sacrifice (thusia). Comme un sacrifice et une victime pure de toute tache, offrant à la mort le corps qu'il avait pris pour lui, il éloigna donc sur-lechamp la mort de tous les autres corps semblables, par le don de ce corps qui leur ressemblait. Étant le Logos de Dieu, supérieur à tous, qui offrait son propre temple et son instrument corporel en rançon pour tous, il payait à bon droit notre dette en sa mort. Sur l'incarnation du Verbe 9. 1-2 Mais si quelqu'un des nôtres se demande <> pourquoi il ne subit pas une autre mort mais celle de la croix, qu'il apprenne à son tour que c'est précisément cette forme de mort qui tournait à notre avantage, et c'est elle que le Seigneur accepta non sans raison pour nous. S'il venait porter la malédiction qui pesait sur nous, de quelle autre manière se serait-il fait malédiction, s'il n'avait porté la mort des maudits? Or, celle-ci comporte la croix, car il est écrit: "Maudit celui qui est pendu au bois ." La sotériologie athanasienne repose sur la doctrine paulinienne de la réconciliation "en Christ", par l'oblation de sa vie. 47 Dans son traité "Sur l'incarnation du Verbe," le Christ livre sa vie à la mort, jamais à son Père. "En prenant ainsi d'entre les nôtres un corps semblable, il le livra à la mort pour tous les hommes" Sur l'incarnation du Verbe 14.4 Cependant, dans son premier "Discours contre les ariens", Athanase écrit que le Logos s'incarne "afin de s'offrir lui-même au Père pour nous par sa mort." Discours contre les ariens l, 41. Certains ont compris que c'est au Père que le Fils s'offre en "sacrifice d'expiation". C'est ici que saint Athanase ouvre la porte à une conception de la rédemption qui emplira indûment la sotériologie ultérieure: la nécessité des souffrances salvatrices du Logos incarné, serviteur souffrant d'Isaïe, pour "satisfaire le Père qui avait besoin une victime pour apaiser sa colère". Oserais-je dire, cette idée est certainement perverse et difficilement compatible avec la bonté divine. Le Père serait-il moins bon que son Fils qui le priera sur la croix, en disant: "Père, pardonne-leur car il ne savent pas ce qu'ils font." (Lc 23,34) Il est vrai que saint Athanase ne dit pas ceci explicitement: il n'avait pas comme objectif prioritaire d'expliquer le mystère du Salut par la croix, mais celui de montrer face à la doctrine des ariens que Jésus était vraiment le Logos de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu. Aussi nous pouvons privilégier l'enseignement de saint Irénée: l'oblation de Jésus sur la croix, est la conséquence de la prise en charge par la totale récapitulation en lui de toute l'histoire de l'humanité dans toutes ses dimensions de la naissance à la mort, jusqu'à l'extrême condition humaine de l'avilissement et de la méchanceté. En cela, il "accomplit la volonté du Père", Jésus sauveur accepte librement la mort, comme l'agneau pascal du livre de l'exode "le sang [de l'Agneau] sera pour vous un signe sur les maisons où vous demeurez, je verrai ce sang, et je vous sauverai".-Ex12,13Jésus dit aussi: "C'est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre, tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père". -Jn 10,17-18Ce ne fut pas sans mal, il endure une mort ignominieuse, crucifié, abandonné par ses amis et disciples, à l'exception de sa mère, Jean et les saintes femmes. Il descend en son âme, toujours unie à sa divinité, dans le shéol, royaume de la mort que Dieu son Père n'a pas voulu, mais conséquence du péché d'Adam. Un des tropaires attribué à saint Ephrem du samedi de la joie (vêpres du samedi saint) dit: "En ce jour, l'enfer se lamente: mon pouvoir est englouti, le pasteur est mis en croix et Adam 48 se relève. Je suis dépouillé de ceux sur qui je régnais, je les renvois tous. Le crucifié vide les tombeaux, la puissance de la mort est en poussière". Et l'anaphore de saint Hippolyte chante: "[Jésus] a accompli ta volonté et, pour t’acquérir un peuple saint, il a étendu ses mains tandis qu’il souffrait pour délivrer de la souffrance ceux qui croient en toi. Tandis qu’il se livrait volontairement sur la croix pour détruire la mort, briser les chaînes du diable, fouler l’enfer à ses pieds, répandre sa lumière sur les justes, établir l’Alliance et manifester la Résurrection…" Par sa mort sur la croix, le Logos incarné rend aux hommes l'immortalité et l'incorruptibilité, en tant que "prémices de l'universelle résurrection", il inaugure ainsi pour eux la vie après la mort. "Le Logos lui-même n'était pas apte à mourir, car il est immortel, il prit pour lui un corps capable de mourir, afin de l'offrir au nom de tous comme le sien propre, souffrant pour tous <> afin de réduire à l'impuissance celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable, et d'affranchir ceux qui, leur vie entière, étaient tenus en esclavage par la crainte de la mort. Assurément, puisque le commun Sauveur de tous est mort pour nous, nous les fidèles du Christ, nous ne mourrons plus de mort <> car cette condamnation a été abrogée. La corruption a cessé et a disparu par la grâce de résurrection, désormais nous nous décomposerons selon la condition mortelle de notre corps pendant la seule durée que Dieu a fixée à chacun, afin que nous puissions obtenir une meilleure résurrection.<> Nous ne périssons pas dans la dissolution". (Sur l'incarnation du Verbe 20, 6 et 21. 1). Pourtant l’œuvre salvatrice accomplie par l’incarnation du Logos ne se limite pas seulement à une restauration de l’homme dans son état initial, mais suppose quelque chose de plus, à savoir une union si étroite de l’humanité et de la divinité dans la personne du Christ, de telle sorte que la nature humaine soit rendue perméable à la divinité. Cette œuvre réalisée dans la personne du Christ se prolonge dans tous les hommes, grâce à leur parenté et incorporation en Christ. C’est ainsi qu'il reprend à son compte le dire d'Irénée: "Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait dieu", un dieu non par nature, mais par grâce. Celui qui souhaite voir Dieu <> qu'il admire que les réalités divines nous soient apparues grâce à un procédé aussi simple que par la mort, l'immortalité se soit étendue à tous, et que l'incarnation du Logos même de Dieu nous ait fait connaître la providence universelle dont le Logos est le chorège et le démiurge. Il s'est fait homme lui-même pour que nous soyons faits Dieu. Et il s'est rendu visible pour nous ayons une idée du 49 Père invisible. Il a supporté les outrages des hommes pour que nous ayons part à l'incorruptibilité. (Sur l'incarnation du Verbe 54. 1-4). Le couronnement de l'œuvre du Salut réside dans la déification de l'Anthropos régénéré, sa métamorphose (transfiguration) à l'image du Logos fait chair. Bibliographie; -Saint Athanase, sur l'incarnation du Verbe, texte critique et traduction, Charles Kannengiesser, Sources Chrétiennes n°199, 1972 -Saint Athanase, contre les païens, texte critique et traduction Thomas Camelot, SC N° 18 bis,1977 - Saint Athanase, contre les ariens, texte et traduction Charles Kannengiesser, Sources Chrétiennes N° 599, 2019 - Jacques Pelletier, le Verbe de Dieu, et le Salut de l'Homme, faculté de Théologie, université de Laval, Québec 2009 Saint Cyrille d'Alexandrie Nous terminons notre étude sur les chemins du Salut par l'examen de la doctrine de notre père saint Cyrille, pape d'Alexandrie (444†). Les théologiens occidentaux se sont beaucoup focalisés, certes non sans raison, sur la controverse avec Nestorius et l'interprétation des "douze anathématismes". http://coptica.free.fr/concile_d_ephese_520.htm Mais, sauf quelques exceptions, ils n'ont pas vu que la christologie de saint Cyrille est avant tout centrée sur l'Economie de la création et l'histoire du Salut et son accomplissement par Jésus le Logos incarné. L'enchaînement de l'exposition de la doctrine du patriarche d'Alexandrie est simple et cohérente: Dieu un et trinité a tout créé du non-être, le monde visible et invisible, et comme couronne l'Adam, l'Anthropos/ l'Homme/l'humanité, comme le traduit la septante. L'Anthropos, créé à l'image de Dieu, a perdu le bonheur et l'amitié de son créateur. (nous pouvons dire aussi; "n'a pas su assumer et conserver le programme divin") il a perdu l'Esprit insufflé lors de la création. Mais Dieu, dans sa miséricorde lui a préparé les moyens de Salut, d'abord la Loi et les prophètes, et enfin le Logos lui-même a pris chair dans les entrailles de la vierge Marie. Dès son incarnation, il a sanctifié notre chair en s'unissant à elle, et par sa mort, il a remis l'Anthropos sur la voie de la vie. Par le sang divin versé et distribué pour nous sur la croix, l'Anthropos a été purifié et la grâce de la sanctification lui a été acquise. L'Eglise, vrai corps du Christ, fournit aux fidèles les moyens de s'approprier la rédemption et le retour à Dieu. 50 Ces moyens sont essentiellement le baptême "dans le Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit", et la Sainte Oblation que Cyrille appelle souvent "l'Oblation Mystique". Enfants de l'Eglise, purifiés par le sang du Christ, nous sommes sanctifiés par la présence en nous du Saint Esprit, nous devenons ainsi enfants de Dieu, cohéritiers du Logos incarné. Par la foi et les œuvres de la foi nous accédons à cette grâce. Voyons cela de plus près. -la chute: (de quoi sommes-nous sauvés) En désobéissant au commandement donné par Dieu, l'Adam se détourne de lui. Cyrille prend comme première explication de notre état, l'âme tournée naturellement vers Dieu et qui s'en détourne. (voir la grande doxologie selon l'usage la tradition alexandrine) "Mais lorsque l'homme, libre de ses choix, se vit confier les rênes de ses propres vouloirs, -c'était là une partie de l'image, car Dieu est le maître de ses propres vouloirs,- il se détourna et tomba." In Jo 14, 20 Un autre thème pour décrire le vocabulaire de la chute d'Adam est celui de la maladie: Adam et en lui toute la nature humaine est "tombé malade " du péché, de la désobéissance, et aussi de la corruption et de la mort. "Tomber malade", explique pourquoi et comment sont transmises à l'humanité les conséquences morales et physiques de la faute d'Adam: la chute d'Adam, décrite comme un événement précis, se trouve avoir inauguré un état nouveau pour toute l'humanité: il y a transmission d'Adam à ses descendants, des conséquences de la chute. A l'arrière-plan se trouve la question de ce que la tradition occidentale appellera le "péché originel", l'Orient préfère parler "du péché d'Adam". Saint Cyrille utilise ce groupe nominal sans démontrer ni expliquer cette transmission. Il évoque une certaine transmission physique d'un mal, la transmission d'un état moral détérioré et surtout le départ de l'Esprit qui s'éloigne de l'humanité. S'ajoute une idée valable hélas encore pour notre époque, l'aveuglement de l'esprit humain, qui ne connaît plus ou ne veut plus connaître Dieu, ce qui nous ramène au "détournement" de l'Anthropos de sa source, Dieu vivant. "Il faut se demander comment notre ancêtre Adam nous a fait passer la sentence qui avait été portée contre lui à cause de la transgression. Car il lui avait été dit : Tu es terre et tu retourneras en terre -Gn 3, 19-, et il est devenu corruptible, d'incorruptible qu'il était, et fut soumis aux liens de la mort. Et comme il a engendré des enfants après être tombé dans la mort, nous qui sommes nés de lui, étant nés d'un être corruptible, sommes des êtres corruptibles: c'est ainsi que nous sommes héritiers de la malédiction survenue en Adam. Car nous n'avons absolument pas été châtiés pour avoir désobéi avec lui au commandement qu'il avait reçu, mais, comme je le disais, il est 51 devenu mortel et il a fait passer la malédiction à sa propre semence. Nous sommes en effet devenus mortels nés d'un mortel". Cyrille ne dit pas pour autant que la situation héritée du premier homme supprime la culpabilité des descendants par rapport à leurs fautes personnelles, il indique que chaque homme devient pécheur à la suite d'Adam -In Rom 5, 18-. Tout homme est Adam lorsqu'il se détourne de Dieu. Il annonce sans détour: ce qui est hérité d'Adam, ce n'est pas le péché lui-même, mais la mort. Le péché d'Adam a eu pour conséquence de rendre mortel l'anthropos, l'humanité toute entière. Le thème de la mort et de la corruption, l'image de la maladie, est omniprésent pour parler de l'état de l'homme après la chute, désigne aussi l'état de péché. "Ainsi (l'Homme) était condamné à la mort et à la corruption. Dieu avait, je pense, examiné d'avance ce qui serait le plus utile en cet événement: car quand l'homme eut une fois penché vers le péché, et que sa nature était atteinte d'une inclination maladive vers le mal, à l'égal peut-être des esprits impurs il était, sur la terre, sans cesse pris à faire le mal. Dès lors la mort selon la chair était une utile résolution: elle ne portait pas l'être vivant à une destruction totale, mais celui-ci était gardé plutôt pour une nouvelle fabrication et, pour ainsi dire, une réfection au temps voulu, comme un vase brisé". Glaph Gen I, 24 D L'idée de la mort-remède est traditionnelle par saint Irénée AH III, 23, 6. Chez Cyrille, le thème est repris: une fois que l'homme s'est laissé aller et que le péché dominait sur lui, il ne fallait pas que cette domination soit sans fin, la mort est donc voulue par Dieu comme une sorte de pacification de l'homme, qui ne subit plus dès lors la tyrannie du mal. Ainsi, chez Cyrille, la mort est autant la conséquence interne du péché, et en cela une sorte d'œuvre indirecte du serpent de la genèse qui contribue ainsi à la misère de l'homme, que le remède apporté par Dieu. Saint Cyrille expose aussi sa conception du paradis de la joie et de la chute. Même si nous pouvons poser la question de savoir, sans y répondre péremptoirement, si le récit de la genèse appartient à l'histoire factuelle ou à la métaphore, la valeur métaphysique du récit reste pertinente. « Oui, l'âme qui pèche mourra elle-même, Ez 18, 4- cependant, nous sommes devenus pécheurs à cause de la désobéissance d'Adam - Rm 5, 19-, de la manière suivante: Adam avait été fait pour l'incorruptibilité et pour la vie. Son existence était digne de sainteté dans le jardin des délices, son esprit était tout entier consacré à la 52 contemplation incessante de Dieu et son corps était calme et serein, tout plaisir honteux éteint, car il n'y avait pas en lui le trouble des mouvements inconvenants. Mais lorsqu'il tomba sous le péché et glissa dans la corruption, à partir de là accoururent dans la nature de la chair les plaisirs et les impuretés, et s'insinua en nos membres une loi sauvage. La nature fut donc malade du péché à cause de la désobéissance d'un seul, c'est-à-dire Adam, et ainsi la multitude fut constituée pécheresse -Rm 5, 19-, non pas en tant qu'elle avait transgressé avec Adam puisqu'elle n'existait pas, mais parce qu'elle était de sa nature, qui était tombée sous la loi du péché. De même donc que la nature de l'homme est tombée malade en Adam de la corruption à cause de la désobéissance, et qu'ainsi les passions se sont insinuées en elle, de même elle en a été débarrassée dans le Christ, car il s'est fait obéissant à Dieu le Père, et n'a pas commis le péché ". ln Rom 5, 18 Saint Cyrille mentionne une autre conséquence de la chute sous la loi du péché: la perte des dons divins, surtout le don divin premier par excellence, l'Esprit. "Comme il fallait que l'être vivant ne soit pas seulement doué de raison et établi dans les bonnes œuvres et la justice, mais aussi qu'il ait part au Saint Esprit, afin que l'empreinte de la nature divine en lui ait plus d'éclat, il lui insuffla un souffle de vie Gn 2, 7: c'est l'Esprit, que le Fils donne à la création douée de raison, et qui la modèle en la forme la plus excellente, c'est-à-dire celle de Dieu". in Jo 14, 20-. C'est ainsi qu'il interprète l'insufflation de Gn 2, 7 où l'anthropos formé du limon de la terre reçoit de Dieu le Souffle de Vie. L'Esprit de Dieu ne pouvait demeurer pour toujours dans l'homme soumis à la chair -cf. Gn 6, 3-, et son départ entraîne à son tour la perte de la ressemblance avec Dieu, ainsi par un aveuglement plus grand de son esprit, l'humain sombre dans le polythéisme, l'idolâtrie, et ne connaît plus son créateur. Le rédempteur: Le Sauveur est le nouveau commencement, le nouvel Adam, la seconde racine. Le Christ inaugure pour l'humanité une sorte de "retour à l'origine" sans effacer la liberté qui conditionna la chute. "Il n'est pas difficile de voir qu'en Adam, le premier, était alors figuré le mystère qui concerne le Christ, non pas selon une parfaite égalité typologique, mais différemment et sous forme d'antithèse. 53 Car l'un était pour la race commencement de mort, de malédiction et de condamnation, et l'autre de tout le contraire: vie, bénédiction et justification". Glaph Gen I, 29 Par le Christ sauveur s'effectue le principe du "retour de notre condition vers le commencement pour une vie nouvelle". "Notre nature est retransformée, dans le Christ en premier, pour revenir à la sanctification première". ln Mt 11, 18, Mais bien plus qu'un renouvellement, toute l'œuvre du Sauveur, a pour terme, pour ceux qui le reçoivent, la venue en eux de l'Esprit-Saint en vue de l'adoption divine. "le Sauveur renouvelant en nous le don de l'Esprit fait au premier commencement, par lui nous recevons la gloire de l'adoption afin qu'avec lui [le Christ] nous ayons tous Dieu pour Père, remontant par lui et en lui vers le commencement d'une telle gloire, " Dial Trin VI, 591 Saint Cyrille d'Alexandrie. Comment sommes-nous sauvés: Saint Cyrille met l’accent sur le fait que pour notre Salut, c'est le Logos lui-même qui a pris chair et a assumé tout le poids de la chair. Il résume l’action salvatrice par ces mots: "la Vie a souffert la mort dans sa propre chair pour se manifester comme vie en revivifiant sa chair". En commentant le thème de l'agneau de Dieu Cyrille énonce, les raisons de la venue du Sauveur : "Et voici que celui dont les énigmes autrefois dessinaient la figure, l'Agneau véritable, l'offrande irréprochable, est conduit pour tous à l'égorgement, afin de chasser le péché du monde, afin de bousculer l'exterminateur de la terre, afin de réduire à rien la mort en mourant pour tous, afin de délier la malédiction qui pesait sur nous, afin de faire cesser désormais cette parole: Tu es terre et tu retourneras en terre (Gn 3, 19), afin de devenir second Adam, non de la terre, mais du ciel (cf. Co 15, 47), et de devenir pour la nature humaine commencement de tout bien, délivrance de la corruption survenue, dispensateur de la vie éternelle, fondement de la réformation en Dieu, commencement de la piété et de la justice, voie vers le royaume des cieux". sur Jn 14, 20. Cyrille évoque le thème de la récapitulation cher à saint Irénée sans aller aussi loin. Pour lui récapituler est une sorte de retour à la case départ. Alors que saint 54 Paul parle de récapitulation en Christ "de tout", notre théologien alexandrin s'arrête à la dimension anthropologique et semble limiter la récapitulation à la remise dans l'état primitif de l'Adam. La récapitulation selon Cyrille s'inscrit dans la logique des deux Adam, puisque c'est en tant que second Adam que le Christ récapitule l'humanité en la reprenant pour ainsi dire à son commencement. "Il est donc clair et évident pour tous, je pense, que c'est surtout pour ces raisons qu'étant Dieu issu de Dieu par nature, le Fils unique est devenu homme, afin bien sûr de condamner le péché dans la chair, de tuer par sa propre mort la mort, et de nous rendre enfants de Dieu, en engendrant de nouveau dans l'Esprit, pour une dignité qui dépasse leur nature, ceux qui sont sur terre. Car c'était bel et bien de cette façon-là qu'il était possible de récapituler et de ramener à son état originel la race qui était perdue, c'est-à-dire la race humaine". in Jo 14, 20 Saint Irénée commentant saint Paul parle de la "récapitulation" lui donnant une plus grande ampleur que le titre anthropocentrique de second Adam, en plus il envisage qu'en fait le "second Adam", Christ, est "le premier, le prototype". Cyrille lui, ne s'intéresse pas à la dimension cosmique du Salut, et la récapitulation signifie pour lui essentiellement celle de l'Anthropos, ce qui n'est pas complétement inexact. La récapitulation se développe chez Cyrille en trois modes: - a) moral -, condamner la faute, mettre fin à sa domination, -b) physique - tuer la mort, c'est-à-dire rendre à l'homme l'incorruptibilité qui lui fut donnée, -c) spirituel - réenraciner en l'Anthropos l'Esprit qui le fait enfant de Dieu. Cela s'accomplit essentiellement par l'union de la nature divine avec la nature humaine en Jésus. "en participant de Dieu qui maintient toute chose dans l'être et qui vivifie tout par le Fils dans l'Esprit. C'est pourquoi il a eu en commun le sang et la chair (He 2, 14), c'est-à-dire qu'il est devenu homme, lui, le Logos et Fils unique qui est vie par nature et engendré de celui qui est vie par nature, c'est-à-dire Dieu le Père, afin qu'une fois uni d'une manière indicible, ineffable et que lui seul connaît à la chair qui se corrompait selon sa loi propre, il la ramène à la vie qui lui est propre et la fasse participer, par son intermédiaire, à Dieu le Père". in Jn 14,20 55 Le rôle de l'Esprit est fondamental, il est la source de l'incorruptibilité primitive de l'homme, - In Jo 7, 39- son retour ramène l'incorruptibilité, désormais le Christ emplit entièrement son propre corps de la puissance vivifiante de l'Esprit. "De même donc qu'étant Vie par nature [le Christ] est mort selon la chair à cause de nous, afin de vaincre la mort pour nous, et de coressusciter avec lui toute la nature (car nous étions tous en lui en tant qu'il est devenu homme), de même il reçoit aussi l'Esprit à cause de nous, afin de sanctifier toute la nature. Car il n'est pas venu pour être utile à lui-même, mais afin de devenir pour nous tous "porte", commencement et "voie" des biens célestes". in jn 1,32-33 Saint Cyrille montre que par l'Esprit Saint qui emplissait la chair du logos, la création reçoit la faculté d'être sanctifiée, ce qui concrètement veut dire qu'il reçoit la possibilité d'une nouvelle et entière union à Dieu. "La participation durable à l'Esprit est parvenue jusqu'à nous, en passant par le Christ et en lui le premier, considéré comme nous, c'est-à-dire comme homme, oint et sanctifié, même s'il est Dieu par nature en tant qu'il se montre venant du Père et qu'il sanctifie luimême par son propre Esprit le temple qu'il s'est approprié (cf. Jn 17, 19 et Jn 2, 19), ainsi que toute la création advenue par lui, à qui il revient d'être sanctifiée. Ainsi, c'est comme "commencement" et "voie", pour nous aussi, de notre participation à l'Esprit-Saint et de notre union à Dieu, qu'a été disposé le mystère du Christ: nous sommes tous sanctifiés en lui, selon le mode que j'ai dit." in jn 17,20-21 Cyrille est assez discret sur rédemption. Il dit souvent qu'avec la chute, l'humanité était tombée sous la domination du Satan. Mais il laisse ce sujet et parle encore plus volontiers d'une libération de la mort et de la corruption. Le thème de la rédemption aboutit sur celui de la réconciliation de l'humanité qui se tourne à nouveau vers Dieu et celui du sacrifice offert. Il faut être attentif à ce que dit saint Cyrille: sacrifice ne se réfère pas forcément à la mort du Christ, mais bien à toute sa vie en conformité à la volonté du Père. Le Logos vient greffer sur l'humanité la vie qui lui appartient. La croix est à mettre au compte de la permanence de l'impiété. Saint Cyrille ne prend pas en compte ses prédécesseurs qui outre l'instrument de notre Salut considéraient la dimension cosmique de la croix. Le sang de la croix devient pour nous le sacrifice non sanglant offert "offert pour tous en parfum 56 d'agréable odeur au Père sous le ciel". -cf. Ep 5, 2-, Par lui, le Christ s'acquiert tout ce qui est L'anaphore de saint Marc reprend l'image de Malachie "nous t'offrons ce sacrifice spirituel et non sanglant que t’offrent, Seigneur, toutes les nations de l’orient à l’occident, du nord et du midi. Car ton Nom est grand chez toutes les nations, et en tout lieu, un sacrifice d’encens est présenté à ton saint Nom, un sacrifice pur, une offrande de parfums." Rappelons que nous trouvons chez saint Cyrille deux logiques du Salut. L'une part de la conduite du Christ qui obtient au terme de sa vie terrestre la réconciliation du genre humain avec Dieu. L'autre est moins liée au temps et à l'existence terrestre du Christ, elle tend à insister sur l'assomption de l'humain par le divin dans le Christ, c'est la théologie de la déification ou plus exactement de la "vivification", car Cyrille utilise plutôt ce mot que déification tout en retenant son sens. Etant dans le Logos, devenu pour nous Messie Sauveur, dès la fondation du monde, nous sommes participants à sa vie, sa mort et sa résurrection, comme le dit un petit symbole de la foi de la tradition alexandrine: "le Logos a pris chair, est mort, est ressuscité des morts le troisième jour, il nous a fait ressusciter avec lui". "La mort, ayant englouti l'Agneau venu pour tous, nous a tous recrachés en lui et avec lui. Car nous étions tous dans le Christ qui est mort et ressuscité à cause de nous et pour nous. Nous étions tous dans le Christ". In jn1,29 Recevoir le Salut, c'est participer à Dieu, à la nature divine, par la médiation du Christ. La participation à la nature divine achève la création à l'image de Dieu qui caractérise l'Anthropos, elle est assurée en nous par l'Esprit qui nous déifie: "puisque nous aussi, faits à l'image du Créateur, nous paraissons le mieux préserver cette propriété lorsque, devenus participants de sa divinité par l'Esprit saint qui habite en nous, nous sommes transformés en la nature divine" in Thes 13, Les moyens du Salut à notre disposition: Puisque le Salut provient de notre union au Sauveur et à l'Esprit, nous devenons conformes à eux par notre conduite "à la suite du Christ" et ainsi nous nous débarrassons de la maladie du péché. 57 Le baptême est le premier instrument de notre marche vers le Salut. L'eucharistie sera sa perfection. Les chrétiens sont défiés et adoptés par incorporation dans le Fils. Déification, adoption, incorporation, Cyrille multiple les termes et les comparaisons pour exprimer ces dons de Dieu Le Chrétien s'unit au Christ par la foi et le baptême, par la charité et l'Eucharistie. Jésus est l'idéal du chrétien, il est le modèle de sa conduite. "Au baptême, le croyant naît du Saint-Esprit, car comme l'annonçait saint Jean-Baptiste, le Christ est venu pour nous baptiser dans le Saint Esprit et dans le feu et par là nous faire participer de son Esprit filial. Si nous croyons au Christ, Fils bien-aimé en qui le Père a mis ses complaisances, nous sommes justifiés en lui, nous revêtons le Christ". -sur la foi, à Théodose- [Le Logos] est venu à cause de nous dans notre condition, et n'a pas méprisé la mesure de notre nature, ni rougi de l'indigence de la forme d'esclave -cf. Ph 2, 7-, afin que nous aussi, par la foi en lui et par le saint baptême, devenus participants de l'Esprit -cf. He 6, 4-, nous soyons transformés en adoptant la conduite et le genre de vie qui lui est conforme et resplendissions de l'image de celui qui nous a faits". L'eau baptismale nous purifie de toute souillure, de sorte que nous devenons un temple saint de Dieu et communions à sa divine nature par la participation au Saint-Esprit. La communion eucharistique perfectionne l'action déifiante du Baptême. "Ainsi, mangeant la chair du Christ notre Sauveur à tous, et buvant son précieux sang, nous avons la vie en nous -cf. Jn 6, 54-, étant parfaitement un avec lui -cf. Jn 17, 23-, et demeurant en lui, nous l'avons aussi en nous -cf. Jn 15, 5-. -In luc 22,13Nous verrons l'importance qu'apporte saint Cyrille à la sainte Eucharistie. L'Eucharistie vivifiante Saint Cyrille, pour désigner le mystère de l'eucharistie emploie presque exclusivement le mot "eulogie" avec un adjectif: "mystique " spirituelle" " vivifiante ". Eulogie dans son sens premier signifie "bénédiction avec action de grâce", ce qui concorde avec "Eucharistie". 58 Aujourd'hui les églises orthodoxes réservent "eulogie" aux pains bénis non consacrés distribués à la fin de la divine liturgie, et aussi de tous objets remis en bénédiction (croix, icônes, médailles, eau, huile). Cyrille, dans son commentaire sur saint Jean, invite les fidèles à participer à l'Eulogie pour assurer le Salut et la participation à la vie divine par l'intermédiaire du corps du Sauveur. Dans ses actions et son enseignement, le Logos Incarné s'est servi de son corps comme d'un instrument. Le corps du Christ est devenu vivifiant et sanctifiant en vertu de son union hypostatique avec le Logos. Par le contact matériel de son corps, pain vivant, le Christ transmet la sanctification. La puissance vivifiante de Dieu, c'est le Logos. Le Logos se fit homme <> la chair mortelle qu'il s'unit, il l'immunisa contre corruption et la rendit vivifiante <> Mais il fallait qu'il vînt en nous divinement par le Saint-Esprit et qu'il se mélangeât pour ainsi dire à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux: c'est ce que nous avons en eulogie vivifiante comme dans du pain et du vin. L'Eulogie mystique est le corps vivifiant du Logos Incarné. Commentaires sur saint Luc Plusieurs fragments sur saint Mathieu montrent que l'Esprit Saint est présent dans l'eucharistie, puisque c'est en nous donnant son corps et son sang que le Christ fait habiter l'Esprit dans nos âmes, comme l'incorruptibilité en nos corps. Cyrille parfois se contente d'employer le mot "spirituel" ou "spirituellement", ce qui certainement signifie "dans l'Esprit" "C'est pourquoi, ayant appliqué les paroles susdites [celles de l'eulogie mystique] aux mets de Dieu, nous prions ardemment pour qu'ils soient transformés pour nous en bénédiction spirituelle, afin qu'en participant d'eux nous soyons sanctifiés corporellement et spirituellement". in Mt 26-27 PG 72,452sq Et aussi "Nous avons participé à lui spirituellement et corporellement, car lorsque le Christ habite aussi en nous par l'Esprit Saint et par l'eulogie 59 mystique, c'est alors que la loi du péché est totalement condamnée en nous". in Rom 8,3 Dans d'autres discours, Cyrille est plus précis, il nous confirme qu'il s'agit bien d'une action de l'Esprit saint en nous, et non seulement sur les offrandes: "Nous lui sommes devenus co-corporels par l'eulogie mystique. Mais nous lui sommes unis par un autre moyen: nous sommes devenus participants de la nature divine par l'Esprit. Car il habite dans l'âme des saints, comme le dit le bienheureux Jean : A ceci nous connaissons qu'il est en nous, à l'Esprit qu'il nous a donné". -I Jn 4, 13- . » Glaph Gen 1, 29 , de incarnatione 707 c Jésus disait aux Juifs, en leur annonçant l'eucharistie, "Je suis le pain de vie <> Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle". Saint Cyrille répète à son tour: "La participation au Christ est vie et sanctification". Il revient constamment sur cette idée que le corps eucharistique du Christ donne la vie et l'incorruptibilité à celui qui le mange. "Notre-Seigneur se montre aux Juifs en leur disant : « Je suis le pain de vie », pour leur apprendre que s'ils veulent être immunisés contre la corruption et la mort, ils doivent participer à celui qui a, la puissance de vivifier et qui détruit la corruption et la mort <> Ceux qui reçoivent en eux le pain de vie, auront pour récompense l'immortalité à l'abri de la corruption et de tous les autres maux, ils monteront vers les espaces éternels de la vie selon le Christ". In Joannem, C'est une vie bien supérieure à la vie charnelle et matérielle que nous donne l'Eulogie mystique. C'est la vie en Dieu. "Ceux qui auront reçu le Christ dans la communion goûteront quand même la mort charnelle à cause de leur nature, mais cela ne doit pas les affliger. Ils seront soumis comme les autres à la fin commune de tout homme, mais selon la parole de saint Paul "ils sont vivants pour vivre éternellement à Dieu". PG 73 col 561 Cyrille enseigne que tous ressusciteront, mais la Vraie résurrection, la résurrection pour la Vie, est réservée à ceux qui auront été sanctifiés par le corps 60 du Logos incarné. Il semble que pour notre père que la "vraie vie selon le Christ" serait un don conféré par l'Eucharistie. Dans le commentaire du texte de saint Jean, 6, 54 "Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous" il prend strictement à la lettre la parole de Notre-Seigneur. "Entends-tu comment [Jésus] dit clairement désormais que si nous ne mangeons son corps et ne buvons son sang, nous n'avons pas en nous, c'est-à-dire en notre propre chair, la vie éternelle (cf. Jn 6, 53) ? Et la vie éternelle, on peut considérer à très juste titre que c'est la chair de la Vie, c'est-à-dire du Fils unique. C'est elle qui nous ressuscite au dernier jour (cf. Jn 6, 54) ; comment ou de quelle manière, on peut l'entendre comme on voudra, quant à moi, je n'oserai pas le dire". ln Jo 15, 1 ( Il ne faudrait pas toutefois s'arrêter sur les textes cyrilliens qui affirment la nécessité absolue de l'Eulogie mystique pour le Salut mais plutôt les concilier avec d'autres réflexions qui nous parlent de la participation au Saint-Esprit. A côté de cette dernière participation, la bénédiction de l'Oblation mystique apparaît comme seconde. Nous participons donc au Logos, doublement, en l'Esprit et corporellement. Le Christ veut non seulement habiter en nous spirituellement mais aussi physiquement. Toutefois la communion est réservée à ceux qui sont déjà sanctifiés dans l'Esprit. Il apparait que pour saint Cyrille, la réception de l'eucharistie est conditionnée à la participation au Saint Esprit. Ceci a une certaine cohérence quand nous regardons les rites de l'Initiation Chrétienne dans les Eglises orthodoxes: Baptême, Chrismation, Eucharistie. Les anciens rites syriaques même, placent une première onction du chrême avant le baptême pour montrer que c'est l'Esprit qui conduit le néophyte à la grâce baptismale. La transformation de tout notre être en Christ par l'Eucharistie ne se voit pas et ne se sent pas: c'est un don de Dieu qui n'a rien de matériel ni de palpable. Et pourtant " c'est, nous dit Cyrille, une participation physique". "Il est très vrai que nous sommes unis au Christ selon l'Esprit (Pneumatikos) par la charité parfaite, par la foi simple et droite et par une conscience pure et vertueuse; c'est notre foi que nous ne pouvons pas désavouer. <> Mais oser dire que nous n'avons avec lui aucune union selon la chair c'est se mettre en contradiction flagrante avec les 61 Écritures inspirées. Car c'est bien par le fait de cette union selon la chair, personne n'en peut sagement douter, que le Christ est la vigne et que nous sommes les rameaux, recevant en nous la vie de lui et par lui. <> Pourquoi en effet l'Eulogie mystique pénètre-t-elle en nous? N'est-ce pas pour y faire habiter le Christ corporellement par la communion et la participation de sa chair sacrée? in johanem PG 74 col 341 Cyrille poursuit l'explication du texte évangélique, le pain et le vin sanctifiés ne sont pas une simple image ils ont été changés en toute vérité au corps et au sang du Christ. "Le Seigneur rend grâces en prenant le calice, c'est-à-dire qu'il s'adresse à son Père, par forme de prière, pour se l'associer dans le don qu'il nous fait de l'Eulogie vivifiante. Il nous indique en même temps par son exemple que nous devons, nous aussi, rendre grâces avant de rompre le pain et de le distribuer. C'est pour cela que, plaçant les éléments [pain et vin] devant Dieu, nous prions avec instance qu'ils soient changés pour nous en eulogie spirituelle, afin qu'en les recevant, nous soyons sanctifiés corporellement et spirituellement. Puis il dit en montrant [le pain et le vin eucharistiés]: "Ceci est mon corps" et "Ceci est mon sang" afin que l'on ne s'imagine pas que ce qui paraît est une image mais que l'on sache bien que par la puissance ineffable du Dieu tout-puissant les oblats sont changés véritablement au corps et au sang du Christ. De adoratione PG 72 col 422 L'Eucharistie est capable de vivifier et de sanctifier, parce qu'elle est fondamentalement le moyen suprême pour nous unir à Dieu. " Donc, lorsque nous mangeons le corps du Christ notre Sauveur à tous et que nous buvons son précieux sang, nous avons la vie en nous, parce que nous sommes rendus un avec lui, que nous en lui et que nous l'avons aussi en nous". in Luc PG 72, col 909 "L'union à Dieu ne peut être accordée que par la participation à l'Esprit Saint". in Jah PG 72 col 995 Par "les mains de Dieu le Père", comme dit saint Irénée, -"Le Christ habite en nous par le Saint-Esprit, et par lui-même il nous unit au Père d'une union spirituelle,. P. G. 74, 577 62 -L'Esprit-Saint opère en nous par lui-même, nous sanctifiant vraiment et nous unissant à lui-même, et par conjonction et union de nous à lui, il nous fait participants de la nature divine." Trésor, 34, P. G. 75, Le terme de l'œuvre de notre Salut pour saint Cyrille consiste à cette participation de la nature divine, nous devenons les enfants adoptifs du Père Céleste et les frères de Jésus-Christ. Sur saint Jean, P. G. 73, 153 et P. G. 74, 753. Mais notre filiation et celle du Christ diffèrent infiniment. Il est Fils par nature, nous sommes enfants par participation. Bibliographie: --Cyrille d'Alexandrie – Migne PG 73 sur saint jean - Migne PG 72 sur saint Luc Migne PG 68 sur l'adoration en esprit et vérité Migne PG 69 sur le cantique des cantiques -Marie-Odile Boulnois, L'Eucharistie, mystère d'union chez Cyrille d'Alexandrie, in RSR tome 74, 2000 -Bernard Meunier, Le Christ de Cyrille d'Alexandrie, Théologie historique 104, 1997 Conclusion Nous voici arrivés, après avoir écouté saint Cyrille d'Alexandrie, au terme de cette étude sur l'histoire des chemins de notre Salut, il est temps de conclure. Sans aucunement effacer la notion juive de Salut comme "santé, libération, sécurité, bien-être", le christianisme, avec les premiers pères, renchérit: le projet de Dieu dans sa bonté et sa prescience est que l'Anthropos puisse accéder à la communion avec lui. Le couronnement de l'histoire du Salut est l'accomplissement eschatologique qui fait que l'Anthropos/le genre humain "sera avec Dieu " et trouvera le bonheur parfait, sans fin, dans la vie en union avec Dieu. Les pères basent leur anthropologie sur le paradigme du récit de la création. L’état d’Adam et d’Ève au sortir des mains du Créateur et leur intimité avec lui constitue l'axiome de l’humanité idéale à atteindre. Certains Pères ne distinguent pas l’image et la ressemblance, mais à partir de saint Irénée, cette distinction devient pourtant incontournable: alors que l’image constitue la dimension structurelle de l’anthropos et appartient à sa nature, la ressemblance constitue sa dimension transcendante et se caractérise par 63 l'attachement à Dieu et ses commandements, ceci par la synergie de la grâce de Dieu et la libre volonté de l'Anthropos. Bien que la relation filiale à Dieu soit comme un germe dans la nature humaine, sa mise en activité et son développement relèvent de chaque personne, de sa disposition et de son libre choix. L’image constitue une structure stable et inaliénable, la ressemblance est sujette à variation et n'est pas acquise définitivement dans cette vie. Cependant, nos Pères ne conçoivent pas l’état paradisiaque de la nature humaine comme un état de perfection. Le corps humain et toutes les facultés de l’anthropos comportent des limites, liées à sa condition de créature et aux propriétés de son espèce. Ils voient l’Anthropos en son état originel moins dans un état de plénitude que dans un processus dynamique de perfectionnement. Saint Irénée explique que la chute ou plutôt l'éloignement de Dieu qui entraîne inévitablement un frein au projet divin est survenu peu après la venue à l’existence de l’Anthropos du fait que celui-ci était encore un enfant, peu expérimenté, immature et pouvant donc facilement céder au mauvais penchant. Il démontre aussi qu'après la chute d'Adam, Dieu ne renonce pas à son plan, mais qu'il assure progressivement la réalisation de son Economie. Le péché d'Adam ne mérite pas des dernières rigueurs de la part de Dieu. Adam, c’est-à-dire le genre humain comme le traduit la septante, était encore petit: "II n'avait pas encore le parfait usage de ses facultés, aussi fut-il facilement trompé par le séducteur" Démonstration apostolique. 12-. Si l'instigateur du péché fut maudit, Adam par contre ne fut pas maudit, mais sanctionné pour que la faute ne reste pas sempiternelle: "Dieu chasse l'Anthropos loin de sa présence, l'exila et le fit habiter sur le chemin allant vers le Paradis" Démonstration apostolique. 16. L'essentiel du châtiment pour l'Anthropos réside dans le fait d'être privé de la communion directe avec Dieu. Cependant Dieu n'abandonne pas l'Anthropos à lui-même et si l'amitié s'est refroidie, Dieu est présent et donne des signes de sa présence. Le projet de la déification de l’Anthropos comme fin convenant à sa nature, a été conçu par le Logos avant même la création. Jésus le Christ, participant à la nature divine, assume notre chair, il accomplit dans la nature humaine qu’il a intégralement assumée avec les conséquences du péché mais sans le péché, la guérison de l'Anthropos, c’est-à- dire de tous les hommes de tous les temps tous lieux qu'il récapitule en lui. Cette guérison est habituellement désignée par le mot Salut. 64 Le Salut est également une victoire sur le pouvoir du mauvais, du péché, de la corruption et de la mort qui s’exerçait sur l’Anthropos. Une vie éternelle (zoé) est dès lors re-proposée à l’Anthropos. La vie biologique (bios) qui s’exerçait sur l’Anthropos) n’a pas de valeur absolue, et la mort biologique elle-même devient non seulement un simple point de passage, mais une porte qui ouvre vers l’accès à la vie (zoé) sans fin. À côté du Salut (sotèria), nos Pères distinguent la déification (theôsis), qui consiste pour l’Anthropos sauvé à une communion si intime avec Dieu, qu'il puisse participer à la condition divine conformément à la vocation que Dieu lui a assignée dès l’origine. La déification de l’Anthropos n’est pas d’apparition tardive, puisqu’elle est déjà présente dans les écrits des Pères apostoliques, la Didachè, la Lettre dite de Barnabé, les Épîtres de Clément de Rome. Elle se précise chez leurs successeurs immédiats, Ignace d’Antioche, Justin, Théophile d’Antioche, Irénée de Lyon. Elle se développe chez les premiers Alexandrins, Clément d’Alexandrie, Origène, et demeure en filigrane chez les grands docteurs de l’Église, Athanase d’Alexandrie, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, et avec plus de vigueur par saint Cyrille d’Alexandrie, et Macaire d’Égypte. La doctrine de la déification possède aussi un solide fondement scripturaire néotestamentaire, dans la continuité de l’enseignement vétérotestamentaire. Bien certainement, il ne s'agit pas de la tentation du séducteur qui invite Eve, la Mère de la vie, à être comme Dieu connaissant le bien et le mal par soi-même, selon la désobéissance. La déification, ne nous trompons pas n'est pas une réalité tangible de ce monde mais potentielle, selon cette affirmation de l’apôtre Pierre, par la gloire et la force agissante de Dieu "les biens du plus haut prix qui nous avaient été promis nous ont été accordés, afin que vous deveniez ainsi communiants à la nature divine". -2 P 1, 4-. Saint Paul, sans utiliser le mot nous présente une telle assimilation au Christ, qu'il rejoint saint Pierre: "Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ", Ga 3, 27 et aussi "je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi." -Ga 2, 20-. La doctrine de la déification doit être rattachée à celle de l’adoption filiale de l’Anthropos par Dieu: "Soyez les fils du Seigneur". -Dt 14, 1- tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu.-Rm 8,14,. C'est aussi la condition future où le fidèle participera à l’incorruptibilité et à l’immortalité divines, "Car Dieu a créé l’homme pour l’immortalité, et il l’a créé à son image et ressemblance", Sag 2,23 LXX (Hb à l'image de sa propre nature). "les justes vivront 65 éternellement, et leur salaire est dans le Seigneur, et leur pensée dans le TrèsHaut. C’est pourquoi ils recevront, de la main du Seigneur, un trône de grâce et un diadème de beauté, et il les abritera sous sa droite, et les défendra de son bras. -Sag 5,15, Le juste trouvera la perfection dans la vision de Dieu qui l’assimilera à lui. "Bienaimés, maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté, nous savons que, quand il sera manifesté, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est". -1 Jn 3, 2, il sera glorifié dans sa lumière. La participation aux biens divins est participation au Christ par l’Esprit Saint. L’incorruptibilité et l’immortalité, attributs eschatologiques de l’Anthropos sauvé et déifié, ne sont pas des propriétés de sa nature même, mais des dons de Dieu, de plus, ils ne sont pas reçus seulement par l’âme mais par le corps métamorphosé, et cela par la grâce du Logos qui s’est incarné, a vaincu la corruption et la mort et est ressuscité, permettant à tous les hommes de recevoir en lui, le partage les bénéfices de son économie salvatrice. L’affirmation d’une déification par grâce, certains pères diront aussi, "par participation", permet de préciser que l’Anthropos déifié ne devient jamais dieu par nature ou par essence, mais reste un être humain et une personne humaine. Comme nous dit saint Cyrille d'Alexandrie, la grâce de la déification est acquise à Anthropos par l’économie salvatrice du Christ qui, dans sa personne, a uni la nature humaine à la nature divine, et a transformé, sauvé et déifié notre nature par la puissance de son union hypostatique. L'Anthropos reçoit cette grâce du Salut et de la déification en étant greffés au corps du Christ par le baptême et la divine Eucharistie. Le chrétien doit cependant s’approprier, s’assimiler personnellement cette grâce en s’unissant au Christ, et cela en menant une vie conforme au Christ. La déification s’accomplit pour nous progressivement dans le Christ par le SaintEsprit. La souffrance et la mort perdent, comme le dit l’apôtre Paul, leur "aiguillon". -1 Co 15, 55-. Revenons à saint Irénée: "telle est la raison pour laquelle le Logos s'est fait homme, et Fils de Dieu Fils de l'Homme, c'est pour que l'Anthropos, en se mélangeant au Logos et en recevant ainsi l'adoption filiale, devienne fils de Dieu. -A.H. III, 19, 1 ; aussi A.H. III, 18, 7-. " Car de même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et ont part à sa splendeur, de même ceux qui voient Dieu sont en Dieu et ont part à sa splendeur". -A.H. IV, 20, 5, d'après le texte grec-. Donc selon Irénée la vision de Dieu ne procure pas uniquement le bonheur de la contemplation: elle fait participer les élus à la gloire 66 et à la vie de Dieu. Cette splendeur est Vie. Gardant sa condition de créature, l'Anthropos n'atteint jamais la pleine dimension divine, il ne cessera de grandir de grâces en grâces. ("Epectase" selon saint Grégoire de Nysse). Nous pouvons résumer notre doctrine du Salut avec saint Irénée: "le Salut, c'est être avec Dieu". ¤ Elias-Patrick (LeRoy) © lettre du sanctuaire du prophète Elie 2024 http://coptica.free.fr/ Cette étude est dédiée à la mémoire du Père Pierre Legarto († 21/01/2022) qui au Pays Basque puis en Béarn a servi avec fidélité et amour l'Eglise, maison de Dieu. De gauche à droite: Père Pierre, abba Marcos, abba Athanasios, père Elias-Patrick -octobre 2002- 67