L’alcoolique
croit-il aux
« arrièremondes » ?
DÉC 21, 2023, 4:36
Jacob Elordi, de la série Euphoria, et du film de Sofia Coppola, Elvis.
Jonathan Daudey a publié La Pharmacie de Nietzsche,
L’Harmattan, en mars 2023. Dans cet extrait de la IIIe
partie : « Éprouver la grande santé », chapitre 6 : « Une
philosophie pour les vivants », pp. 163-194 et nous alerte à
l’occasion du Dry january contre l’alcool, « ferment toxique
qui nous fait croire aux arrière-mondes », selon Nietzsche.
2. Par-delà bières et vins : prélude à une
philosophie de l’ivresse (1)
Spontanément, nous serions tentés de dire que
Nietzsche et son œuvre ne sont pas étrangers à la
notion d’ivresse, mais sans vraiment savoir pourquoi,
sans pouvoir l’affirmer au-delà d’une seule impression.
On a raison d’avoir cette intuition car on peut
dénombrer pas moins de 250 occurrences du terme,
aussi bien dans les fragments posthumes, les textes
publiés et les lettres. V(ivre), en quelque sorte. La
difficulté de ce terme d’ivresse est l’usage multiple
qu’en fait Nietzsche, dépendant souvent de la direction
et du sens qu’il souhaite donner. En effet, la multiplicité
des interprétations de cette notion pourrait donner
l’impression de contradictions incommensurables, de
brisures terminologiques impossibles à cicatriser. C’est
pourquoi nous avons choisi une perspective qui
permettra d’ouvrir de nombreuses lignes de fuite, sans
avoir l’ambition de tout dire concernant la notion
d’ivresse. Nous ne pourrons pas tout dire, tout analyser
mais je vais essayer d’ouvrir le plus possible de lignes et
de diagonales afin d’élaborer un panorama de la notion
d’ivresse autour du fil conducteur de l’affirmation et de
la création. Dès lors, il conviendra de faire jouer
l’ivresse contre l’ivresse dans un premier temps, c’està-dire de faire la distinction d’une part entre l’ivresse
comme état d’ébriété fortement critiquée et moquée par
Nietzsche, et d’autre part, l’état d’exaltation affirmative
et créative qui se trouve être un des fils rouges du
réseau notionnel du corpus nietzschéen. En effet, en
raison de l’ambivalence de ce terme, nous poserons une
distinction présente chez Nietzsche, afin de ne pas
confondre ces significations et éviter tout contresens
terminologique.
Notons une décroissance de son usage au fil des années,
partant d’une surabondance du terme dans La Naissance
de la tragédie ainsi que dans certains écrits de la même
période. La raison première que nous pouvons déceler à
cet égard, tant sur le plan conceptuel qu’historique,
c’est l’importance notoire de la figure de Dionysos dans
l’activation du terme d’ivresse, notamment à travers
une approche avant tout esthétique. Ce point occupera
la seconde partie de mon propos en cherchant à
montrer comment l’ivresse se trouve être l’apanage du
dionysiaque. Car, c’est dans et à partir de l’art que
l’ivresse se déplie en tant que processus vital. C’est
pourquoi je reviendrai sur l’acception de cette ivresse à
partir de la figure emblématique de Dionysos afin de
repréciser son sens premier dans les différents textes.
Car, cette mise au point, somme toute brève, permettra
d’interroger ce « Oui » proprement nietzschéen, en tant
qu’il permet justement de montrer en quoi l’ivresse
travaille en souterrain cet acquiescement
inconditionnel à la vie, ou pour parler comme Deleuze,
en faisant de Nietzsche un philosophe de
l’affirmation (2). En effet, la pensée de Nietzsche se
construit aussi autour de l’actif et du réactif, distinction
qui se trouvent au cœur du régime nietzschéen de
l’acquiescement à la vie. C’est pourquoi nous ferons
glisser la notion d’ivresse dans son caractère actif,
notamment en tant qu’elle permet d’invoquer la pensée
de l’éternel retour qui se trouve être, d’après Nietzsche
lui-même, le plus haut degré d’affirmation et
d’acquiescement à la vie.
Dans un premier temps, il faut remarquer que l’ivresse
telle que l’entend Nietzsche ne peut se réduire avec le
fait même d’être saoul, d’être alcoolisé. Il n’y a pas de
développement quelque peu élogieux chez Nietzsche
concernant l’ivresse produite par la boisson, ou de
développement savant de celui qui pratique, comme
nous le pourrions le retrouver dans l’Abécédaire de
Deleuze à la lettre B. Ce n’est seulement que par
extension ou réduction de ce terme que nous pourrions
ne parler que de cet aspect classique et dont la
signification est première pour ce terme. En effet, il est
question des acceptions bien plutôt métaphoriques. Il
faut distinguer dans le texte de Nietzsche, l’ivresse
comme Trunkenheit qui renvoie immédiatement à sa
dénotation alcoolisée et l’ivresse
comme Rausche ou Erfolg, dont les usages souvent
synonymes revoient aux sens métaphoriques qui vont
nous intéresser par la suite et qui sont au cœur de notre
analyse. Lorsque Nietzsche parle de l’alcool ce n’est
jamais pour le louer, à l’image de cette phrase issue
de L’Antéchrist : « Le christianisme, l’alcool — les deux
grands moyens de corruption (3)», ou encore lorsqu’il
qualifie l’alcool de « poison européen (4)» dans Le Gai
Savoir. Les attaques à l’encontre de l’alcool et de l’état
d’ébriété sont multiples et relativement violentes. Un
fragment court et efficace dit son rejet de ce mode
l’ivresse, car on y lit simplement : « Contre l’ivresse
[Gegen den Rausch] (5)». D’un point de vue
biographique, Nietzsche montre comment les méfaits
de l’alcool sur sa personne l’accablent : « Les boissons
alcoolisées me font du mal ; un verre de vin ou de bière
par jour suffit parfaitement pour que la vie me semble
une « vallée de larmes » et de réveils amers (6)».
Ajoutons que notre auteur semble trouver que « Manger
et boire en société [sont] toujours répugnants (7)». Cette
« ivresse agréable des boissons alcoolisées (8)» fait
partie des « choses qu’[il] considère avec dédain (9)».
Nietzsche développe une véritable diét-éthique de
l’alcool et de l’ivresse qui l’accompagne, où les vins sont
en vain (10).
En réalité, cette question de la bière est l’occasion pour
Nietzsche de railler l’esprit Allemand tout entier (11),
notamment lorsqu’il s’exclame : « Que de pesanteur
chagrine, d’avachissement, de moiteur, de négligé
pantouflard, que de bière on trouve dans l’intelligence
allemande ! (12)». Et Nietzsche de moquer à nouveau
David Strauss et son « allégeance » à la bière, symptôme
supplémentaire de « la lente dégénérescence (13)» que
provoque la bière dans l’esprit (14). L’alcool est compris
comme une « drogue » qui abêti et alourdit l’esprit
allemand, en faisant dégénérer la culture allemande
mais aussi sa jeunesse emprise d’un alcoolisme qui
semble généralisé (15). Tellement général, que même
Wagner semble à Nietzsche alourdit par cet esprit
allemand, tel qu’il le déplore dans Ecce Homo :
lorsqu’un jour je me réveillai à Bayreuth. Je crus rêver… Où
étais-je donc ? Je ne reconnaissais rien, c’est à peine si je
reconnaissais Wagner lui-même. Je feuilletais en vain mes
souvenirs […] pas l’ombre d’une ressemblance ! Que
s’était-il passé ? — On avait traduit Wagner en allemand !
Le « Wagnérien » l’avait emporté sur Wagner ! —
L’art allemand ! Le maitre allemand ! La
bière allemande ! (16)
A chaque fois qualifiées d’« allemandes », ces « vertus »
(17) comme Nietzsche les appelle ironiquement, font de
l’alcool un révélateur de l’abrutissement d’un peuple,
de la décadence d’une civilisation, du déclin d’une
culture, ici allemande. Dans un paragraphe d’Aurore,
intitulé « Ivresse et nutrition », Nietzsche s’interroge en
ces termes à propos du « goût populacier qui donne plus
d’importance à l’ivresse qu’à la nourriture » (18):
Les peuples ne sont tellement trompés que parce qu’ils
cherchent toujours un trompeur : c’est-à-dire un vin
excitant pour leurs sens. Pourvu qu’ils puissent se le
procurer, ils se contentent volontiers de mauvais pain.
L’ivresse leur importe plus que la nourriture — voilà
l’appât auquel ils mordront toujours (19) !
En ce sens, la consommation de boissons alcoolisées ne
produit pas une véritable ivresse, ou du moins, un
processus d’ivresse ouvrant sur une création active et
légère, joyeuse et vivante. Non, l’alcool sert à retrouver
une ivresse que plus personne n’arrive à atteindre par
manque de force, de puissance, de volonté. Le désir
d’ébriété témoigne d’un « vide » (20) ou d’un
« sentiment du désert » (21) à combler par la boisson,
pour éviter l’absence d’ivresse et la sécheresse de son
existence, mais qui se trompe de versant
pharmacologique. Là où elle est prise comme un remède
à l’impuissance d’une ivresse vivante, elle se condamne
à n’être qu’un poison, qui tourmente l’esprit, chagrine
le corps. Il n’y a pas de bonté du vin ou de gloire de la
bière, mais véritablement, chez Nietzsche, un marqueur
navré et stupéfait de cet alcoolisme qui singe l’ivresse,
de cette ivresse qui n’en a que le nom et peut-être
l’effet artificiel, faux, illusoire. Si nous pouvons faire ce
lien avec l’ébriété comme illusion d’ivresse, c’est parce
que cette ivresse factice a le même usage que certaines
représentations qui « remplissent le même office que le
vin » (22) car « elles exaltent, réjouissent, réconfortent,
mais à hautes doses elles engendrent l’ivresse et à doses
répétées un besoin dont l’insatisfaction rend la vie
désolée et intolérable » (23). C’est à cet égard que
christianisme et alcool détiennent selon Nietzsche le
même statut pharmacologique de poison ou de drogues,
car il affirme que ce besoin de spiritualité est similaire à
ce besoin d’enivrement alcoolisé (24).
Nietzsche appelle cela « nos petites jouissances » (25),
avec aussi le travail, le sacrifice, le fanatisme, la
connaissance…etc., qui sont en réalité des tromperies,
des mensonges à nous-mêmes, des « ruses de
comptables » (26) et qui « provoque des saturnales »
(27). Nous croyons qu’en multipliant les variétés
d’enivrements nous augmenterons notre jouissance. Or,
cette morale utilitariste n’est pour Nietzsche qu’un soin
palliatif qui ne sert qu’à faire « contrepoids à ce vide »
(28) ou « à remplir ce vide » (29). La « tentative de
dépasser cet état par l’ivresse » (30), c’est-à-dire de
tenter de répondre à la question « où et comment
fuir ? », ne peut en passer par cet ersatz d’ivresse selon
Nietzsche, car elle est l’expression même de la
« faiblesse de la volonté » (31), là où l’ivresse doit se
constituer en tant que processus de vie, de création, de
force, de puissance, d’affirmation.
C’est bien plutôt à partir de ces acceptions
métaphoriques nombreuses et riches qu’il nous faut
débuter notre analyse. L’ivresse doit se comprendre ici
dans le déménagement de sens que produit le travail
interprétatif nietzschéen. Car, « l’homme […] atteinte la
volupté d’exister dans deux états, le rêve et l’ivresse »
(32) comme l’écrit Nietzsche. Laissons pour le moment
de côté le rêve comme dimension apollinienne, car c’est
« l’art dionysiaque au contraire [qui] repose sur le jeu
avec l’ivresse, avec l’extase » (33). Mais, comme je le
remarquais dans l’introduction, si c’est dans
la Naissance de la tragédie et dans les fragments de la
même période que les occurrences sont les plus
foisonnantes, c’est parce que le point de départ du sens
de l’ivresse se trouve dans la « psychologie de l’artiste »,
c’est-à-dire dans la logique qui est à l’œuvre dans l’acte
de la création artistique. Il faut ici considérer le terme
de « logique » avec prudence, puisque Nietzsche
condamne la logique comme discipline contraire au
fonctionnement même du vivant. Si l’ivresse se trouve
être une pièce maitresse de la logique de la création
artistique chez Nietzsche c’est justement parce qu’elle
contrevient clairement à toute logique classique et à
toute dialectique de type hégélienne. D’une certaine
manière, la condition nécessaire pour qu’il y ait art,
c’est-à-dire création, c’est la présence d’une ivresse en
l’homme, trouvant son origine là où elle peut être
produite, diffusée, exploitée. Avant de nous saisir de
tout l’appareil nietzschéen ainsi que des figures
« bipolaires » (34) concernant la dimension esthétique
de son œuvre, il faut nous arrêter sur un texte central
que nous trouvons dans le Crépuscule des idoles, un
développement des plus clairs sur une possible
explication du sens de l’ivresse, dont je vous donne ici
l’extrait en lecture et à partir duquel nous déplierons
l’ivresse à la manière d’un origami :
A propos de la psychologie de l’artiste. Pour qu’il y ait de
l’art, pour qu’il y ait un acte et un regard esthétique, une
condition physiologique est indispensable : l’ivresse. Il faut
d’abord que l’excitabilité de toute la machine ait été
rendue plus intense par l’ivresse. Toutes sortes d’ivresses,
quelle qu’en soit l’origine, ont ce pouvoir, mais surtout
l’ivresse de l’excitation sexuelle, cette forme la plus
ancienne et la plus primitive de l’ivresse. Ensuite, l’ivresse
qu’entraînent toutes les grandes convoitises, toutes les
émotions fortes. L’ivresse de la fête, de la joute, de la
prouesse, de la victoire, de toute extrême agitation,
l’ivresse de la cruauté, l’ivresse de la destruction —
l’ivresse née de certaines conditions météorologiques (par
exemple le trouble printanier), ou sous l’influence des
stupéfiants, enfin l’ivresse de la volonté, l’ivresse d’une
volonté longtemps retenue et prête à éclater. L’essentiel,
dans l’ivresse, c’est le sentiment d’intensification de la
force, de la plénitude (35).
Ce paragraphe cherche à lister les modes d’ivresses et
leurs sources possibles ayant toutes le même sentiment
commun, ce que Nietzsche appelle « intensification de
la force » (36). De plus, notons que l’usage de
stupéfiants pour mener à l’ivresse n’est qu’une modalité
et non pas le cœur fondamental de ce sentiment. Si
l’ivresse nietzschéenne a tout de même un lien avec ce
mode trivial de l’ivresse c’est à travers la sensation qui
traverse le corps, qui libère l’esprit et gonfle les
muscles, comme une tornade ou un tourbillon qui
s’empare violemment de soi. Excitation sexuelle,
grandes convoitises, émotions fortes, fête, joute,
prouesse, victoire, agitation, cruauté, destruction,
printemps sont autant de moments où un corps peut
être transi de cette ivresse, ce moment où nous nous
sentons emportés hors de nous, de manière extatique.
Notons tout de même une progression dans la pensée
nietzschéenne concernant la thématisation des
perspectives sur l’ivresse. En effet, dans son texte de
jeunesse intitulé La vision dionysiaque du monde, il
réduit l’ivresse à seulement deux sources, que sont
« l’instinct printanier et la boisson narcotique » (37).
Nous remarquons que si la question du rapport entre la
boisson et l’ivresse ne demeure en fin de compte qu’un
aspect anecdotique de l’ivresse, Nietzsche exprime tout
de même le projet de l’ivresse en affirmant qu’« un
nouvel exposé de l’esthétique devra partir du fait que
l’homme prend plaisir à toutes les stimulations de
l’âme en tant que telles, qu’émotions justement, même
aux plus douloureuses : il veut l’ivresse. L’art en se
jouant l’émeut à la douleur, aux larmes, à la colère, au
désir, mais sans fâcheuses conséquences pratiques »
(38). Voilà la différence entre « l’instinct printanier et la
boisson narcotique » (39). Ce qui signifie
immédiatement que Nietzsche observe la sensation de
l’ivresse indépendamment de sa cause, tant qu’elle n’est
pas factice comme celle produite par l’alcool
notamment : qu’importe la provenance pourvu qu’il y
ait de l’ivresse. Néanmoins, cette intensification de la
force promet une énergie à la vie, en lui prodiguant un
mouvement qui dépasse le sujet tout en le conservant
dans son corps. Le texte nous engage à revenir sur la
question esthétique, car l’ivresse se constitue comme
une condition nécessaire de l’art et de la création. Or,
l’art est une perspective de l’ivresse et non pas sa
condition : la figure de Dionysos que nous allons
progressivement invoquer n’est pas chasse gardée de
l’art, bien qu’elle se déploie dans les pages de
La Naissance de la tragédie. Néanmoins, l’ivresse permet
de récuser un certain type de conception de la création
artistique de l’époque de Nietzsche et qui deviendra la
source de l’art wagnérien, en tant que mettant en scène
en jeu l’ivresse de la force, de la puissance, de la
victoire, de la création, de la destruction. Lisons ce
passage de « Richard Wagner à Bayreuth » :
chez Wagner, toutefois, les proportions sont plus amples,
plus long est le chemin parcouru. Tout participe à cette
purification et l’exprime, non seulement le mythe mais
aussi la musique ; je trouve dans l’Anneau du Nibelung la
musique la plus morale que je connaisse, dans la scène par
exemple où Brunhilde est éveillée par Siegfried ; Wagner
accède là à une hauteur et à une sainteté dans l’émotion
qui évoque le flamboiement des glaciers et des sommets
enneigés des Alpes —, la nature se dresse là si pure et si
solitaire, si inaccessible et si impassible, illuminée par
l’amour ; les nuages et les orages, et même le sublime sont
au-dessous d’elle. Si de là nous jetons un regard en arrière
sur Tannhäuser et le Hollandais, nous sentons comment
s’est fait l’homme Wagner : ses débuts sombres et anxieux,
sa quête impétueuse de satisfaction, sa recherche obstinée
de la puissance et de l’ivresse du plaisir, et bien souvent,
son dégoût, ses tentatives de jeter bas le fardeau, ses désirs
d’oublier, de se nier, de renoncer — le torrent tout entier se
précipitait tantôt dans une vallée, tantôt dans une autre et
se creusait un chemin dans les gorges les plus profondes
(40)
En ce sens, l’ivresse n’a rien à voir, par exemple, avec
l’inspiration romantique. Cette intensification n’a pas
de transcendance verticale mais est purement
immanente à la vie. En d’autres termes, l’ivresse permet
d’écarter l’idée même d’un génie en art qui consisterait
en « un miracle tout à fait démesuré (41) ». L’ivresse
répond de l’art dans la mesure où justement elle se vit
dans le corps, comme un décuplement des forces et de
l’énergie vitale. Il y a un vitalisme — non-bergsonien —
chez Nietzsche que l’on retrouve exprimé dans cette
notion d’ivresse. L’ivresse est vitale car elle engendre,
parce qu’elle crée et se diffuse, c’est-à-dire qu’elle met
le corps de l’artiste en mouvement, en action, en le
traversant et en l’animant. En effet, c’est l’idée appuyée
à la suite par Nietzsche lorsqu’il réaffirme la définition
en écrivant que l’ivresse « [est] ce sentiment qui pousse
à mettre de soi-même dans les choses, à les forcer à
contenir ce qu’on y met, à leur faire violence (42) ».
Dans un fragment posthume d’automne 1887 intitulé
« Aesthetica », Nietzsche énumère « les états où nous
mettons une transfiguration et une plénitude dans les
choses et les élaborons imaginativement jusqu’à ce
qu’elles réfléchissent notre propre plénitude et notre
propre plaisir de vivre (43) », parmi les lesquels nous
retrouvons « l’ivresse » (44). Elle fait partie des trois
éléments essentiels avec l’« impulsion sexuelle » (45) et
la « cruauté » (46) comme « prédominants chez
l’« artiste » dans son état initial » (47). Nous
remarquons l’importance donnée à la puissance, à la
force comme moteur premier de la création artistique et
son expression. Nietzsche poursuit alors son propos, ce
qui peu à peu va nous amener à considérer la figure
philosophique et esthétique de Dionysos :
Dans cet état, l’on enrichit tout de sa propre plénitude,
tout ce que l’on voit, tout ce que l’on veut, on le voit gonflé,
tendu, fort, plein à craquer de force. L’homme qui connaît
cet état transfigure les choses jusqu’à ce qu’elles lui
renvoient l’image de sa puissance : jusqu’à ce qu’elles ne
soient plus que des reflets de sa perfection. Ce qui l’oblige à
tout transfigurer, à tout rendre parfait, c’est l’art. Même
tout ce qu’il n’est pas devient, malgré tout, pour l’homme
une occasion de jouir de son être dans l’art ; l’homme tire
jouissance de se voir parfait (48).
Nietzsche installe l’importance du lien entre puissance
et transfiguration au cœur de l’ivresse et de ce qu’elle
produit en l’homme. Ceci permet d’éclairer l’idée selon
laquelle à travers l’ivresse dionysiaque « l’homme n’est
plus artiste, il est devenu œuvre d’art (49) ». L’acte de
création se combine avec un acte de transfiguration
réclamant une force que l’on trouve dans l’ivresse. C’est
à travers ce geste, à travers cet acte de création que la
figure de Dionysos peut être invoquée en tant qu’elle
absorbe les aspects fondamentaux joignant ivresse,
création artistique et affirmation. Cette liaison
s’exprime de cette manière : « la création de l’artiste
dionysiaque est un jeu avec l’ivresse (50) ». L’opération
qui permet à l’artiste de rejoindre ivresse et création
dans son activité est un jeu, ajoutant au caractère à la
fois léger et non systématique qui travaille le geste de
création. En ce sens, l’ivresse est un vécu, c’est-à-dire
que c’est dans mon corps que je suis traversé par ces
diagonales, par ces vrilles que j’éprouve comme
sensation d’ivresse : en effet, Nietzsche insiste sur le
fait que « cet état ne peut être compris que par analogie,
si on ne l’a pas soi-même éprouvé : c’est quelque chose
comme lorsque l’on rêve et qu’en même temps on sent
que le rêve est rêve » (51), ajoutant que « le serviteur de
Dionysos doit être en état d’ivresse et en même temps
rester posté derrière soi-même comme un guetteur. Ce
n’est pas dans l’alternance entre lucidité et ivresse,
mais dans leur simultanéité, que se fait voir l’état
esthétique dionysiaque » (52). De ce fait, ce jeu se
présente non pas comme une posture artificielle mais
comme un processus recouvrant lucidité et ivresse,
conscience et spontanéité, réflexion et activité, sans
que l’un empiète sur l’autre, ou le remplace, ou
disparaisse.
Dès lors, la présence de la figure de Dionysos, ainsi que
son contradictoire Apollon, permet de thématiser ces
processus vitaux de la création et de constituer cette
superposition nécessaire et fondamentale, se situant
tout au long de la création, d’une œuvre d’art ou d’une
philosophie. Dès le premier paragraphe de La Naissance
de la tragédie, Nietzsche annonce l’emprunt de ces deux
dieux grecs de l’Antiquité. Ces deux figures, qui vont
être au cœur de cette ouvrage majeure et inclassable,
sont à comprendre comme deux « pulsions artistiques
(53)», c’est-à-dire que c’est leur expression et
dimension symboliques qui vont être actives. L’artiste
se trouve aux prises d’une lutte entre ces deux
impulsions esthétiques et de création. Il faut insister sur
un point : l’apollinien et le dionysiaque n’ont pas le
même statut conceptuel que la représentation et la
volonté chez Schopenhauer, ou la chose en soi et le
phénomène chez Kant (54). Ni l’apollinien ni le
dionysiaque ne sont des essences qui s’excluent
mutuellement de manière purement critique. Par-delà
cette discrimination terminologique au cœur du geste
artistique, ces deux figures sont des impulsions qui
marchent de front et s’affrontent pour la domination
d’une typologie sur l’autre. Dès lors, pour le dire
brièvement et schématiquement, l’ivresse dionysiaque,
quand elle prend le pas sur le rêve apollinien, semble
faire disparaitre les belles apparences ordonnées.
Néanmoins, il serait un raccourci d’en conclure que
nous aurions un meilleur accès à la réalité ou à une
vérité du monde. Au contraire, la conception
dionysiaque nous amène vers un Abgrund, c’est-à-dire
bien plutôt un souterrain indéchiffrable ou un abîme
sans fond « insondable » (55). Au lieu de parler
de Grund, Nietzsche utilise bien plutôt l’idée d’un
souterrain [Untergrund] ou d’un arrière-fond
[Hintergrund], ce qui n’engage pas nécessairement
l’intervention classique d’une prétendue plus grande
profondeur de l’un par rapport à l’autre. En ce sens, il
faut se souvenir que Nietzsche est aussi un philosophe
de la marge, mettant en scène l’image de la taupe
comme au début d’Aurore. Cette marge immanente peut
prendre la forme d’un souterrain, d’un lieu enraciné
dans le sol, sans pour autant signifier que la profondeur
serait une vertu. Comme le montre Deleuze (56), l’art
est compris avant tout par Nietzsche comme « stimulant
de la volonté de puissance » et « excitant du vouloir ».
Les descriptions et références aux fêtes grecques — qui
n’ont rien des fêtes allemandes — témoignent de cette
immense excitation, de cette force qui doit
accompagner la création artistique mais aussi la vie
elle-même, en tant qu’elle est à proprement parler
volonté de puissance. De ce fait, Nietzsche précise que
« dans l’état dionysiaque, au contraire, c’est l’ensemble
de la sensibilité qui est excité et exacerbé au point de
décharger d’un seul coup ses moyens d’expression et
d’intensifier à la fois son pouvoir de représentation,
d’imitation, de transfiguration, de métamorphose, tous
les modes de l’art du mime et du comédien (57)».
C’est à travers ces différentes analogies aux ivresses
ainsi qu’à ses métamorphoses par le biais desquelles
l’ivresse dionysiaque se communique que nous devons
comprendre comment l’ivresse du dionysiaque se
précise comme processus et non comme essence.
Ajoutons à cela que l’art n’a rien de désintéressé, c’està-dire que je ne suis pas spectateur de la beauté sans un
intérêt. Or, cet intérêt, Deleuze appuyant Nietzsche, ne
doit pas être compris de manière réactive et négative,
mais dans un accroissement de la volonté de puissance
et du sentiment de force. En guise d’expérience
personnelle pour appuyer cette idée, Nietzsche décrit la
manière dont se vit l’ivresse, notamment à travers un
fragment dans lequel il exprime sa gratitude après la
lecture de Siegfried Lipiner, un auteur autrichien qui
l’aura impressionné, lui et Wagner : « Le plus beau
succès quand on est forcé de poser le livre — reprendre
haleine ; larmes d’intense ravissement, ivresse de nager
dans des flots d’harmonie qui vous font fermer les yeux,
comme plongeant dans les profondeurs bleues de la mer
italienne ; cette mélancolie dans le saisissement de voir
plus loin que nous-mêmes, humiliés à nos propres
yeux. (58)» L’ivresse dionysiaque est cet excitant du
vouloir, qui combine « horreur » et « extase délicieuse »,
tel que Nietzsche le présente en ces termes :
Si nous ajoutons à cette horreur l’extase délicieuse que la
rupture du principium individuationis fait monter du fond
le plus intime de l’homme, ou même de la nature, alors
nous nous donnerons une vue de l’essence du dionysiaque
que l’analogie de l’ivresse nous rendra plus proche encore.
Que ce soit sous l’influence du breuvage narcotique dont
parlent dans leurs hymnes tous les hommes et les peuples
primitifs, ou lors de l’approche puissante du printemps qui
traverse la nature entière et la secoue de désir, s’éveillent
ces émotions dionysiaques qui, à mesure qu’elles gagnent
en intensité, abolissent la subjectivité jusqu’au plus total
oubli de soi (59).
Dans l’ivresse, je m’oublie moi-même je disparais, que
je sois créateur ou spectateur, je me situe dans une pure
immédiateté vis-à-vis de ma vie, sans décalage, dans
une extase immanente à ma propre vie dans sa pure
affirmation d’elle-même. C’est le sens de cet oubli de
soi doublé d’une rupture du principe d’individuation.
Mais il faut être prudent sur ce point dans le rapport
que Nietzsche entretient à l’art, notamment en ce qui
concerne la musique : si nous suivons la célèbre maxime
33 du Crépuscule des idoles qui déclare que « sans la
musique, la vie serait une erreur », cela ne génère pas
chez Nietzsche le projet d’inonder le monde de musique
dans le but d’accroitre l’ivresse comme affirmation et
intensification de la volonté. Ce serait faire de
Nietzsche un « philistin de la culture », tel qu’il les
désigne ainsi : « Voici des hommes qui voudraient
rendre le monde entier ivre de musique et qui pensent
que ce serait l’avènement de la culture ; jusqu’à présent,
pourtant, après l’ivresse venait toujours autre chose que
la culture (60)». Il faut à nouveau être méfiant d’une
perspective utilitariste de l’ivresse de la musique, de la
fête, qui voudrait à nouveau se constituer non pas
comme devenir-actif mais comme pure réaction. Ce qui
hiérarchise une œuvre musicale ce n’est pas tant sa
place dans la culture ou dans la morale, c’est son
aptitude à générer une ivresse qui déplie en soi, avec
plus ou moins de violence et d’enthousiasme, tel que
Nietzsche l’exprime ici : « La meilleure musique n’est
que peu de chose, si la voix et l’art d’un chanteur, d’une
cantatrice ne nous plongent dans une douce ivresse —
dans ce cas-là une musique médiocre se trouve
indiciblement relevée ! (61) ».
Dès lors, si l’ivresse permet de donner son sens
véritable à l’art en tant qu’affirmation et création,
quelle serait la position authentiquement contraire à
l’art ? Existe-t-il des artistes qui s’en excluent ? En
effet, l’introduction de sa dimension culturelle amène à
penser qu’il existerait peut-être dans la pensée de
Nietzsche des adversaires de l’art, c’est-à-dire des
artistes qui détourneraient l’art vers d’autres intérêts et
d’autres forces réactives et négatives. A cet égard,
Nietzsche insiste à nouveau dans Humain trop humain :
« Le génie ne fait rien que d’apprendre d’abord à poser
des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des
matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme.
Toute activité de l’homme est compliquée à miracle,
non pas seulement celle du génie : mais aucune n’est un
« miracle » (62)». Comme nous le montrions
précédemment, s’il y a génie ce n’est pas tel que
conceptualisé classiquement, comme pénétré par une
grâce ou une lumière divine et transcendante, dont
l’artiste ou le philosophe ne seraient que des pantins.
Cette position vis-à-vis de l’art serait proprement antidionysiaque et « chrétienne » :
Il serait licite d’imaginer un état contraire, un caractère
spécifiquement anti-artistique de l’instinct, une manière
d’être qui appauvrisse les choses, les vide de leur
substance, les anémie. Et, de fait, l’Histoire est riche en
semblables anti-artistes, insatiables voraces, en affamés
de la vie, qui ne peuvent s’empêcher de consommer les
choses, de les dévorer, de les décharner. C’est, par
exemple, le cas du vrai chrétien ainsi Pascal. Un chrétien
qui serait également artiste, cela n’existe pas. Que l’on ne
pousse pas la puérilité jusqu’à m’objecter Raphaël, ou
aucun des chrétiens homéopathes du XIXe siècle. Raphaël
disait « oui », Raphaël faisait « oui » de tout son être par
conséquent, Raphaël n’était pas chrétien… (63)
Nous voyons combien l’ivresse, dans son versant
dionysiaque et esthétique tend vers un refus de la
négation du monde, du corps, de l’immanence, de la
réalité. Or, même s’il y a un certain réalisme dans la
pensée de Nietzsche, qui nous amène à penser la
question de l’éternel retour en tant que forme
d’acquiescement à la vie. Néanmoins, il faut dès à
présent interroger ce que Nietzsche entend par « dire
oui » et « faire oui ». Raphaël sert ici d’impulsion, de
type de cette affirmation travaillant l’art à partir de
cette ivresse affirmatrice. Car, comme nous l’avancions
précédemment, l’ivresse n’est pas l’apanage de la
question esthétique, bien qu’elle y trouve une de ses
sources qui active ce processus. Le paradoxe est fort :
malgré les représentations religieuses que Raphaël a pu
produire, il n’est pas chrétien, c’est-à-dire réactif. Que
faut-il alors comprendre à travers cette ivresse comme
énergie du Oui ?
3.Dire Oui : éternelle affirmation et volonté vers la
puissance
Si Nietzsche annonce une
métaphysique esthétique dans La Naissance de la
tragédie, nous pouvons attribuer à l’ivresse, ainsi qu’à
son versant dionysiaque, l’idée d’une esthétique de
l’existence et de la vie. En effet, dans sa « Dédicace à
Richard Wagner » qui ouvre ce texte, Nietzsche affirme
qu’il tient « l’art pour la tâche suprême et l’activité
proprement métaphysique de cette vie » (64). L’ivresse,
en question de manière centrale dans le propos
esthétique de Nietzsche, glisse peu à peu vers ce que
nous avons appelé avec Deleuze, une philosophie de
l’affirmation qui se trouve être une éthique. Elle prend
son sens à travers un travail interprétatif et évaluateur
de la vie, visant un acquiescement à la vie. Qu’est-ce
que cette herméneutique de l’affirmativité ? Nietzsche
nous convie à multiplier les « oui ». Il ne faut pas
seulement se contenter de jeter ce soupçon
hyperbolique à la face aux choses, c’est-à-dire une
critique qui serait purement réactive. L’affirmativité
nietzschéenne va jusqu’à cet effort, cette endurance qui
nous pousse à ne pas se résigner aux illusions, mais à
leur dire oui comme illusions vitales, en comprenant
une illusion vitale en tant que force qui va dans le sens
de la vie. On est confronté à du simple, de l’immédiat
chez Nietzsche, qui s’avère extrêmement
problématique. C’est pourquoi il faut comprendre qu’un
agencement est vrai s’il favorise la vie dans la mesure
où toute solution est en fin de compte le problème. Dès
lors, Nietzsche n’est pas seulement un pourfendeur
d’idoles et la philosophie à coups de marteau ne peut se
réduire qu’à un geste de pensée réactif, négateur et
destructeur. L’importance de la création et de l’activité
est primordiale. Le marteau conserve bien évidemment
son rôle niant et négateur, car tout oui est précédé d’un
non d’une certaine manière ; mais, ce marteau doit être
compris à la manière de l’outil du sculpteur par
exemple, qui est contraint à détruire de la matière afin
de laisser apparaitre une création ; ce marteau est aussi
celui du piano forte, qui vient frapper la corde tendue,
générer un déséquilibre qui ouvre une résonance créant
ainsi un son, un accord. Philosopher à coups de marteau
ou à l’aide d’un marteau ne peut se réduire à une
activité de destruction, car tout travail critique doit
ouvrir sur de l’affirmatif, de l’actif, sur un Oui. A cet
égard, Nietzsche lève son verre aux voeux de Nouvel An,
comme pour faire un chèque en blanc à la vie ellemême, sans pour autant faire de Nietzsche un
philosophe réactif ou réactionnaire (65) :
Pour la nouvelle année. — Je vis encore, je pense encore :
je dois vivre encore, car je dois encore penser. Sum, ergo
cogito : cogito : ergo sum. Aujourd’hui, chacun ose
exprimer son vœu et sa pensée la plus chère : soit ! Je
veux donc dire moi aussi ce qu’aujourd’hui je me
souhaitais à moi-même et quelle pensée a cette année
été la première à traverser mon cœur – quelle pensée
doit être le fondement, la garantie et la douceur de
toute pensée à venir ! Je veux toujours plus apprendre à
voir la nécessité dans les choses comme le beau – ainsi
serai-je l’un de ceux qui rendent belles les choses. Amor
fati : que cela soit à présent mon amour ! Je ne veux
mener aucune guerre contre le laid. Je ne veux pas
accuser, je ne veux pas même accuser les accusateurs.
Que détourner le regard soit mon unique négation ! Et,
en tout et pour tout, et en grand : je veux, en n’importe
quelle circonstance, n’être rien d’autre que quelqu’un
qui dit oui (66).
C’est dans la pensée de l’éternel retour que toute la
question de l’ivresse comme intensification de la force
et comme volonté acquiescement à la vie. Car, si
l’éternel retour se formule comme un défi qui nous est
lancé afin de savoir si nous aimons la vie dans une telle
affirmation que nous pouvons en désirer, en vouloir le
retour à l’identique, il faut aussi comprendre l’éternel
retour en tant que force de création et de transvaluation
des valeurs.
Dans Ecce Homo, Nietzsche produit un travail
d’explications, autant de clarification que de comptes à
régler. Il écrit, lorsque vient le moment d’interroger
l’écriture d’Ainsi parlait Zarathoustra que « la
conception fondamentale de l’œuvre, l’idée de retour
éternel, [est] la forme la plus haute d’acquiescement qui
puisse être atteinte » (67). Avec clarté, Nietzsche tue
dans l’œuf les possibles interprétations évaluant
l’éternel retour comme doctrine et comme théorie
cosmologique. Il y a une véritable éthique de l’éternel
retour, une sorte de test que les hommes s’infligent et
dont les annonces, dans Zarathoustra ainsi qu’au
paragraphe 341 du Gai Savoir, sont de véritables
tragédies pour ceux qui reçoivent cette annonce. En
effet, s’il y a une philosophie morale chez Nietzsche, ce
n’est certainement pas au sens des morales de la
métaphysique occidentale, ni celle des grands
moralistes français (Chamfort, La Bruyère, La
Rochefoucauld), car réactive pour les premiers et trop
simplement soupçonneuse pour les seconds : il y a une
activité affirmative qui se joue et s’évalue au cœur
même de l’éternel retour comme plus haut degré
d’acquiescement, comme Grand Oui. C’est ce que
Nietzsche raille et dénonce dans le livre premier du Gai
Savoir. C’est le type du nihilisme, l’expression de « la
volonté de néant » (68), qui n’est autre que le devenirréactif des forces et dont l’éternel retour permet la
destruction active, dans son geste propre de « négation
active » (69) et « puissance affirmative » (70). Agir dans
sa vie dans un acquiescement total, affirmant un « oui »
qui rend soutenable la légèreté de l’être, voici l’impératif
catégorique nietzschéen de la pensée de l’éternel retour
qui ne peut trouver sa source et sa raison dans une
ivresse, presque folle et tournoyante. Deleuze écrit en
ce sens que « l’éternel retour donne à la volonté une
règle aussi rigoureuse que la règle kantienne » (71)
puisque « l’éternel retour est la nouvelle formulation de
la synthèse pratique : Ce que tu veux, veuille-le de telle
manière que tu en veuilles aussi l’éternel retour » (72).
Nous retrouvons dès lors la puissance ou la force active
de l’ivresse première qui se traduit dans la perspective
d’une pensée de l’affirmation et d’une volonté
d’acquiescement à la vie comme puissance du devenir,
Nietzsche évoquant « la volonté d’ivresse » (73), une
forme de la volonté de puissance propre aux « nouvelles
Lumières [die Neue Aufklärung] (74)».
Débordante de courage, la plus vivante et la plus
affirmative : c’est en ce sens que l’ivresse se trouve au
cœur de l’éternel retour en tant qu’elle est son
processus, ce qui permet à la vie d’ouvrir des
perspectives actives, affirmatives, qui veulent. C’est à
cet endroit que l’éternel retour se présente comme
volonté de transvaluation c’est-à-dire création de
nouvelles valeurs, sur le mode esthétique vers une
éthique, où le philosophe se fait artiste dans son geste
de législateur : il doit créer des valeurs. Deleuze le
montre clairement en disant que « l’éternel retour fait
du vouloir quelque chose d’entier » (75) dans la mesure
où « la pensée de l’éternel retour élimine du vouloir tout
ce qui tombe hors de l’éternel retour » (76) en faisant
« du vouloir une création » (77), en effectuant l’équation
« vouloir = créer ». Tel que l’annonce Zarathoustra, « ce
monde devant lequel vous vous pouvez agenouiller,
encore le voulez créer (78) ; c’est là votre espérance
ultime et votre ultime ivresse » (79). Transformer les
valeurs c’est leur offrir une nouvelle forme, déracinées
du sol malade dans lequel elles étaient plantées. Or, en
botanique, quand une plante est malade, rien ne sert de
la planter la tête en bas, mais il faut changer son terreau
— il faut la trans-vaser et lui offrir une nouvelle éthique
affirmative et créatrice, qui veut la vie, qui veut
l’ivresse.
4.Éradiquer le bonheur, prescrire la joie
Il nous faut alors un corps ivre et jamais ivrogne, ne
cherchant pas à être créatif par le biais du récréatif. Car,
même si, comme le soulève Camus à juste titre,
« L’évolution du corps comme celle de l’esprit a son
histoire, ses retours, ses progrès et son déficit » (80), il
est nécessaire que considérer que « c’est sur ce
balancement qu’il faudrait s’arrêter : singulier instant
où la spiritualité répudie la morale, où le bonheur naît
de l’absence d’espoir, où l’esprit trouve sa raison dans le
corps. S’il est vrai que toute vérité porte en elle son
amertume, il est aussi vrai « que toute négation
contient une floraison (81) de « oui » ». Réjouir le corps
c’est avant tout le faire jouir. Manger, danser, nager,
marcher, humer, respirer, dormir, aimer sont autant de
palliatifs à la douleur de vivre et l’angoisse de penser,
c’est-à-dire des nourritures philosophiques en tant que
la philosophie trouve dans la douleur et l’angoisse son
tremplin et son impossibilité. C’est pourquoi il est de
bon ton de revenir sur une notion majeure sous laquelle
la philosophie a souvent flanché, par laquelle elle s’est
souvent laissée aveugler par son flou caractéristique : le
bonheur.
Toute l’inefficience de la notion de bonheur, dans la
sphère purement philosophique comme dans la sphère
quotidienne se trouve dans ces mots de Schopenhauer :
Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire
d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La
satisfaction y met fin ; mais pour un désir satisfait, dix au
moins sont contrariés ; de plus le désir est long, et ses
exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et
elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement
suprême n’est lui-même qu’apparent : le désir satisfait fait
place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une
déception reconnue, le second est une déception non
encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut
procurer de contentement durable et inaltérable. C’est
comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve
aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain
– Tant que notre conscience est remplie par notre volonté,
tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux
espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître,
tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous
ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre
le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout
un : l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous
quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans
cesse la conscience ; or, sans repos le véritable bonheur est
impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion
attaché sur une roue qui ne cesse de tourner ; aux
Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à
Tantale. (82)
Et cet effort perpétuel du vouloir permet de traduire
bonheur en ennui et désir en en souffrance :
Déjà en considérant la nature brute, nous avons reconnu
pour son essence intime l’effort, un effort continu, sans
but, sans repos ; mais chez la bête et chez l’homme, la
même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir,
s’efforcer, voilà tout leur être : c’est comme une soif
inextinguible. Or tout vouloir a pour principe un besoin, un
manque, donc une douleur : c’est par nature,
nécessairement, qu’ils doivent devenir la proie de la
douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d’objet,
qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif
de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable,
dans l’ennui : leur nature, leur existence leur pèse d’un
poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule,
de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui : ce sont là
les deux éléments dont elle est faite, en somme. De là ce
fait bien significatif par son étrangeté même : les hommes
ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans
l’enfer, pour remplir le ciel n’ont plus trouvé que l’ennui.
(83)
Une fois révélée l’absurdité de notre existence
redoublée par sa dimension tragique, il devient
compliqué de vivre dans l’insouciance, imbécile
heureux qui vogue de désir en désir et se noie
inéluctablement dans un océan d’ennui. L’ennui est le
goût de la mort chez les vivants – ne dit-on pas, à
propos d’un dimanche sans fin ou d’une réunion
PowerPoint, que l’on s’ennuie à mourir ? Alors, il faut
vivre avec ce poids, ce fardeau, en espérant prendre la
tangente ? Dans un entretien de 1995, Emil Cioran
faisait l’éloge du suicide comme manière de survivre ou
de résister à la vie : « Sans le suicide la vie serait à mon
avis insupportable. On n’a pas besoin de se tuer. On a
besoin de savoir qu’on peut se tuer. Cette idée est
exaltante. Elle vous permet de supporter tout ». Le
suicide serait alors la guérison de la vie, ce qui permet
d’espérer supporter le malheur sans le surmonter, d’être
soumis au tragique de l’existence. Quel programme !
Contre les défenseurs, même cyniques, d’une vie
morbide, Nietzsche comprend que la vie vaut la peine
d’être vécue en dépit du mal qui la constitue, même
par-delà ce mal. Le bonheur est, dans la tradition
philosophique, essentiellement compris comme un état
durable, persistant, semblable à la tranquillité, à la paix,
au calme. Être en paix c’est être mort. Le dicton
populaire qui affirme que nous dormirons quand nous
serons morts déploie un sens particulier pour nous : pas
de repos tant que vivant, et cette impossibilité du repos
que semble parfois déplorer Schopenhauer, est le
marqueur d’un bonheur impossible mais d’une joie à
réaliser. C’est dans cet effort vers la joie que le corps
vivant et vitalisé prend corps justement, cherchant ce
qu’il le renforce ou, pour le dire autrement, ce qui met à
mort sa faiblesse :
Qu’est-ce qui est bon ? – Tout ce qui intensifie le sentiment
de puissance, la volonté de puissance, la puissance même
dans l’homme.
Qu’est-ce qui est mauvais ? – Tout ce qui provient de la
faiblesse.
Qu’est-ce que la félicité ? – Le sentiment de ce que la
puissance s’accroît – qu’une résistance va être surmontée.
[…]
Les faibles et les malvenus doivent périr ; premier principe
de la société. Et l’on doit de surcroît les aider à cet effet.
Qu’est-ce qui est le plus nuisible qu’un quelconque vice ?
La compassion active pour tous les malvenus et faibles, –
« le christianisme » (84)
Il ne s’agit pas ici d’anéantir les « faibles » et les
« malvenus » au sens propre mais de les faire périr en les
transformant, en les revigorant. Devenir fort revient à
faire disparaître la faiblesse, à affaiblir la faiblesse pour
renforcer la force, tant nous pouvons négliger la force
de la faiblesse, son poids écrasant, le fardeau de sa
présence en nous. Se venger, ne jamais pardonner,
rester le ou la même, croire en une transcendance
rédemptrice, faire le bien par crainte de la punition…
etc., sont autant de situations où notre faiblesse
exprime toute sa force, toute sa puissance nihiliste. A
tort, on se risquerait d’en faire le jumeau du concept de
« résilience ». Concept d’abord physique décrivant la
caractéristique mécanique d’un matériau à résister à un
choc, la résilience a trouvé son écho majeur dans le
cadre de la psychologie, notamment à travers les
travaux de Boris Cyrulnik. Dans cette perspective, la
résilience est « la capacité d’une personne ou d’un
groupe à se développer bien, à continuer à se projeter
dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants,
de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois
sévères » (85). Comment ne pas percevoir des
accointances conceptuelles entre la résilience et l’amor
fati ? Nietzsche répond :
Je me suis souvent demandé si je ne devais pas davantage
aux plus dures années de ma vie qu’à aucune autre. Mon
être le plus intime me l’enseigne, tout ce qui est nécessaire,
vu de haut et dans l’optique d’une vaste économie
d’ensemble, est également l’utile en soi il ne faut pas
seulement le supporter, il faut l’aimer. Amor fati, voilà le
fond de ma nature. Quant à la longue maladie qui me
mine, ne lui dois-je pas infiniment plus qu’à ma bonne
santé ? Je lui dois une santé supérieure, que fortifie tout ce
qui ne la tue pas ! Je lui dois aussi ma philosophie. Seule la
grande douleur affranchit tout à fait l’esprit, en lui
enseignant le grand soupçon, qui fait de toute lanterne une
vessie, une bonne vraie vessie, c’est-à-dire qui restitue
l’ordre logique… Seule la grande douleur, cette longue et
lente douleur qui nous consume à petit feu, qui prend tout
son temps, nous force, nous autres philosophes, à gagner
notre plus grande profondeur et à nous délester de toute la
confiance, de toute la bienveillance, de tout l’indulgent
aveuglement, de toute la clémence et la médiocrité où nous
mettions sans doute autrefois notre humanité. Je ne sais si
une telle douleur « rend meilleur », mais je sais qu’elle
nous rend plus profonds. Soit que nous apprenions à lui
opposer notre fierté, nos sarcasmes, notre force de volonté,
et à nous égaler à l’Indien, qui, soumis à la plus cruelle des
tortures, se dédommage en décochant ses traits les plus
mordants à son bourreau; soit que, devant la douleur, nous
nous retirions dans cet affreux Néant, l’abandon muet,
sourd et paralysé de soi, l’oubli de soi-même, l’effacement
total de ces longs et dangereux exercices d’empire sur soimême, on revient un autre homme, enrichi de quelques
points d’interrogation — et surtout avec la ferme volonté
d’interroger désormais davantage, plus à fond, plus
rigoureusement, plus durement, plus méchamment, plus
silencieusement qu’il ne fut jamais fait sur terre. C’en est
fait de la confiance en la vie. La vie elle-même est devenue
problème. N’allez pas imaginer que cela fasse
nécessairement de vous un misanthrope ou un oiseau de
mauvais augure, — mais on aime alors différemment…
(86)
Ne jamais prendre des vessies pour des lanternes. Ne
jamais prendre des messies pour des lanternes. La joie
n’est pas une question de dynamisme ou de sécrétion
d’une coquille pour se défendre comme le dit Primo Levi
dans Si c’est un homme, mais bien d’une opposition
affirmative, qui a sa force et son ridicule, sa rigueur et
sa raideur. L’amor fati a pour fonction de mettre la joie
au cœur de la vie humaine, par une affirmativité et
vitalité inégalable dans le bonheur. La résilience ne peut
échapper complètement à son venin, la résignation,
tant est si bien qu’il promeut une adaptation aux
situations et non pas une remise en cause critique.
« Amor fati » ne signifie pas qu’il faudrait tenir, « être
dur au mal » comme disent les boxeurs, mais bien plutôt
de ne se résigner à rien, de désirer le désordre premier
du monde au lieu de s’y soumettre, même de manière
active et consciente. Or, si la lutte devenait nécessaire
c’est en tant qu’elle rend capable de « changer les
choses » et de ne pas acquiescer à l’état de fait du
monde. La joie serait effectivement à condition d’aimer
ce qui advient, fatalement : cela ne conduit pas
causalement à en désirer ce qui advient. Et Nietzsche
est parfaitement clair sur cette nécessité entre amour,
joie et fatalité :
Ma formule pour ce qu’il y a de grand dans l’homme
est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni
devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles. Ne
pas se contenter de supporter l’inéluctable, et encore moins
se le dissimuler — tout idéalisme est une manière de se
mentir devant l’inéluctable — mais l’aimer. (87)
La faiblesse dont parle Nietzsche serait justement de se
compromettre avec la fatalité, de trouver des
arrangements avec elle afin d’espérer se tirer d’affaire.
Il faut aimer ce qui advient tout en gardant les yeux
grands ouverts sur ce qui peut faire vriller la fatalité,
allant de la variation vers la fugue. Le christianisme,
d’après Nietzsche, affaiblit les corps et les consciences à
coups d’« amen ». « Ainsi soit-il » est la formule de celui
qui se fait prisonnier de l’idée de destin et de
l’imaginaire qui l’accompagne, qui se résigne
à être plutôt qu’à devenir. Être vengeur plutôt que
devenir juste ; être rancunier plutôt que de pardonner ;
prier un Dieu plutôt que croire en soi-même ; craindre
l’Enfer plutôt que vivre un Paradis terrestre… Nietzsche
veut supplanter le bonheur qui n’est autre qu’une
passion passive, un désir sans volonté, un espoir sans
espérance. Il fallait alors changer de mot d’ordre et
déconstruire puis transvaluer le Amen des monotones
monothéismes pour un leitmotiv de la vie elle-même,
croissante et excroissante. Amor fati est le vaccin du
philosophe-médecin jurant sur le serment de Nietzsche,
inoculant la viralité de la vitalité pour y développer la
puissance et sa volonté. L’amour de ce qui advient
remplace l’amour d’une espérance extra-terrestre. Là
où Amen est scandé comme un slogan ou une
ponctuation, amor fati se présente comme la voie vers
la joie hic et nunc, sans sacrifice ou martyrologie.
Du Gai Savoir aux lettres à Franz Overbeck, en passant
par des brouillons issus des fragments posthumes,
Nietzsche n’use en fin de compte qu’à dix reprises de
cet amor fati. Et pourtant, tout le corpus semble mu par
cette locution nécessaire. Déjà, sans même ouvrir le Gai
Savoir nous découvrons l’association de la gaieté et du
savoir, faisant de « scienza », « saber » ou
« Wissenschaft » un lieu de la joie, voire de la fête. En
effet, Nietzsche ne choisit pas par hasard un tel titre
mais fait référence immédiatement aux troubadours qui
chantaient leurs poèmes en occitan, opposant la
légèreté esthétique du Sud de l’Europe à la froideur
rationaliste du Nord de l’Europe. Bizet contra Wagner.
Lorsque Nietzsche fantasme sur les puissances et
impuissances de sa pensée en Europe, se demandant où
et comment un autre cours sur ses écrits que celui de
Brandes à Copenhague pour avoir lieu, il appuie cette
dimension ironique, s’amusant plutôt que se plaignant :
Moi-même, je n’ai pas souffert de tout cela ce qui a le
caractère de la nécessité ne me blesse pas : amor fati, tel
est le fond de ma nature. Cela n’exclut pas que je sache
apprécier l’ironie, et surtout l’ironie de l’Histoire. (88)
Si chez Hegel, l’histoire ruse, pour Nietzsche, elle
ironise : il y a toujours un comble de l’histoire,
expression d’un imprévu imprévisible qui tombe à pic,
expression de la vie elle-même qui échappe toujours
déjà à sa manière à toute logique. Le fait du « logie »
n’est pas la fée du logis de l’existence, qui nettoierait et
ordonnerait tout sur son passage. C’est cette an/archie,
autant cosmique qu’individuelle, qui convient d’aimer
un peu, beaucoup, à la folie, passionnément. Le destin
n’est qu’un ordre cosmétique qui polit les choses tandis
que la fatalité est l’exaltant incompréhensible, le joyeux
irréductible, le foisonnant mettant Calliclès et Socrate
dos-à-dos dans le Gorgias de Platon (89). Ni la vie de
plaisirs, ni la vie de déplaisir, mais bel et bien, à tout
jamais, le plaisir et l’amour de vivre.
Notes:
(1) Les sous-parties 2 et 3 du chapitre 7 reprennent une
conférence donnée lors de la Journée d’études
doctorales à l’Université de Strasbourg consacrée à la
notion d’ivresse et organisée par Élise Tourte en janvier
2018. Le texte n’a été que quelque peu modifié pour les
usages de notre présente étude.
(2) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, pp.
201-222
(3) AC, §60 / KSA 6, 250
(4) GS, I, §42 / KSA 3, 50
(5) FP HTH I, 21[35] / KSA 8, 372
(6) EH, « Pourquoi je suis si avisé », §1 / KSA 6, 280
(7) FP HTH I, 21[34] / KSA 8, 372
(8) FP A, 6[314] / KSA 9, 278
(9) Ibid.
(10) Sur la question de la nourriture chez Nietzsche,
voir l’ouvrage passionnant et puissant d’Arnaud
Sorosina, Du régime philosophique. Nietzsche
diététicien, Manucius, 2019
(11) Nietzsche n’a de cesse de construire cette
association esprit allemand/ivresse. Nous pensons, par
exemple, afin de ne pas surmultiplier les occurrences et
les références aux textes, à cet extrait : « Âmes
joyeuses. Il suffisait de faire allusion, ne fût-ce que de
loin, au boire, à l’ivresse et à certaine sorte
nauséabonde d’obscénité, et l’âme des anciens
Allemands se faisait joyeuse, — le reste du temps, ils
étaient chagrins ; mais là, ils tenaient un genre bien à
eux d’intelligence profonde. », HTH II, VO, §224 / KSA
2, 655
(12) CI, « Ce qui manque aux Allemands », §2 / KSA 6,
104
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
(16) EH, « Pourquoi j’écris de si bons livres », à propos
d’Humain trop humain, §2 / KSA 6, 323.
(17) Ibid
(18) A, III, §188 / KSA 3, 161
(19) Ibid.
(20) FP X, 25[13] / KSA 11, 14-15
(21) Ibid.
(22) FP A, 4[265] / KSA 10, 183
(23) Ibid.
(24) FP A, 4[274] / KSA 10, 185
(25) FP X, 25[13] / KSA 11, 14-15
(26) Ibid.
(27) FP HTH II, 40[4] / KSA 11, 630
(28) FP X, 25[13] / KSA 11, 14-15
(29) Ibid.
(30) FP IX, 24[26] / KSA 10, 660
(31) Ibid.
(32) VDM, §1, p. 49 / KSA 1, 553
(33) Ibid., p. 50
(34) CI, « Divagations d’un inactuel », §10 / KSA 6, 117
(35) Ibid., §8 / KSA 6, 116
(36) Ibid.
(37) VDM, §1, p. 50 / KSA 1, 554
(38) FP HTH I, 23[172] / KSA 8, 467
(39) VDM, §1, p. 50 / KSA 1, 554
(40) CIn IV, §2 / KSA 1, 264
(41) HTH I, § 162 / KSA 2, 151-152
(42) CI, « Divagations d’un inactuel », §8 / KSA 6, 116
(43) FP XIII, 9[102] / KSA 12, 393-394
(44) Ibid
(45) Ibid
(46) Ibid
(47) Ibid
(48) CI, « Divagations d’un inactuel », §9 / KSA 6,
116-117
(49) NT, §1 / KSA 1, 25-30
(50) VDM, §1, p. 51 / KSA 1, 555
(51) Ibid
(52) Ibid
(53) NT, §2 / KSA 1, 30-34
(54) Denat, Céline. Nietzsche. Généalogie d’une pensée,
Belin, pp. 86-87
(55) NT, §19 / KSA 1, 120-129
(56) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, pp.
116-117, PUF.
(57) CI, « Divagations d’un inactuel », §10. Nous
pourrions y ajouter le « danseur » et le « poète lyrique »,
CI, « Divagations d’un inactuel », §11 / KSA 6, 117-119
(58) FP HTH I, 22[78] / KSA 8, 392
(59) NT, §1 / KSA 1, 28
(60) FP A, 3[150] / KSA 9, 95
(61) FP GS, 12[103] / KSA 9, 595
(62) HTH I, § 162 / KSA 2, 151-152
(63) CI, « Divagations d’un inactuel », §9 / KSA 6,
116-117
(64) NT, « Dédicace à Richard Wagner » / KSA 1, 23-24
(65) Nous développons amplement cette thématique
dans Nietzsche et la question des temporalités, Partie II,
chapitre 3.
(66) GS, IV, §276 / KSA 5, 521
(67) EH, « Pourquoi j’écris de si bons livres », à propos
d’Ainsi parlait Zarathoustra, §1 / KSA 6, 335
(68) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, p. 79
(69) Ibid., p. 80
(70) Ibid.
(71) Ibid., p. 77
(72) Ibid.
(73) FP X, 26[295] / KSA 11, 228
(74) Ibid.
(75) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, p. 78
(76) Ibid.
(77) Ibid.
(78) Ibid
(79) AZ, « De la domination de soi » / KSA 4, 146-149
(80) Camus, Albert. Noces, p. 52
(81) Ibid., p. 97-98
(82) Schopenhauer, Arthur. Aphorismes sur la sagesse
dans la vie, §38
(8E3) Schopenhauer, Arthur. Le Monde comme volonté
et comme représentation, I, IV, §57, p. 394
(84) FP XIII, 11[414] / KSA 13, 192
(85) Michel Manciaux, « La résilience. Un regard qui fait
vivre », Etudes, 2001/10 (Tome 395), p. 321-330
(86) NW, « Epilogue », §1 / KSA 6, 436-437
(87) EH, « Pourquoi je suis si avisé », §10 / KSA 6, 297
(88) EH, « Le Cas Wagner », §4 / KSA 6, 363
(89) Platon, Gorgias, 492a-495a
Articles précédents:
**Pharmacie de Spielberg
**Katharsis et pharmakon
*Folon, la métaphysique des tubes cathodiques
*Jonathan Daudey, une philosophie alsacienne